La décision du secrétaire à la Marine, John Phelan, d’interrompre l’engagement de la Marine américaine (US Navy) dans la construction des dernières frégates de la classe Constellation, a été rendue publique et produit un effet immédiat sur le carnet de commandes. Le cadre trouvé avec l’industrie met fin pour convenance aux quatre dernières unités dont la construction n’a pas commencé et place les deux premières « sous revue ». Conçu comme une adaptation rapide d’un design sur étagère, inspiré de la FREMM italienne et confié à Marinette/Fincantieri en 2020, le programme a glissé au fil de spécifications mouvantes, annulant l’avantage de départ recherché par la Marine.
Cette rupture s’inscrit dans un diagnostic plus large déjà posé par plusieurs audits. La Constellation n’est pas un accident isolé mais le révélateur d’une méthode qui a transformé un modèle existant en « Frankenship », avec une progression limitée de la première unité, évaluée autour de 10 %, et des estimations de coût unitaire proches de 1,4 milliard de dollars. Les enjeux opérationnels et industriels sont désormais imbriqués. L’objectif affiché consiste à accélérer la livraison de capacités, tout en posant une question plus lourde encore, celle de la capacité de la construction navale américaine à produire masse et tempo face à une concurrence en pleine montée en cadence.
Sommaire
Des ambitions initiales aux dérives : la généalogie des frégates Constellation issues de la FREMM italienne
Lancé en 2018/2020, le programme FFG(X) pour Future Guided-Missile Frigate, c’est-à-dire la future frégate lance-missiles, devait capitaliser sur un design sur étagère afin de livrer rapidement des frégates de lutte anti‑sous‑marine à coût maîtrisé. En ce sens, le choix initial a bien été de s’appuyer sur la classe Bergamini, la FREMM italienne, afin de sécuriser délais et coûts, et de restaurer de la masse dans les escorteurs de l’US Navy. Cette orientation — retenir la FREMM pour gagner du temps et de l’argent — répondait à l’après‑Littoral Combat Ship et aux impératifs de la compétition navale.
Très vite, ce pari s’est érodé sous l’effet d’une accumulation de modifications. Le « sur étagère » a perdu sa substance à mesure que les demandes s’empilaient et que les sous‑systèmes changeaient. La part de composants communs avec la FREMM, attendue à 85 %, s’est effondrée vers un ordre de grandeur inverse, autour de 15 %. L’économie d’échelle, l’expérience acquise et la simplicité d’intégration, qui justifiaient ce choix, se sont presque évaporées, rendant la promesse initiale difficile à tenir.
Autre écueil : la production a démarré avant que l’architecture ne soit figée. Ce choix, censé gagner des mois, a provoqué des arrêts‑redémarrages, des re‑travaux et des surcoûts. En clair, la construction a débuté avant la stabilisation de l’architecture, ce qui a mécaniquement allongé les délais.
Enfin, le calendrier a glissé. La première livraison espérée au milieu des années 2020 est désormais projetée vers 2029. L’effet recherché de rapidité et de maîtrise budgétaire s’est dissipé, alors même que la concurrence augmente sa cadence.
Virage assumé de l’US Navy : annonce, portée et premières mesures
John Phelan a officialisé un changement de cap, présenté comme un moyen d’accélérer la construction navale, d’améliorer la disponibilité et de livrer plus vite des capacités concrètes. Comme l’indique The War Zone, ce « déplacement stratégique » s’éloigne du programme Constellation pour concentrer l’effort sur des plateformes jugées plus rapidement producibles, avec un objectif opérationnel de court terme.
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