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[Actu] FREMM EVO ou FDI, la compétition des frégates portugaises sur fond de financement SAFE

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[Actu] FREMM EVO ou FDI, la compétition des frégates portugaises sur fond de financement SAFE
La fregate FDI Amiral Ronarc'h, navire de tête de la classe éponyme de frégates FDI de la marine nationale, n'au que 16 silos verticaux. Elle en recevra 16 autres dans les années à venir.

Le dossier portugais de remplacement de la flotte de frégates s’est concrétisé à la fin de 2025 avec des visites en mer des frégates françaises Amiral Ronarc’h, une Frégate de défense et d’intervention, dite FDI, et italienne Emilio Bianchi, une Frégate européenne multi‑missions dans sa version évoluée, dite FREMM EVO. Lisbonne vise deux à trois unités pour un budget d’environ trois milliards d’euros, dans le cadre du programme européen Security Action for Europe, SAFE.

La confrontation oppose une solution présentée comme prête à l’emploi, orientée défense aérienne et antimissile intégrée, IAMD, et promettant des retombées industrielles locales, à une FREMM EVO mettant en avant des performances accrues en guerre électronique et en lutte anti‑sous‑marine, au prix de travaux lourds sur le Tage et à l’Arsenal do Alfeite. Le choix pèsera sur la trajectoire industrielle et opérationnelle du Portugal pour la décennie.

Calendrier sécurisé et créneaux export, Naval Group en position favorable pour le remplacement des frégates portugaises

Dès l’ouverture de la séquence, la proposition française a placé le calendrier au cœur de l’argumentaire. Naval Group indique pouvoir livrer au moins deux FDI au Portugal d’ici 2030, en s’appuyant sur une cadence de production déjà stabilisée et sur des lignes export actives, comme en Grèce, qui libèrent des créneaux après 2029, comme le rapporte le site néerlandais Marineschepen. Une telle fenêtre répond aux impératifs politiques de Lisbonne et réduit l’aléa de mise en service, alors que l’ambition porte sur deux à trois unités seulement.

Dans ce contexte, la parole de Pierre Éric Pommellet, le PDG de Naval Group, a donné un repère concret sur la faisabilité industrielle et le tempo de livraison. Il a mis en avant un rythme consolidé et la capacité à honorer un besoin court terme tout en préparant un soutien local au Portugal. « Naval Group dispose, selon son PDG, d’une capacité industrielle permettant de livrer au moins deux frégates au Portugal d’ici 2030. » Cette déclaration, faite lors de la venue de l’Amiral Ronarc’h à Lisbonne, s’est articulée avec un discours de retombées économiques et de modèle de maintenance transférable.

frégate FDI amiral Ronarc'h Marine nationale
Fregate Amiral Ronarc’h, première unité de type FDI format la classe éponyme de la Marine nationale

Parallèlement, la visite de la FREMM Emilio Bianchi s’est accompagnée d’une séquence industrielle assumée. La délégation italienne, conduite par le ministre de la Défense Guido Crosetto, s’est rendue à l’Arsenal do Alfeite, ce qui a lié de fait la proposition de frégates à des perspectives de travaux portuaires et d’investissements destinés à remettre à niveau les installations nationales. Cette articulation entre vente et chantier local a posé un cadre de discussion distinct, où l’infrastructure devient partie prenante du choix de plateforme.

Le financement européen ajoute une dimension d’ampleur au dossier. Lisbonne a inscrit son projet dans la fenêtre SAFE de l’Union européenne, avec un droit indicatif de six milliards d’euros et l’intention, signalée par la presse du pays, d’allouer la majeure partie de cette enveloppe à la nouvelle flotte. La contrainte n’est donc pas l’accès au capital, mais le phasage des dépenses et la capacité d’absorption des chantiers, afin de concilier équipement, soutien et formation.

Enfin, l’échelle du programme confirme l’importance stratégique de la décision. Deux à trois frégates pour environ trois milliards d’euros constituent le plus grand projet naval contemporain du Portugal. Les démonstrations successives à Lisbonne et la communication structurée des industriels visent à réduire l’incertitude technique et à emporter l’adhésion politique. Ainsi, la compétition se joue autant sur la crédibilité des délais, la solidité du soutien et la clarté des offres publiques que sur les performances brutes à la mer. 

FDI et Aster 30 donnent un effet IAMD immédiat à la Marine portugaise

La valeur cardinale d’une FDI pour Lisbonne tient à son apport immédiat en défense aérienne de zone. Dans la configuration visée, le couplage du radar SeaFire et des missiles Aster 30 constitue un ensemble cohérent qui élargit la bulle de protection et facilite l’intégration à la défense aérienne et antimissile intégrée, IAMD, de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, OTAN. À ce titre, le couplage du radar SeaFire et des missiles Aster 30est présenté comme un saut capacitaire tangible permettant de passer d’un rôle d’escorte de proximité à une véritable défense de zone.

La récente évolution vers trente‑deux cellules de lancement vertical Sylver A50 sur les dernières unités françaises double la profondeur de feu disponible. Cette densité d’emport accroît la tenue face à des salves saturantes et préserve des marges pour traiter des menaces multi‑axes, tout en s’appuyant sur une doctrine de tir économe rendue possible par Aster 30. Pour une marine qui vise une entrée en service rapide et des engagements potentiellement lointains, cette endurance tactique compte autant que la portée pure des détecteurs et des intercepteurs embarqués.

Aster 30 MBDA
depart d’un missile Aster 30 B1

Le second pilier de l’offre française rejoint le besoin de calendrier. Une solution déjà industrialisée, standardisée et pleinement armée réduit les aléas d’intégration et de qualification. Dans ce cadre, l’argument d’« une plateforme export déjà industrialisée, prête au combat » s’impose comme une voie réaliste pour tenir une fenêtre 2030, comme l’illustre la mise en avant des solutions prêtes à l’emploi par des marines européennes confrontées à des impératifs similaires.

Sur le plan industriel, Naval Group associe sa proposition à des retombées locales estimées à 20 pour cent de la valeur du contrat et à l’implantation d’un modèle de maintenance national, inspiré d’expériences récentes. L’objectif affiché consiste à structurer un socle de soutien au Portugal, avec Arsenal do Alfeite comme pivot, afin de réduire la dépendance en exploitation et d’ancrer une chaîne de compétences locale au bénéfice de la disponibilité opérationnelle.

Enfin, l’empreinte physique de la FDI reste compatible avec les contraintes du port d’attache et des ouvrages actuels. La longueur et le tirant d’eau plus contenus de l’Amiral Ronarc’h limitent a priori l’ampleur des adaptations sur le Tage et dans les bassins de l’Arsenal do Alfeite. Cet avantage pratique se traduit directement en coûts évités, en délais raccourcis et en risques moindres sur la montée en puissance de la flotte, ce qui alimente l’attrait d’une option à faible friction d’infrastructure. 

La FREMM EVO impose un gabarit hors norme et des travaux à l’Arsenal do Alfeite

Le gabarit d’une FREMM EVO pose, en l’état, un défi concret aux règles de navigation qui encadrent l’accès à la base principale de la Marine portugaise. Avec environ 145 mètres de longueur, huit mètres de tirant d’eau et vingt mètres de largeur, le bâtiment dépasse les limites actuelles de la voie d’accès entre l’estuaire et la base, et il ne peut pas entrer dans les formes calculées pour dix‑huit mètres de large. La navigabilité serait en outre contrainte par la marée, ce qui affecte la disponibilité opérationnelle et la planification des escales techniques.

Ainsi, l’acquisition d’une FREMM EVO équivaudrait à engager un chantier portuaire d’ampleur. Le profil du navire impose des campagnes de dragage de la barre et du chenal, ainsi que l’agrandissement des installations de l’Arsenal do Alfeite. Cette contrainte transforme un achat de plateformes en projet d’infrastructures stratégiques, avec des autorisations, des marchés et des phasages qui dépassent le seul périmètre naval. Les arbitrages porteront sur la proportion de l’effort à consentir en dragage du Tage et en adaptation des docks.

Fincanteiri FREMM Evo maquette
maquette des futures FREMM Evo de la Marina Militare italienne

De tels travaux ont des effets mécaniques sur le budget, le calendrier et le risque industriel. Les coûts additionnels et les délais d’entrée en service s’en trouvent accentués, tandis que la montée en puissance dépend, pendant une période transitoire, du constructeur pour garantir la disponibilité opérationnelle. Cette dépendance accrue serait particulièrement sensible pour la logistique, la formation et l’ingénierie de maintenance, qui doivent s’aligner sur des standards nouveaux pour la base portugaise.

Il faut toutefois rappeler que la FREMM EVO met en avant un socle de systèmes modernes et ambitieux. L’association du radar à antenne active à balayage électronique, appelé AESA, Kronos en bandes X et C, et le système de combat SADOC 4, s’ajoute à des capacités renforcées en antibalistique, en anti‑drone, en cybersécurité et en guerre électronique. Cette promesse technique, détaillée à travers le positionnement international de la FREMM EVO, place l’option italienne sur un plateau capacitaire élevé, notamment en lutte anti‑sous‑marine.

Par ailleurs, l’Italie présente l’effort d’infrastructure comme une opportunité d’investissement et d’emploi sur le territoire. La perspective de moderniser les accès et les ateliers peut séduire, puisqu’elle irrigue le chantier et la sous‑traitance locale. Cet argument assume une logique d’aménagement du territoire, mais il suppose d’en mesurer les contreparties financières, la durée des chantiers et l’exposition à un verrou industriel si l’expertise reste concentrée chez les maîtres d’œuvre étrangers. 

Soutien souverain ou dépendance prolongée, un choix qui façonnera la Marine portugaise

Le volet industriel de l’offre française vise à ancrer des compétences au Portugal. La promesse de 20 pour cent de retombées locales et l’installation d’un modèle de maintenance national s’alignent avec l’objectif d’autonomie d’exploitation. En s’appuyant sur Arsenal do Alfeite et des partenaires portugais, le pari consiste à réduire la dépendance extérieure dans la durée et à sécuriser les cycles de disponibilité, en particulier pour les arrêts techniques programmés et la gestion des stocks de pièces critiques.

À l’inverse, un choix FREMM EVO exigerait un plan complet de soutien, de formation et d’adaptation d’infrastructures, dont le coût et le risque doivent être examinés avec rigueur. La concentration d’expertise chez Fincantieri et Leonardo pourrait, au moins dans un premier temps, créer une dépendance forte sur des segments sensibles, de la conduite de combat à l’ingénierie de maintenance. La question devient alors celle du rythme de transfert de compétences et de la capacité nationale à prendre la main sur la disponibilité.

Radar seafire 500 thales
Radar Seafire 500 de Thales

Sur le plan des effets militaires, la FDI renforcerait immédiatement une contribution utile à l’IAMD alliée grâce au couple SeaFire et Aster 30, et à une intégration sans rupture dans la chaîne de détection et d’interception. La FREMM EVO offrirait, si l’intégration et le soutien suivent, un élargissement marqué en lutte anti‑sous‑marine, en guerre électronique et en résilience cyber. Ces trajectoires ne sont pas interchangeables, puisqu’elles reflètent deux priorités opérationnelles différentes que Lisbonne doit hiérarchiser au regard de sa posture au sein de l’OTAN.

Enfin, l’équation budgétaire ne peut ignorer l’empreinte des infrastructures. Les coûts de dragage et d’agrandissement des docks, la pression sur le calendrier SAFE et la tenue de l’ambition de deux à trois unités forment un ensemble contraignant. La décision conditionnera aussi la décennie industrielle du Portugal, qu’il s’agisse de structurer une base de maintenance nationale et d’éviter une dépendance durable aux chaînes d’approvisionnement étrangères, ou d’assumer une stratégie d’investissements lourds pour changer d’échelle. 

Conclusion

On comprend de ce qui précède que l’arbitrage portugais ne se limite pas à opposer deux coques, puisqu’il met face à face une FDI prête à l’emploi apportant un gain immédiat en défense aérienne de zone et en interopérabilité IAMD, et une FREMM EVO plus ambitieuse en guerre électronique, en lutte anti‑sous‑marine et en contre‑drone, mais assortie d’exigences d’infrastructure et de soutien autrement plus lourdes.

Par ailleurs, l’effort d’investissement, potentiellement adossé à SAFE, devra être calibré au regard des coûts de dragage et des travaux à l’Arsenal do Alfeite, des retombées locales promises et des risques de dépendance. En outre, le choix fixera la place de la Marine portugaise au sein de l’OTAN pour la prochaine décennie et orientera les priorités de formation, de maintenance et de financement public, au rythme d’un calendrier d’entrée en service qui restera le juge de paix. 

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