Donald Trump entre l’enclume et le Marteau qu’il a lui même forgé : le CAATSA

Promulguée le 24 juillet 2017, le Countering Amerca’s Adversaires Through Sanctions Act, ou CAATSA, est une des premières grandes actions du président Trump sur la scène internationale après son élection à la Maison Blanche. Cette loi autorise les Etats-Unis à mettre en oeuvre des sanctions économiques et technologiques contre un pays qui achèterait des équipements de Défense en provenance de nations jugées « ennemies des Etats-Unis », comme la Russie, la Corée du Nord ou l’Iran. Cette menace a depuis régulièrement été brandie par le département d’Etat lorsqu’un pays envisageait d’acquérir des aéronefs, navires de guerre ou blindés à la Russie. Mais aujourd’hui, les incohérences propres à cette loi, très mal calibrée pour s’appliquer dans la finesse des relations internationales, provoquent des tensions politiques aux Etats-Unis, et des tensions diplomatiques entre Washington et ses alliés.

Si le CAATSA a été, à plusieurs reprises, utilisé pour menacer un pays tenté d’acquérir des équipements russes, il n’a, en fait, été appliqué qu’une seule fois, et de façon limité, contre la Chine populaire, au sujet de l’acquisition par Pékin de la seconde tranche de chasseurs Su-35 (10 appareils), et des systèmes S-400. Concrètement, ces sanctions sont passées inaperçues dans l’environnement de tensions économiques qui opposent les deux pays, à grand renfort de taxes douanières sur des centaines de milliards de $ de marchandises échangées. En revanche, alors que l’Inde a commandé à la Russie, depuis 2017, des frégates de la classe Grigorovich, les missiles de différents types, des fusils d’assaut Kalashnikov, des hélicoptères, des batteries S400 et, plus récemment, 490 chars de combat T90, aucune sanction n’a été mise en oeuvre contre New Delhi, le pays représentant un partenaire bien trop précieux pour Washington pour contenir la montée en puissance chinoise, ainsi qu’un débouché important pour son industrie de Défense (Hélicoptères Apache, avions de Patrouille Maritime P8, F16V et F18 E/F en compétition pour l’IAF et la Marine indienne..).

T90 india Actualités Défense | Alliances militaires | Embargo et blocus militaire
L’inde a passé il y a deux semaines une commande de 490 chars de combat T90 russes, qui devrait logiquement être sanctionnée par le CAATSA

Moscou table en 2019 sur un volume total d’exportation de ses équipements de défense de 13,2 Md$, soit sensiblement le même montant qu’en 2018 et 2017, portant sur plus d’une quarantaine de clients internationaux. Logiquement, tous ces pays devraient être visés par la législation CAATSA. Dans les faits, aucun ne l’a été, à l’exception de la Chine, comme nous l’avons vu. Parmi ces pays, outre la Chine et l’Inde, se trouvent monarchie du Golfe Persique, l’Egypte, le Vietnam, l’Algérie, le Maroc, de nombreux pays africains, et même des pays européens, comme la Serbie. Moscou a par ailleurs mis en place, depuis cette année, de nouveaux modes permettant le paiement des commandes internationales sans passer par le système interbancaire SWIFT d’origine américaine, ni en passant par le dollar US comme monnaie de référence.

Il est vrais que l’application sans nuance de ces sanctions entraineraient, sans le moindre doute, des conséquences bien pires que celles résultants de l’achat d’équipements russes. Ainsi, Donald Trump se retrouve aujourd’hui entre le Marteau que représente le CAATSA, et l’enclume de la Turquie du président R.T Erdogan, qui a fait l’acquisition de 4 batteries de systèmes S400 auprés de la Russie, systèmes ayant été livrés par Moscou entre Juillet et novembre 2019. Après avoir menacé de ruiner l’économie turque, et avoir exclu le pays du programme F35, le président Trump se voit aujourd’hui pressé par son parlement, et notamment par le sénat américain pourtant à majorité républicaine, d’appliquer le CAATSA contre Ankara. Or, et le président Erdogan s’en est fait à plusieurs reprises l’écho, si la Turquie venait à être visée par le CAATSA, elle se retournerait immédiatement vers d’autres partenaires, parmi lesquels la Russie et la Chine, notamment pour poursuivre ses propres programmes d’équipements de Défense. Et même si la menace n’a jamais été formulée par Ankara, la Maison Blanche craint de voir la Turquie quitter l’OTAN pour se rapprocher du couple sino-russe, que l’on sait plus proche des conceptions de gouvernement du président Erdogan que ses présents alliés européens.

erdogan putin Actualités Défense | Alliances militaires | Embargo et blocus militaire
En fin tacticien, R.T Erdogan sait faire jouer les antagonismes entre Russie, Chine, Etats-Unis et Européens pour tenter de hisser la Turquie au banc des grandes nations mondiales

Donald Trump se retrouve donc sans aucune solution acceptable dans ce dossier : soit il « cède » à Ankara, envoyant immédiatement un message de faiblesse ou de législation arbitraire à l’ensemble des pays actuellement menacés par le CAATSA, soit il applique des sanctions, au risque de précipiter la Turquie dans le camp « adverse ». Conscient de cette impossible équation, en fin politicien, le président Erdogan mime simultanément le parfait dévouement à l’OTAN, tout en n’hésitant pas à menacer l’Alliance de blocage, celle-ci ne cédant pas à ses exigences en Syrie, notamment en refusant de classer le YPG, les kurdes de Syrie aux cotés desquelles les forces françaises et américaines ont combattu Daesh depuis 2015, dans la liste des organisations terroristes, tout en menant, parallèlement, de nouvelles purges contre les militaires soupçonnés d’avoir collaboré à la tentative de coup d’état de 2016.

La solution serait, bien évidement, de supprimer cette loi issue d’une très mauvaise compréhension des mécanismes à l’oeuvre dans les relations internationales. Mais eu égard à ce qu’a pu montrer le président Trump de son approche de la politique internationale, il est peu probable qu’une telle remise en cause soit envisagée. Les incohérences et revirements soudains et arbitraires sont donc appelés à perdurer dans les prochaines années, ne faisant, au final, que consolider le lien entre Moscou et Pékin, et la puissance militaire, économique et internationale, que représente ce nouveau pôle de puissance mondial. La seule alternative serait, comme l’a proposé le président français, d’engager une discussion directe, franche et volontaire, entre les européens, ou certains d’entre eux, et Moscou, de sorte à maintenir une alternative au monde bipolaire en tension perpétuelle qui se dessine aujourd’hui.

Pour Aller plus loin

RESEAUX SOCIAUX

Derniers Articles