Plutôt qu’une action amphibie risquée et couteuse, l’hypothèse d’un blocus de Taïwan imposé par la Marine chinoise et les forces aériennes de l’Armée populaire de libération, apparait désormais la plus susceptible d’intervenir rapidement, selon plusieurs spécialistes du sujet.
Il y a quelques jours, le Chef des Opérations Navales américain, l’amiral Gilday, insistait sur les risques d’emballement d’un hypothétique conflit entre la République Populaire de Chine et Taïwan, sur un calendrier raccourci.
Pour l’officier américain, l’US Navy estime à présent qu’une offensive chinoise contre l’ile autonome depuis 1949 est probable d’ici à 2027, et pourrait même intervenir dans un avenir très proche, précisant que la fenêtre d’opportunités avait déjà débuté.
Ses propos furent largement accrédités par les déclarations du président Xi Jinping à l’occasion du XXᵉ Congrès du Parti communiste chinois, mais également par la réorganisation du haut commandement chinois qui lui fit suite, mettant à la tête de l’Armée Populaire de Libération des officiers généraux de renom pour leur expérience et leur fidélité au président chinois.
L’hypothèse d’un blocus de Taïwan de plus en plus crédible
C’est dans ce contexte que le directeur du National Security Bureau taïwanais, Chen Ming-tong, s’est exprimé au sujet de l’actualisation de la menace chinoise sur l’ile. Selon lui, il ne fait guère de doute que Pékin souhaite accélérer l’ensemble de son calendrier visant à réintégrer l’ile au sein de la République Populaire de Chine.
À l’instar de l’amiral Gilday, il estime que la Chine pourrait entreprendre des opérations visant à forcer Taïwan à la soumission à Pékin par la force, et ce, dès 2023.
Selon lui, l’hypothèse d’un blocus de l’ile est aujourd’hui la plus probable, et celui-ci pourrait intervenir dès l’année prochaine, sachant que la prise de Taïwan constitue désormais un marqueur clé de l’action politique de Xi Jinping, et qu’il semble indispensable que celle-ci soit effectivement réalisée avant la fin de son 3ᵉ mandat en 2027, surtout s’il entend, comme c’est probable, briguer d’autres mandats par la suite.
Pour autant, imposer un blocus naval et aérien de l’ile sera une action ardue à mener pour les forces chinoises, qui plus est en 2023 alors que la transformation de l’Armée Populaire de Libération n’aura atteint que la moitié de ses objectifs.
La puissance de la Marine et des forces aériennes chinoises
Ainsi, à cette date, la Marine chinoise disposera de 3 porte-avions, de 55 sous-marins d’attaque modernes dont 6 à propulsion nucléaire, de 10 grands navires d’assaut amphibies épaulés de 40 navires d’assaut de plus faible tonnage, de 8 croiseurs, 45 destroyers, 30 frégates et cinquante corvettes de lutte anti-sous-marines.
Dans les airs, Pékin pourra s’appuyer sur 1600 chasseurs et chasseurs bombardiers modernes, dont une centaine de J-20 de 5ᵉ génération et de 200 bombardiers à long rayon d’action, mais de seulement 60 avions de transport lourds, 35 Awacs et à peine autant d’avions ravitailleurs.
Si une telle force est incontestablement plus que significative, elle n’est pas exempte de certaines faiblesses pouvant mettre à mal l’application d’une stratégie de blocus contre Taïwan.
Les limites actuelles de la Marine chinoise
En effet, avec seulement trois porte-avions disponibles, dont un qui sera encore en phase d’essais, la Marine chinoise ne pourra déployer qu’un unique navire de ce type à l’est de Taïwan, tant pour coordonner le blocus que pour éventuellement tenir en respect une éventuelle flotte américaine et alliée venue lever le blocus chinois.
En outre, le navire ne pourra s’appuyer que sur un ou deux sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire pour assurer sa sécurité, même s’il pourra mettre en œuvre une importante escorte de destroyers et de frégates.
Enfin, en l’absence d’une flotte d’avions ravitailleurs suffisamment dimensionnée, les forces aériennes chinoises ne pourront renforcer la couverture aérienne de leur dispositif aéronaval, ni même escorter au-delà de la cote est taïwanaise les bombardiers stratégiques et les bombardiers navals chinois, laissant ces appareils très vulnérables face à la chasse américaine et alliée le cas échéant.
En d’autres termes, eu égard aux forces effectivement disponibles pour Pékin en 2023, la mise en œuvre d’un blocus naval global de l’ile ne pourra être que relativement réduite dans le temps.
Surtout, il ne pourra pas s’opposer effectivement à une force navale occidentale sous bannière américaine venue lever le blocus le cas échéant, sauf à limiter le blocus aux ports et aéroports de la côte occidentale de l’ile faisant face au détroit de Taïwan.
En procédant de cette manière, les forces chinoises bénéficieraient en permanence de la couverture offerte par les avions de chasse de l’Armée Populaire de Libération basés sur les nombreux aérodromes bordant le détroit.
Un blocus restreint au détroit de Taïwan
En limitant le blocus à la passe de Taïwan, Pékin pourrait, en effet, neutraliser le transport maritime taïwanais transitant par le premier port de l’ile, Kaohsiung, et par celui de son port de dégagement d’Anping, ainsi que le trafic aérien sur l’aéroport international de Taipei.
Cette stratégie aurait d’importants impacts sur l’économie de l’ile comme sur l’ensemble du commerce maritime international transitant dans cette zone, notamment vers et à destination du Japon et de Corée du Sud.
En outre, en limitant le blocus à la passe de Taïwan, Pékin disposerait d’arguments certes contestables, mais potentiels pour en faire valoir la dimension de mer intérieure et d’eaux territoriales, comme c’est le cas en Mer de Chine du Sud.
Il semble à ce titre relativement aisé de créer un prétexte pour justifier d’une telle intervention, par exemple, en incitant Taipei à abattre un appareil chinois ou à frapper un navire dans ces eaux.
En outre, cela rendrait beaucoup plus difficile et risquée, une éventuelle intervention américaine pour lever le blocus par la force. Les forces aériennes chinoises basées à terre, mais également les multiples batteries anti-aériennes et antinavires disposées par l’APL le long du détroit, seraient, en effet, capables de couvrir l’intégralité de la passe jusqu’au-dessus des côtes occidentales de l’ile.
D’un point de vue politique, une telle manœuvre militaire offrirait évidemment de nombreux intérêts pour Pékin. Tout d’abord, il ne s’agirait ni d’une attaque effective contre l’ile, ni d’un blocus imperméable, privant potentiellement l’ile des ressources élémentaires en matière d’alimentation et d’énergie, puisque les ports de la côte orientale, en particulier ceux de Keelung, Suao et Hualien, suffisamment dimensionnés pour assurer ces fonctions vitales.
En revanche, l’économie taïwanaise serait lourdement touchée, particulièrement pour ce qui concerne ses exportations technologiques, avec des effets très importants sur l’ensemble de l’économie occidentale.
En outre, un tel blocus partiel ne représenterait pas un effort extraordinaire pour l’APL, celle-ci disposant du nombre de frégates, destroyers et corvettes pour en assurer l’application en surface, et d’une vaste flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle parfaitement adaptés à une telle mission pour le volet sous-marin.
Au-delà des effets immédiats d’un tel blocus, celui-ci ferait peser une menace permanente sur l’ile, si tant est que Taïwan tente une action militaire pour le briser, avec la possibilité de frapper massivement et durement l’ensemble des infrastructures militaires de l’ile par des missiles balistiques et de croisière, tout en se justifiant d’une simple riposte pour Pékin.
Si les Etats-Unis et leurs alliés venaient à tenter une action pour déployer des forces sur ou à proximité de l’ile, l’APL disposerait des moyens de réagir rapidement en maîtrisant intégralement le détroit.
Elle pourrait ainsi mener une action amphibie de grande envergure contre les cotes taïwanaises y faisant face, sans qu’il soit aisé de s’y opposer pour les forces américaines.
Enfin, le probable statu quo qui ferait suite à une telle manœuvre, jouerait sans le moindre doute en faveur de Pékin, qui pourrait notamment s’accaparer les iles taïwanaises du détroit.
Dans le même temps, cette manœuvre ferait croitre la pression politique et économique sur l’ile et son gouvernement, en espérant un basculement de l’opinion publique en faveur d’une « réintégration pacifique » au sein de la république populaire de Chine.
Reste qu’un tel scénario, probablement tel qu’il a été envisagé par Pékin, s’appuie sur les mêmes biais que ceux qui amenèrent Vladimir Poutine à déclencher son invasion de l’Ukraine en février.
Les dangers d’une action militaire chinoise contre Taïwan
D’abord, l’opinion publique taïwanaise semble effectivement plus que déterminée à résister à une éventuelle tentative d’annexion par la force de l’ile, et l’on a pu voir à quel point ce type de détermination peut s’avérer efficace sur le terrain en Ukraine.
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