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[Analyse] Rafale MRFA : Dassault répond aux offensives du Su-57e en Inde

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[Analyse] Rafale MRFA : Dassault répond aux offensives du Su-57e en Inde
(Photo by Manjunath Kiran / AFP)

La proposition française du Dassault Rafale dans le cadre du MRFA, le programme d’avion de combat multirôle (Multi‑Role Fighter Aircraft), vise à passer d’une logique d’achat standard à un co‑développement d’un Rafale taillé pour le théâtre indo‑himalayen. L’Indian Air Force, IAF, attend une montée en puissance locale avec la transformation des sites de Hindustan Aeronautics Limited à Nashik et de Dassault Reliance Aerospace Limited à Nagpur en pôles d’assemblage vers 2030. L’objectif porte sur 114 appareils produits en Inde au titre de Make in India, afin de restaurer une masse critique d’escadrons face à la modernisation accélérée des flottes chinoises et pakistanaises après l’opération Sindoor.

L’offre ne se limite pas au matériel. Elle inclut une trajectoire d’industrialisation, des adaptations techniques F4.1 puis F5 et un débat sensible sur l’accès au code source des calculateurs de mission. Ce point focalise des intérêts concurrentiels entre souveraineté logicielle de New Delhi et protection de la propriété intellectuelle française, avec une solution de transfert échelonné évoquée entre 2027 et 2035. L’enjeu se jouera dans le calendrier et dans les discussions bilatérales Horizon 2047, puisque chaque jalon conditionnera la disponibilité opérationnelle de l’IAF aussi bien que la protection des briques technologiques européennes.

MRFA: industrialiser Rafale en Inde pour reconstituer la masse critique

Le programme MRFA, pour Multi‑Role Fighter Aircraft, se structure autour d’une cible de 114 Rafale produits localement afin de reconstituer la masse critique de l’Indian Air Force. La feuille de route prévoit la conversion de HAL Nashik et du site DRAL à Nagpur en centres d’excellence vers 2030 au sein d’un schéma Make in India combinant assemblage final, montée en intégration et soutien. Selon Defence.in, cette trajectoire ancre l’appareil dans l’économie indienne tout en sécurisant une cadence compatible avec l’urgence capacitaire, condition indispensable pour restaurer des escadrons fortement érodés par les retraits.

L’opération Sindoor a joué un rôle de révélateur doctrinal, puisque l’IAF remet en cause le format historique et revendique désormais 56 escadrons de chasse, bien au‑delà du seuil de 42 qui faisait référence. Cette inflexion répond à une pression simultanée à l’ouest et à l’est, tandis que les adversaires modernisent capteurs, missiles et plateformes. Elle s’inscrit aussi dans une bataille informationnelle post‑Sindoor, que la Commission consultative du Congrès américain sur la Chine a attribuée à une campagne hostile, comme l’indique un article de Defence.in, afin de dégrader la position du Rafale et de valoriser des appareils concurrents.

Rafale indian air force

Sur le plan technique, l’offre française s’appuie sur un standard Rafale F4.1 évolutif vers F5 avec des améliorations dédiées au contexte indien. Le radar à antenne active RBE2 serait optimisé, la suite de guerre électronique SPECTRA adaptée aux menaces régionales et la coopération homme‑machine, dite MUM‑T, préparée avec des drones de combat locaux. L’objectif consiste à livrer une évolution collaborative plutôt qu’un duplicata, afin d’exploiter les points forts déjà éprouvés en opérations, tout en intégrant plus rapidement des briques nationales dans la boucle de mission.

La production locale est pensée comme un pivot industriel à double détente. Elle consolide une filière d’assemblage et de sous‑ensembles autour de la Team Rafale en Inde et sert de levier politique pour un ancrage de long terme. L’implantation d’une filière Rafale locale rassemblant Dassault, Thales, Safran et des partenaires comme Tata ouvre la voie à une plateforme fédératrice qui dépasse l’achat d’avions pour construire une souveraineté aéronautique partagée, capable d’entraîner derrière elle l’écosystème national. 

La souveraineté logicielle au cœur de la demande d’accès au code source

La négociation bute sur l’accès aux codes sources des ordinateurs de mission. L’Indian Air Force demande un accès indépendant au Mission Management and Display Computer, MMDC, c’est‑à‑dire l’ordinateur de gestion de mission et d’affichage, ainsi qu’au Fire Control Computer, FCC, l’ordinateur de conduite de tir. La maîtrise de ces cœurs logiciels conditionne l’intégration autonome d’armements nationaux et de capteurs tiers, sans dépendance à des équipes étrangères pour chaque évolution, ce qui alourdit les délais comme les coûts d’exploitation sur toute la durée de vie de la flotte.

« L’accès indépendant au MMDC et au FCC est la clé d’une véritable Atmanirbharta. » Cette affirmation d’un haut responsable du ministère indien de la Défense, rapportée lors des échanges techniques, résume la nature du verrou. Elle situe la souveraineté logicielle au même niveau que la maîtrise des chaînes de production, puisque l’aptitude à intégrer en interne de nouvelles charges utiles conditionne l’agilité opérationnelle, la disponibilité et le coût global de possession, au‑delà de la seule question des interfaces matérielles.

Concrètement, sans accès aux couches logicielles des calculateurs de mission, l’intégration de missiles indigènes comme Astra Mk3, d’armes anti‑radiation Rudram ou du BrahMos‑NG demeure techniquement complexe et financièrement peu soutenable. Les essais montrent que l’appareil excelle avec ses charges natives, alors que la fusion de données et les liaisons tactiques se dégradent quand les intégrations sont conduites sans contrôle complet de la chaîne logicielle. Cette friction retarde les qualifications et contraint l’IAF à des contournements peu efficients sur le plan opérationnel.

La revendication indienne ne se résume pas à une liste d’exigences techniques. Elle sert de levier de négociation politique et industriel pour obtenir une voie crédible vers l’autonomie, dans un rapport de forces marqué par des offres adverses et des narratifs concurrents. La demande d’accès au code source cristallise ainsi un arbitrage plus large entre souveraineté industrielle et garanties de protection de la propriété immatérielle, tout en adressant un message de méthode sur la gouvernance future des évolutions de la plateforme. 

Transfert de technologie sous contrôle: propriété intellectuelle, export et calendrier

La position française s’appuie d’abord sur la protection de la propriété intellectuelle et sur les obligations internationales en matière de contrôle des exportations. Les composants logiciels qui gouvernent la fusion de capteurs, la conduite de tir et la guerre électronique s’inscrivent dans un cadre de contrôle renforcé. La France souligne que ces contraintes ne relèvent pas d’une posture politique conjoncturelle, mais d’un régime de conformité durable, qui encadre l’ouverture du cœur des capacités de combat et la diffusion des savoir‑faire associés.

Rafale leurre tracté x-guard
Les Rafale indiens ont deja été adaptés aux besoins spécifiques de l’IAF, par exemple en emportant le leurre tracté X-GUARD israélien

Face aux attentes indiennes, Paris promeut un accès gradué, organisé par étapes. Le schéma discuté repose sur un transfert échelonné, avec un premier niveau d’accès de type prototype dès 2027 pour accélérer l’industrialisation locale, puis une extension des droits jusqu’à une autonomie plus complète après 2035. Cette progressivité se veut pragmatique, puisqu’elle ménage des garde‑fous sur les briques les plus sensibles tout en donnant à l’IAF des moyens concrets d’intégration sur un calendrier compatible avec l’urgence capacitaire.

Ce calendrier protège des socles technologiques jugés critiques pour les programmes européens en développement, dont le chasseur de nouvelle génération, NGF, au sein du Système de Combat Aérien du Futur, SCAF. Préserver l’avance dans l’avionique avancée, les logiciels de combat et les architectures propulsives exige d’étager l’ouverture. Cette temporalité articule l’accès indien à la montée en maturité de l’écosystème européen, afin de ne pas compromettre la capacité française à maintenir ses propres marges de supériorité dans la décennie 2030.

Enfin, l’accès complet serait lié à des paliers d’indigénisation mesurables, par exemple un taux de contenu local substantiel à atteindre avant la bascule sur certains sous‑systèmes. Ce mécanisme associe la souveraineté logicielle à la montée en gamme industrielle en Inde, de sorte que la gouvernance des évolutions reflète l’effort consenti sur la chaîne de valeur nationale. L’ensemble forme un compromis qui cherche à concilier l’ouverture attendue par New Delhi et la protection des actifs technologiques indispensables aux intérêts de sécurité européens. 

Gains tactiques et risques techniques pour l’Indian Air Force (IAF)

L’accès maîtrisé au logiciel de mission offrirait des gains immédiats en intégration d’armes et en disponibilité. Permettre à HAL d’intégrer en interne des munitions indigènes comme Astra Mk3, Rudram ou BrahMos‑NG réduirait les délais de qualification et fluidifierait la planification des essais. Cette agilité se traduirait dans la réactivité opérationnelle, tout en renforçant la maîtrise des coûts de maintenance et d’évolution, puisque chaque incrément logiciel ne dépendrait plus d’un cycle externe porteur de délais et de surcoûts récurrents.

À l’inverse, l’absence d’accès au code source maintient un niveau d’inefficacités difficilement soutenable sur un plan tactique. Les retours d’essais confirment que l’intégration de charges non françaises sans contrôle complet des couches de mission dégrade les liaisons de données et perturbe la fusion de capteurs. Ces écarts pèsent au moment critique des évaluations opérationnelles. Ils contraignent l’IAF à arbitrer entre un appareil très performant avec son écosystème natif et une architecture ouverte mais pénalisée par les limites logicielles, ce qui renvoie à l’enjeu central de souveraineté.

Le renforcement rapide de la flotte avec 114 Rafale s’inscrit dans une stratégie de reconstitution d’une masse d’unités indispensable. L’écart entre le format effectivement disponible et les besoins officiels demeure trop important pour satisfaire à la double contrainte géographique. Doter l’IAF de nouveaux escadrons sur une base commune et connue facilite la montée en puissance. La logique d’industrialisation locale contribue en outre à des gains de cycle de vie, en réduisant la dépendance aux importations de services et en consolidant la chaîne de soutien sur le territoire.

budget des armées - merignac dassault rafale

Cependant, la complexité d’intégrations pilotées à distance accroît les coûts et ralentit l’entrée en service complète des appareils assemblés localement. La dépendance à des équipes extérieures pour chaque incrément logiciel pèse sur les calendriers, mobilise des ressources rares et fragilise la disponibilité. C’est précisément ce cercle que la demande indienne d’accès au logiciel entend rompre. La question logicielle se révèle ainsi structurante, puisqu’elle conditionne non seulement l’efficacité tactique, mais aussi le coût total de possession de la flotte MRFA sur plusieurs décennies. 

Aligner le partenariat industriel sur Make in India sans perdre l’avantage européen

Pour New Delhi, une trajectoire d’accès progressif au logiciel constitue la condition d’une autonomie industrielle crédible à moyen terme. En reliant des droits d’accès croissants à des jalons d’indigénisation et de qualification, l’Inde obtient une voie tangible pour intégrer ses armements, sécuriser ses calendriers d’essais et maîtriser ses coûts. Cette approche réduit les risques de dépendance technique et renforce la capacité de l’écosystème national à absorber des transferts de manière soutenable.

Pour la France, un modèle de transfert par étapes sécurise des volumes et consolide une base industrielle en Inde, sans livrer d’emblée les briques les plus sensibles. Cette posture permet de préserver des avantages compétitifs essentiels pour les programmes européens, tout en construisant un partenariat durable avec un acteur majeur de l’Indo‑Pacifique. Elle répond à l’exigence d’ouverture exprimée par New Delhi, tout en protégeant la supériorité technologique nécessaire aux intérêts de sécurité français et européens.

La configuration industrielle finale pèsera sur l’équilibre entre HAL et le pôle privé structuré autour de Dassault et de Tata. Selon les dynamiques en cours, l’architecture nationale peut privilégier un maintien d’un rôle central de l’industriel public ou soutenir l’essor d’un pôle privé capable de tirer la filière vers le haut. Cet arbitrage ne se résume pas à une compétition de sites, puisqu’il engage la gouvernance des programmes aéronautiques futurs et l’efficience de la chaîne de valeur nationale dans la durée.

Un compromis technique combinant accès échelonné, paliers d’indigénisation et droits de prototype vise enfin à contenir le risque d’un basculement stratégique vers Moscou. Offrir une voie crédible vers la souveraineté logicielle sans cession immédiate des briques les plus critiques limite l’attrait des propositions concurrentes qui misent sur des promesses de transferts massifs. Cette solution ménage la flexibilité stratégique indienne et conserve à la France ses atouts dans la compétition technologique à l’horizon 2035. 

Face au Su-57E: limites techniques, arbitrages et robustesse du choix Rafale

La Russie promeut une alternative de rupture en proposant une offre étendue autour du Su-57E, avec production locale et transfert technologique poussés pour capter l’ambition indienne de montée en gamme. Cette piste s’inscrit dans une logique d’accélération par importation de briques de cinquième génération, mais elle rappelle aussi des précédents difficiles. La suspension de la participation indienne au FGFA en 2018 avait mis en lumière des divergences sur la furtivité, la motorisation et les capteurs, avec des risques de maturité qui restent un facteur à considérer dans les arbitrages actuels.

Sur le plan industriel, HAL Nashik disposerait d’environ la moitié des infrastructures nécessaires à une conversion vers la furtivité, mais l’essentiel se joue dans la métrologie, les salles propres et la répétabilité des procédés. Cette « moitié » d’infrastructures ne vaut pas capacité sans un socle de mesures et de procédés certifiés. Les audits programmés doivent trancher la faisabilité réelle. À défaut, la promesse risquerait de s’avérer un signal de négociation davantage qu’un atout opérationnel ou industriel mesurable pour la décennie à venir.

Su-57 forces aériennes russes
Su-57 des forces aériennes russes

La propulsion concentre les risques critiques, avec l’incertitude qui entoure encore la pleine disponibilité de l’Izdeliye 30 et les défis d’usinage des parties chaudes. L’absence d’outillage et de qualifications sur des aubes monocristallines et des superalliages impose des investissements et des délais rarement compressibles. Dans le même temps, l’Inde a ouvert une voie alternative structurante avec un programme de turboréacteur de 120 kilonewtons co‑développé par Safran et GTRE, dont le calendrier 2030 à 2035 et la montée en autonomie propulsive peuvent réduire l’attrait d’un transfert extérieur qui ne livrerait pas une maîtrise réelle des pièces les plus sensibles.

Une adhésion trop rapide à une proposition russe massive créerait des dépendances industrielles, budgétaires et politiques durables difficiles à revisiter. La logique d’un accord gouvernemental de grande ampleur risquerait de verrouiller des marges de manœuvre au détriment de la cohérence avec le triptyque Rafale, Tejas et AMCA en construction. L’arbitrage le plus robuste consiste à calibrer l’ouverture logicielle autour du Rafale produit localement, tout en sécurisant la trajectoire propulsive nationale, afin de préserver la flexibilité stratégique et la soutenabilité industrielle à l’horizon 2035. 

Conclusion

On comprend de ce qui précède que la négociation autour du code source du Rafale ne relève pas d’un simple échange technique, puisqu’elle porte une ambition d’autonomie logicielle côté indien et un impératif de protection de briques sensibles côté français. L’accès échelonné, adossé à des paliers d’indigénisation et à des droits de prototype, ouvre une voie réaliste pour accélérer l’intégration d’armes nationales tout en ménageant la préservation des capacités critiques européennes. Dans le même temps, la trajectoire d’industrialisation locale autour du MRFA renforce la disponibilité, réduit les coûts de cycle de vie et installe la plateforme au cœur d’une souveraineté partagée.

Par ailleurs, la pression concurrente venue de Moscou accentue l’enjeu, mais les verrous techniques identifiés sur la furtivité et surtout sur la propulsion plaident pour une prudence méthodique. L’alternative propulsive indo‑française donne à New Delhi une option d’autonomie crédible, tandis que le compromis logiciel proposé par Paris limite les risques d’enfermement stratégique. L’équation la plus solide pour l’IAF consiste à combiner production locale de 114 Rafale avec un accès logiciel graduel et des jalons industriels exigeants, afin de répondre à l’urgence opérationnelle sans sacrifier des marges de supériorité et d’indépendance essentielles à l’horizon 2035. 

4 Commentaires

    • Je ne pense pas qu’il faille le voir ainsi. AMCA c’est un 5G. NGF est 6G. En revanche, cela libère d’importantes marges de négociation pour Dassault pour ses transferts de technologie vers New Delhi, et effectivement, le TB 12 tonnes de l’AMCA correspond aux besoins du NGF ce qui constitue une économie potentielle considérable sur le programme.