Que vaut vraiment le système antiaérien et antimissile russe S-400 ?

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Un rapport du 4 mars 2019 de la FOI, l’agence de Renseignement Militaire suédoise, se propose de faire un point précis sur les différents systèmes de déni d’accès mis en œuvre par les forces russes en mer Baltique.

Ce rapport traite de nombreux systèmes, comme le système antinavire K-300 Bastion, et même le missile balistique à courte portée Iskander. Ce sont, en revanche, ses conclusions au sujet du système S-400 qui sont les plus intéressantes, et, disons-le tout net, les plus contestables.

Selon ce rapport, les performances du système S-400 actuellement déployé à proximité de la mer Baltique, que ce soit sur la péninsule de Kaliningrad, ou autour de Saint-Pétersbourg, seraient largement surévaluées par les médias, mais également les militaires occidentaux. Le rapport fait reposer ses conclusions sur plusieurs points : 

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  • Le missile 40N6E, celui qui a une portée effective de 400 km, ne serait pas encore en service, et les batteries de S-400 actuelles utiliseraient le missile 48N6, qui équipe, en effet, certaines versions du S-300, et dont la portée maximale n’excède pas les 250 km.
  • Les capacités de détection des radars du S-400 seraient seulement de quelques dizaines de kilomètres face à des cibles manoeuvrantes évoluant à faible altitude.
  • La Russie n’a pas fait la preuve de sa maitrise de l’engagement coopératif avec des avions de type Awacs, comme l’IL-76 et le Beriev A-50 Mainstay.

Le rapport conclut que le S-400 est avant tout utile pour engager des cibles imposantes, comme des tankers et des avions de transport, à longue distance, et qu’il pourrait être « contré relativement aisément » par les chasseurs et missiles de croisière modernes.

Le S-400 met en œuvre plusieurs types de missiles, dont le missile Favorit 40N6E2 d'une portée de 400 km
Le missile Favorit 40N6E2 (arrière-plan) atteint la portée de 400 km

Fondamentalement, les points avancés dans le rapport sont exacts. Pourtant, la conclusion que les auteurs tirent de ces limitations est, en plusieurs points, erronée, et peut engendrer une mauvaise interprétation de la réalité de la menace.

En effet, la doctrine russe n’est pas, et n’a jamais été, de considérer le S-400 comme une arme absolue répondant à l’ensemble des besoins d’engagement, nonobstant les divers types de missiles utilisés par le système lui-même.

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La défense anti-aérienne russe repose, en effet, sur plusieurs systèmes aux performances complémentaires et intervenants à des distances, des altitudes et contre des cibles différentes :

  • Les systèmes à longue portée, comme le S-400 aujourd’hui, le S-300 hier et le S-500 demain, assurent l’interdiction à moyenne et haute altitude, ainsi que la protection antibalistique dans un large périmètre, à l’échelle du corps d’armée ou du théâtre d’opération, de même que la protection de sites stratégiques ou à forte valeur symbolique, comme Moscou, Saint-Petersbourg et d’autres grandes villes ou régions russes potentiellement menacées, telle la Crimée.
  • Les systèmes à moyenne portée, comme le système BUK ou le récent S-350, protègent des unités à l’échelle de la division, de 10 à 120 km de distance.
  • Les systèmes à courte portée, parfois désignés SHORAD pour Short range Air Defense, tels le système TOR-M1/2, protègent les unités à l’échelle de la brigade ainsi que les zones à forte valeur tactique, comme les sites logistiques, les postes de communication et de commandement. Ils sont complétés par de l’artillerie antiaérienne et des systèmes antiaériens d’infanterie comme les missiles Igla.
  • Les systèmes de défense à très courte portée de type CIWS, comme le Pantsir 1 et 2, ont pour fonction la protection des infrastructures contre les missiles, bombes, obus, drones et aéronefs.
  • Enfin, les avions de combat sont eux-mêmes divisés en deux catégories. Les intercepteurs comme le MIG-31 complètent directement le dispositif de defense aérienne en venant s’opposer aux appareils parvenus à franchir le rideau défensif antiaérien multicouche. Les chasseurs de supérieure aérienne, comme le Su-35s, le Su-30 ou encore le Su-27, assurent des missions de patrouille de combat, de projection de puissance et d’interdiction.

On notera que les systèmes de protection tactique comme les Sosna et Tunguska, ainsi que les missiles anti-aériens d’infanterie ou MANPAD, ne sont pas, pour leur part, intégrés à la bulle de défense antiaérienne multicouche russe, et dépendent exclusivement des unités de manœuvre qui les mettent en œuvre.

Le systeme de defense anti aerienne a moyenne portee BUK M3 est en service dans les forces russes depuis 2017 Défense antiaérienne | Archives | Défense anti-missile
Le système BUK à moyenne portée assure la protection des unités mécanisées russes à l’échelle de la division

C’est donc l’ensemble de ces systèmes, partageant leurs informations de détection et d’engagement au travers d’un réseau informatique commun, qui constitue l’efficacité de la défense anti-aérienne russe.

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Dans ce dispositif, les S-400 ont pour mission d’amener les appareils d’assaut et de supériorité à voler plus bas, de sorte non seulement à consommer beaucoup plus de carburant, mais également pour les mettre à bonne distance des systèmes à moyenne et courte portée, largement moins contraints par les effets du terrain.

En outre, ils obligent les appareils de soutien, comme les ravitailleurs et les avions de veille aérienne avancée Awacs, à opérer à plus grande distance de la zone d’engagement, ce qui en réduit, de fait, l’efficacité opérationnelle.

Par ailleurs, si rien n’indique que la Russie a fait d’importantes percées en matière d’engagement coopératif surface air, elle maitrise en revanche depuis plusieurs années l’interconnexion des systèmes de défense anti-aériens.

Elle est donc en mesure de déployer des radars supplémentaires et complémentaires aux systèmes existants, par exemple, des radars à basse fréquence afin de détecter et d’engager les avions furtifs, et de partager leurs informations à l’ensemble du système d’arme.

Dès lors, même avec des missiles n’ayant « qu’une portée limitée à 250 km », ce qui est toujours supérieur, soit dit en passant, aux 200 km des derniers missiles Patriot ou aux 120 km des Aster 30, la plus grande partie de la mer Baltique resterait inaccessible aux avions de patrouille maritime, aux Awacs ou aux avions de combat des forces aériennes de l’OTAN, sauf à devoir préalablement éliminer ces batteries de S-400.

LE systeme TOR M2 Défense antiaérienne | Archives | Défense anti-missile
Le système TOR-M1/2 assure la protection à courte portée des forces russes

On le comprend, se limiter à l’analyse des forces et des faiblesses du S-400 pour en déduire l’efficacité des capacités de déni d’accès et de défense anti-aérienne russes, relève d’une mauvaise appréciation, ainsi que d’un biais malheureusement fréquent au sein des agences occidentales.

En effet, par comparaison en occident, le nombre de systèmes différents intégrés dans la défense anti-aérienne dépasse rarement le nombre de 2 : l’aviation de chasse d’une part, et un système anti-aérien à longue portée, comme le système MAMBA ou le Patriot d’autre part.

En outre, dans la doctrine russe, qui dispose de beaucoup plus de systèmes d’artillerie et lance-roquettes multiples que les forces occidentales, la supériorité aérienne n’est pas, en soi, un prérequis à la manœuvre. Il lui suffit de s’assurer que l’adversaire ne l’a pas non plus.

Dans le cas des forces occidentales, au contraire, cette supériorité aérienne, qui repose dès lors principalement sur l’aviation de chasse, est indispensable, tant pour protéger les forces terrestres et leur logistique, que pour leur apporter le surplus de puissance de feu qui leur fait défaut. 

De fait, le système S-400 est effectivement un système anti-aérien très efficace dans sa mission, même dans le contexte actuel. En outre, l’arrivée prochaine du missile 40N6 d’une portée effective de 380 km, et de nouveaux radars basse fréquence et passifs, en feront un adversaire encore plus redoutable dans les quelques années à venir.

Rappelons que les forces russes disposent de 57 bataillons équipés de ce système, soit plus de 6 500 missiles prêts à faire feu. Cela représente plus de cinq missiles par avion de combat occidental présent en Europe…

Le S-400 n’est pas, comme le conclut le rapport suédois, surestimé par les occidentaux. Il est en revanche souvent mal compris. Une fois sa mission et son contexte d’utilisation correctement intégré, il se pourrait bien qu’il soit, au contraire, encore sous-estimé par certains.

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