Comme le rapporte Michel Cabirol dans un article paru sur le site latribune.fr, le ministre français des affaires étrangères n’a pas caché son agacement, lors de son audition devant le sénat, face au revirement unilatéral de position des Etats-Unis en Syrie, qui a donné le feu vert au président Turc R.T. Erdogan pour engager l’opération militaire contre les forces Kurdes. Selon Jean-Yves Le Drian, les européens, y compris la France, ont été surpris par un tel changement de position de Washington et du président Trump, dont les répercussions engagent aujourd’hui la sécurité de l’ensemble des pays de la zone moyen-orientale ainsi que des pays européens. Selon le ministre français, les autorités américaines avaient pourtant donné des assurances aux Européens, ainsi qu’aux membres de la coalition anti-Daesh, et l’annonce soudaine du retrait des forces américaines de la zone d’engagement probable a donc pris de court l’ensemble des acteurs, européens y compris.
Toujours lors de cette audition, JY Le Drian a jugé que le retrait américain avait bénéficié avant tout à la Russie, à la Syrie de Bashar al Assad, et à l’Iran, qualifié du bien peu diplomatique patronyme de « parrains d’Astana » et les conséquences de cette décision entameront les relations des occidentaux avec les pays du Moyen-Orient, notamment vis-à-vis de l’Arabie saoudite et d’israël, qui pourraient bien décider d’agir, eux aussi unilatéralement, pour assurer leur sécurité face à l’Iran, sans tenir compte des appels à la retenu venant de Washington et des capitales européennes. En guise de conclusion, le ministre français s’est interrogé sur la fiabilité de l’engagement des Etats-Unis à assurer la sécurité collective, au point de porter préjudice au lien transatlantique.
Le jugement sans appel du ministre des affaires étrangères français pose pourtant plus de question qu’il n’apporte de réponse. En effet, il montre à quel point les Européens, dont les Français, se sont mis eux-même en situation de très forte dépendance vis-à-vis de l’action américaine pour assurer leur propre sécurité, et la préservation de leurs intérêts. Si les Etats-Unis sont des alliés fiables et de longue date des pays européens, ils n’en demeurent pas moins qu’ils ont un agenda qui leur est propre, et une lecture des priorités différentes de celle des européens. En pleine course pour un second mandat, Donald Trump ne veut certainement pas voir des soldats américains tués ou blessés par un conflit entre Turcs et Kurdes, le tout pour un conflit en Syrie dont on ne voit pas vraiment comment il pourrait bien se terminer pour les alliés des occidentaux.
Ce constat doit, également, et sans délais, amener à engager une réflexion réaliste sur les besoins en terme de moyens militaires en France et en Europe, afin de pouvoir assurer la protection du territoire européen, des européens eux-mêmes, de leurs intérêts, et ce sans dépendre d’une décision ou de moyens en provenance de Washington. Rappelons à ce titre que la principale menace pour les Etats-Unis dans les décennies à venir sera représentée par la Chine, et non la Russie, comme nous l’avions déjà abordé à plusieurs reprises ici même. Or, pour être en mesure de neutraliser la menace d’un pays de 1,5 milliard d’individus, et dont le PIB devrait rattraper celui des Etats-Unis d’ici 2040, Washington aura besoin d’y consacrer toutes ses ressources, ne pouvant plus, par conséquent, assurer la protection des Européens comme ce fut le cas pendant 70 ans.
20 ans est un temps court lorsqu’il s’agit de profondément changer le format, l’organisation et les moyens d’une force armée, d’autant plus lorsqu’il s’agit de le faire à l’échelle multi-nationale. Si JY Le Drian appelle les Russes à « prendre leurs responsabilités » en Syrie face au sénat français, il serait avant tout impératif d’appeler les européens à prendre leurs propres responsabilités en matière de Défense, et à la France, en tant que nation nucléaire et membre permanent du Conseil de Sécurité des Nations Unis, de montrer l’exemple, et engageant un plan ambitieux et méthodique pour amener le format des forces armées nationales à un niveau cohérent avec la réalité des besoins et des menaces.