jeudi, décembre 12, 2024

Les ambitions du super programme « Big 6 » de l’US Army sont-elles excessives ?

Au début des années 70, à l’issue de la guerre du Vietnam, l’US Army entama un vaste programme de modernisation de ses forces, qui prendra le nom de « Big 5 », car portant sur 5 équipements emblématiques de la puissance militaire américaine pour les 40 années qui suivirent : le Char de combat M1 Abrams, le véhicule de combat d’infanterie M2 Bradley, l’hélicoptère de combat AH-64 Apache, l’hélicoptère de manoeuvre UH-60 Black Hawk et le système de défense anti-aérienne et anti-missiles Patriot. A l’instar des avions de combat F15 et F16 de l’US Air Force, des porte-avions Nimitz, des croiseurs Ticonderoga, sous-marins nucléaires Los Angeles et des F18 de l’US Navy, ces équipements permirent au Pentagone de prendre un ascendant technologique majeur sur l’Union Soviétique, et firent des Etats-Unis le grand vainqueur de façade de la guerre froide.

LArabie Saoudite utilise ses batteries de missiles Patriot pour interecepter les missiles balistiques de conception iranienne lances par les rebelles Houti au Yemen Actualités Défense | Artillerie | Budgets des armées et effort de Défense
Le système anti-aérien et anti-missiles Patriot était l’un des 5 piliers du super programme « Big 5 »

L’US Army, qui pendant 15 ans se concentra presque exclusivement aux missions anti-insurrectionnelles en Afghanistan, en Irak et en Syrie, constata à partir de 2016 qu’elle risquait de perdre l’ascendant technologique vis-à-vis de pays comme la Chine ou la Russie, qui maintinrent un effort plus ou moins visible pour moderniser leurs forces armées dans l’hypothèse d’engagements dits de « haute intensité ». C’est ainsi que, sous l’impulsion du général Mattis alors secrétaire à La Défense de la nouvelle administration Trump, l’US Army engagea une réflexion pour moderniser ses capacités et ses moyens. Et comme le super programme « Big 5 » avait donné des résultats dépassants largement les espérances, elle vint rapidement à définir un nouveau super programme, identifié cette fois comme le « Big 6 ».

Alors que le Big 5 portait sur 5 équipements majeurs, le Big 6 se compose de 6 grandes familles de besoin de modernisation : les véhicules blindés et les drones terrestres, les hélicoptères, l’artillerie longue portée, La Défense anti-aérienne et anti-missile, les réseaux de données, et les améliorations de l’infanterie. Et ces 6 grandes familles se décomposent elles aussi en 31 programmes d’équipements et de moyens. Et tout cela va couter cher, très chers. Ainsi, le budget requis pour respecter les plannings définis requièrent 57 Md$ sur la seule période 2020-2024. Connaissant la propension des programmes américains à ne pas respecter les enveloppes budgétaires initialement définies, nombreux sont les spécialistes à mettre en garde contre la soutenabilité de ce super programme.

V280 1 Actualités Défense | Artillerie | Budgets des armées et effort de Défense
Le Bell V280 Valor participe à la competition FLRAA du super programme « Big 6 » pour remplacer les UH60 Black Hawk

C’est notamment le cas de Heidi Shyu, qui fut en charge des acquisitions de l’US Army de 2011 à 2015, alors que le budget alloué aux programmes militaires variaient d’une année sur l’autre en fonction des arbitrages politiques. Selon elle, le super-programme « Big 6 » serait trop ambitieux, et exposerait l’US Army à des risques très importants. En effet, une de ses caractéristiques majeures repose sur la simultanéité du developpement d’un grand nombre de programmes hautement technologiques, qui doivent permettre un basculement générationnel de l’US Army sur une période relativement courte. Or, comme dit précédemment, les programmes de défense, surtout aux Etats-Unis, excédent souvent leur planning initial comme leur budget. Pour peu que plusieurs programmes majeurs venaient à glisser simultanément, l’US Army se verrait contrainte à des arbitrages engageant de possibles ruptures capacitaires dans un moment critique et particulièrement exposé face à la Chine ou la Russie.

Même si les programmes venaient à se dérouler conformément aux plans, des facteurs exogènes pourraient avoir des conséquences négatives amplifiées par cette ambition excessive et cette simultanéité. Ainsi, si une crise économique ou financière, comme celle annoncée par de nombreux économistes pour les années à venir, venait à toucher les Etats-Unis, l’US Army serait probablement exposée à des réductions budgétaires, entrainant là encore des ruptures capacitaires critiques. Même sans entrer dans un scénario extreme, la structure actuelle du super programme, et l’absence de marges de manoeuvre qu’il engendre, agit comme un multiplicateur de risques si certains programmes venaient à déborder, alors que la conjoncture économique venait simplement à se tendre, empêchant toute augmentation budgétaire.
Ces risques ont mené Heidi Shyu à appeler l’US Army à plus de raison, en arbitrant d’ores et déjà quels programmes, permis les 31 programmes d’équipement, devaient être décalés ou supprimés, de sorte à donner au « Big 6 » une chance raisonnable d’être mené à son terme même si des événements non pris en compte venaient à apparaitre.

Le T72B3M est aujourdhui le principal char de combat moderne utilise par les forces russes Actualités Défense | Artillerie | Budgets des armées et effort de Défense
La Russie a entrepris un vaste programme de modernisation de ses moyens blindés, d’artillerie, aériens et missiles sur la base de systèmes existants, comme ici ce T72 B3M, aux performances très largement améliorées vis à vis du T72B initial

En outre, l’étalement des programmes hautement technologiques permettrait, de façon induite, de réduire le risque technologique lui-même. En effet, en développant sur les mêmes existants et postulats technologiques la majorité des systèmes critiques d’une armée, on expose l’ensemble des forces à une vulnérabilité globale accrue, comme à l’obsolescence simultanée de l’ensemble des systèmes. Dans ce domaine, on se doit de reconnaitre que l’approche retenue par la Russie, qui associe des développements technologiques successifs en mode tuilé et qui organise la transition technologique de ses forces grâce à des programmes de modernisation de ses équipements en service, tout en concentrant les développements de haute technologique sur des systèmes critiques, comme les armes hypersoniques, présente une résilience bien supérieure ainsi qu’un lissage performant de la puissance militaire dans le temps, et ce malgré de sévères revers économiques rencontrés depuis 2014.

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