mardi, novembre 5, 2024

Les FDI de la version Marine nationale mieux armées grâce à la Grèce ?

La signature le 10 octobre par Athènes et Paris d’une lettre d’intention portant l’achat de deux bâtiments du programme Frégate de Défense et d’Intervention (FDI) ouvre un travail bilatéral entre les deux pays pour rapprocher la version Marine nationale de la FDI des besoins de la marine grecque (Ελληνικό Πολεμικό Ναυτικό). Pressée et par le temps, et par le budget le résultat qui sera obtenu par la marine de guerre héllenique pourrait être adopté par la Marine nationale et donc conjurer les faiblesses inhérentes de la version nationale.

La lettre envoyée le 5 juin 2019 et signée le 10 octobre 2019 par le ministre grec de la Défense nationale M. Nikos Panagiotopoulos et la ministre des Armées Florence Parly laisse entrevoir un aboutissement aux discussions franco-grecques menées depuis 2013 dans le cadre du « plan 2 + 2 » (quatre frégates construites en France (2) et en Grèce (2). Athènes entretient toujours la volonté d’acquérir quatre frégates du programme FDI et a à arbitrer entre une construction locale de deux frégates ou bien de toutes les faire construire à Lorient.

La lettre d’intention signée le 10 octobre 2019 n’est pas contraignante. Par contre, elle permet à Paris de rechercher une solution de financement pour laquelle la France se portera garante, sous la forme d’un crédit à l’exportation. Aussi, la DGA presse la partie grecque de signer cet accord avant le 31 janvier 2020 selon plusieurs journaux grecs afin de conclure les contrats d’approvisionnement et de laisser la possibilité à Athènes de pouvoir mettre sur cale la deuxième FDI en Grèce.

Le besoin géostratégique grec est de faire aboutir ce programme désiré dès 2005 afin de pouvoir entamer le renouvellement de la flotte de surface. L’enjeu est de répondre aux 16 frégates neuves ou modernisées qui seront détenues par la Turquie au début des années 2030 alors que les frégates grecques sont hors d’âge pour la plupart : 22,75 ans pour la classe Hydra (4) et 38,3 ans pour les Elli (9).

L’urgence grecque, maintes fois rappelée à Paris, se traduit dans les enjeux industriels par un accord de gouvernement à gouvernement où la Grèce adopte la version Marine nationale (FDI) et non pas la version commerciale (frégate Belh@rra). Ce choix permet des gains de temps et d’argent car les études nécessaires pour rencontrer les besoins militaires de la marine grecque se limitent à des adaptations d’une version existante.

Les besoins militaires grecques sont connues depuis 2005 :

Le premier est d’acquérir et d’opérer des frégates de défense aérienne. La Grèce souhaitait se procurer des destroyers de la classe Kidd afin d’obtenir des missiles anti-aériens SM-2 MR (Medium Range (~ 90 km), opération refusée par Washington au nom de la stabilité régionale. Refus levé quand Paris pouvait proposer ses FREMM de classe Aquitaine modifiées avec des missiles anti-aériens ASTER 30 (~ 120 km). Le projet d’acheter des frégates de la classe Adelaïde (4) déclassées par la Royal Australian Navy ne tient pas tant aux bâtiments qu’à la possibilité de constituer un stock de missiles anti-aériens SM-2 MR au profit de l’acquisition future de bâtiment de facture neuve. Paris ne peut pas proposer moins que Washington avec les FDI et la marine grecque est très attentive aux capacités proposées en la matière.

Le deuxième besoin est la demande grecque de pouvoir obtenir la fourniture du Missile de Croisière Naval (MdCN) développé par la France au profit de la Marine nationale. Commandé à 150 exemplaires, ils équiperont six FREMM (FRÉgates Multi-Missions) à raison de 100 MdCN et six sous-marins nucléaires d’attaque de classe Suffren (50 MdCN) en l’état actuel des décisions prises. Mais rien n’est dit sur comment Paris pourrait transférer à Athènes des missiels dont la portée déclarée (~ 1000 km) dépasse allègrement la limite des 300 km fixée par le traité Missile Technology Export Control Regime (MTCR).

Pour aller vite, les parties française et grecque ont intérêt à rapprocher autant que possible les besoins militaires grecques de la version Marine nationale. Moins il y aura de différence quant au choix des systèmes, mieux les deux FDI grecques pourront être injectées avec le minimum d’études et de travaux supplémentaires dans la chaîne de production du programme FDI. D’où la pression de la DGA pour passer les commandes d’approvisionnement avant le 31 janvier 2020.

C’est pourquoi faire évoluer la Marine nationale afin d’intégrer une partie des besoins militaires grecs permettrait l’émergence de versions Marine nationale et Marine de guerre héllenique identiques sur bien des choix.

La version Marine nationale de la FDI comprend des réserves afin de permettre l’intégration d’une paire de lanceurs SYLVER (SYstème de Lancement VERTical) A50 (ASTER 15 et 30) ou A70 (MdCN) sur la plage avant. La possibilité d’installer deux SYLVER A70 (soit 2 SYLVER A50 + 2 SYLVER A70) fait parti des désidératas de la marine française mais n’est pas financée et resterait en l’état une mesure conservatoire. La marine grecque souhaiterait une configuration légèrement différente, c’est-à-dire trois SYLVER A50 (24 missiles anti-aériens ASTER 15 et 30) et un SYLVER A70 (8 MdCN). La rencontre du besoin grec et du souhait français permettrait d’atteindre la masse critique pour faire financier les études restantes quant à l’intégration des lanceurs et l’obtention d’effets d’échelle sur une série de sept à neuf frégates. D’où l’intérêt d’aboutir avant le 31 janvier afin de passer des commandes à long terme aux sites industriels concernés.

L’auto-défense ne serait pas résolue avec la seule augmentation des SYLVER. La marine grecque demandera probablement pour la défense à très courte portée des systèmes d’arme Close-in weapon system (CIWS). La Marine nationale dès les années 1980 préférait la furtivité des coques des frégates avec le programme La Fayette afin d’optimiser l’emploi conjugué de la guerre électronique et des contre-mesures en cas d’échec des missiles anti-aériens.

Mais l’étude d’une configuration des FDI avec une pièce de 57 mm et deux canons RAPID SeaFire de 40 mm puis le fait d’envisager de doter les Bâtiments Ravitailleurs de Forces (BRF) du même canon RAPID SeaFire de 40 mm laisse entrevoir une évolution doctrinale. La transposer au programme FDI répondrait à une probable demande grecque, mais jurerait avec la configuration déjà figée pour la Marine Nationale, où le toit du hangar est déjà bien occupé par des systèmes de communication, sans réelle réserve pour un CIWS. De plus, l’intégration d’un tel équipement renchérirait le budget si d’éventuelles commandes françaises (Patrouilleurs Océaniques (10), BRF (4) ne suffisaient pas à limiter la hausse dans un cadre déjà très contraint. Athènes pourrait avoir intérêt à y faire renoncer sa Marine.

Ce qui amène la question de la suite de guerre électronique et des lanceurs de contre-mesures. Il avait été énoncé en octobre 2018, en prélude au salon EuroNaval, que les cinq FDI de la Marine nationale seraient livrées en deux phases, la première concernant les deux premières frégates, la suivante comprenant les trois dernières. Et ce serait celles de la phase 2 qui auraient été dotées d’une paire de brouilleurs ainsi que de lanceurs de contre-mesures électroniques.

Cette partie du dossier est chahutée car il ne paraît toujours pas acquis que les FDI phase 2 et les phase 1 lors d’arrêts techniques seront dotées d’une suite de guerre électronique et de lanceurs de contre-mesures. Les finances ne seraient pas les seules en cause puisqu’une réflexion serait menée quant à ne plus acquérir de la génération actuelle afin de dégager des marges de manœuvres pour la prochaine génération, celles-ci pouvant s’appuyer sur des leurres actifs. Sans qu’il soit évident que les brouilleurs demeurent impératifs avec un tel choix.

Les discussions techniques qui s’ouvrent afin que de satisfaire les besoins militaires de la marine de guerre héllenique et la version Marine nationale recèlent le potentiel de remettre en cause l’articulation de la définition technique des FDI en phases 1 et 2. Il est possible que la DGA intègrent certains des équipements demandés par la marine de guerre héllenique afin de rapprocher les deux versions française et grecque de la FDI dans l’optique de ne pas retarder les livraisons grecques mais aussi d’optimiser l’outil industriel et les dépenses en réduisant au minimum les études nécessaires. Les différentes options sont en cours d’investigation.

Thibault LAMIDEL & Yannick SMALDORE

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