Barracuda, Shortfin, Scorpene : Quelles alternatives pour accroitre la flotte sous-marine française ?

Depuis plusieurs mois, plusieurs Députés et Sénateurs français, qu’ils appartiennent à la majorité présidentielle ou à l’opposition, ont de manière répétée et de plus en plus précise, interrogé la Ministre des Armées Florence Parly comme les Chefs d’Etat-Major sur les capacités et les déficiences des armées françaises dans le domaine du combat de haute intensité et de la dissuasion nucléaire. Drones de combat, flotte de chasse ou de frégates, second porte-avions et véhicules blindés, de nombreux sujets ont été abordés, avec la crainte bien réelle exprimée par les parlementaires selon laquelle les capacités opérationnelles des armées françaises seraient, dans les années à venir, insuffisantes pour assurer la sécurité du pays et de l’ensemble de ses territoires avec le durcissement des tensions dans le monde, et l’arrivée de nouveaux acteurs militaires mondiaux de première envergure.

Le format de la flotte sous-marine a également été abordé récemment, d’abord par le Député UDI de la 3ème circonscription de Mayenne Yannick Favennec-Bécot à l’occasion de l’audition du CEMA, le général Lecointre, au sujet du nombre de SNLE de la Force Océanique Stratégique, question à laquelle il a répondu en indiquant que dans le contexte actuel budgétaire et un effort de défense à 2%, toute augmentation de format était exclue, sans pour autant répondre à l’interrogation légitime du député sur l’adéquation du format à la menace, que l’on sait avoir considérablement changé ces dernières années, comme évoqué dans l’article « SNLE3G : faut-il revenir à une dissuasion à 6 sous-marins? » dans lequel nous abordions en détail le sujet.

A l’occasion d’une question écrite adressée à la Ministre des Armées, le député LR de la 2ème circonscription de l’Essone, Bernard Bouley, a lui demandé des précisions sur l’adéquation du format de la flottille de sous-marins d’attaque de la Marine nationale à la menace, proposant d’accroitre celle-ci à 8 unités contre 6 prévus, et d’y adjoindre 4 sous-marins à propulsion conventionnelle Scorpene ou Shortfin Barracuda pour traiter la menace. Là encore, la réponse fut purement budgétaire de la part de la ministre des Armées, qui précisa que l’effort pour remplacer les 6 SNA de la classe Rubis par 6 SNA de la classe Suffren était déjà considérable. Pourtant, en dehors du seul critère budgétaire, qui certes a un rôle décisif mais ne peut à lui seul dicter une décision, il est utile d’étudier les atouts et les opportunités offertes par ces solutions, de sorte à en évaluer une potentielle faisabilité qui dépasserait le cadre de la planification en cours.

La suprématie du sous-marin nucléaire d’attaque

Interrogé par le journaliste Michel Cabirol au sujet de l’opportunité d’acquérir des sous-marins à propulsion conventionnelle pour renforcer la flottille sous-marine française, le Chef d’Etat-Major de la Marine, l’Amiral Pierre Vandier, a clairement répondu que la solution ne convenait pas à la Marine nationale. En effet, du point de vue des marins, il est largement préférable d’obtenir 2 sous-marins nucléaires d’attaque (SNA dans la suite de l’article) de la classe Suffren supplémentaires, plutôt que de recevoir 4 Scorpene ou 3 Shortfin Barracuda pour un cout équivalent. Et pour cause : un SNA peut effectivement faire tout ce qu’un sous-marin à propulsion conventionnelle (SSK dans le reste de l’article) peut faire, alors que l’inverse est loin d’être vrai ! En effet, grâce à sa chaufferie nucléaire, un SNA peut non seulement rester de manière illimitée en plongée, la limite étant la nourriture et la santé psychologique de l’équipage, mais il peut se déplacer à très haute vitesse sans limitation de durée, ce qui est impossible à un SSK, qui reste contraint par une équation énergétique beaucoup plus restrictive l’obligeant à choisir entre vitesse et autonomie de plongée.

Suffren barracuda Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
L’arrivée des SNA de la classe Suffren va considérablement accroitre les capacités sous-marines de la Marine nationale

En d’autres termes, un SNA peut effectivement rejoindre à grande vitesse et en plongée, donc discrètement, une zone de patrouille éloignée de plusieurs milliers de milles nautiques en seulement quelques jours, là ou un SSK ne peut évoluer en plongée qu’à une vitesse 2 à 4 fois inférieure de manière soutenue, et ne peut assurer l’ensemble du transit en plongé. Cette vitesse permet en outre aux SNA de pouvoir rattraper un navire lancé à grande vitesse, là ou le SSK ne peut qu’espérer intercepter que des navires venant à croiser sa route, raison pour laquelle les SSK sont souvent comparés à des chasseurs à l’affut, attendant une proie posé sur le fond. En outre, les SNA, s’ils sont plus onéreux et requièrent un équipage plus important que les SSK, offrent également une très grande disponibilité, permettant à un SNA en double équipage d’offrir le même nombre de jour à la mer que 2 SSK en équipage simple. Du point de vue de la Marine, donc, il n’y a aucun avantage à intégrer des SSK dans sa flotte au détriment de SNA, constat par ailleurs partagé par l’US Navy ou la Royal Navy, elles-aussi ayant totalement éliminé les sous-marins à propulsion conventionnelle de leur arsenal.

Une équation économique et opérationnelle plus complexe qu’il n’y parait

Pour autant, si la Marine Nationale venait à percevoir des SSK, elle leur trouverait nombres de fonctions. En effet, au même titre que les Mirage 2000 de l’Armée de l’Air et de l’Espace qui remplissent des missions pour lesquels les Rafale sont sur-qualifiés pour un cout global sensiblement inférieur, des SSK pourraient ainsi libérer les SNA de nombreuses missions pour lesquels leurs spécificités sont superflues, comme par exemple pour protéger les abords des arsenaux des sous-marins étrangers, notamment celui de l’île Longue qui accueille les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la Force Océanique Stratégique, ou pour des missions de renseignement ou de combat dans des mers de faible profondeur ou étroites, comme la Méditerranée ou la Mer Baltique. Moitié moins cher à l’achat comme à la maintenance, et ne nécessitant qu’un équipage réduit, les SSK modernes pourraient dès lors répondre à des besoins, précis, y compris pour déployer une protection sous-marine permanente autour de certains territoires ultramarins en zone de tension, comme la Nouvelle-Calédonie ou la Reunion.

Scorpene Inde Air Independant Propulsion AIP | Analyses Défense | Budgets des armées et effort de Défense
Les sous-marins de type Scorpene ont été choisis par 4 marines dans le monde : Brésil, Chili, Inde et Malaisie.

Mais le véritable intérêt pour la Marine Nationale en faveur des SSK est plus indirect, raison pour lequel il est le plus souvent ignoré. En effet, les SNA ne s’exportent pas, ou presque pas. Certes, le Shortfin Barracuda, vendu à 12 exemplaires à l’Australie, est dérivé de la classe Suffren, mais sans le savoir-faire acquis par Naval Group en matière de systèmes de propulsion conventionnelle, de batteries ions-lithium et de système AIP de nouvelle génération, un tel contrat présenté à juste titre comme historique, n’aurait tout simplement pas pu voir le jour. Or, avec seulement 10 navires à construire tous les 30 à 35 ans pour la France, soit 6 SNA et 4 SNLE, Naval Group ne peut tout simplement pas espérer maintenir ses compétences industrielles et ses infrastructures dans ce domaine sans s’appuyer sur une importante composante export. Au delà même de la composante sous-marine du groupe naval français, c’est l’ensemble de sa survie qui est intimement liée aux succès exports de sa composante sous-marine, avec 24 sous-marins vendus ces 20 dernières années, plus du double de ceux qui seront construits pour la France sur une période de temps équivalente, mais également le double du nombre de frégates et corvettes exportées.

En outre, s’appuyer sur un modèle de submersible en service dans son pays d’origine est un atout de taille dans les très difficiles négociations internationales dans le domaine confidentiel des sous-marins de combat. Or, tous les concurrents auxquels se confronte Naval Group, qu’ils soient allemands, suédois, russes, chinois, espagnols, japonais, sud-coréens et bientôt turcs, proposent des navires en service dans leur propre marine, ou dérivés de ces modèles, ceci permettant de ventiler au mieux les couts de Recherche et de Developpement pour prendre un avantage budgétaire concurrentiel décisif. C’est précisément en proposant à Oslo de prendre à sa charge la conception des nouveaux Type 212 proposés par TKMS à la Marine Royale Norvégienne, et en en commandant 2 exemplaires pour la Marine Allemande, que Berlin a éliminé Naval Group dans cette compétition stratégique. Et c’est en s’appuyant sur le même modèle que Stockholm entend convaincre Varsovie de choisir le A26 local plutôt que le Scorpene de Naval Group.

Une course internationale à l’innovation

De fait, on comprend qu’au delà de la vision immédiate que l’on peut avoir vis-à-vis de l’arrivée de SSK au sein de la Marine Nationale, il existe de véritables enjeux à moyens et longs termes qui militent dans le sens d’un panachage de SNA et de SSK au sein d’une même marine, choix par ailleurs retenu par Moscou et Pékin, deux des marines les plus dynamiques du moment tant du point de vue de l’effort de modernisation que de l’exportation. Pour autant, intégrer des modèles existants comme le Scorpene ou le Shortfin Barracuda n’aurait que peu d’intérêt pour soutenir le modèle global français. En effet, le Scorpene est aujourd’hui une plateforme bien installée, avec 12 navires commandés et/ou livrés au sein de 4 Marines (Brésil, Chili, Inde et Malaisie), et qui n’offre plus guère d’atouts concurrentiels strictement décisifs face aux navires proposés par la concurrence internationale. Le Shortfin a, lui aussi, été commandé à 12 exemplaires par la marine australienne, il n’y a donc que peut d’intérêt à le soutenir au delà de ce qui est déjà, ce d’autant que son prix unitaire final n’est guère éloigné de celui d’un SNA Suffren dont il est dérivé.

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