Naval Group a enclenché une évolution déterminante de ses frégates de défense et d’intervention en mettant au point un lancement « à froid » permettant d’installer trois missiles CAMM/CAMM‑ER (Common Anti‑Air Modular Missile / Extended Range) dans chaque cellule du système de lancement vertical Sylver A50. En pratique, une unité équipée de quatre modules A50 embarquerait ainsi jusqu’à 48 CAMM/CAMM‑ER en plus de 16 Aster 30, pour une défense multicouche plus profonde sans alourdir la plateforme. Cette avancée répond à une contrainte connue de longue date : le lanceur américain Mk41, capable de quad‑packer l’ESSM (Evolved Sea Sparrow Missile), procurait une profondeur de feu supérieure et un atout commercial décisif sur nombre d’appels d’offres européens.
Cette annonce vise autant l’efficacité opérationnelle que la compétitivité à l’export, avec la promesse d’une intégration et d’un emploi autonomes des munitions européennes. Le multipack Sylver des FDI poursuit précisément ce double objectif : combler un déficit quantitatif qui pénalisait les frégates françaises malgré le couple Aster 30/radar Sea Fire, tout en consolidant une offre strictement européenne, donc affranchie de la régulation ITAR. Elle ouvre, par ailleurs, la voie à une harmonisation des chaînes d’approvisionnement entre marines française, italienne et britannique, alors que la profondeur de magasin et le coût d’engagement s’imposent désormais comme des critères décisifs.
Sommaire
Le Sylver A50 démultiplie les CAMM sans changer la frégate
Selon les données rendues publiques, Naval Group développe un procédé de lancement à froid permettant d’accueillir trois CAMM/CAMM‑ER par cellule Sylver A50 et, avec quatre modules, d’atteindre 48 CAMM/CAMM‑ER et 16 Aster 30 sur chaque bâtiment. Le site grec DefenceReview.grprécise que cette intégration ne requiert pas l’ExLS de Lockheed Martin et confère à l’industriel « pleine autonomie » pour intégrer le CAMM au sein de ses VLS. L’ambition est claire : augmenter nettement le volume de feux sans modifier l’architecture du navire, tout en préservant sa réactivité et la facilité d’emploi à bord.
La clef tient au principe de lancement du CAMM, qui extrait le missile par génératrice de gaz avant l’allumage du moteur. Ce mode réduit les contraintes thermiques et facilite les tirs en salves. Couplé aux Sylver A50, chaque silo gérant l’évacuation, l’ensemble gagne en cadence pratique et en souplesse d’enchaînement. On peut ainsi conduire des engagements rapprochés sans délais de reconditionnement, tout en ménageant la structure. Cette granularité de tir s’avère particulièrement utile face à des menaces multi‑axes en environnement saturant.
L’abandon de l’ExLS répond à un impératif d’autonomie industrielle et opérationnelle en Europe. En intégrant directement la famille CAMM de MBDA dans le Sylver, Naval Group supprime une dépendance critique et propose une solution ITAR‑free à destination des clients soucieux de liberté d’emploi et de réexportation. Cette cohérence avec l’emploi des Aster aligne la chaîne d’approvisionnement sur des standards européens et renforce la promesse de disponibilité comme de maintenabilité dans la durée.
La cible commerciale est explicite. Les compétitions en cours et à venir, notamment en Suède et au Danemark, placent la profondeur de magasin au cœur des évaluations. En corrigeant ce point, l’offre renforce son positionnement face au lanceur américain et à l’ESSM, tout en valorisant l’architecture capteurs‑effets en place. Le gain attendu porte à la fois sur l’endurance tactique, l’économie de munitions et l’attrait export frégates dans des enveloppes budgétaires contraintes, sans remise en cause du dessin de coque.
Le Mk41 a-t-il dicté l’agenda du Sylver A50 à l’export ?
L’écart de densité en faveur du lanceur américain a longtemps pesé sur l’offre européenne. Le Sylver n’autorisait ni panachage ni multipacking comparables, créant un différentiel quantitatif déterminant sur certains marchés. Rappelons que le Sylver ne permettait pas le multipacking à l’image du Mk41, ce qui limitait de facto la profondeur de magasin. Cet héritage explique la priorité donnée aujourd’hui au triplement d’emport dans chaque cellule A50, pour effacer un handicap structurel devenu trop pénalisant au regard de la pratique dominante.
Malgré l’excellence du couple Aster 30 et radar Sea Fire, la métrique du « nombre de missiles prêts au tir » a influé sur la perception de valeur dans plusieurs consultations. En portant certaines unités à 32 cellules A50 et en démultipliant l’emport court/moyen, l’architecture FDI convergera vers un standard de défense de zone plus robuste. Comme nous l’indiquions déjà, « La décision de doter certaines FDI de trente‑deux cellules Sylver A50 modifie substantiellement leur profil opérationnel en les rapprochant d’une posture de défense de zone capable de protéger des unités de haute valeur. » Cette bascule clarifie l’ambition et répond aux exigences d’endurance.
![[Analyse] Le Sylver A50 donne enfin aux frégates FDI la puissance de feu qui manquait ! 1 ESSM MK41](https://meta-defense.fr/wp-content/uploads/2025/12/ESSM-MK1.jpg)
La répétition de finales perdues a servi d’électrochoc. La proposition française a échoué en Norvège puis au Portugal, où la FREMM Evo a été retenue dans un montage adossé à des financements européens, illustrant combien le gabarit et la densité embarquée orientent les arbitrages. Cette tendance, documentée par la séquence portugaise et les échecs norvégiens récents, a nourri la décision d’augmenter le magasin et de viser le multipack afin de rehausser la compétitivité globale.
Dans cette perspective, l’évolution du Sylver figurait depuis longtemps parmi les quickwins identifiés, en raison d’un excellent rapport coût/efficacité face à la haute intensité. La piste consistant à doter le VLS de capacités de multi‑ensilotage et de flexibilité a été mise en avant comme une évolution prioritaire du SYLVER au titre des quickwins, ainsi que le rappelait un article de Meta‑Defense de 2022. Le but est de maximiser l’effet capacitaire immédiat sans alourdir l’intégration ni l’empreinte énergétique.
Le CAMM s’impose par la mécanique quand le VL MICA NG renchérit le délai
Le choix du CAMM tient d’abord à sa compacité et à son principe de tir. Conçu pour un lancement vertical à froid, il se prête naturellement au multipacking dans une cellule Sylver A50, sans modifications lourdes. Son gabarit, dépourvu d’ailettes saillantes sur le tube, facilite l’ensilotage par trois et l’alignement mécanique avec les interfaces existantes. Cette compatibilité intrinsèque réduit les risques d’intégration et accélère la mise en œuvre, tout en répondant à l’urgence d’accroître la profondeur de feu. L’association « CAMM CAMM‑ER » couvre, à ce titre, un spectre court/moyen pertinent pour les couches de proximité.
Côté performances, les portées opérationnelles (environ 25 km et 45 km) s’alignent sur les besoins de lutte contre missiles antinavires, aéronefs et drones. La capacité à gérer des salves, via une liaison de données et une recherche active radiofréquence, renforce la valeur d’une défense multicouche. Le positionnement face à l’ESSM repose alors sur la densité offerte par le multipack et la précision du guidage terminal. En environnement saturant, ces atouts se traduisent par une flexibilité d’emploi accrue et une meilleure économie de munitions.
Adapter le VL MICA NG au multipacking aurait imposé des transformations mécaniques significatives, notamment l’étude d’un rabattement de gouvernes en silo, avec des coûts et des délais supplémentaires. Dans une logique de correction rapide du déficit capacitaire, cette option aurait ralenti la montée en puissance. Le choix du CAMM apparaît donc comme le chemin le plus rationnel pour tenir le calendrier, tout en conservant l’orientation européenne des munitions et la continuité industrielle requise.
Le CAMM embarque un chercheur actif RF digital et une liaison bidirectionnelle autorisant mises à jour en vol, retours de télémétries et un schéma d’engagement shoot‑see‑shoot efficace. Ces fonctions améliorent la qualité des interceptions et la gestion de salves multiples, avec un bénéfice direct sur la tenue dans le temps. Elles complètent avantageusement l’architecture Aster, chargée des tirs longue portée et de haute valeur, tout en délestant les engagements de proximité sur une couche plus économique.
La défense multicouche gagne en endurance et en économie de feux
Le triplement des munitions de courte/moyenne portée procure une profondeur de magasin adaptée aux engagements prolongés et multi‑axes. La montée à 32 cellules A50 sur certaines unités, combinée au multipack, allonge le temps de tir utile et la capacité d’absorber des séquences saturantes, sans diluer la protection de zone. Cette réserve n’exonère pas d’une stricte discipline de tir, mais elle assure une endurance cohérente avec les retours des zones à haute menace. À l’échelle d’un groupe naval, l’effet se mesure en marges de manœuvre et en liberté d’action accrues.
La doctrine dite shoot‑see‑shoot, rendue possible par l’Aster, réduit la consommation moyenne par cible et s’accorde avec une couche courte dense et économique. L’emploi d’un seul intercepteur après validation d’effet retarde le recours au second tir, épargnant le stock pour les menaces moins complexes. En combinant l’Aster 30 pour la longue distance et le CAMM pour la proximité, la frégate optimise la distribution des feux selon altitude, portée et valeur de la cible, avec un gain immédiat en résilience tactique.
![[Analyse] Le Sylver A50 donne enfin aux frégates FDI la puissance de feu qui manquait ! 2 Naval group LMP](https://meta-defense.fr/wp-content/uploads/2024/11/LMP-in-situ-naval-group-1280x724.png)
La capacité réelle de tir soutenu dépendra toutefois des capteurs et de la conduite de tir. Le radar Sea Fire et le système de combat constituent les limitations déterminantes pour le suivi et l’assignation simultanés, davantage que le seul volume de munitions. Cette contrainte impose d’optimiser les chaînes de détection et la gestion de piste pour exploiter pleinement le magasin accru. Elle suppose aussi des règles d’engagement finement coordonnées, afin de prioriser les menaces et préserver la capacité d’escalade.
L’ajout du Lanceur Modulaire Polyvalent (LMP) complète utilement la bulle de très courte portée. En apportant des munitions comme le Mistral 3 et d’autres effets anti‑drones, il décharge les Aster des tirs de proximité et augmente la cadence globale de réaction. Surtout, ainsi qu’illustré par un LMP capable d’emporter jusqu’à seize missiles Mistral 3, la solution améliore l’économie d’ensemble et la tenue face à des harcèlements prolongés, avec un recomplètement modulaire mieux adapté à la mer formée et à des cycles de déploiement intenses.
L’Europe des missiles retrouve-t-elle un standard crédible face au Mk41 ?
En corrigeant la faiblesse historique de densité du Sylver, la solution multipack réduit l’avantage commercial associé au VLS américain et rapproche l’offre européenne des standards dominants. Cette évolution était identifiée comme une condition nécessaire pour renforcer la compétitivité de la filière missiles européenne face aux solutions d’outre‑Atlantique, en réduisant l’avantage Mk41 et en corrigeant la faiblesse du Sylver. Elle capitalise sur la perspective d’un navire ITAR‑free et sur des chaînes d’approvisionnement alignées, avec un bénéfice direct pour l’autonomie stratégique européenne. Dans le même esprit, la diffusion du multipack favorisera des approvisionnements communs et une interopérabilité renforcée entre marines du continent.
Le marché demeure très concurrentiel. La base installée du lanceur américain est considérable, comme le rappelle Naval Technology, et plusieurs marines accroissent leurs stocks d’ESSM, à l’image du Danemark, ainsi que le rapporte The Defense Post. Le Royaume‑Uni équipe ses Type 31 de 32 cellules, décision confirmée par Navy Lookout. Parallèlement, l’écosystème de Lockheed Martin s’ouvre à des intégrations européennes, tel l’IRIS‑T SLM dans Aegis et le lanceur vertical détaillé dans un article de Naval News, tandis que le site The War Zone évoque déjà un successeur à l’ESSM Block 2.
Pour des clients comme la Suède, le Danemark ou la Grèce, la combinaison Sea Fire/Aster, adossée à un magasin multipack, répond à des critères précis de défense de zone et de disponibilité. Des arbitrages suédois serrés ont été mis en avant, avec une fenêtre de décision courte et une priorité donnée aux solutions immédiatement opérationnelles, comme le montre une trajectoire privilégiant une FOC rapide. De même, les offres françaises en Grèce ont déjà souligné l’intérêt d’une forte densité de VLS et d’un standard robuste, soutenu par des FDI à quatre Sylver 50 et une configuration lourdement armée, de nature à consolider l’attrait export frégates.
La perspective d’une frégate européenne offrant une densité comparable aux meilleures références tout en conservant des missiles strictement européens peut freiner le basculement automatique vers des munitions et intégrations américaines. Elle soutient la constitution d’un socle commun Aster/CAMM, en partie extensible au VL MICA NG à terme, et consolide les marges de souveraineté recherchées. Cet équilibre, conjuguant quantité et qualité, pourrait durablement réorienter la part de systèmes surface‑air européens à bord des frégates européennes, si calendrier et coûts sont tenus.
La certification et la logistique décideront du succès plus que la technique
L’industrialisation d’un mécanisme multipack impose des campagnes de tests et de certification, notamment en sécurité incendie et en gestion des flux de gaz. Elle requiert aussi d’adapter les chaînes de recomplètement et de maintenance, afin de soutenir un inventaire élargi et des cycles d’embarquement plus fréquents. Les organisations de bord, les procédures de sécurité et la planification logistique devront évoluer pour que l’investissement capacitaire produise ses effets dans la durée. Ce volet conditionne la disponibilité réelle et la robustesse de la capacité sur l’ensemble du cycle de vie des frégates.
Le calendrier industriel s’annonce exigeant. La montée à 32 cellules A50 sur série et les livraisons échelonnées nécessitent une coordination fine entre production, arrêts techniques et approvisionnement en munitions. Créneaux de chantiers, formation des équipages et constitution des stocks devront converger pour maintenir la cohérence d’ensemble. En parallèle, la compatibilité de configuration entre unités d’une même classe maximisera les gains de maintenance et de soutien, éléments indispensables à une posture opérationnelle durable.
![[Analyse] Le Sylver A50 donne enfin aux frégates FDI la puissance de feu qui manquait ! 3 frégate Alsace Aster 15](https://meta-defense.fr/wp-content/uploads/2024/03/FREMM_Alsace-Aster.jpeg)
La généralisation du multipack Sylver ouvre un marché aux industriels européens, au premier rang desquels MBDA et Naval Group, mais exige des garanties de certification et d’interopérabilité. La perspective d’un Sylver « nouvelle génération », à la fois flexible et dense, intéresse déjà plusieurs marines, à condition d’un cadre industriel coordonné et d’une normalisation aboutie. Les bénéfices attendus, en standardisation comme en coûts d’intégration, devront s’appuyer sur des trajectoires d’essais et d’homologation clairement balisées pour accélérer l’adoption.
Reste un risque commercial réel. Si la solution arrivait tard ou trop chère, certaines marines pourraient poursuivre avec des VLS américains déjà répandus et bien outillés. Les précédents, telle la décision portugaise en faveur de la FREMM Evo, rappellent que le timing, le couple coût/délai et l’adéquation aux besoins locaux pèsent lourd dans l’arbitrage final. La crédibilité de la montée en cadence et la maîtrise des risques d’intégration seront, dès lors, déterminantes pour convertir l’avance technique en succès commercial.
Conclusion
On le constate, l’effort engagé par Naval Group pour tripler l’emport anti‑air par cellule Sylver répond à un handicap technique et commercial ancien : la rigidité du système européen face à la référence américaine limitait la profondeur de magasin et, par ricochet, l’attractivité de certaines offres. En associant CAMM/CAMM‑ER à l’Aster 30 et en garantissant un lancement soft, la frégate de défense et d’intervention entend rapprocher quantité et qualité, tout en demeurant sur une filière européenne ITAR‑free. Cette combinaison renforce la résilience tactique en offrant une bulle multicouche et une économie de munitions compatible avec la doctrine shoot‑see‑shoot.
En outre, la réussite opérationnelle et commerciale de cette évolution dépendra de la capacité industrielle et logistique à certifier, produire et approvisionner rapidement ces ensembles. Si la mise en œuvre est conduite en temps utile et à coût maîtrisé, elle pourra redistribuer les cartes de l’export européen en réduisant l’attrait exclusif du couple Mk41/missiles US et en favorisant des approvisionnements strictement européens, contribuant directement à l’objectif d’autonomie stratégique mis en avant par les analyses disponibles.
C’est une excellente nouvelle sur le plan opérationnel et pour Naval Group, mais qui va probablement signer la mort de l’Aster 15 de nouvelle génération sur le plan commercial, voir du MICA en version mer-air.
Est-ce que le CAMM tiendrait dans un A-43? (je pose la question pour des amis à pont plat ou à petit tonnage)
non, car il y a beaucoup de navires équipés de Sylver 43 qui ne sont pas concernés. C’est précisément pour ces navires que l’Aster 15 NG a été developpé.
Au vu des specs publiques, le CAMM-ER devrait pouvoir tenir dans un A-43 (4.20m < 4.30m) mais j'imagine qu'il faut un peu de place pour caser la chasse du missile.
Bonsoir,
Donc si j’ai bien interprété, l’Aster 15 n’a plus de raison d’être c’est ça ?
C’est un net progrès. On est obligé de rappeler que ça fait bien 10 ans que les systèmes sylver auraient dus être adaptés pour permettre des emports multiples, pas uniquement adaptés aux missiles surface-air. Simple bon sens commercial et opérationnel. Ne pas l’avoir fait est une erreur de gestion de la part des responsables, gouvernement et industriels.
Oui, c’est un système qui a été sous-employé, essentiellement pour des raisons financières court-termistes. J’ai cru comprendre que cela avait aussi des choix d’architecture de contrôle de tir qui ne facilitaient pas la polyvalence.
Sauf erreur de ma part, les Sylver A35/A43 ont déjà adopté le multipack depuis plusieurs années avec la possibilités d’emport de 4 Crotale VT1 par silo…
Je l’ai lu aussi, mais est-ce que cela a jamais été fait?
il y a eu un tir d’éjection du VT1 en 2008, mais l’option n’a pas été sérieusement développée, car le VT1 avait les perf d’un Mistral 3, qui lui est totalement fire and forget, et moins contraignant. c’était un argument au tout debut du sylver face à l’essm qui avait encore les performances du Sea Sparrow. mais cela a rapidement été jeté aux oubliettes.