La marine des États-Unis (United States Navy (USN) s’impose de compenser les futurs désarmements des quatre Ship Submersible Guided missile Nuclear (SSGN) de classe Ohio. Le programme SSGN(X) ou plus souvent dénommé Large Playload Submarine est à la confluence de plusieurs besoins dont celui de perpétuer les capacités opérationnelles offertes par les quatre Ohio mais aussi de remplacer l’USS Jimmy Carter. Ce programme entretient, aussi, la perspective d’augmenter la série des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins (SNLE ou Ship Submersible Ballistic Nuclear (SSBN) de la classe Columbia, aujourd’hui fixée à douze unités et servirait de « trade off » (troc) à double titre dans le cadre des négociations sur la limitation des armements à mener avec Moscou pour l’après-2026.
La signature du deuxième Strategic Arms Reduction Treaty (START II) le 3 janvier 1993 obligeait les deux signataires à d’importants objectifs de réduction de leurs arsenaux nucléaires. Il s’ensuit en 1994 des réflexions au sein de l’US Navy quant à la reconversion d’une partie des SSBN de classe Ohio (18) au profit de missions conventionnelles. Jamais entrée en vigueur, le traité START II est remplacé par le Strategic Offensive Reductions Treaty (SORT) entrée en vigueur le 1er juin 2003 qui poursuit et accentue les objectifs de STRAT II.
Il en résulte un programme de refonte des quatre premiers bateaux de la classe Ohio afin de mettre en œuvre la réduction des armements négociée dans les cadres de START II puis SORT. Ledit programme débutait en 2002 et comprenait 718,54 millions d’euros (2008) de dépenses en divers travaux dont un rechargement des cœurs nucléaires et une durée de vie opérationnelle portée à 42 ans. Chaque chantier durait 36 mois par bateau. Le SSBN-726 Ohio est entré en refonte en novembre 2002 pour être rendu à l’US Navy en janvier 2006, devant ainsi officiellement le SSGN-726 USS Ohio. Le quatrième bateau quittait le chantier en mars 2008.
- SSGN-726 USS Ohio (1981 – 2023 ?)
- SSGN-727 USS Michigan (1982 – 2024 ?)
- SSGN-728 USS Florida (1983 – 2025 ?)
- SSGN-729 USS Georgia (1984 – 2026)
Ces quatre bateaux n’accueillent plus dans leurs 24 Tubes Lance-Missiles (TLM) des missiles Mer-Sol Stratégiques Balistiques (MSBS ou Submarine-Launched Ballistic Missile (SLBM) :
La configuration forces spéciales voit 2 TLM sur 24 servir de sas entre l’intérieur de la coque épaisse et deux Dry Deck Shelter (DDS) positionnés sur le pont missiles et reliés à l’intérieur du bord par l’entremise de ces deux tubes. 66 opérateurs des United States Navy Sea, Air, and Land (SEAL) peuvent être accueillis à bord, en plus de l’équipage. Certaines sources évoquent même jusqu’à 102 opérateurs dans cette configuration.
Toutefois, l’arrimage d’une paire de DDS ne peut être effectué qu’au sein d’une base navale ou d’un port équipé de moyens adaptés, si bien que leur présence ne peut que condamner un minimum de quatre TLM supplémentaires du fait de leur longueur intrinsèque. Seuls 126 UGM-109 Tomahawk (ou Tomahawk – Land Attack Missile (T-LAM) peuvent être ensilotés dans les 18 TLM restants, à raison de sept de ces missiles par TLM.
La configuration SSGN « pure » se restreint à l’embarquement de 66 opérateurs des Navy SEALs, sans DDS et les charges associés pour les soutenir. Sur les 24 TLM, 2 servent toujours de sas et les 22 restants accueillent des UGM-109 Tomahawk : soit une capacité totale de 154 T-LAM.
C’est par cette dernière configuration que les quatre Ohio refondus représentent un total de 616 tubes. Par comparaison, les capacités accumulées en la matière depuis 1984 par les systèmes de lancement vertical des SSN de classe Los Angeles Flight II (8) et Improved Los Angeles (23) plus les SSN de classe Virginia des Block I (4), Block II (7) et Block III (7) se chiffre à un total de 588 missiles sur 49 bateaux. Le Silent service (sous-marinade américaine) en 2019 possède 54 bateaux ensilotant 1204 missiles de croisière sur un total d’environ 6000 tubes pour l’ensemble de la flotte américaine, soit environ 4800 fournis par les bâtiments de surface.
L’US Navy entretient l’objectif stratégique de conserver ce nombre de tubes malgré les désarmements des quatre Ohio (2023 – 2026) et des Los Angeles (2019 – 2030) qui représenteront, respectivement, la perte de 616 et 372 tubes : soit 988 tubes déclassés sur les 1204 disponibles en 2019.
Les 38 SSN de la classe Virginia des Block I à IV représenteront quand ils seront tous admis au service actif d’ici au milieu des années 2020 la somme de 456 tubes. Ce sont les Virginia Block V (10) qui ajouteront 400 tubes supplémentaires d’ici à 2030 pour un total de 856, ce qui est toujours 348 de moins qu’en 2019. Une solution transitoire consisterait dans la mise sur cale des Virginia Block VI (5) et Block VII (5) entre la fin des années 2020 et avant 2034 (SSN(X). Le nombre total de tubes serait porté de 856 à 1256, dépassant les 1204 tubes de 2019.
Néanmoins, ce qui intéresse l’US Navy ne réside pas seulement dans l’entretien du volume de la salve mais aussi la détention de bâtiments sous-marins capables d’un volume de feu digne d’un « game changer » sur un théâtre. Plusieurs des récentes opérations américaines employaient quant à l’entrée en premier sur un théâtre d’une frappe de décapitation forte de plus ou moins 90 à 110 UGM-109 Tomahawk : un SSGN de classe Ohio peut assumer, seul, en une seule salve, le « job« . Cela libère autant de SSN d’une nécessaire concentration contraire à l’accomplissement d’autres missions sur le même théâtre ou sur d’autres alors qu’est discuté, comme toujours, la pertinence pour les États-Unis de soutenir deux engagements majeurs simultanés.
Le programme SSGN(X) ou plus souvent dénommé Large Playload Submarine apparaît pour la première fois en octobre 2018 dans un document du Congressional Budget Office (CBO) dans l’optique de remplacer les quatre SSGN de classe Ohio. L’US Navy vise un coût unitaire de 6010 millions d’euros (2018) que le CBO juge ambitieux eu égard aux études à mener pour adapter les plans d’un Columbia aux besoins militaires identifiés pour ce programme. Le Congressional Budget Office révise donc ce coût projeté à 6620 millions d’euros (2018). Les discussions préliminaires à ce possible programme visent cinq unités dérivées des SSBN de classe Columbia. Les mises sur cale interviendraient en 2036, 2039, 2042, 2045 et 2048, soit trois années la mise sur cale du douzième Columbia et suivraient le même rythme.
Les SSBN de classe Columbia disposent de 16 tubes lance-missiles et non plus 24 comme leurs devanciers. Cela « obligerait » l’US Navy à viser cinq SSGN(X) car le nombre maximum de tubes serait de 560 (16 tubes lance-missiles accueillant chacun 7 T-LAM), voire seulement 490 (deux tubes lance-missiles dédiés aux forces spéciales). C’est moins que les 616 des Ohio refondus mais ce volume s’équilibrerait entre le léger surplus de tubes (1256 dans les années 2030 sans les SSGN(X) contre 1204 en 2019 avec les quatre SSGN de classe Ohio). Format qui permet, aussi, d’envisager une quasi-permanence à la mer d’un SSGN et en Méditerranée et dans le théâtre IndoPacifique.
Le choix de développer le nouveau SSGN à partir de la classe Columbia ne relève pas seulement de rationalités programmatiques et industriels afin de reproduire ce qui a fonctionné avec les Ohio et de faire l’économie des études d’une nouvelle classe de sous-marins nucléaires. Dans le cadre stratégique, diplomatique et conventionnel actuel, le traité New Strategic Arms Reduction Treaty (New START) qui limite les arsenaux nucléaires américains et russes expirera au plus tard en 2026. Le nombre de SSBN prévu dans le cadre de la classe Columbia fut arrêté par le STRATegic COMmand (STRATCOM) à douze bateaux afin d’atteindre les objectifs de la Nuclear Posture Review 2018.
Washington laisse entendre qu’un relèvement du nombre de SSBN (12) n’est pas incompatible avec les engagements internationaux des États-Unis d’Amérique à partir de 2026. Ceci étant dit dans un même contexte marqué par le retrait américain du traité Anti-Ballistic Missile (2002) et de l’Intermediate-Range Nuclear Forces Treaty (INF) en 2019. Difficile de ne pas y avoir une menace d’étendre la compétition stratégique à un domaine supplémentaire des armements. Le programme SSGN(X) servirait alors « trade off » dans de potentielles futures négociations entre Moscou et Washington afin de remplacer le traité SORT par un nouveau texte contraignant les deux parties. La Chine (Types 09-II, 09-IV et 09-VI) et la Russie (classe Boreï) ne paraissent pas être en mesure, en l’état actuel des choses, de soutenir le rythme.
L’US Navy conserverait probablement dans les deux hypothèses ses cinq SSGN(X) ou Large Playload Submarine car il ne s’agit plus seulement d’additionner les UGM-109 Tomahawk mais aussi d’être en mesure d’opérer des futurs vecteurs supersoniques, voire hypersoniques pensés pour les enjeux A2AD (Anti–Access/Area Denial) et l’évolution du combat naval, notamment en matière de missiles anti-navires. L’objectif se déplace de la frappe dans la profondeur et de la frappe stratégique à de potentielles actions contre des flottes adverses. Le combat en haute mer pour la lutte anti-navire redevient la priorité, particulièrement dans le cas du SSN(X).
L’US Navy observe avec une très grande attention les développements et constructions des sous-marins « bateaux-mères » (ou le Ship Submersible Auxiliary Nuclear (SSAN) proposé par H. I. Sutton) qui seront au nombre de cinq unités au sein de la marine russe dans les années 2030. La marine américaine est historiquement pionnière sur ce type de missions (opération Ivy Bells (1971) mais le nombre de sous-marins dédiés à ce type de missions a chuté à seulement un (SSN-23 USS Jimmy Carter). Les SSAN russes sont capables de déployer plusieurs sous-marins de poches et robots sous-marins téléopérés sans oublier des installations permettant la mise en œuvre de plongeurs, voire probablement de scaphandriers. Certains seront même aptes à lancer de les Status-6 Kanyon, des « torpilles stratégiques » à grande endurance pourvue d’une charge nucléaire.
C’est pourquoi le SSGN(X) mérite mieux ce vocable de Large Playload Submarine car il n’est pas seulement question d’accommoder ces bateaux à la mise en œuvre de drones, dont des Extra Large Unmanned Undersea Vehicle (XLUUV). Le besoin évoqué correspond, aussi, au remplacement du SSN-23 USS Jimmy Carter (2004 – 2034/49 ?), troisième sous-marin de la classe Seawolf spécialement agrandi et adapté pour les opérations clandestines sous la mer (visite d’épaves, récupération de débris, interventions sur des câbles sous-marins, etc). Avec les Large Playload Submarine la marine américaine vise à pérenniser la capacité, la développer et en augmenter le volume grâce à l’acquisition de cinq unités. Sans compter qu’il n’est pas exclu que l’USS Jimmy Carter soit prolongé de 5 (2039) à 15 ans (2049).
Dans ces nouvelles capacités opérationnelles russes mises en œuvre par ces cinq sous-marins « bateaux-mères », l’US Navy retient, aussi, la faculté à mettre en œuvre de nouveaux vecteurs nucléaires : la Status-6 Kanyon. Cette torpille est conçue en tant que moyen de contournement des prétentions américaines à intercepter des missiles balistiques intercontinentaux en prétendant pouvoir frapper des façades portuaires avec une charge de l’ordre des mégatonnes. L’US Navy réplique en ouvrant la porte, au titre de la Nuclear Posture Review 2018, au développement des têtes nucléaires à faible rendement portées par des missiles balistiques ou de croisière. La marine américaine aurait même évoqué d’emporter ces têtes nucléaires sur d’autres vecteurs, comme des torpilles. Le SSGN(X) ou Large Playload Submarine servirait alors une deuxième fois de trade off dans le cadre de négociations américano-russes quant à la limitation des armements au sujet du cas particulier des Status-6 Kanyon.
In fine, il en résulte de toutes ces considérations que pour répondre à tous ces besoins militaires les cinq bateaux dérivés des Columbia devront pouvoir accueillir des modules de missions formatés autour d’une norme : le tube lance-missile. Cela permettrait de conserver une série de cinq sous-marins aussi proche que possible des Columbia. Et ainsi éviter de construire des bâtiments uniques comme dans la marine russe. Ce choix confirmerait l’érection des tubes lance-missiles au rang de norme, à l’instar des silos de lancement vertical des bâtiments de surface. La polyvalence des plateformes serait décuplée par le développement de charges et modules standardisés transposables d’un sous-marin à l’autre.