Le format futur de l’US Navy, et par corollaire la planification concernant la construction de navires pour les prochaines années, fait l’objet d’un affrontement intense entre le bureau du Secrétaire à La Défense épaulé du Pentagone d’une part, et la Maison Blanche par l’intermédiaire du bureau de Management et du Budget du département de La Défense d’autre part. Pour ce dernier, l’US Navy se doit de tout mettre en oeuvre pour respecter le format « politique » de 355 navires en ligne pour 2030 promis par le candidat Trump avant son élection. Le Bureau du secrétaire à la Défense, ou OSD en anglais, a pour sa part présenté un planning réduisant la construction des futurs destroyers pour les 5 prochaines années de 40%, passant de 11 nouveaux navires à 6, tout en accélérant le retrait du service des croiseurs de la classe Ticonderoga, qui passeraient de 13 unités à 9 unités sur la même période. Loin de viser l’objectif de 355 navires exigé par le Président, le nombre de navires en service dans l’US Navy passerait alors de 293 aujourd’hui, à 287 en 2025.
Si Donald Trump cherche avant tout à conforter son électorat plus friand de symboles que de raison, l’US Navy se retrouve aujourd’hui largement contrainte par les choix qui ont été fait ces 30 dernières années concernant aussi bien ses navires de surface que ses sous-marins. En effet, la Marine américaine avait décidé de s’équiper principalement de grandes unités navales, faisant l’impasse sur les unités moyennes et côtières, comme les frégates, les corvettes, ou les sous-marins à propulsion conventionnelle. Non seulement un destroyer Arleigh Burke coute à lui seul le prix de 4 frégates FDI (à titre d’exemple), mais il nécessite un équipage presque doublé vis-à-vis des frégates françaises. Certes, un Burke a une puissance de feu trois plus importante qu’une FDI, mais il n’a, jusqu’à présent, pas le don d’ubiquité, alors qu’il « compte », lui aussi, pour un seul navire.
Avec ses 67 destroyers Burke en service, ainsi que ses 19 croiseurs Ticonderoga, 11 super-porte-avions nucléaires de la classe Nimitz et Ford, 8 LHD des classes Wasp et America, 52 sous-marins nucléaires d’attaque des classe Los Angeles, Sea Wolf et Virginia, et12 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Ohio, l’US Navy a la plus grande flotte au monde, par catégorie et par tonnage, concernant les grandes unités navales. Mais l’absence de frégates ou de corvettes, de sous-marins à propulsion conventionnelle ou AIP, et de navires d’assaut et de porte-avions plus légers, génère une pression immense sur les effectifs et le budget dès lors que l’on essaie de s’aligner sur le modèle chinois et ses 430 navires aujourd’hui.
En effet, Pékin a fait des choix radicalement différents de ceux de Washington. Sans tenir compte des patrouilleurs lance-missiles, pourtant disposant d’une réelle puissance de feu, la Marine de l’Armée Populaire de Liberation dispose d’un panel bien plus complet de navires. Ainsi, depuis une petite dizaine d’année, les chantiers navals chinois ont produit une soixantaine de corvettes Type 056 et 056A spécialisées dans la lutte anti-sous-marine côtière, plus d’une trentaine de frégates Type 054 et 054A pour la lutte anti-sous-marine hauturière, une vingtaine de destroyers Type 052 pour la lutte anti-aérienne, deux croiseurs polyvalent Type 055, 2 porte-avions Type 001/A et 9 navires d’assaut Type 072 et 075. Une frégate Type 054A de 4000 tonnes, emportant 32 silos verticaux et un équipage de 160 hommes, coute ainsi une sixième du prix d’un destroyer Arleigh Burke. Difficile, dans ces conditions, de comparer un format de flotte basé uniquement sur le nombre de navires.
Mais la comparaison basée sur le tonnage global de la flotte n’est guère plus pertinent, bien que très favorable à l’US Navy avec 3,5 millions de tonnes, contre 1 million de tonnes pour la flotte chinoise, et 320.000 pour la Marine Nationale Française. En effet, un destroyer de 10.000 tonnes à presque 2 Md€ comme les Burke ne pourra assurer la protection aérienne que d’un capital ship (porte-avions, LHD..) à la fois, ou ne traquer qu’un unique sous-marin. Or, cette mission peut également être confiée à des frégates ou destroyers spécialisés et apportant la même plus-value qu’un Burke dans ces missions spécifiques, pour un prix, et un nombre d’hommes, bien inférieurs.
Au delà de l’opposition relativement stérile entre la Maison Blanche et le Pentagone sur la question purement politique des 355 navires de guerre pour l’US Navy, c’est en réalité la ventilation des typologies de navires formant le corps de bataille de cette marine, et les choix qui ont été fait ces 30 dernières années qui posent problème aujourd’hui. En négligeant les unités plus légères, l’US Navy a artificiellement contraint son format, et par voie de conséquence ses capacités d’intervention, au profit d’une domination qui se voulait avant tout technologique et symbolique, et représenté par des navires soit particulièrement imposants, comme les porte-avions ou les croiseurs et destroyers lourds, soit excessivement technologiques, comme les Littoral Combat Ship et les destroyers Zumwalt. Il en a résulté un immense gâchis financier et un affaiblissement relatif au profit de l’APL qui, elle, a fait preuve d’une clairvoyance surprenante pour une Marine sans grande experience dans ce domaine.
De fait, aujourd’hui, alors que l’US navy peine à produire 2 destroyers, 2 frégates FFG/X et 2 LCS chaque année, les chantiers chinois produisent 2 à 3 croiseurs Type 055, 3 destroyers Type 052D, 3 frégates Type 054B et 5 à 6 corvettes Type 056A sur la même période. Il en va de même concernant les grandes unités navales (porte-avions, LHD) et les sous-marins. Naturellement, dans ces conditions, l’APL aura tôt fait de rattraper son retard sur l’US Navy, et de la dépasser.
Malheureusement, aux Etats-Unis, ni le Président qui ne s’intéresse qu’un symbole représenté par le nombre de navires, ni le Pentagone qui vise avant tout l’avantage technologique, ni le Congrès qui semble ne se soucier que des emplois locaux créés, n’abordent le problème dans sa globalité, en proposant de produire moins de destroyers, et peut être moins de porte-avions, au profit de nombreuses frégates et corvettes. Cela résoudrait, portant et sans le moindre doute, le problème du président, et renforcerait sensiblement les capacités d’intervention de l’US Navy dans le Monde.