Dans le domaine de l’industrie de défense, la France a souvent démontré sa capacité à developper des équipements très performants et parfois en avance de plusieurs années sur leurs concurrents internationaux. Mais si certains succès sont indéniables, comme le furent les Frégates Légères Furtives ou les véhicules blindés VAB, tous deux en avance sur la perception même du besoin lorsqu’ils apparurent, il est également arrivé, bien souvent, que des programmes très performants et en avance sur leur temps furent ignorés des autorités françaises, laissant filer des atouts technologiques cruciaux dont certains concurrents ne manquèrent pas de s’emparer. C’est ainsi que la France passa à coté de la tuyère orientable qui sera utilisée pour developper le fameux chasseur à décollage et atterrissage vertical Harrier britannique, et qui fut développée par l’ingénieur français Michel Wibault, contraint de proposer sa solution outre-manche après qu’elle fut rejetée par les autorités françaises.
Alors que les tensions internationales vont croissantes, et que la demande en système d’armement modernes et susceptibles d’apporter une plus-value opérationnelle significative est très importante, l’industrie de défense française dispose aujourd’hui plusieurs programmes à la fois très innovants et au potentiel opérationnel incontestable, tant pour les armées françaises que pour les clients à l’exportation de l’industrie française. Ces programmes restent pourtant ignorés des arbitrages budgétaires du Ministère des Armées et de la DGA, alors même qu’ils pourraient se montrer déterminants tant du point de vue opérationnel que pour l’avenir et la pérennité de l’industrie de défense nationale. Dans cet article en deux parties, nous présenterons certains de ces programmes les plus prometteurs, révélateurs des capacités d’innovation de l’industrie de défense française, qui répondent simultanément à des besoins nationaux et internationaux, et qui, en ce sens, mériteraient d’être pris en compte par les autorités françaises.
Sous-marin conventionnel de nouvelle génération SMX31 (Naval Group)
Au delà du pathétique épisode australien, qui aujourd’hui commence à poser plus de questions qu’il n’était sensé apporter de réponses à Canberra, le groupe naval militaire français Naval Group est aujourd’hui un des rares spécialistes reconnus sur la scène internationale capable de concevoir et de fabriquer tout à la fois des sous-marins à propulsion nucléaire comme les SNA de la classe Suffren, et des sous-marins à propulsion conventionnelle comme les Scorpene et le Shortfin Barracuda. C’est en outre le seul industriel sur la planète à réussir l’exploit d’exporter des sous-marins à propulsion conventionnelle, en l’occurence 14 sous-marins de type Scorpene vendus au Chili, à la Malaisie, à l’Inde et au Brésil ces 20 dernières années, alors même que la Marine Nationale française ne met en oeuvre que des sous-marins à propulsion nucléaire. Mais cet exploit commercial comme industriel met également le groupe français en situation de fragilité, puisque contrairement à l’Allemagne, la Suède, la Russie ou encore la Corée du Sud et le Japon, Naval Group ne peut s’appuyer sur des programmes nationaux pour enrichir et faire évoluer sa gamme de sous-marins à propulsion conventionnelle, alors même qu’ils représentent plus de 50% de ses exportations.
Si le Scorpene a largement fait ses preuves, et que le Shortfin barracuda, avorté en Australie, n’en représente pas moins une solution unique de sous-marin conventionnel à capacité océanique, le groupe français se doit de préparer la relève dans les années à venir, pour tenter de rester performant sur ce marché hautement concurrentiel. C’est ainsi qu’il développa le concept SMX-31, un sous-marin à propulsion conventionnelle révolutionnaire en bien des aspects, et susceptible de le placer au sommet de la hiérarchie mondiale dans ce domaine pour plusieurs années, voire décennies, si tant est qu’il puisse voir le jour. En effet, ce sous-marin de 3000 tonnes est un concentré de nouvelles technologies qui représente l’aboutissement de l’ensemble des savoir-faire et des expériences acquises par le groupe français dans ce domaine.Capable de maintenir, grâce à ses batteries de nouvelle génération et son système propulsif innovant, une vitesse de croisière de 6 noeuds pendant plusieurs semaines en plongée, il sera capable de mettre en oeuvre un impressionnant panel d’armements et d’équipements de combat, allant de la torpille au missile de croisière à changement de milieux, en passant par des mines sous-marines et des drones de différents type, avec un équipage de seulement 15 hommes, dans des conditions de discrétion acoustique et d’engagement collaboratif très avancées.
Quel intérêt pour les Armées françaises ?
Aux dires de l’Etat-Major de la Marine Nationale, il serait aujourd’hui préférable pour elle d’acquérir 2 SNA supplémentaires de la classe Suffren, que de financer la conception de 4 nouveaux sous-marins à propulsion conventionnelle, comme le SMX-31. Cette posture n’a rien de nouveau, puisqu’il s’agit simplement ici de concentrer les capacités d’investissement étriquées dont elle dispose vers des équipements offrants le potentiel global immédiat le plus élevé. Ce même raisonnement faisait dire aux Amiraux commandant la Force d’Action Navale et l’Aéronautique Navale au début des années 90, qu’il était préférable d’acquérir des F/A 18 américains d’occasion pour remplacer les Crusader et les Super Etendard, plutôt que de financer le programme Rafale. Force est de constater qu’aujourd’hui, les Rafale volent et évoluent toujours, y compris pour les premiers F1 livrés en 2000, alors que le F/A 18 est retiré du service partout dans le monde. Il en va ici du même raisonnement, puisque les capacités offertes par un SMX-31 pour la Marine Nationale sont, dans une perspective globale, bien plus interessantes que la simple augmentation de la flotte de Suffren, par ailleurs nécessaire.

En effet, de part ses capacités, sa grande discrétion, mais surtout son empreinte humaine très réduite avec un équipage de seulement 15 membres, qui plus est sans compétence nucléaire, le SMX-31 offrirait une souplesse en matière de monter en puissance bien plus importante que celle offerte par les SNA, en particulier pour assurer certaines missions comme la sécurisation des ports et arsenaux, en particulier l’entrée/sortie des SNLE et des unités navales majeures, mais aussi des missions de renseignement et de déni d’accès, qu’il s’agisse d’opérer en mer fermée comme en Méditerranée, ou pour protéger les espaces maritimes ultra-marins, aujourd’hui singulièrement exposés. Car s’il est vrai qu’un SMX-31 ne pourra pas effectuer certaines missions confiées aux SNA, il est également vrai que le SNA est en bien des aspects sur-qualifié et donc très coûteux pour de nombreuses missions qu’il effectue aujourd’hui, missions qui pourraient être confiées à des unités plus légères et moins onéreuses comme un sous-marin à propulsion conventionnelle à faible empreinte. Le même raisonnement s’applique d’ailleurs dans le domaine des unités de surface, une flottille de corvettes bien armées ayant sans le moindre doute une grande utilité pour gérer la montée en gamme de la Marine Nationale.
Quel est le marché potentiel à l’exportation ?
Outre un intérêt domestique évident, le SMX-31 pourrait constituer le fer de lance de l’offre sous-marine de Naval Group dans les 2 ou 3 décennies à venir, en prenant de court l’ensemble des constructeurs mondiaux tant il se positionne en amont des programmes actuellement en cours, ou sur les planches à dessin des industriels concurrents. Or, avec la démocratisation des systèmes anti-navires à longue portée, et parfois hypersoniques, les besoins en matière de capacités sous-marines des marines mondiales vont aller croissant dans les années à venir, en partie vers des capacités océaniques couvertes par les SNA Suffren et les Shortfin Barracuda, mais également vers des capacités côtières et/ou défensives, pour lesquels le nouveau concept de Naval Group offrirait des performances sans concurrence et un rapport performances-prix inégalé. Alors que la construction de sous-marins destinés à l’exportation représente une activité stratégique pour la pérennité du groupe naval français, le SMX-31 serait indubitablement un atout de taille pour se confronter à ce marché dans les années à venir.

A l’inverse, sans ce nouveau modèle très innovant, Naval Group sera contraint de proposer, comme il le fait aujourd’hui, des Scorpene aux capacités étendues, lui même dérivé de l’Agosta, qui risquent fort au fil des années de voir leur attractivité s’étioler face aux nouveaux modèles comme le Type 212 NG allemand, le A26 suédois et surtout le Taigei japonais et Dosan Ahn-cho sud-coréen, ces deux pays opérant la plus grande flotte de sous-marins à propulsion conventionnelle en occident. Or, si Naval Group venait à se voir priver du marché export de sous-marins, cela pourrait mettre en péril la pérennité même de l’activité sous-marine du groupe, que l’on sait ö combien indispensable à la mise en oeuvre de la dissuasion nationale française, la Marine Nationale à elle seule n’ayant pas capacité à alimenter en activité un tel secteur industriel sur son cycle générationnel de 30 ans. En outre, en dehors des contrats d’états, le groupe français ne peut compter que sur ses actionnaires, Thales et l’Etat français, et sur ses propres bénéfices, pour envisager de developper des équipements innovant en fonds propres, ce qui représente à chaque fois un risque non négligeable, d’autant que l’Etat français n’est pas enclin à soutenir ce type d’initiative, comme nous le verront au fil de cet article.
Hélicoptère à haute performance Racer (Airbus Helicopters)
Depuis l’avènement du Bell V-22 Osprey, puis le lancement du programme Futur Vertical Lift, l’industrie américaine semble faire cavalier seule depuis deux décennies dans le domaine des hélicoptères militaires à haute performance. Les deux grands groupes américains, Bell et Sikorsky, se livrent en effet une compétition féroce dans ce domaine, qu’il s’agisse de remplacer les UH-60 Black Hawk du programme FLRAA, ou les OH-58 Kiowa et une partie des Ah-64 apache pour le programme FARA, avec des appareils capables de maintenir une vitesse de croisière de plus de 200 voire 250 noeuds, et des capacités d’évolution et d’accélération sans commune mesure avec les voilures tournantes actuelles. Dans ce domaine, l’hélicopteriste européen Airbus Helicopters a pourtant conçu une technologie d’une élégante simplicité mais qui fait jeu égale avec les solutions américaines en matière de performances : le Racer.
Dérivé du démonstrateur X3, les développeurs du Racer ont remplacé le pas cyclique de l’hélicoptère, le traditionnel fenestron que l’on retrouve sur beaucoup d’hélicoptères français, par deux nacelles munies d’une hélice propulsive, assurant simultanément la fonction d’anti-couple pour neutraliser le couple du rotor principal, et une fonction propulsive comme pour le Sikorsky Raider-X du programme FARA. Mais contrairement à ce dernier, qui nécessite l’utilisation d’un rotor contra-rotatif lourd et complexe, ou du V280 Valor de Bell qui s’appuie sur la technologie des rotors basculants tout aussi ardue, la solution proposée par Airbus est à la fois simple, fiable, robuste et économique, puisque l’énergie qui alimente les deux nacelles propulsives est directement prélevée sur la ou les turbines de l’hélicoptère à l’instar des rotors anti-couples, sans pièces mobiles ou moteurs supplémentaires, sources de complications et de surcouts. En d’autres termes, dans le domaine des hélicoptères à haute performance, la solution préconisée par le Racer d’Airbus Helicopters est sans conteste la plus performante, en particulier du point de vue opérationnel, pour les besoins des armées.
Quel intérêt pour les Armées françaises ?
L’intérêt pour les Armées françaises de disposer d’un hélicoptère à haute performance est identique à celui recherché par l’US Army avec le programme FVL. Avec les progrès enregistré ces dernières années par l’artillerie et la missilerie moderne, les actions d’aérocombat doivent désormais prendre leur appui à des distances bien plus importantes de la zone d’engagement que ce n’était le cas il y a encore peu de temps. Or, plus un appareil ira vite, plus il sera mesure d’effectuer des rotations entre la zone d’engagement et la zone d’appui, et donc plus il sera possible, avec un nombre d’appareils donné, de renforcer rapidement les capacités d’une force au combat. En outre, plus l’hélicoptère sera rapide, moins il passera de temps à proximité d’éventuelles capacités anti-aériennes adverses, et donc moins il sera exposé. Cette réalité vaut également pour les actions à la mer, notamment dans les domaines de la lutte anti-navire ou anti-sous-marine, soumis aux mêmes contraintes.
En outre, et contrairement aux technologies employées par les avionneurs américains dans le cadre du programme FVL, celle employée autour du démonstrateur Racer est transposable à tous les types d’hélicoptères, y compris des appareils légers. On en peut en effet pas imaginer un hélicoptère léger équipé de rotors basculant comme le V280, raison pour laquelle Bell a présenté une configuration classique optimisée dans le cadre du programme FARA, mais dont les performances seront moindre avec une vitesse de croisière de seulement 185 neuds et non 220 comme le Défiant de Sikorsky. De même, avec son rotor contrarotatif et son hélice propulsive, de même Sykrosky Defiant aura une empreinte logistique et budgétaire bien plus importante à celle d’un Racer, le rendant peu adapté à la conception d’hélicoptères légers, par nature économiques à l’usage. Or, les hélicoptères légers jouent eux aussi un rôle crucial au sein des armées françaises, comme le montre les attentes non feinte des 3 armées concernant les premières livraisons du H160M Guépard du programme HIL.
Quel est le marché potentiel à l’exportation ?
Comme pour le SMX-31, le potentiel à l’exportation du RACER, ou plutôt d’appareils militaires employant cette technologie, serait considérable, d’autant plus qu’il serait disponible rapidement, avant ou en même temps que les modèles américains issus du programme FVL, de sorte à ne pas rater le marché initial déjà largement défriché par les Etats-Unis. En effet, cette technologie permet de concevoir des appareils plus simples, plus légers, plus faciles à entretenir et mettre en oeuvre, et plus économiques à performances égales que ceux des avionneurs américains. De fait, à l’instar de l’écureuil ou du Dauphin à leur sortie, le Racer n’aurait tout simplement pas de concurrence efficace sur son créneau, ni en Europe, ni outre Atlantique, et pas davantage en Russie ou en Chine. Pour peu que les Armées françaises fassent le parie de developper des versions militaires dédiées de cette famille d’appareils, le succès à l’exportation serait garanti et très probablement massif, et ce pendant de nombreuses années, tant il sera difficile de trouver, pour les avionneurs concurrents, une solution aussi performante.
Cette solution technologique permettrait en outre à l’industrie aéronautique française d’anticiper l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché mondial des hélicoptères militaires et civils, comme la Corée du Sud, l’Inde ou la Turquie, avec des offres très performantes sur le plan économique, mais largement en deçà concernant les performances. Elle pourrait ainsi conserver ses parts de marchés, en dépit de l’arriver de ces nouveaux acteurs, provoquant de fait des difficultés accrues pour ces nouveaux venus pour s’imposer et donc se pérenniser sur ce marché.
Véhicule Blindé léger Scarabée (Arquus)
On le sait, l’industrie de défense française s’est faite une spécialité du developpement des véhicules blindés légers et moyens, très mobiles et économiques. Dans ce domaine, Arquus, ex-Renault Defense/ Panhard, peut s’enorgueillir de plusieurs réussites de taille, comme le célèbre Véhicule de l’Avant Blindée, ou VAB, qui transporta le combattant français pendant prés de 4 décennies, mais aussi l’ERC-90 Sagaie, qui a montré ses capacités opérationnelles en opérations exterieures depuis de nombreuses années. C’est également la société Panhard qui développa le Véhicule Blindé Leger, ou VBL, qui équipe les armées françaises, et qui assure aussi bien les missions de reconnaissance que de liaison et d’aide à l’engagement pour l’Armée de terre sur tous les théâtres extérieurs depuis 30 ans. C’est précisément dans le but de remplacer ce VBL qu’Arquus a développé, en fonds propres, le Scarabée, un véhicule blinder léger de nouvelle génération qui n’a guère à envier à la plus performante des Batmobile.
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