Il y a tout juste un mois, nous vous avons donné des nouvelles du programme d’avion de chasse de nouvelle génération mené en Turquie, le TF-X. Initialement conçu pour permettre à l’industrie aéronautique turque d’exploiter au sein d’un programme national les différents transferts de technologies obtenus auprès de divers fournisseurs occidentaux, le projet autour du TF-X a été profondément remanié ces derniers mois.
En effet, les ambitions régionales de la Turquie sur le plan militaire, notamment en Syrie et en Libye, ont peu à peu isolé Ankara de certain de ses principaux soutiens européens. Washington a également mis un terme au contrat portant sur l’acquisition de chasseurs furtifs F-35, suite à la livraison de systèmes de défense anti-aérienne S-400 d’origine russe. Et, parallèlement, les troupes turques et leurs alliés se retrouvent directement opposées aux mercenaires et miliciens soutenus par Moscou à la fois en Syrie et en Libye ! Malgré cet isolement apparent, Ankara s’est pourtant vu récemment proposé une aide technique majeure de la part de Moscou, la Russie cherchant à se substituer aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour la fourniture de divers éléments critiques du futur chasseur TF-X.

La proposition de coopération a été exprimée très officiellement sur la télévision turque Ekotürk par l’intermédiaire de Dmitry Shugaïev, directeur du Service Fédéral pour la Coopération Militaro-Technique. Si l’interview a surtout porté sur la mise en œuvre du contrat S-400, Shugaïev a également rappelé que la Russie se tiendrait prête à vendre des avions de combat Su-35 à la Turquie si cette dernière en faisait la demande, réitérant ainsi une proposition faite l’année dernière après l’expulsion turque du programme F-35 américain. Pour le moment, il n’est cependant pas question de vendre les nouveaux avions furtifs Su-57 (programme PAK-FA), qui seraient pourtant les plus à même de remplacer les F-35 que Washington refuse de livrer. Pour Moscou, en effet, la production actuelle de Su-57 est avant tout destinée à la modernisation des forces russes, et l’avion n’est pas encore disponible à l’exportation.
Cependant, Dmitry Shugaïev s’est montré particulièrement ouvert sur la question de la coopération technologique autour du programme turque TF-X. Pour rappel, le TF-X est un chasseur furtif développé en Turquie, et dont la maquette grandeur nature a été dévoilée pour la première fois l’année dernière en France, à l’occasion du Salon du Bourget. Dans l’armée de l’air turque, cet appareil devait venir compléter la dotation en F-35 dès le début des années 2030 et présenter des performances proches de celles du F-22 américain.
Bien trop ambitieux pour l’industrie aéronautique turque, le TF-X devait donc être développé avec l’aide de nombreux partenaires internationaux. Les commandes de vol ont ainsi bénéficié de l’aide de Dassault Systèmes, le Britannique BAE Systems apportant son assistance pour le design général de l’appareil, tandis que Rolls-Royce était approché pour fournir les deux réacteurs de l’avion, dérivés de ceux de l’Eurofighter Typhoon.

L’année dernière, des désaccords industriels ont cependant opposé le concepteur de l’avion Turkish Aerospace Industries à certains de ses partenaires, dont Rolls-Royce. Une situation qui a été très vite aggravée par les sanctions prises par les pays européens suite à l’invasion turque du Kurdistan syrien à l’automne dernier. A court terme, la solution de replis pour le prototype du TF-X devrait être basée sur le réacteur américain F110 de General Electric, déjà assemblé localement pour la flotte de F-16 turcs. Néanmoins, ce moteur, beaucoup plus gros que la solution envisagée avec Rolls-Royce, va imposer de redessiner complétement l’arrière de l’appareil.
Pire encore, les tensions actuelles entre Ankara et Washington font que le F110 ne sera sans doute rien de plus qu’une solution intérimaire. Sans issue diplomatique à la crise américano-turque, l’industrie turque n’aura pas d’autre choix que de développer son propre moteur militaire, sans doute l’un des objets technologiques les plus complexes à développer au monde, imposant donc la recherche d’un nouveau partenaire. L’implication de la France étant exclue pour des raisons diplomatiques, le seul autre pays disposant des compétences nécessaires pour la conduite rapide d’un programme de propulsion nationale est donc la Russie.
D’après Shugaïev, Moscou serait non seulement prêt à collaborer au sujet des moteurs, mais pourrait aussi apporter son assistance sur la conception même de l’appareil et de son avionique, même si la Turquie dispose sur ce dernier plan d’une expertise assez solide.
Particulièrement isolé de ses alliés de l’OTAN, Ankara pourrait bien ne pas avoir d’autres choix, à moins de tenter un partenariat stratégique avec la Chine, dont les programmes de propulsion aéronautique arrivent enfin à maturité. Pour Moscou, l’une ou l’autre de ces solutions serait sans aucun doute une véritable victoire stratégique. Un rapprochement entre la Turquie et la Russie et/ou la Chine ne ferait qu’éloigner un peu plus la Turquie de l’OTAN. Depuis l’invasion de la Crimée, l’organisation du traité de l’Atlantique nord est perçu par Moscou à la fois comme une menace pour sa sécurité et comme un vestige fragilisé de la Guerre Froide. La Russie a donc tout intérêt à accentuer les deux principaux points de rupture potentielle de l’OTAN, à savoir l’inconstance de l’administration Trump d’une part, et la défiance des pays européens vis-à-vis de la Turquie d’autre part.
















