samedi, décembre 6, 2025
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Malgré leurs désaccords diplomatiques, la Russie et la Turquie pourraient coopérer autour de l’avion de combat TF-X

Il y a tout juste un mois, nous vous avons donné des nouvelles du programme d’avion de chasse de nouvelle génération mené en Turquie, le TF-X. Initialement conçu pour permettre à l’industrie aéronautique turque d’exploiter au sein d’un programme national les différents transferts de technologies obtenus auprès de divers fournisseurs occidentaux, le projet autour du TF-X a été profondément remanié ces derniers mois.

En effet, les ambitions régionales de la Turquie sur le plan militaire, notamment en Syrie et en Libye, ont peu à peu isolé Ankara de certain de ses principaux soutiens européens. Washington a également mis un terme au contrat portant sur l’acquisition de chasseurs furtifs F-35, suite à la livraison de systèmes de défense anti-aérienne S-400 d’origine russe. Et, parallèlement, les troupes turques et leurs alliés se retrouvent directement opposées aux mercenaires et miliciens soutenus par Moscou à la fois en Syrie et en Libye ! Malgré cet isolement apparent, Ankara s’est pourtant vu récemment proposé une aide technique majeure de la part de Moscou, la Russie cherchant à se substituer aux Etats-Unis et au Royaume-Uni pour la fourniture de divers éléments critiques du futur chasseur TF-X.

Maquette du programme TFX Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
La silhouette du TF-X évoque celle du F-22, même si l’appareil sera vraisemblablement plus léger qu’un F-35. Conçu pour la supériorité aérienne, il devrait cependant disposer d’une vitesse maximale et d’un plafond opérationnel supérieur à ce que l’on retrouve sur le F-35

La proposition de coopération a été exprimée très officiellement sur la télévision turque Ekotürk par l’intermédiaire de Dmitry Shugaïev, directeur du Service Fédéral pour la Coopération Militaro-Technique. Si l’interview a surtout porté sur la mise en œuvre du contrat S-400, Shugaïev a également rappelé que la Russie se tiendrait prête à vendre des avions de combat Su-35 à la Turquie si cette dernière en faisait la demande, réitérant ainsi une proposition faite l’année dernière après l’expulsion turque du programme F-35 américain. Pour le moment, il n’est cependant pas question de vendre les nouveaux avions furtifs Su-57 (programme PAK-FA), qui seraient pourtant les plus à même de remplacer les F-35 que Washington refuse de livrer. Pour Moscou, en effet, la production actuelle de Su-57 est avant tout destinée à la modernisation des forces russes, et l’avion n’est pas encore disponible à l’exportation.

Cependant, Dmitry Shugaïev s’est montré particulièrement ouvert sur la question de la coopération technologique autour du programme turque TF-X. Pour rappel, le TF-X est un chasseur furtif développé en Turquie, et dont la maquette grandeur nature a été dévoilée pour la première fois l’année dernière en France, à l’occasion du Salon du Bourget. Dans l’armée de l’air turque, cet appareil devait venir compléter la dotation en F-35 dès le début des années 2030 et présenter des performances proches de celles du F-22 américain.

Bien trop ambitieux pour l’industrie aéronautique turque, le TF-X devait donc être développé avec l’aide de nombreux partenaires internationaux. Les commandes de vol ont ainsi bénéficié de l’aide de Dassault Systèmes, le Britannique BAE Systems apportant son assistance pour le design général de l’appareil, tandis que Rolls-Royce était approché pour fournir les deux réacteurs de l’avion, dérivés de ceux de l’Eurofighter Typhoon.

Su 35 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Pour l’heure, la Russie se déclare prête à vendre des Su-35 à la Turquie, même si le Su-57 sera probablement disponible d’ici quelques années à l’exportation. Si le TF-X s’avère être un échec, l’achat d’avions russes ou chinois pourraient bien être la seule alternative dont disposera Ankara pour compenser l’absence de F-35 dans ses rangs

L’année dernière, des désaccords industriels ont cependant opposé le concepteur de l’avion Turkish Aerospace Industries à certains de ses partenaires, dont Rolls-Royce. Une situation qui a été très vite aggravée par les sanctions prises par les pays européens suite à l’invasion turque du Kurdistan syrien à l’automne dernier. A court terme, la solution de replis pour le prototype du TF-X devrait être basée sur le réacteur américain F110 de General Electric, déjà assemblé localement pour la flotte de F-16 turcs. Néanmoins, ce moteur, beaucoup plus gros que la solution envisagée avec Rolls-Royce, va imposer de redessiner complétement l’arrière de l’appareil.

Pire encore, les tensions actuelles entre Ankara et Washington font que le F110 ne sera sans doute rien de plus qu’une solution intérimaire. Sans issue diplomatique à la crise américano-turque, l’industrie turque n’aura pas d’autre choix que de développer son propre moteur militaire, sans doute l’un des objets technologiques les plus complexes à développer au monde, imposant donc la recherche d’un nouveau partenaire. L’implication de la France étant exclue pour des raisons diplomatiques, le seul autre pays disposant des compétences nécessaires pour la conduite rapide d’un programme de propulsion nationale est donc la Russie.

D’après Shugaïev, Moscou serait non seulement prêt à collaborer au sujet des moteurs, mais pourrait aussi apporter son assistance sur la conception même de l’appareil et de son avionique, même si la Turquie dispose sur ce dernier plan d’une expertise assez solide.

Particulièrement isolé de ses alliés de l’OTAN, Ankara pourrait bien ne pas avoir d’autres choix, à moins de tenter un partenariat stratégique avec la Chine, dont les programmes de propulsion aéronautique arrivent enfin à maturité. Pour Moscou, l’une ou l’autre de ces solutions serait sans aucun doute une véritable victoire stratégique. Un rapprochement entre la Turquie et la Russie et/ou la Chine ne ferait qu’éloigner un peu plus la Turquie de l’OTAN. Depuis l’invasion de la Crimée, l’organisation du traité de l’Atlantique nord est perçu par Moscou à la fois comme une menace pour sa sécurité et comme un vestige fragilisé de la Guerre Froide. La Russie a donc tout intérêt à accentuer les deux principaux points de rupture potentielle de l’OTAN, à savoir l’inconstance de l’administration Trump d’une part, et la défiance des pays européens vis-à-vis de la Turquie d’autre part.

Suite au départ de Boeing, Embraer cherche de nouveaux partenaires pour commercialiser son avion de transport C-390 Millenium

Depuis plus d’un an, Boeing enchaîne les revers à la fois dans le domaine spatial (échec du premier tir du CST-100 Starliner), civil (interdiction de vol du 737 Max) et militaire (avec les déboires à répétition du KC-46). La pandémie de coronavirus et ses conséquences désastreuses sur le transport aérien n’ont fait que rajouter des difficultés supplémentaires au géant américain de l’aéronautique. En conséquence, l’entreprise de Chicago a décidé de manière assez abrupte de mettre fin à son projet de joint-venture avec l’avionneur brésilien Embraer.

Le sujet avait été traité abondamment dans un précédent article, qui détaillait le divorce entre Boeing et Embraer et les conséquences industrielles pour ce dernier. A l’époque, la situation autour du programme militaire brésilien C-390 Millenium (anciennement KC-390) restait particulièrement flou. Alors que Boeing et Embraer rappelaient que les accords signés en 2012 au sujet de la commercialisation internationale du C-390 étaient toujours en place, des rumeurs persistantes indiquaient qu’Embraer commençait néanmoins à chercher un nouveau partenaire international capable de remplacer Boeing pour la commercialisation du KC-390, programme critique pour les activités militaires de Embraer. Une information qui a donc été confirmée en début de semaine.

KC 390 bourget 2017 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le KC-390 est, sur le papier, un excellent appareil. Embraer, bien implanté sur le marché civil, n’a cependant pas les contacts suffisants dans le secteur militaire pour concurrencer Lockheed Martin, notamment.

En présentant le bilan financier d’Embraer pour le premier, le directeur général Francisco Gomes Neto a confirmé que la compagnie brésilienne est en train d’évaluer différentes alternatives pour la commercialisation de l’avion de transport militaire C-390, et qu’elle disposait de plusieurs opportunités pour de futurs partenariats. Tout porte donc à croire que, malgré l’urgence de la situation pour l’ensemble de l’industrie aéronautique mondiale, Embraer va prendre son temps avant de sélectionner un ou plusieurs partenariats commerciaux.

A l’origine, le partenariat stratégique signé avec Boeing devait permettre à l’entreprise américaine de rajouter à son catalogue certains avions civils de Embraer, de la même manière que Airbus avait absorbé la gamme CSseries du canadien Bombardier pour la commercialiser en tant que Airbus A220. Parallèlement, un accord avait été trouvé afin de permettre à Boeing de proposer le KC-390 brésilien comme un concurrent au C-130J Hercules de Lockheed Martin. Il faut dire en effet que le C-390 Millenium brésilien a de très nombreux atouts, avec une capacité opérationnelle supérieure sur de nombreux points au best-seller de Lockheed Martin. Mais, malgré ses qualités, l’avion avait encore du mal à s’exporter, Embraer ne disposant pas de la puissance commerciale et des appuis politiques de Boeing.

L’accord avec Boeing étant désormais caduc, quelles options s’offrent à Embraer ? Pour la plupart des observateurs, le salut d’Embraer passerait par l’élaboration d’un nouveau partenariat stratégique avec un nouvel acteur industriel. Déjà, des mains ont été tendues à Embraer en provenance de Chine, de Russie et d’Inde. En échange de la promesse de leur gigantesque marché intérieur et de leur poids politique à l’exportation, ces trois pays pourraient en effet permettre à Embraer de trouver de nouveaux débouchés en cette période de crise économique, tant sur le plan civil que militaire.

A 29 super tucano afghanistan Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le A-29 de Sierra Nevada/Embraer a déjà été vendu à l’exportation, et est candidat sur le marché américain

Pour la Chine, la Russie mais surtout l’Inde, une co-entreprise avec Embraer permettrait également d’accéder à des technologies et des processus industriels dignes des standards aéronautiques occidentaux les plus exigeants. Pour autant, l’opération ne serait pas sans risque pour Embraer, surtout si la société décidait de se laisser séduire par la Russie ou la Chine. Ce faisant, l’industriel brésilien pourrait se retrouver privé définitivement de certains de ses marchés actuels, notamment aux Etats-Unis, où l’avionneur brésilien est encore bien apprécié des compagnies aériennes locales mais aussi des forces armées, qui étudient sérieusement l’acquisition d’avions d’attaque légers Super Tucano. Si l’option indienne peut encore rester crédible, nonobstant les énormes difficultés de financement de l’industrie aéronautique locale, une autre voie pourrait cependant être empruntée par Embraer.

L’avionneur brésilien pourrait en effet choisir de ne pas remplacer son partenariat stratégique avec Boeing par une nouvelle entreprise du même ordre. Plutôt que la création d’une gigantesque joint-venture intégrant les activités commerciales tant civiles que militaires, Embraer pourrait choisir de multiplier les accords locaux articulés autour de projets spécifiques. L’entreprise garderait ainsi la mainmise sur sa politique commerciale, évitant toute représailles de la part de Washington ou de l’Union Européenne, tout en accédant aux marchés émergents par le biais de multiples accords de gré à gré.

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Après avoir placé son radar Erieye sur des Embraer E-99, Saab a sélectionné le Global 6000 de Bombardier pour développer son GlobalEye. Un nouveau rapprochement entre Saab et Embraer pour les avions de mission reste possible dans les années à venir.

Aux Etats-Unis, qui n’étaient jusqu’ici pas couvert par les prospectives commerciales d’Embraer, l’avionneur brésilien pourrait ainsi prolonger son partenariat avec Sierra Nevada. Au-delà du Super Tucano, que les deux entreprises tentent conjointement de vendre à l’US Air Force et aux forces spéciales, Embraer et Sierra Nevada pourraient ainsi se tenir prêtes à présenter une variante américanisée du C-390 Millenium auprès des différentes instances gouvernementales américaines, en cas de demande en ce sens.

En Europe, Embraer pourrait sans doute trouver un certain appui auprès de SAAB, les deux entreprises étant impliquées dans la production du Gripen E/F à destination des forces aériennes brésiliennes. Si SAAB semble récemment avoir sélectionné le canadien Bombardier pour réaliser ses nouveaux avions de reconnaissance électronique GlobalEye, les équipements électroniques du Suédois pourraient parfaitement s’intégrer dans certains avions civils d’Embraer, mais également à bord de variantes dédiées du C-390 par exemple.

En Asie, enfin, rien n’empêcherait Embraer de réaliser des partenariats locaux avec transferts de technologies et production sous licence de son KC-390, sans pour autant perdre le contrôle de sa commercialisation en dehors de la Chine ou de l’Inde par exemple.

La France va-t-elle se doter d’une véritable capacité de transport aérien stratégique ?

Quelques jours après que le Ministère des Armées ait reconnu la dépendance critique de la France en termes de transport aérien stratégique, la ministre Florence Parly a demandé à la Direction Générale de l’Armement (DGA) d’étudier une solution alternative. De quoi donner des perspectives très positives aux capacités des projections des forces armées françaises.

 En matière de transport aérien stratégique « hors gabarit » (très gros porteurs) la France dépend du Contrat SALIS de l’OTAN ou bien de contrats privés via le courtier ICS. Ces contrats ont la caractéristique de dépendre des mêmes fournisseurs Russes ou Ukrainiens. Le cœur des capacités fournies est l’aéronef Antonov 124, capable de transporter autour de 80 à 120 tonnes de Fret sur respectivement 8400 et 4800 km. Ces aéronefs, en plus d’être de plus en plus rares, ne sont aujourd’hui plus produits, le parc de transport stratégique français est donc menacé d’obsolescence (30 ans de moyenne d’âge par appareil) ou d’attrition à court terme. Une situation qui contraint les pouvoirs publics français à se mobiliser pour anticiper une éventuelle crise.

An124 su35 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Ces dernières années, le transport aérien hors gabarit au profit des forces armées françaises a souvent été effectué par l’intermédiaire d’An-124 privés exploités par des compagnies ukrainiennes et russes.

La France n’est pas pour autant dépourvue de vecteurs de transports à moyen terme. Elle disposera en 2028 d’une trentaine d’A400M (50 à terme) et d’une quinzaine de d’A330 MRTT (Multi-Rôle Transport Tanker). L’A400M est un avion de transport polyvalent et rustique capable d’assurer aussi bien des missions de transport tactique (sur terrain accidenté) et stratégique ainsi que d’opérer des missions de ravitaillement. Couteau-suisse opérationnel, ses capacités de transports sont honorables : autour de 20 à 37 tonnes de fret dans un rayon de 4500 à 6400 kilomètres. En plus du matériel et des personnels, sa conception lui permet d’emporter des blindés (VBCI, etc) ou bien des hélicoptères (un NH-90 ou trois Tigres). Il reste toutefois loin des capacités des 350 C-5 Galaxy (100 tonnes) et C-17 Globemaster (78 tonnes) qui servent l’armée américaine. De son côté le A330 MRTT offre des capacités de transport supérieures à celles de l’A400M (transport de personnel, rayon d’action), mais sans possibilité de réaliser des posés tactiques sur des pistes non préparés. De plus, les capacités de transport du MRTT se font au détriment de ses capacités de ravitaillement en vol, qui restent son cœur de mission.

Le transport stratégique est une des capacités principales servant la fonction stratégique de projection des forces armées françaises. Et par extension de toute puissance nourrissant des objectifs expéditionnaires dans sa diplomatie. Le contexte géostratégique global est instable et crisogène, et voit s’affirmer de nouvelles menaces de puissances régionales ou mondiales. Ces dernières sont capables de mettre en œuvre des moyens militaires modernes et de les déployer en dehors de leur territoire. Il importe donc à un pays comme la France de pouvoir se montrer réactive en projetant une force expéditionnaire de quelques centaines à quelques milliers d’hommes dans un délai de 3 à 5 jours et de les ravitailler sur toute la durée de l’opération. L’ubiquité et l’endurance des transports dans la 3éme dimension permettent une rapide concentration de moyen dans le cadre d’une ouverture de théâtre et de son soutien dans la durée.

us air force tech sgt glenn ackerman and senior airman jason tripler 86th air b44687 1600 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Les C-17 de l’US Air Force et de la Royal Air Force sont en mesure d’embarquer des chars de combat ou des équipements logistiques de grandes dimensions incapables de tenir dans les soutes d’un A400M ou d’embarquer à bord d’un A330 MRTT, dépourvu de rampe de chargement. Si aucune solution aérienne patrimoniale n’était sélectionnée par la France, le transport de ces charges lourds serait effectué uniquement par voie maritime.

Ce tempo rapide permet à une puissance comme la France d’exercer autant une dissuasion conventionnelle que d’employer la coercition afin de faire valoir ses intérêts diplomatiques. En outre les gros porteurs stratégiques sont des vecteurs importants de diplomatie aérienne via les opérations humanitaires, l’évacuation de civils, la mutualisation/location des moyens vers des partenaires stratégiques etc…. Les moyens et l’expérience de la projection de force et de puissance par voie aérienne est le fait d’un club très restreint de pays qui se comptent sur les doigts d’une seule main. Toute perte ou affaiblissement capacitaire signifierait alors un déclassement (même temporaire) diplomatique important sans compter l’impossibilité de tenir les contrats opérationnels (Barkhane, Chammal, etc).

Aux delà des questions politiques et judiciaires liées aux contrats d’affrètement des Armées Françaises, la question du remplacement des Antonov pose deux problématiques. La première concerne évidemment leur successeur, issu de la BITD française ou acheté/loué sur étagère. Or les constructeurs des tels gros porteurs sont rares et généralement issus de puissances potentiellement rivales de la France (Russie, Chine…) ou de nature à restreindre volontairement l’autonomie stratégique de ses partenaires (USA, qui ne produisent plus de transporteurs lourds depuis la livraison des derniers C-17 l’année dernière). Le transport stratégique est une capacité critique pour l’indépendance nationale ainsi qu’un outil opératif incomparable : en témoigne le rôle joué par les C-5 Galaxy lors de l’opération Desert Storm (500 000 personnels et plus de 510 000 tonnes de matériel transporté). Dès lors on peut comprendre la volonté de la Ministre Florence Parly de mobiliser la DGA afin de plancher sur une solution française ou, a minima, européenne. Le savoir-faire Européen ne manque pas dans le domaine des très gros porteurs en témoigne le A380 ou le A300-600 Beluga : si une base civile était choisie, l’enjeux sera alors de militariser ce savoir-faire civil (blindage, capteurs, auto-défense, etc).

airbus a380 air france Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
La crise du Covid-19 va contraindre de nombreuses compagnies à réduire leur flotte d’avions de ligne (ici les A380 d’Air France mis à la retraite anticipée). Si de tels appareils, à l’instar des A330 MRTT, permettraient de réaliser certaines missions de transport stratégiques, ils ne disposent pas de capacités de transport pour les équipements hors gabarit les plus lourds (chars Leclerc, etc.)

La seconde problématique concerne le dimensionnement de la flotte. La perspective du retour de conflit de haute intensité sur des théâtres lointains et non-permissifs imposera un soutien logistique massif tout comme une souplesse de déploiement importante (dont les blindés). Un effort trop intense pour être fournis par une cinquantaine de A400M et d’une poignée putative de gros porteurs.

En définitive les récentes actualités émanant du gouvernement sur le renouvellement des capacités de transport stratégique pourraient constituer une bonne nouvelle pour les armées Françaises. Toutefois elles soulèvent d’autres questions fondamentales telles que la souveraineté du futur parc, sa conception et sa production par la BITD nationale ou européenne et son dimensionnement qui devra faire face à des enjeux et des engagements très différents de ces trente dernières années. La savoir-faire et l’expérience sont là : il ne manque plus que la lucidité et la volonté politique dans la durée. Faute de quoi, les armées françaises devront se résoudre à recourir à de nouvelles solutions de location ou à des accords avec des partenaires internationaux, ne permettant pas d’établir une véritable souveraineté sur la question du transport stratégique. Après tout, en indiquant n’exclure « aucune piste » sur cette question, le Ministère des Armées indique que l’acquisition patrimoniale d’avions de transport n’est pas pour autant assurée, d’autant plus que d’autres programmes urgents devront être financés dans les années à venir. Affaire à suivre donc.

L’US Air Force pourrait transformer ses avions de transport en bombardiers, et bien plus encore

La semaine dernière, le Air Force Research Laboratory (AFRL) et le Air Force Special Operations Command ont dévoilé conjointement avoir réalisé entre janvier et février plusieurs essais de largages de missiles de croisière à partir de la rampe arrière d’avions cargos C-130 Hercules et C-17 Globemaster III. Ces essais s’inscrivent dans la longue série des programmes de l’US Air Force visant à doter ses avions de transport d’une capacité secondaire de bombardement de précision.

Pour cette campagne d’essais en vol, l’US Air Force aurait utilisé des démonstrateurs d’au moins un nouveau type d’armement, le CLEAVER (Cargo Launch Expendable Air Vehicles with Extended Range – Véhicules aériens consommables de longue endurance lancés depuis un avion-cargo). Démontrant une certaine forme de maturité technologique, le concept CLEAVER pourrait rapidement donner lieu à un système d’arme opérationnel permettant de transformer les avions de l’Air Mobility Command (le commandement de l’USAF en charge des avions de transport) en bombardiers d’appoint. Mais le CLEAVER, ou un système équivalent, pourraient offrir aux avions cargos des capacités inédites en matière de renseignement, de guerre électronique et d’escorte.

CLEAVER MC 130J Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Deux démonstrateurs de munitions CLEAVER sur une palette au moment de son largage d’un MC-130J. Les détails sur les capacités de l’arme et son mode de déploiement n’ont pas encore été dévoilés

Les images dévoilées par l’US Air Force montrent un avion C-130 Hercules larguer des palettes comportant chacune deux larges munitions CLEAVER. D’après le AFRL, chaque C-130 serait en mesure d’embarquer trois palettes, des essais ayant d’ailleurs été menés avec des munitions différentes du CLEAVER, mais dont la nature reste pour l’instant classifiée. Tout juste sait-on que le CLEAVER en lui-même n’est pas propulsé, mais dispose d’une capacité planante similaire à celle de la munition AGM-154 JSOW. Après avoir été expulsée d’un C-130 ou d’un C-17, la palette est suspendue à un parachute en position verticale, permettant au CLEAVER d’être libérés et de commencer leur vol vers leur cible.

D’après l’AFRL, d’autres essais sont déjà prévus avec différentes configurations de véhicules, propulsés ou planants, avec différents modes de guidages et différentes charges utiles. Le CLEAVER pourrait servir de base à l’ensemble de ces différents véhicules, même s’il reste possible que l’AFRL ait développé des engins adaptés à chaque usage. Ces déclarations du laboratoire de l’US Air Force laissent tout de même entendre que la capacité d’attaque ne sera pas la seule mission recherchée par les systèmes de largages sur palettes. Le but ultime affiché par l’AFRL est en effet de pouvoir mettre en œuvre depuis des avions cargos des essaims de munitions semi-autonomes travaillant en réseau, conçues pour accompagner avions et drones dans leurs opérations de combat.

C 130 largage Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
En plus d’un C-17, les essais de l’AFRL se sont reposés sur des MC-130J des forces spéciales, déjà habitués au largage de charges lourdes. Ils peuvent notamment déployer la plus lourde bombe de l’USAF, la GBU-43/B.

La piste explorée par l’AFRL n’est donc pas sans rappeler, dans sa finalité opérationnelle, le concept de « porte-drones volant » de la DARPA, que nous avons abordé en détail dans un article dédié au X-61A Gremlins. Plusieurs différences majeures font cependant du Gremlins et du CLEAVER des concepts plus complémentaires que concurrents. Le concept de la DARPA vise avant tout à pouvoir récupérer des drones dotés de capteurs et de brouilleurs de haute valeur. Les avions Hercules modifiés pour cette tâche seront ainsi des multiplicateurs de force spécifiquement dédiés à l’accompagnement des raids et aux missions de renseignement. Le concept de l’AFRL, quant à lui, vise à intégrer une capacité de largage de véhicules aériens à des avions de transport conventionnels. Hercules et Globemaster III seront alors utilisés ponctuellement pour renforcer à la fois les capacités de frappe des bombardiers, ou encore les capacités de renseignement (y compris celles des futurs Gremlins), en fonction des besoins. Sans possibilité de récupération en vol, de telles missions se limiteront donc au déploiement de munitions ou de drones « sacrifiables » ou « consommables ».

Cette dernière caractéristique place donc les recherches de l’AFRL à mi-chemin entre les travaux menés sur le Loyal Wingman, ce concept de drone d’accompagnement sacrifiable, et les travaux visant à optimiser les capacités de frappe de l’US Air Force, qui souffre d’une flotte de bombardiers vieillissante. Pour l’US Air Force, le principal défi des prochaines années pourrait donc bien être plus organisationnel que technologique. En effet, dans les années à venir, les chasseurs, bombardiers lourds et avions de transport devraient tous être en mesure de déployer des drones d’accompagnement, récupérables ou consommables. De plus, des missions de bombardement lourdes pourront être confiées à des avions de transport pour compenser le trop faible nombre de bombardiers en service.

recuperation gremlins Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le concept de porte-avions volant et de drones Gremlins est en cours de développement par la DARPA. Ces solutions pourraient être complémentaires au déploiement de missiles et de drones consommables à partir d’avions de transport non-modifiés.

De fait, les frontières entre l’Air Mobility Command (responsable des avions de transport), le Global Strike Command (responsable des bombardiers lourds) et l’Air Combat Command (responsable des avions de chasse) vont devenir de plus en plus poreuses. Ce qui implique d’instaurer un peu plus de souplesse au sein de chaque commandement, sans pour autant que l’un d’entre eux accepte d’être sacrifié sur l’autel des capacités secondaires accordées aux autres avions de l’US Air Force. Un équilibre subtil qu’il faudra impérativement trouvé afin de pouvoir mettre en œuvre les opérations de combat aérien en réseau du futur.

Bien loin des Etats-Unis, les récentes avancées du laboratoire de recherche de l’US Air Force devrait également conforter certaines idées envisagées dans le cadre du programme européen SCAF (France, Allemagne, Espagne), mais aussi pour le programme britannique Tempest. Pour accompagner leurs futurs avions de combat, les forces aériennes européennes ont également imaginé des concepts similaires à celui du Loyal Wingman, notamment le Remote Carrier. Pour l’heure, plusieurs idées sont envisagées, du petit drone sacrifiable largué depuis un avion de combat au modèle plus encombrant mis en œuvre depuis la soute d’un avion-cargo A400M, dont le tonnage se situe entre le Hercules et le Globemaster.

Des avancées côté américain tendraient donc à prouver que le concept serait également viable pour le largage de munitions ou de drones depuis un A400M français, allemand, espagnol ou britannique. Au-delà des Remote Carrier, une telle capacité permettrait également, en théorie, d’utiliser des avions de transport européens pour le largage de missiles de croisière de nouvelle génération. Une idée d’autant plus intéressante que les européens ne disposent pas de bombardiers lourds, et pourraient exploiter pleinement le concept d’avion de transport capable de déployer des missiles depuis sa soute.

Le Covid-19 aura-t-il raison de la diplomatie européenne du renseignement ?

« C’est une question de souveraineté européenne. Dès lors que l’on souhaite gagner en capacité stratégique de défense, il est nécessaire de gagner en capacité de renseignement ». C’était fin février à sa signature officielle à Zagreb en Croatie. Coopération « inédite, de long terme, pour la sécurité des démocraties européennes », l’Intelligence College in Europe (ICE) se voulait « la réplique commune à la complexité des menaces asymétriques cyber, terroristes et de déstabilisation qui émanent de Russie ou de Chine via les réseaux 5G ». Trois mois après les plaidoyers des représentants de services intérieurs et extérieurs des 23 pays signataires[1], l’instance « diplomatique » informelle promue par Emmanuel Macron est tombée en sommeil forcé.

A l’instar de l’Europe de la Défense portée par les autorités françaises au nom de l’ »autonomie stratégique » face au parapluie américain, ICE a été classé au rang des priorités plus subordonnées avec la crise sanitaire. « Les partenaires européens ne sont pas mobilisables dans l’immédiat », explique-t-on. « Le covid-19 ralentit de facto les travaux », souligne un autre membre européen. La Croatie, qui a pris la présidence d’ICE, en même temps qu’elle préside le Conseil européen jusqu’au 30 juin, se dit déterminée à poursuivre dans la voie engagée par les instances françaises.

Macron College Intelligence 1 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le Collège du Renseignement en Europe est une initiative portée par les autorités françaises. La création d’un service de renseignement commun, avec le soutien du Royaume-Uni, se heurte cependant à des problématiques légales internes ainsi qu’au manque de collaboration de la part de Washington.

Le Momentum était là, de fait, alors que les attaques américaines contre l’équilibre budgétaire de l’OTAN font craindre un désintérêt des Etats-Unis pour la défense européenne. En particulier au sein des pays de l’Est. « Après la Géorgie, l’Ukraine, il y a des pays qui créent des frictions entre pays européens », soulignait un participant à Zagreb fin février, « notre principal défi demeure, avec la Chine, la Russie qui mène une politique agressive si ce n’est des menaces militaires ». D’autres services de renseignement européens voient aussi les menaces ailleurs. « Nous sommes membres de l’OTAN, témoignait un représentant, mais nous devons aussi coopérer avec nos voisins du Sud face au défi sécuritaire ».

Au Royaume-Uni aussi, la main tendue par les services continentaux n’a jamais été aussi bien perçue avec le Brexit et la relation plus régulièrement questionnée avec l’administration Trump et son alliance au sein des Five Eyes. Face à la décision de quitter l’Union européenne, « la première réaction des opérationnels britanniques a été de chercher à maintenir les accords de sécurité », rappelle un acteur français, notamment avec l’agence européenne Europol qui facilite les échanges de renseignements entre polices, comme le rappelle Hager ben Jaffel, spécialiste du renseignement britannique[2]. Par ailleurs, « les Britanniques ont dû se faire à l’évidence qu’ils n’avaient pas été plus prévenus que nous ou que les Russes des décisions américaines en Irak et en Syrie. Ils sont aussi maltraités que nous le sommes par l’administration actuelle », souligne cet opérateur. « Les Britanniques considèrent qu’ils ont une relation « spéciale » avec les services américains dans le cadre des Fives Eye. C’est correct d’un point de vue historique, mais en pratique les Etats-Unis ont des dizaines de relations  « spéciales » au titre des liens bilatéraux qu’ils ont noués avec de nombreux pays, notamment avec la France dans la lutte contre le terrorisme, et même la Chine au travers de stations d’écoute » proches de la Russie, appuie Damien van Puyvelde, spécialiste du renseignement et des questions de sécurité internationale[3]. Quand bien même cette relation bilatérale avec les Etats-Unis serait altérée sous Donald Trump, « ce maintien des liens avec les Européens continentaux après le Brexit est indispensable, car c’est ce qui forge leur valeur au sein de l’alliance Five Eyes pour les autres partenaires », souligne aussi Hager ben Jaffel. A l’inverse, pour les services continentaux européens, l’intérêt des Britanniques pour le Collège est l’opportunité de resserrer les liens « diplomatiques » avec ces piliers du renseignement en Europe et leurs moyens techniques.

Et ce, d’autant que le retrait britannique pose un défi pour le cœur institutionnel du « renseignement » européen, l’Intcen (European Union Intelligence and Situation Center), l’agence de renseignement du Service européen pour l’action extérieure (SEAE), dont le Royaume-Uni était l’un des principaux contributeurs. « L’Intcen, qui a un rôle de « fusion center » sans capacité de renseignement propre, compétence des Etats, a besoin de l’aide des services des pays membres européens pour alimenter le service extérieur car il dépend entièrement de leur contribution », soulignait un acteur européen à Zagreb.

intelligence college seminar germany Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Un premier séminaire du College s’est tenu en Octobre 2019 au siège du BND, le service de renseignement fédéral allemand.

Un rôle d’autant plus crucial mais difficile à tenir que les services des pays membres se défient de la capacité des institutions communautaires à protéger les informations sensibles – en témoigne entre autre la révélation de la compromission au profit de la Chine de l’ex fonctionnaire allemand Gerhard Sabathil, membre du SEAE. « Certaines informations ont été compromises, reconnaît un acteur. Les institutions européennes sont de nature ouvertes et plutôt susceptibles de faire l’objet de ce type d’action d’intrusion, et il est nécessaire d’accroître sa sécurité », d’où l’importance de s’appuyer sur des services européens en coopération renforcée au-delà des seuls agents du renseignement intérieur.

Historiquement, de fait, toute la force de l’éco-système européen a reposé sur la coopération informelle, au sein notamment du Club de Berne, celle-ci unissant essentiellement des services intérieurs, notamment sur l’anti-terrorisme.

Mais c’est probablement une menace interne qui unit aussi plus fortement aujourd’hui qu’hier les intérêts des services de renseignement en Europe : l’interdiction de stockage de données de masse à caractère personnel ordonné par la Cour de Justice européenne (dont l’arrêt Tele2 Sverige AB). Une décision qui fait encore l’objet de procédures. « Si cette décision est confirmée, elle va entraver la capacité des enquêtes judiciaires et des services de renseignement », considère un acteur. Elle prive les services de sécurité de mémoire face à des actes criminels graves, considère un acteur français. Il est indispensable de sensibiliser les hiérarques européens et les parlementaires sur ces questions. Et ce, alors que nous faisons face aux questions de sécurité liées à la 5G et aux capacités d’intrusion chinoises d’un côté, et de l’autre à l’entrisme des Etats-Unis, au moment où tout citoyen externalise ses données personnelles à des sociétés américaines volontairement ! ».

 « A partir du moment où on bride les capacités de nos services de renseignement sur les historiques de connexion, on aliène leur fonctionnement. On ne peut pas multiplier non plus les échanges avec les services étrangers car nous risquons de créer une dépendance, il faut une autonomie pour ne pas dépendre du renseignement fourni par les Five eyes », ajoute-t-il.

Logo EU INTCEN Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Dépourvue de capacités de renseignement propres, l’INTCEN centralise les données collectées (et transmises) par les services de renseignement des différents pays membres de l’Union Européenne. Le nouvel ICE, sans affiliation directe à l’UE, pourrait théoriquement disposer d’une plus grande liberté de manoeuvre, en incluant notamment le Royaume-Uni et la Norvège.

Et si les services européens continuent d’agir en ordre dispersé, leurs organes de contrôle, eux, commencent, en outre, à associer leurs moyens. En décembre dernier, six organes européens de contrôle du renseignement (Belgique, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suisse, Norvège, Danemark) ont signé une charte pour renforcer leur coopération.

Interrogés en février sur les risques d’une contre réaction américaine face à ce nouvel espace de coopération inter services en Europe, les participants ne se faisaient pas d’illusion : « Si les Etats-Unis nous demandent de prendre nos destins en mains, ils ne peuvent pas nous reprocher de renforcer nos coopérations européennes », soulevait un acteur. Mais de fait, réagissait un autre, « les Etats-Unis ont toujours essayé de contrôler, quand ils n’y parviennent pas, ils essaient d’entraver ».

« La montée en puissance du Sitcen, l’instance qui a précédé l’Intcen, créé avec le soutien des Britanniques avait déjà fini par irriter les alliés américains et les représentants politiques du Royaume-Uni. Le Sitcen avait pris trop d’ampleur avec des capacités propres de renseignement et a fini par susciter des réactions en lien avec les questions d’IESD (Identité européenne de sécurité et de défense) et avec la prééminence des forces de l’OTAN en cas de conflit », rappelle Julie Prin-Lombardo, spécialiste des enjeux de renseignement européen[4]. Si le Collège n’est pas collectivement relancé, cette fois, une entrave pourra difficilement leur être totalement imputée.

Igor Messey


[1] Autriche, Belgique, Croatie, Chypre, République Tchèque, Danemark, Estonie, Finlande, France, Allemagne, Hongrie, Italie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Roumanie, Slovénie, Espagne, Suède et Royaume-Uni.

[2] « Anglo-European Intelligence Cooperation: Britain in Europe, Europe in Britain », Edition du Relié, 2019

[3] « Outsourcing US Intelligence », « US National cybersecurity : International politics, concepts and organization », « Institutionnalisation et pratiques du renseignement à l’heure du terrorisme »

[4] « Le renseignement à l’épreuve de l’Union européenne », Nouveau Monde Editions, 2019

Vers un remplacement des missiles Crotale-NG dans l’Armée de l’Air française ?

Dans un précédent article, nous sommes revenus sur les déclarations du Général Lavigne, chef d’état-major de l’Armée de l’Assemblée Nationale, le 6 mai dernier. Dans le cadre de la crise sanitaire et économique actuelle, les armées françaises seront mobilisées pour participer à la relance économique du pays. Pour l’Armée de l’Air, cela passera principalement par la commande de nouveaux hélicoptères de manœuvre et par l’accélération des livraisons d’avions de combat et d’avions de transport et de ravitaillement.

Néanmoins, le général Lavigne a également évoqué la possibilité de moderniser certains autres équipements de l’Armée de l’Air. Les systèmes de défense sol-air à courte portée (SHORAD) de type Crotale-NG ont notamment été évoqués, alors même que leur remplacement ne semblait pour l’instant par prévu par la Loi de Programmation Militaire.

La défense sol-air dans l’Armée de l’Air

Depuis 2012, les capacités de défense sol air moyenne et longue portées sont transférées de l’Armée de Terre à l’Armée de l’Air. Simultanément, les tous nouveaux systèmes SAMP/T Mamba (missiles Aster 30) remplacent les vénérables missiles Hawk et Roland, offrant à la France une véritable capacité de défense anti-aérienne dans la profondeur.

Lanceur de missile Aster30 du systeme anti aerienne franco italien SAMPT Mamba Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Véhicule lanceur de missiles Aster 30 du système SAMP/T de l’Armée de l’Air. Le système Crotale, de plus courte portée, avait l’avantage d’intégrer tous ces systèmes (capteurs + missiles) sur un unique véhicule.

Aujourd’hui, alors que l’Armée de Terre ne dispose plus que de missiles légers à très courte portée Mistral, l’Armée de l’Air dispose de dix systèmes SAMP/T répartis dans cinq escadrons. En parallèle, la force aérienne française continue d’opérer une douzaine de batteries mobiles de missiles sol-air à courte portée Crotale-NG. Acheté dans les années 1990, et équipant également certaines frégates de la Marine Nationale, le Crotale-NG offre une plus grande portée et une charge militaire bien supérieure à celle du Mistral, mais repose surtout sur un double système de guidage radar/optique lui permettant d’être utilisé par tous les temps, de jour comme de nuit.

Cependant, les missiles embarqués à bord des systèmes Crotale français devraient atteindre leur date de péremption à compter de 2021. Or, leur remplacement n’apparait pas dans l’actuelle Loi de Programmation Militaire 2019-2025. En toute logique, ces missiles devraient donc être retirés du service sans réel remplacement, l’Armée de l’Air ne s’appuyant alors plus que sur ses SAMP/T Mamba pour la protection des bases militaires et des sites sensibles en France et à l’étranger.

La défense sol-air SHORAD revient au cœur des priorités

Mais à la surprise générale, dans le contexte actuel de relance de l’activité industrielle de défense, les systèmes Crotale de l’Armée de l’Air pourraient finalement être modernisés ou remplacés. En effet, parmi les axes d’amélioration devant être privilégiés pour l’actualisation de la LPM en 2021, le général Lavigne cite la question de la défense sol-air et plus précisément des batteries de missiles Crotale de l’Armée de l’Air.

Crotale NG armée de lair Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Trois des cinq escadrons de défense aériennes disposent d’une capacité mixte SAMP/T + Crotale NG. Le non-remplacement de ces derniers aurait tout de même entrainé la disparition d’une capacité de défense aérienne rapprochée pour ces escadrons.

Profitant des projets de relance économique, l’Armée de l’Air pourrait ainsi redonner vie au projet de remplacement des Crotale-NG, qui semblait jusqu’ici abandonné. Pour l’Armée de l’Air, mais aussi pour l’Armée de Terre que les batteries sol-air sont censées protéger, il s’agirait d’une très bonne nouvelle. En effet, entre le moment où la LPM 2019-2025 a été rédigée et aujourd’hui, certains évènements ont conduit les forces armées françaises en particulier, et occidentales en général, à revoir leur copie concernant la défense à courte et moyenne portée (SHORAD). Il s’agit en premier lieu de l’attaque contre les sites pétroliers d’Aramco en Arabie Saoudite, en septembre 2019, mais aussi de l’utilisation intensive de systèmes de drones tactiques pour contrer les systèmes anti-aériens Pantsir (incomparablement plus puissants que des Crotale ou des Mistral) en Syrie et en Libye, comme nous avons pu le détailler récemment dans une série d’articles. Tous ces évènements militent pour que les forces au contact comme les forces de soutien disposent de moyens SHORAD capables de contrer des attaques saturantes de drones ou de missiles de croisière. Or, si le SAMP/T Mamba est incontestablement efficace dans ce domaine, la dizaine de systèmes livrés à l’Armée de l’Air seront numériquement insuffisant dans le contexte géostratégique actuel.

Quelles solutions pour le remplacement du système Crotale ?

Si la modernisation des unités Crotale-NG devait être acté lors de la prochaine actualisation de la LPM, il reste à savoir quelle solution technique serait privilégiée :

  • Le plus simple du point de vue de la logistique et de la formation du personnel serait sans doute de commander de nouvelles batteries SAMP/T, parallèlement au programme de rénovation des Mamba déjà en service. Initialement, au moins douze batteries devaient être commandées à la fois pour l’Armée de Terre et l’Armée de l’Air avant que le nombre ne soit réduit à dix. Une commande de deux ou quatre systèmes SAMP/T modernisés supplémentaires permettrait de déployer en permanence trois escadrons (au lieu de deux) en soutien aux opérations de l’Armée de Terre. Tout en envoyant un signal fort auprès de certains prospects internationaux, comme la Suisse. Cette solution ne permettrait cependant pas d’offrir une défense de portée intermédiaire, entre les Aster du SAMP/T et le Mistral 3 de l’Armée de Terre.
  • Une autre solution simple, qui permettrait de conserver l’accent sur la courte portée, serait de remplacer le Crotale-NG par le missile Mistral 3 de MBDA. C’est le choix qu’à fait la Marine Nationale pour la modernisation des frégates Lafayette, et cela offrirait une certaine cohérence entre les différentes armées françaises. Pour MBDA, une commande de l’Armée de l’Air permettrait de retrouver un volume de production confortable, après que la dotation prévisionnelle de l’Armée de Terre ait été réduite de 2000 missiles à environ 800. Le Mistral 3 offre enfin de bonnes capacités contre les drones, et pourraient ainsi compléter le SAMP/T dans ce domaine. Resterait à voir en quoi des Mistral déployés par l’Armée de l’Air se distingueraient des mêmes missiles mis en œuvre par l’Armée de terre (quel véhicule porteur ? quels capteurs ?)
mistral ATLAS sur vehicule Sherpa de Arquus Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le Mistral 3 peut être tiré depuis un trépied, une tourelle légère (ci-dessus) ou des lanceurs automatisés pour six missiles, présentant alors une capacité de feu se rapprochant de celle du Crotale-NG. Resterait donc à voir quelle solution permettrait à l’Armée de l’Air d’offrir une capacité différenciante par rapport à l’Armée de Terre, si ce missile était sélectionné.
  • Toujours dans le sol-air courte portée, Thales pourrait bien proposer une ultime modernisation des systèmes Crotale NG actuels. Etant donné l’obsolescence des systèmes de l’Armée de l’Air, cela reviendrait globalement à un remplacement quasi-total de l’électronique et des capteurs, mais aussi des missiles VT1, permettant de porter l’ensemble à un standard proche du Crotale Mk3 que l’industriel proposait il y a quelques années. Une solution qui serait sans doute particulièrement coûteuse et surtout trop longue à mettre en place.
  • Enfin, le remplaçant le plus naturel du Crotale NG serait très probablement le système VL-MICA de MBDA. Déjà vendu à l’exportation, notamment à Oman et au Maroc, la version terrestre du VL-MICA est aujourd’hui disponible sur étagère. Là où le Crotale NG/Mk3 offre une portée d’environ 11 à 15km, contre 7 km pour le Mistral 3, le VL-MICA promet une portée supérieure à 20km. Mieux encore, l’Armée de l’Air pourrait charger ses batteries de VL-MICA avec les missiles air-air MICA-EM et MICA-IR qu’elle possède déjà en inventaire pour armer ses Mirage et Rafale. Les missiles seraient alors chargés dans le VL-MICA juste avant d’atteindre leur limite de nombre de vols. Un bon point pour la logistique de l’Armée de l’Air, mais qui reste moins intéressant pour la relance économique que la production de nouveaux missiles Mistral 3, bien évidemment. Le VL-MICA aurait cependant l’avantage d’être la solution la plus évolutive, avec le SAMP/T rénové, étant donné que le missile MICA-NG doit prochainement entrer en service dans l’Armée de l’Air. Avec sa portée améliorée, le VL-MICA-NG pourrait offrir une capacité intermédiaire équivalente au Aster 15 (une version à plus courte portée du Aster 30 embarqué dans le SAMP/T).
MBDA MICA VL Lanceur terrestre Paris Air Show 2015 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le VL-MICA présente de nombreux avantages, dont des missiles déjà en stock et une interface compatible avec les radars des SAMP/T. Sans commandes de missiles supplémentaires, ce ne sera cependant pas l’équipement le plus pertinent dans le cadre de la relance économique.

Toutes ces solutions présentent leur lot d’avantages et d’inconvénients. Si une telle décision de remplacement/modernisation finissait par trouver sa place au sein de la LPM actualisée, ce qui est loin d’être acté aujourd’hui, la solution technique retenue le sera sans doute bien plus pour son intérêt industriel que pour ses atouts opérationnels. Dans tous les cas, il s’agira toutefois d’une solution bien plus intéressante que le retrait sans remplaçant de dernières batteries Crotale.

Covid-19 : l’Armée de l’Air renonce à ses hélicoptères lourds, mais pas à la modernisation de ses capacités

Il y a quelques mois, la confirmation par Aviation Week que l’Armée de l’Air française était prête à louer puis à acquérir des hélicoptères lourds CH-47 Chinook avait fait grand bruit. Il faut dire que les besoins en hélicoptères de transport de gros tonnage est énorme, notamment pour le soutien aux opérations françaises en Afrique. Avec l’acquisition d’un petit nombre de CH-47, la France n’aurait alors plus été dépendante des hélicoptères déployés par ses alliés, comme le Royaume-Uni ou le Danemark.

Malheureusement, c’était à prévoir, la crise économique post-coronavirus va très probablement conduire au report ou à l’annulation de ce programme. Cependant, pour le chef d’état-major de l’Armée de l’Air, une telle annonce ne serait pas nécessairement une mauvaise nouvelle. En effet, dans le contexte économique actuel, l’acquisition de matériels produits en France serait prioritaire. Ce qui permettrait à l’Armée de l’Air d’anticiper le renouvellement de ses hélicoptères de transport Puma, mais aussi d’accélérer la livraison de chasseurs Rafale ou de ravitailleurs A330 MRTT Phénix.

CH47 chinook 1 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Après plusieurs années d’hésitations, l’Armée de l’Air devait enfin se doter de CH-47, compléments idéals à ses avions de transport CN-235.

Pas de Chinook, mais de nouveaux H225

Nous le savons depuis le début de la crise sanitaire en France : le Ministère des Armées français entend bien être un des fers de lance de la reprise économique. En effet, la plupart des équipements en service dans les forces armées françaises sont produits en France dans des entreprises qui, faute de commandes étatiques, risqueraient rapidement de mettre la clé sous la porte.

Dans le cadre de la relance économique prévue par le gouvernement français, le Ministère des Armées devrait donc jouer un rôle crucial, en maintenant certains industriels à flot tout en assurant une charge de travail continue aux instituts de recherche et développement. Mais cela implique inévitablement de privilégier des entreprises françaises ou européennes, ou a minima des entreprises produisant en France. De plus, les budgets disponibles pour la relance n’étant pas extensibles, le Ministère des Armées devra faire des choix et limiter les risques. Les équipements qui répondent à une logique opérationnelle déjà maîtrisées, faciles à intégrer aux forces et dont l’usage a déjà été approuvé par ces dernières seront logiquement prioritaires.

Dans ce cadre-là, il est donc parfaitement rationnel de renoncer à l’acquisition d’hélicoptères lourds, ces derniers représentant une nouvelle capacité achetée aux USA. Ce n’est pas pour autant que l’aéromobilité sera négligée par l’Armée de l’Air dans le cadre d’une éventuelle relance économique. Mais pour le général Lavigne, la priorité devrait être avant tout au remplacement des hélicoptères de transport Puma. La faible disponibilité et le coût à l’heure de vol de ces appareils militent en effet par leur remplacement accéléré par une flotte de nouveaux hélicoptères de transport.

Royal Thai Air Force H225 Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le H225M de Airbus Helicopter est le dernier descendant de la famille Puma/Super Puma. Pour le remplacement de ses Puma, l’Armée de l’Air pourrait opter pour une variante simplifiée de ses H225M Caracal actuels, avec des capteurs différents et une perche de ravitaillement optionnelle par exemple.

Le H225 d’Airbus Helicopters est alors présenté comme le candidat idéal, puisqu’il s’agit de l’ultime évolution de la famille Puma/Super Puma. Deux fois plus léger qu’un Chinook (11 tonnes contre 22 tonnes), le H225 reste un hélicoptère de transport imposant. Surtout, le H225M Caracal est déjà en service dans l’Armée de l’Air, et un remplacement des Puma par un appareil similaire permettrait de grandement simplifier la logistique. Enfin, une commande anticipée de l’Armée de l’Air permettrait d’offrir un peu de répit à Airbus Helicopters.

En effet, si quelques H225 ont été vendus depuis le début de la crise sanitaire, la société de Marignane devrait lourdement souffrir dans les mois à venir, non seulement en raison de la crise du Covid-19, mais aussi de la crise qui touche le secteur pétrolier et l’industrie off-shore, principale cliente du H225. Dans l’état actuel des choses, il semble donc que l’acquisition rapide de nouveaux H225 soit finalement préférée à la solution de location envisagée avant la crise du Covid-19.

Phénix, Rafale : accélérer les livraisons

Outre la relance économique, le général Lavigne, lors de son audition devant l’Assemblée Nationale le 6 mai dernier, met en avant le fait que les menaces militaires conventionnelles continuent d’augmenter, certaines étant même amplifiées par la crise économique et sanitaire mondiale. Dans un tel contexte, accélérer certaines livraisons d’équipements est aussi important pour l’économie nationale que pour la défense des intérêts stratégiques de la France.

Morphee A330 MRTT Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Les nouveaux ravitailleurs en vol de l’Armée de l’Air ont été fortement mobilisés pour le transport de malades du Covid-19. L’affermissement des options pour les trois derniers Phénix, à livrer rapidement, ne devrait pas avoir trop de mal à se justifier sur le plan politique.

Ainsi, l’Armée de l’Air militerait pour accélérer la livraison des trois derniers avions-ravitailleurs A330 MRTT Phénix. Cela offrirait à Airbus quelques modestes débouchés, alors que la production d’avions de ligne est en berne. Mais cela permettrait surtout à l’Armée de l’Air de disposer rapidement de quinze avions de transport et de ravitaillement stratégique d’un unique modèle. Le retrait des vieux avions de transport VIP Airbus et des ravitailleurs KC-135 serait accéléré, permettant de réduire les coûts d’entretien de la flotte tout en augmentant ses capacités opérationnelles.

Dans la même veine, le général Lavigne envisage une accélération des livraisons de Rafale, ce qui permettrait encore une fois de retirer plus vite du service certains modèles obsolètes de Mirage 2000. Cette dernière déclaration reste toutefois inquiétante. En effet, le planning de production de Dassault Aviation est normalement fixé plusieurs années à l’avance. Toute accélération rapide du côté français voudrait donc dire que l’avionneur s’apprête à connaître à nouveau une situation tendue au niveau de l’exportation. Après le revers égyptien et les difficultés économiques en Inde, les prospects les plus sérieux sont désormais en Europe (Finlande, Suisse), où ils sont le plus susceptibles d’être reportés à des jours meilleurs.

Rafale India Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
l’appel d’offre MMRCA 2, pour lequel le Rafale était un des favoris, a de fortes chances d’être repoussé ou annulé. Cela ne veut pas dire que l’Inde ne commandera pas d’autres Rafale, mais que toute commande supplémentaire devra se faire attendre plusieurs années.

Dans tous les cas de figure, que ce soit pour Dassault Aviation, Airbus, MBDA, Thales, Nexter ou Naval Group, la crise économique devrait conduire à une baisse significative des commandes internationales. Malgré tous les plans de relance économique pouvant être pratiqués en France, il ne sera pas possible de maintenir les niveaux de commandes records des dernières années. Au mieux, une implication sérieuse du Ministère des Armées, du Ministère des Finances et de l’exécutif permettront aux entreprises stratégiques de limiter les pertes au minimum le temps que la situation économique mondiale ne se redresse.

La guerre civile libyenne pourrait-elle redéfinir le combat aérien moderne ? Partie 2/2

Cet article est la seconde partie d’une réflexion entamée dans un précédent article disponible ici.

Ces derniers mois, la guerre civile libyenne s’est intensifiée sur plusieurs fronts, et notamment dans la conduite des opérations aériennes et anti-aériennes. Dans le camp de l’ANL comme dans celui du GNA, les mini-drones ont progressivement été complétés par des drones tactiques, puis par des drones MALE armés.

Dans la première partie de cet article, publiée hier, nous avons expliqué commet l’utilisation de drones armés pour réaliser des frappes ciblées a conduit chaque camp à se doter de systèmes anti-aériens modernes. Ces derniers, particulièrement coûteux, ont à leur tour été pris pour cibles, confirmant par là même le potentiel des drones légers et médians dans le cadre d’attaques saturantes sur des systèmes de défense modernes.

Bayraktar TB2 Runway Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
En Libye comme en Syrie, les drones Bayraktar turcs se sont montrés redoutables contre des systèmes anti-aériens de moyenne portée modernes et performants comme le Pantsir-S1

L’histoire aurait pu s’arrêter là, avec un certain équilibre trouvé entre le nombre de systèmes Pantsir détruits et le nombre de drones abattus. Cela aurait déjà donné suffisamment de sueur froide dans certains états-majors occidentaux, trop faiblement équipés pour se prémunir des attaques de drones, même rudimentaires. Cependant, la guerre civile libyenne est un conflit sous perfusion, alimenté en technologies, en hommes et en matériel par des acteurs étatiques situés le plus souvent à des milliers de kilomètres de là. Ce qui soulève à nouveau son lot d’inquiétude, y compris pour l’avenir des opérations aériennes occidentales.

Russie, Turquie, monarchies arabes : l’ambition croissante des acteurs régionaux

Dans un premier temps, de nombreux pays occidentaux ayant participé à l’intervention de 2011 contre le régime de Kadhafi ont apporté un soutien plus ou moins discret et direct à l’un ou l’autre des camps opposés en Libye, que ce soit par le biais d’opérations spéciales conjointes, de missions de formation, de renseignement ou de livraisons d’armes. Pour la France, les Etats-Unis et le Royaume-Uni, les opérations clandestines menées en Libye avaient notamment pour but de rester informé au cas où une nouvelle intervention occidentale devait avoir lieu, notamment contre les positions de l’Etat Islamique dans la région de Syrte.

Finalement, face à la complexité de la situation en Libye et à leurs propres dissensions internes, les pays européens et les Etats-Unis n’interviendront pas une seconde fois en Libye, privilégiant la recherche de solutions diplomatiques et les manœuvres en sous-main. Ce recul des principales puissances interventionnistes dans la région (USA, France, Royaume-Uni et Italie) a ainsi rapidement laissé la place à de nouveaux acteurs régionaux. Dès le début du conflit, en 2014, l’Egypte réalise des frappes aériennes sur des positions islamistes, Le Caire craignant que son grand voisin occidental ne tombe aux mains des Frères Musulmans, récemment chassés du pouvoir en Egypte par le Maréchal Al-Sissi.

mirage2000 9 EAU Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Des Mirage 2000-9 des Emirats Arabes Unis ont déjà opérés en Libye.

Mais le conflit libyen dépasse très rapidement les seuls pays limitrophes d’Afrique du Nord. En effet, l’Egypte est soutenue dans ses démarches par les Emirats Arabes Unis, qui effectuent plusieurs raids sur la Libye avec leurs Mirage 2000-9. L’Egypte et les Emirats deviennent rapidement les principaux alliés directs de l’ANL du maréchal Haftar, les forces aériennes des deux pays opérant depuis des bases égyptiennes, tandis que des drones et des avions de soutien aérien émiratis sont déployés progressivement sur le sol libyen.

De plus, l’ANL obtient rapidement le soutien financier et politique de l’Arabie Saoudite, qui voit dans l’islamisme politique des Frères Musulmans une véritable menace idéologique et sécuritaire. Enfin, si Moscou appelle officiellement les deux camps libyens à la retenue, la Russie participe très directement au renforcement de l’ANL, notamment à travers les mercenaires du groupe Wagner. Pour Moscou, l’intérêt est de retrouvé, sur le long terme, un point d’appui solide en Méditerranée, mais aussi d’obtenir une victoire diplomatique en devenant le principal soutien international du maréchal Haftar, devant Paris et Washington.

Risque d’escalade : quand la guerre hybride peut devenir un conflit de haute intensité

Suite à l’offensive de l’ANL sur Tripoli, en avril 2019, le conflit libyen prend rapidement une autre ampleur. Si le GNA de Fayez al-Sarraj se targue d’être le gouvernement légitime reconnu par l’ONU, il peine à trouver des soutiens internationaux parmi les principaux acteurs historiques de la région. Acculé par les forces du maréchal Haftar, le GNA trouve cependant son salut auprès d’Ankara et de Doha. En effet, la Turquie et le Qatar, alliés au Moyen-Orient et proches de la mouvance des Frères Musulmans, ont à la fois des intérêts politiques et économiques en Libye, dont les ressources pétrolières et gazières off-shore cristallisent une partie des enjeux sur place, et des intérêts géopolitiques de plus grande échelle. Ainsi, pour Ankara, le soutien au GNA est une façon de prolonger la rivalité qui oppose le pays à l’Egypte, tandis que Doha cherche avant tout à contrer l’influence saoudienne et émiratie.

Libye US African Command Al Jufra Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le commandement américain pour l’Afrique (AFRICACOM) a dévoilé des images montrant des MiG-29 et des Su-24 déployés au Nord de la Libye. Aucune armée de l’air opérant dans la région n’utilise ces appareils. Leur origine exacte reste mystérieuse, les appareils ayant pu transiter par l’Iran et la Syrie.

Sur le terrain, cela s’est traduit par l’apport de nombreux systèmes de défense aériennes mais aussi des drones d’attaque, dont les fameux Bayraktar turcs. Les forces aériennes qatarie et turque ont également été largement mobilisée dans le cadre d’un pont aérien massif vers Tripoli, Ankara déplaçant notamment de très nombreux miliciens syriens vers le théâtre libyen. Enfin, si les « combats aériens » ont surtout consisté jusqu’à présent à détruire les drones adverses par des frappes de drones ou des missiles anti-aériens, Ankara menace désormais bien plus directement les moyens aériens déployés en soutien au maréchal Haftar. Des navires de combat sont déployés de plus en plus régulièrement pour escorter les convois de matériel mais aussi pour assurer une certaine interdiction aérienne au-dessus de Tripoli. De plus, Ankara dispose d’une flotte conséquente de chasseurs F-16 et F-4, certains équipés de missiles de croisière. Epauler par des ravitailleurs et des AWACS, les chasseurs turcs peuvent intervenir en quelques heures pour des opérations de frappe ou de supériorité aérienne.

Cette capacité de projection inquiète tout particulièrement ces derniers jours, puisque la force aérienne d’Ankara pourrait éventuellement être mise à contribution face à l’émergence d’une nouvelle force aérienne de l’ANL, apparue subitement ces derniers jours. En effet, un certain nombre de chasseurs MiG-29 et de bombardiers Su-24 venus de Russie, via une base en Syrie, ont été transférés aux forces du maréchal Haftar, dans le but affiché de contrer la présence turque sur place. Selon l’ampleur finale de ces nouveaux moyens aériens, et leur efficacité au combat, les frappes de drones et de missiles anti-aériens du GNA pourraient être insuffisants, ce qui pourrait conduire Ankara à recourir directement à sa force aérienne, y compris face aux Mirage et F-16 égyptiens et émiratis, le cas échéant. Une escalade qui pourrait rapidement envenimer les tensions diplomatiques au Moyen-Orient, notamment entre le Qatar et les EAU, et entre l’Egypte et la Turquie.

Vers un déclassement des moyens aériens occidentaux ?

Pour les forces occidentales, qui ont été les seules à brandir efficacement la menace de supériorité aérienne pendant les trois dernières décennies, cette seule possibilité d’escalade est en soit effrayante. Elle démontre en effet qu’une guerre civile, résultante ultime des frappes aériennes occidentales de 2011, dispose désormais d’un potentiel d’embrasement bien au-delà de sa sphère géographique directe. Si cela n’a rien de nouveau en soit, la plupart des conflits par proxy de la Guerre Froide n’impliquaient que les deux superpuissances (USA et URSS) ou d’anciennes puissances coloniales, et pas des puissances régionales.

Maquette de lIM SHORAD americain Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Doté de missiles Stinger et Hellfire, le SHORAD américain répondrait en partie aux menaces représentées par des drones et des hélicoptères. Les grandes puissances de l’OTAN manquent cependant de moyens anti-aériens mobiles plus lourds, aptes à affronter des attaques saturantes de drones ou des avions de combat lourds, comme le MiG-29 ou le Su-24

Désormais, avec le déploiement de chasseurs-bombardiers modernes « maquillés », le conflit libyen montre aux puissances occidentales intermédiaires (France et Royaume-Uni notamment) qu’une intervention de faible intensité peut très rapidement se transformer en conflit plus important. Pire encore, l’implication directe et indirecte de puissants alliés trans-régionaux peut conduire à contester la supériorité aérienne jusqu’ici acquise aux pays occidentaux. Pour des contingents européens déployés sur un théâtre africain ou au Moyen-Orient, cela imposerait de déployer de moyens aériens et anti-aériens bien plus lourds que ce qui a été fait au cours des différentes interventions des trente dernières années.

Enfin, le transfert d’avions de combat auprès d’un groupe armé non étatique est particulièrement inquiétant, d’autant plus dans un conflit qui recours à de très nombreuses compagnies militaires privées. Entre la situation libyenne et le scandale de Silvercorp USA au Venezuela, le risque est de plus en plus réel de voir des sociétés de mercenaires opérer plus ou moins directement de petites forces aériennes, y compris équipées d’avions de combat.

barkhane mirage 2000 MQ 9 Reaper Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Pour ses opérations dans la bande sahélo-saharienne, l’Armée de l’Air française déploie un petit nombre de Mirage 2000 et de drones Reaper optimisés pour la frappe au sol. Si des opérations devaient avoir lieu dans un contexte similaire à celui de la Libye, cela imposerait de déployer un nombre bien plus conséquents d’appareils, dont des Rafale ou des Mirage 2000-5 capables d’assurer la supériorité aérienne.

En soi, compagnies privées et groupes non étatiques n’auront jamais la capacité d’aligner des forces aériennes semblables à celles des USA, de la France, du Royaume Uni ou de l’Italie. Mais elles pourraient bien ne pas en avoir besoin. Avec près de 200 avions de combat en ligne, l’Armée de l’Air française peine déjà à trouver les ressources logistiques pour déployer des contingents de 6 à 10 appareils sur chacun des théâtres d’opérations extérieures dans lesquelles la France est engagé. Pour un proto-état craignant une intervention française ou européenne, il suffirait alors d’aligner une douzaine d’avions de combat rudimentaires mais efficaces, comme le MiG-29, épaulés par des drones et des batteries anti-aériennes, pour compliquer grandement un déploiement occidental. Les moyens aériens nécessaires pour contrer cette menace pourront sans doute être trouvés, mais cela se fera au coût d’une pression plus grande sur la chaîne logistique, et obligera peut-être à retirer certains détachements aériens pourtant nécessaire sur d’autres théâtres d’opérations.

De la même manière que les combats entre drones et Pantsir devront pousser les forces occidentales, françaises et britanniques en tête, à revoir leurs dispositifs de défense anti-aérienne lors de leurs futurs déploiements opérationnels, la mise en œuvre d’avions de combat performants par l’ANL pourrait conduire à réévaluer les risques tactiques mais aussi stratégiques (devant le risque d’escalade, notamment) liés à chaque nouvelle intervention à l’étranger.

Du nouveau pour les capteurs des futurs systèmes d’alerte avancée américains

Depuis quelques mois le renouvellement des capacités d’alertes balistiques avancées américaines font l’objet d’un volontarisme affiché. Programme majeur de la nouvelle « US Space Force », compte tenu des nouvelles menaces, le « Next-gen Overhead Persistent Infrared » (OPIR) a passé une étape importante ces derniers jours via la validation des examens préliminaires de conception de la charge utile infrarouge des satellites.

Effecteur principal du futur système satellitaire en orbite géosynchrone, la conception puis le développement des capteurs infrarouges (IR) fait l’objet d’un soin particulier. Conçus et développés de manière concurrentielle par Raytheon Space and Airborne Systems et Ball Aerospace, ils passeront un examen critique d’ici l’automne 2021. La sélection et l’intégration reviendront au constructeur des trois satellites concernés : Lockheed Martin. L’US Space Force compte sur le parallélisme du développement pour tenir son calendrier, le lancement du premier vecteur de constellation en orbite géosynchrone étant prévue pour 2025.

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Les systèmes satellitaires sont utilisés pour l’alerte anti-missiles balistiques depuis le milieu de la Guerre Froide. Certains pays, comme la France, ne disposent cependant toujours pas de ces systèmes pourtant essentiels à la conduite d’une dissuasion crédible.

Les satellites d’alerte IR sont censés détecter la signature thermique d’un départ de tir de missile balistique. Cette première fonction implique une maîtrise du ciblage spatial (GEOINT) et donc l’inscription dans un système multi-domaine (dont des systèmes au sol) d’alerte et d’anticipation (optique, radar, électronique). La précision des capteurs IR, et leur croisement avec d’autres sources, est fondamentale car ils doivent être en mesure de cartographier précisément toutes les manifestations thermiques qu’ils détectent (incendies forestiers, éruptions volcaniques, réflexions solaires sur une montagne enneigée…) afin de les différencier d’un départ de tir réel. Et cela en prenant en compte les risques de leurre et de déception. Enfin, ils sont intégrés à un système C2 (Command and Control) devant leur permettre l’interprétation des données afin d’anticiper les risques et de prévenir la zone visée. L’alerte avancée est donc le socle incontournable de toute Défense Antimissile Balistique Solide (DAMB).

Le programme OPIR doit remplacer entre 2025 et 2029 les satellites du précédent programme Space-Based Infrared System (SBIRS). Cela fait plusieurs mois maintenant que l’évolution du programme fait l’objet d’annonces récurrentes quant à son avancée. Dans un contexte de prolifération de la menace balistique, dont la menace hypersonique, les USA doivent pouvoir compter sur des capacités d’alertes solides. Le futur système OPIR est à ce jour découpé en deux constellations comprenant en tout cinq satellites : une en orbite géosynchrone (trois satellites) et l’autre en orbite polaire (développée par Northrop Grumman) de manière à profiter d’un maximum d’angles de détection en direction des menaces principales. A noter qu’aucune annonce n’a encore été faite pour les charges utiles de la constellation polaire qui sera composée de deux satellites. Même s’il est probable que Raytheon et Ball profiterons de leur avance actuelle pour se positionner.

Par ailleurs le programme OPIR est pensé pour être plus résistant et résilient afin de pouvoir faire face aux menaces contemporaines d’une 4ème dimension aujourd’hui soumise à des menaces de déni d’accès. Peu de détails ont été donnés directement, mais les annonces ces derniers mois du Pentagone sur la musculation des capacités d’antibrouillages ou de défense active (laser d’aveuglement, etc.) laissent peu de doutes sur la nature de ces effecteurs secondaires.

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Les constellations de satellites d’alerte et de communication évoluant sur des orbites hautes ou géostationnaires devraient peu à peu laisser la place à un réseau maillé de microsatellites opérant en orbite basse.

Si le programme est éminemment stratégique pour l’US Space Force, dont il constitue l’un des premier lancement opérationnel et autonome, son rôle réel sera d’assurer la soudure avec la future Architecture spatiale de la Défense nationale (NSDA). Prévues pour œuvrer 10 ans, les constellations devraient laisser progressivement la place au futur réseau maillé proliférant de microsatellites dont l’une des principales capacités sera précisément l’alerte avancée. Cela étant, si la NSDA doit voir ses premiers lancements dans un intervalle de temps similaire à celui d’OPIR, son existence à court terme n’est pas encore garantie à 100%. Une donne qui nécessite un développement pointu du programme OPIR qui pourrait hypothétiquement œuvrer « seul » plus longtemps que prévu.

En définitive, l’appréhension à moyen-terme de l’évolution de la menace géostratégique fait comprendre le caractère incontournable de cette capacité. Longtemps cantonnée à un rôle limité à la dissuasion nucléaire, la prolifération balistique dans ses emplois A2AD (Anti-Acces/Area Denial) notamment antinavires, ou antisatellite, oblige à systématiser l’anticipation des risques et leur détection en cas de conflit de haute ou moyenne intensité. Le caractère hypersonique de la menace ne faisant que renforcer la perception de sa dangerosité pour les forces militaires occidentales marquées par 30 ans de baisse qualitative et quantitative de leurs capacités de DAMB. L’alerte avancée est le fait d’un club très fermé de nations desquelles la France ne fait, curieusement, pas encore partie. Même si la Stratégie Spatiale de Défense publiée en 2019 mentionne bien cet enjeu, la France avait pourtant réussi à développer en 2011 un système de démonstrateurs technologiquement très aboutis et aptes à être déclinés de manière opérationnelle : une capacité unique en Europe. Hélas les coupes budgétaires de défense, proverbiales, eurent raison de ce programme pourtant déjà perçu comme fondamental. A ce jour, aucune annonce n’a encore été explicitement faite en ce sens.

La modernisation du porte-avions Cavour soulève la question de l’utilisation du F-35B en Italie

A la suite d’un long chantier d’entretien et de modernisation de 16 mois, le porte-avions italien Cavour a finalement repris la mer le 6 mai dernier. Principale nouveauté de cette modernisation : le porte-avions est maintenant compatible avec l’avion de chasse F-35B de Lockheed Martin.

Seul problème pour la Marina Militare, l’augmentation du prix du F-35 a contraint Rome à réduire sa dotation en nouveaux avions de chasse furtifs. Sur les 131 appareils prévus en 2008, seuls 90 devraient être commandés. Et seulement 15 F-35B seront réservés à la Marina Militare, contre 22 prévus à l’origine. Cette baisse capacitaire interroge beaucoup la classe politique et les médias italiens, mais aussi la presse internationale, et réveille certaines tensions latentes entre la Marina Militare et l’Aeronautica Militare, l’armée de l’air italienne.

Cavour porte avions Actualités Défense | Aviation de chasse | Coopération internationale technologique Défense
Le Cavour va désormais réaliser une campagne d’essais avec des F-35B aux Etats-Unis, comme le HMS Queen Elizabeth avant lui.

En effet, à l’origine, le Cavour devait être le seul porte-avions italien. Alors que le précédent porte-avions léger italien, le Garibaldi était un navire de 13000 tonnes capable d’embarquer la petite flotte de 18 AV-8B Harrier II, le Cavour est un bâtiment deux fois plus lourd conçu autour d’un groupe aérien comprenant des hélicoptères lourds Merlin et surtout 22 F-35B. Comme le Harrier, le F-35B est un appareil capable de décoller et atterrir verticalement, en faisant l’appareil de référence de l’US Marines Corps et de la Royal Navy, notamment. Plus moderne et furtif, le F-35B est cependant plus lourd, plus performant, et demande plus d’espace à bord des porte-avions légers.

Ces dernières années, cependant, l’insécurité grandissante sur les rives sud de la Méditerranée a poussé l’Italie à se doter rapidement d’un second « porte-avions ». Pour cela, Rome a procédé à une modification rapide du porte-hélicoptère Trieste, alors en cours d’achèvement après son lancement en mai 2019 et destiné à remplacer prochainement le vieux porte-aéronefs Garibaldi. En quelques mois seulement, le Trieste s’est vu équipé d’un tremplin permettant de mettre en œuvre les F-35B de la même manière que sur le Cavour. S’il ne disposera pas de tous les raffinements du Cavour, notamment en matière de capacités de soutien (munitions, carburants, pièces détachées), le Trieste pourra permettre à la Marine Militare de disposer en permanence d’un porte-avions à la mer lorsque le Cavour sera indisponible, et de disposer occasionnellement de deux porte-avions simultanément.

Là où le bât blesse, c’est que la Marina Militare aura déjà bien du mal à armer un seul porte-avions maintenant que sa dotation en F-35B a été ramenée de 22 à 15 appareils uniquement, ce qui limitera sans doute à huit ou dix le nombre d’avions de chasse pouvant être embarqués à bord du Cavour. Une dotation numériquement inférieure à ce qui se faisait sur le Garibaldi deux fois plus léger. Pour comparaison, le Charles de Gaulle français peut s’appuyer sur trois flottilles de 12 Rafale M chacune, tandis que 35 F-35B ont déjà été commandés au Royaume-Uni (138 sont toujours prévus au total) afin d’équiper les deux nouveaux porte-avions de sa Majesté. Pour la Marina Militare la situation est d’autant plus ubuesque que l’Italie va bien acheter 30 F-35B sur les 90 appareils commandés. Seulement, 15 d’entre-eux seront réservés à l’Aeronautica Militare, pour un usage encore très théorique.

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Lorsque l’Italie s’est intéressé au programme JSF F-35, elle comptait en effet acheter à la fois des F-35A à décollage conventionnel pour sa force aérienne et une vingtaine de F-35B à décollage court et atterrissage vertical pour sa marine. Parallèlement à cela, la force aérienne a émis le souhait de percevoir également une quarantaine de F-35B à décollage vertical. L’idée était alors de pouvoir disposer de deux ou trois escadrons d’avions d’attaque capables d’opérer depuis des terrains sommaires en cas de conflit et de destruction des pistes aériennes classiques.

Cette approche, similaire à celle de l’US Marines Corps ou de la Royal Air Force, est cohérente sur le plan théorique, et on retrouve une idée similaire dans l’intérêt de Singapour ou encore de Taïwan pour le F-35B. Dans le contexte des réductions budgétaires, cependant, cette répartition des achats de F-35 n’a plus vraiment de sens, faisant dire à de nombreux observateurs italiens (et à la Marina Militare) que les 15 F-35B prévus pour la force aérienne devraient être reversés à la marine.

En effet, avec uniquement 15 appareils, l’Aeronautica Militare ne pourra mettre en œuvre qu’un seul escadron de F-35B, ce qui n’aura guère d’impact sur la protection du territoire italien. De plus, contrairement à la Royal Air Force ou l’USMC, la force aérienne italienne n’a pas vraiment vocation à être déployée sur des îlots lointains. Enfin, contrairement au Harrier, le F-35B est un avion complexe et fragile. Son utilisation sur des postes avancés et des terrains peu préparés aurait pu être le seul atout dans la manche de la Marina Militare, mais une telle capacité avec les F-35 actuels est aujourd’hui largement sujet à caution.

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Un unique escadron de F-35B, sans capacité navale, n’aura que peut d’utilité opérationnelle pour l’armée de l’air italienne. La solution idéale serait sans doute de gérer en commun les F-35B de la marine et de l’armée de l’air, afin de permettre aux trente appareils d’embarquer à bord des porte-aéronefs italiens

A l’inverse, avec 30 F-35B en parc au lieu de 15, la Marina Militare pourrait être en mesure d’embarquer une vingtaine d’avions de chasse à bord du Cavour, avec une paire d’hélicoptères, lui conférant une capacité comparable (mas tout de même inférieure) à celle du HMS Queen Elizabeth ou du Charles de Gaulle. Il s’agirait cependant d’une capacité exceptionnelle, puisque le Cavour est dimensionné, en temps normal, pour embarquer 16 F-35B (soit plus que la Marina Militare n’en aura en parc !). Avec 30 F-35B, la marine italienne pourrait ainsi embarquer sans problèmes 16 appareils à bord du Cavour et déployer parallèlement quelques appareils à bord du Trieste, ou sur une base avancée à terre. Enfin, pour des déploiements de type « Kandahar », l’impact diplomatique au sein d’une coalition internationale sera le même que les appareils soient de la marine ou de l’armée de l’air italienne.

Ainsi, Rome aurait tout intérêt, sur le plan opérationnel, à transférer la totalité des 30 F-35B à la Marina Militare. Une alternative pourrait également consister à permettre aux pilotes de l’Aeronautica Militare d’opérer à bord des porte-avions, comme c’est le cas pour les F-35B de la Royal Air Force. Dans un cas comme dans l’autre, il restera cependant à convaincre l’Aeronautica Militare, qui a toujours vu d’un très mauvais œil l’existence même d’une aviation embarquée, dont l’existence même était illégale jusqu’en 1989 ! Au-delà des questions internes, il faut également prendre en compte le fait que le F-35, dans son ensemble, a relativement mauvaise presse en Italie, et le Cavour lui-même reste considéré par une partie de la population italienne, douze ans après son entrée en service, comme un navire humanitaire hors de prix. Le débat est donc loin d’être clos en Italie, surtout en ces temps de crise sanitaire et économique.