Selon le site d’information en ligne grecque HellasJournal, les autorités françaises auraient identifié 2 partenaires financiers pour accompagner la Grèce dans le financement lié à la commande des 2 frégates Belh@rra proposées par Paris pour la Marine Hellénique. Il s’agirait, dès lors, d’une avancée cruciale dans ce dossier qui est resté plusieurs années au point mort, malgré le besoin criant de nouvelles unités hauturières de la marine grecque, bloqué par les difficultés budgétaires d’Athènes et une certaine intransigeance européenne face à des besoins de défense avérés et critiques.
Cette nouvelle perspective est, selon le quotidien, lié à l’implication très importante des autorités françaises, et du président Macron, pour mener à terme le partenariat proposé à Athènes, qui couvre, au delà de l’acquisition des 2 frégates, un volet industriel, et un volet opérationnel, avec l’intégration des forces grecques à la force de réaction rapide européenne. Les discussions entre le président français et son homologue grecque nouvellement élu, Kyriakos Mitsotakis, portent également sur la modernisation et la maintenance de la flotte de mirage 2000-5 des forces aériennes grecques, un sujet qui avait été totalement ignoré par le précédant ministre de La Défense du pays.
Les forces aériennes grecques ont acquis 55 mirage 2000 qu’il convient de moderniser et entretenir après des années de vaches maigres
La compétition pour le remplacement des forces de surface hellénique est âpre entre la France et les Etats-Unis, bien décidés à ne pas laisser Athènes se rapprocher à nouveau de Paris. Ainsi, après avoir tenter de placer les frégates australiennes Adélaide équipées de nouveaux missiles américains, Washington tente désormais de convaincre les autorités grecques de se porter acquéreur de Littoral Combat Ship, malgré l’inadéquation flagrante de ces navires avec les besoins de la Marine Hellénique en mer Egée. Il serait également question de proposer la future FFG/X qui n’existe pourtant pas encore, voir de céder des destroyers Arleigh Burke, et même des croiseurs Ticonderoga d’occasion. Autant d’hypothèses mises sur la table par Washington qui montrent l’extreme détermination de l’administration américaine à maintenir Athènes dans son périmètre exclusif.
Quoiqu’il en soit, si la France parvient effectivement à proposer une offre de financement soutenable par les finances publiques grecques, dans un délais raisonnable, et dans l’approche globale de partenariat actuellement soutenue par Paris, on peut raisonnablement espérer une décision favorable dans ce dossier.
Après les Etats-Unis, l’Inde et la Chine, c’est au tour de l’industrie de Défense japonaise de présenter son nouveau canon automoteur sur véhicule à roue, le Type 19, qui ne renie pas sa filiation avec le CAESAR de Nexter, ou plus précisément le CAESAR lourd, la version commandée par les forces danoises. Le nouveau système d’artillerie mobile nippon a été présenté lors de la représentation annuelle de la puissance de feu des forces d’autodéfense terrestres japonaises, qui se tient chaque année sur le polygone de manoeuvre East Fuji à la fin du mois d’aout. Le Type 19 se compose d’un camion tout terrain 8×8 Man, emportant un canon de 155 mm à chargement automatique. L’équipage se limite à 3 militaires dans une cabine blindée pour résister aux projectiles de petits calibres.
En revanche, on ignore tout des performances réelles de ce sytème, que ce soit en terme de portée, de cadence de tir, de précision ou de délais de mise en batterie et de départ. Or, si la mobilité apportée par un véhicule à roue est un des atouts du CAESAR, ce sont surtouts ces derniers paramètres qui en font un système universellement reconnu comme particulièrement performant. Ainsi, il ne faut qu’une minute au CAESAR pour être mise en batterie et faire feu à plus de 30 km, 40 km avec les obus BONUS, avec une cadence de tir de 6 à 8 obus par minute, et avec une précision exceptionnelle, même avec des munitions classiques non guidées. Il faudra donc attendre d’en savoir plus sur les performances du Type 19 pour en faire, ou pas, un concurrent du système de Nexter.
Le CAESAR lourd de Nexter offre un très haut degré d’automatisation et une protection étendue des équipages adaptée à l’emploi dans un contexte de haute intensité
Il n’empêche qu’il n’est pas si courant de voir l’industrie du pays du soleil levant s’inspirer de systèmes tricolores. Cela en dit long, s’il était encore besoin de le faire, sur l’excellence de la conception du CAESAR. On ne peut que souhaiter à Nexter et ses partenaires une réussite similaire pour les EBRC et les VBMR, eux aussi des blindés proposant une approche innovante vis-à-vis des équipements occidentaux traditionnels. Ainsi, l’EBRC Jaguar se rapproche davantage d’un véhicule d’engagement de l’infanterie hyper-mobile, tel un Terminator 2 russe sous stéroïdes, que d’un char léger occidental, là ou le Griffon, et le futur Serval, apportent des capacités de véhicules de transport de troupe blindés et connectés au prix d’un camion tout-terrain. Si l’industrie française est dramatiquement peu présente du marché des véhicules blindés chenillés, elle peut, sans rougir, se targuer d’un niveau d’excellence rarement égalé lorsqu’il s’agit des blindés à roues.
Dans son effort pour atteindre la barre fatidique des 2% de PIB alloués au financement de sa Défense en 2025 requis par l’OTAN, Prague vient d’allouer une enveloppe globale de 100 milliards de couronnes, soit 4 Md€ à ses forces armées, pour financer le plus important plan de modernisation de l’histoire de la République Tchèque. Ce plan permit notamment de financer l’acquisition de 62 véhicules blindés de transport de troupe TITUS auprés du français Nexter, pour un montant de 237 m€, et de financer l’acquisition de 200 véhicules de combat d’infanterie chenillés pour 2 Md€, la compétition pour ce contrat voyant s’affronter BAe et son CV90, Rheinmetall avec le Lynx, et l’américain General Dynamic avec l’Ascor.
Les forces armées Tchèques doivent également remplacer leurs hélicoptères Mi-35 et Mi-17 hérités du pacte de Varsovie, dont l’immense majorité des exemplaires ne sont plus en état de voler. Le choix s’est porté sur l’acquisition de 8 hélicoptères de manoeuvre UH-1Y Venom et 4 hélicoptères d’attaque AH-1Z Viper, deux appareils du constructeur américain Bell en service dans l’US Marines Corps, pour un montant de 623 m$. Les appareils sont attendus en 2023 par les forces tchèques, délais qui sera mis à profit pour la formation des personnels et le déploiement des nouvelles infrastructures indispensables à la mise en oeuvre des nouveaux appareils.
Le Bell UH-1Y Venom a gardé la silhouette du fameux Huey en service lors de la guerre du Vietnam
Le Bell UH-1Y Venom est le dernier représentant de la lignée des UH-1 Huey rendus célèbres par leur emploi massif durant la guerre du Vietnam. Mais avec ses 2 turbines de 1300 Cv et son rotor quadripales, et ses nouveaux systèmes de bord, le Venom n’a plus grand chose en commun avec son aïeul, et peu emporter une charge deux fois plus importante sur une distance et une vitesse 50% supérieure à l’UH-1N. Il a, en outre, 84% de ses pièces détachées qui sont communes à l’AH-1Z Viper, ceci expliquant en parti le choix de Prague pour ce « Bundle ». Le Viper est lui aussi dérivé d’un hélicoptère rendu célèbre par la guerre du Vietnam, l’AH-1 Cobra, premier gunship en service dans les forces américaines. le nouvel appareil, qui sert également dans l’US Marines Corps comme le Venom, a également des performances très améliorées vis-à-vis des versions antérieures, et peu emporter un très large panel d’armements, allant du missile antichar Hellfire au missile Air-Air AIM-9X Sidewinder.
Il s’agit évidemment d’une déception pour les constructeurs européens, Notamment Airbus Helicopters qui espérait pouvoir placer H225M Caracal, et Agusta-Westland qui nourrissait des ambitions pour son A-129 Mangusta. Mais il faut dire que les Européens ne se sont pas montrés très enclins à soutenir l’industrie aéronautique tchèque, et notamment Aero Vodochody, qui fabrique l’avion d’entrainement L-39 NG. Ainsi, l’avion qui a été totalement ignoré par l’Armée de l’Air française lors de la compétition qui mena à l’acquisition de Pilatus. En conséquence, l’usine qui fournit durant l’époque soviétique l’essentiel des aéronefs d’entrainement du pacte de Varsovie est aujourd’hui limitée à des missions de sous-traitance pour l’industrie aéronautique, principalement américaine, et à des petites commandes comme celle du Sénégal portant sur 4 L-39NG. En outre, Prague tente visiblement d’être pragmatique dans ses acquisitions, et d’acquérir des systèmes européens (JAS-39 Gripen, Titus) et Américain (AH-1Z et UH-1V) de façon équilibrée.
Malgré ses qualités et son rapport performances-prix, le L-39NG n’a pas rencontré de succès en Europe, en dépit d’un besoin importants d’appareils d’entrainement modernes rapides
Il faut donc être mesuré dans la perception que l’on peut avoir de cette commande, qui certes échappe aux européens, mais non sans raisons.
Enjeu d’une compétition stratégique depuis des décennies, la guerre électronique est toutefois fort peu connue hormis pour quelques spécialistes triés sur le volet. Alors que l’infovalorisation des données et les communications à haut débit sont devenues des axes de developpement majeurs pour la majorité des armées modernes, les capacités de guerre électroniques, qu’elles soient offensives ou défensives, ont toutefois été longtemps ignorées des armées occidentales, car elles représentaient un enjeu minimal dans les conflits de basse intensité et anti-insurrectionnels auxquelles elles ont fait face pendant 20 ans.
A l’inverse, la Russie, en digne héritière de la doctrine soviétique déjà fort dynamique en matière de guerre électronique, n’a cessé de moderniser ses outils et ses doctrines, et les a testés lors d’engagements de façon récurrente, que ce soit en Tchétchénie, en Géorgie, plus récemment dans le Donbass et en Syrie, ainsi que lors d’exercices et de manoeuvres à proximité des frontières de l’OTAN. Et la détermination russe semble s’avérer payante puisqu’aujourd’hui, l’US Army est contrainte de developper en urgence plusieurs programmes pour tenter de reprendre l’avantage dans les domaines de la guerre électronique et numérique qui conditionne l’ensemble des engagements modernes de moyenne et haute intensité aujourd’hui.
Parmi les programmes en cours de developpement, le Electronic Warfare Planning and Management Tool, ou EWPMT, semble le plus prometteur pour apporter une réponse à moyen terme aux besoins urgents des forces US. Développé à la demande du commandement US des forces déployées en Europe à partir de 2014, l’EWPMT de Raytheon est un système ouvert qui permet de collecter et de fusionner les données en provenance des équipements individuels VMAX ou sur véhicule VROD, et de contrôler les systèmes de brouillage Sabre Fury, pour contrôler l’environnement électromagnétique défensif et offensif sur le champs de bataille. Il peut également faire appel aux systèmes d’appui feu pour éliminer des menaces électromagnétiques ou cyber.
Le Système VMAX de guerre électronique portable pèse, batteries incluses, 35 kg
Mais contrairement aux systèmes russes qui équipent déjà les unités en nombre, l’EWPMT n’est encore qu’en phase de developpement, et ne devrait pas entrer en service avant plusieurs années. A ce titre, la Général Administration Organization, ou GAO, l’équivalent de la cours de compte aux Etats-Unis, avait jugé en 2018 que l’effort de l’US Army dans le domaine de la guerre électronique et numérique manquait sensiblement de moyens, notamment humains, au risque de rendre l’ensemble des capacités de l’US Army inefficace.
Le décrochage constaté de l’US Army face à la Russie dans le domaine de la guerre électronique est particulièrement mis en lumière par ses efforts pour tenter de mettre en oeuvre des parades face aux brouillage des signaux GPS menés par la Russie, et en particulier face aux opérations de Spoofing, consistant à faire dériver la précision de la localisation GPS. L’efficacité des systèmes russes dans ce domaine particulier n’est plus à démontrer, et semble même avoir été exportée, puisque la destruction du drone RQ-4 par La Défense anti-aérienne iranienne en juin semble être liée à un signal GPS altéré. Or, le GPS est devenu aujourd’hui un outil indispensable à l’emploi de très nombreux équipements, que ce soit pour la navigation des véhicules ou des aéronefs, comme pour le guidage des munitions de précision.
Pour pallier cette menace, les ingénieurs américains et occidentaux développent en urgence plusieurs solutions, allant du couplage des systèmes de guidage avec un système inertiel, à l’emport d’horloges atomiques miniaturisées optent à prendre le relais si elle venait à constater un écart avec les signaux transmis dans la trame GPS. L’US Army développe également, pour ses fantassins, un système inertiel portable comparable à un podomètre, pour détecter des écarts anormaux entre le signal GPS reçu et les données de la centrale inertielle. En effet, le Spoofing est difficile à détecter pour le système qui en est la victime. Une fois informé du manque de fiabilité du signal GPS, les personnels peuvent alors recourir à d’autres formes de localisation et de navigation, certes moins précises dans l’absolu, mais insensible aux brouillages adverses. La Carte et la boussole ont encore de beaux jours devant eux !
Le système de guerre électronique Borisoglebsk 2 russe permet de travailler sur un spectre de fréquence très étendu, et semble notamment être en mesure d’altérer les signaux GPS (spoofing)
Si la Russie, la Chine, et donc les Etats-Unis, sont désormais tous 3 engagés dans une forme de course technologique dans le domaine de la guerre électronique et numérique, on ne peut que remarquer l’absence de prise en compte de ce domaine dans les armées européennes, et particulièrement dans les armées françaises. Comme pour la Défense anti-aérienne rapprochée (SHORAD), les systèmes anti-radars, ou les systèmes de protection actifs des blindés, l’accompagnement des forces dans le domaine de la guerre électronique fait parti des grands absents de la LPM 2019-2025, affaiblissent encore davantage, s’il en était besoin, les capacités d’engagement des forces françaises en matière de combat de haute intensité. Difficile, dans ces conditions, de faire des procès d’intentions aux Baltes, Polonais, Tchèques ou Roumains, qui privilégient par leurs acquisitions la coopération avec les forces américaines, eu égard aux défaillances flagrantes des grandes forces militaires européennes dans les domaines qui touchent à la haute intensité, comme la guerre électronique …
Le Patrouilleur Hauturier (OPV) P625, baptisé SLNS Parakramabahu, est entré en service dans la Marine Sri-Lankaise lors d’une cérémonie qui s’est tenue le 22 aout en présence du président Maithripala Sirisena. Ce navire n’est autre qu’une frégate chinoise Type 053H2 construite en 1990 et reconditionnée en OPV, qui a été offerte par la Chine aux autorités Sri-Lankaise.
Contrairement à la frégate d’origine, le P625 s’est vu dépossédé de ses missiles anti-navires et anti-aériens, ainsi que, selon toute probabilité, de ses tubes lance-torpilles et d’une partie de ses senseurs, comme le montre les photos publiées lors de la cérémonie. Il conserve toutefois son canon double automatique de 100mm et ses 4 canons de 30mm, un armement somme toute très respectable pour un OPV destiné, selon la Marine Sri-Lankaise, aux missions de sécurité maritime et d’assistance hauturière.
Avec la fin de la livraison des 30 frégates Type 054/A, et le début de la construction des modèles Type 054B, la Marine Chinoise se trouve disposer d’un nombre importante de bâtiments relativement récents, comme les Type 053H2 entrés en service au mieux des années 1990, mais obsolètes au regard des nouveaux navires qui entrent massivement en service, et qui disposent d’armements, de senseurs et de systèmes de combat d’une toute autre génération. De fait, il est aisé pour les autorités chinoises de proposer ces navires en version « dégradée » gratuitement à ses partenaires, notamment pour se garantir de leur fidélité dans le projet des nouvelles routes de la Soie.
Mais, même offerte, l’opération peut s’avérer financièrement interessante pour l’économie Chinoise. En effet, outre la maintenance des bâtiments, qui nécessite un approvisionnement régulier en pièces détachées, les autorités chinoises font également l’économie de la décontraction du navire, une entreprise souvent couteuse, surtout pour des bâtiments anciens souvent flocker à l’amiante nécessitant des précautions importantes. Surtout, dans le cas de Marines émergentes, cela permet de former les personnels sur des systèmes et des équipements d’origine chinoise, favorisant grandement les offres de Pékin lorsqu’il s’agira d’acquérir des bâtiments neufs ou des occasions plus récentes, ou plus lourdes.
6 des 8 frégates Type 21 construites pour la Royal Navy furent cédées à la Marine Pakistanaise
Les britanniques se sont fait une spécialité de cette approche, en proposant systématiquement leurs bâtiments au delà de 20/25 ans à leurs alliés sur le marché de l’occasion. C’est ainsi qu’un nombre très important de Marines occidentales et alliés furent équipées de frégates Type 21 Amazon (6 unités vendues au Pakistan) et 22 Broadsword (7 unités vendues au Brésil (4), à la Roumanie (2) et au Chili (1)) lors de l’entrée en service des Type 23, alors que les navires avaient à peine plus de 20 années de service. Les recettes ainsi dégagées permirent de financer quelques Type 23, et la maintenance des quelques 13 frégates cédées permit aux chantiers navals et équipementiers britanniques de maintenir une activité récurrente supplémentaire lorsque les commandes nationales se firent plus rares.
De même, 21 des 51 frégates O.H Perry de l’US Navy furent cédées ou données aux marines Turques, Pakistanaises, Polonaises, Egyptiennes et du Bahrain. Mais à la différente des chinois, les autorités américaines ne jugèrent pas utile de remplacer leurs O.H Perry dans les années 90, engendrant le déficit opérationnel actuel dans le domaine ASM de l’US Navy, que le programme FFG/X doit combler en urgence.
A ce titre, le modèle « Socle Défense », montre que la mise sur le marché de l’occasion des unités navales au bout de 20 années de service, permettait d’optimiser très sensiblement l’emploi de l’outil industriel sur le long terme, avec d’importants gains de productivité et de prix à la clé, et le renforcement sensible de la prédominance sur le marché international. Associé à la doctrine Défense à Valorisation Positive, il permet de financer la construction d’une flotte (navale comme aérienne ou de blindés) sensiblement plus importante, beaucoup plus performante et moderne, sans surcout pour le budget de l’Etat.
En 2016, sous l’égide des Etats-Unis, les gouvernements japonais et sud-coréens signèrent un protocole de coopération renforcée en matière de renseignement au sujet de la Corée du Nord. Cela permit aux deux pays d’échanger rapidement des informations cruciales sans devoir passer par les Etats-Unis, comme c’était précédemment le cas. Mais cette coopération n’aura pas subsisté plus de 3 ans entre les deux frères ennemis de la zone Pacifique.
En effet, le gouvernement sud-coréen vient d’en annoncer son retrait, une mesure de rétorsion qui fait suite à la rétrogradation par le Japon du pays dans la hiérarchie des partenaires commerciaux privilégiés, limitant de fait les possibilités d’approvisionnement de Séoul en composants et matériaux primaires, indispensables à son industrie de haute-technologie.
Cette annonce n’est qu’un nouveau rebondissement dans les relations chaotiques qu’entretiennent les deux dragons asiatiques depuis des décennies. La Corée du Sud, et sa population, sont toujours très vindicatives vis-à-vis de l’invasion japonaise de la péninsule dans les années 20, et des très nombreuses exactions que les forces d’occupation nippones firent durant cette période. Ce sentiment a été par ailleurs exacerbé depuis l’élection du nationaliste Shinzo Abe au poste de premier ministre du Japon, avec un discours qui flirte parfois avec le révisionnisme et la nostalgie de la grandeur impériale nippone perdue.
Les Etats-Unis déploient en permanence plus de 80.000 hommes dans la zone Pacifique. Ici la base américaine d’Okinawa
Ce regain de tension n’est cependant pas une bonne nouvelle pour la région. En effet, et comme s’en faisait l’apologie le rapport du Think tank australien United States Studies Centre présenté hier, la coopération des grandes puissances de la zone Pacifique, à savoir l’Australie, la Corée du Sud et le Japon, est jugée indispensable pour contenir l’accroissement très rapide de la puissance militaire et navale chinoise en cours. En outre, la Corée du nord a démontré ces deniers semaines sa capacité à mettre en oeuvre un nouveau modèle de missile balistique à courte-moyenne portée dont le profil de vol pose d’immenses problèmes à La Défense anti-missiles américaine, et donc japonaise et sud-coréenne, utilisant les mêmes systèmes THAAD, Aegis et Patriot. Dans ces conditions, le raccourcissement des délais d’échange d’informations, comme l’amélioration de la coopération opérationnelle entre les forces des deux puissances militaires asiatiques, s’avèrent indispensable pour anticiper et, le cas échéant, réagir, à une provocation ou une attaque, de la part de Pyongyang.
En tout état de cause, la situation sécuritaire actuelle n’est certainement pas adaptée à ce type de tensions entre alliés, et Washington, qui assure La Défense des deux pays, notamment via l’équilibre des forces de dissuasion avec la Corée du nord et la Chine, aura probablement des arguments forts à partager avec ses deux partenaires pour tenter de les ramener vers de meilleures dispositions, notamment à l’occasion du G7 qui se tient ce week-end à Biarritz, en présence du président Trump et du premier ministre Abe.
Il y a des annonces qui, à elles seules, en disent long sur les mouvements profonds qui modèlent la géopolitique internationale. Et celle faite non sans fierté par l’Agence TASS, au sujet de la livraison de 8 nouveaux sous-marins à la Marine Russe entre 2019 et 2020, en est une.
En effet, les forces navales russes vont percevoir le SNA Type 885M Prince Vladimir et le SSK à propulsion conventionnel du programme 636.3 Improved Kilo Petropavlovsk-Kamchatsky d’ici la fin de l’année, alors qu’elles recevront en 2020 le SNLE Prince Oleg, premier représentant du programme 955A Borei A, les SNA Kazan et Novosibirsk du programme 885M Iassen, le sous-marin nucléaire pour les opérations spéciales du programme 09852 Belgorod, ainsi que les SSK Volkov (programme 636.3 Improved Kilo) et Kronshtadt, tête de série du programme 677 Lada.
Si l’agence TASS annonce qu’il faut remonter à 1992 pour assister à la livraison de 6 sous-marins sur une seule année, on ne doit pas omettre que plusieurs de ces bâtiments ont subit d’importants retards de livraison, comme le Kazan reporté de plus d’un an, ou le Kronshtadt, qui a plus de 5 années de retards. Il n’empêche que l’entrée en service de ces 8 submersibles va sensiblement renforcer la puissance de la flotte russe, et ce dans l’ensemble du spectre, allant de la dissuasion aux missions spéciales et conventionnelles.
Les sous-marins à propulsion conventionnelle (SSK) du programme 636.3 Improved Kilo sont considérés comme de redoutables adversaires par les marines occidentales
Comme la Chine, et à l’inverse de la France, du Royaume-unis, et des Etats-Unis, la marine russe n’a pas fait l’impasse sur la construction de sous-marins conventionnels en parallèle de celles de bâtiments à propulsion nucléaire. Et bien leur en a pris, semble-t-il. En effet, selon plusieurs déclarations officielles, notamment britanniques et américaines, les sous-marins du projet 636.3, connus en Europe sous la référence Improved Kilo, représenteraient aujourd’hui le plus haut niveau de challenge pour La Défense anti-sous-marine de l’OTAN. Et il en va de même des Type 039 à propulsion anaérobies de la marine chinoise. Ces submersibles, extrêmement discrets, ont la faculté de n’émettre aucun bruit résiduel lorsqu’ils évoluent sur batteries à faible vitesse, en faisant des armes redoutables pour contrôler les voies maritimes. Les SNA ont certes une autonomie et des performances bien plus importantes, mais le refroidissement du réacteur nucléaire engendre des mouvements de fluides et des bruits de pompes qui, même s’ils sont désormais très atténués, ne sont pas aussi discrets que les SSK les plus modernes. En outre, la formation d’équipages qualifiés sur réacteurs nucléaires est un processus long, et de plus en plus difficile, eu égard à la demande forte vis-à-vis de ce genre de compétences dans l’industrie énergétique mondiale.
La Marine russe devrait continuer son effort de modernisation dans les années à venir, avec la commande récente de 2 SNLE Borei A et de 2 SNA Iassen annoncée il y a peu, alors que 4 Borei A et 5 Iassen sont déjà en construction, en attendant la future classe Husky destinée à remplacer les SNA Akula actuellement en service. En revanche, les constructions à venir de SSK sont encore incertaines, avec un unique 636.3 et deux 677 restant à livrer, sans que des commandes supplémentaires n’aient encore été annoncées. Toutefois, l’annonce faite il y a peu d’une percée dans les technologies AIP, un des gros points faibles de l’industrie sous-marine russe jusqu’ici, devrait engendrer une commande de nouveaux sous-marins 677 Lada équipés de cette technologie, pour remplacer les plus anciens sous-marins de la classe Kilo qui arrivent en limite d’âge.
Les sous-marins pouvant mettre en oeuvre le missile de croisière 3M54 Kalibr, comme les 636.3, pourront également mettre en oeuvre le 3M22 Tzirkhon
Le developpement des nouveaux sous-marins russes s’accompagne également de celui de nouvelles munitions, comme la torpille océanique nucléaire Poseidon qui équipera certains Iassen, ou le missile anti-navire hypersonique 3M22 Tzirkhon qui équipera tous les SNA et SSK modernes de la marine russe d’ores-et-déjà capables de mettre en oeuvre le missile de croisière 3M54 Kalibr. En tout état de cause, la menace potentielle que représente la sous-marinade russe n’est pas destinée à s’amenuiser dans les années et décennies à venir.
Le Think-Tank australien United States Studies Centre de l’université de Sidney a publié un rapport très détaillé sur l’avenir du rapport de force entre les Etats-Unis et ses alliés, et la Chine dans les années à venir dans le zone Indo-Pacifique. Et ses conclusions sont pour le moins pessimistes. En effet, selon l’étude menée, s’attachant à détailler de nombreux aspects stratégiques des deux forces en présence, la trajectoire suivie par la Chine aujourd’hui lui confère d’ores-et-déjà un ascendant politique et militaire de plus en plus sensible lorsque l’on se rapproche du pays, ascendant qui pourrait bien se globaliser dans les années à venir faute d’une réaction rapide et ambitieuse de la part de Washington.
Le rapport met ainsi en lumière la progression constante et parfaitement maitrisée par Pékin concernant la modernisation de ses forces armées engagée dans les années 2000, et accélérée depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012. Ainsi, entre 2014 et 2019, les forces aériennes chinoises ont reçu prés de 250 avions de combat de 4eme génération et plus, avec 837 appareils en parc à la mi-2019. Elles en avaient moins de 300 en 2009. Le nombre de sous-marins et de navires de surface a cru dans des proportions comparables, passant ainsi de 10 frégates et destroyers modernes en 2009, à 48 aujourd’hui. La modernisation de la puissance militaire chinoise est particulièrement sensible aux vues de la progression du nombre de systèmes stratégiques, avec l’arrivée massive de missiles balistiques intercontinentaux et de moyenne portée, ainsi que de missiles de croisières, quasiment absents de l’inventaire chinois il y a 15 ans.
En 10 ans, les sous-marins d’attaque américains auront passé 1.891 jours, soit 61 mois, à attendre à quai le début de leurs programmes d’entretien programmé.
A l’inverse, l’étude de la courbe de progression de la puissance militaire américaine sur une vingtaine d’années est pour le moins inquiétante. Ainsi, les investissements en matière d’équipements et de recherche ne représentent désormais plus que 30% du budget de La Défense US, là ou ils en représentaient 50% il y a 30 ans. En outre, les instabilités et divergences politiques entravent considérablement l’exécution des programmes et la sérénités indispensables à la construction d’un outil de défense efficace. On remarque par exemple que sur les 10 dernières années, le Pentagone a fonctionné pendant 1185 jours, plus de 3 ans, en régime budgétaire dérogatoire, alors que ce régime ne représentait que 220 jours sur la décennies précédentes. L’ensemble des dysfonctionnements politiques et stratégiques auxquels ont fait face les forces armées américaines ont, de fait, très sévèrement entamé l’efficacité globale de l’outil de défense US, le rapport australien le jugeant aujourd’hui « Atrophié ». Et de conclure que sans modifications profondes des trajectoires actuelles, ainsi que des postures politiques américaines, la Chine sera dans un avenir proche en capacité d’imposer ses volontés sur le théâtre indo-pacifique, par une stratégie de faits-accomplis qui a déjà montré son efficacité. La référence à Taiwan est à peine voilée …
L’étude comparée de la puissance militaire US et chinoise menée par le Think tank australien pourrait parfaitement servir de trame à une étude similaire concernant l’OTAN et la Russie, avec des conclusions sensiblement identiques à court et moyen termes. Car les maux qui ont touché les forces américaines ces 20 dernières années n’ont nullement épargné les forces européennes. Rappelons nous ainsi des budgets de La Défense français intégrant des « recettes exceptionnelles » pour financer les programmes d’équipements, recettes qui évidemment n’atteignaient jamais les objectifs annoncés, et qui engendrèrent d’importants reports, réductions de format et d’équipements pour, au final, couter aussi cher, sinon plus, aux contribuables, avec un résultat largement amoindri.
La Corée du Sud construit une flotte de haute mer de premier plan pour faire face aux enjeux sécuritaires à venir
A l’inverse des Européens, les pays de la zone Pacifique, que ce soit l’Australie, le Japon ou la Corée du Sud, semblent parfaitement conscients de l’évolution très rapide de la situation sécuritaire en cours dans la zone indo-pacifique comme dans le monde. Ces 3 pays ont annoncé, ces dernières années, un renforcement massif de leurs investissements de Défense, a l’instar de la Corée du Sud qui va augmenter de 40% son budget Défense entre 2020 et 2024, du Japon qui fait progresser le budget de ses forces d’autodéfense de plusieurs points chaque année depuis 10 ans, ou de l’Australie qui, dans la décennie à venir, va constituer une flotte sous-marine et de surface supérieure à celle de n’importe quelle marine européenne. Et ces 3 pays seront a mème de mobiliser en 2035 des forces navales, aériennes et terrestres équivalentes voire supérieures à celles dont les Etats-Unis disposeront dans la zone, de sorte à pouvoir, si pas neutraliser la puissance chinoise montante, tout au moins disposer des forces suffisantes pour dissuader tout aventurisme excessif..
Un exemple qu’il serait bon de méditer en Europe ….
Lors du Salon Africa Aerospace & Defense 2018, la société chinoise China Shipbuilding and Offshore international Company, ou CSOC, présentait la maquette d’un nouveau drone de combat naval de petite dimension disposant d’une capacité de combat comparable à celle d’un « mini Arleigh Burke », du nom de la classe de destroyers qui forment l’ossature de l’US Navy, et universellement reconnu comme un excellent navire polyvalent, capable de répondre à l’ensemble des scénario, et même de résister à une pandémie virale mondiale.
Et le fait est, le JARI, long de seulement 15 mètres et ne jaugeant que 20 tonnes, dispose de capacités annoncées assez remarquables. Ainsi, le drone peut atteindre les 42 noeuds grâce à une propulsion par pulso-jet, et dispose d’une autonomie de 500 miles. Surtout, il emporte une panoplie d’armements et de détecteurs proprement remarquable, avec un canon de 30 mm anti-aérien et anti-surface, 2×4 silos verticaux pour missiles anti-aériens ou anti-navires de courte portée, 2 torpilles anti-sous-marines légères, le tout controlé par un radar AESA 4 plaques, et un sonar de coque. En outre, le petit navire aurait une structure modulaire permettant de modifier l’armement embarqué en fonction des missions qui lui sont attribuées. De fait, le JARI serait capable de mener un large panel de missions, de la lutte anti-sous-marine à la reconnaissance armée, et l’élimination des drones, aéronefs et des navires de la zone de protection. Le drone pourrait, selon ses concepteurs, évoluer sous le controle d’un opérateur, ainsi que de façon autonome, disposant d’une Intelligence Artificielle embarquée. Il peut également agir de façon coordonnée dans un essaim de drones, une approche peu commune dans l’univers des drones navals aujourd’hui.
Le JARI a dépassé le stade de la marquette, puisque le premier exemplaire a été mis à la mer le 21 Aout, comme le rapporte le site d’Etat Global Times. Et ses concepteurs sont à ce point confiants dans ses performances qu’ils affirment que le drone est d’ores et déjà opérationnel. Ça ne coute rien, en effet, de le dire … Si CSOC affirme avoir déjà noué des contacts prometteurs avec plusieurs marines, il n’est nullement fait référence d’une possible entrée en service du drone au sein des forces navales chinoises.
Il n’empêche que le JARI peut représenter une alternative très intéressante pour de nombreux pays, qui peinent à disposer d’une capacité navale cohérente. S’il est, par sa taille et son autonomie, limité aux opérations côtières, il peut toutefois apporter d’importants moyens de détection et d’engagement, à un tarif de possession modeste en comparaison d’une frégate ou d’une corvette. Il peut également représenter un investissement de choix pour des pays disposants de peu de moyens, mais d’une large surface maritime à protéger, notamment face à des adversaires pouvant mettre en oeuvre des navires lourds ou des sous-marins. A noter, à ce titre, que si le JARI peut effectivement représenter une menace pour un sous-marin, ce dernier aura en revanche beaucoup de difficultés pour engager un navire aussi léger et compacte. Car si les sous-marins emportent aujourd’hui des torpilles et des missiles anti-navires très performants contre des unités de surface, ces munitions sont très peu adaptées à l’engagement de drones navals compacts.
Une chose est certaine, le JARI ouvre un nouveau domaine en matière d’engagements côtiers, et pour l’heure, les sous-marins, hélicoptères, aéronefs et bâtiments de surface traditionnels ne sont pas équipés pour y faire face. Au delà de la conception de drones de combat navals légers, comme le JARI, il conviendra donc de rapidement entreprendre la conception de munitions capables d’engager et détruire ces navires.
La division du travail entre les différentes républiques de l’Union soviétique, organisée dès l’ère stalinienne, avait pour vocation de favoriser l’interdépendance économique afin de consolider un édifice politique culturellement et ethniquement disparate. Avec la dislocation de l’URSS et la désindustrialisation massive des années 1990 cette interdépendance n’a néanmoins pas totalement disparu. En effet, le secteur militaro-industriel, principalement concentré dans les républiques slaves de l’Union, a continué à lier les anciennes Républiques socialistes. L’exemple emblématique de cette coopération fut la relation unissant les industries ukrainiennes et russes, notamment dans les domaines de l’espace, de l’aviation et de la construction navale[efn_note]Владимир Воронов, « Импортозамещение для Рогозина », sur Радио Свобода, , 10 janvier 2016[/efn_note].
Pour autant, la détérioration des relations entre Kiev et Moscou à la suite de l’annexion de la Crimée et à l’invasion russe du Donbass en 2014 va progressivement contribuer au déclin de cette proximité industrielle. Voulant répondre aux sanctions commerciales russes et ne pouvant pas résister indéfiniment à la pression d’une opinion publique ne comprenant pas pourquoi l’Ukraine fournit du matériel militaire à un pays qui lui fait la guerre, Kiev va se résoudre à interdire les exportations à destination du secteur militaro-industriel de la Russie. En réponse à la politique étrangère agressive de Moscou l’Union européenne, et plus tard les États-Unis,imposent également des sanctions en prohibant l’export de matériels susceptibles d’être utilisés aussi bien à des fins civiles que militaires.
La réaction de Moscou se veut tout d’abord rassurante, le Président Vladimir Poutine et les autres figures officielles minimisent l’impact des sanctions sur l’économie russe et le secteur de la défense.Le Kremlin soutient que les sanctions sont bénéfiques pour la Russie et vont lui permettre de développer son économie en substituant les marchandises importées par des produits fabriqués localement. Afin de faciliter ce processus, et surtout tenter de diviser les Occidentaux, le gouvernement russe décide d’introduire des contre-sanctions en frappant principalement le secteur alimentaire et agricole de l’Union européenne et des États-Unis[efn_note]I. Korhonen, H. Simolaet L. Solanko, Sanctions, counter-sanctions and Russia − Effects on economy, trade and finance, Bank of Finland, Institute for Economies in Transition, 2018[/efn_note]. Dans le domaine militaire, la substitution des importations est une priorité stratégique pour Moscou qui ne souhaite pas être entravé dans sa politique étrangère du fait d’une dépendance vis-à-vis d’un groupe d’États potentiellement hostiles.
Historiquement la volonté de substituer les importations dans des domaines stratégiques n’est pas une nouveauté en Russie. A l’époque soviétique la nécessité de créer une base industrielle et technologique de défense va pousser les autorités à acheter dans les années 1930 des technologies et des machines-outils à des ennemis idéologiques tels que l’Italie fasciste, l’Allemagne Nazie, ou encore les États-Unis.Ces coopérations militaires auront pour objectif de copier, puis de s’approprier des technologies étrangères afin de « rattraper et surpasser » les grandes puissances industrielles. Si dans une majorité des cas cette approche s’avère fructueuse et permet à terme à l’Union soviétique de concevoir ses propres technologies et appareils, cette réussite ne pourra pas être reproduite dans certains secteurs de pointes tels que l’électronique. Après la dislocation de l’URSS, pendant les années 1990, certaines voix s’élèvent afin de mettre en exergue la nécessité de diminuer la dépendance de la défense russe vis-à-vis d’industries désormais situés au sein des nouvelles républiques ayant obtenu leur indépendance. Cependant, le contrôle et l’influence qu’exerce la Russie sur ces nouveaux États, et notamment sur leurs industries de défense, conduisent Moscou à laisser la situation telle quelle. Or, le déclin économique, technologique et développemental qui a suivi l’effondrement du système soviétique va porter un dommage substantiel aux capacités scientifiques de la Russie et accentuer les faiblesses endémiques de son secteur militaro-industriel. Aujourd’hui, au vu du contexte diplomatique, la dépendance vis-à-vis des produits hautement technologiques, notamment fabriqués au sein des pays de l’OTAN, est un problème de souveraineté pour la Russie.
Cinq ans après l’introduction des premières mesures visant à diminuer la dépendance des industries militaires russes des produits étrangers, les résultats sont difficiles à évaluer avec précision, mais des tendances globales peuvent être décelées. Si des succès sont identifiables dans les domaines à faible complexité technologique, la situation au sein des secteurs de pointes reste obscure. De plus, la substitution des importations étant clairement devenue un enjeu de crédibilité politique, percevoir la réalité de son implémentation dans le secteur de la défense est doublement plus compliqué.
I) La substitution des importations dans le secteur de la défense : un enjeu à la fois stratégique et politique
Les déclarations des officiels et des experts au sujet de l’implémentation de la politique de substitution des importations divergent d’une année à l’autre. En 2018 par exemple le vice-premier ministre de l’époque, Dmitry Rogozin, affirmait que les commandes militaires russes n’avaient souffert d’aucun retard du fait d’un manque de composants étrangers, ces derniers ayant été remplacés par des matériels analogues fabriqués en Russie. Pourtant, l’annonce récente de l’annulation de la production en série des satellites GLONASS (système global de navigation satellitaire), indispensables à la défense antimissile du pays, pour cause d’absence des composants électroniques russes, démontre une situation plus contrastée que ne veulent l’avouer les dirigeants.
Ainsi, au vu de la stagnation économique de la Russie, ou encore des difficultés financières et structurelles dont souffrent ses industries de défense, il devient aisé de comprendre que la dialectique du Kremlin cache un double objectif. Tout d’abord, autonomiser ses capacités de production militaire afin d’assurer sa souveraineté dans le domaine de la défense, et de plus convaincre les Russes que la stratégie de substitution des importations est effectivement implémentée et est économiquement viable.
En lançant une campagne médiatique de grande ampleur, le gouvernement russe a en effet essayé de prouver à sa population que les sanctions étaient en réalité une opportunité pour l’économie russe. De ce fait le succès de la quête à l’autonomie, imposée au secteur militaro-industriel par le Kremlin, est désormais une question de crédibilité politique pour le gouvernement, d’autant plus que le processus de remplacement des produits importés ne connaît pas une franche réussite[efn_note]СветланаСухова, « «Делатьто, чтоестьудругих,— путьвникуда» », Коммерсантъ, 8 avril 2019[/efn_note][efn_note]ЮЛИЯВЫМЯТНИНА, « Недозамещение. Кчемупривелаполитиказамещенияимпорта », 26 janvier 2019[/efn_note][efn_note]ЛюдмилаПетухова, « СтатистикапоказалапровалкурсанаимпортозамещениевРоссии », sur Forbes.ru, 28 janvier 2019[/efn_note]. La vitrine que constituent donc les industries de défense permet aux décideurs moscovites de justifier leur politique économique et les moyens financiers alloués à la substitution des importations. Pour rappel, afin d’aider les industriels russes à créer des produits analogues à ceux importés, la Russie aurait dépensé 637 milliards de roubles ($9,5 milliards), dont 70 milliards directement depuis des fonds étatiques.
Or, dans le contexte de réduction des commandes gouvernementales au secteur militaro-industriel russe, la substitution des importations est également un moyen de maintenir à flot une industrie financièrement exsangue, puisque comme souligné dans un précédent article, la dette des industriels de la défense russe s’élève à plus de 36 milliards de dollars. Conscient de ce problème Moscou souhaite pousser la logique du remplacement des produits importés encore plus loin puisque le Président a annoncé qu’il fixait pour ambition au secteur militaro-industriel de se diversifier. Ainsi, à l’horizon de 2030, 50% de la production des industriels de la défense doit être destinée au secteur civil. Autrement dit, l’objectif est d’inciter les industriels à créer des marchandises pour le marché civil tout comme le font leurs concurrents européens, américains ou chinois. Certains industriels dénoncent le manque de soutien de la part des autorités, qui se contenterait de déclarations, la faisabilité de cette reconversion est cependant difficile à évaluer puisqu’elle dépend principalement de la nature même des activités de chaque industrie. Les experts s’exprimant sur le sujet soulignent quant à eux que la diversification est indispensable pour la survie du complexe militaro-industriel russe, mais que la recherche et le développement nécessaire au lancement d’une production civile va accentuer l’endettement de ces entreprises et aggraver un obstacle déjà systémique. Au vu des problèmes structurels de l’industrie de défense russe, tels que son isolement par rapport au secteur civil ou encore sa lourdeur administrative, la diversification risque d’être laborieuse, les années à venir devant nous éclairer davantage sur la faisabilité de cette ambition.
Ainsi, si la politique de diversification et de substitution des importations a pour origine un impératif d’ordre stratégique elle est désormais également une nécessité politique pour un pouvoir jouant la carte du patriotisme économique. Cinq ans après le lancement du programme de substitution des importations, il est d’ores et déjà possible de mesurer le degré de réussite des industriels de la défense russes dans ce domaine.
II) L’inégale réussite de la substitution des importations dans le secteur militaire
En 2014, lorsque l’Ukraine coupe les approvisionnements au complexe militaro-industriel russe, Moscou se retrouve dans une situation délicate. Les industriels ukrainiens fournissaient alors des équipements indispensables aux appareils russes, la majorité des hélicoptères des constructeurs Mi et Kamov fonctionnant grâce aux moteurs confectionnés par l’ukrainien Motor Sich. Les circonstances sont homologues dans le cas des avions des constructeurs Iliouchine, et Antonov, dont la motorisation principale et subsidiaire est produite par ce même fabriquant ukrainien. Dans le domaine des armements aériens ce sont les missiles air-air P-73, utilisés pour le combat rapproché par les Mig-29, Mig-31, Su-25, Su-27, Su-30 et 34, dont la réalisation est compromise du fait de l’absence de têtes de guidage infrarouges thermiques façonnées par l’usine Arsenal, située à Kiev. La dépendance russe vis-à-vis de la production ukrainienne est également substantielle dans le domaine des fusées. Le bureau de Construction Yujnoe est ainsi à l’origine des systèmes tels que RS-20 (SS-18), tandis que Harton, située à Kharkiv, est le développeur et le fournisseur des systèmes de contrôle des missiles balistiques intercontinentaux et d’autres appareils électroniques comme les systèmes de visées pour missiles Topol-M. Dans le domaine naval l’entreprise Zoria-Machproekt, est le producteur principal des turbines à gaz pour la marine russe. Enfin, l’Ukraine était le principal fournisseur de titane de la Russie, cette dernière n’ayant pas héritée de l’URSS des usines de production de ce métal stratégique
Autre sujet d’inquiétude mobilisant l’attention du Kremlin pendant plusieurs années : les industriels russes ne disposent pas en 2014 d’un catalogue de leur propre production. Lorsque le gouvernement finit en 2015 par s’apercevoir qu’aucun des responsables du complexe militaro-industriel n’était capable d’expliquer clairement qui produisait quoi, des efforts substantiels ont dû être entrepris afin de clarifier les liaisons entre les grands groupes et leurs sous-traitants[efn_note]Mathieu Boulegue, « Of the Russian Military Industrial Complex – Russian Roulette Episode #33 », op. cit., p. 33[/efn_note].
Quatre ans plus tard, en septembre 2018, le vice-premier ministre Yuri Borisov déclarait que la Russie avait réussi à développer sa propre fabrication de turbines à gaz pour ses navires et n’avait de ce fait plus besoin des industries ukrainiennes. Est cependant à noter un important retard du lancement des navires équipés par ces moteurs russes, désormais prévu pour 2021. Moscou serait également parvenu à se débarrasser de sa dépendance vis-à-vis de l’Ukraine dans le domaine de l’électronique, le responsable affirmant que « l’industrie russe n’a pas eu de difficultés particulières à remplacer ces produits ». Les déclarations des dirigeants de l’industrie de défense ukrainienne permettent de vérifier la véracité de ces allégations, ainsi le président de Motor Sich, Viacheslav Bogouslaev, a confirmé cette tendance. Selon lui Motor Sich serait en train de perdre le marché russe, les commandes étant 10 fois moindres en 2018 par rapport à 2014. Pour rappel, la Russie avait commandé en 2011 1300 moteurs d’hélicoptères pour 1,2 milliard de dollars à l’industriel ukrainien, néanmoins, suite à la mise en place des sanctions en 2014 Motor Sich s’est vu dans l’impossibilité d’honorer la partie du contrat prévoyant la vente de moteurs pour les hélicoptères militaires. Or, d’après le directeur de la Corporation unie de construction de moteurs (Rostec) ses usines seront en mesure de confectionner suffisamment de moteurs pour les hélicoptères russes dès 2019.
Malgré ces réussites ayant permis à l’industrie de défense russe de se réapproprier des pans entiers de la production militaire il est nécessaire de rappeler que la Russie disposait déjà des technologies indispensables à la fabrication des matériels jusque-là fournis par l’Ukraine. La situation est en revanche plus complexe lorsqu’il s’agit de substituer les importations de produits technologiquement très avancés, notamment vendus par les pays membres de l’OTAN. Comme nous l’avons évoqué, la décision d’arrêter la fabrication en série des satellites GLONASS démontre l’incapacité des industriels russes à concevoir de l’électronique de pointe. La situation est semblable dans le domaine de la création et de la production des machines-outils. Le directeur général d’Ouralvagonzavod déclarait à ce sujet en 2015 qu’il faudrait bien plus de cinq ans afin de rétablir les compétences nécessaires à la mise en place d’une chaîne technologique permettant de concevoir des appareils fonctionnels. Andreï Kolganov, chercheur à la faculté d’économie de l’université d’État de Moscou, confirme cette analyse en soulignant qu’à la lecture des statistiques officielles sur l’année 2018, la Russie est dépendante de l’étranger à 90% pour l’acquisition des machines-outils. L’universitaire affirme qu’en pratique la quasi-totalité des machines à commandes numériques et presque tous les robots industriels sont importés, de plus la dernière usine produisant des robots industriels en Russie aurait fermé il y a plusieurs années. Ce fait n’a cependant pas empêché l’entreprise Promoilde vendre des machines-outils estampillées Made in Russia, du moins jusqu’à ce que le parquet se saisisse de l’affaire et s’aperçoive qu’il s’agissait de machines chinoises… Comme évoqué précédemment, le 30 juillet le procureur général Yurï Chaïka a fini par avouer que le complexe militaro-industriel russe continuait d’utiliser des matériels importés, et ce même alors que des produits équivalents existent sur le marché russe. Hormis les secteurs de pointes la métallurgie russe est également en difficulté. En effet, d’après le politologue Ivan Lizan, le ministère des finances des États-Unis et des actionnaires américains ont utilisé les sanctions afin de contraindre l’homme d’affaire russe Oleg Deripaska à abandonner son contrôle sur l’entreprise Roussal, principal producteur d’aluminium en Russie]. Le titane de bonne qualité est également manquant comme le démontre un scandale de grande ampleur ayant éclaté à l’usine aéronautique VASO, notamment chargée de fabriquer des avions pour les dirigeant russes tels que le président. Des inspecteurs se sont en effet rendu compte que le titane utilisé par l’avionneur n’était pas de bonne qualité et que les certificats avaient été falsifiés.
Bien que communiquant majoritairement sur les réussites du programme de substitution des importations, les autorités russes semblent avoir pris conscience des failles technologiques auxquelles fait face l’industrie militaire. Est ainsi à relever la décision d’augmenter les investissements en matière de recherche et développement sur la période 2019-2021 en allouant 2,38 trillions de roubles ($36 milliards), dont 40% seront directement consacrés à des projets militaires. Cependant, les dépenses globales pour la recherche restent très faibles en Russie, le budget pour la recherche fondamentale ne représentant que 0,15% du PIB en 2018 (0,18% en 2021), ce qui est substantiellement inférieure à ce que dépensent des pays tels que la Pologne ou encore la Hongrie. Au total entre 2015 et 2017 Moscou a consacré seulement 1,1% de son PIB pour la recherche ce qui est bien loin des États-Unis, de la Chine, du Japon ou même de la moyenne mondiale s’établissant à 2,2%.
Ainsi,la politique de substitution des importations au sein du secteur de la défense russe est aussi bien un enjeu de souveraineté que de politique intérieure. Il est même possible de s’interroger, au vu des résultats globalement médiocres de la substitution des importations en Russie, si l’enjeu politique n’est pas plus important pour le Kremlin.
Même si des succès peuvent être relevés puisque la Russie est parvenue à remplacer dans une grande mesure les produits militaires importés jusqu’à là d’Ukraine, au regard des lacunes historiques de l’industrie russe il lui faudra des dizaines d’années d’investissements substantiels afin de rattraper le retard dans les domaines de pointes tels que l’électronique, la robotique industrielle et la métallurgie. Au vu de cette réalité, certains commentateurs russes expriment leur inquiétude au sujet d’une dépendance grandissante de la Russie vis-à-vis de la Chine qui s’impose comme le seul fournisseur alternatif de matériels de pointe.