lundi, décembre 1, 2025
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F-35 et frégates Constellation : Athènes se tourne pleinement vers les États-Unis

Les forces armées grecques, vont-elles bientôt être équipées de F-35 et de frégates Constellation ? C’est ce que l’on peut comprendre des annonces faites, ces derniers jours, concernant des avancées notables dans la fourniture d’équipements de défense américains aux forces armées helléniques.

Outre l’autorisation donnée pour acquérir 40 F-35A pour 8,6 Md$, Washington aurait aussi proposé à Athènes de rejoindre son programme de frégate de la classe Constellation avec, à la clé, la possibilité de construire jusqu’à 7 navires pour la marine hellénique, dans les chantiers navals grecs.

Toutes séduisantes que ces annonces apparaissent, elles seront difficiles, et contraignantes à mettre en œuvre pour la Grèce, là où Ankara dispose des crédits et des moyens pour acquérir les 120 F-16V promis par Washington, ou les frégates et destroyers du programme MILGEM.

Elles risquent aussi d’amener Athènes à renoncer à certains programmes pourtant indispensables, mais négociés avec les Européens, comme la construction d’une flottille de corvettes, ou de frégates FDI supplémentaires pour la marine hellénique.

Une compensation massive à l’autorisation d’exportation de 120 F-16V pour les forces aériennes turques

Après que le Parlement turc a approuvé, avec une large majorité, l’adhésion suédoise à l’OTAN, et qu’Ankara a produit d’importants efforts pour afficher une forme de détente avec Athènes, il devenait particulièrement complexe, à l’administration américaine, et surtout au Congrès, de continuer à bloquer la vente des 40 nouveaux F-16 Block 70 et des 80 kits de transformation pour autant d’appareils portés à ce standard, aux forces aériennes turques, qui jouent un rôle déterminant sur le front sud de l’OTAN face à la Russie.

F-16V forces aériennes helléniques
Les forces aériennes helléniques ont acquis 80 kits pour porter une partie de leurs F-16 au standard Block 70.

Toutefois, la confiance de Washington dans le nouveau visage que se donne le président Erdogan n’est que limitée, alors que, dans le même temps, la Grèce dispose de puissants soutiens au Congrès, tant à la chambre des Représentants qu’au Sénat.

Pour maintenir le statuquo militaire en mer Égée, et y réduire les risques d’une escalade entre les armées turques et grecques, les États-Unis ont imaginé une stratégie qui semble, de prime abord, efficace, et qui lui est, surtout, très favorable.

En effet, les États-Unis et la Grèce ont engagé des discussions pour permettre à Athènes d’acquérir des moyens militaires très importants, allant de 40 F-35A à sept frégates de la classe Constellation, tout en accompagnant les armées helléniques par des transferts massifs d’équipements plus ou moins déclassés, comme des véhicules de combat Bradley, ou des corvettes LCS, et même une aide financière directe, si les armées grecques acceptent de transférer certaines de leurs équipements de facture russe vers l’Ukraine.

20+20 F-35 pour les forces aériennes helléniques pour 8,6 Md$

La première des mesures, la plus visible à court terme, concernant le soutien américain à la Grèce, s’appuie sur l’autorisation d’exportation donnée par le Département d’État au Congrès, pour 40 F-35A, ainsi qu’un ensemble d’équipements, de pièces et de systèmes de maintenance et de formation, pour un montant total de 8,6 Md$.

Cette annonce était attendue depuis plusieurs mois, Athènes ayant ouvertement demandé à pouvoir acquérir, dans les années à venir, le chasseur de Lockheed-Martin. Toutefois, la planification grecque reposait sur 2 lots de 20 F-35A chacun, soit un escadron à chaque fois, et non une commande globale de 40 appareils.

F-35A
Le Département d’État a autorisé la vente de 40 F-35A aux forces aériennes helléniques pour 8,6 Md$.

Rappelons que le montant de 8,6 Md$, ne constitue pas ce qu’Athènes devra payer, mais un engagement de la part des États-Unis à autoriser les exportations de l’ensemble des appareils, ainsi que des pièces, munitions, moteurs et systèmes listés, à ce prix.

Dans les faits, il est plus que probable que les autorités helléniques commanderont dans un premier temps 20 chasseurs, ainsi que les systèmes nécessaires, pour un montant qui devrait s’établir entre 4 et 5 Md$, avec une option pour un second escadron, aux mêmes conditions tarifaires.

Disposer d’un escadron de F-35A, et d’un escadron de Rafale B/C, conférera aux forces aériennes grecques, une plus-value opérationnelle significative, y compris contre les 120 F-16V turcs, ainsi que contre les systèmes antiaériens mis en œuvre par les armées d’Ankara, dont une batterie S-400 russe, et de compenser leur désavantage numérique sur ce théâtre.

Le ministre de la Défense Nikos Dendias anticipe jusqu’à 7 frégates Constellation pour la Marine hellénique

Si l’annonce concernant l’acquisition prochaine de F-35A pour les forces aériennes helléniques, était attendue, celle concernant la prochaine participation d’Athènes et de l’industrie navale grecque, au programme de frégates américaines de la classe Constellation, représente une véritable surprise.

L’hypothèse avait pourtant été soulevée par la presse spécialisée grecque il y a quelques mois. Toutefois, à défaut de confirmation officielle, et connaissant l’enthousiasme parfois excessif de cette presse, pour ce type de sujet, l’hypothèse n’avait pas été jugée crédible par de nombreux analystes.

frégate classe constellation US Navy
La marine hellénique pourrait aligner jusqu’à sept frégates de la classe Constellation à l’avenir.

La semaine dernière, c’est le ministre de la Défense grec, Nikos Dendias, qui a fait une annonce officielle, au sujet de la participation de la Grèce au programme américain de frégates de la classe Constellation. Selon certaines sources citées par la presse spécialisée en Grèce, il s’agirait de construire jusqu’à sept frégates de cette classe pour moderniser la flotte de surface du pays.

En outre, les navires seraient construits directement par les chantiers navals grecs. Il s’agirait, bien évidemment, d’un immense pas franchit par Athènes dans ce domaine. En effet, les frégates de la Classe Constellation, dérivées des FREMM italiennes, promettent d’être des navires très capables, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, conférant de fait à la Marine hellénique une puissance potentielle susceptible de contrebalancer, avec l’aide des 3 FDI commandées auprès de Naval Group, la montée en puissance de la flotte de surface et sous-marine turque.

Surtout, sachant que les chantiers navals militaires américaines peinent déjà à répondre aux besoins de l’US Navy, la construction des frégates en Grèce, pourrait permettre à d’autres pays de se tourner vers cette classe, avec des délais acceptables, à l’instar, par exemple, de ce qui se pratique au sujet des F-35 en Italie.

frégate classe Aquitaine Marine nationale
La France a longtemps tergiversé pour vendre les frégates FREMM de la classe Aquitaine réclamées par Athènes.

Pour l’heure, il ne s’agit que de discussions, aucun calendrier, ni aucun budget n’ayant été communiqués à ce sujet. Toutefois, lorsque l’on connait l’appétence de la Marine Hellénique pour ce type d’unités navales, Athènes ayant longtemps insisté pour obtenir des FREMM françaises ou des Arleigh Burke américains d’occasion, il ne fait guère de doutes que le sujet sera une priorité du ministère de la Défense.

Bradley, LCS, C130 et 200 m$ : la carotte américaine est tentante, mais pas dénuée de problèmes

Il faut dire que, pour convaincre Athènes, Washington s’est doté d’une carotte particulièrement tentante. En effet, sous réserve d’un accord donné par les autorités grecques concernant le transfert, vers l’Ukraine, de certains équipements d’origine russe en service au sein des armées grecques, comme les systèmes antiaériens TOR M1 et 9K33 OSA, ainsi que les véhicules de transport blindés BMP-1A1, le Département d’État a promis un très important package d’aide militaire à la Grèce.

Celui-ci se compose, en effet, de véhicules de combat d’infanterie Bradley, de deux avions de transport C-130 hercules, mais aussi, de quatre corvettes Littoral Combat Ship, celles-là mêmes retirées précipitamment du service au sein de l’US Navy, et que Lockheed-Martin a essayé de vendre à la Grèce pendant près de quatre ans, sans succès.

LCS classe Freedom
Faute d’avoir pu les vendre à Athènes, après quatre ans d’efforts, les États-Unis proposent d’offrir quatre frégates LCS à la Marine helléniques.

Non seulement Washington transférerait l’ensemble de ces équipements gratuitement vers Athènes, mais les États-Unis ajouteraient, à ce package, 200 m$. Une telle mesure, évidemment, tend à créer l’enthousiasme, tant au niveau politique, que dans la très suivie presse spécialisée hellénique.

De fait, les contraintes liés aux équipements listés, sont rarement évoqués dans les articles traitant du sujet. Ainsi, les Bradley vont nécessiter une importante phase de modernisation, qui avait couté 5 m$ par véhicule à la Croatie, quand elle fit de même.

Les LCS, quant à eux, sont des navires qui ont posé d’importants problèmes de fiabilité à l’US Navy, et qui, par ailleurs, peinent à convaincre de leur utilité, en raison de capacités opérationnelles et d’un armement jugé trop faibles pour l’évolution des tensions. Or, la marine hellénique a davantage besoin de corvettes, que de patrouilleurs armés, comme le sont les LCS.

Une leçon donnée d’efficacité et de pragmatisme donnée à la France par les États-Unis

Le don des 4 LCS, et la possibilité, à terme, de s’équiper de frégates classe Constellation, vont très probablement faire dérailler les discussions entre Athènes, Paris ou Rome, pour la construction de 4 à 5 corvettes pour la Marine Hellénique.

Ce contrat a été, en effet, régulièrement reporté par les autorités d’Athènes, sans que l’on sache vraiment les raisons objectives d’un tel délai. Il semble que, dans ce domaine, Washington ait parfaitement contrôlé son sujet, et convaincu les autorités grecques de ne pas s’engager, avec, précisément, une promesse de transferts de LCS et d’intégration au programme Constellation à la clé.

Corvette Gowind 2500
La vente de corvette Gowind 2500 à la Marine hellénique par Naval Group semble comprise par la promesse américaine d’offrir 4 LCS à Athènes.

Les déclarations, faites par Nikos Dendias, au sujet du programme Constellation, marquent aussi, très certainement, la fin des espoirs français concernant une possible commande supplémentaire de frégates FDI par la marine Hellénique, au-delà des trois exemplaires commandés.

Il est, à ce titre, intéressant de constater qu’Athènes va, par ce programme, probablement se doter de frégates dérivées des FREMM, alors que Paris à, longtemps, tergiversé pour vendre de telles frégates à Athènes, en expliquant que ce format était mal adapté à ses besoins, et ainsi les convaincre de se tourner vers la FDI, plus compacte.

En outre, l’aide militaire promise par Washington, toute attractive qu’elle paraisse, ne concerne que les équipements déclassés ou en passe de l’être, qui vont générer, dans la durée, un important chiffre d’affaires récurrent pour l’industrie de défense américaine. Quant aux 200 m$ promis par Washington, ils ne représentent qu’une petite partie des recettes fiscales que la vente des F-35 et des Constellation à Athènes va générer.

Enfin, force est de constater qu’après avoir été, pour ainsi dire, pris par surprise par la commande de Rafale et de FDI français par la Grèce, les États-Unis ont, depuis, parfaitement contrôlé leur dossier, en maniant habillement les promesses officieuses et les fuites maitrisées vers la presse. Ils sont ainsi parvenus à l’empêcher de se tourner davantage vers la France, ou vers les Européens, en particulier pour ce qui concerne le programme de corvettes, l’option de FDI, ou une éventuelle commande supplémentaire de Rafale.

Conclusion

Les annonces faites ces derniers jours, à Washington comme à Athènes, concernant les prochaines acquisitions d’équipements de défense américains par les forces armées helléniques, représentent donc, sans le moindre doute, une évolution majeure, et un succès, pour les deux pays.

Amira Ronarch fdi fregate naval group marine nationale Exportations d'armes | Alliances militaires | Analyses Défense
La première FDI grecque sera livrée en 2025. Les négociations autour de la participation grecque au programme Constellation amenuisent considérablement les chances d’une commande supplémentaire de frégates françaises par Athènes.

De toute évidence, ils sont convenus d’une posture commune visant à garder sous contrôle la montée en puissance turque, sans toutefois l’entraver, la Turquie ayant montré, ces dernières semaines, de réels signes de bonne volonté.

Il s’agit, aussi, d’une douche froide pour les européens, et surtout pour la France, qui avait fondé d’importants espoirs dans son partenariat stratégique signé avec la Grèce en 2021. Néanmoins, dans ce dossier comme dans d’autres, Paris avait certainement surestimé son influence, et sa capacité à convaincre plus par le verbe que par les faits.

Reste à voir, maintenant, comment ces annonces vont effectivement se concrétiser. Car, si Athènes à l’autorisation d’acheter jusqu’à 40 F-35, et que des discussions sont ouvertes au sujet du programme Constellation, Ankara, pour sa part, a les fonds pour acquérir les 120 F-16V attendus, et pour financer la montée ne puissance de sa flotte.

On ne peut qu’espérer, pour la sécurité de la Grèce, que le président Erdogan soit effectivement sincère dans sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays, et que les promesses faites par Washington, notamment au sujet de la construction potentielle de frégates Constellation par les chantiers navals grecs, puissent se concrétiser à relativement court termes.

Faute de quoi, les États-Unis risquent d’avoir mis un de leurs alliés dans une position aussi précaire que dangereuse, pour un gain commercial et politique limité. Malheureusement, ce ne serait pas la première fois…

Iran, Corée du Nord… pourquoi, et jusqu’où, ces puissances moyennes peuvent-elles défier les États-Unis aujourd’hui ?

Ce dimanche, des éléments radicaux, liés à l’Iran, ont mené une frappe massive et coordonnée, employant missiles et drones d’attaque, contre une base logistique américaine en Jordanie, entrainant la mort de trois soldats américains, ainsi que 34 blessés. Cette attaque représente le point culminant, pour l’instant, d’une escalade menée par l’Iran contre les États-Unis au Moyen-Orient, alors que la Corée du Nord fait de même sur la péninsule coréenne. Bien qu’indépendante de prime abord, ces deux zones de tensions sont, en réalité, bien plus liés qu’il n’y parait.

À chaque nouvelle provocation, iranienne comme nord-coréenne, les États-Unis semblent limités, et très prudents, dans leurs réponses. Si la mesure de Washington est évidente, elle est surtout dictée par un contexte stratégique mondial, qui pourrait rapidement lui être très défavorable, avec en arrière-plan, la menace russe contre l’Ukraine et sur l’Europe, et celle de la Chine contre Taïwan, et dans le pacifique.

En effet, si chaque théâtre, de manière isolée, a déjà un important potentiel d’escalade à relativement court terme, ils paraissent s’inscrire, pris ensemble, dans une dynamique plus vaste, et autrement préoccupante.

Quel est le point d’origine de l’escalade mondiale qui se dessine ?

La Russie et la Chine n’ont plus peur des États-Unis depuis une dizaine d’années. C’est tout au moins ce que l’on peut déduire du changement radical de posture de Moscou comme de Pékin, survenu il y a une dizaine d’années, avec l’intervention russe en Crimée puis dans le Donbass, en dépit de l’engagement pris par les États-Unis de garantir les frontières ukrainiennes avec le Mémorandum de Budapest, et avec le durcissement de la règle des neuf traits en mer de Chine de Sud, comme au sujet de Taïwan, par la Chine.

Xi Jinping et Vladimir Poutine
La posture de défi de la Chine et de la Russie, vis-à-vis des États-Unis, a évolué presque simultanément, entre 2012 et 2014, soit après le retour de Vladimir Poutine au Kremlin, et l’arrivée du Xi Jinping au pouvoir.

Si la trajectoire suivie par ces deux puissances en évolution rapide inquiète depuis plusieurs années les états-majors et les chancelleries occidentales, l’Iran, comme la Corée du Nord, semblaient alors toujours sous contrôle, avec les accords de Vienne concernant le programme nucléaire iranien, ainsi qu’une certaine forme de normalisation des relations entre Washington, Séoul et Pyongyang, de l’autre.

À la fin de la précédente décennie, cependant, ces deux pays évoluèrent vers une posture bien plus revendicative et belliqueuse face aux États-Unis, il est vrai en partie en lien avec les positions complexes de l’administration Trump sur le sujet.

Mais c’est incontestablement depuis 2020, et surtout à partir du début de l’offensive russe en Ukraine, que Téhéran comme Pyongyang ont basculé, presque conjointement, vers une posture de défiance active contre les États-Unis, et l’occident en général, allant jusqu’à l’utilisation de moyens militaires offensifs contre les forces américaines ou leurs alliés.

3 morts, 34 blessés parmi les soldats américains : les tensions entre Washington et Téhéran ont franchi un nouveau cap

Si les États-Unis faillirent lancer des frappes aériennes contre l’Iran en 2019, après que la défense antiaérienne iranienne avait abattu un drone RQ-4A Global Hawk, cet épisode parait, aujourd’hui, presque anodin au regard des provocations iraniennes contre les forces américaines ces dernières semaines.

iran detruit RQ-4 Global Hawk en 2019
La destruction d’un drone Global Hawk par la défense antiaérienne iranienne, avait amené les États-Unis à quelques encablures de frappes massives contre l’Iran. Qu’adviendra-t-il maintenant que trois soldats américains ont été tués par des frappes menées par des proxys iraniens ?

En effet, depuis la mi-octobre, les proxys iraniens en Irak, en Syrie et au Yémen, ont mené presque 160 attaques directes contre des navires ou des bases américaines. Ces attaques avaient donné lieu à des frappes de représailles contre les infrastructures au Yémen et en Irak, à partir desquelles les drones et roquettes avaient été lancés contre les positions américaines.

Cette escalade a atteint un nouveau seuil ce dimanche, lorsqu’une attaque menée par des drones et des missiles de facture iranienne, lancés par des éléments radicaux proches de Téhéran, sont venus frapper une base logistique américaine en Jordanie, entrainant la mort de 3 soldats américains, ainsi que 34 blessés.

Comme on pouvait s’y attendre, cette attaque, et son funeste bilan, ont entrainé de nombreuses réactions aux États-Unis. Si la Maison-Blanche promet une réponse ferme « au moment choisi », les sénateurs et représentants américains se montrent beaucoup plus pressant, pour une réponse directe et massive contre Téhéran.

À l’inverse, le commandement central américain, comme le secrétaire à la Défense, se montrent certes choqués par cette attaque, et résolus pour y répondre, mais semblent vouloir éviter d’impliquer directement l’Iran.

Arleigh burke SM2
Les destroyers de l’US Navy sont intervenus à de nombreuses reprises depuis la mi-octobre pour intercepter des missiles de croisières, des drones et des missiles balistiques Houthis envoyés contre eux ou des navires civils en mer Rouge.

Il faut dire qu’une intervention massive contre l’Iran, menée par les forces américaines, serait aujourd’hui particulièrement complexe à mener, et surtout à soutenir. D’abord, dans une telle hypothèse, il est probable que l’Iran n’hésiterait pas à faire usage de son important stock de missiles balistiques, missiles de croisière et ses drones d’attaque, pour frapper les intérêts américains, ainsi que ceux de leurs alliés, dans toute la région.

Une telle hypothèse entrainerait, sans le moindre doute, un embrasement du Moyen-Orient, ainsi que la fermeture du détroit d’Ormuz, et de très importantes conséquences sur la production et le transport d’hydrocarbure dans la région avec, à la clé, une crise d’ambleur mondiale aux conséquences imprévisibles.

D’autre part, une intervention US contre l’Iran, ne se limiterait certainement pas à quelques frappes sans ripostes iraniennes, et se transformerait donc en un conflit de longue durée, pour lequel les États-Unis n’ont plus les moyens militaires requis.

Tout du moins, pas sans venir dégarnir les déploiements en Europe face à la Russie, et dans le Pacifique, face à la Chine et à la Corée du Nord, en venant directement réduire la possibilité, pour l’industrie de défense US, de répondre aux sollicitations pour soutenir l’Ukraine, les armées européennes, ou ses alliés de la zone Pacifique des États-Unis.

La Corée du Nord multiplie les provocations et les actes belliqueux

Si la réponse américaine à l’attaque iranienne est difficile à équilibrer, celle face aux démonstrations de force et aux provocations nord-coréennes contre son voisin du sud, ainsi que le Japon, et les forces américaines qui se trouvent dans les deux pays, ne sont guère plus aisées.

KN-23 missile balistique Corée du Nord
La Corée du Nord a acquis des compétences remarquables en quelques années dans le domaine des missiles balistiques, venant tangenter les performances des missiles russes comme l’Iskander-M.

Depuis plusieurs années, et après un épisode d’apparente normalisation, à l’initiative de Donald Trump, mais contrôlé par Kim Jong Un, la Corée du Nord multiplie les démonstrations de force militaires, en particulier en multipliant les tirs de missiles en mer Jaune et mer du Japon.

Il s’agissait, pour Pyongyang, de faire la démonstration de ses nouvelles capacités dans le domaine des frappes à longue portée, en particulier concernant des missiles balistiques de longue portée, capables d’atteindre le sol américain, mais aussi des missiles tactiques à trajectoire semi-balistique, susceptibles de déjouer les systèmes antibalistiques déployés en Corée du Sud et au Japon, comme le THAAD et le SM-3.

À l’instar de l’Iran, la Corée du Nord a fait sensiblement évoluer sa posture belliciste depuis le début de l’intervention russe en Ukraine, tant dans les discours de Kin Jong Un, que dans les démonstrations de force. Ainsi, comme en 2010, l’artillerie nord-coréenne a frappé deux iles sud-coréennes, entraînant leur évacuation, mais aucune réponse militaire, ni de la part de Séoul, ni des États-Unis.

Depuis, Kim Jong Un a annoncé une révision de la constitution nord-coréenne, rejetant le statu quo concernant les frontières avec le Sud, en Mer Jaune, et promettant la guerre à quiconque viendrait pénétrer sur le territoire de son pays, alors même qu’une telle hypothèse est inévitable pour la Corée du Sud, dont certaines iles empiètent sur cette nouvelle frontière décrétée unilatéralement par le dictateur.

Kim Jong Un sous-marin Sanpoo Corée du Nord
Le leader nord-coréen, Kim Jong Un, multiplie les provocations et prises de paroles belliqueuses contre les États-Unis et la Corée du Sud depuis plusieurs années. Ces derniers mois, ce discours s’est encore durci, joignant le geste à la parole.

Comme face aux provocations iraniennes, les États-Unis ont répondu, jusqu’à présent, plus que mollement aux provocations de la Corée du Nord et de son leader. Certes, celles-ci n’ont pas encore entrainé de morts, ni de blessés. Mais la retenue américaine s’explique, surtout, par les mêmes éléments que face à l’Iran, à savoir les moyens trop limités et dispersés des forces armées américaines, pour s’engager dans une confrontation avec Pyongyang.

L’escalade est-elle inévitable au Moyen-Orient et en Corée ?

Si les postures suivies par Téhéran et Pyongyang sont déjà, comme on le voit, des plus préoccupantes, et peuvent aisément mener à l’escalade au Moyen-Orient comme sur la péninsule coréenne, deux facteurs tendent à rendre les risques d’escalade encore plus pressants.

Le premier repose sur les liens renouvelés entre ces deux pays et la Russie, sur fond de guerre en Ukraine. En effet, pour rompre son isolement diplomatique, et davantage pour soutenir son effort militaire contre l’Ukraine et ses soutiens occidentaux, la Russie a radicalement changé de posture vis-à-vis de l’Iran et de la Corée du Nord depuis deux ans.

Ainsi, Moscou a obtenu de ces deux pays lourdement armés, une aide militaire substantielle, qu’il s’agisse de drones d’attaque Shahed 136 iraniens massivement employés par la Russie pour frapper les infrastructures civiles ukrainiennes, ou d’obus d’artillerie et de missiles balistiques nord-coréens, eux aussi mis en œuvre par les armées russes contre l’Ukraine.

Iran Shahed 136
L’arrivée des drones d’attaque à longue portée Shahed 136 iraniens en Russie, permit aux armées russes d’intensifier la pression menée contre les infrastructures civiles ukrainiennes, éloignant de fait une grande partie des systèmes antiaériens ukrainiens du front.

Les contreparties données par Moscou sont encore incertaines. Selon Téhéran, Moscou aurait accepté de livrer des chasseurs Su-35s, mais aussi des systèmes antiaériens à ses forces armées.

La Corée du Nord est encore plus discrète à ce sujet, même si l’on peut supposer, eu égard au million d’obus et aux missiles balistiques tactiques envoyés en Russie, que des compensations au moins aussi importantes, à celles promises à l’Iran, ont été données à Pyongyang.

Ces nouveaux systèmes d’armes, mais aussi de probables transferts de technologies russes vers ces deux pays, ainsi que le soutien promis par la Russie, ont le pouvoir de rapidement faire évoluer les rapports de force régionaux, rendant plus probable une escalade.

Le facteur le plus aggravant, concernant une possible escalade de ces théâtres, réside cependant sur leur simultanéité. En effet, si les États-Unis peinent déjà à répondre aux tensions instrumentalisées par Téhéran et Pyongyang de manière individuelle, sans venir affaiblir les postures défensives en Europe et face à la Chine, l’émergence d’une crise simultanée sur ces deux théâtres, serait tout simplement hors de portée des États-Unis, tout au moins dans le domaine conventionnel.

Task Force US Navy
L’US Navy n’a pas le potentiel suffisant pour intervenir simultanément sur plus de deux fronts, l’un majeur, l’autre secondaire, de l’aveu même du CNO.

Pire encore, si Washington venait à se retrouver dans une telle situation, il serait à craindre que la Chine vienne, elle aussi, défier les États-Unis au même moment, si pas à Taïwan, peut-être autour du différent territorial avec l’allié philippin.

De fait, les risques d’escalade entre les États-Unis, d’une part, et l’Iran ou la Corée du Nord, de l’autre, ont le potentiel, du fait de l’existence du conflit en Ukraine, et dans une moindre mesure, au Proche-Orient, de créer une escalade à l’échelle mondiale, impliquant l’ensemble des grandes puissances militaires et nucléaires.

L’interaction forte des risques d’escalade simultanée dans le monde

On le comprend, les États-Unis font, aujourd’hui, face à d’importantes tensions et des risques d’escalade plus que significatifs, qu’il s’agisse du théâtre Moyen-oriental, face à l’Iran, ou du théâtre coréen, face à Pyongyang.

Les contraintes liées à la guerre en Ukraine, et aux tensions en Europe, mais aussi à celles concernant Taïwan, face à la Chine, ont façonné la présente situation. Toutefois, c’est bien l’Iran et la Corée du Nord qui ont, aujourd’hui, les plus grandes latitudes pour venir provoquer les États-Unis, sachant que toute escalade isolée engendrait des escalades induites sur d’autres théâtres, avec à terme, une possible conflagration mondiale.

Conscient de cette opportunité unique, Téhéran, comme Pyongyang, multiplient les provocations, allant de plus en plus loin, pour pousser les États-Unis soit, à quitter le théâtre, soit à négocier, sachant que l’escalade militaire serait, pour Washington, l’option la plus risquée, même si certainement la plus tentante, y compris politiquement.

Su-35s
L’arrivée annoncée, mais toujours pas confirmée, de Su-35s en Iran, viendrait sensiblement redistribuer les cartes des équilibres militaires régionaux, surtout s’ils sont livrés avec certaines munitions performantes, comme le missile air-air à très longue portée R-37M.

La situation est d’autant plus difficile et risquée, que les États-Unis sont entrés en période de campagne électorale, peu compatible avec un débat serein autour d’une situation internationale particulièrement complexe.

La seule solution, pour contenir ces risques, pour les États-Unis, serait de déléguer aux Européens, peut-être avec la participation de certains alliés régionaux comme l’Arabie Saoudite, les Émirats arabes unis et l’Égypte, le théâtre moyen-oriental et Européen, tout en concentrant l’ensemble de ses moyens dans le pacifique face à la Chine et la Corée du Nord.

Cependant, si l’hypothèse est séduisante, elle est peu crédible aujourd’hui, en l’absence d’une nation cadre susceptible, par sa prévalence militaire, de fédérer les Européens comme le font les États-Unis depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors que les États-Unis ne semblent pas prêts à abandonner leur dominance en Europe.

Conclusion

Reste qu’en l’absence d’une évolution radicale du contexte géopolitique occidental, les risques sont, dorénavant, très significatifs, de voir le quatuor formé par la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord, s’engager simultanément dans des actions, y compris militaires, pour venir éreinter le potentiel opérationnel et l’influence politique des États-Unis, contre lesquelles les surpuissantes armées américaines seraient très certainement démunies.

À force de ne prendre en compte les théâtres, et leurs échéances, que de manière isolée, ci le Pacifique en 2027, là l’Europe en 2029, les occidentaux risquent forts de se retrouver surpris à l’échelle stratégique, si tous ces théâtres venaient à s’embraser simultanément, à plus courte échéance.

Des infrastructures défensives seront construites par les pays baltes face au bloc russe

Les trois pays baltes ont signé un accord portant sur la construction d’un ensemble d’infrastructures défensives le long de leurs frontières communes avec la Russie et la Biélorussie, afin de contenir un éventuel assaut contre ces anciennes républiques soviétiques.

Si, en Europe de l’Ouest, l’hypothèse d’une possible invasion russe contre un membre de l’OTAN, est souvent balayée d’un revers de la main par de nombreux experts estimant, non sans raison, qu’une telle action serait suicidaire pour Moscou, les principaux intéressés, les européens de l’Est partageant une frontière avec la Russie ou la Biélorussie, prennent cette menace très au sérieux.

Une inquiétude non simulée des pays baltes face à la menace russe

C’est en particulier le cas des pays Baltes. Non seulement ceux-ci partagent-ils, ensemble, 862 km de frontières avec la Russie, et 851 km de frontières avec la Biélorussie, mais ils partagent, avec la Russie, une grande partie de leur histoire récente, en tant qu’ancienne République soviétique, alors que tous les trois ont encore une part significative de leur population d’origine russe et russophone.

Pays baltes forces armées
Les armées baltes disposent de peu de moyens, mais produisent d’importants efforts pour se moderniser, en particulier dans le domaine du combat de haute intensité.

Ces populations ont déjà représenté, à plusieurs, un motif de tensions avec le Kremlin, d’autant que jusqu’à leur arrivée dans l’Union européenne, les trois républiques baltes considéraient ces populations comme des citoyens de seconde zone, subissant brimades et ayant d’immenses difficultés, ne serait-ce que pour obtenir des documents administratifs.

Enfin, ensemble, ces 3 pays ne représentent que 6 millions d’habitants, et un PIB global de 150 Md$. Ils ne disposent, de fait, que de moyens limités pour constituer leurs forces armées, aucune d’entre elles disposant, par exemple, d’aviation de chasse.

De fait, les pays baltes savent être des proies faciles pour les appétits territoriaux du Kremlin, d’autant qu’ils détiennent une position stratégique pour le contrôle de la mer Baltique, ainsi qu’un accès terrestre avec l’enclave de Kaliningrad, et qu’ils connaissent, mieux que quiconque, le mode de décision appliqué par le pouvoir russe.

Il est d’ailleurs très vraisemblable que s’ils n’avaient pas rejoint l’OTAN et l’Union européenne, ces trois pays seraient dans le viseur de Moscou, ou auraient déjà dû rejoindre la Fédération de Russie manu militari.

Un réseau défensif sur l’ensemble des frontières des pays baltes avec le bloc russe

Face à un tel constat, les gouvernements estoniens, lettons et lituaniens, font partie des plus exemplaires en matière d’effort de défense au sein de l’OTAN, ne cédant qu’aux États-Unis, à la Grèce et à la Pologne dans ce domaine.

Baltic air Policing OTAN Mirage 2000-5
Deux Mirage 2000-5F effectuent un vol suite à un tango scramble le 21 août 2018 sur la base aérienne d’Ämari en Estonie.

L’Alliance, quant à elle, participe à leur défense depuis 2004 avec le déploiement d’une escadrille de chasse d’un pays membre, dans le cadre de l’opération Baltic Air Policing, et depuis 2017, d’un bataillon mécanisé composé par des forces de plusieurs membres, dans chacun de ces pays.

Bien que protégées par ces déploiements, les armées baltes ne cessent de se renforcer, alignant 35 000 hommes et femmes d’active, et plus de 10 000 réservistes. Toutes investissent massivement pour moderniser leurs moyens, avec l’acquisition de nouveaux blindés, systèmes d’artillerie et autres systèmes antiaériens.

Pour faire face à la montée en puissance probable des armées russes dans les années à venir, mais aussi des appétits du Kremlin pour de nouveaux territoires, les ministres de la Défense estonien Hanno Pevkur, letton Andris Spruds et lituanien, Arvydas Anušauskas, ont signé un accord, ce 19 janvier, afin de construire un ensemble de dispositifs et infrastructures à visée défensive, le long de leurs frontières respectives avec la Russie et la Biélorussie.

Le détail de ce programme, comme son ampleur, sa nature, son calendrier ou son cout, n’ont pas été communiqués pour l’heure.

L’efficacité des infrastructures défensives mise en évidence en Ukraine

Il faut dire que ces infrastructures défensives, considérées depuis longtemps comme désuètes dans un contexte de guerre aéroterrestre moderne, ont retrouvé de l’attrait après avoir démontré une grande efficacité en Ukraine.

Infrastructures défensives ukrainiennes
En Ukraine, les deux camps se sont retranchés dans des infrastructures défensives couvrant désormais l’ensemble de la ligne d’engagement.

En effet, la neutralisation des forces aériennes ukrainiennes, mais aussi russes, a privé celles-ci de la possibilité de frapper avec efficacité et précision ces infrastructures conçues pour soutenir le feu de l’artillerie.

De fait, depuis que les deux armées se sont enterrées, à partir du début de l’hiver 2022, les offensives russes comme ukrainiennes se sont toutes conclues par des pertes massives chez l’attaquant, en particulier parmi les forces mécanisées et d’infanterie mobilisées dans ces assauts, pour des gains territoriaux négligeables.

En outre, ces dispositifs défensifs sont, le plus souvent, entourés de très importants champs de mines antichars et antipersonnels, limitant encore plus les possibilités de manœuvre de l’adversaire et entrainant une certaine fixation de la ligne d’engagement, sans qu’aucun des belligérants ne puisse parvenir à prendre un quelconque avantage offensif significatif.

On comprend, dans le contexte spécifique des pays baltes, qui savent pouvoir compter sur la puissance aérienne de l’OTAN dans des courts délais, mais aussi que les déploiements de forces au sol au sein de l’alliance sont longs et complexes, les raisons ayant amené Vilnius, Riga et Tallinn, à s’engager dans la construction d’un tel rideau défensif, conçu pour bloquer une éventuelle offensive russe, donnant ainsi le temps aux forces alliées d’intervenir le cas échéant.

Rappelons, à ce titre, que les plans défensifs de l’OTAN, face à une éventuelle attaque russe, datant d’avant la guerre en Ukraine, prévoyaient la capture des pays baltes en quelques jours par l’offensive russe, avant qu’ils soient repris par la contre-offensive de l’OTAN, dans un délai de 3 à 6 mois.

Une initiative inspirante, mais potentiellement limitée dans le temps

L’initiative balte pourrait d’ailleurs faire tache d’huile auprès des pays membres de l’OTAN partageant les mêmes caractéristiques, avec une importante frontière terrestre avec la Russie ou ses alliés, et qui redoutent une action offensive de Moscou dans les années à venir.

Ligne maginot Exportations d'armes | Alliances militaires | Analyses Défense
La célèbre Ligne Maginot n’a été d’aucune utilité face à l’offensive allemande de mai 1940, qui l’a tout simplement contourné.

On pense bien évidemment à la Finlande, membre de l’OTAN depuis un an, qui partage 1300 km de frontières avec la Russie, et dont les 5,5 millions d’habitants ne peuvent pas rivaliser avec les 140 millions de Russes, même si les armées finlandaises sont réputées pour leur grande efficacité, en particulier en hiver.

C’est aussi le cas de la Pologne avec 420 km de frontières avec la Biélorussie, qui construit la plus importante force armée conventionnelle européenne en Europe, et qui, de fait, représente un adversaire majeur pour les armées russes pour s’imposer sur le vieux continent.

Toutefois, il convient de garder à l’esprit que la réalité du champ de bataille en Ukraine est spécifique à celui-ci, dans sa géographie, mais aussi dans son contexte et sa temporalité. Ainsi, il apparait que les armées ukrainiennes, mais aussi russes, font preuve d’une formidable capacité d’adaptation pour contourner les obstacles et menaces auxquelles elles sont confrontées.

Dès lors, si les infrastructures défensives ont montré, par le passé, leurs limites face à des offensives finement planifiées, comme lors de l’attaque allemande contre la France et la Belgique en mai 1940, et si elles perdirent, avec le temps, de leur attrait avec l’apparition de nouveaux moyens offensifs, il est probable qu’une évolution similaire vienne à émerger à l’avenir, surtout si les infrastructures défensives tendent à se généraliser.

La Slovénie commande le système antiaérien IRIS-T SLM allemand dans le cadre de l’Initiative Européenne Sky Shield

La Slovénie a officialisé, ce 25 janvier, la commande d’un système antiaérien IRIS-T SLM auprès du BAAINBw allemand, le bureau fédéral de la Bundeswehr d’acquisition des technologies de défense, et de l’industriel Diehl Defence. Cette commande intervient dans le cadre de l’initiative européenne Sky Shield (IESS) lancée par l’Allemagne en aout 2022, auquel Ljubljana a adhéré dès son lancement.

Auréolé d’une efficacité remarquable au combat en Ukraine, le système IRIS-T SLM a déjà été choisi, ces derniers mois, par l’Allemagne, l’Estonie et la Lettonie, et pourrait connaitre un important succès dans les mois et années à venir, grâce à une stratégie commerciale et industrielle parfaitement huilée d’une redoutable efficacité.

Le système antiaérien à moyenne et courte portée IRIS-T SLM de Diehl Defence

Conçu à partir de 2007 dans le cadre du programme MEADS qui donna naissance, par ailleurs, au Patriot PAC-3 MSE, le système antiaérien à courte et moyenne portée IRIS-T Surface-Launched Medium Range, ou SLM, s’appuie, à l’instar du NASAMS ou du MICA VL, sur un missile air-air à courte portée, l’IRIS-T allemand.

IRIS-T SLM
Le système IRIS-T et son radar 3D TRML-4D assure une défense antiaérienne à 360° sur 40 km

Il est entré en service en 2022, et se compose du très performant radar 3D TRML-4D conçu par Hensoldt, de transporteurs-érecteurs lanceurs mobiles montés sur camion mettant en œuvre, chacun, 8 missiles, et du missile IRIS-T à guidage infrarouge, particulièrement agile grâce à une poussée vectorielle, disposant d’une navigation inertielle et d’une liaison de donnée.

Avec une portée de 40 km et un plafond à 20 km, l’IRIS-T s’est montré très efficace et réactif en Ukraine, qui met en œuvre trois systèmes de ce type, en particulier face aux missiles de croisière russes. Qui plus est, et contrairement à d’autres systèmes comme le SAMP/T Mamba franco-italien, les IRIS-T SLM ukrainiens reçoivent régulièrement de nouveaux missiles, de sorte qu’ils demeurent actifs et efficaces, pour assurer leurs missions.

Le pivot central de l’Initiative Européenne Sky Shield et de la stratégie commerciale allemande

Si les performances des IRIS-T SLM en Ukraine participent au succès commercial du système déjà choisit, à l’export, par trois pays européens, elles ne constituent qu’un des arguments dont disposent Diehl Defence pour le promouvoir sur la scène européenne et internationale.

Ainsi, l’industriel allemand a finement planifié sa production industrielle, de sorte à conserver en permanence des créneaux de production. Ainsi, toute nouvelle commande entrante, pourra être traitée sur des délais relativement courts.

Dans le contexte de tension et de modernisation rapide des forces armées occidentales, en particulier au sein de l’OTAN, ce critère de délais court, joue évidemment à plein, pour soutenir l’attractivité du système.

Arrow 3
Le système Arrow 3 est conçu pour intercepter des missiles balistiques de moyenne portée ou de portée intermédiaire. La Russie ne possède aucun de ces missiles dans son inventaire.

Surtout, l’IRIS-T SLM est, pour ainsi dire, le pivot de l’Initiative européenne Sky Shield, lancée par l’Allemagne en aout 2022, pour constituer un réseau de défense antiaérien et anti-missile global en Europe du Nord et de l’Est. À ce sujet, la commande slovène du système IRIS-T SLM constitue la première s’appuyant sur le nouveau contrat standardisé conçu dans le cadre de l’IESS.

Les produits d’appel de Berlin, pour cette initiative, sont les batteries antibalistiques ARROW 3, acquises auprès de Jérusalem pour 5 Md€, pour servir de bouclier antimissile complémentaire aux deux sites AEGIS Ashore polonais et roumains de l’OTAN, et aux éventuels THAAD déployés par l’US Army pour contrer les menaces balistiques russes.

Pour la défense antiaérienne à longue portée, et pour la défense antibalistique à courte portée, l’IESS s’appuie sur le système américain Patriot, en service au sein de seulement cinq des 19 forces armées participant à celle-ci (Allemagne, Pays-Bas, Roumanie, Suède et Suisse).

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L’IRIS-T se montre très efficace et apprécié des troupes en Ukraine.

Le dernier système intégré à cette initiative, n’est autre que l’IRIS-T SLM, pour la défense à moyenne et courte portée. De fait, il constitue la brique élémentaire de cette initiative, que chacun des pays participants devra mettre en œuvre pour pouvoir, effectivement, y participer, et ainsi s’assurer de la protection conférée par les Arrow 3 allemands, même si celle-ci est, dans les faits, contestable.

On comprend, dans ce contexte, les raisons qui ont amené Diehl Defence à ainsi dimensionner son outil productif, sans que les commandes à l’exportation ne le justifient, à ce moment-là. De toute évidence, l’IRIS-T a toutes les cartes en main pour s’imposer massivement en Europe.

La porte ouverte pour la promotion du nouveau système SHORAD allemand

Le succès prévisible du SLM pourrait bien permettre à l’industrie allemande de défense de faire coup double en Europe. En effet, il y a quelques jours, Berlin a annoncé qu’il dépenserait 1,3 Md€ pour developper un système antiaérien à très courte portée (SHORAD) mobile, destiné à remplacer les Gepard.

Les trois industriels retenus pour ce développement sont Rheinmetall, qui a conçu la tourelle antiaérienne Sky Ranger 30, mais aussi Hensoldt et Diehl Defence. En effet, le nouveau SHORAD allemand sera conçu pour s’intégrer nativement à la bulle de défense formée par l’IRIS-T SLM, afin de la compléter.

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Le Skyranger 30 sera certainement au cœur du nouveau système SHORAD de la Bundeswehr.

Or, la guerre en Ukraine montre que la complémentarité des systèmes constituent une plus-value considérable en matière de défense antiaérienne, en particulier lorsqu’il s’agissait des systèmes SHORAD et des systèmes à courte et moyenne portée.

Qui plus est, les systèmes SHORAD armés de canons s’avèrent particulièrement adaptés pour contrer les drones d’attaque à longue portée, comme les Geranium russes, copies locales du Shahed 136 iranien.

De fait, l’industrie allemande sera prochainement en capacité de fournir deux systèmes nativement complémentaires et coopérants, par ailleurs intégrés au réseau IESS de défense antiaérienne européen. Une offre qui saura, sans le moindre doute, séduire de nombreuses forces armées sur le vieux continent.

On peut naturellement regretter les manœuvres allemandes pour imposer son IESS, et en exclure français et italiens, qui disposent pourtant de systèmes européens concurrents du Patriot (SAMP/T Mamba), mais aussi de l’IRIS-T SLM (MICA VL NG). Toutefois, une telle planification stratégique, associant capacités industrielles, attractivité stratégique et même démonstration d’efficacité, a de quoi forcer le respect.

Les armées britanniques perdraient 3 soldats pour un seul recrutement

À l’occasion d’une session d’un comité parlementaire britannique, l’un des intervenants, membre du Parlement, a interpelé le secrétaire permanent du ministère de la Défense, au sujet des difficultés que rencontrent les armées en matière de recrutement et de fidélisation de leurs effectifs. Selon lui, les armées de Sa Majesté, perdraient trois militaires pour un unique recrutement.

Ce problème de ressources humaines est loin de ne toucher que les armées britanniques En effet, partout en Europe, et plus globalement en occident, les forces armées font face à d’importantes difficultés dans ce domaine, même si elles peuvent revêtir des aspects différents. Dans le même temps, les armées russes et chinoises, semblent y être bien moins exposées, créant un enjeu de portée stratégique à ce sujet dans les années à venir.

Tous les pays européens se sont engagés, avec plus ou moins de détermination, dans l’augmentation de leurs dépenses de défense, sous la pression conjointe des tensions avec la Russie et de l’OTAN pour y faire face.

Toutefois, si les annonces concernant les programmes d’acquisition et de développement de nouveaux équipements se multiplient, à grand renfort de milliards d’euros, toutes ces armées font face à un important problème polymorphe dans le domaine des ressources humaines.

Le phénomène semble prendre, ces derniers mois, une dimension critique, venant menacer, au-delà des ambitions affichées de modernisation et de renforcement des armées, l’effectivité même de l’outil de défense, pourtant financé par un effort financier majeur.

Les armées britanniques ne parviennent pas à enrayer la crise des ressources humaines

Si les alertes se sont multipliées en Europe, comme dans l’ensemble de la sphère occidentale, depuis plusieurs années, les informations qui remontent aujourd’hui, quant aux difficultés que rencontrent les armées pour recruter, mais aussi pour fidéliser leurs effectifs, prennent désormais un caractère à ce point inquiétant qu’il en devient stratégique.

armées britanniques
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La dernière alerte en date est venue de Grande-Bretagne, à l’occasion d’une session du Comité des comptes publics examinant le plan d’équipement de défense 2023-33.

Interrogeant David Williams, le secrétaire permanent du ministère de la Défense, au sujet des révélations faites par la presse britannique concernant la baisse des effectifs en cours au sein de la British Army, le secrétaire permanent du comité a indiqué, qu’aujourd’hui, les armées britanniques perdaient trois personnels pour un unique recrutement, créant une situation particulièrement dangereuse pour l’avenir des forces armées britanniques.

Sans confirmer cette déclaration problématique, David Williams s’est contenté de dire qu’elle était pour l’heure « privée » et réservée au « 5ᵉ étage », l’étage ou siège le Secrétaire à la Défense (le ministre de la Défense en Grande-Bretagne), et que des mesures avaient été prises, avec des incitations financières notamment, pour accroitre les recrutements, augmenter les durées d’engagement, et enrayer les départs.

Un problème qui touche toutes les armées européennes

Le fait est, l’immense majorité des armées européennes font, aujourd’hui, face à des problèmes importants d’effectifs. En aout dernier, la Bundeswehr avait reconnu qu’elle faisait face à un déficit de 30 % dans ses recrutements, pour maintenir ses effectifs et répondre aux ambitions visées par le ministère de la Défense, alors que les recrutements ont encore baissé de 7% en 2023.

Bundeswehr
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Les armées néerlandaises, pour leurs parts, affichaient un déficit de 8 600 postes en 2021, alors qu’elles ne comptent que 41 000 personnels d’active. Même les armées françaises, qui pourtant semblaient mieux résister en Europe que leurs voisines, font face à un départ important de cadres, 11 % par an, qu’elles peinent à compenser.

Si cette crise des effectifs est globale, elle ne prend pas la même forme partout. Ainsi, les armées polonaises font, comme la France, face à un important problème de fidélisation de ses cadres expérimentés, venant menacer les objectifs de croissance des forces armées du pays, même si les recrutements demeurent dynamiques.

L’Italie, pour sa part, si elle parvient à stabiliser globalement ses effectifs, peinent à trouver des volontaires pour les missions contraignantes, comme à bord de ses navires de combat, les militaires italiens ayant la possibilité de refuser certaines affectations jugées difficiles pour la vie personnelle ou de famille.

Même la plus puissante armée du monde, l’armée américaine, rencontre des difficultés majeures, liées en grande partie à la dégradation du potentiel physique des candidats. Ainsi, dans un récent rapport, il apparaissait que 71 % des jeunes américaines ne répondaient pas aux critères physiques imposés pour rejoindre l’une des Armées américaines, alors que 7 militaires sur 10 étaient en situation de surpoids et d’obésité.

Le retour de la conscription pour endiguer l’hémorragie des effectifs militaires

Face à ce défi, plusieurs pays européens ont fait le choix d’un retour à la conscription obligatoire. Les objectifs d’une telle mesure sont d’endiguer les difficultés de recrutement et de rétention des personnels auxquelles les armées faisaient face, mais aussi de permettre une augmentation du format des armées, afin de répondre à l’évolution de la menace, tout en accroissant le potentiel de réserve, en cas de besoin.

armée suédoise
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Toutefois, après presque trois décennies de budgets Defense réduits, liés à la fin de la guerre de froide, presque aucune des armées européennes, même celles qui conservèrent une forme de conscription, n’a les moyens d’intégrer, former et exploiter une classe d’âge dans son ensemble.

De fait, beaucoup de pays se sont inspirés du modèle scandinave, avec une conscription obligatoire, mais partielle, seule une partie d’une classe d’âge étant effectivement appelée sous les drapeaux.

Loin de créer un phénomène de rejet, cette approche, appliquée avec brio notamment par les pays scandinaves, permet aux armées de recruter les candidats les plus prometteurs et motivés, proportionnellement à leurs besoins et leurs capacités d’encadrement et de formation.

Cette sélectivité est même devenue un argument de promotion personnelle, y compris dans la future vie professionnelle des conscrits, au point qu’une véritable compétition existe désormais entre les futurs conscrits potentiels, pour être effectivement appelés sous les drapeaux.

D’autres approches sont considérées pour tenter de répondre à ces enjeux. Ainsi, la France a annoncé qu’elle entendait doubler le format de sa Garde Nationale d’ici à 2030, passant de 40 000 à 80 000 réservistes opérationnels à cette date. L’Allemagne, pour sa part, semble envisager le recours à des volontaires étrangers, pour palier le manque de volontaires au sein de la Bundeswehr.

armée croate
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Il convient toutefois de rappeler qu’en dehors de quelques exceptions, comme la Légion Étrangère française ou les Gurkhas népalais, des unités d’élite dont les faits d’armes constituent le principal facteur de motivation des candidats, les tentatives de ce type se sont rarement avérées efficaces, y compris lorsque les Armées US tentèrent d’y recourir pour trouver des volontaires pour l’Irak et l’Afghanistan.

Qu’en est-il en Russie et en Chine ?

Si les difficultés de recrutement et de fidélisation handicapent sévèrement les armées de l’OTAN, qu’en est-il des deux principaux compétiteurs militaires de l’occident, la Chine, et la Russie ?

Si l’Armée Populaire de Libération ne communique que très peu sur ses difficultés dans ce domaine, elle a cependant, il y a quelques mois, publié un rapport sur les difficultés qu’elle rencontre pour trouver des jeunes chinois aptes à servir en son sein. Rappelons qu’en Chine, le service militaire est obligatoire, mais qu’en règle générale, le nombre de volontaires chaque année dépasse le nombre de postes à pourvoir.

Armée Populaire de Libération chinoise
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Le plus important problème rencontré, pour l’APL, n’est cependant pas le surpoids ou le manque de condition physique, comme aux États-Unis, même s’ils existent. Il semblerait, en effet, qu’une majorité de jeunes chinois souffrent de sévères myopies, les rendant inaptes au service dans les forces armées. Toutefois, des mesures ont été prises pour répondre à cet obstacle, en abaissant les exigences dans ce domaine.

La situation est sensiblement différente en Russie. Comme en Chine, le service militaire est obligatoire, et chaque année, ce sont en moyenne 250 000 à 300 000 jeunes russes qui l’effectuent. Néanmoins, les statuts de conscription interdisent le déploiement des conscrits en dehors des frontières du pays, sauf en cas de guerre.

L’intervention en Ukraine étant qualifiée d’opération militaire spéciale, et non de guerre, les nombreux conscrits dans les armées russes ne peuvent pas y être envoyés, excepté à signer un contrat d’engagement.

Pour autant, chaque année, presque 300 000 jeunes russes reçoivent une formation militaire souvent éprouvante, et sont, par la suite, mobilisables au besoin. paradoxalement, les personnels mobilisés sont susceptibles, eux, d’être déployés lors d’une opération militaire spéciale.

conscrits russes
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Au-delà de cette conscription, les armées russes ne manquent pas de volontaires, y compris pour être déployés en Ukraine. En effet, les soldes proposées par le ministère de la Défense atteignent et parfois dépassent les 250 000 roubles par mois, soit plus de 2300 €, ce qui représente, dans de nombreuses régions, l’équivalent de six mois, parfois un an, de salaire moyen.

De fait, en dépit de ses pertes, les armées russes se constituent, aujourd’hui, un potentiel de ressources humaines mobilisables tout à fait considérable, qui atteindra son apogée, autour de 4 millions d’hommes mobilisables et 1,5 million d’hommes dans les forces d’active, d’ici à la fin de la décennie, si l’ensemble des dispositifs est maintenu.

Conclusion

On le voit, la question de la crise des effectifs qui touche aujourd’hui de nombreuses forces armées occidentales, constitue un enjeu majeur et particulièrement complexe, accentué par les besoins de durcissement des capacités opérationnelles défensives imposés par les tensions internationales.

Surtout, par son caractère universel et étendu, ce problème s’avère bien plus structurel que conjoncturel, et appelle donc à des solutions qui ne peuvent pas se trouver dans le périmètre qui lui a donné naissance.

US Army salute Exportations d'armes | Alliances militaires | Analyses Défense
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La conscription obligatoire, mais partielle et sélective, semble représenter une solution efficace, comme le démontre la manière dont les pays scandinaves l’emploient avec succès pour endiguer la crise des vocations professionnelles, ainsi que les besoins d’augmentation de la masse des armées.

Enfin, il convient, pour y répondre, de garder un œil attentif sur les trajectoires et dispositifs mis en œuvre en Russie et en Chine, les deux plus importants compétiteurs stratégiques du bloc occidental, qui semblent ne pas rencontrer les mêmes entravent, soit du fait d’un potentiel démographique très important, ou d’un modèle de société tout orienté vers la force militaire.

Le ministère de la Défense croate recommande le retour à la conscription

Le ministère de la Défense croate a recommandé un retour à la conscription pour renforcer les effectifs des forces armées, et ainsi répondre à la montée des tensions en Europe de l’Est et dans les Balkans. Cette déclaration intervient deux semaines après que la Serbie a annoncé son intention de réinstaller, elle aussi, le service militaire obligatoire.

Avec 4 millions d’habitants et un PIB d’à peine 70 Md€, la Croatie est un des plus petits pays à la fois de l’Union européenne, et de l’OTAN. En dépit d’un budget défense de seulement 1 Md€, soit 1,5 % de son PIB, hors pensions, il dispose d’une puissance militaire non négligeable, proportionnellement parlant. Toutefois, les tensions en Europe de l’Est, ainsi que dans les Balkans, suscitent l’inquiétude du ministère de la Défense, qui vient de recommander un retour de la conscription, suspendue depuis 2007.

Les forces armées croates

Bien que n’ayant qu’un budget de 1 Md€ chaque année, les forces armées croates sont étonnamment polyvalentes et bien équipées. Ainsi, avec 15 000 militaires actifs, et 20 000 réservistes, elles disposent, proportionnellement à sa population, d’un taux de représentativité (hors réserves) des forces armées de 0,37 %, 30 % supérieur aux 0,29 % français, et presque deux fois plus élevé que les 0,22 % de l’Allemagne.

Celles-ci sont aussi bien équipées, avec 75 chars de combat M-84A en cours de modernisation, une centaine de VCI Bradley en cours de livraison, 150 APC Patria AMV ou encore 15 canons automoteurs Pzh2000. Sa force navale se compose principalement de 5 patrouilleurs lance-missiles sur les 30 navires qui constituent sa flotte.

ministère de la défense Croate M-84A tank
Quinze fois moins peuplée et quarante fois moins riche que la France, la Croatie aligne pourtant seulement un ensemble de capacités particulièrement étendu, allant du combat terrestre de haute intensité, à la guerre aérienne et navale.

Les forces aériennes croates, quant à elles, voient leurs Mig-21 remplacés, à partir de cette année, par les premiers des douze Rafale F-3R acquis d’occasion auprès de la France, ainsi qu’une douzaine d’hélicoptères de manœuvre UH-60 et Mi-171sh, et quinze hélicoptères d’attaque et de reconnaissance legers OH-58 Kiowa.

Bien que modestes en volume, les forces armées croates sont donc particulièrement polyvalentes, et disposent même de certaines capacités, comme une flotte de chasse, souvent réservées à des pays bien plus peuples, et beaucoup plus riches.

Les tensions en Europe de l’Est et dans les Balkans préoccupent le ministère de la Défense croate

Pour autant, le retour des tensions en Europe de l’Est, face à la Russie, mais aussi dans les Balkans, entre les pays qui formaient précédemment la Yougoslavie, inquiète le ministère des Armées croate.

À l’instar de ces pays ayant une expérience encore fraiche de la guerre, ou tout du moins, vivant dans un environnement proche tendu, la Croatie, bien qu’appartenant à l’OTAN et à l’UE, reste sur ses gardes, et maintient une posture opérationnelle significative de ses forces armées.

Rafale B forces aériennes croates
La Croatie est l’un des plus petits pays disposant d’une flotte de chasse, qui plus est équipée du très performant Rafale français.

À ce titre, l’effort de défense du pays, qui atteindra 1,56 % du PIB en 2024, est peu révélateur de la réalité effective de cet effort. Celui-ci est, en effet, calculé hors pensions et sur un périmètre militaire stricte, là où plusieurs autres pays européens présentent des chiffres plus flatteurs, mais calculé sur un périmètre bien plus large.

Surtout, la Croatie connait une croissance économique très variable (+4% en 2019, -8% en 2020, +13% en 2021, +8% en 2022), rendant cet indicateur instantané peu efficace, ou tout du moins, moins performant que pour des économies plus larges et résilientes.

Toutefois, bien que Zagreb se soit engagé à atteindre un effort de 2 % dans les années à venir, comme les autres membres de l’OTAN, les marges de croissance pour les armées croates sont aujourd’hui étroites, en particulier dans le domaine des effectifs.

Enfin, la Serbie a annoncé, au début du mois de janvier, qu’elle se dirigeait vers un retour de la conscription pour renforcer les effectifs de ses armées, déjà 50 % plus importants que ceux des armées croates.

L’ensemble de ces facteurs a amené le ministère de la Défense croate, à recommander au gouvernement du pays de suivre l’exemple de la Serbie, toujours considérée comme une menace potentielle, en réinstaurant la conscription obligatoire.

Un important soutien de l’opinion publique croate pour un retour de la conscription obligatoire

Le ministère de la Défense dispose, dans sa demande, d’un allié de poids, l’opinion publique croate elle-même. En effet, Un sondage mené par le site d’information Vecernji, auprès de 11 300 personnes, montrait un soutien au-delà de 70 % à un retour de la conscription.

Défilé forces armées croates
Le souvenir de la guerre d’indépendance reste encore vivace dans l’opinion publique croate, qui demeure très attachée et proche de ses forces armées.

Bien que la validité de ce type de sondage en ligne soit souvent discutable, un tel score montre une réelle dynamique en faveur d’un retour à la conscription dans le pays, qui pourrait venir convaincre le président de la République social démocrate Zoran Milanović, alors que 2025 sera une année d’élection dans le pays.

Un élan européen pour un retour à la conscription

Alors que l’immense majorité des forces armées européennes a renoncé à la conscription entre 2000 et 2013, sur l’autel des bénéfices de la paix, pour se tourner vers des armées professionnelles adaptées aux missions extérieures, la dynamique inverse s’est engagée depuis le retour des tensions en Europe de l’Est, avec l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014.

Ainsi, si certains pays n’ont jamais renoncé au service militaire obligatoire, comme la Grèce, la Norvège, l’Autriche, la Finlande ou encore, le Danemark, plusieurs y sont revenus depuis 2014. D’abord, ce fut le cas de la première intéressée, l’Ukraine, en 2014, suivie de Lituanie en 2015, de la Suède en 2017, et plus récemment de la Lettonie en 2022.

D’autres pays mènent des réflexions sur le sujet, comme la Roumanie, ou les Pays-Bas. Certains, enfin, suivent une trajectoire mixte, avec un service militaire obligatoire, mais non systématique, comme la Suède ou la Pologne.

En Europe de l’Ouest, le sujet est régulièrement évoqué, y compris par les dirigeants des pays, mais se heurte aux difficultés qu’un retour à une conscription de masse imposeraient. De manière intéressante, que ce soit en Allemagne (61 %), comme en France (65 %), une majorité nette de l’opinion publique se dit favorable à un retour de la conscription obligatoire.

Programme MGCS : les positions allemandes et françaises se rapprochent

Les éclaircissements apportés récemment par la Bundeswehr, au sujet de ses ambitions et attentes concernant le programme MGCS, montrent des positions allemandes beaucoup plus proches de celles exprimées par la France, qu’on ne pouvait le penser jusqu’à présent. Si ce rapprochement conceptuel se confirme, MGCS pourrait même devenir le pilier d’un nouveau modèle de coopération industrielle européen, bien plus efficace et pertinent que ceux appliqués jusqu’à présent, avec souvent d’immenses difficultés à la clé.

Entre la reprise en main politique annoncée cet été par le ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, et son homologue allemand, Boris Pistorius, et l’arrivée annoncée de l’Italie, le programme MGCS semble, depuis quelques semaines, en bien meilleure posture qu’il ne l’était quelques mois auparavant.

Toutefois, de nombreuses voix s’étaient inquiétées des profondes divergences qui semblaient opposer les attentes allemandes et françaises au sujet de la conception même du blindé.

Ainsi, si la France entendait developper un char relativement léger pour une grande mobilité, ainsi qu’une gamme de blindés spécialisés. L’Allemagne, pour sa part, paraissait vouloir reprendre le modèle qui avait fait le succès du Leopard 2, à savoir un blindé lourd capable d’effectuer l’ensemble des missions, en le dotant de nombreuses capacités complémentaires.

Les positions exprimées lors de la conférence Defence iQ International Armoured Vehicles à Twickenham, par le colonel Armin Dirks, chef des opérations de l’équipe de projet combinée MGCS au sein du Bureau fédéral de l’équipement, de la technologie de l’information et du soutien en service de la Bundeswehr (BAAINBw), montrent, au contraire, que les attentes françaises et allemandes se sont considérablement rapprochées.

« 50 tonnes, pas un gramme de plus ! »

En premier lieu, la Bundeswehr s’est résolument rangée à l’idée que les nouveaux blindés lourds qui seront issus de ce programme destiné à prendre le relais, jusqu’en 2050, du Leopard 2, devront être beaucoup plus légers que ne l’est le char allemand aujourd’hui.

Leopard 2A7
Au fil des évolutions, le Leopard 2 est passé de 55 tonnes (A4) et presque 64 tonnes (A7), alourdissant autant l’empreinte au sol que l’empreinte logistique du char allemand.

Le lieutenant-général Andreas Marlow, le vice-chef de l’armée allemande, avait posé le sujet de manière particulièrement limpide, en réclamant un blindé qui ne dépasserait pas les 50 tonnes, même d’un gramme.

De toute évidence, comme le montre les engagements récents des Leopard 2, Challenger 2 et Abrams en Ukraine, les chars très lourds, comme ceux-ci qui dépassent tous les 60 tonnes, s’ils se montrent, en effet, plus résistants et polyvalents que les T-64M qui forment le gros de l’armée blindée ukrainienne, sont aussi sensiblement moins mobiles.

Surtout, un telle masse engendre une consommation et des contraintes logistiques et de maintenance plus élevées, qui nuisent, au final, à la manœuvre. C’est précisément la raison qui avait amener les français à viser un blindé « plus léger », là encore autour des 50 tonnes, sans toutefois être aussi ferme sur le sujet que ne l’a été le général Marlow récemment.

Une plateforme, plusieurs blindés spécialisés

Avec des objectifs de masse au combat aussi limités, les contraintes sont, bien évidemment, nombreuses sur la conception du programme. La plus importante d’entre elles, est qu’il sera impossible de mettre l’ensemble des équipements et capacités requis pour couvrir tous les scenarios d’engagement, dans un unique blindé.

De fait, la Bundeswehr préconise dorénavant, non pas un, mais une famille de véhicules de combat blindés, conçu par le programme MGCS. S’ils partagent tous le même châssis, et certainement, la même motorisation, pour des questions de maintenance, et de logistique, les blindés seront, quant à eux, spécialisés en fonction des missions, et des équipements emportés.

programme MGCS vision française 2021
Vision synthétique du programme MGCS diffusée en 2021 par KNDS.

Dans l’illustration présentée par le colonel Dirks (en illustration principale de cet article), sont ainsi montrés trois blindés différents. Le premier est armé d’un canon de fort calibre, et se rapproche de la définition actuelle du char de combat. Le second emporte des missiles tactiques, prêts à l’emploi. Le troisième et dernier blindé, est dépourvu d’armement lourd, sauf ce qui peut apparaitre comme une arme à énergie dirigée.

Ce découpage rappelle beaucoup celui présenté en 2021 par Nexter, qui lui aussi s’appuyait sur une version char de combat, armée d’un canon lourd, une version lance-missile, et une version de combat d’infanterie et/ou de commandement, armée d’armes moins lourdes.

Toutefois, la vision allemande semble aller plus loin que celle développée en 2021. Dans son discours, le colonel Dirks a présenté les deux blindés armés comme des véhicules entièrement robotisés et dénués d’équipage, alors que le troisième constituerait le véhicule mère en charge du contrôle des blindés au combat.

Robotisation et propulsion hybride au cœur des blindés MGCS

En effet, la robotisation est omniprésente dans la vision développée par l’état-major allemand. Au point qu’il apparait, ici, que tous les véhicules blindés offensifs, ou portant la puissance de feu, seront complètement robotisés et automatisés.

Une telle ambition représente un enjeu technologique considérable. En effet, s’il est déjà particulièrement complexe, dans le cadre des programmes d’avions de combat de 6ᵉ génération, ou des navires et sous-marins robotisés à venir, de developper des capacités robotisées fiables et efficaces, sans venir surcharger le travail de l’équipage qui en a le contrôle, la difficulté est démultipliée lorsqu’il s’agit de combat terrestre.

Neuron Rafale
Contrairement aux robots terrestres, les drones aériens savent depuis longtemps gérer leur vol et leur trajectoire de manière autonome, le ciel étant bien plus simple à appréhender qu’un champ de bataille terrestre.

Ainsi, la technologie sait, depuis plusieurs décennies, déléguer le pilotage d’un avion, ou la navigation d’un navire, à un système automatisé. Ce n’est toujours pas le cas, aujourd’hui, concernant les déplacements terrestres, en particulier sur des terrains aussi complexes et évolutifs que les champs de bataille.

Ce sont, d’ailleurs, précisément ces enjeux, en termes d’intelligence artificielle, mais aussi de communication et d’interface homme-machine, qui avaient fait dire au Chef d’état-major de l’Armée de terre française, que les technologies nécessaires pour la conception de MGCS ne seraient pas prêtes et fiabilisées avant 2040, dans le meilleur des cas.

Cette robotisation et numérisation des blindés à venir, impose également de disposer d’une production d’énergie électrique importante, accrue par les besoins à venir en termes d’armes à énergie dirigée, et de capacités de détection, d’identification et de communication, dont chaque véhicule devra être doté.

Pour y répondre, et au-delà des avantages inhérents, comma la furtivité et un possible regain de puissance propulsive, à ce mode de propulsion déjà bien connu, une propulsion hybride électrique s’impose à l’ensemble des blindés du programme MGCS.

Une convergence salvatrice pour MGCS, qui évolue vers un programme de programmes

On le voit, les éclaircissements apportés par le colonel Dirks, il y a quelques jours, présentent un tableau radicalement différent de celui qui était généralement dressé concernant le programme MGCS, et les profondes divergences qui opposaient la vision allemande et française du besoin.

EMBT char
L’approche de programme de programmes pourrait permettre d’intégrer le développement de EMBT au sein de MGCS.

Au contraire, il semble, désormais, que les ambitions et objectifs entre les deux armées, se sont considérablement rapprochés, au point que les points de divergences apparaissent même difficiles à trouver.

Il s’agit, bien évidemment, d’une excellente nouvelle, pour la pérennité du programme, qui se voit ainsi largement renforcée, en particulier après que l’Italie ait été admise à le rejoindre, entrainant une profonde redistribution industrielle en son sein.

Outre ces convergences, la trajectoire tracée par la Bundeswehr, rapproche encore davantage le programme MGCS, d’un programme de programmes, et s’éloigne de la simple notion de système de systèmes, dont il était question comme paradigme de conception.

En effet, en multipliant les plateformes, tout en imposant une base technologique unique et standardisée, MGCS ouvre de nombreuses possibilités pour répondre aux besoins spécifiques de chacune des armées. Surtout, il va sensiblement simplifier les questions de partage industriel, afin de permettre à chaque industriel de conserver certaines compétences clés.

MGCS peut-il inspirer le programme SCAF ?

À ce titre, cette nouvelle approche commune, entre français et allemands, autour de MGCS, basée sur une plateforme unifiée, et des équipements et déclinaisons standardisés, pourrait être appliquée à d’autres programmes en difficultés, en particulier au programme SCAF.

NGF du programme SCAF
Le programme SCAF pourrait grandement bénéficier du modèle de programme de programmes qui émerge autour de MGCS.

Certes, jusqu’à aujourd’hui, SCAF semblait sur des rails bien plus solides que MGCS, les trois pays le composant, Allemagne, Espagne et France, s’étant entendus pour sécuriser son financement jusqu’en 2027. Pour autant, de nombreuses inconnues demeurent à son sujet, avec la même question récurrente des divergences entre les attentes françaises et allemandes.

Dans ce domaine, l’approche préconisée par MGCS, de programme de programmes, tendrait à permettre à chaque force aérienne de disposer de l’appareil, ou des appareils, dont elle a besoin, sans venir surcoucher les capacités d’un unique chasseur polyvalent qui verrait son poids, comme son prix, monter en flèche.

Qui plus est, cette approche, particulièrement souple, permettrait à d’autres partenaires européens de s’y inviter, avec leurs propres compétences, savoir-faire et contraintes, sans venir déstabiliser le déjà complexe partage industriel.

On pense en particulier à la Suède, ainsi qu’à la Grèce, tous deux disposant d’une industrie aéronautique très capable, mais de moyens limités, et qui privilégient les chasseurs monomoteurs pour des raisons de couts.

Une chose est certaine, cependant. L’exemple de MGCS montre que même lorsque les visions initiales divergent, en particulier entre deux armées à la culture opérationnelle radicalement différente comme la France et l’Allemagne, il est possible, par une analyse rationnelle, et en sortant des sentiers battus, de concevoir des approches efficaces, susceptibles de répondre efficacement à l’ensemble des besoins, tout en conservant le bénéfice de la coopération européenne.

En cela, si le programme MGCS parvient effectivement, comme on peut dorénavant l’espérer, à franchir les derniers obstacles qui l’entravaient jusqu’ici, il pourrait devenir le modèle clé d’une coopération européenne réussie et efficace, dans le domaine de l’industrie de défense.

Victime d’instabilité logicielle, la livraison des F-35 ne reprendra qu’à l’automne 2024, selon Lockheed-Martin

Alors que 2023 aura été une année faste pour le F-35 en matière de commandes et d’intention de commandes, le tableau est très nettement différent pour ce qui concerne la livraison des chasseurs furtifs de Lockheed-Martin.

En effet, le Pentagone a suspendu, au début de l’été, la livraison des F-35, tant que le standard TR-3, censé arriver en juillet 2023, ne sera pas validé. Or, l’avionneur américain rencontre, de toute évidence, d’importantes difficultés pour stabiliser cette évolution logicielle, faisant craindre que son chasseur souffre d’instabilité logicielle structurelle.

Les difficultés de Lockheed-Martin avec la livraison des F-35 TR-3

Évolution du système d’information et des interfaces, le standard TR-3 du F-35 vise à doter l’appareil de capacités de traitement accrues, au travers de nouvelles capacités de calcul, davantage de mémoires, et surtout d’une optimisation de la couche logicielle. C’est précisément là que le bât blesse aujourd’hui.

livraison des F-35 Lockheed-martin
Victime d'instabilité logicielle, la livraison des F-35 ne reprendra qu'à l'automne 2024, selon Lockheed-Martin 50

En effet, les plus de 8 millions de lignes de code, qui constituent le cœur du système informatique embarqué du chasseur, apparaissent particulièrement complexes à manipuler. Ainsi, en 2021, Raymond O’Toole Jr, le directeur par intérim des Tests et des évaluations opérationnelles du Pentagone, interrogé au sujet les difficultés rencontrées avec le futur standard Block 4, avait indiqué que le système rencontrait une grande instabilité logicielle.

À ce moment-là, Il apparaissait que chaque nouvelle évolution logicielle du F-35, arrivait avec un nombre très important de problèmes et de défaillances, entrainant une instabilité globale d’autant plus grave que, bien souvent, le correctif apporté engendrait, lui aussi, d’autres dysfonctionnements.

C’est justement à ce problème qu’est confronté Lockheed-Martin aujourd’hui, alors que le standard TR-3 du Block III, constitue l’étape indispensable à la future implémentation du Block 4, qui dotera le chasseur de nouvelles capacités opérationnelles, avec notamment de nouvelles munitions de précision, des capteurs améliorées et une fusion de données accrues permettant de donner une meilleure perception de l’environnement au pilote.

Seulement 75 à 110 chasseurs seront livrés en 2024.

Face à l’incapacité de l’avionneur à livrer, comme prévu, un système TR-3 stable et capable de passer les tests d’admission des armées américaines, le Pentagone a annoncé, en juillet 2023, l’arrêt de l’acceptation des livraisons des F-35 américains, tant que les exigences technologiques établies n’auront pas été satisfaites.

F-35
Victime d'instabilité logicielle, la livraison des F-35 ne reprendra qu'à l'automne 2024, selon Lockheed-Martin 51

Initialement, Lockheed-martin estimait que le problème pourrait être résolu au quatrième trimestre 2023, avec une reprise des livraisons en décembre 2023,voire au premier trimestre 2024.

Au fil du temps, ce calendrier n’a cessé de glisser, d’abord en avril 2024, puis en juillet, et désormais, à l’automne 2024, même si Lockheed-Martin déclare espérer que les livraisons pourront reprendre à l’été, mais que l’automne est plus probable.

De fait, seuls 98 F-35 au standard TR-2 ont été livrés en 2023, contre 147 à 153 prévus. Les projections ne sont guère meilleures en 2024, l’avionneur tablant dorénavant sur 75 à 110 chasseurs qui seront livrés cette année, soit de 50 % à 74 % de l’objectif annuel moyen de 150 chasseurs.

Paradoxalement, l’annonce, qui aura nécessairement des conséquences sur les résultats de l’avionneur, n’a eu qu’un effet mesuré sur son cours de bourse, celui-ci ne s’étant déprécié que de 4 %. Ce qui en dit long sur la confiance des investisseurs dans le modèle économique F-35 en général.

Quelles conséquences sur les futures livraisons du chasseur de Lockheed-Martin ?

Si les délais de livraison du F-35 aux forces aériennes américaines et alliées, sont sans incidences sérieuses à Wall Street, les conséquences sur la transformation des forces aériennes s’étant tournées vers Lockheed-Martin, sont plus sérieuses.

F-35
Victime d'instabilité logicielle, la livraison des F-35 ne reprendra qu'à l'automne 2024, selon Lockheed-Martin 52

Il y aura, évidemment, des retards de livraison concernant les appareils neufs, avec un décalage cumulé qui s’approche désormais d’une année de production pleine, alors que rien ne garantit aujourd’hui que le calendrier annoncé sera effectivement respecté.

Surtout, l’arrivée du Block 4, qui n’est autre que le premier standard disposant de la pleine capacité opérationnelle du chasseur, est dorénavant planifié pour 2029, contre 2023 initialement prévu.

Le plus inquiétant, à ce sujet, est que ce calendrier a glissé de six ans en seulement deux ans, laissant entrevoir une navigation à vue de la part de l’avionneur, qui semble ne pas être en mesure de donner, aujourd’hui, une vision précise et fiable dans ce domaine.

Et pour cause ! l’instabilité logicielle structurelle est, en effet, l’un des problèmes les plus difficiles à traiter, obligeant parfois les industriels à une refonte intégrale du système, ce qui représente bien souvent plusieurs années de développement, et d’importantes modifications, y compris dans l’architecture même du système d’information.

Une épée de Damoclès sur les capacités opérationnelles des forces aériennes alliées

En dépit de cette épée de Damoclès particulièrement préoccupante, le succès du F-35, sur la scène international, n’a pas faibli ces derniers mois, la Roumanie, la République tchèque et la Grèce ayant confirmé leur intention de se tourner vers le chasseur de Lockheed-Martin.

F 35B Royal Air Force Navy Exportations d'armes | Alliances militaires | Analyses Défense
Victime d'instabilité logicielle, la livraison des F-35 ne reprendra qu'à l'automne 2024, selon Lockheed-Martin 53

Alors que les échéances opérationnelles, dans le Pacifique comme en Europe, semblent se rapprocher, l’accumulation de ces délais autour du F-35, associé à l’appétence des alliés des États-Unis, pour cet appareil, peuvent constituer une faiblesse importante dans les dispositifs défensifs, donc dissuasifs, sur ces deux théâtres.

En dépit des enjeux industriels, il serait, certainement, avisé que le Pentagone, comme les états-majors nationaux, se penchent effectivement sur cet enjeu de calendrier, avec, peut-être, le tracé d’une échéance de décision, au-delà de laquelle l’absence de solution, induirait des arbitrages stratégiques, certes douloureux, mais indispensables pour maintenir l’équilibre des forces.

L’OTAN peut-elle être attaquée par la Russie en 2030 ?

Depuis quelques jours, plusieurs responsables politiques de l’OTAN, mais aussi en Finlande, en Allemagne et en Pologne, portent un discours bien inquiétant. Selon eux, les risques sont désormais sensibles, que la Russie décide d’attaquer un des pays de l’OTAN, d’ici à cinq ans, soit autour de 2030.

Depuis, les avis se multiplient sur le sujet, dans la presse comme sur internet, et sur les chaines d’information. Certains voient, dans les déclarations de Boris Pistorius, une manœuvre politique à visée intérieure. D’autres y voient un catastrophisme sans lien avec la réalité, en particulier de la puissance militaire russe. Les derniers, enfin, soutiennent la réalité de ce discours.

Pour répondre à cette question, il convient de poser clairement les données du problème, soit la réalité de ce que pourra être le rapport de force en Europe à cette échéance, mais aussi d’en analyser l’ensemble des facteurs d’attrition, et les ressorts politiques qui les sous-tendent. Et comme nous le verrons dans cet article, pour paraphraser un statut bien connu sur Facebook, c’est compliqué !

Quel sera le potentiel militaire russe en 2030 ?

La première des questions, pour évaluer les risques de guerre en Europe à horizon 2030, est de pouvoir évaluer le potentiel militaire dont disposera effectivement Moscou à cette échéance.

T-72 russe détruit en Ukraine
Le niveau exact des pertes russes en Ukraine demeure sujet à débat entre les spécialistes du sujet.

Pour y parvenir, il est indispensable de disposer d’excellentes sources, souvent hors de portée des commentateurs, si pas nécessairement des services de renseignement, mais aussi d’une bonne dose de pouvoirs de divination. En effet, ce potentiel à venir repose sur quatre facteurs, tous aussi incertains les uns que les autres.

Un point d’origine et un calendrier très incertains

Le premier n’est autre que son point d’origine, c’est-à-dire quelles sont les forces militaires dont dispose effectivement l’état-major russe, aujourd’hui. Cette seule question est, à elle seule, un défi. Les informations concernant les pertes russes, en hommes comme en matériels, sont le plus souvent très variables selon les sources, et établir avec fiabilité la réalité du dispositif opérationnel de Moscou, l’est encore davantage.

Si la nature du point d’origine est incertaine, son calendrier l’est tout autant. En effet, personne n’est, aujourd’hui, en mesure de prédire quand la guerre en Ukraine prendra fin, ni les paramètres de cette éventuelle paix.

Évidemment, entre une Russie victorieuse d’une part, une Ukraine parvenue à libérer l’ensemble de son territoire, de l’autre, et l’hypothèse probable d’une coréanisation du théâtre ukrainien, les conséquences sur le potentiel militaire des armées russes peuvent être radicalement différentes.

Ainsi, une défaite russe entrainerait, probablement, d’importants bouleversements politiques intérieurs dans le pays, avec son lot de difficultés pour reconstruire un outil militaire efficace.

Une victoire de Moscou, au contraire, conférerait au Kremlin un pouvoir affermi sur un territoire et une population qui se seront sensiblement étendus, et renforcerait la confiance des autorités dans la puissance militaire.

T-55 russe en route vers l'Ukraine
Si l’industrie de défense russe a produit des nouveaux chars de manière indéniables en 2023, les forces russes engagées en Ukraine ont également reçu des modèles très anciens, comme des T-55 et T-64.

Enfin, une coréanisation du conflit, si elle peut s’apparenter, d’une certaine manière, à une victoire russe face à l’Ukraine en termes de posture intérieure, entrainerait aussi l’immobilisation de très importants moyens militaires le long de la ligne de séparation, privant les armées russes d’une grande partie de leur potentiel, pour mener d’autres actions.

Volume et soutenabilité de l’effort de défense russe jusqu’en 2030

Le troisième paramètre à considérer, pour évaluer le potentiel militaire de Moscou en 2030, repose sur la réalité de l’effort de défense russe, et de sa capacité à, effectivement, régénérer et étendre les armées russes et leur potentiel opérationnel.

Il semblerait, à en croire les déclarations du Kremlin, mais également les observations objectives des forces engagées, en particulier pour ce qui concerne les pertes, que l’industrie de défense russe soit parvenue à augmenter sensiblement ses livraisons d’équipements de défense, y compris en matière de blindés et de systèmes d’artillerie, pour soutenir l’engagement des armées en Ukraine et compenser leurs pertes.

Toutefois, si le ministre de la Défense annonce que 1 500 chars ont été livrés en 2023 à ses armées, la plupart des analyses s’accordent pour considérer que le nombre d’équipements neufs ne constitue, ici, qu’une portion de ces chars, comme de l’ensemble des équipements perçus. La majorité d’entre eux, en revanche, est composée de systèmes anciens préalablement stockés, remis en condition opérationnelle et modernisés par les usines russes.

Or, ces stocks sont loin d’être inépuisables. Ainsi, il n’y avait que 800 chars T-64M stockés avant-guerre, et 400 T-90, la plupart d’entre eux ayant déjà été modernisés et livrés depuis. De fait, l’extraordinaire productivité des usines russes, comme Uralvagonzavod, pourrait bien n’être que temporaire. Lorsque les stocks seront épuisés, celles-ci pourraient bien revenir à des rythmes bien moins impressionnants.

industrie de défense russe Uralvagonzavod
Les capacités de l’industrie russe à maintenir l’effort de production observé aujourd’hui est très difficile à évaluer.

À l’inverse, le ministère de la Défense a annoncé que de nouvelles usines avaient été construites ou adaptées à la production d’équipements militaires, sans que l’on puisse en évaluer ni la matérialité, ni la nature et les volumes des productions. De fait, il est très difficile d’évaluer, aujourd’hui, ce que pourrait être la production industrielle défense russe dans les années à venir, que le conflit ukrainien perdure, ou pas.

À cette incertitude industrielle, s’ajoute une incertitude politique et budgétaire. La Russie consacre, en effet, aujourd’hui, 40 % de son budget fédéral à ses armées, pour atteindre un budget défense, en 2024, supérieur à 100 Md$, plus de deux fois celui de l’Allemagne, un pays pourtant presque deux fois et demi plus riche que la Russie.

En outre, si le ministère de la Défense a annoncé qu’il étendait amener les effectifs des armées russes au-delà de 1,5 million d’hommes, un tel format viendra prélever une quantité très importante de main d’œuvre à l’économie du pays, ce qui viendrait, en conséquence, handicaper la soutenabilité de cette trajectoire dans les années à venir.

La puissance militaire de l’OTAN en 2030, un trompe-l’œil mal perçu

On le voit, déterminer la puissance militaire russe en 2030 est, aujourd’hui, un exercice presque impossible à réaliser, avec un taux d’incertitude suffisamment fiable, pour être efficace. La programmation militaire des pays de l’OTAN étant beaucoup plus ouverte et publique, on peut espérer qu’il soit possible de déterminer celle de l’alliance à la même échéance. Et pourtant …

Une puissance militaire globale mais fragmentée

Il est vrai que la trajectoire des armées de chacun des, bientôt, 32 membres de l’alliance, est connue, souvent de manière détaillée. Ainsi, on peut estimer que l’OTAN disposera, en 2030 et en Europe, d’autour de 2 000 avions de combat, de 3 000 à 3 500 chars de combat, d’une cinquantaine de sous-marins d’attaque, dont 13 à propulsion nucléaire, et d’un total de 2 millions d’hommes et de femmes dans les forces armées.

OTAN RAfale F-35
L’OTAN alignera, de manière établie, entre 1800 et 2000 chasseurs, en 2030, en Europe, dont plus de 400 F-35, 270 Rafale et plus de 400 Eurofighter Typhoon.

Cette puissance, comparativement aux 700 000 soldats ukrainiens, 1 500 chars, cinquante avions de combat et aucun navire militaire majeur, qui parviennent toujours à stopper l’offensive militaire russe aujourd’hui, semble largement dimensionnée pour dissuader tout aventurisme militaire russe.

Cette vision est toutefois biaisée en bien des aspects. En effet, l’OTAN est un agrégat de puissances militaires nationales, dont l’utilisation et le déploiement restent à la discrétion des gouvernements de chacun de ces pays.

Ainsi, ces pays ne consacrent qu’une partie de leur force militaire, aux actions de l’OTAN, part qui sera d’autant plus réduite que les risques seront élevés, alors que chaque capitale, sous la pression de leurs opinions publiques respectives, tendra à sécuriser ses propres frontières, populations et infrastructures.

Dans la réalité, le plus important exercice de l’alliance ces 30 dernières années, l‘exercice Steadfast Defender 2024, qui se tiendra de février à mai 2024, ne rassemblera que 90 000 militaires et une vingtaine d’avions, là où l’exercice Vostok 2018 russe en avait rassemblé 300 000 et 1000 aéronefs.

Il convient aussi, dans cette équation, de prendre en compte la variabilité démocratique en Europe. Ainsi, si un conflit devait intervenir aujourd’hui entre l’OTAN et la Russie, on peut raisonnablement douter de l’implication de la Hongrie et de la Slovaquie, et s’interroger quant à la posture turque.

Le risque d’un désengagement militaire américain en Europe

Cette perspective prend tout son sens lorsqu’il s’agit de la plus grande puissance militaire de l’OTAN, et de la planète, les États-Unis. Or, c’est précisément l’hypothèse soulevée par le possible retour de Donald Trump à la Maison Blanche en janvier 2025, s’il venait à remporter les élections de novembre.

Donald Trump en campagne
Le discours de Donald Trump concernant son programme de politique internationale et de défense inquiète en Europe.

L’ancien président américain a, à plusieurs reprises, fait savoir qu’il entendait poursuivre une politique étrangère et de défense en rupture, non seulement avec celle de Joe Biden, mais également avec celle qui fut appliquée par le Parti républicain ces quatre dernières décennies, avec la doctrine Reagan.

Concrètement, Donald Trump a déclaré qu’il envisageait de mettre en retrait les États-Unis de l’alliance si les européens ne cédaient pas à ses exigences (sans préciser lesquelles), mais aussi qu’il entendait arrêter de soutenir l’Ukraine, pour porter toute l’attention du Pentagone sur la Chine et le Pacifique. En outre, il serait question d’une baisse substantielle des budgets défenses américains.

De telles affirmations ont, naturellement, de quoi inquiéter en Europe, même si elles sont, le plus souvent, basées sur des constats valides. En effet, les États-Unis représentent, aujourd’hui, non seulement la première puissance militaire de l’OTAN, mais ses armées constituent, à elles seules, plus de la moitié de sa puissance militaire, alors que la presque totalité des armées européennes, s’appuie sur des équipements de facture américaine.

L’OTAN, une vraie fausse puissance nucléaire

Qui plus est, l’alliance dépend des capacités américaines, qu’il s’agisse du Pentagone ou de son industrie de défense, dans de nombreux domaines, comme en matière de renseignement, de capacités de commandement, ou de transport logistique.

De fait, une mise en réserve des États-Unis de l’alliance viendrait bien plus que simplement retirer les unités de combat US en Europe, et handicaperait, dans sa structure même, le commandement intégré de l’OTAN. C’est aussi le cas d’une capacité géopolitique stratégique pour l’alliance depuis sa création, à savoir la protection de ses membres, assurée par la dissuasion américaine.

F-35A USAF et bombe B-61Mod12
Le F-35A larguant une bombe nucléaire B-61Mod12.

En effet, si Washington venait à se mettre en retrait de l’OTAN, il est plus que probable qu’il en serait de même concernant l’implication des États-Unis dans la dissuasion collective nucléaire européenne.

En premier lieu, la fameuse « dissuasion partagée », qui a été un outil fort utile pour convaincre certains pays, comme l’Allemagne, de se tourner vers le F-35, n’aurait plus lieu d’être. Rappelons, à toutes fins utiles, que cette dissuasion n’a de « partagée » que le nom. Concrètement, les armes nucléaires, des bombes gravitationnelles B-61, restent entièrement sous le contrôle des États-Unis, qui seuls ont le pouvoir de les armer.

Quant aux deux autres puissances nucléaires européennes, la France et la Grande-Bretagne, elles n’ont jamais intégré le programme de dissuasion partagée, et assurent, de manière unilatérale, le contrôle de leurs sous-marins lanceurs d’engins, et chasseurs bombardiers armés de missiles nucléaires (pour la France).

Dans ce contexte, on comprend que cette dissuasion américaine, appliquée aux membres de l’OTAN, constitue, pour beaucoup de pays, le facteur fédérateur de l’alliance. Si Washington venait à se mettre en retrait, on peut supposer que beaucoup de chancelleries prendraient une trajectoire indépendante, en particulier face à un adversaire comme la Russie et ses 2000 têtes nucléaires armées. Et rien ne garantit que Paris et Londres puissent enrayer un tel phénomène, surtout en temps de crise.

Conclusion

On le voit, le nombre de variables et d’inconnues, pour déterminer la réalité du rapport de force potentiel entre la Russie et l’OTAN en 2030, est à ce point élevé, qu’il est raisonnablement impossible de faire des projections fiables dans ce domaine, sauf à créer une arborescence de cas potentiels, et autant d’évaluations.

Vladimir Poutine et Kim Jong Un 2023
Le Kremlin fédère aujourd’hui plusieurs dictatures, de la Corée du Nord à l’Iran, en passant par l’Afrique et la Chine, pour renforcer la position de la Russie et de ses armées.

Pour autant, le risque que la Russie soit, à cette date, en position favorable, est loin d’être négligeable, et ne peut être écarté d’une pirouette sémantique, en particulier par ceux qui se sont parfois trompés quant aux décisions du Kremlin concernant le conflit en Ukraine, et qui, pourtant, continuent d’asséner vérités et diatribes à ce sujet, sans réserve ni nuance.

On peut penser, ou tout au moins espérer, que les services de renseignement qui conseillent les autorités européennes, ont accès à des informations plus précises, en particulièrement au sujet de la situation industrielle en Russie, et davantage de temps et de moyens pour, précisément, étudier cette arborescence de cas, pour produire des scénarios quantifiés sur lesquelles la décision politique est basée.

Dans tous les cas, il semble bien que l’avenir de la sécurité, et de la paix, en Europe, dans les années à venir, est bel et bien menacé, et que des décisions s’imposent pour anticiper les cas d’étude les plus probables, comme l’érosion politique des moyens militaires effectivement disponibles au sein de l’OTAN, mais également les plus dangereux, comme le retrait du bouclier nucléaire américain.

Quant à savoir si la Russie va, oui ou non, attaquer l’OTAN, ou un de ces membres, en 2030, nous ne vous avions pas menti. De toute évidence, c’est compliqué !

Lockheed-Martin va tester son Patriot PAC-3 MSE avec le système AEGIS

Lockheed-Martin va procéder, ce printemps, à un tir d’essai de son missile Patriot PAC-3 MSE, à partir d’une infrastructure reproduisant la configuration du système AEGIS d’un destroyer de l’US Navy.

Dans le discours de l’industriel, il s’agit de venir combler certaines lacunes de l’US Navy en matière de défense antimissile balistique dans les basses couches, domaine de prédilection du PAC-3 MSE, comme démontré en Ukraine. Dans les faits, cependant, il s’agit surtout de venir bousculer Raytheon sur son marché captif, en proposant une alternative au SM-6.

Dans le domaine de la défense antimissile balistique basse couche, deux industriels américains se livrent à un bras de fer sans merci pour s’imposer sur ce marché crucial ouvrant la voie vers les très prisées capacités antimissiles hypersoniques.

D’un côté, Lockheed propose son missile Patriot PAC-3 MSE en service dans l’US Army et commandés par plusieurs armées occidentales. De l’autre, Raytheon fait la promotion du nouveau SM6, conçu pour équiper les destroyers AEGIS américains et alliés.

Dans ce domaine, LM semble prendre une longueur d’avance sur son concurrent. En effet, l’US Navy va effectuer des tirs d’essais de son PAC-3 MSE à partir d’une infrastructure reproduisant un système AEGIS.

Le Patriot PAC-3 MSE de Lockheed-Martin

Il faut dire que l’industriel américain n’a pas lésiné sur les moyens pour tenter de bouleverser ce marché jusque-là aux mains exclusives de Raytheon. D’abord, en 2015, en ravissant à ce dernier le juteux marché des missiles Patriot PAC-3, avec le PAC-3 Missile Segment Enhancement, ou MSE, choisit par l’US Army, puis par d’autres utilisateurs du Patriot, en lieu et place du PAC-3 de Raytheon.

Patriot PAC-3 MSE
Lockheed-Martin va tester son Patriot PAC-3 MSE avec le système AEGIS 64

Codéveloppé par les États-Unis, l’Allemagne et l’Italie, le PAC-3 MSE faisait initialement partie du programme Medium Extended Air Defense System, ou MEADS, conçu pour offrir une défense à 360° contre les avions, les missiles de croisière et les missiles balistiques de courte ou moyenne portée.

Avec une portée et un plafond étendu, une plus grande manœuvrabilité et un système de guidage plus performant, le PAC-3 MSE accroit sensiblement les performances du MIM-104 Patriot, y compris contre les missiles balistiques, et est devenu, en peu de temps, l’un des symboles de la résistance ukrainienne face à l’agression russe, en annonçant des interceptions réussies contre plusieurs avions de combat, des missiles de croisière et surtout des missiles balistiques, y compris le célèbre Kinzhal.

PAC-3 MSE vs SM-6 : le bras de fer s’engage pour armer la défense antibalistique basse couche du système Aegis

Mais les ambitions de Lockheed-Martin ne semble pas s’arrêter aux systèmes Patriot eux-mêmes. En effet, l’industriel a investi près de 100 m$ de fonds propres, pour venir empiéter sur les platebandes navales de Raytheon, en adaptant d’abord le Patriot PAC-3 MSE au système AEGIS Ashore déployé à Hawaï, en Pologne et en Roumanie.

Conçu pour contrer les menaces balistiques exoatmosphérique avec le missile SM-3, le système Aegis Ashore reproduit le système embarqué à bord des destroyers et croiseurs de l’US Navy, avec notamment un radar SPY-1 et des lanceurs VLS Mk41. Toutefois, si le SM-3 s’avère performant contre les missiles balistiques évoluant au-delà de 60 km d’altitude, il est incapable d’intercepter des cibles navigant sous ce planché.

Raytheon SM-3 US Navy Aegis
Le SM-3 est conçu pour les interceptions exoatmosphériques ou endoatmosphériques hautes, et ne peut pas être employés contre les missiles à trajectoire semi-balistique ou les planeurs hypersoniques évoluant sous son plancher d’interception.

C’est précisément pour cette raison que Raytheon fait la promotion, depuis plusieurs années, de son missile SM-6, conçu pour compléter la gamme d’interception entre le SM-3 exoatmosphérique, et le SM-2 endoatmosphérique bas.

Concrètement, le SM-6 est constitué d’un missile air-air AIM-120 AMRAAM, propulsé par un booster de SM3, lui conférant pouvant atteindre 33 km, et une portée de plus de 300 km, contre respectivement 24 km et 160 km pour le SM-2.

Ce domaine d’interception est également celui du Patriot PAC-3 MSE, le missile pouvant atteindre une altitude de 36 km, pour une portée de 120 km, raison pour laquelle LM investit massivement pour tenter de réitérer l’exploit de 2015, en venant ravir à Raytheon le juteux marché des intercepteurs balistiques à moyenne portée. Du point de vue des performances, les deux missiles sont proches, tant en termes de plafond que de portée efficace d’interception contre des cibles balistiques en phase descendante. .

En revanche, le PAC-3 MSE a un très net avantage sur le SM-6, en ce qui concerne l’image d’efficacité opérationnelle que s’est forgé le missile en Ukraine, y compris contre les Kinzhal russes. On comprend, à ce titre, pourquoi le discours porté par les deux industriels diffère à ce point à ce sujet (sans pour autant pouvoir déterminer qui dit vrai).

Lockheed-Martin met en avant les performances du Patriot PAC-3 MSE en Ukraine contre les missiles Kinzhal

Interrogé à ce sujet par le site américain Defense News, Tom Copeman, vice-président des systèmes navals au sein de l’activité missiles de Lockheed-Martin, n’a pas hésité à présenter le missile comme « une arme éprouvée au combat contre les menaces avancées, contre les armes hypersoniques« , et d’insister sur les lacunes de l’US Navy en matière d’interception de missiles balistiques en phase descendante, ignorant d’ailleurs volontairement le SM-6 de Raytheon à ce sujet.

Lockheed Martin Camden Arkansas
Le nouveau site de production du PAC-3 MSE, à Camden, dans l’Arkansas, livrera 550 missiles en 2024.

L’industriel met également en avant les capacités de production de la ligne de fabrication du missile de Camden, dans l’Arkansas, qui livrera 550 exemplaires et en 2024, et pourrait dépasser les 600 exemplaires en 2025, contre une centaine de SM-6 par an, produits par Raytheon.

Après les essais ayant montré, sans tir réel toutefois, que le Patriot PAC-3 était compatible avec le système AEGIS Ashore en février 2023, Lockheed-martin a poursuivi ses développements pour rendre le système opérationnel, y compris sur les destroyers de l’US Navy, et de ses alliés, employant le radar SPY-1 et le système AEGIS.

L’US Navy n’ayant pas la possibilité de consacrer un destroyer à cet essai, celui-ci aura lieu, ce printemps, à partir d’un VLS MK41 au sol. Il aura pour objet de démontrer l’adéquation du Patriot PAC-3 MSE au système AEGIS Ashore et embarqué, de sorte à obtenir les crédits nécessaires pour developper la version définitive de production, et ainsi de venir une alternative valide au SM-6.

L’émergence d’une offre concurrente, qui plus est sur un marché aussi déterminant, pourrait représenter une opportunité pour les armées américaines afin de tirer les prix de ces missiles onéreux vers le bas.

Toutefois, s’agissant de Lockheed-Martin, premier industriel mondial de défense, et de Raytheon, troisième à ce même classement, on peut en douter. D’ailleurs, si le PAC-3 et le SM-6 diffèrent en deux nombreux aspects, ils se rejoignent, en revanche, sur le plus important, le prix, autour de 5 m$ l’unité.