Les forces armées grecques, vont-elles bientôt être équipées de F-35 et de frégates Constellation ? C’est ce que l’on peut comprendre des annonces faites, ces derniers jours, concernant des avancées notables dans la fourniture d’équipements de défense américains aux forces armées helléniques.
Outre l’autorisation donnée pour acquérir 40 F-35A pour 8,6 Md$, Washington aurait aussi proposé à Athènes de rejoindre son programme de frégate de la classe Constellation avec, à la clé, la possibilité de construire jusqu’à 7 navires pour la marine hellénique, dans les chantiers navals grecs.
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Toutes séduisantes que ces annonces apparaissent, elles seront difficiles, et contraignantes à mettre en œuvre pour la Grèce, là où Ankara dispose des crédits et des moyens pour acquérir les 120 F-16V promis par Washington, ou les frégates et destroyers du programme MILGEM.
Elles risquent aussi d’amener Athènes à renoncer à certains programmes pourtant indispensables, mais négociés avec les Européens, comme la construction d’une flottille de corvettes, ou de frégates FDI supplémentaires pour la marine hellénique.
Une compensation massive à l’autorisation d’exportation de 120 F-16V pour les forces aériennes turques
Après que le Parlement turc a approuvé, avec une large majorité, l’adhésion suédoise à l’OTAN, et qu’Ankara a produit d’importants efforts pour afficher une forme de détente avec Athènes, il devenait particulièrement complexe, à l’administration américaine, et surtout au Congrès, de continuer à bloquer la vente des 40 nouveaux F-16 Block 70 et des 80 kits de transformation pour autant d’appareils portés à ce standard, aux forces aériennes turques, qui jouent un rôle déterminant sur le front sud de l’OTAN face à la Russie.
Toutefois, la confiance de Washington dans le nouveau visage que se donne le président Erdogan n’est que limitée, alors que, dans le même temps, la Grèce dispose de puissants soutiens au Congrès, tant à la chambre des Représentants qu’au Sénat.
Pour maintenir le statuquo militaire en mer Égée, et y réduire les risques d’une escalade entre les armées turques et grecques, les États-Unis ont imaginé une stratégie qui semble, de prime abord, efficace, et qui lui est, surtout, très favorable.
En effet, les États-Unis et la Grèce ont engagé des discussions pour permettre à Athènes d’acquérir des moyens militaires très importants, allant de 40 F-35A à sept frégates de la classe Constellation, tout en accompagnant les armées helléniques par des transferts massifs d’équipements plus ou moins déclassés, comme des véhicules de combat Bradley, ou des corvettes LCS, et même une aide financière directe, si les armées grecques acceptent de transférer certaines de leurs équipements de facture russe vers l’Ukraine.
20+20 F-35 pour les forces aériennes helléniques pour 8,6 Md$
La première des mesures, la plus visible à court terme, concernant le soutien américain à la Grèce, s’appuie sur l’autorisation d’exportation donnée par le Département d’État au Congrès, pour 40 F-35A, ainsi qu’un ensemble d’équipements, de pièces et de systèmes de maintenance et de formation, pour un montant total de 8,6 Md$.
Cette annonce était attendue depuis plusieurs mois, Athènes ayant ouvertement demandé à pouvoir acquérir, dans les années à venir, le chasseur de Lockheed-Martin. Toutefois, la planification grecque reposait sur 2 lots de 20 F-35A chacun, soit un escadron à chaque fois, et non une commande globale de 40 appareils.
Rappelons que le montant de 8,6 Md$, ne constitue pas ce qu’Athènes devra payer, mais un engagement de la part des États-Unis à autoriser les exportations de l’ensemble des appareils, ainsi que des pièces, munitions, moteurs et systèmes listés, à ce prix.
Dans les faits, il est plus que probable que les autorités helléniques commanderont dans un premier temps 20 chasseurs, ainsi que les systèmes nécessaires, pour un montant qui devrait s’établir entre 4 et 5 Md$, avec une option pour un second escadron, aux mêmes conditions tarifaires.
Disposer d’un escadron de F-35A, et d’un escadron de Rafale B/C, conférera aux forces aériennes grecques, une plus-value opérationnelle significative, y compris contre les 120 F-16V turcs, ainsi que contre les systèmes antiaériens mis en œuvre par les armées d’Ankara, dont une batterie S-400 russe, et de compenser leur désavantage numérique sur ce théâtre.
Le ministre de la Défense Nikos Dendias anticipe jusqu’à 7 frégates Constellation pour la Marine hellénique
Si l’annonce concernant l’acquisition prochaine de F-35A pour les forces aériennes helléniques, était attendue, celle concernant la prochaine participation d’Athènes et de l’industrie navale grecque, au programme de frégates américaines de la classe Constellation, représente une véritable surprise.
L’hypothèse avait pourtant été soulevée par la presse spécialisée grecque il y a quelques mois. Toutefois, à défaut de confirmation officielle, et connaissant l’enthousiasme parfois excessif de cette presse, pour ce type de sujet, l’hypothèse n’avait pas été jugée crédible par de nombreux analystes.
La semaine dernière, c’est le ministre de la Défense grec, Nikos Dendias, qui a fait une annonce officielle, au sujet de la participation de la Grèce au programme américain de frégates de la classe Constellation. Selon certaines sources citées par la presse spécialisée en Grèce, il s’agirait de construire jusqu’à sept frégates de cette classe pour moderniser la flotte de surface du pays.
En outre, les navires seraient construits directement par les chantiers navals grecs. Il s’agirait, bien évidemment, d’un immense pas franchit par Athènes dans ce domaine. En effet, les frégates de la Classe Constellation, dérivées des FREMM italiennes, promettent d’être des navires très capables, en particulier dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, conférant de fait à la Marine hellénique une puissance potentielle susceptible de contrebalancer, avec l’aide des 3 FDI commandées auprès de Naval Group, la montée en puissance de la flotte de surface et sous-marine turque.
Surtout, sachant que les chantiers navals militaires américaines peinent déjà à répondre aux besoins de l’US Navy, la construction des frégates en Grèce, pourrait permettre à d’autres pays de se tourner vers cette classe, avec des délais acceptables, à l’instar, par exemple, de ce qui se pratique au sujet des F-35 en Italie.
Pour l’heure, il ne s’agit que de discussions, aucun calendrier, ni aucun budget n’ayant été communiqués à ce sujet. Toutefois, lorsque l’on connait l’appétence de la Marine Hellénique pour ce type d’unités navales, Athènes ayant longtemps insisté pour obtenir des FREMM françaises ou des Arleigh Burke américains d’occasion, il ne fait guère de doutes que le sujet sera une priorité du ministère de la Défense.
Bradley, LCS, C130 et 200 m$ : la carotte américaine est tentante, mais pas dénuée de problèmes
Il faut dire que, pour convaincre Athènes, Washington s’est doté d’une carotte particulièrement tentante. En effet, sous réserve d’un accord donné par les autorités grecques concernant le transfert, vers l’Ukraine, de certains équipements d’origine russe en service au sein des armées grecques, comme les systèmes antiaériens TOR M1 et 9K33 OSA, ainsi que les véhicules de transport blindés BMP-1A1, le Département d’État a promis un très important package d’aide militaire à la Grèce.
Celui-ci se compose, en effet, de véhicules de combat d’infanterie Bradley, de deux avions de transport C-130 hercules, mais aussi, de quatre corvettes Littoral Combat Ship, celles-là mêmes retirées précipitamment du service au sein de l’US Navy, et que Lockheed-Martin a essayé de vendre à la Grèce pendant près de quatre ans, sans succès.
Non seulement Washington transférerait l’ensemble de ces équipements gratuitement vers Athènes, mais les États-Unis ajouteraient, à ce package, 200 m$. Une telle mesure, évidemment, tend à créer l’enthousiasme, tant au niveau politique, que dans la très suivie presse spécialisée hellénique.
De fait, les contraintes liés aux équipements listés, sont rarement évoqués dans les articles traitant du sujet. Ainsi, les Bradley vont nécessiter une importante phase de modernisation, qui avait couté 5 m$ par véhicule à la Croatie, quand elle fit de même.
Les LCS, quant à eux, sont des navires qui ont posé d’importants problèmes de fiabilité à l’US Navy, et qui, par ailleurs, peinent à convaincre de leur utilité, en raison de capacités opérationnelles et d’un armement jugé trop faibles pour l’évolution des tensions. Or, la marine hellénique a davantage besoin de corvettes, que de patrouilleurs armés, comme le sont les LCS.
Une leçon donnée d’efficacité et de pragmatisme donnée à la France par les États-Unis
Le don des 4 LCS, et la possibilité, à terme, de s’équiper de frégates classe Constellation, vont très probablement faire dérailler les discussions entre Athènes, Paris ou Rome, pour la construction de 4 à 5 corvettes pour la Marine Hellénique.
Ce contrat a été, en effet, régulièrement reporté par les autorités d’Athènes, sans que l’on sache vraiment les raisons objectives d’un tel délai. Il semble que, dans ce domaine, Washington ait parfaitement contrôlé son sujet, et convaincu les autorités grecques de ne pas s’engager, avec, précisément, une promesse de transferts de LCS et d’intégration au programme Constellation à la clé.
Les déclarations, faites par Nikos Dendias, au sujet du programme Constellation, marquent aussi, très certainement, la fin des espoirs français concernant une possible commande supplémentaire de frégates FDI par la marine Hellénique, au-delà des trois exemplaires commandés.
Il est, à ce titre, intéressant de constater qu’Athènes va, par ce programme, probablement se doter de frégates dérivées des FREMM, alors que Paris à, longtemps, tergiversé pour vendre de telles frégates à Athènes, en expliquant que ce format était mal adapté à ses besoins, et ainsi les convaincre de se tourner vers la FDI, plus compacte.
En outre, l’aide militaire promise par Washington, toute attractive qu’elle paraisse, ne concerne que les équipements déclassés ou en passe de l’être, qui vont générer, dans la durée, un important chiffre d’affaires récurrent pour l’industrie de défense américaine. Quant aux 200 m$ promis par Washington, ils ne représentent qu’une petite partie des recettes fiscales que la vente des F-35 et des Constellation à Athènes va générer.
Enfin, force est de constater qu’après avoir été, pour ainsi dire, pris par surprise par la commande de Rafale et de FDI français par la Grèce, les États-Unis ont, depuis, parfaitement contrôlé leur dossier, en maniant habillement les promesses officieuses et les fuites maitrisées vers la presse. Ils sont ainsi parvenus à l’empêcher de se tourner davantage vers la France, ou vers les Européens, en particulier pour ce qui concerne le programme de corvettes, l’option de FDI, ou une éventuelle commande supplémentaire de Rafale.
Conclusion
Les annonces faites ces derniers jours, à Washington comme à Athènes, concernant les prochaines acquisitions d’équipements de défense américains par les forces armées helléniques, représentent donc, sans le moindre doute, une évolution majeure, et un succès, pour les deux pays.
De toute évidence, ils sont convenus d’une posture commune visant à garder sous contrôle la montée en puissance turque, sans toutefois l’entraver, la Turquie ayant montré, ces dernières semaines, de réels signes de bonne volonté.
Il s’agit, aussi, d’une douche froide pour les européens, et surtout pour la France, qui avait fondé d’importants espoirs dans son partenariat stratégique signé avec la Grèce en 2021. Néanmoins, dans ce dossier comme dans d’autres, Paris avait certainement surestimé son influence, et sa capacité à convaincre plus par le verbe que par les faits.
Reste à voir, maintenant, comment ces annonces vont effectivement se concrétiser. Car, si Athènes à l’autorisation d’acheter jusqu’à 40 F-35, et que des discussions sont ouvertes au sujet du programme Constellation, Ankara, pour sa part, a les fonds pour acquérir les 120 F-16V attendus, et pour financer la montée ne puissance de sa flotte.
On ne peut qu’espérer, pour la sécurité de la Grèce, que le président Erdogan soit effectivement sincère dans sa volonté de normaliser les relations entre les deux pays, et que les promesses faites par Washington, notamment au sujet de la construction potentielle de frégates Constellation par les chantiers navals grecs, puissent se concrétiser à relativement court termes.
Faute de quoi, les États-Unis risquent d’avoir mis un de leurs alliés dans une position aussi précaire que dangereuse, pour un gain commercial et politique limité. Malheureusement, ce ne serait pas la première fois…



