lundi, décembre 1, 2025
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Pour rejoindre le programme HYDEF, l’israélien Rafael s’appuie sur « des amis en Europe ».

Une rumeur faisant état d’une proposition israélienne faite aux européens, pour venir appuyer le développement du programme HYDEF d’intercepteur hypersonique, en cours de conception par un large consortium d’entreprises européennes piloté par l’Espagne, a été relayée par le très sérieux site defense-industry.eu, il y a quelques jours.

Un nouvel article, du même site, donne davantage de détails à ce sujet. Il s’agirait, en fait, de l’israélien Rafael, concepteur de l’Iron Dome et du David Sling, qui aurait entamé des discussions avec des « amis en Europe », pour venir renforcer, et surtout accélérer, le programme européen.

Rafael veut accélérer le programme HYDEF d’intercepteur hypersonique

Selon les déclarations de l’industriel israélien, celui-ci aurait, en effet, la capacité de sensiblement accélérer le programme européen, au travers d’un codéveloppement se basant sur l’expérience acquise dans le développement du David Sling, un système antiaérien et antibalistique comparable au SAMP/T ou au Patriot PAC, mais aussi dans sa participation au développement des intercepteurs balistiques exo-atmosphériques Arrow, pilotés par IAI et Boeing.

David Sling Rafael
Choisi par la Finlande, le système antiaérien à longue portée David Sling de l’israélien Rafael offre des performances comparables à celle du Patriot PAC ou du SAMP/T Mamba.

La proposition est, en effet, des plus crédibles. Dès le lancement du programme HYDEF, et son attribution au consortium européen, plutôt qu’à la proposition faite par MBDA France, Thales et Leonardo, qui avaient ensemble développé l’Aster et le SAMP/T, des questions avaient émergé quant à l’expérience des industriels retenus dans ce domaine.

Plus particulièrement, pour developper effectivement un intercepteur hypersonique, ceux-ci allaient probablement devoir en passer par l’ensemble des développements qu’Eurosam avait effectués, pour concevoir l’Aster 30, puis les deux missiles antibalistiques Aster Block 1 et Block 1NT. En d’autres termes, ce consortium partait avec plusieurs années de retard, là où, précisément, les délais sont d’une importance stratégique autour de ce programme, eu égard à la détérioration de la situation sécuritaire internationale.

Face à cette évidence, la Commission européenne lança un second programme, sur un cahier des charges presque identique, baptisé cette fois HYDIS, et piloté par ces mêmes acteurs qui ont développé l’Aster, avec l’objectif évident de faire fusionner les deux programmes à terme. Ce d’autant que MBDA, Thales et Leonardo ont bien retenu la leçon de leur approche initiale peut-être trop autonome, et certainement perçue comme arrogante par les instances européennes.

Des appuis européens à l’œuvre pour soutenir l’offre israélienne

Pour Rafael, cependant, une autre possibilité existe. En effet, par son expérience avec le système David Sling, celui-ci dispose de compétences et savoir-faire proches de celles dont disposent effectivement les trois principaux membres d’Eurosam qui ont developper l’Aster. Ils sont donc en mesure de compenser le manque d’expérience relatif du consortium européen en charge d’HYDEF, et donc d’éviter la fusion des deux programmes.

programme HYDEF Twister
La conception d’un intercepteur capable d’engager les planeurs hypersoniques représente un enjeu stratégique pour les Européens.

Si cette approche peut paraitre à l’opposée des objectifs de la Commission Européenne et de sa Boussole Stratégique de 2022, elle n’en est pas moins soutenue en Europe elle-même. En effet, de l’aveu même de Rafael, le groupe industriel israélien serait en discussion avec des « amis en Europe », pour soutenir cette option.

Vers une fusion du programme HYDEF et HYDIS, avec le pilotage de l’intercepteur hypersonique européen en ligne de mire

Il est vrai que si les deux programmes européens devaient fusionner, il est plus que probable que ce serait un des deux principaux acteurs du second, la France ou l’Italie, et l’un de leurs industriels, respectivement Leonardo ou MBDA/Thales, qui obtiendraient le pilotage du programme européen unifié, par leur plus grande expérience sur le sujet.

Et cela ne ferait certainement pas les affaires de certains des industriels engagés dans HYDEF, qui formaient de grandes ambitions quant à l’expérience acquise au travers de ce programme, y compris pour developper des systèmes complémentaires, comme dans le domaine de la défense anti-aérienne à longue portée, ou de l’interception antibalistique classique.

Aster 30
La fusion des deux programmes européens mettrait le système SAMP/T et le missile Aster au coeur de la défense antiblasitique européenne, ce qui viendrait handicaper la stratégie allemande autour de l’Initative européenne Sky Shield, ou ESSI (acronyme anglophone)

On peut comprendre, dans ce contexte, l’intervention israélienne dans ce dossier qui, certainement plus prompte à certains transferts de technologies au travers d’un n-ième Euro-x (comme Eurospike, Eurotrophy ou EuroArrow), permettrait à ses partenaires européens de se positionner, sur des délais relativement courts, face à l’Aster. À l’inverse, ce dernier trouverait une nouvelle légitimité s’il servait de base technologique au programme européen.

Une tentative allemande pour empêcher la fusion de HYDEF et HYDIS, avec European Sky Shield en ligne de mire ?

Bien évidemment, tous les regards se tournent vers Berlin, concernant les « amis en Europe », évoqués par Rafael. L’industrie de défense allemande, et son homologue israélienne ont, en effet, une longue tradition de coopération particulièrement fructueuse, précisément au travers des entreprises Euro-X.

Surtout, le retour de la France et de l’Italie, au sein du programme d’intercepteur hypersonique européen, pourrait venir mettre à mal la construction actuelle de l’Initiative européenne Sky Shield, ou ESSI.

En effet, si HYDEF venait à émerger avec des technologies israéliennes, et sans pilotage franco-italien, celui-ci pourrait parfaitement s’intégrer à l’ESSI, qui aujourd’hui repose sur l’Arrow-3 israélien, l’Iris-t SLM allemand, et le Patriot américain, mais qui exclut l’Aster franco-italien, ainsi que le Mica VL NG français, le CAAM britannique ou le NASAMS norvégien.

NASAMS Kongsberg
D’autres systèmes européens antiaériens, comme le NASAMS, auraient vocation à rejoindre l’ESSI, si celle-ci avait une véritable dimension défensive européenne, et non simplement commerciale.

En outre, il ne sera pas nécessaire, pour Berlin, de réviser cette liste, alors que si les deux programmes venaient à fusionner, il est très probable que l’Allemagne n’aurait d’autres choix que d’y accepter les autres systèmes antiaériens européens, en particulier l’Aster.

Un démenti allemand est certainement nécessaire

Il n’y a, à ce jour, aucune indication objective, autre que l’antériorité de la coopération entre Rafael et l’industrie allemande, et des intérêts que l’on peut supposer d’une telle démarche pour le contrôle de l’initiative ESSI, pour mettre en cause Berlin, comme soutien de l’industriel israélien dans ce dossier.

Toutefois, le faisceau de présomptions est tel, qu’il serait probablement nécessaire, pour Berlin, de démentir toute discussion avec Rafael, ou IAI, dans ce dossier, d’autant qu’une telle attitude irait à l’encontre de la trajectoire fixée par la Boussole stratégique présentée par la Commission Européenne, et sa présidente allemande Ursula von der Leyen, et par l’espagnol Josep Borrell, il y a de cela pas même deux ans.

La Marine chinoise progresse 7 fois plus vite que l’US Navy, et cela inquiète les amiraux américains

Depuis bientôt une dizaine d’années, les spécialistes occidentaux de la Marine chinoise, alertent quant aux immenses progrès réalisés par l’industrie navale chinoise, tant en termes de qualité que de quantité des navires produits.

Cette inquiétude est, depuis quelques années, reprise avec régularité par les chefs d’état-major américains, en charge de ce théâtre, alors qu’ils observent, année après année, le rapport de force progressivement s’inverser sur le plus grand théâtre aéronaval de la planète, et que les options américaines pour le contenir, sont de moins en mois nombreuses. Au point que l’on peut se demander, aujourd’hui, si face aux États-Unis, la Chine n’a pas obtenu, aujourd’hui, une situation de surprise stratégique ?

15 grandes unités de surface chinoises contre 2 pour l’US Navy en 2023

À l’occasion de son audition par le Sénat, le 1ᵉʳ février, pour prendre la fonction de commandant en chef du théâtre indo-pacifique, le plus important poste opérationnel américain, avec celui de SACEUR qui commande l’OTAN, l‘amiral Samuel Paparo Jr a dressé un tableau dès plus préoccupant, mais pas surprenant, de l’évolution du rapport de force face à la Marine de l’Armée Populaire de Libération.

Destroyer lourd Type 055
La Marine chinosie met en oeuvre 8 destroyers lourds Type 055, alors qua la cosntruction d’un second lot de 8 nouveaux navires a débuté.

Pour poser le problème, l’actuel Chef de la flotte indopacifique, a rappelé qu’en 2023, la Marine chinoise avait admis au service quinze grandes unités de surface, croiseurs (en fait des destroyers lourds Type 055), destroyers (Type 052DL), et frégates (Type 054A), là où l’US Navy n’a admis au service que deux destroyers Arleigh Burke, l’USS Lenah Sutcliffe Higbee et l’USS Jack H. Lucas.

Il en ira de même en 2024, avec deux nouveaux Burke pour l’US Navy, l’USS John Basilone et, peut-être, l’USS Harvey C. Barnum Jr., alors que la Marine chinoise devrait recevoir une dizaine de destroyers, dont le premier Type 055 du second lot de production, ainsi que des frégates Type 054A et B.

« Nous ne sommes pas dépassés, mais je n’aime pas le rythme de la trajectoire. », a ajouté l’amiral Paparo, même s’il se déclare convaincu que les forces américaines ont encore l’avantage sur leurs homologues chinoises. Le fait est, face au Sénat, pour prendre le commandement de l’Indo-pacifique, exprimer davantage d’inquiétudes aurait certainement été suicidaire pour l’amiral américain.

La trajectoire comparée de la Marine chinoise vs US Navy inquiète le chef de la flotte du Pacifique américaine

La trajectoire comparée concernant le nombre de navires disponibles entre les deux flottes, en effet, a de quoi inquiéter les stratèges américains, et ce, pour de nombreuses raisons. L’US Navy dispose encore d’un net avantage en termes de tonnage, ses unités de surface étant plus imposantes et mieux armées que l’immense majorité des navires chinois, mais aussi dans le domaine des sous-marins nucléaires d’attaque, six fois plus nombreux, et des forces aéronavales, amphibies et de projection de puissance.

SSn classe Virginia
L’US Navy veut amener la production de sous-marins nucléaire à 3 navires par an, deux SSN et un SSBN, pour relever le defi chinois.

Toutefois, la production de grandes unités de surface, les destroyers lourds Type 055 de 11 000 tonnes, et les destroyers antiaériens Type 052DL de 7 000 tonnes, permettra à la Marine chinoise de faire jeu égal avec l’US Navy, et même la dépasser d’ici à quatre ans.

Dans le domaine des sous-marins nucléaires d’attaque, comme des porte-avions, il faudra certainement plus d’une décennie, peut-être deux, à Pékin venir s’aligner sur les capacités dont dispose l’US Navy, ses 48 SSN Virginia, Sea Wolf et Los Angeles, et ses 11 porte-avions nucléaires des classes Nimitz et Ford, d’autant que celle-ci vise à amener sa flotte à 65 SSN et 12 porte-avions.

Cependant, dans ces domaines, la zone d’engagement probable, autour de Taïwan, et à l’intérieur du second cercle d’iles entourant la Mer de Chine du Sud, tend à modérer l’avantage américain, en permettant à la cinquantaine de sous-marins d’attaque conventionnels chinois Type 039 et 636, ainsi qu’aux forces aériennes chinoises basées à terre, de compenser ce désavantage théorique. Ce d’autant que Pékin produit d’importants efforts pour produire de nouveaux grands navires aéronavals, ainsi que des sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire de nouvelle génération.

La question de l’entrainement et de l’aguerrissement des équipages chinois demeure posée

Comme l’a rappelé l’amiral Paparo lors de son audition, les forces américaines peuvent encore s’appuyer sur une expérience et un aguerrissement sensiblement supérieurs à ceux des forces chinoises, en particulier dans l’espace coopératif interarmes aéronaval et amphibie. En effet, les armées américaines ont une grande expérience de ce type d’engagement, qu’elles ont pu employer, au combat, à plusieurs reprises ces dernières décennies.

Porte-avions Liaoning
Les deux porte-avions chinois actuellement en service, le Liaoning et le Shandong, ont permi à la Marine chinosie, et à son aéronavale, d’apprendre à employer ce type de moyens.

La Marine chinoise, pour sa part, n’a jamais mené d’opération de projection de puissance à longue distance, quel que soit l’environnement de celle-ci. Elle a d’ailleurs effectué, l’année dernière, le premier exercice de ce type, ne mobilisant pour l’occasion qu’un porte-hélicoptères Type 075, des unités d’escortes et un grand navire logistique, soit une force plutôt limitée.

Surtout, la croissance rapide du format de la Marine Chinoise, n’est certainement pas sans poser d’importants problèmes, afin de constituer les équipages requis, tout en respectant l’indispensable pyramide des âges, des grades et des compétences, qui font l’efficacité d’un navire au combat, au mois autant que les systèmes qu’il peut embarquer.

Pour autant, l’état-major naval chinois n’est pas sans savoir ces aspects. Ainsi, toutes les unités navales militaires chinoises participent, chaque année, à plusieurs grands exercices, dont au moins un avec des tirs réels de munition, à un rythme sensiblement supérieur à celui pratiqué par les marines occidentales, US Navy comprise.

De fait, le manque d’aguerrissement des équipages chinois, ne constituera un handicap que pendant encore quelques années, tant que la croissance du format représentera une part relative importante de la flotte. D’ici à 4 ou 5 ans, soit autour de 2028 ou 2029, il est probable que l’immense majorité de ces problèmes seront résolus.

La mondialisation de l’US Navy joue contre elle dans le Pacifique

À ce tableau déjà plus que préoccupant, s’ajoute un facteur aggravant concernant l’évolution du rapport de force dans le Pacifique. En effet, là où la Marine chinoise concentre l’essentiel de ses forces navales dans la zone indopacifique, et plus particulièrement à l’intérieur du second cercle d’iles entourant ses côtes, l’US Navy, pour sa part, est contrainte de déployer sa flotte sur plusieurs théâtres.

USS Eisenhower golfe aden
La dispersion de la flotte américaine, comme ici l’USS Eisenhower dans la Golfe d’Aden, prive l’US navy de la moitié de sa flotte dans le Pacifique face à la Chine.

Ainsi, pour répondre à la montée en puissance des tensions avec la Russie, l’US Navy a dépêché de nouveaux destroyers en Europe, et plus particulièrement à Rota, en Espagne, et à Naples, en Italie. À ces déploiements européens, s’ajoutent ceux, désormais importants, au Moyen-Orient, en mer Rouge, dans le golfe Persique et dans le golfe d’Aden, face aux Houthis et à l’IRAN.

Dans ce contexte, le rapport de force théorique, obtenu en comparant les inventaires des deux marines, n’a guère de sens, sauf à considérer que l’US Navy vienne à quitter tous les espaces secondaires, créant un potentiel appel d’air pouvant entrainer l’émergence de nouvelles tensions, voire de nouveaux conflits, dans ces régions.

En outre, si les États-Unis ont de puissants alliés régionaux, comme le Japon et la Corée du Sud, rien ne garantit qu’ils décident d’intervenir en soutien des Etats-Unis, pour contrer une offensive chinoise sur Taïwan.

Pour Séoul, une telle hypothèse, synonyme d’une concentration de moyens américains autour de l’ile autonome, pourrait inciter Pyongyang à se lancer dans une opération militaire contre son voisin. Nul doute que dans un tel cas, les armées sud-coréennes voudront concentrer tous leurs moyens disponibles pour dissuader Kim Jong Un d’agir ainsi.

Si le Japon dispose, lui aussi, d’une puissante marine et d’une importante force aérienne, il est très peu probable que Tokyo décide d’intervenir aux côtés des États-Unis pour, par exemple, venir briser un blocus chinois.

Une telle décision serait, en effet, inconstitutionnelle au Japon, alors que les forces d’autodéfense nippones ne peuvent être employées que dans l’hypothèse d’une offensive contre son propre territoire. Quant à l’Australie, elle est tout simplement trop loin, et dispose de moyens bien trop limités, pour venir rétablir le rapport de force régional.

anthony albanese Joe Biden Rishi Sunak San diego AUKUS SSN
Antony Albanese, Joe Biden et Rishi Sunak, lors de l’annonce du programme SSN-AUKUS à San Diego. De nombreuses voix s’élèvent depuis pour mettre en doute la soutenabilité de ce plan.

Rappelons aussi que la Chine, elle, pourrait certainement compter sur l’appui de la Russie, et de la non négligeable flotte du Pacifique. En effet, Moscou ne laisserait sûrement pas passer une telle occasion de resserrer ses liens avec son puissant voisin, et de faire émerger une alliance qui lui serait tout autant, voir bien davantage, bénéfique sur le front occidental.

La hausse planifiée, mais incertaine, de la construction navale américaine et la bunkerisation de Guam

Pour relever ce défi des plus difficile, l’US Navy a développé un plan qui s’appuie sur deux volets principaux. Le premier, qui constitue une réponse à court terme, repose sur un renforcement considérable des défenses de la base interarmées de Guam.

Celle-ci va se voir doté de capacités antiaériennes et antimissiles renforcées, constituée, outre des systèmes SM-2, SM-3 et SM-6 des destroyers et croiseurs de l’US Navy, de systèmes THAAD, Patriot et d’une des deux batteries Iron Dome acquise auprès d’Israël, pour contenir une éventuelle attaque préventive chinoise mêlant drones, missiles de croisière et missiles balistiques, faisant de cette base, l’infrastructure certainement la mieux protégée du Pacifique, peut-être de la planète.

Guam base navale
La base navale et aérienne de Guam va se voir doté d’une défense antiaérienne, antimissile et antidrone parmi les plus dense de la planete.

Surtout, l’US Navy prévoit d’accroitre la production de ses unités navales dans les années à venir, pour passer de 1,5 à 2 destroyers livrés par an, auxquels s’ajouteront une à deux frégates, peut-être quatre, si un second chantier naval venait à être activé pour cette mission. Il en irait de même dans le domaine des sous-marins, avec l’objectif de produire, d’ici à 2026, 2 SSN classe Virginia (2,3 en considérant les 3 navires devant être livrés à l’Australie), et 1 SSBN classe Columbia, chaque année, contre 1 SSN aujourd’hui.

Reste que ce plan très ambitieux, qui prévoit le recrutement de plus de 300 000 personnes par les chantiers navals américains, est remis en question par un nombre croissant de think tank et organismes indépendants du Congrès, le jugeant exagérément optimiste, alors que ces mêmes chantiers navals ne parviennent pas, aujourd’hui, à assurer les cadences de livraison promise, par manque de main d’œuvre.

La Chine a-t-elle obtenu la surprise stratégique dans le Pacifique ?

On voit, de ce qui précède, que la situation est désormais excessivement complexe pour les forces américaines, et l’US Navy en particulier, face à la Marine chinoise, dans le Pacifique. La situation est aujourd’hui loin d’être favorable, même si, par son expérience navale, et la composition de sa flotte, l’US Navy peut encore se prévaloir de certains avantages opérationnels pouvant compenser son infériorité numérique.

Surtout, comme l’a indiqué l’amiral Samuel Paparo Jr, lors de son audition, la trajectoire dans laquelle américains et chinois sont engagés, semble loin d’être à l’avantage du premier. En effet, non seulement se dirige-t-elle, aujourd’hui, vers un déséquilibre manifeste en faveur de la Marine chinoise, tout au moins dans un rayon de 3000 km autour des côtes du pays, mais aussi, alors que les États-Unis ne semblent pas être en mesure d’inverser cette tendance, ni industriellement, ni militairement, en se basant sur leurs seules forces.

LHD Type 075
Les chantiers navals chinois livrent, en moyenne, un grand navire aéro-amphibie, porte-hélicoptère, navire d’assaut ou porte-avions, chaque année.

De toute évidence, aujourd’hui, Pékin a obtenu une véritable surprise stratégique sur Washington, puisque ce dernier est sans solution, pour empêcher la dégradation du rapport de force dans les années à venir, au point, certainement, de ne plus être en mesure de dissuader la Chine de mener une opération contre Taïwan, d’ici à la fin de la décennie.

La seule alternative, pour Washington, afin de relever le défi chinois, serait de faire peser tout le poids de ses forces armées sur cet unique théâtre. Pour ce faire, il serait nécessaire que les États-Unis acceptent de transférer certaines zones de responsabilités à ses alliés, en particulier aux Européens, notamment en Méditerranée, et au Moyen-Orient, et que ces derniers acceptent le défi, et se mettent en situation de la relever.

Toutefois, rien n’indique, aujourd’hui, que tel puisse être le cas, les européens étant, plus jamais, biberonnés à la protection stratégique américaine, que Washington exploite largement à son avantage. À force de vouloir gagner sur tous les tableaux, il se pourrait bien que les États-Unis en arrivent à perdre sur la plupart d’entre eux, emmenant avec eux, et avec leur coupable complicité, une bonne partie de l’occident, Europe comprise.

Akeron, Caesar, Rafale… : les commandes pour les armées françaises se multiplient en 2024

Depuis le début d’année 2024, le ministère des Armées a multiplié les commandes pour les armées françaises, en matière d’équipements majeurs, à un rythme qui n’avait plus été d’actualité depuis la fin des années 80.

En quelques semaines, en effet, les trois armées ont été servies, ci de nouveaux Rafale pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, là des canons caesar, des blindés Serval, des hélicoptères NH90 ou des missiles pour l’Armée de Terre, ou encore un programme de grand drone sous-marin stratégique pour la Marine nationale.

Cet article récapitule les annonces intervenues dans ce domaine en début d’année, conséquences de l’application de la nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030, et des hausses de crédits qu’elle prévoit.

42 Rafale F4 pour l’Armée de l’Air et de l’Espace

La première annonce est intervenue à peine la trêve des confiseurs terminée. Le 12 janvier, le ministère des Armées annonçait, en effet, la commande de 42 nouveaux avions Rafale, entamant la très attendue Tranche 5, pour un montant de 5 Md€.

En réalité, la commande avait été signifiée à Dassault Aviation et la team Rafale à la fin du mois de décembre, conformément à la planification qui prévoyait qu’elle soit notifiée en 2023.

Rafale F4
Les 42 Rafale F4 commandés en debut d’année, pourront évoluer vers le standard F5.

Les nouveaux chasseurs seront les premiers à être livrés directement au standard F4, avec la capacité d’évoluer, à l’avenir, vers le nouveau et très prometteur standard F5, qui sera développé lors de la présente décennie, dans le cadre de la LPM 2024-2030.

Les 42 nouveaux chasseurs, qui seront livrés à partir de 2027, remplaceront les 12 Rafale F3R cédés d’occasion à la Croatie, ainsi que les Mirage 2000-5 de l’AAE, qui seront retirés du service au même moment.

Nouveau démonstrateur de grand drone sous-marin pour la Marine nationale

À la fin du mois de janvier, c’était au tour de la Marine nationale d’être à l’honneur, avec la notification à Naval group, d’un important contrat pour concevoir et fabriquer un nouveau démonstrateur de grand drone sous-marin, sur la base des compétences acquises avec le démonstrateur DDO présenté en 2021.

Au-delà du drone lui-même, le programme portera également sur le développement et la fiabilisation de nombreuses technologies qui en feront tout l’intérêt opérationnel, comme une propulsion longue endurance, les senseurs et systèmes de communication qui équiperont le drone, et surtout l’intelligence artificielle qui sera en charge de son pilotage, de la conduite de mission, et de la mise en œuvre des systèmes embarqués.

XLUUV DDO
Le drone sous-marin DDO servira de plateforme d’essai pour les tehcnologies qui seront developpées dans le cadre du programme confié à Naval Group.

Pour l’heure, le calendrier, comme le budget du programme, sont encore obscurs. Toutefois, comme évoqué dans notre article consacré à ce sujet, les enjeux opérationnels, technologiques et commerciaux pour cette nouvelle capacité, sont à la hauteur des difficultés pour s’en doter, alors que la concurrence internationale s’annonce féroce à ce sujet, même si, aujourd’hui, la France a une véritable avance dans ce domaine.

109 Caesar Mk2, 420 VBMR-légers Serval et 9 NH90 Caïman pour l’Armée de Terre

Ce 1ᵉʳ février 2024, aura été une journée faste pour les armées françaises, et en particulier pour l’Armée de terre, qui n’avait pas fait l’objet d’autant d’attention depuis longtemps.

Déjà, le 10 janvier, celle-ci s’était vue confirmer la commande de huit nouveaux hélicoptères de manœuvre NH90 Caïman TTH, une commande très attendue dans le cadre de la modernisation de cette composante de l’ALAT. Non seulement les Caïman sont beaucoup plus modernes que les Puma qu’ils remplaceront, mais ils offrent des performances bien plus importantes, dans tous les domaines.

Armées françaises NH90 Cougar Tigre
Le NH90 TTH offre des performances très supérieures aux hélicoptères qu’il rempalcera au sein de l’ALAT.

Trois semaines plus tard, le ministère des Armées a annoncé deux commandes clés, avec l’acquisition de 109 canons portés CAESAR Mk2, et de 420 véhicules blindés 4X4 Serval. Les Caesar NG, évolution du Caesar entré en service au début de la décennie, remplaceront les canons automoteurs chenillés AuF1 encore en service, malgré un potentiel opérationnel largement dépassé, mais aussi les 77 canons CAESAR mk1 beaucoup plus récents, et qui se montrent particulièrement efficaces en Ukraine.

L’avenir de ces Caesar reste incertain. Il est possible que tout ou partie d’entre eux seront envoyés en Ukraine, pour soutenir Kyiv dans son effort face aux armées russes. Il est également possible qu’ils soient transférés à de nouvelles unités d’artillerie qui seraient constituées dans le cadre de l’augmentation de format de la Garde Nationale.

Ils peuvent enfin être cédés à une nation tiers contre, par exemple, l’envoie d’autres systèmes en Ukraine, plus urgents que l’artillerie de 155 mm. À moins qu’il s’agisse d’un subtil mélange de ces solutions.

canon CAESAR Mali
Le sort des 77 canons CAESAR actuellement en serive au sein de l’Armée de Terre n’a pas encore été rendu public.

Les Véhicules Blindés Multi-Rôles Légers, ou VBMR-Légers, également appelés Serval, viendront, quant à eux, remplacer les VAB de l’Armée de Terre, pour évoluer aux côtés des VBMR Griffon, EBRC Jaguar et Leclerc modernisés dans la bulle SCORPION. La commande des CAESAR coutera 350 m€ au ministère des Armées, alors que les Serval couteront, quant à eux, 500 m€.

1 300 missiles Akeron MP antichars et 329 missiles Mistral 3 antiaériens pour les armées françaises

Ce même jour, une commande massive de missiles tactiques, à destination des 3 armées, était signifiée à MBDA, pour plus de 300 m€. Celle-ci porte sur 1 300 missiles antichars de nouvelle génération Akeron MP (pour Moyenne portée), et 329 missiles antiaériens à très courte portée Mistral 3.

Dans les deux cas, ces missiles vont conférer à leurs utilisateurs une plus-value considérable vis-à-vis des systèmes précédemment employés, comme le MILAN antichar, ou le Mistral 1 ou 2 antiaérien.

missile Akheron MP
Le missile antichar Akeron MP est l’un des plus avancé du moment, capable d’engager des cibles au delà de 4 kilometres meme sans ligne de visée.

Le montant annoncé, soit plus de 300 m€, ne correspond probablement qu’à une partie de cette commande. En effet, l’Akeron est donné pour couter autour de 200 000 € l’unité, et le Mistral 3 autour de 500 000 €, ce qui, appliqué aux volumes énoncés, dépasserait les 300 m€ évoqués.

Notons que l’Akheron MP est présenté comme « Combat proven », par le communiqué du ministère des Armées, ce qui tend à accréditer les rumeurs de son utilisation en Ukraine.

Les hausses de crédits de la LPM 2024-2030 commencent à porter leur fruit

Ces annonces répétées sont la conséquence de la hausse sensible des crédits consentis par l’application stricte de la LPM 2019-2025, puis de la première année de la LPM 2024-2030 qui est venue s’y substituer.

Si les hausses de crédits ont été limitées sur le début de la LPM précédente, elles permirent cependant de venir à bout de l’hémorragie de moyens dont souffraient les armées françaises depuis de nombreuses années, tout en préparant une phase de reconstruction, entamée en 2023.

Assemblée nationale LPm 2024-2030
La LPM 2024-2030 fut l’un des seuls textes majeurs efectivement voté par l’Assemblé nationale et le Sénat en 2023.

Désormais, si, comme on peut l’espérer, la nouvelle LPM est respectée, le cumul des hausses budgétaires à venir, vont non seulement permettre d’accélérer la modernisation des armées, mais également de financer, en partie tout du moins, une certaine extension, notamment au travers du doublement de la Garde Nationale.

Reste que, même si la trajectoire des armées française est, aujourd’hui, sans commune mesure avec celle qui était la leurs en 2015, il est très difficile de garantir qu’elle sera suffisante pour contenir l’évolution des menaces, en particulier en Europe, alors que le bloc occidental risque une brutale recomposition, en fonction des résultats de l’élection présidentielles américaines.

Car si les armées françaises célèbrent la commande de 1700 missiles, 530 blindés, et 50 moyens aériens, les armées russes, elles, reçoivent une centaine de chars, autant de véhicules blindés, une vingtaine de systèmes d’artillerie, et trois avions de combat chaque mois, ainsi que deux sous-marins nucléaires par an. Il ne faut pas oublier que la défense est un exercice qui se pratique en mode relatif.

Le porte-avions demeure le plus puissant outil d’une marine de guerre moderne, selon le CEMA.

À l’occasion de la Conférence navale de Paris, qui s’est tenue il y a quelques jours, le Chef d’état-major des Armées français, le général Thierry Burkhard, a défendu la pertinence et l’efficacité du porte-avions dans la guerre navale moderne.

Soutenant la décision de remplacer le Charles de Gaulle par le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, ou PANG, en 2038, le CEMA a ainsi fait une liste non exhaustive des différentes capacités exclusives à ce navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, allant de la rupture d’un déni d’accès à la communication géopolitique, en passant par la transformation de la géométrie d’un espace de crise ou de conflit.

Le fait est, si le porte-avions fait toujours l’objet de nombreuses critiques, il est aussi doté de capacités opérationnelles, technologiques et politiques, qui en font un outil sans équivalent à disposition des états-majors et des autorités politiques, qui peuvent aisément justifier son existence, mais qui, dans le même temps, interrogent sur la nécessité d’un second navire pour assurer la permanence de ces mêmes capacités jugées uniques et indispensables

Trop vulnérable, trop cher… La pertinence du porte-avions remise (à nouveau) en question

Ces dernières années, la pertinence du porte-avions a été fréquemment remise en cause, en France comme aux États-Unis, y compris au sein des armées. Pour ses détracteurs, le porte-avions est désormais un outil obsolète, trop vulnérable pour représenter un atout opérationnel. Cette perception a été accrue avec l’apparition des missiles balistiques antinavires, ou AShBM, comme le DF-21D et le DF-16 chinois, et surtout le missile hypersonique antinavires 3M22 Tzirkon russe.

missile AShBM DF-25 chine
Le missile balistique antinavire AShBM DF-26 chinois a une portée de plus de 4000 km. Son profil de vol le met toutefois à porté des Sm-3 et Sm-6 qui protégent les porte-avions de l’US Navy.

Présentés comme imparables par certains, ces nouveaux missiles seraient, en effet, capables d’atteindre une cible majeure, comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres, sans qu’il soit possible de s’en protéger.

En outre, les investissements nécessaires pour concevoir, construire et mettre en œuvre un porte-avions moderne, son groupe aérien embarqué, et son escorte de frégates, destroyers, navires logistiques et sous-marins, pourraient, toujours selon ses détracteurs, être bien mieux employé dans d’autres domaines, également sous tension.

Les questions concernant l’arbitrage budgétaire ont une évidente légitimité, le porte-avions est avant tout un outil portant une importante dimension politique, et c’est au niveau politique qu’il doit être arbitré, pour décider s’il est préférable d’avoir un GAN opérationnel, ou cinq ou six escadrons de chasse, et les escadrons de soutien qui les accompagnent. La France et la Grande-Bretagne acceptent ce sacrifice. D’autres non.

En revanche, la question de la prétendue vulnérabilité du porte-avions face aux nouvelles menaces, n’est pas un enjeu. Certes, de nouveaux missiles antinavires sont apparus. Toutefois, leurs performances ne constituent, dans les faits, qu’une évolution des performances qu’avaient certains missiles plus anciens, notamment les missiles antinavires supersoniques soviétiques, qui évoluaient au-delà de Mach 1 en transit, et Mach 3 ou 4 en attaque finale.

Tu-22M3 Backfire C
Les bombardiers à long rayon d’action Tu-22M backfire sovéitique représentaient une menace considerable pour les porte-avions de l’US navy pendant la Guerre Froide. Paradoxalement, c’est au sein du Carrier Strike Group (qui s’appelait task Force alors), que la solution a été trouvée, avec le système AEGIS armant les destroyers, d’une part, et le missile AIM-54 Phoenix du F-14 Tomcat de l’autre.

Comme ce fut le cas dans les années 70, avec la conception du système AEGIS et du couple F-14 Tomcat/ AIM-54 Phoenix, pour contrer la menace que représentaient ces nouveaux missiles soviétiques, de nouveaux missiles et systèmes défensifs sont en développement pour contrer ces missiles balistiques, hypersoniques ou non, antinavires.

À ce titre, les destroyers américains ont déjà pu employer, avec succès, le nouveau missile SM-6 pour intercepter les AShBM Houthis en mer Rouge, ce qui tend à indiquer qu’ils seront aussi capables d’intercepter les DF-21D et DF-16, les fameux Tueurs de Porte-Avions chinois, qui avait tant fait couler d’encre il y a quelques années. Il est probable qu’un missile comme l’Aster 30 soit, lui aussi, d’une telle interception. Et il en va de même de la menace hypersonique.

En d’autres termes, si, comme l’a reconnu le général Burkhard , il n’est plus possible, aujourd’hui, de revendiquer la supériorité technologique sur un espace de conflictualité, naval ou autre, le porte-avions n’est pas plus exposé ou vulnérable qu’il ne l’était auparavant, tout en conservant des capacités exceptionnelles.

La Groupe d’action naval, un outil d’une polyvalence inégalée

Ces atouts uniques sont au nombre de quatre. Le premier d’entre eux, repose sur la polyvalence sans équivalent, d’un porte-avions et de son Groupe d’Action Navale à la mer. Cette polyvalence a été démontrée, ces dernières semaines, par le déploiement de l’USS Eisenhower en Méditerranée et au Proche-Orient.

USS Eisenhower Golfe d'Aden
Le porte-avions américain USS Eisenhower dans le Golde d’Aden.

Initialement, la mission de Carrier Strike Group de l’Eisenhower, était d’effectuer une démonstration de forces au large des côtes israéliennes, suite à l’attaque du 7 octobre, pour contenir le conflit et empêcher son extension. Après quoi, il fut envoyé dans le golfe d’Aden, d’abord pour protéger les navires commerciaux des frappes Houthis, puis pour mener des frappes contre ces mêmes infrastructures Houthis desquelles les missiles étaient lancés.

De fait, au cours d’un même déploiement, le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, ont effectué plusieurs missions de nature très différentes, aussi bien offensives que défensives, et même purement géopolitiques.

En effet, le groupe aérien du porte-avions, ses moyens propres et ceux de son escorte, confèrent au groupe d’action naval une polyvalence supérieure à celle de n’importe quelle unité navale, et même aérienne, susceptible non seulement de remplir un très vaste panel de missions, mais de les remplir simultanément ou successivement lors d’un même déploiement.

La capacité à durer d’un porte-avions au combat

Non seulement le porte-avions est-il d’une polyvalence inégalable, mais il dispose, en outre, d’un atout remarquable, sa capacité à durer au combat. En effet, contrairement à la plupart des navires militaires, le porte-avions a la possibilité de régénérer, voire de remplacer dynamiquement ses moyens offensifs et défensifs, au cours d’un même déploiement.

USS America CVA-66
L’USS America a maintenu une posture opérationelle pendant 292 jours face au nord vietnam entre 1972 et 1973, et participa activement à l’opération Linebaker II.

Ainsi, si l’Armée de l’Air et de l’Espace était parvenue à effectuer, avec l’ide de frégates de la Marine nationale, l’opération Hamilton contre les infrastructures chimiques syriennes, en avril 2018, celle-ci aurait été incapable de mener des frappes de même type dans la durée.

En effet, chaque mission ayant une durée de plus d’une dizaine d’heures, et mobilisant un grand nombre d’avions de soutien pour accompagner les Rafale et Mirage 2000-5 de la métropole jusqu’à la Méditerranée Orientale, l’Armée de l’Air serait rapidement arrivée à court de son potentiel au bout de quelques missions seulement.

À l’inverse, le porte-avions peut maintenir une posture opérationnelle, beaucoup plus proche des cibles visées, et donc mener des frappes quotidiennes, tout en économisant le potentiel de vol de ses aéronefs, pendant plusieurs mois. Ainsi, l’USS America, CVA-66, a été déployé en mission opérationnelle au large des côtes vietnamienne, durant 292 jours, de juin 1972 à mars 1973.

Faute de disposer d’un allié acceptant l’utilisation de ses bases, comme c’était le cas pour les frappes contre la Syrie, la base aérienne française de Jordanie ne pouvant être employée pour cette mission, le porte-avions est le seul à pouvoir maintenir une pression constante et soutenue, sur le dispositif adverse.

L’adaptabilité intrinsèque du porte-avions pour répondre aux évolutions

Système de systèmes par excellence, le porte-avions et son groupe naval, se caractérise également par une très importante évolutivité, lui conférant de nouvelles capacités qui ne s’imaginaient peut-être pas, lors de son entrée en service.

USS Nimitz Carrier Strike Group
L’USS Nimitz a rejoint l’US Navy en 1975, et quittera celui-ci en 2025, après 50 ans de service à la mer. En 2023, il avait enregisté plus de 350 000 appontages.

Ainsi, le groupe aérien de l’USS Nimitz, entré en service en 1975, se composait initialement de F-4 Phantom 2, A-6 Intruder et A-7 Corsair II, à la sortie de la guerre du Vietnam. Il se compose, dorénavant, de F/A-18 E/F Super Hornet et C Hornet, de EA-18G Growler et de E-2C Hawkeye, lui conférant des possibilités sans commune mesure avec son groupe aérien initial. Ses sisterships emportent, quant à eux, le nouveau F-35C, et certains pourraient même accueillir le futur NGAD.

Son escorte, quant à elle, est passée des croiseurs Longbeach ou California, destroyers Spruance, frégates Knox et sous-marins Los Angeles, aux destroyers Arleigh Burke et croiseurs Ticonderoga armés du système antiaérien et antibalistique AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk, et sous-marins Virginia. En outre, par son volume et sa capacité énergétique, le porte-avions lui-même est une plate-forme nativement conçue pour être évolutive.

Ainsi, le Charles de Gaulle français s’est vu doté, au fil des années, de nombreuses capacités nouvelles, alors qu’à l’occasion de sa prochaine phase de modernisation, il recevra le nouveau radar AESA à face plane Sea Fire 500 de Thales, lui permettant de contrôler un espace aérien sur 350 km de rayon, étendues par les capacités de détection des nouvelles frégates FDI, elles aussi, équipées du même radar, et du nouvel avion radar E-2D Hawkeye.

Cette capacité à évoluer, et à intégrer de nouveaux moyens pour répondre à l’évolution de la menace sur les différents espaces de conflictualité, est, à ce titre, présentée comme l’un des enjeux clés du développement du nouveau porte-avions nucléaire PANG de la Marine nationale, par le CEMA lui-même.

La visibilité du porte-avions, un atout majeur dans la guerre de communication et la communication de guerre

Enfin, le porte-avions peut se parer d’une dernière vertu, que très peu de moyens militaires peuvent égaler, tout au moins dans le domaine conventionnel. En effet, au-delà de son potentiel offensif et défensif global, et de sa capacité à faire peser une menace constante sur l’adversaire, le porte-avions a un atout majeur dans la guerre moderne : il dispose d’une visibilité aussi importante que modulable.

CV-18 Fujian
Le Fujian, le nouveau porte-avions chinois de pr§s de 80 000 tonnes, montre incontestablement que la confiance dans le potentiel opérationnel du porte-avions, n’est pas un iais occidental.

Ainsi, l’envoi d’un porte-avions et de son escorte, à proximité d’un espace de crise, constitue aujourd’hui un message politique et diplomatique d’une immense portée, qui ne peut, objectivement, être dépassée que par le déploiement de missiles à capacités nucléaires, ou d’une force armée conventionnelle considérable.

Il s’agit, pour les pays qui disposent de cet outil, souvent du dernier avertissement précédant une frappe massive, qui d’ailleurs a fréquemment eu les effets escomptés, y compris contre des pays vindicatifs, comme l’Iran, la Syrie, la Libye, ou la Corée du Nord. Dans la même temps, par sa grande mobilité, le porte-avions sait aussi se faire discret, lorsque cela est nécessaire.

Conclusion

Bien que remis en cause par certains, le porte-avions demeure, aujourd’hui, un outil sans équivalent en matière de guerre navale, et ce, dans de nombreux domaines. Par sa polyvalence, sa capacité à durer, son évolutivité et sa visibilité, il confère aux pays qui en disposent, et à leur marine, un potentiel opérationnel et politique unique pour agir sur une crise, ou un conflit ayant une dimension navale.

PANG
Si l’avenir du Porte-avions de Nouvelle Génération, ou PANG, est dorénavant assuré, celui d’un éventuel sister-ship, ou d’un second navire d’une classe différente, semble des plus éloigné.

Reste qu’il s’agit d’un outil onéreux, que l’on peut aisément comparer, à l’autre bout du spectre naval, avec les sous-marins à propulsion nucléaire, aussi discrets, invisibles et spécialisés que le porte-avions est ostentatoire, visible et polyvalent. Il est d’ailleurs intéressant de constater que ce sont les pays qui disposent, également, de ce type de sous-marins qui, par ailleurs, alignent les porte-avions les plus importants.

Reste qu’en France, si la question du remplacement du Charles de Gaulle par le PANG, ne semble plus se poser, celle de la construction d’un second navire, de même type, ou de dimensions plus réduites, et doté d’une propulsion conventionnelle, pour en optimiser les couts et le potentiel export, ne semblent pas, non plus, sérieusement considérée, alors qu’un unique navire ne permet d’en avoir la jouissance opérationnelle que 40 à 50% du temps, dans le meilleur des cas.

Pourtant, si le porte-avions est paré effectivement de toutes les vertus énumérées par le général Burkhard, il y a quelques jours, la question d’en disposer en permanence, et donc de la construction d’un second navire, semble avoir une réponse positive évidente.

Porte-avions américains, français et britannique
Les porte-avions américains USS JOHN C. STENNIS et USS Kennedy, le Charles de Gaulle français, et le porte-hélicoptères britanniques HMS Ocean lors d’une parade navale.

En outre, en dépit des surcouts engendrés par une telle décision, des solutions existent précisément pour en réduire les effets de captation sur les autres budgets des armées, comme la coopération internationale européenne, avec des pays comme la Belgique et les Pays-Bas, dont les frégates escortent fréquemment le Charles de Gaulle ces dernières années.

Il faudra donc, dans un avenir proche, mettre en cohérence les positions et les besoins opérationnels, avec les ambitions politiques, et surtout avec les moyens conférés aux armées, en particulier dans ce domaine.

L’industrie de défense russe aurait recruté 500 000 collaborateurs depuis le début du conflit en Ukraine

L’industrie de défense russe est devenue, depuis le début de l’opération militaire spéciale en Ukraine, l’un des enjeux stratégiques du kremlin, pour venir à bout de la résistance de Kyiv, et passer outre l’assistance et les équipements fournis par les alliés occidentaux de l’Ukraine.

En effet, si les armées russes n’ont pas particulièrement brillé dans les premiers mois de l’offensive, elles ont montré, depuis, d’importantes capacités pour encaisser les pertes, en hommes, mais surtout en matériels, grâce à la montée en puissance rapide et considérable, d’une industrie russe en croissance rapide, soutenue par un pays passé en économie de guerre.

Un demi-million de salariés en plus dans l’industrie de défense russe

Bien que le niveau de la production russe d’équipements de défense soit encore difficile à déterminer de manière certaine, les indications données par les autorités russes, avec les réserves qu’il convient de garder à l’esprit à ce sujet, mais aussi les observations indépendantes réalisées lors des combats, tendent à aller dans la même direction.

Ainsi, si l’on pouvait douter de l’annonce du ministre de la Défense russe, Sergueï Choïgou, lorsqu’il déclara que 1 500 chars avaient été livrés aux armées russes en 2023, soit plus qu’elles n’en ont perdus sur la même période, force est de constater qu’en dépit des pertes documentées, les forces russes engagées en Ukraine, ne semblent pas manquer de blindés.

industrie de défense russe uralvagonzavod
Le renseignement britannique estime que la production mensuelle de chars par l’indsutrie russe serait effectivement de 100 exemplaires.

Pire, le nombre de chars modernes, comme le T-72B3M ou le T-90M, identifiés comme détruits ou endommagés au combat ces derniers mois, est en croissance constante. À ce titre, récemment, le ministère de la Défense britannique avait jugé comme crédible l’hypothèse d’une production de 100 chars par mois pour l’industrie russe, même si ce chiffre recouvre différents modèles, y compris certains T-62M et T-72A anciens, et rapidement remis en état de combattre.

À ce titre, à l’occasion du Forum « Tout pour la Victoire ! », Denis Lysogorsky, le ministre délégué à l’industrie et au commerce russe, a révélé qu’un demi-million de personnes avaient été recrutées par l’industrie de défense du pays, depuis le début du conflit.

Sachant que l’industrie de défense russe était forte de 1,2 à 1,5 million de collaborateurs avant-guerre, et en tenant compte des départs en retraites (l’âge moyen dans cette industrie dépassait les 50 ans), cela représente tout de même une hausse de 25 à 30% des effectifs, ce qui semble cohérent avec les augmentations de production constatées et/ou revendiquées par Moscou.

À titre d’exemple, sans en citer toutefois le nom, Denis Lysogorsky a indiqué qu’une des usines d’armement du pays, était passée de 4 800 employés avant-guerre, à 19 500 aujourd’hui. Dans le même temps, les salaires ont sensiblement augmenté dans cette industrie réputée pour mal payer ses collaborateurs, y compris selon les standards russes, alors que l’âge moyen a sensiblement baissé.

Un investissement social et militaire au cœur de la stratégie du Kremlin

Comme évoqué dans un précédent article, la stratégie appliquée par le Kremlin concernant son soutien à l’industrie de défense russe, n’a pas pour seul objectif de soutenir l’opération spéciale militaire.

Vladimir Poutine
Les armées, l’indsutrie de défense et l’administration russes, constituent de livier électoral de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine;

Certes, les 500 000 emplois créés, mais aussi les hausses des salaires significatives consenties dans ce domaine, sont entièrement à la charge du ministère de la Défense, d’autant que les exportations russes sont, aujourd’hui, réduites au minimum pour concentrer la production vers le soutien aux troupes russes déployées en Ukraine.

Ce cout supplémentaire est toutefois limité, puisque le salaire mensuel moyen, dans l’industrie de défense, ne dépassait pas les 25 000 roubles avant le conflit. De fait, en tenant l’ensemble de ces critères, le surcout au budget des armées, doit s’établir entre 350 et 500 milliards de roubles par an, soit 3,5 à 5 Md€, et 3,8 à 6% du budget des armées en 2024, alors que celui-ci a augmenté de presque 50 % par rapport à 2023.

Dans le même temps, cet effort est valorisé économiquement, socialement et politiquement, par le Kremlin. Ainsi, la hausse des salaires dans l’industrie de défense, entraine une hausse généralisée des salaires dans le pays, du fait de la compétition de recrutement qui en résulte. En effet, non seulement les postes dans cette industrie sont mieux payés, mais les salariés qui y travaillent, sont peu susceptibles d’être mobilisés au besoin.

À cette hausse des salaires qui tend à se généraliser dans le pays, entrainant une hausse du pouvoir d’achat des ménages les plus modestes, s’ajoute un calcul politique. En effet, traditionnellement, l’industrie de défense, comme les armées, l’administration et la police, constitue le vivier électoral privilégié de Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine.

Mobilisation russie
Travailler pour l’indsutrie de défense représente, en russie, un excellent moyen d’eviter une eventuelle nouvelle mobilisation.

Ces deux facteurs, auxquels s’ajoute un nouvel effort des autorités russes pour soutenir les ménages les plus modestes (qui représentent 60 % de la population russe), et la classe moyenne (35 % de la population), tendent à accroitre le soutien populaire au gouvernement, à proximité d’une échéance électorale qui devra impérativement se conclure par un plébiscite de Vladimir Poutine.

Un indicateur clé de la stratégie russe en Ukraine

Les révélations faites par Denis Lysogorsky, tendent à renforcer la certitude d’une stratégie à long terme appliquée désormais par l’état-major et le Kremlin, pour emporter la décision en Ukraine.

En effet, en augmentant encore la production industrielle, et le budget des armées, les autorités russes s’assurent de pouvoir user la détermination des ukrainiens à défendre leur pays, ainsi que celle des occidentaux à soutenir Kyiv.

Ce d’autant que si les Armées russes parviennent effectivement à faire croitre leurs effectifs à 1,5 million d’hommes d’ici à 2025, comme annoncé, et à équiper ces effectifs avec les surplus de production de son industrie de défense, une fois déduite la compensation de l’attrition en Ukraine, Moscou sera en mesure de reconstituer, rapidement, une capacité militaire offensive, qui pourra être brandi face aux Européens.

Rostec Aviation
Si la production de blindés, de systèmes d’artillerie et de munitions par l’indsutrie de défense russe, a considerablement augmentée depuis 2022, celle d’avions de combat est restée stable, autour de 25 chasseurs en 2023.

Une telle manœuvre convaincra certainement les européens de concentrer leurs efforts industriels et budgétaires, dans leur propre protection, plutôt que dans le soutien apporté à l’Ukraine, même si celle-ci immobilise bien la moitié du dispositif projetable russe, alors que le soutien industriel et militaire des États-Unis ira nécessairement en s’atténuant dans les années à venir, en Europe comme en Ukraine.

Un enjeu majeur pour la sécurité de l’Europe

La hausse des effectifs des armées russes, ainsi que celle de l’industrie de défense, représentent, ensemble, un enjeu majeur pour la sécurité de l’Europe, qui passe en partie, mais pas uniquement, par la sécurité de l’Ukraine.

En effet, sur la base des trajectoires constatées aujourd’hui, et potentiellement crédibles, il ne faudrait que 4 à 5 ans, aux armées russes, pour recruter, former et équiper, un second corps de manœuvre de 400 000 hommes, 2000 chars, 1500 pièces d’artillerie et un millier de systèmes antiaériens, en plus de celui déployé en Ukraine, alors qu’un troisième corps, lui aussi de 400 000 hommes, serait mis en réserve, avec des moyens en cours de régénération.

Ces chiffres excèdent de beaucoup les capacités de projection de puissance de l’OTAN pour défendre, par exemple, les pays Baltes, ou la Finlande, selon la planification observée pour l’ensemble de ses membres aujourd’hui.

Exercice OTAN
Les capacités de mobilisation et de déploiement de l’OTAN, pour protéger certains alliés vulnérables comme els Pays Baltes ou la Finlande, pourrait rapidement se retrouver trés insuffisante face à la montée ne puissance des armées russes, même si la guerre en Ukraine venait à perdurer.

Rappelons, en effet, que si l’OTAN, en Europe, alignera bien plus de 2000 chars, 1000 pièces d’artillerie et plus d’un million de soldats en 2028, seule une partie d’entre eux pourraient effectivement être envoyés dans les pays baltes, ou à proximité, pour dissuader, ou s’opposer, à une offensive russe, ou simplement pour répondre à une manœuvre d’intimidation.

Qui plus est, si Moscou applique, face à ces pays, la même stratégie que celle employée contre la Géorgie en 2007-2008, ou l’Ukraine en 2021-2022, avec des déploiements répétés et croissants, sous couvert d’exercices, d’importantes troupes à proximité de leurs frontières, nul doute que de graves tensions viendront secouer l’alliance, alors que les opinions publiques européennes, elles, réclameront que leurs forces armées demeurent dans le pays pour le protéger.

De toute évidence, la trajectoire suivie par la Russie depuis plus d’un an maintenant, nécessite, dorénavant, une réponse d’un tout autre niveau de la part des européens, tant pour assurer un soutien suffisant à l’Ukraine, mais aussi pour rapidement renforcer leurs propres moyens de dissuasion, qu’ils soient nucléaires comme conventionnels. Faute de quoi, Moscou aura une latitude extraordinaire pour imposer ses exigences à ses voisins européens, sans qu’ils puissent y résister.

Pourquoi la technologie du grand drone sous-marin XLUUV est-elle stratégique pour les marines militaires ?

Après le succès des phases d’essais de son démonstrateur DDO, un grand drone sous-marin, ou XLUUV, Naval Group s’est vu notifié un contrat pour la conception d’un nouveau système de même type, mais plus imposant, ainsi que de l’ensemble des technologies clés pour équiper et mettre en œuvre ces drones navals.

Dans ce domaine, la France n’est pas en retard, et fait même partie des nations les plus avancées, avec les États-Unis. Elle n’est cependant pas la seule à investir d’importants moyens pour se doter de XLUUV. En effet, savoir concevoir, et mettre en œuvre ces grands drones sous-marins militaires, va rapidement devenir un enjeu stratégique pour de nombreuses marines. Voilà pourquoi…

Si les drones ont fait leur entrée sur les champs de bataille aériens depuis plusieurs décennies, l’arrivée de ces systèmes automatisés est beaucoup plus récente dans les autres espaces de conflictualité, pour des raisons toutefois souvent différentes. Ainsi, le principal obstacle à la conception d’un drone terrestre, réside dans la gestion de sa mobilité sur un terrain par nature chaotique et changeant, comme sur un champ de bataille.

Dans le domaine des drones de surface, ce sont avant tout les contraintes liées à la durée des missions qui concentrent les efforts des chercheurs. En effet, là où un drone de combat va tenir l’air pendant, au mieux, quelques dizaines d’heures, un drone de surface de grande taille va effectuer sa mission sur plusieurs semaines, peut-être même plusieurs mois, avec son lot d’avaries et de fortunes de mer.

XLUUV DDO de Naval group
Le démonstrateur de grand drone sous-marin DDO de Naval group, a terminé son programme d’essais à l’été 2023.

Les drones sous-marins, quant à eux, cumulent les contraintes des unités de surface, avec un impératif fort en matière de discrétion, spécialement dans le domaine électromagnétique et acoustique, alors que très peu de pays ont, effectivement, les compétences pour concevoir un sous-marin conventionnel.

Ainsi, si, pour être opérationnel, un drone de surface peut s’appuyer sur une liaison de donnée avec un centre de contrôle, la discrétion indispensable liée à la mission sous-marine militaire, impose de réduire au maximum ces échanges électromagnétiques, et donc de concevoir un drone disposant d’une autonomie très étendue en matière de pilotage, mais aussi de conduite de mission, voire de décision opérationnelle.

Un nouveau programme français basé sur le démonstrateur DDO de grand drone sous-marin de Naval Group

Dans ce domaine, le français Naval Group a pris les devants de la programmation militaire nationale, en développant, sur fonds propres, un démonstrateur baptisé DDO, pour Démonstrateur de Drone Océanique.

Sa présentation eut lieu, concomitamment à sa première mise à la mer, en octobre 2021, à l’occasion des Naval Group Innovation Days, un événement annuel de l’industriel destiné à promouvoir et présenter ses innovations et avancées technologiques récentes.

Long de 10 mètres pour 10 tonnes de déplacement, le DDO a depuis mené plusieurs campagnes d’essais, tant pour valider les arbitrages et développements des ingénieurs de Naval Group, que pour récolter de nombreuses données et expériences liées à sa mise en œuvre, comme c’est le rôle d’un démonstrateur.

Navl Group Innonvation days 2021 DDO
Le DDO a été présenté lors des Naval Group Innonvation Days en octobre 2021.

Le pari de l’industriel a été payant. En effet, après que des financements de la DGA ont accompagné Naval Group lors des essais de son démonstrateur, et comme planifié par la nouvelle LPM 2024-2030, celui-ci a été notifié d’un contrat de recherche et de développement, de la part de la DGA, pour la conception, la fabrication et les essais d’un nouvel XLUUV, acronyme anglophone pour Très Grand Véhicule Sous-marin sans Équipage, sur la base des acquis du programme DDO.

Le nouveau drone devra être plus grand, et plus lourd, que le démonstrateur initial, sans que ses dimensions aient été spécifiquement définies. Pendant ce temps, le DDO servira, quant à lui, de plateforme pour un ensemble de développements dans le domaine de l’endurance, de la production d’énergie, de l’intégration de senseurs, et surtout de l’automatisation et la prise de décision autonome, sujets mis largement en avant par la DGA et Naval group dans ce dossier.

Les principaux programmes de XLUUV dans le monde

La France, Naval Group, et la Marine nationale, ne sont pas les seuls à s’intéresser de près, et à investir, dans le développement de ce type de technologie. Des programmes similaires, plus ou moins avancés, sont, en effet, en cours dans plusieurs pays, en particulier ceux dotés des compétences en matière de conception et de construction de sous-marins militaires.

C’est le cas des États-Unis et de l’US Navy, avec le programme ORCA, dont la conception a été confiée à Boeing et la construction aux chantiers navals HHI de Lockheed Martin. Le premier prototype a été livré par l’industriel à la fin de l’année dernière, et qui, depuis, multiplie les tests et essais.

XLUUV ORCA Boeing
Boeing va livrer au total six XLUUV ORCA à l’US Navy.

Long de 26 mètres, mais avec un déplacement de seulement huit tonnes, l’ORCA doit être construit à six exemplaires, pour mener l’ensemble des tests et essais, y compris en matière de déploiement opérationnel, afin de pouvoir entamer la conception et la construction d’une classe de grands (Large) et très grands (eXtra Large) drones sous-marins autonomes venant renforcer et étendre les capacités de l’US Navy, à partir de la fin de la décennie.

Plusieurs autres pays, comme le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne et Israël, ont annoncé, ces derniers mois, s’être engagés dans des programmes similaires. Tout comme la Chine, dont on ignore cependant l’état d’avancement dans ce domaine, Pékin étant traditionnellement très discret pour ce qui concerne les développements de technologies sous-marines.

Quoi qu’il en soit, avec un démonstrateur de 10 tonnes ayant déjà effectué plusieurs campagnes d’essais, et un programme ambitieux à suivre, la France est à la pointe dans le domaine des XLUUV, et entend bien le rester.

Des capacités opérationnelles bientôt indispensables pour toutes les marines militaires

Il faut dire que les possibilités promises par l’arrivée des XLUUV dans l’inventaire des grandes marines militaires, ont de quoi aiguiser les appétits des stratèges navals. En effet, par leurs performances, leurs couts réduits, leur mobilité et une empreinte RH limitée, ces drones sous-marins étendent sensiblement les capacités des sous-marins traditionnels, qu’ils soient à propulsion conventionnelle, et même nucléaire.

XLUUV DDO Naval group
Le DDO est un des premiers XLUUV a avoir effectué des essais à la mer, en 2021.

Par leurs prix réduits, on parle de 20 m€ pour la version surveillance (10 tonnes) du DDO, leur panoplie de senseurs, et leur autonomie à la mer, les XLUUV représentent, sans le moindre doute, l’une des solutions les plus efficaces pour surveiller et sécuriser un espace maritime étendu, des côtes, voire des infrastructures navales critiques, comme les ports et arsenaux ou les câbles sous-marins.

Ainsi, la sécurisation d’un arsenal, qui nécessiterait, dans la durée, au moins deux sous-marins nucléaires se passant le relais, ou trois sous-marins à propulsion conventionnelle, pourrait être réalisée par 5 ou 6 XLUUV, tournant par flottille de 2 ou 3, et ne coutant qu’une fraction des couts de construction et de mise en œuvre, de la flottille sous-marine immobilisée pour une telle mission, et par ailleurs, très probablement, plus utile ailleurs.

Les grands drones sous-marins peuvent également s’avérer particulièrement utiles dans les missions trop risquées pour y consacrer un sous-marin, comme le renseignement naval opérationnel à proximité des côtes adverses ou de son dispositif naval, ou la désignation de cible.

Ainsi, un XLUUV peut s’approcher discrètement d’une flotte adverse, en identifier les navires clés, et transmettre les informations à une frégate, un autre sous-marin, ou un stike d’avions de chasse, pour venir les frapper à distance de sécurité, tout en réduisant sensiblement les risques de dégâts collatéraux, et ce bien plus surement qu’avec un sous-marin classique.

XLUUV ORCA Boeing
Les dimensions du XLUUV ORCA américain apparaissent sur cette photo lors de la cérémonie de bapteme du premier prototype.

Enfin, les XLUUV disposent d’une mobilité incommensurable, en particulier face aux sous-marins traditionnels, y compris à propulsion nucléaire. En effet, par ses dimensions, le DDO peut-être transporté par avion A400M partout dans le monde en 24 heures, alors que sa version de combat, de 20 mètres, pourrait l’être avec un C17. Une fois livrés, ils peuvent rejoindre la mer par camion en quelques heures seulement.

Ainsi, un grand drone naval est capable d’être déployé sur des délais très courts, pour répondre à une situation de crise, bien plus rapidement que ne le peut un SNA, pourtant le système naval le plus véloce, avec le porte-avions, aujourd’hui.

L’ensemble de ces capacités, et celles qui restent à imaginer et à appliquer, confère aux XLUUV un potentiel opérationnel très important, agissant tant comme multiplicateur de forces que comme alternative économique spécialisée, précisément pour employer, au mieux de leurs potentiels, les rares et très onéreux sous-marins d’attaque.

Des enjeux technologiques à l’échelle des enjeux militaires

Reste que pour parvenir à s’en doter, les obstacles technologiques à franchir sont particulièrement nombreux et difficiles. Déjà, le ticket d’entrée pour être en mesure de concevoir des XLUUV efficaces, capables d’exploiter le plein potentiel de ce nouvel outil, est particulièrement élevé, puisqu’il nécessite de savoir concevoir et fabriquer des sous-marins militaires conventionnels ou nucléaires.

SNA Suffren
La maintrise des technologies de conception d’un sous-marin miltiaire constitue le tiocket d’entrée pour s’engager dans la conception d’un XLUUV.

En effet, les fonds marins représentent un des milieux, avec l’espace sidéral, les plus hostiles et agressifs adressables par la technologie humaine aujourd’hui. S’il est évidemment possible de bricoler un semi-sous-marin partiellement autonome, potentiellement capable de mener une mission d’attaque suicide, à l’aide d’une liaison satellite qui en annulerait le bénéfice de la discussion, la conception d’un véritable XLUUV, requiert de maitriser l’ensemble des compétences sous-marines militaires, et bien davantage.

Ce n’est visiblement pas un sport de masse. En effet, à ce jour, seuls les cinq membres permanents du conseil de sécurité des nations unis, ainsi que le Japon, la Corée du Sud, l’Allemagne, la Suède, et l’Inde, disposent effectivement de ces compétences.

Le cas d’Israël, et de la Turquie qui ne tardera certainement pas à révéler un programme similaire, est particulier. Si ces deux pays ne conçoivent pas leurs sous-marins, ils en maitrisent cependant la majorité des technologies, et dispose d’un grand savoir-faire dans le domaine des drones et systèmes autonomes. En outre, ni l’un, ni l’autre, n’a d’ambitions océaniques à proprement parler.

Le second enjeu technologique, pour la conception, et surtout la mise en œuvre efficace des XLUUV, englobe les enjeux de discrétion, ainsi que de décision autonome et de conduite de mission. En effet, pour exploiter pleinement le potentiel d’un XLUUV, celui-ci se doit d’être au moins aussi discret, acoustiquement parlant, comme dans le spectre électromagnétique, qu’un sous-marin militaire moderne.

MQ-9B Gardian
Les drones de combat MALE modernes, restent en permanence connecté à la plate-frome de piltoage par laison de données sateliite. Ce n’est pas applicable, ni même souhaitable, pour un XLUUV.

Impossible, dans ces circonstances, de s’appuyer sur une liaison de données permanente avec un poste de pilotage et de contrôle basé à terre, comme c’est le cas des drones de combat aériens aujourd’hui. Cet enjeu est, à ce titre, l’axe prioritaire de recherche et développement identifié par la DGA, dans le contrat passé à Naval group, il y a quelques jours.

Remarque : Notons cependant que d’importants efforts sont produits, en particulier autour des programmes de chasseurs de nouvelle génération comme SCAF, GCAP ou NGAD, pour en accroitre l’autonomie décisionnaire, et réduire autant que possible les émissions, aussi peu discrètes que sensibles au brouillage.

Or, si un drone aérien va évoluer quelques heures au-dessus d’un espace aérien peu évolutif, avant de regagner sa base, les XLUUV vont devoir mener des missions de plusieurs semaines, et donc faire preuve d’une capacité d’adaptation considérablement plus étendue, pour répondre efficacement et de manière normalisée, à l’ensemble des scénarios et situations auxquels il pourrait être confronté. Le tout, évidemment, en conservant, pour certaines décisions clés, l’arbitrage humain comme verrou infranchissable.

Cette durée de mission engendre, elle aussi, des contraintes qu’il conviendra de traiter. En effet, un navire à la mer, qu’il soit ou non autonome, est exposé à des avaries et des fortunes de mer. Le XLUUV devra être en mesure d’encaisser ces avaries, qu’elles soient liées au contexte opérationnel, ou simplement à son utilisation navale, tout en poursuivant sa mission avec efficacité et fiabilité, sur la durée requise.

Il conviendra aussi, certainement, d’imaginer la manière dont les avaries majeures pourraient être réparées par des navires de soutien, sans que le retour au port soit nécessaire.

À ce titre, il faudra, enfin, disposer d’une capacité de soutien adaptée à l’utilisation de ces drones, et surtout veiller à ce que les réparations et interventions pour compenser l’absence d’équipage, ne viennent pas saturer les capacités de maintenance, et au final, créer un embouteillage qui viendrait annuler les bénéfices attendus par l’utilisation de ces systèmes.

Conclusion

On le voit, la conception et la mise en œuvre des grands drones sous-marins, va probablement devenir, si ce n’est pas déjà le cas, l’un des grands enjeux technologiques et opérationnels liés à la guerre navale, dans les années à venir.

DDO Naval Group
L’influence biomimétique des grands cétacées est évidente dans la conception du DDO de Naval Group.

Dans ce domaine, la France n’a pas raté son départ, en particulier grâce à l’initiative de Naval Group, qui a développé, sur fonds propres, avant même que la planification militaire ne s’intéresse au sujet, un démonstrateur très prometteur, le DDO, lui conférant une réelle avance technologique dans ce domaine.

Au-delà des performances et capacités opérationnelles que ces futurs XLUUV vont apporter aux flottes sous-marines, les systèmes auront, également, un important potentiel commercial sur la scène international. Leur prix, en effet, les mettra à la portée de nombreuses marines n’ayant pas les moyens de se doter de véritables sous-marins, ou qui sont dotées d’une flotte sous-marine réduite.

La conjonction de capacités nouvelles, complémentaires ou substitutives des systèmes existants, et d’un marché plus étendu, fait du XLUUV un des futurs systèmes d’arme majeurs, dont toutes les marines devront se doter. Ils constitueront, par ailleurs, un véritable pivot de l’action naval militaire, qu’elle soit offensive ou défensive. Il convient donc, évidemment, de ne pas rater la marche, comme ce fut le cas, en Europe, pour les drones aériens de combat.

Le programme GCAP de chasseur de 6ᵉ génération prêt à accueillir de nouveaux partenaires

Les postures de certains des participants au programme GCAP et au SCAF, ces dernières semaines, ont sensiblement évolué au sujet de leur ouverture potentielle à d’autres partenaires, alors que le président français est en mission de séduction en Suède, et que l’Italie et la Grande-Bretagne, se disent ouverts à l’arrivée de nouveaux participants dans les années à venir. On peut dès lors se poser la question : la guerre des programmes européens d’avion de combat de nouvelle génération, a-t-elle débuté ?

Un changement radical de discours autour du programme GCAP

Il n’y a de cela que quelques semaines, le Japon avait, poliment, mais fermement, rejeté la proposition de candidature formulée par Riyad pour rejoindre le programme GCAP. Bien que soutenue par Londres et Rome, la demande saoudienne était jugée trop anticipée par Tokyo, alors que la phase de conception initiale, celle qui justement sert à définir les arbitrages clés du programme en matière de technologies, de capacités et de performances, ne s’achèverait qu’en 2026.

programme GCAP Eurofighter Typhoon Arabie Saoudite
Le refus nippon pour participer au programme GCAP, ne semble pas avoir dissuadé Riyad d’acquérir la quarantaine de Typhoon supplémentaires prévus, maintenant que Berlin a levé son véto.

Le veto de Tokyo avait du sens. En effet, une règle empirique veut que les couts et délais de conception d’un système complexe, comme un avion de combat, augmente avec la racine carrée du nombre de participants. Ainsi, un programme à deux partenaires, sera 1,4 plus cher et plus long, que le même programme réalisé par un unique acteur, mais ne coutera que 70 % d’un développement individuel, à chaque participant.

En outre, plus le nombre de participants est élevé, en particulier lors de la phase de conception initiale, plus les contraintes imposées par chaque participant seront nombreuses, et donc plus l’appareil, à terme, sera lourd et complexe. Ce, sans même parler des attentes parfois incompatibles entre acteurs, nécessitant des renoncements importants ou, comme c’est souvent le cas, l’abandon du programme.

Il n’aura cependant pas fallu longtemps à Londres et Rome, pour rebondir après cet échec. En effet, par la voix du ministre italien de la Défense, Guido Crosetto, les trois partenaires ont fait savoir qu’ils étaient désormais disposés à accueillir de nouveaux participants à leur programme, une fois cette phase de conception initiale terminée, à partir de 2026.

L’arrivée de la Belgique, et les convergences avec la Suède du programme SCAF

Cette annonce est intervenue le même jour du début de la visite officielle d’Emmanuel Macron en Suède, alors que les autorités suédoises ont annoncé qu’elles se donnaient deux ans pour évaluer leurs besoins et leurs options, pour entamer le développement du successeur du Gripen.

NGF du programme SCAF
Le programme SCAF va accueillir la Belgique en 2025, et peut-être la Suède en 2026.

Bien évidemment, la participation potentielle de la Suède au programme SCAF, sera au menu des discussions et négociations qui seront menés par le Président français, et son ministre de la Défense qui l’accompagne à Stockholm, avec leurs homologues suédois. D’autant plus que la Suède était initialement un partenaire mineur du programme FCAS et du chasseur Tempest britanniques, à l’origine du programme GCAP.

Paris, Berlin et Madrid, qui pilotent le SCAF, ont d’ailleurs pris une légère avance face au GCAP, puisque la Belgique a d’ores et déjà rejoint le programme avec le statut d’observateur, et devrait le rejoindre de plein droit dès 2025, soit avant la fin de l’étude initiale de la Phase 1B, qui prendra fin en 2027, pour entamer la conception des démonstrateurs, puis des prototypes.

Entre enjeux politiques et commerciaux, et difficultés industrielles, un point d’équilibre difficile à trouver

De toute évidence, les deux programmes d’origine européenne, ont entamé, depuis peu, un démarchage industriel et commercial, pour tenter de fédérer d’autres partenaires, eu Europe, et au-delà.

Pour autant, l’un comme l’autre semblent précautionneux dans leurs démarches, conscients des grandes difficultés que l’arrivée d’un nouvel acteur, qui plus est un acteur majeur comme, par exemple, la Suède et Saab peuvent l’être, ne manqueront pas d’engendrer, en particulier durant la phase de conception.

Saab JAS-39 Gripen E
L’expérience acquise par Saab dans la conception du Drakken jusqu’au Gripen E/F, positionne la Suède, et ses ambitions, à un différent niveau de la plupart des autres partenaires potentiels au programme SCAF.

Il est, en effet, bien plus aisé, et stratégiquement acceptable, de partager le gâteau de la production industrielle, surtout lorsque chaque partenaire arrive avec une commande nationale attachée, que de partager les phases de recherche et de développement, qui influence directement les compétences et savoir-faire des industriels, donc leur pérennité.

Trouver le point d’équilibre dans ce domaine, est un exercice particulièrement difficile, d’autant qu’il dépend du partenaire potentiel lui-même. Ainsi, si un partage de production industrielle saura convaincre un pays comme la Belgique, la Suède, pour sa part, voudra participer à la phase de conception technologique, pour maintenir la valeur ajoutée et les compétences acquises par Saab lors de la conception des précédents chasseurs suédois.

Ce point d’équilibre est encore différent lorsqu’il s’agit d’un partenaire potentiel disposant de très importants moyens, et d’ambitions au moins aussi élevées, sans avoir l’expérience industrielle et technologique du sujet, comme cela peut être le cas de l’Arabie Saoudite, ou plus généralement, de beaucoup de pays du Moyen-Orient.

La stratégie F-35 pour guider la trajectoire des européens ?

Un programme peut toutefois servir de fil directeur aux européens dans ce domaine. En effet, s’il est critiquable en bien des domaines, le programme F-35 s’est montré, en revanche, d’une grande efficacité dans sa capacité à intégrer dynamiquement de nouveaux partenaires, sans venir entamer la main mise technologique et industrielle de Lockheed-Martin.

F-35 usine Cameri Italie
L’usine d’assemblage du F-35 située à Cameri, dans le Piedmont italien, représente un des exemples de la flexibilité du programme américain en manière de partage industriel maitrisé.

Ainsi, les partenaires initiaux, de niveau 1 ou 2, comme la Grande-Bretagne, l’Italie ou la Turquie, participèrent à la conception de certains composants de l’appareil. BAe a, par exemple, conçu la tuyère orientable et le système de captation et d’équilibrage de la poussée verticale du F-35B, sur la base de son expérience sur le Harrier. Leonardo, pour sa part, a obtenu la gestion de la ligne de production européenne, située dans le Piedmont. Quant à la Turquie, avant d’être exclue, elle produisait une série de composants représentant 5 % de chaque appareil.

Bien que déjà répartie entre les partenaires de premier et second rang, la production industrielle du programme F-35 a été à ce point souple, qu’elle permit d’intégrer les industries aéronautiques des clients du chasseur américain, s’étant décidés par la suite. C’est ainsi que l’allemand Rheinmetall s’est vu confier la fabrication de 400 des caissons centraux du F-35A, alors que l’Allemagne n’a été que le 17ᵉ pays à acquérir le chasseur.

Il existe cependant une différence de taille entre le programme F-35 américain, et les SCAF et GCAP européens. En effet, tous les partenaires du programme, en dehors du Canada, avaient commencé par se déclarer comme client du chasseur américain, acceptant, de fait, et sans contestation, le leadership absolu des États-Unis et de Lockheed-Martin à son sujet.

L’autorité de Paris, Londres, Rome, ou Berlin, comme des programmes GCAP et SCAF, est bien différente, et les revendications d’éventuels partenaires, pour y participer, seront, sans le moindre doute, bien supérieures à celles que le même partenaire s’autoriserait à avancer face à Washington et LM.

Su-57 Checkmate
Si l’avenir du Su-57 Checkmate russe est encore incertain, il est toujours proposé par Rostec sous la forme de partenariats industriels et technologiques à de nombreux pays au Moyen-Orient, en Asie et en Amérique du Sud.

Reste que, en bien des aspects, la stratégie de pilotage international du programme F-35, peut servir de ligne directrice aux européens, dans leur approche des partenaires entrants dynamiques à venir, afin de se montrer attractif tout en préservant les équilibres des programmes.

Quant à savoir qui sera le plus séduisant, il faudra certainement se montrer patient. Et ne pas oublier qu’au-delà de SCAF et GCAP, d’autres programmes, comme le KF-21 Boramae sud-coréen, le KFX turc, le JF-31 chinois, ou encore le Su-75 Checkmate russe, évoluent, eux aussi, sur les mêmes platebandes, et s’annoncent ouverts pour des partenariats internationaux. La compétition sera féroce, sans le moindre doute, avec à la clé, la survie technologique et industrielle des industries de défense aéronautique des pays concernés.

La vente de F-35 à la Turquie à nouveau envisagée par Washington

La secrétaire d’État adjointe par intérim, Victoria Nuland, a fait savoir que la vente de F-35 à la Turquie était à nouveau une hypothèse de travail pour l’administration américaine, quelques jours seulement après que Joe Biden a ouvert la voie pour livrer les F-16V réclamés par Ankara.

Les efforts produits par le président Erdogan, pour normaliser les relations entre la Turquie et la Grèce, et l’autorisation donnée, par le Parlement turc, à l’adhésion de la Suède à l’OTAN, ont visiblement convaincu Washington qu’une nouvelle dynamique pouvait être lancée, afin de ramener la Turquie dans le giron occidental. Et le F-35 jouera, de toute évidence, le rôle de l’offrande américaine, pour convaincre Ankara de s’engager dans cette voie.

Vers une relation renouvelée entre Ankara et Washington, sur fond de changement de posture internationale de la Turquie

Le changement de posture entamé par le Président Erdogan, nouvellement réélu, sur la scène internationale ces derniers mois, porte ses fruits de manière évidente. Après avoir menacé, l’année dernière, de lancer ses missiles sur Athènes et de s’emparer manu militari des iles grecques en mer Égée, de bloquer l’adhésion de la Suède à l’OTAN, et avoir flirté, pendant quatre ans, avec la Russie, la Chine et l’Iran, le chef d’État turc présente, depuis quelques mois, un visage bien plus attrayant pour l’occident, et surtout pour les États-Unis.

Erdogan Poutine Su-57
À plusieurs reprises, le président R.T Erdogan a discuté avec la Russie pour une éventuelle acquisition de chasseurs par la Turquie.

Dans un premier lieu, R.T Erdogan s’est rendu en Grèce pour rencontrer son homologue, K. Mitsotakis, afin de normaliser et apaiser les relations avec son voisin et éternel rival. Quelques semaines plus tard, il mettait fin au blocage concernant l’adhésion de la Suède à l’OTAN, obtenant une large majorité de son Parlement lors du vote à ce sujet. Enfin, la Turquie semble avoir pris certaines distances avec Moscou et Pékin ces derniers mois, sans rompre avec eux, mais en réduisant l’intensité des relations.

Ce changement de posture, et spécialement l’accord donné pour l’adhésion suédoise à l’OTAN, ont immédiatement été salués par Washington. Le président Biden a ainsi appelé le Congrès à autoriser, « sans délais », la vente de 40 nouveaux chasseurs F-16V, ainsi que de 80 kits de modernisation vers ce standard, pour moderniser les forces aériennes turques, dans un contrat de plus de 20 Md$.

Pour faire bonne mesure, et rassurer Athènes, un important programme de transfert d’équipements et de coopération industrielle dans le domaine de la Défense a été annoncé par les États-Unis et la Grèce, alors que le Département d’État américain a autorisé la vente de 40 F-35A aux forces aériennes helléniques, pour 8,6 Md$.

Cette dynamique positive entre les États-Unis et la Turquie, pourrait bien aller bien au-delà des seuls F-16V qui seront bientôt commandés. En effet, la question d’un possible retour d’Ankara, dans le programme F-35, serait désormais évoquée aux plus hauts sommets de l’État.

Le parcours chaotique de la vente de F-35 à la Turquie

Tout avait pourtant très bien commencé pour le F-35 Lightning 2 en Turquie. Partenaire initial du programme Joint Strike Fighter, les forces aériennes turques, comme l’industrie aéronautique de défense du pays, en étaient des partenaires clés, avec 30 appareils sous commande ferme, et un besoin total de 100 appareils en 2018, soit, à l’époque, la plus importante flotte non américaine concernant le chasseur.

vente de F-35 à la Turquie
Lockheed-Martin avait déjà construit 6 F-35A à destination des forces aériennes turques lorsque le pays fut exclu du programme.

Toutefois, à la suite de la tentative de coup d’État en Turquie en 2016, les relations entre Ankara et Washington se dégradèrent rapidement, alors que la Turquie se rapprochait davantage de la Russie de Vladimir Poutine, de la Chine de Xi Jinping et même de l’Iran. Les tensions en mer Égée avec la Grèce et Chypre, mais également en Méditerranée avec les forces navales européennes assurant le blocus naval de la Libye, envenimèrent encore la situation.

Ce sont néanmoins l’intervention turque dans le nord de la Syrie, contre les alliés kurdes des États-Unis et des Européens face à Daech, et surtout la décision d’acquérir le système antiaérien S-400 auprès de la Russie, qui scellèrent le destin du F-35 en Turquie.

Ainsi, suite à la livraison, en 2019, de la première batterie de missiles russes, le Président Trump, appuyé par une décision du Congrès, suspendit les livraisons de F-35 à la Turquie, alors que six appareils avaient déjà été construits et payés. Deux d’entre avaient même été livrés aux forces aériennes turques, mais positionnés aux États-Unis pour l’instruction des pilotés et personnels de maintenance.

Face au refus d’Ankara de reculer concernant les missiles russes, mais aussi au regain de tension entre la Grèce et la Turquie, et au rapprochement affiché entre le Président Erdogan et Vladimir Poutine, cette suspension s’est rapidement transformée en exclusion définitive du programme.

Un besoin toujours pressant pour les forces aériennes turques

La brouille sévère entre Ankara et Washington, et plus particulièrement avec le Congrès américain particulièrement actif dans ce dossier, et l’exclusion de la Turquie du programme F-35, entraina de nombreuses complications.

F-16 Turquie
Les forces aériennes turques vont pouvoir moderniser 80 de leurs F-16C/D au standard Block 70/72+, en plus des 40 appareils de même type qui seront commandés neufs.

Pour le programme F-35, d’abord. En effet, l’industrie aéronautique turque produisait alors un ensemble de pièces et de composants représentant, en moyenne, 5 % de la valeur de chaque appareil construit.

Non seulement fallut-il, à Lockheed Martin, trouver les industriels susceptibles de palier l’arrêt des livraisons turques, mais lorsque se fut fait, ceux-ci se sont avérés sensiblement plus chers que lorsque fabriqués par l’industrie turque, entrainant une hausse sensible du prix de chaque appareil.

Les plus importantes difficultés, cependant, touchèrent les forces aériennes turques. En effet, l’achat des 100 F-35 devait permettre de remplacer les F-4 et F-5 encore en service, ainsi qu’une partie des F-16 les plus anciens, tout en leur conférant des capacités et performances de haut niveau pour assurer la défense aérienne et le soutien des forces armées, ainsi que du théâtre d’opération.

De fait, l’annulation de ce programme posa d’immenses problèmes à la modernisation de la flotte de chasse turque. Elle mit à mal, aussi, les ambitions de la Marine turque de faire du nouveau porte-hélicoptères TDG Anadolu, un porte-aéronefs armé de F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court.

TCG Anadolu
Le porte-hélicoptères TCG Anadolu pourrait bien se transformer en porte-aéronefs si la Turquie parvient à acquérir des F–35B

Pour faire bonne mesure, l’exclusion de la Turquie du programme F-35, fut accompagnée d’un embargo partiel américain concernant les technologies de défense, venant directement menacer la production d’hélicoptères (qui utilisent des turbines américaines), de navires (qui utilisent des équipements et turbines US), et surtout le programme KFX, visant à concevoir un chasseur de génération intermédiaire de facture locale, mais qui devait s’appuyer sur le même turboréacteur que celui employé par les F-16 turcs.

Si le président Erdogan tenta, un temps, de donner le change, en menaçant de se tourner vers la Russie, et même vers la Chine, les options turques étaient très réduites, d’autant qu’en Europe, l’Allemagne s’opposait à la vente de Typhoon à Ankara, comme la Suède du Gripen. Quant à la France, elle avait signé un accord de défense avec la Grèce, et a entretenu des relations tendues avec la Turquie ces dernières années. Exit donc le Rafale.

De fait, l’autorisation donnée par Joe Biden, pour la vente des F-16V à la Turquie, était évidemment très attendue par les forces aériennes du pays, en passe d’obsolescence. Toutefois, cette annonce ne règle qu’une partie du problème, d’autant que le KFX semble plus difficile à faire voler qu’anticipé.

Dans ce contexte, le retour de l’hypothèse F-35, serait assurément plus que bienvenue pour la flotte de chasse turque, ainsi que pour l’ambition de faire du TCG Anadolu, un véritable porte-aéronefs, et non un porte-hélicoptères/drones, comme envisagé aujourd’hui.

La question des S-400 turcs demeure le point bloquant pour Washington

La batterie de missiles S-400, en service au sein des forces armées turques, constitue toujours, cependant, le point bloquant pour un possible retour d’Ankara dans le programme F-35. C’est, en tout cas, ce qu’a indiqué la secrétaire d’État adjointe par intérim, Victoria Nuland, lors d’une interview donnée à CNN Turquie.

Livraison S-400 Turquie
La livraison de la première batterie S-400 à la Turquie avait amené le président Trump, sous la pression du Congrès, à suspendre la livraison des F-35 aux forces aériennes turques.

« Franchement, si nous pouvons résoudre ce problème de S-400, ce que nous voulons faire, les États-Unis seraient heureux d’accueillir à nouveau la Turquie dans la famille des F-35 » a-t-elle ajouté, pour que le message soit parfaitement audible par les autorités turques.

Selon l’officielle américaine, Washington serait prêt à reprendre les négociations concernant le replacement de la batterie S-400 par des systèmes Patriot américains, ajoutant que les moyens dont disposent les forces aériennes turques, sont un enjeu crucial pour la sécurité régionale, et même pour celle des États-Unis.

De toute évidence, l’Administration Biden a décidé de faire l’ensemble des efforts nécessaires, pour tenter de ramener la Turquie dans son giron, et surtout empêcher qu’un rapprochement entre Ankara et Moscou, ou Pékin, émerge des tensions récentes.

Dans ce domaine, le retour du F-35 en Turquie, constitue une offre difficile à ignorer par le président Erdogan, d’autant que la Grèce s’en dotera également, après avoir déjà fait l’acquisition d’un escadron de Rafale français.

Un marché majeur pour Lockheed-Martin, et pour l’industrie aéronautique turque

Les motivations américaines sont, bien évidemment, essentiellement diplomatiques et stratégiques, et visent, avant toute chose, à renouer des liens solides avec la Turquie qui, par ses armées et sa position géographique, représente un allié majeur pour le contrôle de la mer Noire, du Proche-Orient, ou pour intervenir dans le Caucase.

Néanmoins, les conséquences industrielles et financières d’une normalisation des relations entre Washington et Ankara sont, elles aussi, considérables. Déjà, la seule commande des 40 F-16V et des 80 Kits de transformation, avec pièces et munitions, représente plus de 20 Md$, soit l’un des plus importants contrats d’exportation de l’industrie américaine ces cinq dernières années.

Usine Lockheed-Martin F-35
L’industrie turque produisait jusqu’à 5 % des composants du F-35 avant l’exclusion du pays du programme.

Un retour du F-35 en Turquie, pour peu qu’Ankara continue de viser une flotte de 100 appareils, constituerait un contrat encore plus important, venant flirter avec les 30 Md$, voire les dépasser.

Si à cela, s’ajoutent l’acquisition d’une ou plusieurs batteries de Patriot, ainsi que les composants qui, aujourd’hui, font défauts à l’industrie de défense turque, pour poursuivre ses propres programmes, comme le chasseur Kaan, l’addition viendra rapidement dépasser les 40 Md$, 60 Md$ en tenant compte des F-16, soit autant que l’ensemble des dépenses des pays européens auprès de l’industrie de défense US, en plus de deux années. De quoi motiver l’administration Biden, et le très puissant lobby industriel défense américain, à quelques mois des échéances électorales.

Conclusion

On le voit, la normalisation des relations entre la Turquie et les États-Unis, représentent des enjeux considérables, pour les deux pays, comme pour la sécurité régionale de la Méditerranée orientale au Caucase. Pour y parvenir, le F-35 représente, très probablement, le moyen de négociation le plus attractif et efficace, tant pour Washington que pour Ankara.

Reste que le changement de posture effectué par R.T Erdogan ces derniers mois, qui ouvre précisément la porte à cette normalisation, est un événement trop récent, pour qu’il soit possible de rebâtir, immédiatement, une relation de confiance de portée stratégique, comme celle-ci.

Biden Erdogan
Les relations entre les États-Unis et la Turquie, depuis 2019, étaient comme cette photo… glaciales et tendues.

Par sa durée d’application, qui s’étendra certainement jusqu’en 2035 dans le meilleur des cas, le contrat F-35 turc représenterait, donc, l’outil idéal pour maintenir sous contrôle les éventuels débordements auxquels le président turc a habitué son audience.

Il faudra cependant attendre de voir si, comme espéré par le Département d’État américain, Ankara acceptera de renoncer à sa désormais encombrante batterie S-400, en dépit des enjeux d’image politiques qui lui sont attachés, pour effectivement retourner dans les bonnes grâces de Washington, et rejoindre le programme F-35. Car s’il est une unique certitude concernant le président Erdogan, c’est bien qu’il sait être parfaitement imprévisible.

Pourquoi, face la doctrine nucléaire russe, l’Occident est en nette infériorité en 2024 ?

Un récent rapport publié par le International Institute for Strategic Studies (IISS), analyse, de manière détaillée, la doctrine nucléaire russe aujourd’hui, en particulier en ce qui concerne l’emploi potentiel des armes nucléaires non stratégiques. Celui-ci met en évidence des différences, nombreuses et significatives, avec les doctrines occidentales, mettant l’Europe en situation de faiblesse, dans de nombreux cas, y compris dans l’assistance qu’elle peut porter à l’Ukraine.

Quels sont les piliers, aujourd’hui, qui façonnent cette doctrine d’emploi de l’arme nucléaire en Russie ? Pourquoi est-elle si efficace contre les pays occidentaux, y compris les États-Unis ? Et comment vient-elle menacer l’Ukraine et l’Europe ?

L’évolution de la doctrine d’emploi de l’arme nucléaire, de l’Union soviétique à la Russie

Durant la Guerre Froide, l’utilisation de l’arme nucléaire était omniprésente dans la doctrine soviétique. Pour cela, les arsenaux soviétiques disposaient d’une vaste panoplie de munitions nucléaires, allant de l’obus d’artillerie au missile balistique intercontinental, en passant par la bombe traditionnelle, la mine sous-marine et même l’obus de mortier. À ce moment-là, la doctrine russe considérait que l’arme nucléaire pouvait être employée à des fins tactiques, tout en gardant sous contrôle la possibilité d’une escalade stratégique.

doctrine nucléaire russe Iskander-M
La Russie dispose d’une vaste panoplie de systèmes à usage mixte, pouvant emporter une tête nucléaire, ou une charge conventionnelle, comme le missile balistique à courte portée Iskander-M.

Cette posture perdura jusqu’à la fin de la Guerre Froide, entrainant avec elle des dépenses hors de contrôle pour alimenter les arsenaux en armes et munitions nucléaires, et pour les maintenir en état, ce qui n’était pas toujours le cas.

Si la période ayant suivi la fin de la Guerre Froide, fut marquée par le retrait d’une majorité de ces systèmes d’armes, la Russie revint rapidement à une posture défensive qui faisait de l’arme nucléaire le pivot de ses capacités de dissuasion, sous l’influence des interventions occidentales contre l’Irak ou la Serbie, avec d’importants moyens de frappe de précision à longue distance.

De fait, dès le début des années 2000, et l’arrivée de Vladimir Poutine à la tête du Kremlin, des efforts significatifs furent consentis pour moderniser l’arsenal nucléaire et à usage mixte des forces armées russes.

À ce titre, nombre des munitions qui, aujourd’hui, font l’actualité en Russie, comme le missile balistique à courte portée Iskander-M, sa version aéroportée Kinzhal, les missiles de croisière Kalibr et Kh-101, et les missiles stratégiques RS-28 Sarmat et R-30 Bulava, trouvent leur origine ou leur point d’inflexion technologique et industriel, au début des années 2000.

L’armée russe s’entraine à nouveau à des scénarios incluant des frappes nucléaires depuis 1999.

Dans le même temps, l’utilisation de l’arme nucléaire, à des fins opérationnelles, fut à nouveau intégrée aux grands exercices annuels des armées russes, en particulier lors de l’exercice Zapad (ouest), qui se déroule tous les quatre ans, avec comme scénario un possible affrontement contre les forces de l’OTAN.

exerceice Zapad 2021
Comme tous les exercices Zapad depuis 1999, l’exercice Zapad 2021 reposait sur un scénario intégrant l’usage simulé d’une arme nucléaire non stratégique par les armées russes.

Le retour de l’usage simulé de l’arme nucléaire par les forces armées russes, intervint dès l’exercice Zapad 1999, et fut intégré à tous les exercices Zapad ayant suivi, mais aussi, à partir de Zapad 2013, dans les scénarios des autres grands exercices Tcentr, Kavkaz et Vostok (est).

Durant ces exercices, l’usage de l’arme nucléaire a été systématiquement simulé, soit dans un objectif de neutralisation du conflit, soit pour empêcher une escalade ou son extension. Rarement, en revanche, l’utilisation simulée de l’arme nucléaire a porté sur des objectifs opérationnels sur le champ de bataille.

Depuis, comme ce fut le cas lors de l’attaque russe contre la Géorgie en 2008, ainsi que lors de l’annexion de la Crimée, puis enfin lors de l’offensive initiale russe contre l’Ukraine, Moscou a systématiquement annoncé la mise en alerte de ses capacités nucléaires en soutien de son opération militaire, et a déployé des systèmes à capacités mixtes, comme le missile balistique Iskander-M, pour contenir les possibilités de réponse occidentales, conformément à la façon dont la doctrine d’emploi initiale de l’arme nucléaire non stratégique, par la Russie, le prévoit.

Quelle est la doctrine nucléaire russe en 2024

Le fait est, pour Moscou, l’utilisation opérationnelle, à l’opposition de l’usage stratégique, de l’arme nucléaire, est loin d’être un sujet tabou, comme c’est souvent le cas en occident. Bien évidemment, à l’instar de tous les pays dotés, la doctrine russe prévoit d’utiliser son arsenal stratégique face à une attaque majeure de son territoire, qu’elle soit ou non nucléaire, ou afin de préserver ses intérêts vitaux.

Toutefois, là où la doctrine russe diverge nettement de celles employées en Occident; c’est dans l’utilisation de l’arme nucléaire comme un outil efficace pour contrôler le développement ou l’évolution d’une crise ou d’un conflit.

RS-18 SArmat avec planeur hypersonique Avangard
Le missile ICBM RS-28 SARMAT, peut emporter le planeur hypersonique Avangard, conçu pour déjouer les défenses antibalistiques occidentales.

Ainsi, cette doctrine prévoit qu’il est possible d’employer des armes nucléaires de faible à moyenne intensité, pour mettre fin à un conflit, y compris en dehors de ses frontières, en forçant l’adversaire, et ses alliés, à la négociation, sous peine d’escalade stratégique.

De même, en cas de situation militaire difficile, y compris sur un théâtre extérieur, la doctrine russe considère comme légitime et efficace, l’emploi d’une arme nucléaire de faible à moyenne intensité, contre un objectif civil, pour arrêter la dégradation, voire pour empêcher une escalade.

En revanche, même si elle est toujours intégrée au registre des possibilités dans l’arsenal russe, l’utilisation d’une arme nucléaire à des fins tactiques, pour détruire, par exemple, une concentration de forces, ou un dispositif défensif adverse, comme c’était le cas durant la guerre froide, est désormais peu probable.

Les armées russes ne disposent, en effet, aujourd’hui, que de peu de moyens susceptibles de combattre en environnement contaminé, et encore moins de troupes entrainées pour le faire. De fait, si l’utilisation d’armes nucléaires de faible puissance est encore d’actualité dans la doctrine russe, son utilisation à des fins tactiques, en revanche, est très improbable.

Un risque accentué par le manque de capacités nucléaires en miroir en Europe

Le risque de voir la Russie faire usage d’une arme nucléaire non stratégique en Europe, et surtout de menacer de le faire, sont aujourd’hui largement accentués par la nature même de l’arsenal nucléaire des pays occidentaux.

Missile balistique à courte portée Pluton français
Pendant la Guerre Froide, la France disposait de 40 systèmes Pluton opérationnels au sein de 5 régiments

En effet, les armées russes disposent, à présent, d’une panoplie étendue de systèmes d’armes, allant du missile balistique à courte portée Iskander-M, d’une portée de 500 km, et conçu pour déjouer les défenses antiaériennes et antimissiles occidentales, aux nouveaux missiles balistiques intercontinentaux RS-28 Sarmat, dotés de planeurs hypersoniques Avangard, en passant par différents systèmes aéroportés comme le Kinzhal ou le Kh-102, et navals, comme le 3-M54 Kalibr.

De fait, Moscou dispose d’un « vocabulaire de dissuasion » particulièrement riche, pour moduler sa menace, ou sa réponse à une menace perçue. À l’opposé, les trois nations dotées de l’OTAN, les États-Unis, la Grande-Bretagne, et la France, ont renoncé à la majorité de leurs systèmes non stratégiques à la fin de la guerre froide.

Cet écart dans la gamme de systèmes nucléaires à disposition, confère à la Russie, une grande latitude dans la modulation de sa posture, y compris en faisant usage de l’arme nucléaire, là où les occidentaux ne peuvent que répondre par une frappe nucléaire stratégique, entrainant nécessairement une escalade majeure.

À ce titre, lorsque l’hypothèse de l’usage d’une arme nucléaire avait été évoquée par Moscou en Ukraine, pour contenir l’aide occidentale à Kyiv, au printemps 2022, la réponse américaine et européenne, fut de menacer Moscou de la destruction de la flotte de la mer Noire par des moyens aériens conventionnels.

3-m54 kalibr tiré par une corvette Buyan
Si les corvettes de la classe Buyan-M, comme les sous-marins 636.3 Improved Kilo qui évoluent en mer Noire, mettent en œuvre des missiles de croisière 3-M54 Kalibr pouvant emportant une tête nucléaire, ce n’est, dans les faits, pas le cas, la flotte de la mer Noire n’étant pas équipée de tête nucléaire.

Il fallut toutefois encore plus de 6 mois aux européens et américains pour autoriser l’envoi de chars de facture occidentale à l’Ukraine, et probablement deux ans, pour livrer des avions de combat F-16 à ses forces aériennes.

De toute évidence, en l’absence d’un vocabulaire suffisamment fourni pour répondre en miroir à la menace russe, les occidentaux durent temporiser dans leur aide militaire à l’Ukraine, ce qui était exactement l’objectif visé par Moscou.

Conclusion

Il apparait du rapport du RUSI, et de ce qui précède, que les risques demeurent, concernant l’utilisation d’une arme nucléaire non stratégique par la Russie, que ce soit pour faire face à l’OTAN, son principal adversaire stratégique, et même contre l’Ukraine, si le conflit venait à prendre une trajectoire justifiant, aux yeux du Kremlin, un tel usage.

Contrairement aux doctrines occidentales, qui considèrent l’arme nucléaire presque exclusivement au seul niveau stratégique, comme une arme de dissuasion, donc de non-emploi, la doctrine russe envisage plusieurs cas, sous le seuil stratégique, justifiant l’utilisation d’une ou plusieurs armes nucléaires, pour contrôler un théâtre d’opération, mettre fin à un conflit, ou empêcher une escalade.

Rafale B avec missile ASMPA
Le couple formé par le chasseur Rafale B, et le missile de croisière supersonique nucléaire ASMPA, constitue ce qui se rapproche le plus, en occidentaux, des armes nucléaires non stratégiques de l’arsenal russe.

La faiblesse de la panoplie occidentale d’armes nucléaires, constitue un facteur aggravant dans ce domaine, conférant à Moscou une gradation bien plus fine, et donc efficace, dans l’utilisation de l’arme nucléaire sous le seuil stratégique, ou simplement dans la menace de le faire.

À ce titre, le déploiement de munitions nucléaires de faible puissance, comme c’est le cas sur certains missiles armant les sous-marins de la classe Ohio de l’US Navy depuis deux ans, ne permet pas de répondre à ce constat.

En effet, un tir de missile balistique Trident serait, dans tous les cas, considéré comme une attaque stratégique américaine, entrainant une riposte de même type, avant même que la munition nucléaire de faible puissance n’explose, et ne révèle sa faible intensité.

Naturellement, le Pentagone, comme la Maison-Blanche, sont conscients de cette limitation, et donc de l’inefficacité des armes de faible intensité embarquées à bord de ses missiles Trident, face à un adversaire comme la Russie ou la Chine.

Ce simple constat met en évidence le décalage qui existe aujourd’hui entre la doctrine d’utilisation des armes nucléaires non stratégiques par la Russie, mais aussi la Chine, et même la Corée du Nord, et celle appliquée par les trois nations occidentales dotées, contraintes par leur arsenal respectif, à une réponse manichéenne qui laisse de grandes latitudes à ses compétiteurs, pour évoluer sous ce seuil.

Il est, de fait, probablement indispensable, pour les États-Unis, la France et la Grande-Bretagne, de revoir rapidement, aussi bien leurs doctrines que la panoplie de moyens dont ils disposent en matière de dissuasion, de sorte à rapidement rétablir l’équilibre, retrouver le vocabulaire de la dissuasion qui s’est perdu depuis 30 ans, et pouvoir, à nouveau, prendre bouche avec Moscou ou Pékin, sur un pied d’égalité.

La France veut se tourner vers le Saab GlobalEye suédois pour remplacer ses avions Awacs

L’acquisition possible, par la France, du système d’alerte aérienne avancée Saab GlobalEye suédois, pour remplacer les AWACS E-3F Sentry de l’Armée de l’Air et de l’Espace, sera incontestablement un des sujets majeurs abordés par le Président français, à l’occasion de sa visite officielle en Suède, qui débute de 30 janvier, alors que Paris et Stockholm vont approfondir leurs coopérations industrielles en matière de défense.

Mais les enjeux de cette visite, pourraient bien dépasser de beaucoup ce seul cadre pourtant déjà stratégique. En effet, tout indique qu’à cette occasion, le président français va aborder la possible participation suédoise au programme SCAF, et peut-être même d’autres coopérations ambitieuses, comme dans le domaine des drones de combat. Car, en bien des aspects, la France et la Suède partagent la même vision en matière de défense et de coopération industrielle européenne, mais aussi des besoins proches.

La Suède, une grande nation militaire et industrielle Défense en Europe

Bien qu’attachée à sa neutralité pendant longtemps, ou peut-être à cause d’elle, la Suède a été, au long de la Guerre Froide, et après, l’un des pays européens partageant le plus les positions de la France en matière de Défense.

Pour assurer la protection de son immense territoire, en dépit d’une population relativement faible de seulement 8 millions d’habitants en 1980, Stockholm avait développé un puissant outil militaire, ainsi qu’une importante industrie de défense lui permettant de produire l’essentiel de ses équipements, du sous-marin à l’avion de combat.

Sous-marin A26 Blekinge
La Suède est l’un des rares pays capables de concevoir des sous-marins conventionnels à hautes performances, comme le nouveau A26 classe Blekinge.

Comme tous les pays européens, la Suède a baissé la garde dans les années 2000, avec un budget défense à ce point réduit que les armées suédoises n’alignaient plus que 2 bataillons d’active opérationnels en 2015, contre 15 brigades en 1990. Toutefois, Stockholm n’a jamais cessé de soutenir son industrie de défense, produisant certains équipements particulièrement réussis comme le chasseur JAS 39 Gripen, le véhicle de combat d’infanterie CV90, ou le sous-marin A-19 de la classe Götland.

Surtout, la Suède a pris, dès 2016, la mesure de l’évolution de la menace en Europe de l’Est, réintroduisant un service militaire obligatoire, mais partiel, en 2017, adossé à une nouvelle doctrine dite de Défense Globale, conçue pour dissuader un éventuel adversaire de vouloir s’emparer militairement du pays.

Son implication budgétaire a évolué proportionnellement sur la même durée. Alors que Stockholm ne consacrait que 1 % de son PIB à ses armées en 2015, soit 55 milliards de couronnes (5 Md€ 2015), celui-ci a été amené, en 2024, à 115 Md de couronnes (10 Md€ 2024) et 2,1 % de son PIB, lui permettant de faire progresser son dispositif défense jusqu’à 3 brigades, ainsi qu’une vingtaine de bataillons auxiliaires, prêts sous 48 heures d’ici à 2025.

Ainsi, si la Suède va prochainement rejoindre l’OTAN, après l’accord donné par le Parlement turc, elle continue, de manière évidente, à s’investir pleinement dans sa propre défense, et dans la défense collective régionale et européenne.

La visite d’État d’Emmanuel Macron en Suède pour approfondir les liens industriels de défense entre les deux pays

C’est dans ce contexte que le président français, Emmanuel Macron, va entamer, ce 30 janvier, une visite d’État en Suède. Si de nombreux sujets vont être discutés entre le président français, et son homologue suédois, Ulf Kristersson, la coopération franco-suédoise en matière de défense européenne, et d’industrie de défense, sera en tête de liste.

Missile MMP Akheron Jaguar
Paris et Stockholm vont entamer une coopération visant à étendre les performances et capacités du missile antichar Akheron de MBDA.

En effet, si, à son habitude, Paris avait tensé Stockholm, en 2018, après que la Suède a arbitré en faveur du système antiaérien et antimissile américain Patriot, au détriment du SAMP/T Mamba franco-italien, les relations se sont rapidement normalisées par la suite, avec plusieurs coopérations industrielles de défense efficaces, qu’il s’agisse des munitions antichars (roquettes VT4, missile Akheron, obus Bonus), de systèmes de détection (radar giraffe, avion Awacs GlobalEye…), et d’autres.

Car si les industries françaises et suédoises sont souvent en compétition, comme dans le cas du Rafale face au Gripen, du sous-marin Blekinge face au Scorpene ou Marlin, ou du canon CAESAR face à l’Archer, elles savent aussi très bien collaborer, comme dans le cas du programme Neuron ou du missile Meteor.

Surtout, Paris et Stockholm partagent des positions proches concernant la coopération industrielle européenne de défense, et le renforcement de l’autonomie stratégique européenne, même si la Suède demeure un partenaire proche, en particulier dans le domaine de l’industrie de défense, des États-Unis (motorisation du Gripen, avion d’entrainement T-7A…).

La France envisage le Saab GlobalEye pour remplacer ses 4 avions radar AWACS E-3F

Pour entamer la discussion, Emmanuel Macron n’arrivera pas, en Suède, uniquement avec de belles paroles. En effet, plusieurs programmes de coopération industrielle Défense vont être lancés à l’occasion de cette visite, en particulier concernant l’évolution du missile antichar Akheron de MBDA, qui sera doté de nouvelles capacités avec Saab.

Mais le gros dossier, de cette visite, sera incontestablement les discussions qui seront entamées entre les deux pays, pour remplacer les 4 avions de veille aérienne avancée AWACS E-3F Sentry de l’Armée de l’Air et de l’Espace, par le GlobalEye suédois.

le Saab Globaleye suédois va t il rempalcer les E-3F français ?
Un E-3F SDCA du 36e Escadron de Détection et Contrôle Aéroportés. © A. Jeuland / Armée de l’air

Entrés en service de 1991 à 1994, les 4 Sentry français sont mis en œuvre indépendamment des Awacs de l’OTAN. Ils participent, en particulier, aux missions de la composante aérienne de la dissuasion française, mais aussi au soutien des appareils de l’Armée de l’Air, parfois de la Marine nationale, et des alliés de la France, y compris en missions extérieures. Les quatre appareils arrivent dorénavant en limite d’âge, et devront être remplacés d’ici au début de la prochaine décennie.

De toute évidence, Paris, qui n’hésite pas à critiquer les armées européennes faisant l’acquisition d’équipements de défense non européens, lorsque des équipements de même type, produits sur le vieux continent, sont disponibles, étend s’appliquer ses propres préceptes, en se tournant vers l’offre GlobalEye suédoise, par ailleurs reconnue très efficace, et plus économique, que l’E-7 Wedgetail américain.

Le choix du GlobalEye aurait beaucoup de sens pour la France. En effet, le système, qui repose sur le radar de surveillance aérienne Erieye ER, et le radar de surveillance navale à synthèse d’ouverture SeaSpray 7500E, est proposé sur l’avion d’affaires Bombardier Global 6000/6500, un appareil très proche, en termes de dimensions et de performances, du nouveau Falcon 10X de Dassault Aviation, qui est par ailleurs candidat pour remplacer les avions de patrouille maritime de l’aéronautique navale française.

Falcon 10X Dassault Aviation
Le Flacon 10X de Dassault aviation ferait incontestablement une plateforme de choix pour le système GlobalEye de Saab.

De fait, il est possible (probable ?) que Paris envisage, ici, d’adapter le système GlobalEye suédois sur l’avion de Dassault Aviation avec, à la clé, non seulement une possible maintenance simplifiée pour une flotte d’une vingtaine d’appareils (16 Patmar + 4 Awacs), mais aussi la possibilité, pour Paris et Stockholm, d’attaquer conjointement certains marchés à l’exportation, tout en évitant des dépenses de développement redondantes et, donc, inutiles. De telles options sont inenvisageables avec l’E-7 Wedgetail américain.

Paris en mission de séduction pour amener la Suède à participer au programme SCAF

Le choix du GlobalEye suédois pour remplacer les E-3F Sentry, ne répondrait pas uniquement à une logique industrielle évidente. En effet, le président français et son ministre des Armées, Sébastien Lecornu, sont de toute évidence en mission de séduction à Stockholm, pour convaincre la Suède de rejoindre, dans les années à venir, le programme européen SCAF de système de combat aérien de 6ᵉ génération.

En effet, après s’être définitivement retirées du programme GCAP rassemblant la Grande-Bretagne, l’Italie et le Japon, il y a quelques semaines, les autorités suédoises avaient annoncé qu’elles se donnaient cinq ans pour décider de la trajectoire à suivre, pour le remplacement de ses avions de combat Gripen. Depuis, ce calendrier a été ramené à seulement deux ans.

NGF du programme SCAF
Il est probable que le président français tentera, lors de sa visite officielle, de convaincre Stockholm de rejoindre le programme SCAF aux côtés de l’Allemagne, de l’Espagne et de la Belgique.

Or, l’arrivée de la Suède au sein du programme SCAF, serait une avancée considérable pour celui-ci. Les industries de défense suédoises disposent, en effet, de compétences parfaitement reconnues. Il suffit de regarder les performances du JAS 39 Gripen, comme de ses prédécesseurs JAS-37 Viggen et JAS-35 Drakken, pour s’en convaincre.

Surtout, avec 65 Gripen en ligne, les forces aériennes suédoises disposent d’un format très significatif, qui accroitrait sensiblement le volume initial des commandes du SCAF et du chasseur NGF, pour sécuriser dans la durée le projet industriel.

Enfin, et c’est loin d’être négligeable, les industries de défense suédoises savent être très efficaces, parfois même agressives, sur les marchés exports, avec une zone d’influence complétant efficacement celles de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne aujourd’hui.

Une coopération franco-suédoise possible concernant le drone de combat dérivé du Neuron ?

Bien que le sujet n’ait pas été abordé, ni par le ministère des Armées, ni par les industriels, à ce jour, concernant la visite d’Emmanuel Macron en Suède, un second sujet majeur pourrait s’inviter dans les discussions entre le président français et le premier ministre suédois.

En effet, dans le cadre du programme Rafale F5, le ministre des Armées avait intégré à la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le développement d’un drone de combat assurant les fonctions de Loyal Wingmen, devant entrer en service au début de la prochaine décennie, pour venir étendre les performances et capacités du chasseur français, en particulier dans le domaine de la suppression des défenses adverses.

Neuron Rafale
La Suède avait participé activement au développement du programme Neuron

De manière évidente, ce drone de combat, qui serait dérivé du Neuron, permettrait d’étendre tout aussi efficacement les performances et capacités du Gripen E/F suédois, la nouvelle version de son chasseur JAS-39, qui repose sur les mêmes paradigmes de conception que le Rafale français.

Or, la Suède avait été l’un des plus importants pays ayant participé au programme Neuron, Saab ayant, à cette occasion, développé des compétences significatives dans ce domaine, ainsi que l’expérience de la coopération industrielle avec Dassault Aviation.

Dans le même temps, Paris s’est dit ouvert à la coopération pour le développement du Rafale F5, mais aussi de son drone de combat, en se tournant pour cela vers le « Club Rafale ». Si la Suède n’est pas membre de ce club, elle pourrait cependant aisément, et efficacement, prendre part dans le développement de ce Loyal Wingman, pour en accélérer les développements et étendre son assiette industrielle auprès de la Flygvapnet, l’Armée de l’Air suédoise, mais aussi des forces aériennes brésiliennes, clientes du Gripen E/F.

Notons, par ailleurs, que Saab a admis au service, le pod de guerre électronique EAJP (pour Electronic Attack Jammer Pod), un équipement qui pourrait fort bien venir efficacement enrichir les capacités du Rafale F4 et F5, pour les missions de suppression des défenses antiaériennes adverses SEAD. Il est donc possible que le sujet soit, lui aussi, abordé durant ces deux jours, par Sébastien Lecornu.

Conclusion

On le voit, les enjeux sont très importants, pour la France, autour de la visite officielle d’Emmanuel Macron en Suède, et plus particulièrement dans le domaine de la coopération industrielle de défense bilatérale et européenne. Et il ne fait aucun doute que le président français, comme le ministre des Armées, auront un agenda chargé et des ambitions élevées, autour de cette visite, à ce sujet.

Rafale français JAS 39 Gripen C/D suédois
La France veut se tourner vers le Saab GlobalEye suédois pour remplacer ses avions Awacs 64

Si la coopération franco-suédoise avait été identifiée, de longue date, sur ce site, comme un axe des plus prometteurs pour la France, la Suède et l’Europe, ces articles avaient aussi mis en évidence les difficultés que l’arrivée de la Stockholm, en particulier au sein du programme SCAF, engendraient, en particulier dans le domaine du partage industriel, que l’on sait particulièrement sensible.

On ne peut qu’espérer, aujourd’hui, qu’au-delà des ambitions politiques, Paris a déjà anticipé ces difficultés potentielles, et préparé les évolutions indispensables du programme SCAF lui-même, pour permettre à la Suède, et Saab en particulier, d’y prendre une place efficacement.