S’exprimant à l’occasion de la visite d’une usine de Rheinmetall, Olaf Scholz a promis qu’il amènerait l’effort de defense allemand au-delà des 2 % requis par l’OTAN, et qu’il augmenterait l’aide militaire fournie à l’Ukraine. Il s’agissait, pour le chancelier, de répondre aux menaces faites par le candidat Trump, et de tenter de reprendre un certain leadership sur ces dossiers en Europe, comme il le fit, il y a bientôt deux ans, après le début de l’invasion russe de l’Ukraine.
Toutefois, le manque de détermination dont il a fait preuve pour appliquer le Zeitenwende (changement d’époque), durant les deux années qui viennent de s’écouler, mais aussi son évident suivisme américain, lorsqu’il s’est agi de livrer des armes à l’Ukraine, risquent fort de ne pas donner, à lui, comme à l’Allemagne, la même impulsion et le même crédit, dont ils furent crédités après son premier discours.
Sommaire
Les différentes réponses à l’évolution de la menace russe en Europe
Il est des pays européens, et des chefs d’État, qui se sont engagés avec conviction dans la reconstruction de leurs armées, en particulier après que la Russie a lancé son opération militaire spéciale contre l’Ukraine, et qui se sont tenus à cette ligne avec détermination. C’est le cas des pays scandinaves, baltes, de la Pologne, des Pays-Bas, et plus généralement, des pays d’Europe de l’Est.
Il en est d’autres qui font toujours la sourde oreille, et qui, en dépit de certaines promesses et déclarations, continuent d’évoluer avec un effort de défense particulièrement bas, loin des standards exigés par la situation. C’est le cas de la Belgique, du Canada, ou encore de l’Espagne.
Il est enfin un pays, et un chef d’État, qui semblent adapter leurs convictions à l’actualité, et aux mots clés tendances sur Twitter. Il s’agit, bien évidemment, de l’Allemagne, et d’Olaf Scholz, qui ne cessent d’adapter son discours dans ce domaine, aux attentes perçues de son opinion publique, et de son industrie de défense, tout en fardant cette détermination d’un maquillage très européen.
Ainsi, quelques jours après le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, et surtout après que le chef d’état-major de la Luftwaffe a publié, sur LinkedIn, un post empreint d’un certain désespoir, mettant en évidence l’impréparation de la Bundeswehr pour faire face à une éventuelle guerre de haute intensité, le Chancelier allemand fit un discours très offensif au Bundestag, pour reconstruire en urgence le potentiel défensif de l’armée allemande.
À l’entendre alors, le nouveau chancelier, à peine élu, avait effectivement pris toute la mesure du défi qui se présentait, en annonçant simultanément la création d’un fonds d’investissement de 100 Md€ pour traiter en urgence les déficiences les plus importantes de la Bundeswehr, et la hausse du budget des armées au-delà de 2 % du PIB, pour maintenir cet effort dans la durée.
La détermination d’Olaf Scholz pour mettre en œuvre le Zeitenwende face à l’épreuve du temps
Rapidement, une fois le choc initial passé, et l’anxiété de l’opinion publique allemande sous contrôle, le chancelier allemand fit marche arrière. D’abord, en intégrant, progressivement, les dépenses liées au fonds spécial d’investissement à l’objectif des 2 %, puis en y intégrant, au fil du temps, des programmes déjà planifiés par ailleurs, et des dépenses de fonctionnement.
De fait, en un peu plus d’un an, l’effort exceptionnel en faveur de la reconstruction de la Bundeswehr, voté par le Bundestag, avait été vidé de presque toute sa substance, alors que les armées allemandes voyaient leurs espoirs d’un renouvellement rapide des équipements, voire d’un changement de format, s’envoler.
Au final, deux ans après le discours du Bundestag, la Bundeswehr demeure dans une situation opérationnelle souvent désastreuse, avec une disponibilité des forces exceptionnellement faible, des programmes de renouvellement des équipements ayant glissé au fil de l’étiolement de la détermination politique, et des investissements pilotés davantage pour soutenir les exportations de l’industrie de défense allemande, que pour renforcer la résilience de la Bundeswehr.
Le soutien allemand à l’Ukraine a généralement été du même acabit que son effort de défense. Ainsi, Berlin a refusé de livrer des chars Leopard avant que Washington ait promis de livrer des Abrams, en dépit des promesses françaises et britanniques de livrer des AMX-10RC et des Challenger 2.
De même, l’Allemagne refuse toujours obstinément de livrer des missiles de croisière Taurus à Kyiv, alors que Paris et Londres ont livré plusieurs dizaines de SCALP ER / Storm Shadow, mais que Washington n’a toujours pas livré de Tomahawk.
L’effort de défense allemand atteindra 2 %, confirme Olaf Scholz le 13 février 2024
En dépit de ce bilan plus que contestable, et du manque évident de leadership et de conviction dont Olaf Scholz a fait preuve, depuis le début de ce conflit, le chancelier allemand a, une nouvelle fois, fait une déclaration fracassante, en réponse au discours de Donald Trump concernant l’OTAN.
En effet, après avoir évolué dans une certaine forme de déni pendant quelques jours, Scholz s’est présenté comme particulièrement offensif, à l’occasion d’une visite dans une usine d’armes de l’industriel Rheinmetall, le 13 février.
« Nous devons passer de la fabrication à la production à grande échelle d’équipement de défense » a-t-il déclaré à cette occasion. « C’est urgent. Parce que aussi dure que cette réalité soit : nous ne vivons pas en temps de paix » ajouta-t-il.
Au sujet de l’aide à l’Ukraine, celui-ci a précisé « Non seulement les États-Unis, mais tous les pays européens doivent faire encore plus pour soutenir l’Ukraine. Les promesses faites jusqu’à présent ne sont pas suffisantes. Le pouvoir de l’Allemagne à lui seul ne suffit pas.« , ce qui ne manque pas de piquant lorsque l’on regarde la manière dont Berlin a systématiquement refusé, jusqu’ici, de livrer un quelconque type d’équipement n’ayant pas été, préalablement, livré ou promis par Washington.
Une réponse aux menaces de Trump, plus qu’aux évolutions sécuritaires en Europe et en Ukraine
De toute évidence, le facteur déclencheur, pour Olaf Scholz, n’a été ni la situation très difficile dans laquelle se trouve l’Ukraine aujourd’hui, ni la menace que représente, pour l’Europe, la montée en puissance de l’outil industriel russe. Ceux-ci sont connus et détaillés depuis de nombreux mois, y compris par la Bundeswehr et le BND, les services de renseignement allemands.
Le discours fait par Olaf Scholz, n’est autre qu’une réponse aux menaces de Trump, quant à la mise en retrait potentielle des États-Unis de l’OTAN, s’il venait à être élu, et son refus de protéger les pays qui ne satisferaient pas à ses exigences, sans que celles-ci aient été explicitement définies, par ailleurs.

Sous couvert de volontarisme européen, le chancelier allemand donne, en effet, au possible futur président, les garanties qu’il espère, répondront aux exigences de Washington, notamment en dépensant bien plus de 2% du PIB allemand dans l’effort de défense du pays, et en faignant de promouvoir la prise en charge du conflit ukrainien par les Européens, Allemagne en tête.
Le soutien à l’industrie de défense allemande au cœur des préoccupations du chancelier
Il eut été, évidemment, bienvenue d’annoncer, dans le même discours, la livraison de missiles de croisière Taurus, ou de nouveaux Leopard 2 à l’Ukraine. Mais de ça, il n’en a pas été question. La préoccupation du chancelier était, en effet, toute autre.
Celui-ci a, ainsi, appelé les européens à se rapprocher pour commander de nouveaux équipements de défense, de sorte à pouvoir dimensionner les outils industriels en donnant, à ces derniers, la visibilité requise pour justifier les investissements, pour accroitre la production, comme requis par Donald Trump, et pour soutenir l’Ukraine en lieu et place des États-Unis.
« Si je veux acheter une VW Golf dans deux ou trois ans, alors je sais aujourd’hui : elle existera. Je devrais peut-être attendre trois ou six mois pour cela, mais alors, la voiture sera dans la cour » a-t-il donné comme justification hasardeuse à son propos. En d’autres termes, il est temps, pour les européens, de passer des commandes massives à l’industrie de défense, de préférence allemande, s’ils veulent être livrés dans les temps. Sans que l’on sache si l’échéance est la menace russe ou l’élection possible de Donald Trump…
La dynamique du Zeitenwende est irrémédiablement perdue en Europe, comme en Allemagne
Reste que le coup de bluff d’Olaf Scholz, par ailleurs très affaibli dans les sondages, a peu de chances d’avoir les mêmes résultats et les mêmes soutiens, qu’en février 2022. Entre-temps, en effet, députés de l’opposition, mais aussi militaires, ont vivement critiqué le manque de constance et de conviction du chancelier allemand, en matière de défense.

De toute évidence, la dynamique insufflée il y a deux ans est irrémédiablement retombée, même si l’opinion publique est, à ce sujet, à nouveau en faveur d’une hausse des dépenses de défense, et de l’augmentation de l’aide militaire allemande à l’Ukraine.
Il est, en effet, très peu probable que le nouveau revirement d’Olaf Scholz, puisse redorer son blason auprès de celle-ci, alors que le SPD n’est crédité, aujourd’hui, que de 15 % d’opinions favorables, devant les verts (13%), mais loin derrière la CDU/CSU (31%), et l’AfD (20 %), le parti d’extrême-droite allemand.








