L’entame de l’offensive russe en Ukraine provoqua un profond électrochoc dans la société allemande, comme partout en Europe : Soudain, le risque de guerre devenait bien plus pressant sur le vieux continent, et les opinions publiques se tournèrent avec empressement vers certains sujets, en particulier sur la capacité dont disposaient leurs forces armées pour les protéger face à ce qui était alors souvent présenté comme une déferlante potentielle de puissance de feu et de chars russes. Au lendemain du début de cette offensive, le chef d’Etat-Major allemand, le Lieutenant General Alfons Mais, publiait un post sur le réseau social LinkedIn qui ébranla encore davantage une société allemande biberonnée pendant 30 ans aux bienfaits du soft-power et à l’inutilité de la puissance militaire, annonçant qu’en l’état actuel, la Bundeswehr, l’Armée allemande, n’était pas en capacité de mener un tel combat, handicapée par des décennies d’arbitrages budgétaires et politiques ayant profondément détérioré les capacités de ce qui fut, au plus fort de la Guerre Froide, la plus puissante armée occidentale conventionnelle en Europe, alignant 2 fois plus de chars et 50% davantage d’avions de combat que la France ou la Grande-Bretagne.
Depuis, les choses ont très largement évolué à Berlin. À peine quelques jours après le post du général Mais, le nouveau chancelier Allemand, Olaf Scholz, présenta un très ambitieux plan d’investissement devant le Bundestag, promettant une enveloppe immédiate de 100 Md€ afin de palier les défaillances les plus critiques des forces armées, et engageant un effort pour atteindre un niveau d’investissement dépassant le seuil des 2% de PIB d’ici 2025. Les premiers contrats d’équipements ont été rapidement annoncés, avec la commande de 35 F-35 et d’une nouvelle version du Typhoon dédiée à la mission de guerre électronique pour remplacer les Tornado assurant encore cette mission, la commande d’un nouveau lot de véhicules de combat d’infanterie Puma et la modernisation des 350 premiers exemplaires livrés, l’acquisition de 2 nouveaux sous-marins d’attaque Type 212CN, de 7 nouveaux avions de patrouille Maritime P-8A, ou encore d’hélicoptères lourds CH-47F Chinook et de systèmes anti-aériens à longue portée. En outre, 20 Md€ seront consacrés à la recapitalisation des stocks de munitions et de pièces détachées afin de palier certaines des plus importantes défaillances de la Bundeswehr, qui affiche depuis plusieurs années des taux d’indisponibilité catastrophiques pour ses équipements majeurs, tant dans le domaine terrestre qu’aérien ou naval.
Cette nouvelle dynamique engagée depuis 4 mois à peine outre Rhin, semble avoir donner des ailes au Chancelier Scholz qui, après avoir fait montre d’une extreme prudence vis-à-vis de Moscou au début du conflit, notamment pour préserver les approvisionnements en gaz et pétrole venus de Russie indispensables au pays, se montre désormais des plus offensifs, promettant à plusieurs reprises que l’Allemagne sera le pivot capacitaire de la Défense européenne au sein de l’OTAN, et que le pays disposera bientôt de la plus puissante force armée conventionnelle sur le vieux continent. Toutefois, au delà des opportunités politiques à faire de telles déclarations vis-à-vis d’une Europe de l’Est en manque de réassurance, et des Etats-Unis soucieux de ne pas s’engager outre mesure sur le vieux continent afin de maintenir les capacités nécessaires et suffisantes pour faire face à la Chine, on peut s’interroger sur la matérialité effective de ces déclarations, et sur la possibilité, pour Berlin, de prendre une position aussi centrale en Europe sur le plan militaire.
Les moyens budgétaires de ses ambitions
Pour construire cette super-Bundeswehr dont rêve Olaf Scholz, le chancelier allemand peut s’appuyer sur la plus grande force du pays, son économie très dynamique, exportatrice, et sur une santé budgétaire enviée de nombreux autres européens. En effet, en consacrant « plus de 2% » de son PIB à son effort de défense, l’Allemagne pourra allouer chaque année plus de 75 Md€ à ses armées, positionnant le pays à la troisième position mondiale dans ce domaine, pour peu que les autres grandes nations comme la Russie, l’Inde, l’Arabie saoudite ou le Japon, n’augmentent pas leurs propres investissements non plus. En outre, Berlin dispose d’importantes réserves budgétaires, puisque la dette publique du pays ne dépasse pas les 70% du PIB aujourd’hui (contre 113% pour la France), et que la dette publique par habitant est 40% moins importante Outre-Rhin. Les perspectives sont également plus favorables aujourd’hui pour l’Allemagne qu’elles ne le sont pour la France, en dehors des considérations énergétiques, puisque l’economie exportatrice germanique profite pleinement d’un euro faible.
En d’autres termes, l’Allemagne dispose non seulement des capacités budgétaires pour accroitre son effort de défense sans déstabiliser à court ou moyen terme ses équilibres budgétaires, mais elle dispose d’une capacité d’endettement bien supérieure à celle des autres pays européens, qui eux aussi font face à la même difficile équation du réarmement en sortie de crise Covid, et en pleine crise énergétique et inflationniste. Le pays dispose par ailleurs d’une industrie de défense capable de soutenir cette expansion, et qui, elle aussi, dispose d’importantes capacités d’exportation dans certains domaines, comme dans celui des véhicules blindés, des sous-marins, des corvettes et des missiles. Enfin, Berlin aura très certainement la possibilité de valoriser budgétairement ses investissements à venir, y compris en matière d’importation de matériels américains, Washington étant par nature enclin à soutenir ce qui peut lui permettre de contrôler l’émergence de compétiteurs trop influents sur le marché de l’armement mondial.
Une position géographique centrale et un leadership européen
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