Ce volume avait alors de quoi surprendre. En effet, en dehors du contrat espagnol Halcyon 2, qui devra terminer de remplacer les F/A-18 Hornet et AV-8B Harrier II actuellement en service, et qui sera probablement ventilé entre une flotte de F-35A/B d’une part, on parle de 50 appareils, et une flotte de Typhoon, probablement 25, la seule perspective évidente pour le chasseur européen reposait sur un éventuel second lot de Typhoon destinés à remplacer les Tornado de la Luftwaffe, sachant que les commandes de F-35A et Typhoon Tranche III déjà annoncées ne couvraient que 60 des 90 appareils à remplacer.
En effet, dans un article publié ce jour par le site d’information allemand WirtschaftsWoche, le consortium européen serait en négociation avancée avec l’Arabie Saoudite pour une nouvelle commande de 72 appareils, après une première commande, là encore de 72 appareils, annoncée en 2006 et totalement exécutée en 2017.
Sans commandes supplémentaires prochaines, les lignes d’assemblage de l’Eurofighter Typhoon risquaient de manquer d’activité à relativement court terme
Il est vrai qu’en 2018, Riyad avait signé avec Londres un MoU pour l’acquisition de 48 appareils supplémentaires. Toutefois, à ce moment, Berlin avait posé son veto sur la vente d’armes au royaume saoudien suite à l’intervention militaire au Yemen et l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.
Selon le site allemand, Berlin n’aurait cette fois pas l’intention de s’opposer à la transaction, alors que Londres et Berlin auraient engagé des pourparler « très actifs » pour surmonter les derniers obstacles afin d’autoriser l’exportation des chasseurs vers les forces aériennes royales saoudiennes.
Si la transaction venait à être officialisée et signée, elle permettrait à Riyad de remplacer ses ses F-15C et peut être une partie de ses Tornado vieillissants, même si le Typhoon n’est pas la plate-forme la plus appropriée pour les missions d’attaque et de bombardement.
Elle risque également de doucher les espoirs français de vendre le Rafale à l’Arabie Saoudite, tout au moins dans les volumes parfois évoqués de 150 appareils, correspondant à l’ensemble de la flotte de Tornado et F-15C encore en service à ce jour et devant être remplacés.
L’Espagne devrait prochainement annoncer la commande d’un nouveau lot d’Eurofighter Typhoon dans le cadre du programme Halcyon 2
Rappelons que traditionnellement, Riyad s’est toujours tourné vers la Grande-Bretagne et les Etats-Unis pour équiper sa flotte de chasse, alors qu’aujourd’hui, les relations entre Paris et le Prince héritier Mohammed Ben Salman sont loins d’être excellentes, ceci ayant notamment amené la marine saoudienne à se tourner vers l’espagnol Navantia pour construire ses nouvelles corvettes.
Quoiqu’il en soit, la commande devant se concrétiser, celle-ci constituerait incontestablement une bonne nouvelle pour l’industrie aéronautique militaire européenne, et pour le Typhoon, qui risquait de voir ses lignes de production sans activité d’ici quelques années sur la base du restant à produire à ce jour.
Reste à voir si ce sera le cas, dans quelles conditions, et surtout où les appareils seront assemblés, sachant que l’industrie de défense saoudienne a fait récemment part de ses grandes ambitions dans ce domaine, et qu’un contrat portant sur 72 appareils représente probablement un parfait socle pour y parvenir.
Annoncé en 2017, le programme de drones de combat aéroportés Remote Carriers est l’un des sept piliers du Système de Combat Aérien du Futur, qui rassemble l’Allemagne, l’Espagne, la France et, depuis peu, la Belgique en tant qu’observateur.
C’est précisément le missilier européen qui a dévoilé, à l’occasion d’une interview donnée dans le cadre du salon du Bourget 2023, de nombreuses informations sur le drone actuellement en développement, ainsi que sur l’utilisation qui en sera faite et la considérable plus-value opérationnelle qu’il apportera au programme SCAF, mais également, probablement, au Rafale F5.
Baptisé pour l’heure « Remote Carrier Expendable » ou RCE, que l’on peut traduire par Drone de Transport Consommable, l’appareil aura des dimensions proches de celles d’un missile de croisière, avec une longueur de 4 mètres, mais une masse bien plus réduite de seulement 400 kg, lui permettant non seulement de prendre place sous les ailes d’un avion de combat, mais également d’un drone plus contraint en matière de capacités d’emport, par exemple l’Eurodrone RPAS, l’Aarok, le Remote Carrier lourd, mais également le drone dérivé du Neuron dont le développement a été annoncé à l’occasion du vote de la LPM 2024-2030 en France.
Le Rafale F5 sera un système de systèmes conçu pour contrôler des drones de combat, dont un drone dérivé du démonstrateur Neuron
Première surprise dans les déclarations de Judde de Larivière, qui dirige le programme SCAF chez MBDA, le RCE pourra également être mis en œuvre par des vecteurs non aériens, comme des véhicules terrestres, des navires et, chose encore plus inattendue, des sous-marins, ouvrant naturellement la voie à une utilisation très large du système.
L’appareil lui-même est conçu pour reproduire les performances et le comportement d’un avion de chasse ou d’un missile de croisière, avec une vitesse subsonique élevée et d’importantes capacités de manœuvre, ce qui d’ailleurs semble être sa fonction première.
En effet, selon MBDA, le RCE est avant tout conçu pour amener les défenses anti-aériennes de l’adversaire à se dévoiler en reproduisant le comportement d’une cible d’importante, de sorte à pouvoir être engagées et détruites par l’avion porteur, ou par ses capacités déployées dans le cadre du système de combat.
Il est vrai qu’avec une autonomie d’une heure, et une vitesse subsonique élevée, le RCE pourra par exemple patrouiller pendant 30 minutes à une distance de plus de 350 km de son point de départ, ce d’autant que contrairement aux drones légers comme le TB2, il est conçu, dés le départ, pour ne pas être réutilisé, avec un prix particulièrement bas, « très inférieur à celui d’un missile de croisière » selon Judde de Larivière, soit moins de 1 m€.
En évoluant comme un avion de combat ou un missile, le drone obligera donc l’adversaire à activer ses systèmes anti-aériens, permettant de les localiser avec précision et donc de les frapper avec des armes mises en œuvre à partir de vecteurs non sacrifiables (avion de combat, Loyal Wingman, Drone MALE) tout en leur permettant de rester hors de portée de la défense anti-aérienne adverse.
Intercepter un missile de croisière que le SCALP/Storm Shadow de MBDA est difficile. Ici, un système Pantsir S1 russe échoue par deux fois.
Même si cela n’a pas été évoqué, on peut d’ailleurs penser que le RCE emportera une charge militaire, soit pour détruire le drone en fin de mission pour qu’il ne puisse être récupéré et rétro-ingénierie par l’adversaire, mais surtout pour agir potentiellement comme une munition rôdeuse et détruire une cible d’importance, le cas échéant.
On imagine en effet qu’avec une masse de 400 kg, il est largement possible d’emporter une dizaine de kg de charge militaire pour faire d’une pierre deux coups.
Autre caractéristique très intéressante avancée lors de l’entretien avec BeakingDefense.com, la possibilité pour le RCE d’évoluer en essaim. Un essaim de drones va bien au-delà qu’un certain nombre de drones évoluant simultanément, en conférant au groupe une cohérence opérationnelle et une intelligence propre.
Non seulement permet-il d’optimiser les effets désirés par les drones eux-mêmes, mais il simplifie considérablement la charge de contrôle, puisque l’opérateur, probablement le pilote ou l’officier systèmes d’armes à bord du NGF, contrôlera un ensemble et non chaque drone individuellement.
A ce titre, la simplicité d’utilisation et de contrôle imposée par le RCE, de sorte à réduire la charge cognitive déjà très importante imposée à l’équipage à bord d’un avion de combat, est au cœur des préoccupations et objectifs de MBDA dans le développement de son système.
L’optimisation de la charge cognitive de l’équipage d’un avion de combat est devenue un enjeu au même titre que les performances de l’appareil et de ses systèmes embarqués
Enfin, le calendrier du programme a été dévoilé, avec un premier vol en 2029, ce qui, comme cela a été plusieurs fois avancé, laisse penser qu’au-delà du SCAF, le RCE équipera également les appareils de génération précédente, et plus particulièrement le Rafale F5, précisément conçu pour intégrer nativement les drones de combat, Neuron et RCE, dans le système de systèmes autour de l’appareil.
Si la mission première du RCE, tel que présenté aujourd’hui, sera la suppression des défenses anti-aériennes adverses, il est vrai un sujet pleinement d’actualité au regard du conflit en Ukraine, les performances et capacités annoncées ouvrent, quant à elles, une panoplie d’utilisation bien plus étendue.
Ainsi, par ses performances aéronautiques, ses capacités d’emport et son caractère « consommable », le RCE sera probablement en mesure d’apporter une très importante plus-value aux missions de soutien aérien rapproché, au profit des avions de combat, mais également des hélicoptères de combat et drones qui pourront délivrer leurs munitions avec un délai réduit et précision sans risques excessifs, ce d’autant qu’il peut être lancé à partir d’un véhicule terrestre, donc à la demande des forces terrestres engagées.
Le RCE pourra potentiellement apporter une très importante plus-value au-delà de sa mission initiale de suppression des défenses anti-aériennes adverses, notamment dans le domaine du soutien aérien rapproché (bon vendredi !)
Cette capacité à reproduire les performances d’un avion de chasse, notamment en termes de vitesse et de manœuvrabilité, en font également un atout de taille pour les missions de pénétration et de frappes dans la profondeur, notamment pour reconnaitre l’itinéraire qui doit être suivi par la force de frappe ou par ses munitions de haute valeur, et ainsi éviter une interception dommageable.
On peut également imaginer, là encore du fait de ses performances et de ses faibles masse et encombrement, que le RCE pourrait être adapté pour agir tel un système Hard-Kill au profit des appareils de soutien, en proposant aux menaces des cibles plus attrayantes que le ravitailleur ou l’Awacs visé, ce qui représente un enjeu stratégique en devenir dans le domaine de la guerre aérienne, avec l’arrivée de munitions sol-air et air-air très longue portée.
Sa capacité à pouvoir être mis en œuvre à partir de vecteurs navals ou sous-marins en étend naturellement l’utilisation dans le domaine aéronaval, d’autant que du fait de sa faible taille et masse, on peut imaginer qu’il puisse être mis en œuvre y compris à partir de systèmes automatisés comme le DDO de Naval Group, de sorte à concentrer les moyens anti-aériens adverses dans une mauvaise direction, ou plus simplement, pour designer les cibles de plus grande valeur aux missiles anti-navires envoyés contre la flotte adverse.
L’une des surprises concernant le RCE est sa future capacité à être mise en œuvre à partir de vecteurs non aériens, comme des véhicules terrestres, des navires et même des sous-marins, selon MBDA – Ici le lancement d’un missile de croisière MdCN à partir du SNA Suffren.
Notons enfin que le RCE actuellement en développement par MBDA, peut ne représenter qu’un modèle dans une gamme plus étendue pouvant apporter de nouvelles capacités à d’autres systèmes au-delà du SCAF ou du Rafale F5.
On peut penser, par exemple, à un RCE optimiser pour la lutte anti-sous-marine mis en œuvre à partir de frégates ou d’avions de patrouille maritime, équipé d’une queue MAD (détecteur d’anomalie magnétique) pour repérer la masse métallique d’un sous-marin en plongée, sans que l’appareil ou le navire n’ait à évoluer dans un espace potentiellement dangereux.
Quoi qu’il en soit, la porte ouverte par MBDA avec le Remote Carrier Expendable, qui mérite lui aussi un nom plus engageant, est particulièrement riche de potentiels, probablement autant que de difficultés techniques à surmonter pour rendre le système aussi fiable, performant et économique qu’annoncé par l’industriel.
Son arrivée probable au début de la prochaine décennie, constituera incontestablement une plus-value de taille pour le futur Rafale F5 qui, plus que jamais, tend à devenir un marchepied technologique à fort potentiel pour le SCAF et sa vision de la guerre aérienne dans les décennies à venir.
Selon Greg Ulmer, vice-président exécutif de l’aéronautique de Lockheed-Martin, il est préférable de changer le réacteur du F-35 pour se tourner vers un propulseur issu du programme AETP, plutôt que de faire évoluer le PW F135 actuel.
En mars dernier, le Pentagone annonçait sa décision de se tourner vers la proposition faite par le motoriste Pratt&Whitney de moderniser le turboréacteur F135 de l’avion de combat F-35 Lightning II, plutôt que d’envisager son remplacement par un turboréacteur de nouvelle génération de type AETP (Adaptive Engine Transition Program), solution préconisée par l’autre motoriste américain, General Electric, avec son XA100 en lice également pour le programme NGAD.
Pour le Pentagone, cette décision se justifiait par le fait que les améliorations proposées par P&W pour son F135 permettraient effectivement d’accroitre les performances et de résoudre les problèmes de refroidissement que rencontre actuellement le moteur, qu’elles étaient plus économiques et moins risquées, et surtout que le choix du XA100 pour les F-35A de l’US Air Force ne pouvait être appliqué aux F-35B du Corps des Marines, alors que la question restait posée concernant le F-35C de l’US Navy.
La messe semblait dite jusqu’à ce que Lockheed-Martin, le constructeur du F-35, vienne apporter de l’eau au moulin d’une solution de nouvelle génération, plutôt qu’à l’amélioration du F-135 actuel.
En effet, interviewé par le site américain BreakingDefense.com à l’occasion du salon du Bourget, Greg Ulmer, vice-président exécutif de l’aéronautique de Lockheed-Martin, a lancé une petite bombe qui pourrait prendre de l’ampleur à mesure qu’elle traversera l’Atlantique.
Le plus gros handicape du moteur AETP comme le XA100 de GE, est qu’il ne convient pas aux F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court car trop long pour laisser l’espace nécessaire à la soufflante d’équilibrage
Selon lui, la décision de se tourner vers une amélioration du F-135 de Pratt&Whitney ne représente en effet qu’une solution de transition, ne permettant d’apporter au chasseur américain sensé rester en service jusqu’en 2070, le regain de puissance et de fiabilité nécessaire au-delà du Block 4 actuellement en cours de finalisation. En d’autres termes, selon son concepteur, il est nécessaire de changer le réacteur du F-35.
Rappelons que le Block 4 représente le premier standard jugé pleinement opérationnel de l’appareil américain, celui-ci devant entrer en production d’ici au second semestre de 2024, et qu’il apportera à l’appareil de nouveaux senseurs et une capacité de traitement accrue, raison pour laquelle la puissance du F135, par ailleurs depuis longtemps jugée insuffisante par rapport à la masse de l’appareil, devait être augmentée.
Toutefois, pour Lockheed-Martin, le Block 4 ne représente qu’une étape dans l’évolution de l’appareil, qui verra de fait, par son statut d’unité de traitement informatique volante, sa puissance augmenter au fil des évolutions et des nouveaux standards.
Pour autant, le choix d’un moteur de nouvelle génération, qu’il s’agisse du XA100 de GE ou d’un autre, n’est pas dénué de contraintes, bien au contraire. En effet, l’adaptation d’un nouveau moteur serait une procédure lourde, risquée et très onéreuse pour l’ensemble des appareils du parc, ce qui n’ira pas sans faire grincer des dents nombre de clients ayant déjà payé leurs F-35A au prix fort, et dû les faire passer par plusieurs phases de mise à jour onéreuses depuis.
le XA100 de General Electric est un moteur à triple flux apportant une efficacité supplémentaire très sensible vis-à-vis des moteurs de génération antérieure, notamment en termes de refroidissement, ce qui représente précisément l’un des points d’inquiétude autour de l’utilisation du F-135
Pour cette raison, mais également du fait qu’un AETP n’est pas compatible avec la version à décollage et atterrissage vertical ou court de l’appareil, le F-35B en service au sein du Corps de Marines, mais également des Marines britanniques, italiennes, japonaises et très probablement bientôt espagnoles, le programme F-35 devrait alors se diviser probablement en deux sous-programmes selon leur motorisation.
Cette alternative est d’autant moins satisfaisante que la configuration monomoteur fut imposée par la volonté du Corps des Marines de disposer d’une version ADAC/V de l’appareil, alors que l’US Air Force comme l’US Navy privilégiaient alors une version bimoteur bien moins contraignante pour les moteurs. Dès lors, cela viendrait remettre en question l’un des fondements du programme, y compris pour ses utilisateurs internationaux.
Au-delà des discours de chacun des industriels parties prenantes de ce dossier, l’argument avancé par Lockheed-Martin est difficile à ignorer par l’US Air Force et le Pentagone, qui d’une certaine manière se retrouvent désormais face à deux choix, dont aucun n’est satisfaisant, et dont chacun est porteur de contraintes qui ne manqueront pas de leur être reprochées à l’avenir.
l’utilisation du XA100 est jugée possible sur F-35C de l’US Navy par GE, mais reste à démontrer pour le Pentagone plus dubitatif à ce sujet.
C’est là que se révèle le véritable faiblesse imposée par ce programme aux forces armées US comme alliées, à savoir qu’il est désormais à ce point important et stratégique pour l’ensemble du camp occidental, que même face à l’évidence de ses défauts de conception, il ne peut désormais plus être abandonné pour revenir à une conception plus rationnelle, à savoir un chasseur bimoteur furtif et économique pour la version A terrestre et C opérant de porte-avions (les vrais, ceux avec des catapultes!!), et un chasseur monomoteur furtif, mais sensiblement plus léger pour la version B opérant sur porte-hélicoptères.
Quoi qu’il en soit, il sera intéressant d’observer comment industriels, militaires et politiques outre-atlantique sortiront de cette complexe situation qui, au-delà des aspects commerciaux et industriels, revêt également une dimension stratégique quant à l’efficacité des forces aériennes alliées pour les décennies à venir.
La Ministre a en effet exprimé sa grande satisfaction de voir Bruxelles rejoindre le programme qui se veut dimensionnant pour l’ensemble de l’effort industriel aéronautique de défense européen, comme pour les capacités des forces aériennes du vieux continent.
Mais lorsqu’un journaliste l’interroge sur la redistribution du partage industriel au sein du programme, celle-ci a tenu un discours tout autre, indiquant qu’elle entendait que l’Espagne conserve le 33% de l’activité industrielle, tout au moins dans la phase 1B visant à developper le démonstrateur d’ici 2029, et pour laquelle Madrid s’est engagé à financer 2,5 Md€ à l’indique de Paris et Berlin.
Il est fréquent, à lire la presse étagère mais également les gourous du commentaire défense sur les réseaux sociaux, que la responsabilité du manque de flexibilité au sein des programmes en coopération européenne soit attribué à la France.
Dans les faits, la situation est souvent différente, et bien souvent, la France, ou plutôt le Président Macron, se montre bien plus conciliant que ses partenaires, mais aussi que ses propres industriels, pour ce qui est de promouvoir l’émergence d’une réelle dynamique paneuropéenne en matière de défense.
Ce cas en est le parfait exemple, car il très probable que ce soit Paris qui ait imposé l’arrivée de Bruxelles au statut d’observateur au sein du programme SCAF. Non sans raisons d’ailleurs, car si la Belgique a effectivement fait le choix du F-35A face au Rafale en 2018, elle a depuis montré plus que patte blanche vis-à-vis de la France en commandant pour presque 5 Md€ d’équipements militaires aux industriels français (VBMR, EBRC, Caesar, McM, Mistral 3).
Quoiqu’il en soit, la posture espagnole montre sans filtre qu’il sera très difficile de « faire de la place » industriellement parlant à d’autres pays européens au sein du programme SCAF, même si cela est incontestablement souhaitable d’un point de vue politique, tant celui-ci est dimensionnant pour les BITD qui y participent.
La seule alternative envisageable, pour étendre l’assise européenne du programme, serait d’en étendre le périmètre, c’est à dire d’y intégrer des développements supplémentaires justifiants de l’arrivée de nouveaux partenaires.
Il peut s’agir, par exemple, de developper un chasseur monomoteur comme évoqué à plusieurs reprises sur ce site, d’étendre la gamme de drones de combat au delà des Remote Carriers actuellement prévus, ou d’y intégrer des capacités spatiales, pour ne citer que quelques exemples triviaux
La solution pour integrer la BITD au programme SCAF pourrait se trouver en étendant le périmètre de ce programme, par exemple en développant de nouveaux drones ou un chasseur monomoteur
Il est également possible qu’un accord entre deux pays, étendant le périmètre du programme pour ces deux membres uniquement, puisse donner lieu à un accord équilibré. C’est l’hypothèse évoquée dans un article du 12 juin consacré à ce sujet, qui étudie la possibilité d’intégrer la Belgique dans le programme Rafale F5 / Neuron contre acquisition d’appareils pour libérer des espaces au sein de la partie française de SCAF aux industriels belges.
A l’inverse, tant que le périmètre industriel du programme restera figé, la moindre atteinte, même potentielle, aux partages industriels établis, entrainera des réactions épidermiques de part et d’autre tant des industriels que des politiques, soucieux de préserver leurs acquis jugés stratégiques pour le développement de leur propre BITD.
Quoiqu’il en soit, et comme le concluait l’article précédemment évoqué, l’ouverture du programme SCAF à d’autres pays européens, ne pourra se faire sans une bonne dose d’imagination et de pensées disruptives, pour faire émerger des solutions acceptables par tous. D’un certain point de vue, donner à la Belgique le statut d’observateur, répond à cette condition.
Si dans l’opinion publique, la crise des missiles de Cuba de 1962 représente le sommet paroxystique de la guerre froide, nombre de spécialistes considèrent que celui-ci fut atteint en 1983, lors de la crise des Euromissile durant laquelle les forces de l’OTAN et du Pacte de Varsovie ont été au bord de la confrontation nucléaire pendant prés de 2 ans.
Cette crise amena à la signature du traité Intermediate-Range Nuclear Forces ou INF en 1988, interdisant aux États-Unis et à l’Union Soviétique de déployer, posséder ou concevoir des armes balistiques d’une portée allant de 500 à 5.500 km, ainsi que des missiles de croisière à lancement terrestre, ce qui contribua activement à la baisse des tensions entre les deux blocs.
Toutefois, dans l’intervalle de 5 ans entre 1983 et 1988, occidentaux comme soviétiques multiplièrent le développement de solutions à capacité nucléaire de sorte à étoffer leur arsenal mais également leurs capacités de réponses face à l’adversaire, dans une course aux armements particulièrement rapide et dynamique.
C’est à cette époque que fut conçu le missile Air-Sol Moyenne Portée ou ASMP français, un missile de croisière supersonique conçu pour pénétrer les défenses antiaériennes de l’adversaire et transportant une tête nucléaire TN81 de 100 kt sur 300 km. Il sera mis en service dès 1986 à bord des Mirage IV puis des Mirage 2000N des forces aériennes stratégiques
En application du traité SORT de 2002, l’US Air Force retira du service l’ensemble de ses missiles de croisière furtifs AGM-129 entre 2008 et 2012, ne laissant aux bombardiers stratégiques américains que 500 missiles de croisière AGM-86 pour mener des frappes nucléaires à distance de sécurité
Outre-Atlantique, l’US Air Force entreprit le développement du missile de croisière furtif AGM-129 ACM, destiné à venir épauler les AGM-86 ALCM en service depuis 10 ans à bord des B-52H Stratoforteress, alors que l’US Navy admettait en 1983 au service le missile de croisière BGM-109A Tomahawk, tous deux armés d’une tête nucléaire W80 de 5 à 150 kt.
Depuis la fin de la guerre froide, et jusqu’au début des années 2010, les États-unis (comme la Russie) ont considérablement réduit leur arsenal nucléaire, allant jusqu’à retirer du service certaines munitions avancées comme l’AGM-129 pour respecter les engagements bilatéraux.
Ainsi, aujourd’hui, l’US Air Force ne dispose plus que de 500 missiles de croisière ALCM relativement anciens et de bombes gravitationnelles pour armer ses bombardiers stratégiques B-52 et B-2, alors qu’en dehors des missiles balistiques SLBM armant les SNLE de la classe Ohio, l’US navy ne dispose plus d’aucune capacité de frappe nucléaire.
Cette situation n’est, de toute évidence, plus acceptable pour les Représentants républicains du Comité des forces armées. À l’initiative du représentant du Colorado Doug Lamborn, le comité a en effet imposé la poursuite du programme Sea-launched Cruise Missile Nuclear, ou SLCM-N, contre l’avis de la Maison-Blanche qui avait annoncé sa suspension dans le cadre du budget 2024 du Pentagone.
Les frégates russes de la classe Admiral Gorshkov, et plus globalement les navires équipés de VLS UKSK, peuvent mettre en oeuvre des missiles de croisière hypersoniques 3M22 Tzirkon pouvant potentiellement recevoir une charge nucléaire
Ainsi, l’amendement voté par les représentants républicains du Comite des forces Armées, ouvre la voie pour allouer 196 m$ au programme SLCM-N sur l’année fiscale 2024, pour peu qu’il soit validé en lecture finale dans quelques semaines.
Pour les soutiens de ce programme, celui-ci permettra à l’US Navy de répondre à la menace que représentent les missiles à potentialités duales comme le 3M22 Tzirkon russe ou le YJ-21 chinois, pouvant aussi bien emporter une charge nucléaire que conventionnelle, et qui sont mis en œuvre à bord des frégates Admiral Gorshkov russes et des destroyers lourds Type 055 chinois.
Ses détracteurs, quant à eux, estiment que les missiles de croisière ont une vulnérabilité trop importante pour en faire un vecteur nucléaire crédible, alors que la conception du SLCM-N privera l’US Navy de 31 Md$ de possibilités d’investissement dans les années à venir, soit 15 destroyers Arleigh Burke ou 10 sous-marins Virginia.
Quoi qu’il en soit, ce débat montre sans équivoque que le monde est entré depuis quelques années dans une course aux armements qui n’a guère à envier à celle qui marqua la Guerre Froide, et qui, au moins par deux fois, amena le monde au bord de la guerre nucléaire.
Le missile anti-aérien Aster franco-italien a démontré d’excellentes capacités contre des cibles subsoniques et supersoniques lors d’un récent exercice de l’OTAN.
Lorsqu’il s’agit de comparer les missiles anti-aériens entre eux, il est commun de s’appuyer sur certaines caractéristiques évidentes, comme la portée, le plafond, voire la vitesse et le système de guidage. Il est pourtant une caractéristique au moins aussi significative qui est souvent peu ou pas prise en considération, l’efficacité du système, c’est-à-dire le nombre de missiles qui sont nécessaires pour atteindre un taux d’interception probable suffisant.
Dans ce domaine, les concepteurs franco-italiens du missile Aster 15/30 avaient toujours annoncé que leur système était à ce point efficace qu’il suffisait d’un missile pour traiter une cible. La démonstration de ce postulat a été faite lors de l’exercice naval Formidable Shield organisé par l’OTAN il y a quelques jours rassemblant une vingtaine d’unités navales appartenant à 13 nations différentes.
La frégate italienne Carlo Margottini (F592) a détruit deux cibles aériennes différentes à l’aide d’un Aster 30 et d’un Aster 15 lors de l’exercice Formidable Shield 2023 organisé par l’OTAN
En effet, à cette occasion, 4 missiles Aster 15 et 30 ont été tirés par trois navires contre 4 cibles aériennes reproduisant le comportement d’un avion de combat / missile supersonique ou d’un missile antinavire subsonique évoluant au raz des vagues, enregistrant la destruction de chacune d’entre elles, dans un environnement reproduisant au plus près les conditions d’un engagement réel.
Ainsi, la frégate italienne FREMM Carlo Margottini (F592) a détruit un drone cible Coyote GQM-163A supersonique évoluant tel un missile avec un Aster 30, ainsi qu’un drone cible Firejet subsonique à l’aide d’un Aster 15. La frégate FREMM française Bretagne (D655) a pour sa part engagé et détruit un Coyote GQM-163A à l’aide d’un Aster 30, alors que le destroyer antiaérien de la Royal Navy HMS Defender (D36) de la classe Daring a détruit un autre Firejet en faisant usage, là encore, d’un Aster 30.
Il est intéressant de noter que ni la Bretagne, ni le Carlo Margottini ne sont des frégates dédiées à la défense anti-aérienne, mais des navires avant tout spécialisés dans la lutte anti-sous-marine. Pour autant, ils mettent en œuvre des missiles Aster 30 offrant une capacité d’interception étendue contre un grand nombre de cibles, et peuvent notamment opérer conjointement avec les frégates de défense aérienne de type Horizon en service dans les deux marines.
Le missile cible CGM-163A Coyote reproduit le comportement d’un missile antinavire supersonique
Quoi qu’il en soit, avec ce score de quatre cibles détruites avec quatre tirs, l’Aster européen a fait la démonstration de ses capacités d’interception ainsi que de sa précision, en faisant l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur missile surface-air naval du moment.
À ce titre, il devrait encore assurer la protection des navires français, italiens et britanniques, pendant plusieurs décennies, alors qu’aucune réelle alternative apportant de réelles plus-values, en dehors des capacités anti-balistiques et hypersoniques, n’est à ce jour en développement en occident.
Les chances de voir l’Inde passer commande de Rafale M à l’occasion de la prochaine visite du premier ministre Narendra Modi en France pour les célébrations du 14 juillet sont désormais très élevées.
Il y a tout juste un mois de cela, un article du eurasiantimes.com indiquait que concernant la compétition opposant le Rafale M de Dassault aviation et le F/A-18 E/F Super Hornet de Boeing pour armer de 26 chasseurs le nouveau porte-avions indien INS Vikrant, rien n’était encore joué, en dépit des nombreuses déclarations et indiscrétions qui s’étaient succédé depuis plusieurs mois donnant l’avion français comme grand favori au terme de la campagne d’essais.
Pour autant, depuis quelques jours, la presse indienne, il est vrai coutumière des faux départs et autres anticipations exagérées, multiplie les articles anticipant l’annonce de cette commande à l’occasion de la visite officielle du PM Narendra Modi en France pour participer comme invité d’honneur aux festivités de la fête nationale, le 14 juillet.
Selon ces articles, citant des sources concordantes, mais parfois douteuses, l’une d’elle ayant par exemple annoncé que le Rafale M serait capable de détecter des sous-marins, la décision aurait été prise par New Delhi, et les négociations, notamment en termes d’enveloppe budgétaire, concluent pour un prix ‘sensiblement inférieur à celui de la première commande de Rafale par l’Indian Air Force ».
Le PM indien Narendra Modi sera l’invité d’honneur de la France lors du défilé militaire du 14 juillet 2023. C’est à cette occasion que la presse indienne suppose que la commande de 26 Rafale M pour la Marine indienne sera annoncée
Par ailleurs, au-delà des appareils eux-mêmes, le contrat qui serait signé d’ici à 3 semaines, porterait sur la mise en place d’une infrastructure de maintenance complète à bord du porte-avions indien et de la base aéronavale de Goa, comme c’est d’ailleurs le cas dans la Marine nationale sur le porte-avions Charles de Gaulle et sur la base aéronavale de Landivisiau.
Il est toutefois probable que la maintenance des appareils au-delà d’un certain seuil, on parle d’échelons dans l’aéronautique, soit mutualisée avec celle des Rafale A/B de l’Indian Air Force qui dispose déjà des infrastructures industrielles pour cela, ceci ayant d’ailleurs pesé sur le prix final du premier contrat.
Notons enfin que les articles de la presse indienne faisant référence à ce sujet, font également état d’un réel engouement des autorités militaires navales indiennes pour le Rafale, en particulier suite à la campagne d’essais ayant permis de démontrer la capacité de l’appareil à employer un Skijump y compris en charges lourdes, mais également lors des exercices menés ces derniers mois avec les forces aériennes et aéronavales indiennes.
L’indien Air Force met en oeuvre une flotte de 36 Rafale B/C pour des missions allant de la supériorité aérienne à la posture de dissuasion. Elle dispose d’une infrastructure pouvant accueillir et entretenir jusqu’à 150 appareils de ce type
Reste désormais à attendre l’éventuelle, mais de plus en plus probable concrétisation de cette négociation, qui représenterait la première exportation d’un avion de combat français destiné à opérer à partir d’un porte-avions, et qui viendrait encore davantage garnir le carnet de commande déjà fourni de Dassault Aviation pour son chasseur.
À ce sujet, lors d’une interview donnée en marge du salon du Bourget, le PDG De Dassault Aviation, Eric Trappier, a précisé qu’il attendait « plusieurs nouvelles commandes dans les mois et années à venir », sans vouloir en dire davantage pour ne pas interférer avec les négociations en cours. Parmi les négociations les plus fréquemment évoquées, figurent la Serbie, la Colombie, l’Irak, l’Égypte ainsi que l’Arabie Saoudite.
Depuis quelques années, il apparait que la plupart des armées européennes font face à une importante crise des effectifs, peinant à recruter et fidéliser leurs personnels, sujet plusieurs fois traité sur notre site depuis quelques mois. Ces difficultés sont d’autant plus intenses ces derniers temps que, suite à l’agression russe contre l’Ukraine, nombre de ces armées ont entrepris de retrouver de la masse, et donc d’augmenter leurs objectifs de recrutement, souvent sans grand succès, bien au contraire.
Il est vrai qu’au-delà d’un nombre réduit de candidats, les armées tendent désormais à vouloir recruter des profils de mieux en mieux formés, ceci étant imposé par l’augmentation rapide de la technologie à tous les échelons de l’action militaire, alors que les standards physiques et psychologiques ont, quant à eux, été maintenus, créant naturellement une plus forte tension sur le filtre initial des « admissibles ».
Si le recrutement est plus difficile, la fidélisation des militaires l’est semble-t-il tout autant. De nombreux rapports, en Europe comme aux Etats-Unis, font état d’un taux de réengagement bien plus faible aujourd’hui qu’il ne l’était précédemment, lié notamment à l’attractivité du secteur privé friand des compétences acquises par les personnels militaires, mais également à une plus faible résilience globale face aux contraintes de la vie militaire, par ailleurs bien peu valorisée, y compris au sein des armées elles-mêmes.
Les compétences techniques acquises par les militaires sont très prisées du secteur privé
Ces deux difficultés se cumulant, les armées européennes voient aujourd’hui leurs pyramides des grades, des âges et des compétences, consubstantielles de l’organisation hiérarchique militaire, directement menacées à moyen terme, au point que ce phénomène pourrait venir altérer directement le potentiel militaire, et donc dissuasif, de ces pays, dans un contexte international bien peu permissif dans ce domaine.
Toutefois, outre ces aspects techniques expliquant les rapports récurrents mettant en évidence les difficultés en matière de Ressources Humaines rencontrées en Italie, en Allemagne, en Suisse ou au Royaume-Uni, un second phénomène, bien plus problématique, est à l’œuvre à moyen terme, qui viendra potentiellement altérer les capacités de recrutement, donc les formats mêmes des armées européennes dans les années et décennies à venir.
Une menace à moyen terme sur les effectifs impossible à éviter ?
En effet, la démographie européenne, avec un taux de fécondité moyen sous la barre des 1,5 enfant par femme masquant d’importants écarts entre les 1,83 français et les 1,2 italien et espagnol, mais également un âge moyen passé de 36 ans en 2000 à 42 ans en 2023, et un endettement moyen des États qui a augmenté de presque 50% passant de 62% en 2008 à 92% en 2021, constituent une conjonction de facteurs des plus inquiétants pour les politiques de recrutement des armées européennes dans les années à venir.
Le nombre relatif de candidats va ainsi diminuer, du fait d’un nombre plus réduit d’enfants, donc de jeunes éligibles aux fonctions militaires. Dans le même temps, l’action conjuguée du vieillissement de la population et de la dégradation des finances publiques, va inciter les gouvernements à privilégier les profils productifs, donc fléchés vers le privé, ne serait-ce que pour tenter de maintenir à flot les comptes sociaux.
30% des effectifs de la Bundeswehr devront avoir quitté le service d’ici à 2027 après avoir atteint la limite d’âge
Les entreprises, elles aussi, vont accroitre leur attractivité pour tenter de maintenir leurs propres effectifs et leur activité. De fait, il semble presque inévitable, dans les 20 années à venir, que les formats des armées que nous connaissons aujourd’hui, en particulier des armées ayant fait le choix de la professionnalisation, soient appelés à considérablement baisser partout en Europe.
De même, le recours à la conscription, qui prélève une grande partie d’une tranche d’âge pour une année du circuit productif, sera également de plus en plus difficile à maintenir dans le temps, pour des aspects plus économiques et politiques que sociétaux, rendant l’horizon particulièrement sombre pour les armées européennes d’ici à 2035 ou 2040, et encore davantage au-delà.
Il existe cependant trois alternatives qui, potentiellement, pourraient permettre, si pas d’augmenter les recrutements et de maintenir les formats, au moins d’en atténuer les effets sur l’efficacité de l’outil militaire européen, d’autant qu’elles ne s’excluent pas mutuellement : une restructuration basée sur la réserve d’une part, le recours croissant à la robotisation et aux systèmes automatisés de l’autre, et enfin, une redéfinition des potentiels militaires de chaque pays de sorte à maintenir un effet opérationnel et dissuasif global, tout en spécialisant les armées nationales elles-mêmes.
L’extension du rôle de la Réserve face à la crise des effectifs
La première alternative est de loin la plus évidente et la plus aisément applicable. Il s’agit de faire de la Réserve, ou de la Garde Nationale, le pivot central de l’organisation structurelle et opérationnelle des armées. Dit autrement, cette approche suppose de constituer des capacités presque exclusivement composées de réservistes, partout où cela est possible.
On pense naturellement à toutes les unités constituant le corps de bataille de haute intensité de l’Armée de terre qui, fondamentalement, ne devrait intervenir qu’en Europe, et face à une menace visant directement l’intégrité de l’alliance ou de l’Union européenne, ce qui est cohérent avec l’emploi de réservistes.
Il est également possible, comme c’est le cas pour la Garde Nationale US, de mettre en œuvre des unités techniques, comme des escadrons de chasse, de ravitaillement en vol, ou de drones opérés par des réservistes, ainsi que d’unités de protection côtière et des infrastructures militaires, pour ce qui concerne la Marine et les forces aériennes.
Les militaires professionnels, quant à eux, assureraient l’encadrement et le transfert de compétences à ces unités de réservistes constituées, et formeraient, de plus, le pilier des capacités militaires ne pouvant être déléguées à la réserve, comme la dissuasion ou la projection de puissance.
Le 24ᵉ régiment d’infanterie de Vincennes est le seul régiment de l’Armée de terre exclusivement composé de réservistes
Cette approche a plusieurs avantages notables. D’abord, une capacité réserviste coute sensiblement moins cher qu’une capacité équivalente de militaire professionnel, tout du moins pour l’aspect ressources humaines ,qui représente toutefois presque 40% des dépenses sur le budget des armées françaises.
En effet, même en surdimensionnant la réserve pour maintenir une opérabilité constante, avec, par exemple, trois réservistes contre un professionnel, les couts en matière de solde et de défraiements seraient au moins divisés par 2, tout en augmentant potentiellement la résilience des armées dans le cas d’un conflit ou d’une crise venant à durer.
Ensuite, le prélèvement d’une réserve sur les forces vives productives d’un pays, est bien inférieur à celui d’un militaire professionnel, et même à celui d’une conscription d’un an pour une tranche d’âge donnée.
Fait intéressant, la prise de compétences d’un réserviste s’effectue simultanément dans les armées et dans le civil, par sa propre activité professionnelle. Enfin, les contraintes de la vie militaires étant sensiblement moindre pour un réserviste que pour un militaire professionnel, la fidélisation peut y être renforcée.
Reste évidemment que le recours à la réserve à ses limites. Ainsi, il n’est pas question d’y recourir, comme dit précédemment, pour certaines missions particulièrement intenses comme la posture de dissuasion ou la projection de puissance, ou du moins pas pour en constituer le pivot.
En outre, les militaires professionnels sont naturellement mieux formés, donc plus efficaces en opérations. Tout du moins est-ce un argument souvent avancé, mais mis à mal par l’efficacité des réservistes ukrainiens depuis un an.
Enfin, remplacer en France 100 000 militaires professionnels par 300 000 réservistes, serait tout sauf aisé, et nécessiterait une stratégie et une offre très efficace pour y parvenir, et ainsi compenser l’inexorable diminution des effectifs professionnels pour les raisons préalablement évoquées.
Le recours massif à l’automatisation et la robotique
La seconde alternative à cette crise RH en devenir s’appuie sur un recours massif à l’automatisation et la robotique partout ou cela est possible, pour réduire le besoin en ressources humaines à capacités opérationnelles maintenues.
C’est notamment la stratégie mise en œuvre par les Forces d’Autodéfense nippones, qui entendent s’appuyer massivement sur les drones et la robotisation pour diminuer les besoins en matière d’équipages, qu’il s’agisse d’aéronefs, de navires ou de véhicules blindés.
C’est également cette approche qui est privilégiée aujourd’hui par l’US Navy, qui entend, d’ici à 2045, se doter d’une flotte de 150 navires sans équipage pour lui redonner la masse perdue face à la Chine. Quant à la Marine Royale néerlandaise, elle a récemment annoncé son intention de construire des corvettes à équipage réduit et très automatisées, pour épauler ses propres frégates.
Fondamentalement, cette stratégie n’a rien de nouveau. Les progrès de la technologie ont depuis fort longtemps permis de remplacer l’action humaine par l’action mécanique, et donc d’en réduire la pression sur les ressources humaines, mais aussi les risques pour les équipages.
À titre d’exemple, les chars moyens de la Seconde Guerre mondiale, comme le M4 Sherman, avaient un équipage à cinq hommes, alors qu’aujourd’hui, les chars modernes, comme le Leclerc ou le K2 Black Panther, ont un équipage à trois hommes, précisément du fait de l’intégration de la robotisation et de l’automatisation ayant notamment permis de remplacer le poste de chargeur par un système de chargement automatique.
À l’instar du Leclerc et des chars russes comme le T90 ou le T14, le K2 Black Panther sud-coréen a un équipage de trois personnes, du fait de l’utilisation d’un système de chargement automatique du canon principal (très inspiré de celui du Leclerc, soit dit en passant…)
Le phénomène est encore plus sensible concernant les navires de combat, qui ont vu leurs équipages, à déplacement égal, divisés par 3 depuis les années 70. Ainsi, les destroyers de 5.500 tonnes de la classe Suffren de la Marine nationale nécessitaient un équipage de 360 hommes dans les années 70 et 80, contre 128 marins, officiers mariniers et officiers pour une frégate FREMM de la classe Alsace, à mission et tonnage équivalents, détachement aérien compris.
Le recours à l’automatisation à de nombreux avantages pour les armées, ce qui explique l’engouement de plusieurs d’entre elles vis-à-vis de cette approche. En premier lieu, elle est relativement simple à planifier. En effet, elle ne repose que sur des aspects industriels et technologiques, plus aisément maitrisables que l’efficacité supposée d’une campagne de recrutement. En second lieu, elle est plus économique dans la durée, et n’impose pas de gestion fine des complexes profils de carrière des militaires professionnels.
Pour autant, elle n’est pas dénuée de difficultés, ni de risques. Ainsi, plusieurs rapports outre atlantiques ont appelé l’US Navy à la prudence dans son basculement vers une flotte partiellement robotisée, car si les navires sont autonomes à la mer, ils nécessiteront néanmoins d’importantes phases de maintenance au port, venant potentiellement saturer les capacités industrielles américaines dans ce domaine.
L’US Navy expérimente les capacités de robotisation d’une partie de sa flotte avec les deux démonstrateurs SeaHunter et SeaHawk
Par ailleurs, les armées, comme les industriels, manquent de recul quant à l’efficacité de ces systèmes, en particulier lorsqu’il s’agit d’en totalement retirer l’homme, mais également quant à la vulnérabilité de ces moyens hautement numérisés à certaines attaques, comme dans le domaine cyber, pouvant potentiellement priver une armée d’une grande partie de ses forces, faute de s’en être efficacement prémunis.
Enfin, elle est d’autant plus pertinente qu’elle s’applique à des armées technologiques, et ne peut pas, par exemple, pleinement remplacer l’ensemble des moyens militaires d’une armée, notamment parmi les plus gourmands en ressources humaines.
Toutefois, il est intéressant de noter que par leurs natures et applicabilité différentes, les deux solutions évoquées jusqu’ici, la réserve d’une part, la robotisation de l’autre, semblent se compléter pour couvrir une grande partie des besoins de l’ensemble des armées, de sorte à, potentiellement, représenter une solution pour absorber la crise des effectifs en devenir, tout en maintenant les capacités militaires nationales dans le périmètre dans lesquelles elles évoluent aujourd’hui.
La spécialisation des armées nationales
Il existe cependant une troisième voie, qu’il convient de ne pas ignorer, qui pourrait effectivement être envisagée pour répondre à la crise des effectifs en développement. Contrairement aux deux précédentes, celle-ci ne vise pas à maintenir le périmètre capacitaire des armées nationales, et admet même qu’il peut être inévitable d’y renoncer.
Pour cela, il conviendrait d’accepter que les armées nationales européennes se spécialisent en fonction de leur emplacement, compétences, contraintes et savoir-faire respectifs, de sorte à préserver une posture dissuasive et une capacité militaire globale suffisantes pour faire face aux crises à venir, tout en optimisant les moyens RH, technologiques et budgétaires à l’échelle des états dans une vision globale d’interdépendance pour en accroitre l’efficacité.
Prosaïquement, cette approche supposerait que les pays d’Europe de l’Est comme la Pologne et la Roumanie se concentrent sur la constitution d’une force terrestre mécanisée de haute intensité, les pays d’Europe centrale et du nord comme l’Allemagne, les pays bas et la Suède, sur les capacités de soutien et de protection, notamment dans le domaine aérien et de l’artillerie à longue portée, les pays d’Europe du Sud, Italie, Espagne, Grèce et Portugal, sur des moyens navals en Méditerranée et Atlantique. Enfin, France et Grande-Bretagne feraient ce qu’elles savent le mieux faire, la dissuasion d’une part et la projection de puissance de l’autre.
La spécialisation des armées européennes permettrait à la France de concentrer ses investissements et ses moyens humains sur la dissuasion et la projection de puissance
Cette approche a le mérite d’être extrêmement rationnelle, et relativement facile à planifier et à piloter. En outre, elle suppose une grande interdépendance des États européens en matière de défense, ce qui, au passage, neutralise tout risque de dissension, puisque plus que jamais, la sécurité n’est envisagée que d’un point de vue collectif.
Enfin, elle permet de concentrer le moyen RH, mais également technologiques et budgétaires, par pays ou groupe de pays, ce qui réduit les concurrences fratricides sur la scène internationale.
On notera que la présentation ci-dessus est volontairement manichéenne, mais qu’il est tout à fait possible, et même souhaitable, qu’une approche plus souple, permettant aux pays de s’équiper de certaines capacités sortant de leu périmètre initial, pour peu qu’ils acceptent de respecter les standards et le commandement des pays qui pilotent le sujet, notamment en termes d’armement.
Bien qu’attractive et rationnelle, cette approche a cependant bien peu de chances d’être retenue, puisqu’elle suppose une interdépendance assumée des États européens allant bien au-delà de ce qui aujourd’hui est généralement admis.
En outre, son organisation nécessiterait l’émergence d’un commandement unifié européen, et donc d’une forme de fédéralisation de l’Union européenne x OTAN, loin d’être à l’ordre du jour aujourd’hui. Elle n’en demeure pas moins une solution qui devait apparaitre dans cette analyse.
Conclusion
On le voit au travers de ce long article, félicitations à ceux qui sont arrivés au bout, la menace qui pèse aujourd’hui sur les effectifs et formats des armées, du fait de plusieurs facteurs concomitants, n’est pas sans solution.
Reste que les trois approches évoquées nécessitent, non seulement, un changement culturel plus ou moins profond selon les armées pour les mettre en œuvre, mais également des délais suffisants pour être en mesure de palier progressivement les difficultés qui ont déjà commencé à émerger ces dernières années, et qui ne manqueront pas de s’intensifier à l’avenir.
Comme nous l’avions titré il y a quelques semaines, il est plus que probable que les Ressources Humaines représentent, désormais, la ressource la plus critique dans le dimensionnement, et donc l’efficacité opérationnelle et dissuasive, des armées européennes, et au-delà.
Si, traditionnellement, l’attention médiatique tend à se porter davantage sur l’arrivée d’un nouvel équipement, ou la signature d’un nouveau contrat, c’est incontestablement là que se joue, dès aujourd’hui, la sécurité du vieux continent, face aux bouleversements géopolitiques qui secouent la planète, et dont rien ne semble indiquer qu’ils soient appelés à s’atténuer dans les années à venir.
L’industriel israélien Rafael vient d’annoncer l’arrivée prochaine du Sky Spear, un missile air-air à longue portée concurrent de l’AMRAAM américain et du Meteor européen.
L’industrie de défense israélienne ne produit pas d’avions ou d’hélicoptères de combat, pas davantage de frégates ou sous-marins. En revanche, elle est très présente dans certains domaines, comme celui des drones, des radars, des systèmes sol-air ou des blindés. Elle a également développé une expertise reconnue dans le domaine des missiles air-air.
Et de fait, les missiles à courte portée de la famille Shafrir et Python, développée depuis 1959 par l’industriel Rafael, sont aujourd’hui en service dans une vingtaine de forces aériennes, les plus notables étant le Brésil, l’Inde, Taïwan et même la République Populaire de Chine, qui a produit sous licence le Python 3 sous le nom PL-8.
Si les missiles air-air à courte portée de Rafael ont montré leur valeur, y compris au combat, comme le Derby à moyenne portée proche en performances du MICA, l’armée de l’air israélienne continue de s’appuyer sur les missiles américains pour les engagements au-delà de 50 km, et notamment sur le missile AIM-120 AMRAAM.
Le Python-3, ici équipant un J-15 à bord du porte-avions Liaoning, est produit par la Chine sous la désignation PL-8
Mais les choses pourraient bien changer dans un avenir proche. En effet, à l’occasion du salon du Bourget, Rafael a annoncé qu’elle développait un nouveau missile air-air à longue portée, baptisé Sky Spear, qui serait, aux dires d’un responsable de la société, en phase finale de développement, et qui pourrait donc remplacer les AMRAAM américains sous les ailes des F-15, F16 et F-35 israéliens dans les années à venir.
Aucune information utile supplémentaire n’a été divulguée à ce sujet au sujet de ce nouveau missile, au-delà des superlatifs crémeux et traditionnels qu’affectionnent les industriels dans ce type de salon.
Toutefois, l’arrivée du missile Sky Spear dans les années à venir, marque l’entrée d’Israël dans le cercle très fermé des pays disposant des compétences pour développer ce type de munition, jusqu’ici limité aux États-Unis, la Russie, la Chine et les européens, qui se sont mis à 4 (France, Allemagne, Suède et Espagne) pour développer le Meteor.
Le missile Sky Spear sera un concurrent direct du Meteor européen comme de l’AIM 260 américain
Reste évidemment à connaitre désormais les caractéristiques du nouveau missile, comme sa vitesse, sa portée, son système de guidage ainsi que sa capacité de manœuvre. Toutefois, eu égard aux performances reconnues des missiles air-air à courte et moyenne portées, mais également des systèmes sol-air israéliens, il est peu probable que ceux-ci révèlent une mauvaise surprise.
Une chose est certaine, cependant. La dynamique technologique défense, qui était particulièrement lente ces 30 dernières années du fait de l’effondrement de la menace soviétique au cœur de la Guerre Froide, et de guerres dissymétriques face à des adverses non technologiques comme en Afghanistan, en Irak ou au Mali, a considérablement accéléré ces dernières années, pour venir flirter avec ce qu’elle était au cours des années 70 et 80.
Ce nouveau tempo technologique va de fait engendrer des cycles générationnels beaucoup plus courts en matière d’armement, qu’il convient désormais d’anticiper dans la planification militaire et industrielle, faute de quoi, ceux qui seront restés sur la certitude qu’un char de combat ou qu’un avion de chasse resteront efficaces et pertinents 30 ans, risquent fort de voir des pays beaucoup plus dynamiques, comme la Corée du Sud, Israël ou la Turquie, leur ravir leur position militaire comme commerciale héritées de la guerre froide.
Menacé par les nouvelles orientations de l’US Air Force autour du programme KCz, l’avionneur Boeing va améliorer les capacités défensives de son KC-46A Pegasus
L’augmentation des tensions et risques de conflit face à des adversaires de premier plan, comme la Chine et la Russie, a amené l’US Air Force à profondément revoir sa stratégie d’acquisition en matière d’appareils de soutien ces derniers mois.
Ainsi, début mars 2023, l’Air Force a annoncé, dans le cadre des auditions parlementaires concernant le budget 2024 du Pentagone, son intention de ramener le volume d’acquisition d’avions ravitailleurs du programme KCy qui devait être lancé prochainement, de 150 à 75 appareils.
L’objectif visé par l’état-major américain, est de libérer des crédits et des ressources pour le programme KCz qui devait permettre d’achever le remplacement des KC-135 Stratotanker et KC-10 Extender, pour s’équiper d’un appareil de nouvelle génération susceptible de pouvoir évoluer dans l’environnement futur des engagements de très haute intensité.
Cette annonce représente une très mauvaise nouvelle pour Boeing, vainqueur de la compétition KCx en 2011, mais dont le KC-46A Pegasus aura été beaucoup plus long, difficile et surtout couteux à concevoir et fiabiliser, obligeant l’avionneur américain à enregistrer de très importantes pertes ces dernières années pour corriger les problèmes.
De fait, pour Boeing, les programmes KCy et KCz représentaient l’unique alternative pour tenter d’absorber les pertes précédentes, et la nouvelle stratégie de l’US Air Force fit voler en éclat ces espoirs, même si celle-ci annonça concomitamment qu’elle entendait ne pas lancer de compétition pour KCy, et simplement commander 75 KC-46A pour maintenir une flotte homogène et réduire les couts.
C’est dans ce contexte que s’inscrit l’annonce faite par Boeing et sa filiale Aurora Flight Sciences, à l’occasion du salon du Bourget ce mardi, selon laquelle l’avionneur avait entrepris de renforcer sensiblement les défenses de son KC-46A, précisément pour lui permettre d’évoluer dans un environnement fortement contesté, et ainsi répondre aux attentes de l’US Air Force.
Malheureusement, l’avionneur est resté très discret quant aux approches technologiques qui seront mises en œuvre pour protéger son appareil. La seule indication dévoilée lors de cette annonce, était que la décision n’avait pas été prise quant à savoir si ces défenses équiperaient directement le KC-46A ou d’autres appareils.
Cette dernière remarque, associée au fait que le KC-46A est déjà équipé d’un système soft-kill évolué composé de détecteurs d’alerte, de brouilleurs et lance-leurres, laisse supposer que Boeing vise désormais à doter l’appareil d’un système hard-kill, c’est-à-dire conçu pour intercepter et détruire directement la menace.
Reste que dans ce domaine, il est probable que Boeing n’a guère d’alternatives au-delà de l’approche poursuivie par le programme SHIELD, qui d’ailleurs est conçu pour équiper les avions de soutien comme leurs appareils d’escorte.
Il faudra donc, pour l’avionneur de Seattle, se montrer des plus convainquant pour espérer amener l’US Air Force à réviser sa position dans ce domaine, alors que d’autres avionneurs, comme Northrop Grumman, ont déjà entrepris de dessiner le futur ravitailleur furtif du programme KCz.