Thales a présenté sa nouvelle munition rôdeuse légère Toutatis, une alternative au Switchblade mais également à le Colibri en développement pour la DGA par Nexter, à l’occasion du salon du Bourget.
Jusqu’à présent, le salon du Bourget 2023 n’a pas été marqué par des annonces fracassantes dans le domaine de l’aviation militaire, si ce n’est la confirmation que le F-35A est toujours sensible aux orages, l’appareil américain ayant annulé en début de semaine ses démonstrations en vol du fait du risque d’orage, et de l’arrivée de la Belgique comme observateur dans le programme SCAF.
Ce n’est pas le cas du domaine des drones militaires de tous types, particulièrement dynamique. Ainsi, le drone MALE Aarok développé en grand secret par la société française Turgis & Gaillard pour le compte de la DGA, est l’une des révélations de ce salon, y compris sur la scène internationale. C’est également le cas du drone italien Falco Xplorer de Leonardo, présenté pour la première fois en version armée sur le salon.
Le salon a aussi été l’occasion pour la société française Thales de présenter sa nouvelle munition rôdeuse, le Toutatis (en illustration principale), un drone léger évoluant dans la catégorie du futur Colibri développé par la MBDA pour le compte de la DGA, doté d’une autonomie de 30 minutes et d’une portée de 10 km, et emportant une charge militaire suffisante pour détruire un blindé léger ou un poste fortifié.
Les munitions rôdeuses légères d’infanterie offrent une capacité de tir indirect de précision forte utile en combat urbain ou masqué, comme pour éliminer les postes de tir retranchés adverses
Contrairement au Colibri, le Toutatis a été développé en fonds propres par Thales et une entreprise spécialisée dont l’identité reste inconnue à ce jour, avec le soutien de l’Agence Innovation de Défense.
Léger, il peut être transporté dans son tube de lancement par un fantassin, à l’instar d’un Switchblade 300 américain, en faisant une alternative intéressante au mortier léger pour accroitre la puissance de feu des unités d’infanterie débarquée, notamment en les dotant de capacités de tir indirect de précision.
Pour l’heure, Thales reste discret quant aux performances de sa nouvelle munition vagabonde, comme au sujet de son état d’avancement. Au mieux sait-on que celle-ci a déjà volé. On ignore en revanche certaines informations clés, comme le type de charge militaire, sa faculté à résister au brouillage, ainsi que la précision de ses systèmes de détection et de visée.
La Switchblade 300 est employée avec succès en Ukraine depuis un an
Au-delà du Toutatis lui-même, cette annonce est révélatrice de l’évolution en cours tant au sein de la DGA que des industriels qui, de toute évidence, se montrent beaucoup plus dynamiques et autonomes qu’ils ne pouvaient l’être dans les années passées.
Reste à voir comment cette initiative sera effectivement valorisée par la DGA dans les mois à venir, d’autant que la munition vient directement en compétition avec la Colibri par ailleurs développée par MBDA pour son compte, sachant qu’une mise en service au sein des armées françaises représente une référence presque indispensable pour s’imposer sur la scène internationale, tout en gardant en mémoire que les compétitions pour lesquels plusieurs industriels français se sont opposés, n’ont que rarement donné des résultats positifs pour la BITD française dans son ensemble.
Pendant près de trois décennies, nombre d’observateurs défense, mais également de militaires et de politiques, ont regretté la passivité européenne dans le domaine des drones militaires, obligeant les armées du vieux continent à acquérir des solutions sur étagère outre Atlantique, mais aussi en Israël.
La situation était telle qu’aujourd’hui, huit des principales armées européennes (Allemagne, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Pays-Bas et Royaume-Unis) mettent en œuvre ou vont mettre en œuvre les drones MALE américains de la famille MQ-9 Reaper, alors que plusieurs autres pays, dont la Finlande et la Pologne, envisagent de le faire.
Une première réponse est apparue au milieu des années 2000 par une initiative franco-britannique qui donna naissance aux démonstrateurs de drones de combat Neuron de Dassault et Taranis de British Aerospace, pour ce qui deviendra le programme FCAS finalement abandonné par Londres après le Brexit en 2017. En 2015, une nouvelle initiative rassemblant l’Allemagne, l’Espagne, la France et l’Italie, vit le jour pour concevoir un drone MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) européen, l’Eurodrone RAPS.
Bien moins onéreux que perçu, l’Eurodrone RPAS offre des performances d’emport et d’endurance très avancées, en faisant une alternative crédible aux drones MALE et HALE haut de gamme américains en Europe et ailleurs
Pou autant, l’offre à court terme en Europe dans le domaine des drones militaires reste aujourd’hui très limitée, en dehors de modèles tactiques comme le Patroller de Safran. Mais les choses vont, semble-t-il, rapidement changer dans les années à venir. Et dans ce domaine, c’est de toute évidence la France qui prend les devants pour se positionner comme un acteur global et central de l’offre européenne en matière de drones de combat.
Depuis quelques semaines, en effet, les annonces dans ce domaine, que ce soit dans le cadre du vote de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, mais aussi autour du salon du Bourget qui se tient du 19 au 25 juin à Paris, se sont multipliées.
La Grèce s’est engagée à acquérir 4 drones tactiques Patroller et 3 stations de contrôle qui seront livrés d’ici à 2025, pour remplacer les drones Sperwer de Sagem employé jusque-là
Ainsi, le ministère des Armées a intégré à la Loi de Programmation Militaire plusieurs amendements concernant le programme Rafale F5 pour amener celui-ci à échéance de 2030, mais surtout pour l’accompagner de la conception d’un drone de combat de type Loyal Wingman inspiré du démonstrateur Neuron. Il s’agit, de fait, de la première annonce de ce type en Europe, même si la Grande-Bretagne avait un temps présenté un programme allant dans le même sens, avant de faire marche arrière.
Ce drone de combat autonome furtif viendra compléter les drones aéroportés furtifs de type Remote Carrier développés par MBDA et Airbus DS dans le cadre du programme SCAF, qui, eux aussi, doivent entrer en service, d’abord à bord des Rafale français et Typhoon allemands et espagnols, d’ici au début de la prochaine décennie.
Dans le cadre du programme SCAF, MBDA développe des drones de combat aéroportés légers Remote Carrier qui doivent entrer en service au début de la prochaine décennie à bord des Rafale et Typhoon européens
Toujours dans le cadre de la LPM 2024-2030, la DGA a notifié aux industriels français, la conception de deux munitions rôdeuses, le Colibri d’une part, piloté par MBDA, une munition d’infanterie à courte portée et endurance limitée de la famille du Switchblade 300, et le Larinae de Nexter, bien plus ambitieux, car doté de 3 heures d’autonomie et d’un rayon d’action supérieur à 80 km.
Dans le cadre du Salon du Bourget, fut présenté le drone MALE « tactique » Aarok, conçu depuis trois ans en grand secret pour la DGA par l’entreprise Turgis & Gaillard. Cet appareil de 5,5 tonnes en charge, capable d’emporter 1,5 tonne pendant près de 24 heures, volera d’ici à 2025. Surtout, il a été conçu pour être performant, mais très économique, avec un prix unitaire inférieur à 10 m€
Le drone MALE AArok français est incontestablement l’une des surprises et des stars du salon du Bourget 2023
De fait, à horizon 2030, l’Europe, et plus particulièrement la France, disposeront, dans leur catalogue, l’ensemble de la gamme des drones de combat modernes, allant de la munition vagabonde au drone MALE à hautes performances, en passant par une panoplie complète de drones de combat furtifs aéroportés ou non.
Outre les capacités opérationnelles que fourniront ces nouveaux systèmes, leur conception concentrée en à peine une dizaine d’années de délais, permettra à la BITD (Baste Industrielle et Technologie Défense) de se mettre à niveau, tant dans le domaine technologique qu’industriels, tout en apportant aux militaires non seulement de nouveaux moyens, mais des opportunités pour effectivement les faire évoluer au fil des enseignements opérationnels.
Quoi qu’il en soit, après de nombreuses années de stagnation davantage liées à des budgets faméliques obligeant à des arbitrages stricts, qu’à l’absence de besoins exprimés par les armées ou de savoir-faire des industriels eux-mêmes (sans quoi ils ne pourraient pas produire une gamme complète en moins de 10 ans), la dynamique semble désormais pleinement engagée en Europe, et tout particulièrement en France, pour s’approprier l’ensemble des technologies et des compétences pour se battre à armes égales, dans ce domaine, avec les leaders du moment américains, israéliens ou chinois.
Le président de l’entreprise d’état, Saudi Arabia Military Industries, a présenté ses ambitions pour faire l’industrie de défense saoudienne un acteur majeur du marché mondial de l’armement d’ici à 2030, à l’occasion du salon du Bourget 2023. Reproduisant le modèle sud-coréen, il entend s’appuyer sur les immenses besoins pour la modernisation des armées du Royaume, pour négocier des contrats avantageux avec d’importants transferts de technologies, ce avec l’ensemble des acteurs du marché aujourd’hui, y compris la Chine et la Russie.
Alors qu’une majorité des gouvernements occidentaux, en particulier en Europe, réduisait leurs investissements industriels de défense suite à l’effondrement du bloc soviétique au milieu des années 90, la Corée du Sud, toujours exposée à la menace de Pyongyang, y vit une opportunité pour developper sa propre industrie de défense, sur la dynamique qui avait déjà permis au pays de devenir un acteur industriel et technologique mondial dans de nombreux domaines depuis une vingtaine d’années.
Comment l’industrie de l’armement sud-coréenne s’est imposée en 30 ans ?
Pour y parvenir, Séoul s’est rapproché de nombreux industriels occidentaux, avec de juteux contrats pour moderniser les forces armées sud-coréennes grâce aux subsides libérés par la croissance soutenue de l’économie du pays.
Séoul a su developper l’industrie de défense sud-coréenne en négociant d’importants transferts de technologies dans le cadre de la modernisation de ses armées.
C’est ainsi que l’Allemagne, la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et même la Russie, signèrent des commandes importantes d’armement dans les années 90 et 2000, une opportunité de taille alors que le marché était par ailleurs atone, même s’il fallait se montrer plus conciliant qu’à l’accoutumée.
En effet, ces contrats étaient accompagnés d’importantes clauses de transferts de technologies, qui permirent aux industriels sud-coréens, en 20 années de temps, de se mettre à niveau des meilleurs équipements occidentaux.
Ces collaborations donnèrent naissance à de nombreux équipements modernes et performants, dont le canon automoteur K9, le char K2 Black Panther, le sous-marin Dosan Anh Changho ou encore les destroyers KDDX III Sejong the Great.
Et même si tous étaient, en partie, équipés de solutions technologiques européennes et américaines, l’industrie de défense sud-coréenne devenait de plus en plus autonome, et surtout prête à exporter.
Aujourd’hui, celle-ci est présente sur de nombreux marchés de Défense, ainsi que dans de nombreuses compétitions, souvent face aux industriels mêmes qui lui permirent d’acquérir les compétences initiales nécessaires pour en arriver là. Par ailleurs, la recherche sud-coréenne a désormais pris le relais pour se passer des derniers équipements occidentaux dans leurs productions.
La stratégie de Ryad pour developper l’industrie de défense saoudienne
Ce succès sud-coréen a, semble-t-il, inspiré les autorités saoudiennes. En effet, dans une interview donnée au site américain BreakingDefense.com dans le cadre du salon du Bourget, le président de la société Saudi Arabia Military Industries ou SAMI, Walid Abukhaled, a détaillé des ambitions, mais également une stratégie, censées amener la société dans le TOP 25 des industriels de défense mondiaux, ainsi que de réduire sous la barrer des 50 % les importations saoudiennes dans le domaine de la défense, et ce d’ici à 2030.
Sans le nommer, cette stratégie, qui s’appuie précisément sur une myriade de contrats à venir pour moderniser les équipements des forces armées saoudiennes, tout en imposant d’importants transferts de technologies et déploiement industriels locaux, est de toute évidence très proche de celle appliquée par Séoul entre 1995 et 2015, avant de prendre son propre envol.
Pour cela, SAMI entend accélérer le déploiement d’infrastructures industrielles et de centre de R & D dans le pays, sur la base des partenariats stratégiques signés avec plusieurs grands groupes industriels de défense comme Lockheed-Martin, Raytheon ou encore Airbus.
Il faut dire que les besoins de modernisation des armées saoudiennes dans les années à venir, sont à l’image du budget colossal confié aux armées du pays, 75 Md$ en 2022 avec objectif d’atteindre 86 Md$ en 2028.
Un immense marché national pour la modernisation des armées saoudiennes
Ainsi, ce sont pas moins de 660 chars M60, 3 000 véhicules de transport de troupe blindés M113, un millier de pièces d’artillerie mobile ou tractée, ainsi que 150 avions de combat Tornado et F-15, ou encore quatre frégates et quatre corvettes qui devront être remplacés dans les années à venir, comme une grande partie des défenses anti-aériennes encore équipées de systèmes Hawk, Crotale et Shahine.
En outre, par la hausse des capacités budgétaires, il est probable que les armées saoudiennes souhaiteront se doter de nouvelles capacités, comme dans le domaine de la projection de puissance avec des LPD/LHD ou des avions de transport lourds comme l’A400M, ainsi que d’une flotte sous-marine et d’une densification de ses moyens spatiaux.
L’industrie de défense saoudienne aura fort-à-faire pour remplacer les quelque 600 chars obsolètes des armées royales du pays.
De fait, il est probable que Ryad deviendra, dans les mois et années à venir, l’un des principaux centres d’intérêt des grands industriels de défense occidentaux, d’autant que les autorités saoudiennes n’entendent pas se limiter à ses partenaires traditionnels, ayant déjà largement ouvert la porte à d’autres acteurs comme la Chine, la Corée du Sud, mais aussi la Turquie et la Russie.
Reste à voir à quel point l’Arabie Saoudite parviendra à effectivement s’imposer, au-delà de son proche marché national, sur le marché mondial de l’armement.
Vers une profonde restructuration du marché mondial de l’armement
En effet, outre les acteurs traditionnels américains, européens, russes et chinois, de nombreux autres pays, Corée du Sud, Israël, Turquie et Inde en tête, semblent, eux aussi, déterminés à s’emparer de ce marché, alors qu’à l’échelle régionale, les Émirats arabes unis et l’Égypte annoncent vouloir suivre une trajectoire similaire.
Dans tous les cas, même si le marché est encore aujourd’hui en tension, et que celles-ci vont le stimuler pendant plusieurs années, il y a fort à parier que d’ici à une quinzaine d’années, il devra se restructurer en profondeur, comme ce fut le cas à la fin des années 1950, la manne des renouvellements étant insuffisante pour assurer la pérennité de l’ensemble de ces acteurs, qu’ils soient historiques ou émergents.
Ce seront probablement les pays et les industriels qui sauront le mieux anticiper et répondre à cette restructuration mondiale qui interviendra probablement entre 2030 et 2040, sauf évènements stratégiques majeurs sur la scène mondiale, qui seront les grands vainqueurs de la dynamique en cours.
Après avoir été évincé du programme HYDEF, le missilier européen MBDA présente un nouvel intercepteur hypersonique pour revenir dans la course au système antimissile européen
En novembre 2019, en réponse aux annonces faites par Vladimir Poutine un an plus tôt concernant l’entrée en service du missile balistique aéroporté Kinzhal alors présenté comme hypersonique, et la prochaine entrée en service du missile basilique stratégique RS-28 Sarmat et de son planeur hypersonique Avangard, le programme TWISTER pour TIMELY WARNING AND INTERCEPTION WITH SPACE-BASED THEATER SURVEILLANCE était lancé dans le cadre de la coopération permanente structurée européenne PESCO.
Mené par la France, ce programme qui rassemble également la Finlande, l’Italie, les Pays-bas et le Portugal, et plus tard l’Allemagne, a pour ambition de développer un système capable de détecter, identifier et suivre les véhicules hypersoniques comme les missiles et les planeurs, par l’association de moyens spatiaux, terrestres et aéroportés.
Deux ans plus tard, l’Union Européenne entreprit de lancer le prolongement logique de Twister, le programme European Hypersonic Defence Interceptor ou HYDEF, afin de développer un intercepteur capable d’engager et détruire les menaces détectées par les systèmes de Twister.
Le missilier européen MBDA, seul acteur européen à avoir effectivement développer un système antibalistique avec l’Aster Block 1 et Block 1NT, pensait alors qu’il dirigerait tout naturellement le programme européen.
De fait, sa surprise fut à la mesure de sa déception lorsqu’en juillet 2022, Bruxelles annonça attribué la conception de l’intercepteur hypersonique européen à un consortium composé de l’Espagne, de l’Allemagne, de la Belgique, la Pologne, la République Tchèque et de la Suède, ainsi que de la Norvège, non membre de l’UE, et surtout d’entreprises ayant sensiblement moins d’expérience et de savoir-faire dans ce domaine que MBDA.
Le choix passé, le missilier européen entreprit de répondre à cet arbitrage déconcertant. De manière discrète, mais non dissimulée, MBDA est ainsi parvenu à rassembler 4 États européens, l’Allemagne, l’Italie, les Pays-Bas et la France pour signer, en marge du salon du Bourget 2023, des Lettres d’Intention pour lancer une phase d’étude concernant la conception d’un ou plusieurs intercepteurs hypersoniques et ainsi tenter de revenir dans la course pour le développement et la production de l’intercepteur hypersonique européen.
Outre les 4 pays européens, MBDA est également à fédérer 19 entreprises et 30 fournisseurs de 14 pays européens venus d’Autriche, Belgique, Croatie, Danemark, Espagne, Estonie, Finlande, Hongrie, Roumanie et de Suède, ainsi que des quatre pays précités.
Baptisé HYDIS2 pour Hypersonic Defense Interceptor System, en référence à HYDIS2 rejeté par Bruxelles précédemment, l’étude durera trois ans, alors que les quatre États membres souhaitent par la suite acquérir cet intercepteur pour équiper leur propre défense antimissile et antibalistique.
Enfin, MBDA et ses quatre soutiens initiaux, entendent bien obtenir du Fond Européen de Défense, des financements européens de sorte à en faire très officiellement une alternative au programme HYDEF préalablement lancé, en pariant probablement sur l’expérience et les compétences supérieures de MBDA et de ses partenaires pour petit à petit venir imposer HYDIS2 au détriment de HYDEF.
Reste à voir, désormais, quels seront les engagements et la détermination des quatre partenaires européens pour soutenir ce programme, et surtout pour lui permettre d’avancer sur un calendrier répondant davantage à l’évolution de la menace qu’à ceux des industriels ou des instances européennes.
Depuis la guerre du Haut-Karabagh en 2020, la plupart des armées mondiales a entrepris de se doter d’un nouveau type d’armement, la munition rôdeuse antichar et de frappe dans la profondeur, également appelées improprement drones suicides.
Faisant la synthèse du drone par sa simplicité d’utilisation, son autonomie, son allonge et sa capacité à rechercher d’éventuelles cibles grâce à ses capteurs tout en gardant l’homme dans la boucle et du missile tactique par sa charge utile et sa capacité de destruction, les munitions rôdeuses Harpy et Harop de facture israélienne mises en œuvre par les militaires azéris, ont détruit, durant cette guerre, plusieurs systèmes anti-aériens et bunkers arméniens, tout en produisant de nombreuses vidéos spectaculaires attestant de cette efficacité.
Depuis le début du conflit en Ukraine, les munitions rôdeuses russes Lancet et comme celles employées par les Ukrainiens tels le Switchblade américain, ainsi qu’un grand nombre de systèmes plus ou moins artisanaux, jouent également un rôle opérationnel important, notamment dans la neutralisation des systèmes d’artillerie mobile à longue portée.
Pour autant, au-delà de la surprise initiale à laquelle les armées des deux camps ont été confrontées suite à l’apparition de ces systèmes difficiles à détecter et à contrer par des équipements traditionnels, leur efficacité a sensiblement diminué ces derniers mois, alors que les parades pour s’en protéger entraient, elles aussi, en service.
Ainsi, le taux d’efficacité des drones à longue portée Geranium russes (Shahed 136) a considérablement diminué une fois la défense antiaérienne ukrainienne organisée pour les contrer.
Le Harop de IAI a montré son efficacité contre les bunkers et défenses anti-aériennes lors de la guerre du haut-Karabagh de 2020
De même, aujourd’hui, selon divers rapports, les forces ukrainiennes perdraient plusieurs milliers de drones légers de reconnaissance et de munitions rôdeuses artisanales chaque mois, en grande partie du fait du brouillage intensif des signaux GPS et des liaisons de données russes beaucoup plus dense et efficace qu’en début de conflit.
De fait, le développement d’une nouvelle munition rôdeuse, qui plus est destinée à équiper une armée conventionnelle de premier rang comme l’Armée de terre française, se doit de répondre à un cahier des charges loin d’être trivial.
Non seulement le drone doit-il avoir une grande autonomie, la capacité d’être mis en œuvre avec une infrastructure très réduite, et emporter des systèmes de communication et de détection optique performants, mais il doit également pouvoir poursuivre la mission en dépit d’un probable intense brouillage, ainsi que d’importer une importante charge militaire capable de détruire la cible visée, souvent des véhicules blindés.
C’est précisément ce cahier des charges qui est à l’origine de la munition rôdeuse à longue portée Larinae, un des deux projets de ce type avec la munition rôdeuse tactique Colibri, dont le développement rapide a été annoncé par la DGA, il y a quelques semaines.
Le Stryx 425 de EOS technologies a une autonomie de 3 à 5 heures à une vitesse de croisière de 75 km/h, un rayon d’action de 80 km et peut emporter une charge de 1,5 kg. Il est lancé à la main et peut être récupéré après la mission. Son moteur ne peut être entendu qu’à une distance inférieure à 300m, alors qu’il peut évoluer jusqu’à 5000 m d’altitude
Pour y répondre, elle a constitué une équipe rassemblant trois spécialistes de leurs domaines respectifs sous le contrôle de KNDS-Nexter qui assure le pilotage du programme. Ainsi, le drone est ses systèmes de contrôles seront développés par EOS Technologie, particulièrement reconnue pour ses drones à autonomie étendue par énergie solaire, mais également par ses avancées dans le domaine de la discrétion acoustique de ses modèles donnés pour être 30% moins bruyants que les modèles concurrents.
La navigation et la résistance au déni d’accès, par brouillage ou spoofing du signal GPS, ont été confiées à la société TRAAK, qui développe de longue date des systèmes de navigation et de géolocalisation pour la défense et l’industrie, y compris en environnement dégradé.
Enfin, la conception de la charge militaire, qui devra non seulement venir perforer le blindage de la cible, mais également franchir les différents systèmes de défense actifs (Système hard-kill, brique active) ou passifs (grillage de protection..), a été confié à Nexter Arrowtech, filiale de KNDS-Nexter.
Cette concentration de compétences doit permettre de concevoir, d’ici à la fin de l’année 2024, une munition rôdeuse aux performances remarquables. En effet, le Larinae doit pouvoir tenir l’air pendant 3 heures et évoluer jusqu’à 80 km de la station de contrôle, ce qui représente plus ou moins la portée électromagnétique maximale pour une station dotée d’une antenne de 2 mètres de haut, et un drone évoluant à plus de 300 mètres du sol, en supposant un terrain plat.
Nexter Arrowtech est la division munition du groupe industriel français spécialisé dans la conception de systèmes de combat terrestres
L’optronique embarquée doit permettre de détecter une cible de la taille d’un char à 15 km de distance de jour, et à 3 km de nuit. La munition, comme dit précédemment, devra être en mesure de franchir un système de défense actif, y compris de type hard-Kill, pour détruire un véhicule blindé, y compris un char.
Enfin, si le drone devait ne pas trouver de cibles au cours de sa mission, il doit pouvoir revenir à son point de départ, se poser verticalement pour être reconditionné et employé à nouveau au besoin, l’opérateur ayant la possibilité de simplement désactiver la charge militaire au besoin pour éviter les accidents.
Au-delà de ces ambitions technologiques et opérationnelles, le Larinae est également l’occasion pour la DGA d’innover dans la méthode employée pour piloter le programme lui-même, laissant une plus grande autonomie aux industriels en matière d’organisation et de collaboration, mais en imposant des exigences de délais, de performances et de prix strictes, se voulant une réponse à l’évolution de la réponse industrielle à celle de la menace internationale, en application de l’objectif « d’économie de guerre » mis en avant par l’exécutif français.
Reste à voir à quel point le cahier des charges aura su encadrer efficacement ce besoin, notamment pour ce qui concerne les aspects de transportabilité et de déploiement, alors que désormais, une distance de 80 km ne représente plus une protection efficace contre l’artillerie adverse.
Notons qu’en fonction des arbitrages qui seront faits dans ce domaine, le Larinae pourra représenter une alternative intéressante bien au-delà de l’Armée de terre, par exemple pour renforcer les capacités de frappe des navires de surface ou pour étendre les capacités des drones de combat.
beaucoup de véhicules blindés pourront mettre en oeuvre, dans les années à venir, des munitions rôdeuses ou des drones de reconnaissance, comme ici un Hero 120 lancé à partir dune VCI KF-41 Lynx de Rheinmetall
Pour autant, le programme Larinae, comme son pendant à courte portée Colibri, sont au cœur d’une réelle mutation en cours au sein de la DGA, mais aussi de l’ensemble de l’industrie de défense française, qui pourrait effectivement laisser derrière la période post-guerre froide et des bénéfices de la paix, et ainsi s’engager dans une nouvelle approche plus dynamique, on pourrait parler de tempo, répondant aux évolutions stratégiques et technologiques en cours.
S’il est un site internet qui a joué un rôle stratégique depuis le début du conflit en Ukraine, c’est incontestablement oryxspioenkop.com, plus connu sous le nom Oryx. En effet, depuis les premières heures de combat, le site et son équipe de bénévoles, ont méthodiquement analysé et répertorié les photos, vidéos et documents publiés sur les réseaux sociaux, pour créer une base de données des pertes en matériels des deux camps.
Bien que le site existe depuis 2014, et qu’il avait déjà été remarqué lors de la guerre du haut-Karabagh en 2020 en menant une analyse exhaustive des pertes répertoriées aussi bien du côté azéri qu’arménien, c’est incontestablement le conflit ukrainien qui le propulsa sur le devant de la scène, au point qu’il est devenu la référence de prédilection de nombreux médias, mais également de décideurs politiques de premier rang.
La durée de cette guerre, et le travail colossal lié aux immenses pertes enregistrées par les forces russes et ukrainiennes, finirent cependant par éroder la détermination des auteurs, qui se sont cependant engagés à poursuivre l’analyse jusqu’au mois d’octobre, avec le mince espoir que les combats auront fini d’ici là.
Le site Oryx a répertorié et classifié plus de 15.000 matériels détruits au cours du conflit en Ukraine
Au-delà d’une source d’information remarquable pour qui voulait se tenir informé autour de ce conflit, le site Oryx fut aussi un outil de premier plan pour venir contrer la propagande et les dénégations sur les pertes enregistrées de part et d’autres, privant le Kremlin de nombreux leviers après d’une certaine audience captive en Europe comme outre-Atlantique, et même au-delà.
Le fait est, il ne fait guère de doute, que cette source aura été l’initiative de contre-propagande la plus efficace menée du côté occidental durant ce conflit, d’autant que sa nature indépendante en garantissait l’objectivité et donc la portée statistique, mais également politique.
De ce fait, sa disparition annoncée va considérablement affaiblir la posture occidentale sur la netosphère, et auprès d’une opinion publique particulièrement malléable, bien plus efficacement que ne le firent les différentes initiatives menées dans ce domaine par les États eux-mêmes.
À ce titre, on peut se demander s’il ne serait pas d’intérêt public, à l’échelle de l’Union Européenne ou de l’OTAN, de contacter les auteurs de sorte à mettre en œuvre un cadre préservant l’autonomie et l’indépendance du traitement, mais leur conférant un accompagnement financier suffisant pour maintenir le service tout en permettant à ses membres d’en faire une profession « de service public » ?
Toutes les statistiques présentées par le site sont finement documentées et contre-vérifiables, leur conférant un important crédit
Dans le cas contraire, on peut être certain qu’à peine le site cessera sa veille et son analyse, que les chiffres les plus fantaisistes concernant les pertes de matériels russes, mais également sur les pertes des forces ukrainiennes désormais équipées de matériels occidentaux, envahiront les réseaux sociaux puis les médias, en Europe comme aux États-Unis, avec des effets forts dommageables sur les opinions publiques.
De fait, il serait plus que bénéfique, mais pareillement efficace, qu’une instance européenne, voire nationale, vienne à se rapprocher de l’équipe éditoriale, pour transformer ce qui n’a que trop duré comme une initiative personnelle et désintéressée, en un service de référence au bénéfice des médias et de l’opinion publique occidentale, ainsi que de la lutte contre la propagande adverse.
Cela ne couterait probablement pas bien cher, ce ne serait certainement pas bien compliqué, alors qu’il est très aisé d’imaginer ce que la disparition d’un tel service engendrerait dans les mois à venir…
Si, suite à l’agression russe contre l’Ukraine, l’année 2022 fut principalement placée sous le spectre de l’augmentation des efforts de défense, presque partout en Europe, 2023 pourrait bien présenter un visage bien différent, susceptible de décevoir les planificateurs militaires.
En effet, depuis le début d’année, les rapports se multiplient quant aux difficultés rencontrées par les armées occidentales, en particulier en Europe et aux Etats-Unis, pour recruter les effectifs nécessaires aux renouvellement des forces, rendant très délicate l’application des ambitions de croissance évoquée précédemment.
C’est notamment le cas de la Bundeswehr qui est engagée dans un effort pour amener ses effectifs de 183.000 militaires aujourd’hui, à 203.000 d’ici 10 ans pour répondre à l’évolution de la menace, et qui pour cela, verra son budget augmenter de presque 35% dans les années à venir pour atteindre les 2% de PIB requis par l’OTAN.
Or, celle-ci rencontre déjà d’importants problèmes pour simplement maintenir ses effectifs, alors que le nombre de candidats sur les 12 dernières mois a diminué de 11% vis-à-vis de la période précédente marquée par une recrudescence des candidatures après la crise Covid.
La Bundeswehr a vu les candidatures diminuer de 11% ces derniers mois pour la rejoindre
En outre, un tiers de ses effectifs actuels auront quitter le service dans les 7 ans qui viennent, rendant le défi des plus difficile à relever pour le commandement allemand, qui multiplie les initiatives pour tenter de venir au contact de la jeunesse pour faire naitre des vocations, sans grands succès cependant.
Il en va de même de la Royal Navy, pourtant une institution outre-Manche, qui se voit aujourd’hui exposée à un solde négatif en terme d’effectifs, du fait d’une augmentation sensible des démissions depuis l’épisode Covid, alors que les candidatures ont, elles, diminué de 25% par rapport à la période précédente, avec certaines spécialités sous forte tension, notamment du fait de la concurrence du marché de l’emploi en forte demande.
Les autres spécialités se voient, quant à elles, allouer des primes de reconduction pouvant atteindre 50.000 $, à l’exception des pilotes qui, eux, reçoivent une prime de 34.000 $ par an pour la signature d’un nouveau contrat d’engagement, sensiblement identiques à celles offertes par l’US Air Force et l’US Marines Corps.
Les pilotes militaires US reçoivent une prime de réengagement de 35.000$ par an pour ne pas rejoindre l’aviation civile.
Le fait est, entre une natalité en chute libre, la concurrence du marché de l’emploi civil, et une appétence moindre pour les contraintes liées à la vie militaire, il est probable que dans les années à venir, il sera difficile, pour ne pas dire impossible, aux armées occidentales de maintenir leurs effectifs, et les hausses budgétaires ne seront guère d’un grand secours dans ce domaine.
Dès lors, la planification militaire qui prépare aujourd’hui la réalité des 10 à 20 années à venir, va devoir résoudre une équation des plus difficiles, alors que simultanément, les tensions mondiales ne cessent de croitre, et que le rôle de la masse dans la résilience des forces a été remis en évidence de manière incontestable par le conflit en Ukraine.
L’APL rencontre elle aussi des difficultés en matière de ressources humaines
De même, en Russie, les campagnes de recrutement pour les Armées ne parviennent pas à compenser les pertes enregistrées en Ukraine, obligeant celles-ci, après que ce fut fait par Wagner, à recruter dans les prisons. Pour autant, les pays peu ou non démocratiques, disposent le plus souvent de moyens de coercition bien plus efficaces qu’en occident, pour remplir leurs quotas militaires.
Dans tous les cas, il est probable, comme nous l’avions abordé dans un précédent article, que les Ressources Humaines seront bien, dans les années à venir, la contrainte la plus critique dans le dimensionnement et l’efficacité des forces armées, et ce partout sur la planète.
Les technologies de navigation alternatives au GPS sont désormais une priorité pour les armées. Dans ce domaine, le compas quantique développé par la Royal Navy représente une solution performante.
Si le Système de Positionnement Global, ou GPS, et plus généralement les systèmes de navigation par satellite, ont révolutionné l’action militaire dans de très nombreux domaines ces 30 dernières années, la nature même du système, qui repose sur des signaux électromagnétiques émis par des satellites, est également devenue une vulnérabilité d’autant plus importante que cette technologie est aujourd’hui très massivement répandue dans de très nombreux équipements militaires.
Mais le Graal, pour ce type de système, repose sur une autre technologie, celle du compas quantique. Celui-ci repose, en quelque sorte, sur le principe de la centrale inertielle, puisqu’il permet de détecter les variations du vecteur vitesse du système, et partant de là, d’en déterminer sa position relative à une position d’origine.
Les armées russes disposent de nombreuses stations de brouillage destinées à priver un espace de signaux GPS fiables, comme le Krazuka-4.
Mais là où les centrales à inertie les plus précises du moment, notamment celles qui équipent les sous-marins nucléaires évoluant par définition dans un environnement privé de signaux GPS, doivent être recalées à intervalles réguliers, le plus souvent à l’aide d’un positionnement satellite, pour garder une précision de travail satisfaisante, le compas quantique est quant à lui beaucoup plus résilient, et surtout beaucoup plus sensible, de sorte que la dérive qu’il subit dans le temps, est considérablement plus réduite.
Concrètement, un compas quantique bombarde, à l’aide d’un laser, des atomes refroidis à une température très proche du zéro absolu, afin qu’ils entrent en situation de duplication quantique, un même atome ayant simultanément un état fixe dans le référentiel et mobile dans un autre. Il suffit alors de mesurer avec précision l’écart entre les deux états pour déterminer l’accélération subie, et en déterminer la variation du vecteur vitesse et, de fait, de la position.
Cette technologie n’est pas, à proprement parler, nouvelle. Déjà, en 2011, une équipe française équipa une A300 d’un système de ce type, notamment pour étudier l’élimination des accélérations parasites dans un système mobile, et ainsi obtenir une position exacte. Depuis, de nombreux travaux, bien que peu médiatisés, ont été réalisés à ce sujet, spécialement par la DARPA aux États-Unis, mais également par l’Imperial College de Londres.
Les compas quantiques nécessitent une installation complexe et imposante, ainsi que gourmande en énergie
Très peu d’informations ont filtré de ces essais. Au mieux, sait-on qu’il s’agit, pour la Royal Navy, de développer ce système comme une alternative au positionnement satellite à bord des navires de surface, mais aussi et surtout de ses sous-marins nucléaires, cette technologie étant par nature aussi efficace sous l’eau qu’au-dessus.
Reste qu’il demeure encore probablement beaucoup de temps avant que ces nouvelles centrales à inertie quantique, prennent place à bord des navires britanniques. Si d’un point de vue théorique, l’approche est relativement bien comprise, son application technologique est beaucoup plus complexe, notamment du fait qu’il soit nécessaire de créer un vide parfait autour des atomes de rubidium employés pour atteindre la différenciation quantique, pour éviter toute contamination des mesures effectuées par des particules parasites.
Le XV Patrick Blackett est le navire expérimental de la Royal Navy sur lequel le compas quantique de l’Impérial College a été testé
Le potentiel offert par les compas quantiques, plutôt pour évoluer dans un environnement privé de signaux GPS fiables, est très important. Pour autant, la géolocalisation satellite demeurera encore longtemps au cœur de l’action militaire pendant de nombreuses années, du fait de sa simplicité d’utilisation et de sa légèreté, lui permettant de prendre place au sein d’équipements très réduits, là où les besoins en termes d’espace et d’énergie nécessaires pour mettre en œuvre un compas quantique, sont bien plus importants.
En d’autres termes, plutôt qu’une alternative à la navigation GPS, le compas quantique va probablement représenter, pour un temps au moins, une alternative aux centrales à inertie dans les équipements en étant dotés, comme les navires et les aéronefs.
Depuis son lancement officiel en mai 2015, le programme européen de drone de combat Moyenne Altitude Longue Endurance (MALE) Eurodrone RPAS (Remotely Piloted Aircraft System), est très régulièrement l’objet de nombreuses critiques, notamment en France, tant de la part des politiques que de certains militaires et médias spécialisés.
Pour ses détracteurs, l’Eurodrone RPAS, avec son budget de 7 Md€ pour 20 systèmes de trois appareils chacun, mais également du fait de sa configuration bimoteur et de sa masse deux fois plus importante que celle des autres drones de ce type, est jugé trop lourd, trop complexe et surtout trop onéreux, notamment face aux systèmes équivalents américains et israéliens qui par ailleurs multiplient les actions de communication pour amplifier cette perception.
De fait, l’image du système, et plus globalement celle de l’ensemble du programme, est aujourd’hui le plus souvent très détériorée, y compris auprès de certains de ses utilisateurs potentiels, alors que dans le même temps, Airbus DS qui pilote le programme, ne semble pas produire particulièrement d’efforts pour tenter de corriger cette situation pourtant préoccupante.
Pourquoi l'Eurodrone RPAS est-il bien plus prometteur que perçu ? 29
La défiance est toute particulièrement intense en France, sous l’action conjuguée d’opérationnels acquis aux offres de General Atomics pour diverses raisons, de médias souvent hostiles au programme lui-même, et d’une opinion prompte à rejeter les programmes en coopération, surtout avec l’Allemagne.
Pour ne rien arranger, l’arbitrage pour la propulsion du drone en faveur du turbopropulseur Catalyst de facture italienne, mais de conception américaine, aux dépens de l’Ardiden de Safran, premier turbopropulseur de conception européenne, aura renforcé sensiblement ce rejet.
Pourtant, une analyse factuelle des performances et spécificités qui seront offertes par l’Eurodrone, comme des avancées et opportunités technologiques et industrielles qui résulteront de ce programme, ainsi que des couts réels qui encadrent ce programme, présente une vision bien différente de celle généralement véhiculée autour du système, notamment vis-à-vis des offres concurrentielles.
Les performances et capacités opérationnelles de l’Eurodrone RPAS
Une première incompréhension autour de l’Eurodrone concerne son cahier des charges. En effet, le système n’a pas été conçu pour répliquer les performances d’un drone comme le MQ-9 Reaper américain, mais pour apporter d’importantes plus-values vis-à-vis de ces systèmes.
C’est ainsi que l’appareil européen dispose d’une puissance moteur deux fois plus importante que celle de l’appareil américain, lui offrant par exemple une vitesse de croisière presque 100 km/h plus élevée, ainsi qu’une capacité d’emport globale, celle-ci comprenant le carburant, les systèmes embarqués et l’armement, supérieure. Surtout, la consommation spécifique vis-à-vis de la masse transportée, est très en faveur de l’appareil européen.
Concrètement, l’Eurodrone va plus vite sur sa zone de patrouille, peut y rester sensiblement plus longtemps, et transporter un ensemble de systèmes et d’armement plus important que celui de ses concurrents américains ou israéliens comparables.
L’Eurodrone est appelé à jouer un rôle majeur au sein du système de combat aérien du futur européen, ou SCAF
En outre, la configuration bimoteur, imposée par l’Allemagne pour des raisons contestables d’intégration dans le trafic civil, apporte dans les faits d’importantes plus-values, notamment pour décoller et atterrir dans de mauvaises conditions (basse pression, hautes températures), tout en réduisant considérablement les risques de perte de l’appareil en cas de panne.
Loin d’être anecdotique, cette sécurité que confère la configuration bimoteur, aura une influence considérable sur les couts de possession des systèmes. Rappelons à ce sujet qu’entre 2015 et 2022, une trentaine de MQ-9 Reaper sur les 250 en service au sein de l’US Air Force, a été impliquée dans des incidents ayant entrainé à plus de 50% la destruction de l’appareil.
En effet, la plupart de cette attribution eurent lieu lors des phases d’atterrissage et de décollage, notamment en Afghanistan (haute altitude, haute température), ainsi que du fait de problèmes mécaniques ou électriques en phase de vol. Dans ces conditions, la configuration bimoteur, qui répond précisément à ces risques, permettra de considérablement réduire une attrition planifiée loin d’être négligeable, de l’ordre de 1% par an.
Des enjeux industriels, technologiques et commerciaux stratégiques
Il n’aura échappé à personne que les européens, dans leur ensemble, avaient pour ainsi dire « raté » le virage des drones militaires qui émergea au début des années 90 de manière évidente avec l’arrivée du MQ-1 Predator américain. Et de fait, à ce jour, il n’existe aucune offre comparable au GASI MQ-9 Reaper (USA), Baykar Akinci (Turquie), IAI Eitan (Israel) et autre CAIG Wing Loong II (Chine) sur le vieux continent.
Pour cela, le programme Eurodrone n’a pas pour seule fonction de concevoir une alternative européenne à ces systèmes, mais également de permettre aux industriels européens d’acquérir, dans une fenêtre de temps très réduite, l’ensemble des compétences qu’il fallut 30 ans aux États-Unis pour développer, représentant donc un véritable investissement sur l’avenir, dont les effets se feront ressentir bien au-delà du programme lui-même.
Le choix du turbopropulseur Catalyst conçu par l’américain GE, a terni l’image de l’Eurodrone notamment en France. Notons toutefois que rien n’exclut à l’avenir que l’appareil puisse être équipé de l’Ardiden de Safran, les deux moteurs ayant des performances et des dimensions comparables.
Ces compétences technologiques et industrielles auront de multiples ramifications, notamment au sein du programme SCAF qui rassemble 3 des 4 acteurs de l’Eurodrone, Airbus DS Allemagne et Espagne, ainsi que Dassault Aviation, aux côtés de l’Italien Leonardo, alors même que l’appareil prendra pleinement place dans le système de systèmes de combat aérien européen à venir.
Outre ces aspects, l’Eurodrone, une fois en service, sera probablement attractif sur la scène internationale, spécialement en Europe, de sorte à accroitre l’autonomie stratégique européenne et de diminuer la dépendance aux systèmes importés, américains ou israéliens. Au-delà des frontières européennes, l’arrivée d’un système compétitif de ce type qui ne soit pas américain, pourrait également permettre d’encadrer l’implantation de systèmes russes, iraniens ou chinois dans certains pays.
Un prix bien plus compétitif que perçu
Reste évidemment, pour rendre attractif le système au-delà des quatre pays membres du programme, à ce que l’Eurodrone soit compétitif en termes de prix. Dans ce domaine, beaucoup d’informations erronées circulent depuis plusieurs années, notamment un prix unitaire du drone supérieur à 100 m€, trois fois plus onéreux qu’un Reaper.
Toutefois, ce montant, obtenu en divisant le budget global de 7 Md€, par le nombre d’appareils qui seront produits, n’a tout simplement aucune valeur de comparaison. En effet, ce « tarif » intègre les couts de développement alors que, comme dit précédemment, le programme est l’occasion pour les européens de rattraper en 10 ans les 30 années de retard technologique vis-à-vis des États-Unis dans ce domaine.
Dit autrement, si l’ensemble des couts de développement ayant permis l’émergence du MQ-9B Skygardian devaient être intégrés au prix unitaire du drone, celui-ci aussi, dépasserait sans le moindre doute lui aussi les 100 m€.
Les drones de combat sont vendus en tant de que systèmes complets, intégrant, outre le plus souvent trois drones, un poste de pilotage et une station de communication. Ici, le poste de contrôle d’un MQ-9 Reaper de l’USAF.
Il convient donc de comparer les systèmes à périmètre identique, comme ce sera le cas des « nouveaux clients » de l’Eurodrone. Et là, surprise, les choses sont bien différentes. En effet, renseignements pris, le système coûterait entre 120 et 130 m€, ceci intégrant la station de contrôle, la station de communication par satellite, ainsi que trois drones.
Or, ce prix est identique à celui du MQ-9B tel que proposé aujourd’hui. Mieux, ce tarif porte sur des Eurodrones équipés, c’est-à-dire intégrant l’ensemble des systèmes de communication (y compris par satellite), le radar à synthèse d’ouverture, et le système optronique, là où la configuration proposée par GASI pour le MQ-9B est plus floue.
À ce tarif de toutes évidences compétitif, s’ajoute pour les pays participants au programme, un retour budgétaire moyen de l’ordre de 50%, appliqué non seulement aux travaux de R&D de conception et à la fabrication des systèmes commandés, mais également aux éventuels systèmes qui seraient par la suite exportés vers d’autres utilisateurs.
Rappelons, à ce titre, que le prix de revient du Rafale en 2014 pour les finances publiques françaises dépassait les 200 m€, déduction faite d’un retour budgétaire de 50%, alors qu’il est désormais inférieur à 50 m€, et probablement moins, sur la base du carnet de commande export à ce jour, soit beaucoup moins que n’aurait couté l’acquisition d’appareils importés…
Une réponse à de nombreux besoins en devenir
Si l’Eurodrone est, on le voit, un système pertinent aujourd’hui, il le deviendra bien davantage dans les années à venir. En effet, à la différence de systèmes acquis sur étagère, les utilisateurs et industriels européens auront la possibilité de parfaitement maitriser l’ensemble de l’offre qui encadre le système, notamment dans le domaine de son évolution pour répondre à des besoins à venir.
Alors que le système deviendra un composant clé du système de systèmes du SCAF, notamment pour assurer la connectivité de l’ensemble des éléments appartenant à ce programme, il dispose également d’un très important potentiel d’évolution, notamment du fait de sa motorisation offrant une réserve de puissance tant pour emporter de nouveaux équipements que pour les alimenter en puissance électrique.
L’Eurodrone et le nouvel Aarok présenté lors du salon du Bourget 2023, se complètent parfaitement en termes de performances, de capacités opérationnelles, mais également d’offre commerciale
Ainsi, entre sa vitesse élevée, sa capacité d’emport suffisante pour emporter des torpilles légères et des bouées acoustiques, et sa consommation spécifique faible, le drone constitue une excellente plateforme pour épauler les appareils de patrouille maritime, notamment pour les missions à longue distance, de sorte à venir compléter les capacités des avions dédiés à cette mission.
Bien évidemment, des adaptations spécifiques pour remplir ce type de missions seraient nécessaires, induisant des couts et des délais, mais là encore, au-delà de la réponse à un besoin immédiat, la mise en œuvre d’un système propriétaire capable d’évoluer pour répondre spécifiquement aux besoins et contextes technologiques, eux aussi, en évolution rapide, apporterait une très importante plus-value opérationnelle.
Conclusion
On le voit, l’Eurodrone RPAS, s’il n’est pas un système parfait ni adapté pour répondre à tous les besoins, ce que d’ailleurs aucun système n’est capable de faire, est beaucoup plus prometteur qu’il n’y parait. Surtout, il apparait que beaucoup d’idées reçues entourant ce programme, notamment en termes de couts, qui contribuent à former un certain rejet du système, n’ont pas de fondement au-delà de mal entendus ou de conclusions erronées basées sur certains biais de confirmation.
Il convient de se rappeler, à ce titre, qu’un autre appareil était, en son temps, largement critiqué pour ses couts et sa complexité, le Rafale de Dassault Aviation. Ainsi, au début des années 90, l’ensemble de l’état-major de l’aéronautique navale française était vent-debout contre le nouvel appareil, lui préférant largement l’offre faite alors par l’US Navy pour l’acquisition de F/A-18 Hornet d’occasion afin de remplacer les Crusader de la 12F et les Etendard IVP de la 16F, à un tarif sans concurrence.
Quelques années plus tard, à la fin des années 2000, c’était le ministre de la Défense, Hervé Morin, qui estimait publiquement que le Rafale était trop complexe et trop cher, aussi bien pour les armées françaises que pour l’export, après les échecs au Maroc et au Brésil qui d’ailleurs n’avaient rien à voir avec l’appareil ni son prix.
La menace sur le devenir du chasseur bimoteur français était telle que Dassault prit prétexte de l’échec du Mirage 2000-9 lors de la compétition en Pologne, pour démonter la ligne de production du monomoteur, craignant que les autorités françaises de l’époque ne se tournent vers cet appareil plutôt que de poursuivre le programme Rafale.
Beaucoup des raisonnements et des critiques de l’époque au sujet du Rafale apparaissent erronées aujourd’hui face au franc succès opérationnel et commercial de l’avion de combat français. Pour autant, ce sont souvent les mêmes qui aujourd’hui sont appliquées vis-à-vis du programme Eurodrone, et ce, à de nombreux niveaux. De toute évidence, nombre de ces critiques sont infondées, et l’Eurodrone RPAS mérite probablement une bien meilleure considération sur la scène publique, notamment en France.
Dans le communiqué danois, la décision de se tourner vers le système israélien pour armer un bataillon d’artillerie de l’Armée danoise, reposait sur des conditions financières et un calendrier le livraison plus compétitifs de l’industriel israélien, face aux offres de ses concurrents européens, le français Nexter avec le Caesar 8×8, et le suédois Bofors avec l’Archer.
Mais il semblerait que d’autres facteurs aient été à l’œuvre dans cette décision, bien moins objectifs. C’est en tout cas ce qu’avance le site d’information politique danois Altinget, dans un article publié le 16 juin. Selon celui-ci, l’ensemble de la compétition menée tambours battants par le ministre de la Défense et vice-premier ministre du pays, Jakob Ellemann-Jensen, l’aurait été avec un évident biais pour favoriser l’offre israélienne.
Copenhague a commandé les Atmos israéliens après avoir pris la décision de transférer ses 18 Caesar 8×8 récemment acquis en Ukraine. On eut pu penser que l’industriel français Nexter aurait eu un avantage concurrentiel dans la nouvelle compétition, les militaires danois étant déjà formés à la mise en œuvre de ces systèmes
Dans son enquête, le site danois s’est basé sur de nombreux documents, emails et notes, parfois confidentiels, ainsi que sur des entretiens avec les parties prenantes de cette décision. Selon ces documents, le vice-ministre danois aurait présenté une vision biaisée et même occasionnellement faussée aux parlementaires danois, pour promouvoir la sélection de l’Atmos.
Qui plus est, celui-ci aurait artificiellement créé un phénomène d’urgence pour amener les parlementaires à précipiter leur décision, mais également pour priver les concurrents du système Atmos, de la possibilité de répondre correctement aux attentes exprimées par l’Armée danoise.
Outre le ministre Jakob Ellemann-Jensen, il apparait également que la société israélienne aurait partie liée avec plusieurs hauts responsables de l’armée danoise, et ce, depuis un certain temps, de sorte que l’ensemble de la compétition n’en aurait jamais été une, et que tout fut fait pour présenter l’Atmos comme l’unique option acceptable par Copenhague.
Il est probable que l’article de Altinget aura d’importantes répercussions dans le pays, alors que Jakob Ellemann-Jensen est également à la tête du parti libéral largement qui a été très affaibli après les élections législatives de novembre 2022.
l’Archer du voisin suédois participait également à la compétition, et pouvait mettre en avant la proximité géographique et stratégique des deux pays pour promouvoir son système
En effet, même s’il reste dans la coalition de gouvernement avec le parti social démocrate de la première ministre Mette Frederiksen, le parti libéral danois a perdu près de la moitié de ses sièges au parlement lors de cette échéance électorale, au profit du parti des Modérés de centre-droit créé en juin 2022 par l’ancien premier ministre Lars Løkke Rasmussen aujourd’hui Ministre des Affaires étrangères, et qui est entré au parlement, ainsi que dans la coalition de gouvernement, avec 16 des 20 sièges perdus par le parti libéral.
Quoi qu’il en soit, sur la base des révélations faites par le site danois, qui par ailleurs reproche à l’Atmos d’avoir été employé contre les Palestiniens par l’Armée israélienne, mais aussi contre les Arméniens par les forces azéris en 2020, on peut s’attendre, au-delà d’une très probable crise politique au Danemark, à une protestation officielle de la part des deux industriels européens impliqués dans cette compétition.