mercredi, décembre 3, 2025
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La Marine pakistanaise prend possession de ses deux dernières frégates Type 054A/P chinoises

Longtemps soutenu par les Etats-Unis, le Pakistan est aujourd’hui l’un des plus proches alliés de la République Populaire de Chine, et le plus important client international de son industrie de défense. C’est ainsi que ces dernières années, Islamabad a commandé à Pékin 300 chars de combat VT-4 (plus une option sur 160 exemplaires supplémentaires) dont la livraison doit débuter cette année, mais également 236 canons de 155mm sur camion PCL-181 ainsi que d’avions de combat J-10C, alors que les deux pays collaborent à la conception et la production du chasseur léger JF-17 thunder.

C’est également le cas pour la marine pakistanaise, qui a commandé en 2015 8 sous-marins à propulsion anaérobie AIP Type 039A formant la classe Hangor dont la livraison débutera en 2025, et plus récemment, en 2018, 4 frégates de lutte anti-sous-marine Type 054A/P (P pour Pakistan), dont les deux premières unités ont été livrées en 2021 et 2022, et dont les deux derniers navires de ce qui forme désormais la classe Tughril, viennent de lui être livrés lors d’une cérémonie qui s’est tenue ce mercredi au sein des chantiers navals Hudong Zhonghu de Shanghai.

Longue de 134 mètres pour un maitre-bau de 16 mètres pour un déplacement de 4000 tonnes à la mer, le classe Tughril reprend la presque totalité des capacités du type 054A dont la Marine de l’Armée Populaire de Libération aligne déjà 30 exemplaires, alors qu’un nouveau lot de navires de ce type est en construction. Le frégate met notamment en oeuvre un radar 3D à antennes électroniques à face plane AESA SR2410C, comparable au Smart-s de Thales, ainsi qu’un radar basse fréquence Type 517 efficace pour la détection des cibles à faible observabilité. En matière de lutte anti-sous-marine, il est également bien paré avec un sonar de coque MGK-335 et un sonar tracté H/SJG-206 d’écoute basse fréquence. En revanche, le navire semble dépourvu de sonar à profondeur variable indispensable pour la lutte anti-sous-marine en haute mer et par grande profondeur.

Islamabad a commandé à Pékin la construction de 8 sous-marins conventionnels équipés d’une propulsion anaérobie type Stirling Type 039A, dont la première unité doit être livrée en 2025

En terme d’armement, les frégates de la classe Tughril mettent en oeuvre, outre un canon principal H/PJ-26 de 76 mm, 4 missiles anti-navires CM-302, version export du missile de croisière supersonique anti-navire YJ-12 chinois d’une portée estimée à 280 km et dont la vitesse évolue de Mach 1,5 lors du transit à Mach 3 en phase terminale. La défense anti-aérienne du navire est assurée par 32 missiles LY-80N, version export du HHQ-16 lui même dérivé du Buk russe, d’une portée de 40 à 50 km, placés en silos verticaux à l’avant du navire, ainsi qu’à 2 systèmes CIWS de 30 mm Type 1130 de protection anti-missile rapprochée. En matière de lutte anti-sous-marine, le navire dispose de 2 tubes lance-torpilles pour torpilles anti-sous-marines légères Yu-7 dérivées de la WASS italienne, ainsi que de deux lance-roquettes anti-sous-marines Type 87. Enfin, la frégate met en oeuvre un hélicoptère naval Z-9C, en faisant un bâtiment à la fois moderne, bien armé et polyvalent.

Les 4 frégates de la classe Tughril représentent un bon capacitaire considérable pour la flotte de surface pakistanaise, notamment vis-à-vis des frégates des classes Tariq (Type 21 britanniques) et O.H Perry qu’ils remplacent, mais également des 4 frégates de la classe Zulfiquar acquises auprès de la Chine à la fin des années 2000. Celle-ci s’est d’ailleurs engagée dans la conception d’une frégate nationale, la classe Jinnah, qui prévoit de construire 6 navires sur la base des acquis technologiques et industriels hérités de la construction des 4 corvettes de classe Badur dérivées de la classe Ada turque. Reste que pour soutenir cet effort de modernisation de ses forces armées, Islamabad consacre plus de 4% de son PIB à ses armées, dans un pays ou le PIB par habitant plafonne sous la barre des 1500$ par an malgré une très forte croissance ces 20 dernières années.

Lockheed-Martin tente de sortir le Rafale de la compétition colombienne avec 2 offres non sollicitées

A la fin de l’année 2022, le président Colombien Gustavo Petro, annonçait publiquement que l’offre de Dassault Aviation basée sur 16 avions Rafale avait remporté la compétition qui l’opposait au F-16 américain et au Jas-39 Gripen suédois pour remplacer les Kfir de l’Armée de l’air colombienne. Quelques jours plus tard, la signature du contrat de 3 Md$ était annoncée comme imminente. Malheureusement, le 3 janvier, Bogota annonça l’échec de la procédure.

En effet, les autorités colombiennes escomptaient non pas commander les 16 appareils en une fois, mais en deux lots, dont un premier de 3 à 4 appareils pour un peu moins de 700 m$, devant être signée avant le 31 décembre pour respecter les libérations budgétaires accordées par le parlement. Cette précipitation n’était de toute évidence pas du gout de Dassault, habitué des négociations complexes et qui préféra reporter la signature au risque de perdre le contrat, plutôt que de s’engager dans un contrat mal calibré.

Pour autant, le Rafale demeurait dans la course, et pouvait toujours se parer des arbitrages favorables tant des instances militaires et politiques à son égard. De toute évidence, cette hypothèse est loin de satisfaire Lockheed-Martin, qui entend bien éjecter Dassault et son appareil de la compétition. Pour y parvenir, selon le site infodefensa.com, l’avionneur américain a transmis à Bogota deux offres non sollicitées.

La première porte sur 24 appareils, pour une enveloppe de 4,2 Md$ et avec un tarif unitaire de 108 m$ par F-16 Block 70 Viper, alors que la seconde semble être alignée sur l’offre française avec 16 appareils pour 3 Md$ avec un tarif unitaire de 112 m$ par aéronef. Le périmètre exacte de l’offre américaine n’est pas connu, mais on peut penser qu’il correspond à celui de la compétition en cours. En outre, Lockheed-Martin propose la livraison des 3 premiers appareils pour 2028, de 17 appareils en 2029 et des 4 appareils restants en 2030.

Pour autant, les offres transmises par LM sont assez surprenante. D’une part, sur la base des informations transmises lors de l’épisode de dépense, l’avionneur américain n’a fait que s’aligner sur le tarif et le calendrier de l’offre française, qui repose sur un appareil bien plus performant que le F-16V, et qui peut s’appuyer sur une configuration bimoteur apportant une réelle plus-value en terme de sécurité au dessus d’un pays comme la Colombie. En second lieu, de l’avis des autorités colombienne, le F-16V avait déçu lors de l’évaluation, seul le Rafale et le Gripen ayant satisfait aux critères de l’Armée de l’Air colombienne. Revenir avec le même appareil semble de fait surprenant, surtout sans chercher à mettre en avant, par exemple, un argument budgétaire marqué.

Reste que, comme Washington a pu le montrer à plusieurs reprises ces dernières années, les industriels américains de défense peuvent au besoin s’appuyer sur le soutien du département d’état et des armées américaines pour emporter la décision lorsque l’offre, elle-même, n’est pas suffisante. C’est ainsi qu’il n’y a de cela que quelques semaines ce même Lockheed-Martin a mis en oeuvre une stratégie strictement identique pour tenter de sortir le JAS-39 Gripen suédois donné alors grand favori de la compétition visant à redonner aux forces aériennes Philippines une réelle flotte de chasse.

Là encore, pour s’imposer, Washington a mis en oeuvre un ensemble de mesures y compris militaires, pour écarter son concurrent et amener Manille à arbitrer en faveur du F-16V. Reste à voir, désormais, si Bogota comme Manille céderont, ou pas, à la pression américaine, et si les négociateurs européens sauront mettre en oeuvre des arguments convaincants pour tenter de la contre-balancer ?

Le déploiement d’une batterie Patriot PAC-3 sur l’ile japonaise de Miyako-Jima enrage Pékin

Miyako-Jima est un archipel d’iles d’à peine de plus de 150 km2 situé à quelques 300 km au sud-ouest de l’ile d’Okinawa. L’ile abrite 45.000 habitants, et dispose d’un aéroport avec une piste de 2000 mètres, ainsi que de plusieurs ports de pèche et une base des forces terrestres d’autodéfense nippones. Ce qui fait l’intérêt de ce petit archipel, est qu’il se situe à presque exacte distance d’Okinawa et de Taïwan, et que l’ile constitue de fait un parfait point d’appui pour contrôler les déplacements navals et aériens chinois depuis la Mer de Chine du sud vers le Pacifique ou autour de Taïwan. De fait, elle représente également une gène considérable pour Pékin dans son ambition de faire peser une importante pression sur l’ile autonome depuis 1949, et pourrait même constituer une base de départ pour d’éventuelles forces aériennes ou navales visant à soutenir Taïwan face à l’Armée Populaire de Libération.

La plupart des scénarios considérant une offiensive mitlaire chinoise sur Taïwan, repose sur une première phase de bombardement intensifs chinois de l’ensemble des installations défensives taïwanaises, mais également américaines et alliées présentes dans la région. Bien évidemment, avec sa piste d’atterrissage de 2000 mètres et sa position stratégique, Miyako-jima représente elle-aussi un cible de choix au même titre que Guam, pour les missiles et bombardiers chinois dans une telle hypothèse. C’est probablement pour cela que les forces d’autodéfense nippones ont pris l’initiative de déployer une batterie antiaérienne et anti-missile Patriot PAC-3 sur l’ile. Cela eut l’effet de profondément courroucer Pékin, y voyant, tout au moins dans sa communication internationale, un mouvement agressif de la part de Tokyo pour s’immiscer dans le different qui l’oppose avec « sa province de Taïwan ».

Les batteries côtières Type 12 ont une portée de 200 km aujourd’hui, et dépassera les 1000 km dans les années à venir

Il est vrai que l’explication donnée par les forces d’autodéfense nippones est fort peu convaincante, puisqu’elle met en avant le renforcement de la défense antimissile nippone contre la menace nord-coréenne. Il semble en effet peu probable que cette ile puisse représenter une cible d’intérêt pour Pyongyang si la Corée du Nord venait à engager les hostilités contre le Japon. En revanche, les chances que l’ile, et plus particulièrement son aéroport, soit la cible de frappes préventives chinoises dans l’hypothèse de déclenchement d’une opération militaire contre Taiwan, sont en revanche très élevées, ce d’autant que des batteries côtières antinavires Type 12 nippones ont également été déployées sur l’ile. Avec une portée de 200 km aujourd’hui et de plus de 1000 km dans sa version évoluée en cours de développement, les batteries côtières Type 12 des forces d’autodéfense japonaises représentent de fait une menace potentielle ne pouvant être ignorée pour la flotte chinoise si celle-ci venait à devoir contourner Taiwan par le nord. Protégées désormais par un système anti-missile et anti-balistique moderne, on comprend pourquoi Miyako-jima représente aujourd’hui une entrave significative pour Pékin, ceci expliquant probablement la véhémence de la réaction chinoise autour de ce sujet.

Pourquoi se tourner vers des armements israéliens représente une décision à double tranchant pour les pays européens ?

Ces dernières années, l’industrie de défense israélienne a connu une croissance très rapide sur la scène internationale, et l’année 2022 permit à Elbit, Rafael et autres IMI d’enregistrer une croissance de plus de 30% des ventes à l’exportation pour atteindre un volume à produire de prés de 12 Md$, presque 5 fois plus élevé qu’il ne l’était il y a tout juste 10 ans. Il est vrai que les équipements israéliens ont de quoi séduire, offrant des performances parfois impressionnantes comme le missile antichar SPIKE-ER capable d’atteindre des cibles à plus de 50 km ou le système de protection anti-aérien Iron Dome, des innovations redoutables comme les munitions vagabondes Harpy ou les systèmes de défense actifs hard-kill Trophy et Iron Fist, voire des capacités presque exclusives, comme le missile antibalistique exo-atmosphérique Arrow 3 sans aucun équivalent en Europe. Qui plus est, les industriels israéliens proposent souvent des prix très attractifs et des conditions financières et industrielles qui le sont toutes autant.

Rien de surprenant, dans ces conditions, à ce que ces dernières années, les missiles Spike, les systèmes hard-kill Trophy, les canons automoteurs Atmos, les systèmes lance-roquettes PULS ou encore les systèmes anti-aériens Spyder, David Sling ou Barak-8, se soient taillés la part du lion lors des compétitions internationales, y compris en Europe. Pour autant, dans le cas précis des pays européens, se tourner vers des systèmes israéliens, tout attractifs qu’ils puissent être, peut s’avérer une décision à double tranchant face à la Russie. En effet, Jerusalem s’est strictement et systématiquement opposé à la livraison à l’Ukraine de matériels militaires de facture ou de conception israélienne, ce qui a, parfois, constitué une réelle entrave au soutien européen à Kyiv.

Le Danemark s’est tourné vers le système ATMOS pour remplacer les Caesar offerts à l’Ukraine. Mais Copenhague ne pourra pas transférer tout ou parti de ces systèmes vers Kyiv si le conflit venait à durer. Peut-être est-ce là l’objectif de cet arbitrage ?

Ainsi, aujourd’hui, le missile anti-char Spike, conçu par Rafael et commercialisé en Europe par l’intermédiaire de la co-entreprise EuroSpike GmBH rassemblant les allemands Diehl (40%), Rheinmetall (40%) et l’israélien Rafael (20%), équipe pas moins de 20 forces armées de l’OTAN, y compris parmi les plus importantes comme l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, le Canada ou la Grande-Bretagne, ainsi que toutes les forces terrestres des pays d’Europe de l’Est et Baltes. Non seulement le missile est-il omniprésent en Europe, mais bien souvent, il représente la seule capacité anti-char à moyenne et longue portée dont disposent ces armées. Après le début de l’agression russe contre l’Ukraine, nombre de pays européens ont demandé à Rafael et Eurospike l’autorisation de transférer tout ou parti de leur stock de systèmes Spike vers l’Ukraine, et tous essuyèrent un ferme refus. De fait, les européens se sont limités à transférer des systèmes antichars à courte portée comme le NLAW ou le Panzerfaust, ou des missiles d’ancienne génération comme le Milan 2, seul le Javelin américain étant autorisé à être transféré pour répondre aux besoins ukrainiens. Depuis, la position de Jerusalem n’a pas changé dans ce dossier, mais cela n’a pas empêché plusieurs pays européens de se tourner vers son industrie de Défense pour moderniser leurs forces.

Ce fut notamment le cas du Danemark qui, après avoir obtenu de Paris l’accord de transférer toute sa flotte de canons d’artillerie CAESAR 8×8 vers Kyiv, s’est tourné vers l’Atmos mais également sur le lance-roquettes multiples PULS pour reconstituer son parc. De même, Amsterdam a préféré le PULS à l’HIMARS américain pour reconstituer ses capacités d’artillerie à longue portée. Helsinki, pour sa part, à préféré le système anti-aérien David Sling à l’Iris-T SLM allemand pour remplacer ses batteries SA-6. Plus récemment, l’Espagne semble privilégier le PULS israélien au K239 sud-coréen pour son artillerie à longue portée, alors même que Séoul a autorisé, par exemple, Varsovie à transférer des canons automoteurs Krab en Ukraine. Enfin, plusieurs pays d’Europe de l’Est semblent prêts à commander le système anti-aérien SPYDER, au détriment de l’Iris-t ou du Mica-VL, sans tenir compte de la posture plus qu’ambiguë de Jerusalem face à Moscou à ce sujet.

Selon Rafael, 5 pays européens seraient en négociation pour acquérir le système anti-aérien SPYDER

Les autorités israéliennes justifient le refus de re-exportations des armements israéliens vers l’Ukraine, par le fait que la Russie est un acteur majeur de son théâtre d’opération, en particulier en Syrie, qu’il ne s’agit donc pas de provoquer. Il s’agit bien d’un facteur ayant influencé l’inflexibilité israélienne à ce sujet, mais probablement pas le seul. Ainsi, la population israélienne est composée a prés de 20% de russes et la première communauté ethnique juive du pays, ayant de fait une influence considérable sur les décisions politiques du pays. Surtout, Jerusalem redoute que son implication même indirecte au conflit ukrainien, amène Moscou à accroitre son soutien militaire à l’Iran, notamment en autorisation l’exportation de matériels de haute technologie. Notons au passage que les craintes israéliennes n’ont pas empêché Téhéran de commander des chasseurs Su-35s russes au potentiel opérationnel très problématique pour l’état hébreux.

Quoiqu’il en soit, et quelque soit la justification avancée, on peut penser que l’opposition de réexportation israélienne concernant ses armements vers Kyiv constitue un signe de possibles entravent à venir quant à la mise en oeuvre potentielle de ces nouveaux équipements dans l’hypothèse d’une extension du conflit en Europe ou de sa dégradation. Il est déjà clairement établit que les clients de l’industrie de défense israélienne ne pourront soutenir l’Ukraine dans ces domaines si le conflit venait à durer, comme nombre de spécialistes semblent le prédire. Or, comme nous l’avons abordé par ailleurs, l’industrie russe de défense monte en puissance, de sorte qu’un conflit de longue durée pourrait s’avérer à l’avantage de Moscou. Par ailleurs, cette décision fait peser sur les pays ayant pris le partie de s’équiper européen, américain ou sud-coréen, la responsabilité de soutenir Kyiv. Enfin, si les tensions avec l’OTAN venaient à s’accroitre, est-il raisonnable de dépendre technologiquement parlant d’un pays ayant justifié de cette posture face à la Russie aujourd’hui, au risque de se retrouver entravé pour la modernisation des équipements, leur réassort voire leur simple mise en oeuvre ?

Le Leopard 2 équipé du système Trophy ne pourrait être exporté vers l’Ukraine

Dans ce domaine, il est notamment important de garder à l’esprit que beaucoup des chars de combat de génération intermédiaire en cours de conception ou de livraison, comme le Leopard 2A8 ou le Challenger III, s’appuient sur le système de protection actif Trophy. Cela signifie qu’il serait impossible de les transférer à l’Ukraine ou à un quelconque allié opposé à la Russie, du fait de l’opposition de Jerusalem, même si le Trophy ne constitue qu’un sous-système du blindé. A l’inverse, le KF-51 Panther de Rheinmetall repose sur le système ADS du même constructeur, raison pour laquelle Armin Papperger a pu proposer à Kyiv le blindé.

Le missile R-37M air-air à longue portée russe associé au Su-35s plus efficace qu’anticipé en Ukraine

Développé dans les années 80 sur la base du missile lourd R-33 (AA-9 Amos), le missile air-air lourd R-37 (AA-13 Axehead), à l’origine du missile R-37M, a été conçu pour conférer à des appareils ne disposant du très puissant radar du MIG-31, la possibilité d’engager des cibles aériennes à longue portée.

Pour cela, l’auto-directeur radar semi-actif du R-33 fut remplacé par un autodirecteur radar actif couplé à une navigation inertielle, comme c’était le cas pour le missile américain AIM-54 Phoenix qui équipait alors le F-14 Tomcat de l’US Navy, ce qui devait permettre d’équiper le missile d’une portée de 200 km à bord de chasseurs de supériorité aérienne comme le Su-27 ou le Su-30.

Toutefois, les difficultés économiques rencontrées par l’Union Soviétique amenèrent les autorités à considérablement ralentir les travaux autour de ce programme en 1988, sans qu’il fût jamais mis en service. En 2006, s’appuyant sur l’effort et les nouveaux crédits mis à disposition par le Kremlin depuis l’arrivée de Vladimir Poutine, le spécialiste russe des missiles Vympel MKB entreprit d’exhumer le programme, en vue de le moderniser et surtout de pouvoir équiper les nouveaux chasseurs russes Su-30SM, Su-35s et Su-57.

Les forces aériennes russes souhaitaient, en effet, se doter d’un missile capable de constituer une menace pour les appareils de soutien comme les avions d’alerte aérienne avancée (Awacs E-3 Sentry, E-7 Wedgetail, E-2 Hawkeye…), les avions ravitailleurs comme le KC-135, l’A330 MRTT ou le KC-130, ainsi que les appareils de renseignement électronique comme le Rivet Joint ou le Compass Call.

Il s’agissait, pour l’état-major russe, de neutraliser l’efficacité de cette flotte aérienne de soutien constituant un multiplicateur de force considérable pour l’OTAN. Initialement conçu pour remplacer le R-33 dans le cadre de la modernisation du Mig-31BM, le missile R-37M (pour « modernisé ») entra en service en 2018 à bord de cet appareil.

le missile R-37M est donné pour avoir une portée de 400 km et une vitesse supérieure à mach4
le missile R-37M est donné pour avoir une portée de 400 km et une vitesse supérieure à mach 5

Très rapidement, les ingénieurs russes entreprirent d’adapter le R-37M à bord du Su-35s, ultime chasseur de supériorité aérienne de la famille Flanker, disposant notamment du très performant radar à antenne électronique passive (PESA) Irbis-E. À peine deux années plus tard, à la fin de 2020, le couple Su-35s/R-37M était déclaré opérationnel au sein des forces aériennes russes.

Capable d’engager un appareil à 200 km en tir tendu, et jusqu’à 400 km en tir plané à haute altitude, le R-37M atteint une vitesse terminale supérieure à Mach 5, le rendant particulièrement difficile à éviter par la manœuvre pour l’avion cibler, qui ne dispose que d’un laps de temps très court pour tenter de sortir de l’enveloppe d’interception du missile.

En outre, le missile ayant été développé uniquement en Russie, même dans les années 80, et n’ayant jamais été exporté, peu d’informations à son sujet ont pu filtrer, permettant de configurer efficacement les systèmes de brouillage défensif pour contrer cette menace, au sein de l’OTAN comme des forces aériennes ukrainiennes.

Surtout, alors que la perception générale tendait à qualifier le R-37M de missile spécialisé dans l’interception de cibles imposantes et peu manoeuvrantes de la flotte de soutien, il apparait désormais qu’il se montre également très efficace contre des avions de combat de type chasseur ou chasseur-bombardier manœuvrant et évoluant, qui plus est, à très basse altitude.

Et de fait, à ce jour, le couple Su-35s/R-37M représenterait, selon les forces aériennes ukrainiennes, la plus grande menace pour ses avions de combat opérant à proximité de la ligne d’engagement, y compris à basse altitude et haute vitesse.

En effet, si les pilotes ukrainiens connaissent parfaitement les performances et la position des systèmes sol-air russes, ainsi que les performances des missiles air-air traditionnels comme le R-73 à courte portée ou le R-77 à moyenne portée, ils sont aujourd’hui souvent démunis face à un Su-35s capable de les détecter à plus de 200 km avec son radar Irbis-E, puis de les engager à l’aide du R-37M à cette distance.

Les Mig-29 polonais ou Slovaques transférés à l’Ukraine n’offrent pas de capacités supplémentaires pour contrer la menace que représente le couple Su-35s R-37M

N’ayant aucune munition de portée équivalente, ni même de radar doté d’une telle portée pour contrebalancer la menace (et donc repousser les Su-35s et Mig-31 russes), et pas davantage de brouilleurs suffisamment performants pour leurrer le missile, les pilotes ukrainiens manquent de solution pour contrer une telle menace évoluant à Mach 5, hormis tenter de positionner un relief entre le missile et sa cible.

Certains appareils, comme le bombardier tactique Su-25, ne disposent pas même de système d’alerte informant le pilote de la menace, celui-ci ne pouvant s’appuyer que sur la vue pour éventuellement détecter la menace, sans qu’il puisse faire grand-chose face à un bolide pareil.

Pour l’heure, les forces aériennes ukrainiennes s’avèrent donc partiellement démunies face à cette menace, même si l’efficacité globale du missile est relativement faible. En effet, alors que les chasseurs russes feraient un usage fréquent du R-37M avec une moyenne de 6 tirs par jour. les forces aériennes ukrainiennes font état d’une dizaine d’appareils détruits par ce missile jusqu’à présent.

En revanche, celui-ci constitue une telle menace que nombre de missions de soutien aérien ou de supériorité aérienne ukrainiennes doivent être annulées dès lors qu’un Su-35s apparait et commence à activer son radar à distance de sécurité. Même les Mig-29 modernisés transférés de Pologne ou de Slovaquie ne peuvent contrer ces missiles, ni emporter de munitions à longue portée pour rétablir l’équilibre face au Su-35s.

Pour autant, un développement récent permettra peut-être de débloquer la situation dans ce domaine pour les forces aériennes ukrainiennes. En effet, à ce jour, l’un des principaux freins à l’envoi de chasseurs modernes de facture occidentale en Ukraine, était le risque de voir ces appareils détruits au sol par des frappes de missiles et de drones russes à peine auraient ils posé le train sur le sol ukrainien.

La Chine dispose, elle aussi, de missiles air-air à longue portée comme le PL-15 d’une portée annoncée supérieure à 150 km

Ces derniers jours, toutefois, les nouvelles batteries anti-aériennes occidentales, comme le Patriot, l’Iris-T, le Nasams ou le Crotale, ont montré qu’elles étaient effectivement capables, au besoin, de neutraliser cette menace, y compris en interceptant un missile balistique aéroporté Kinzhal considéré jusque-là comme hors de portée des systèmes occidentaux.

De fait, il est désormais possible aux forces ukrainiennes de protéger efficacement une base aérienne recevant éventuellement des chasseurs occidentaux comme le F-16, le F-18 ou le Mirage 2000D, disposant de capacités et de munitions très supérieures à celles des Mig-29 et Su-24/25/27 encore en service en Ukraine, notamment en mettant en œuvre des missiles air-air à longue portée AIM-120 Amraam pouvant potentiellement rétablir l’équilibre dans le ciel du pays, mais surtout en employant des munitions stand-off air-sol pouvant être, elles aussi, lancées à distance de sécurité, c’est-à-dire hors de l’enveloppe de détection des Su-35s russes.

Reste que si le R-37M se montre efficace contre des cibles aussi difficiles qu’un chasseur évoluant à haute vitesse et à très basse altitude comme c’est la norme en Ukraine, Il ne fait aucun doute que le missile représente aussi une menace majeure pour ses cibles de prédilection, les appareils de soutien, et pourrait donc, pour au moins un temps, obliger l’OTAN à faire reculer ses lignes aériennes de soutien pour en entamer l’efficacité dans l’hypothèse d’une confrontation avec la Russie.

Et si un pays ayant des moyens limités comme la Russie, parvient à developper un tel missile, on imagine sans mal ce que la Chine et ses moyens considérables pourraient parvenir à faire dans ce domaine, alors que plusieurs missiles à très longue portée chinois sont d’ores et déjà en service comme le PL-15 ou le PL-21. Plus que jamais, il est donc nécessaire aux forces aériennes occidentales, y compris en Europe, de faire évoluer la flotte aérienne de soutien pour répondre aux évolutions en cours.

Les Emirats Arabes Unis annulent la commande de 12 hélicoptères H225M Caracal français

En décembre 2021, Abu Dhabi annonçait la commande de 12 hélicoptères de manœuvre H225M Caracal auprès de Airbus Helicopters en marge de la commande historique de 80 avions de combat Rafale pour moderniser ses forces aériennes et remplacer ses Mirage 2000-9.

D’un montant de 800 m€, le contrat permettait au site industriel de Marignane de remplir un carnet de commande qui manquait d’épaisseur en cette période marquée par la baisse sensible des commandes d’appareils dédiés aux missions off-shore, domaine de prédilection du Super Puma.

Malheureusement, il semble qu’Airbus Helicopters n’a pas réussi à convaincre ses clients moyen-orientaux. En effet, selon Muammar Abdulla Abushehab, le directeur des affaires de défense et de sécurité au sein du Tawazun council, l’un des principaux conseils du ministère de la Défense émirati, le contrat a été récemment dénoncé.

Airbus Helicopters jugés peu coopératif par les Émirats arabes unis

Selon le Tawazun council, la proposition faite par Airbus Helicopters s’est avérée à la fois complexe, onéreuse en matière de cycle de vie et peu évolutive pour ce qui concernait les possibles adaptations modulaires de l’appareil pour répondre aux besoins à venir.

Les 12 H225M Caracal avaient été commandés par les EAU en marge de la commande de 80 avions Rafale
Les 12 H225M Caracal avaient été commandés par les EAU en marge de la commande de 80 avions Rafale

Par ailleurs, Muammar Abdulla Abushehab a précisé, lors de l’interview donnée à ce sujet, que cette décision n’était en rien liée à des considérations politiques, mais à un évident « manque de motivation » de la part des équipes de l’industriel pour répondre aux attentes des forces armées émiriennes, ainsi qu’à l’échec des négociations autour des demandes de production locale d’Abu Dhabi.

À ce titre, le Tawazun council a indiqué avoir signé plusieurs partenariats avec des entreprises internationales pour renforcer l’industrie aéronautique et de défense émirienne, dont Boeing, Raytheon, Leonardo et Saab, sans qu’il ait cité, paradoxalement, d’entreprises françaises alors que Paris est aujourd’hui le plus important contractant défense du pays, et que les EAU sont le plus important client pour la BITD française.

Cette annonce soulève évidemment des questions. Il convient, d’abord, d’avoir la version d’Airbus Helicopters mais également du ministère des Armées au sujet de cet échec, qui n’est pas sans en rappeler d’autres tout aussi retentissants ces dernières années, comme les VBCI au Qatar ou les CAESAR et Rafale en Colombie.

Plusieurs échecs avec celui des H225M Caracal

Il semble bien que si les industriels français peuvent s’appuyer sur de bons négociateurs commerciaux et des équipements attractifs pour faire la décision, la conversion en commande industrielle effective semble en revanche beaucoup plus hasardeuse.

Les industriels français ont récemment perdu plusieurs contrats clés, comme celui des VBCI qatari

À ce titre, après avoir été donné grand favori de la compétition pour la Marine Indienne, le Rafale M a été remis sur un pied d’égalité avec le Super Hornet par New Delhi « pour obtenir les meilleures conditions possibles », aux dires des autorités indiennes.

En outre, les hélicoptères moyens d’Airbus Helicopters, qu’il s’agisse du Caracal, du NH90 et même du Tigre, semblent souffrir de problèmes récurrents, comme des couts de mise en œuvre jugés élevés par les utilisateurs, ainsi qu’un écart sensible entre la promesse commerciale et sa concrétisation opérationnelle et industrielle.

Reste à espérer que cet épisode ne viendra pas compromettre le bon déroulement du contrat Rafale qui, aujourd’hui, s’avère stratégique pour l’ensemble de l’industrie aéronautique française.

Cette commande est d’autant plus indispensable que, de toute évidence, la prochaine Loi de Programmation Militaire française ne prévoit pas d’accélérer les livraisons de Rafale B et C à l’Armée de l’Air et de l’Espace.

De même, le remplacement des premiers Rafale M n’est pour l’heure pas envisagé, même si ces appareils ont été livrés à la Marine nationale au début des années 2000, et qu’en 2030, ils marqueront le poids des années, ce qui est tout à fait normal pour un chasseur embarqué après 30 années de service.

Face aux missiles nord-coréens, Japon et Corée du sud vont connecter leurs systèmes radar

En aout 2019, suite à la rétrogradation par Tokyo de la Corée du sud dans la hiérarchie des partenaires économiques du Japon, Séoul annonça mettre fin unilatéralement à la procédure mise en place en 2016 par Washington, afin que ses deux plus puissants alliés du théâtre Pacifique puissent coopérer en matière de renseignement, notamment pour échanger rapidement des informations autour des essais de missiles nord-coréens sans devoir passer par le truchement de l’allié commun américain. Cette rupture était, en fait, la conséquence d’un durcissement des relations entre les deux dragons asiatiques suite à l’arrivée de dirigeants teintés de nationalisme dans les deux pays, Shinzo Abe au Japon et Moon Jae-In en Corée du sud, alors que les ressentiments entre les deux pays liés aux exactions des forces impériales nippones après l’annexion de la Corée dans les années 20, demeuraient très vivaces. Depuis, la situation a toutefois sensiblement évolué.

D’une part, la montée en puissance des forces chinoises ont amené les Etats-unis à sonner le rappel auprès de ses alliés, et notamment les deux plus puissantes forces armées de la zone qui, par ailleurs, sont également engagées dans une profonde transformation afin d’en renforcer l’efficacité opérationnelle. Surtout, la Corée du nord à simultanément considérablement augmenter le rythme des essais de missiles balistiques et de croisière, passant d’une vingtaine de tirs en 2019 à presque 90 en 2022, tout en démontrant des progrès plus que significatifs dans ce domaine, avec la démonstration de missiles à trajectoire semi-balistique, de missiles balistiques à changement de milieux, de missiles de croisière à longue portée, de missiles équipés d’un planeur hypersonique et même de missiles à capacité intercontinentale. En outre, sans que cela ait pu être confirmé de manière objectif, Pyongyang a récemment déclaré être parvenu à miniaturiser ses têtes nucléaires, permettant le cas échéant d’armer tous ces missiles d’une charge nucléaire.

Le président sud-coréent Yoon Suk Yeol et le premier ministre japonais Fumio Kishida se sont rencontré à la Maison Bleue à Séoul le 7 mai 2023. crédits Jung Yeon-je/Pool via REUTERS

De fait, en dépit de leurs différents qui restent à régler une bonne fois pour toute comme cela fut le cas en Europe dans les années 60, Japon et Corée du sud ont entrepris, il y a quelques semaines, de normaliser leurs relations, et surtout de remettre en oeuvre certaines coopérations opérationnelles, notamment pour ce qui concerne la menace nord-coréenne qui vise aussi bien le Japon que la Corée du Sud dans la doctrine de Pyongyang. Un premier rapprochement fut annoncé début mars, à la suite d’un protocole d’accord proposé par le président sud-coréen Yoon Suk-yeol et son ministre des affaires étrangères Park Jin pour contourner un jugement de la cours suprême sud-coréenne de 2019 interdisant tout rapprochement tant que Tokyo n’aurait pas payé des dommages et intérêts à Séoul pour la période coloniale. En dépit des inquiétudes autour de la fragilité de la démarche, celle-ci permit l’organisation d’une visite officielle du premier ministre nippon, Fumio Kishida, à Séoul pour rencontrer son homologue sud-coréen Yoon Suk-yeol. Les deux hommes ont convenu de présenter lors des rencontres de Sangri-la à Singapour, un accord de coopération défense entre les deux pays.

Cette coopération prendra notamment la forme de la connexion des deux systèmes de détection radar par l’intermédiaire du système américain déployé dans chacun des pays, qui a accès aux données radar des deux pays. De fait, plutôt que de créer un canal direct entre les deux systèmes, ce qui obligerait le déploiement d’infrastructures complexes, couteuses et nécessitant d’importants délais, les données radar des deux pays seront échangées en passant par le commandement indo-pacifique américain basé à Hawaï. Reste qu’en dépit de l’évidente bonne volonté de Yoon Suk-yeol et de Fumio Kishida dans ce dossier, et de la probable pression américaine pour lui donner corps, la dynamique engagée depuis quelques semaines par Séoul et Tokyo demeure très fragile, d’autant que dans les pays, les courants nationalistes n’hésitent pas à s’y opposer ouvertement en dépit du contexte. De fait, la moindre alternance démocratique pourrait le mettre à mal, en dépit de l’évident intérêt qu’ont les deux pays à partager leurs informations dans ce domaine, si pas davantage.

L’Armée de Terre veut prolonger ses chars Leclerc jusqu’en 2045 malgré les risques opérationnels et industriels

Alors que plusieurs signes laissent présager d’un glissement du programme MGCS au delà de 2040, l’Armée de terre envisage de prolonger ses chars Leclerc jusqu’en 2045 au besoin, ce en dépit des nombreux risques qu’un telle décision engendrerait.

Si la question de la modernisation et l’extension du segment lourd des forces armées terrestres est au coeur de nombreux débats publics en Europe, en France, le sujet a été passé sous silence pendant de nombreux mois, y compris lors de la présentation de la future Loi de Programmation Militaire 2024-2030.

Ainsi, alors qu’outre-Rhin, industriels et militaires se sont accordés pour décaler de 10 ans (au moins) le calendrier du programme franco-allemand Main Ground Combat System devant remplacer les chars allemands Leopard 2 et français Leclerc initialement pour 2035, aucune prise en compte officielle de cet état de fait n’avait été effectuée, ou tout du moins communiquée.

C’est désormais chose faite, et la solution retenue par l’Etat-major français, n’est pas sans poser plusieurs interrogations critiques quant au devenir des armées et de l’industrie de défense françaises.

Interrogé par le député LFI-Nupes des Hauts de seine Aurélien Saintoul lors des audiences de la commission défense de l’assemblée nationale autour de la nouvelle Loi de Programmation Militaire, le chef d’Etat-major de l’Armée de Terre, le général Pierre Schill, a en effet indiqué à la représentation nationale qu’il entendait étendre la durée de vie des chars Leclerc jusqu’en 2040 voire 2045 pour faire la jonction avec le programme MGCS.

Pour y parvenir, le CEMAT a précisé qu’il faudrait moderniser les blindés, au travers de la numérisation de la tourelle, de la modernisation du viseur et de la pérennisation du moteur.

En revanche, aucune référence n’a été faite à certaines nouvelles capacités retenues par d’autres pays comme l’Allemagne avec le Leopard 2A8 ou la Grande-Bretagne avec le Challenger 3, notamment l’ajout d’un système de protection actif hard-kill ou de capacités complémentaires à l’armement principal, comme l’ajout de missiles, de drones ou d’un tourelleau à fort débattement pour engager la menace drone.

On notera également qu’aucun calendrier n’a été proposé pour cette nouvelle modernisation du Leclerc, alors même que la modernisation actuelle, qui consiste à ajouter le système Scorpion à ce char qui n’a presque pas évolué depuis les années 90, est déjà entamée.

L'armée de terre pourrait devoir prolonger ses chars Leclerc jusqu'en 2045 face au glissement du programme MGCS

De fait, le général Schill, comme le chef d’Etat-major des Armées le général Thierry Burkhard avant lui, a exclu toute possibilité de doter l’Armée de terre d’un char de combat de génération intermédiaire qui aurait permis non seulement de renforcer les capacités d’engagement de l’Armée de Terre en matière de combat de haute intensité, mais également de constituer une alternative efficace si le programme MGCS venait à être annulé, comme cela a déjà été le cas des programmes franco-allemands d’artillerie CIFS, de patrouille maritime MAWS et plus récemment, de l’hélicoptère de combat Tigre III.

Au delà de ces risques pourtant déjà clairement caractérisés, la décision de l’Etat-Major français va probablement créer d’importantes menaces sur l’industrie de défense française et le maintien de ses compétences dans le domaine des blindés lourds, tout en entérinant, probablement de manière définitive, le basculement de la France d’un statut de nation cadre et protectrice en Europe, à celui d’une nation protégée par ses alliés formant un tampon entre le territoire nationale et le bloc russe.

Il faut dire que dans cette décision, plusieurs forces sont à l’oeuvre concomitamment. D’un coté, l’Etat-major français est caractérisé depuis de nombreuses années par la sur-représentation des forces de projection légères comme les troupes de marines, les unités parachutistes et la légion étrangère, au détriment des capacités de ligne, comme la cavalerie lourde, l’infanterie mécanisée ou encore l’artillerie, alors que les armes de soutien (génie, transmission, train ..) n’ont presque jamais eut droit de citer à des postes clés.

De fait, la doctrine française met largement l’accent sur ces capacités faisant appel à une grande mobilité et une haute autonomie opérationnelle, plutôt qu’à la puissance de feu ou la protection sous blindage. A ce titre, si l’Armée de Terre française est, proportionnellement parlant au PIB ou à la population du pays, l’une des moins bien dotées en matière de chars lourds et de blindés chenillés en Europe, elle dispose en revanche du plus important parc de blindés médians sur roues, allant du VBCI au VAB, ces derniers étant aujourd’hui remplacés par la gamme Scorpion (Jaguar, Griffon, Serval).

Dans le même temps, l’exécutif, quant à lui, a fait le choix de ne pas modifier le format définit par le Livre Blanc de 2013 pour les Armées lors de la LPM 2017-2025, mais également lors de la LPM 2024-2030 à venir, qui préserve une force opérationnelle terrestre composée de 2 divisions, forte de 77.000 militaires et disposant de seulement 200 chars, 110 pièces d’artillerie de 155mm, et 13 lance-roquettes à longue portée en matière de moyens lourds, mais de presque 4000 blindés sur roues appartenant au segment médian.

Pourtant, ce format avait été conçu pour la projection de puissance dans un contexte international sans commune mesure avec le présent sur des théâtres de faible intensité et de guerre hybride, ce pourquoi nombreux observateurs jugeaient dés 2014 après l’annexion de la Crimée par Moscou, qu’il était déjà obsolète.

En outre, de nombreux faisceaux laissent penser que l’exécutif permet désormais l’amputation de certaines capacités industrielles clés pour l’autonomie stratégique française, au profit d’une plus grande intégration européenne.

En effet, d’un point de vue opérationnel, la décision annoncée par le général Schill, confirme que désormais, la France n’entend plus jouer le rôle de nation cadre dans la défense européenne au sein de l’OTAN, les moyens de l’Armée de Terre en 2030 étant, dans l’état actuel des projections, 6 fois plus réduits que ceux dont devrait disposer l’Armée de terre polonaise, et au niveau d’un pays comme la Roumanie, dont le PIB est pourtant 9 fois plus faible que celui de la France.

Impossible, dans ces conditions, que la France puisse revendiquer un statut quelconque au sein de l’OTAN, d’autant que contrairement à la Grande-Bretagne qui a fait le choix assumé de la spécialisation de ses forces en sacrifiant une partie de la British Army au profit de la Royal Navy et des capacités de soutien, la France ne s’est engagée dans aucune trajectoire similaire en dehors du renforcement de sa propre dissuasion qui, rappelons le, n’est pas partagée dans le cadre de l’OTAN.

De même, en admettant que la guerre ne pourra arriver jusqu’au sol français, l’Etat-major entérine sa dépendance à la protection que devront assumer les pays d’Europe de l’Est mais aussi l’Allemagne et l’Italie, pour protéger ses frontières.

De nation protectrice lors de la guerre froide, la France se dirige donc, dans le domaine conventionnelle, vers une nation protégée. Mieux vaut, dans ces conditions, éviter de commenter les acquisitions de nos alliés, même lorsque ces derniers choisissent de se tourner vers les Etats-Unis ou Israel pour renforcer leurs capacités défensives.

Outre cet aspect qui conduit de manière presque irrémédiable à l’abandon définitif de l’autonomie stratégie française héritée du gaullisme, la prolongation des Leclerc va également faire peser une menace existentielle sur l’industrie de défense terrestre française.

Rappelons en effet que si aujourd’hui, celle-ci est sous tension pour produire les blindés du programme Scorpion, elle n’aura en revanche, dans la planification actuelle, aucune activité industrielle significative entre 2035 et 2045, au delà de la maintenance et modernisation du parc existant, notamment de la flotte de VBCI.

Une telle période d’inactivité va immanquablement engendrer des pertes de compétences importantes au sein des grandes entreprises de ce secteur comme Nexter ou Arquus, mais également l’effacement quasi-définitif de la France sur le marché international des blindés lourds, pour ne plus s’appuyer que sur la marché allemand dans le cadre du programme MGCS.

Dit autrement, non seulement l’industrie va perdre des compétences et peut être même des infrastructures indispensables à l’autonomie stratégique du pays, mais elle se coupera d’une partie de son porte-feuille clients au profit de l’Allemagne, de la Corée du Sud ou encore de la Turquie.

Pourtant, les industriels eux-mêmes, Nexter, Thales ou encore MBDA en tête, n’ont pas manqué de promouvoir des solutions alternatives pour palier ces risques tant industriels que capacitaires.

Ainsi, comme abordé la semaine dernière, le PdG de Nexter, Nicolas Chamussy avait clairement positionné le démonstrateur EMBT comme une solution de transition pour l’Armée de Terre, mais également pour l’industrie de défense nationale, face au report du programme MGCS.

Rappelons à ce titre que ce report, imposé par Berlin, résulte de considérations purement industrielles pour préserver le marché adressable à court terme de KMW avec le Leopard 2AX et de Rheinmetall avec le KF-51 Panther, de sorte à bloquer le chemin au K2 sud-coréen ainsi que de l’Altay turc, le cas échéant. Pour Paris, visiblement, la défaite sur ce marché est d’ores et déjà consommée faute de volonté de se battre.

Au delà des conséquences déjà plus que significatives de l’arbitrage de l’Etat-major et de l’exécutif français autour du parc de chars de l’Armée de terre, cet épisode est également la parfaite démonstration de l’obsolescence des processus encadrant la programmation militaire dans le pays, marqués par l’absence presque totale de débat et d’avis contradictoire, voire par une culture marquée du fait accompli aux mains d’un nombre réduit d’individus à l’agenda parfois opaque.

Ainsi, le diagnostique des menaces (Revue stratégique), l’analyse des solutions envisageables pour les neutraliser (Livre Blanc), l’arbitrage politique et budgétaire (Loi de programmation militaire), et même le contrôle de l’exécution du processus, sont effectués par un cercle restreint le plus souvent à huis clos, ceci ayant donné, par exemple, des aberrations comme dans le cas de la rédaction du Livre Blanc 2013 obsolète avant même que l’encre d’imprimerie n’avait séché.

Il s’agit, incontestablement, d’un des processus de planification les moins démocratiques et ouverts de l’ensemble des grandes démocraties mondiales, ceci expliquant d’ailleurs en partie l’absence d’intérêt d’une majeure partie de l’opinion publique française pour les questions de défense. Quoiqu’il en soit, aujourd’hui, la messe semble dite, et les recours presque inexistants pour tenter d’infléchir la trajectoire visée tant dans le cadre de la Loi de Programmation que du pilotage de l’industrie de défense.

Moscou continue d’accroitre son effort industriel pour compenser les pertes en Ukraine

Juste avant l’effondrement de l’Union Soviétique, l’industrie de défense du pays mobilisait 14 millions de travailleurs répartis dans plus de 6000 usines. Elle produisait alors prés de 2 500 nouveaux chars chaque année, ainsi que 3 500 pièces d’artillerie, 1 700 avions ou encore 9 sous-marins, et représentait 80% de l’activité industrielle et 50% du PNB du pays. L’effondrement du régime et l’éclatement de l’Union Soviétique en 1991, provoqua également l’effondrement de cet outil industriel alors que l’Etat russe, sous Boris Eltsine, était au bord de la faillite. De nombreuses grandes usines furent contraintes de mettre fin à leur production, et certaines d’entre elles, comme Ouralmach de Iekatarinbourg, tombèrent même aux mains de la mafia du pays. Peu de temps après avoir pris la présidence Russe, Vladimir Poutine entama toutefois la réorganisation et la modernisation de l’ensemble de cet outil industriel en friche, en y injectant plusieurs centaines de milliard d’euro depuis 2001.

C’était notamment le cas du complexe Kurganmashzavod, qui produisait depuis 1987 des véhicules de combat d’infanterie BMP-3, après avoir produit des BMP-1 puis BMP-2 pendant prés de 20 ans. Passée au bord de la faillite, l’entreprise put maintenir, grâce à l’exportation, une production réduite de l’ordre de 30 nouveaux BMP-3 par an, très en deçà de son activité lors de la période soviétique. Après être passée sous le contrôle du géant Rostec en 2019, le site de production fut modernisé pour en accroitre la productivité. Si l’on en croit la communication russe, c’est désormais le cas, la production de BMP-3 de Kurganmashzavod étant désormais capable de livrer autant de véhicules de combat d’infanterie en 1 mois qu’elle n’en livrait jusqu’ici en une année. C’est également le cas de Ouralmach qui vient de reprendre une activité de réparation et de modernisation de blindés à destination des forces aéroportées.

Avec la montée en puissance de la production de BMP-3 par Kurganmashzavod, Uralvagonzavod pourra probablement se dédier exclusivement à la production de chars T-90M et T-72B3M, ainsi qu’à la modernisation des T80 vers le standard T-80BVM

La montée en puissance de l’outil industriel russe n’est pas, en soit, la conséquence directe de la guerre en Ukraine et des très lourdes pertes subies par les forces russes engagées dans ce conflit, mais d’une démarche entamée il y a plusieurs années, de sorte à rebâtir un complexe militaro-industriel de premier ordre pour soutenir les ambitions du Kremlin. Pour autant, la nouvelle production de Kurganmashzavod pourrait avoir une influence sur la conduite des opérations russes, notamment en permettant à Uralvagonzavod de concentrer son activité sur la production de chars de combat exclusivement, et non sur un mix de chars et de BMP-3 comme aujourd’hui. Il est probable que d’autres sites industriels sont eux aussi en cours de modernisation pour être en mesure d’accélérer voire de relancer la production d’équipements de défense, de sorte que dans les mois à venir, il est raisonnable de penser que la production industrielle d’équipements de défense en Russie sera appelée à croitre de manière très sensible.

Reste que l’effort entrepris par Moscou dans ce domaine, n’est pas sans rappeler celui qui mena l’Union Soviétique à la banqueroute il y a maintenant 30 ans. En effet, aujourd’hui plus que jamais, l’économie russe prend l’aspect d’une économie de rente basée exclusivement sur l’exportation d’hydrocarbures et d’autres matières premières, pour financer non seulement l’effort de guerre en Ukraine, mais également l’ensemble de l’économie du pays. En outre, Moscou commence à rencontrer d’importants problèmes de liquidités, notamment liées au fait que le pays accepte des paiements en monnaies locales pour ses hydrocarbures exportés, sans qu’il ait accès au réseau financier mondial pour convertir ces devises y compris en rouble, avec le risque d’un prochain effondrement du rouble sur la scène internationale. De fait, la stratégie appliquée par le Kremlin dans ce domaine, risque fort de se retourner contre lui à relativement court terme.

Les armées espagnoles vont commander pour 330 m€ de systèmes anti-aériens Mistral auprès de la France

Entré en service en 1988, le missile anti-aérien à très courte portée Mistral représente, aujourd’hui, l’un des missiles de ce type le plus exporté de la planète, ainsi que l’un des plus performants. A ce titre, il est aujourd’hui en service au sein d’une trentaine de forces armées, dont 8 appartenant à l’OTAN, tant pour protéger les forces terrestres que les unités navales, ou armer les hélicoptères de combat. Depuis 1988, le missile conçu initialement par Matra devenue depuis MBDA, a connu plusieurs améliorations conséquentes. La dernière version, le Mistral 3, est entrée en service il y quelques années au sein de l’Armée de terre, et intègre un nouveau propulseur permettant d’accroitre la portée du missile au delà de 7 km à une vitesse proche de Mach 3, ainsi qu’un nouvel autodirecteur plus précis et offrant une meilleure résistance aux contre-mesures, et une charge militaire renforcée. Il peut prendre à partie aussi bien les avions de combat évoluant à basse altitude que les hélicoptères et les drones, avec un fiabilité supérieure à 99% et un taux de réussite lors de essais de l’ordre de 97%.

Les armées espagnoles font partie des plus importants opérateurs de Mistral internationaux. Les missiles de MBDA arment en effet les unités de défense anti-aérienne SHORAD de l’Armée de Terre qui dispose de 102 poste de tir d’infanterie et de 10 système ATLAS, alors que ses 24 hélicoptères de combat Tigre HAD peuvent mettre en oeuvre la version ATAM air-air. De toute évidence, Madrid est satisfait des performances offertes par le système français. En effet, alors que la livraison des 91 nouveaux missiles Mistral 3 prélevés sur l’inventaire de l’Armée de terre française commandés il y a quelques mois pour renforcer la défense anti-aérienne de ses unités terrestres, navales et aériennes, le tout pour un montant de 43,4 m€, arrive à son terme, les autorités espagnoles ont annoncé qu’une nouvelle commande cadre d’un montant de 330 m€ serait passée pour moderniser l’ensemble de son parc Mistral vers le standard Mistral 3 entre 2023 et 2032.

L’Armée de Terre française va recevoir 24 véhicules blindés Serval équipés d’une tourelle armée de 2 missiles Mistral 3 au cours de la prochaine Loi de Programmation Militaire

Après la Serbie et la Croatie, l’Espagne est le 3ème pays à se tourner à l’exportation vers la nouvelle version du missile. Pour répondre à l’évolution de la demande, MBDA a annoncé, il y a quelques mois, porter sa production mensuelle de missiles de 20 à 30 unités, ce qui laisse supposer que d’autres négociations avancées sont en cours. Le missile se montre très efficace en Ukraine, la Norvège ayant transféré dés le moi de Mai 2022 une centaine de missiles pour renforcer la défense anti-aérienne des unités ukrainiennes, la France ayant également transféré un nombre indéterminé de postes de tir et de missiles vers Kyiv. Outre ses capacités anti-aériennes à courte portée, le Mistral dans sa version navale, s’est également montré particulièrement efficace pour la défense anti-aérienne et anti-missile, raison pour laquelle la Marine Nationale a remplacé le système Crotale Naval de ses frégates légères furtives rénovées de la classe Lafayette, par deux systèmes Sadral armés de 6 Mistral chacun.