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Moscou continue d’accroitre son effort industriel pour compenser les pertes en Ukraine

Juste avant l’effondrement de l’Union Soviétique, l’industrie de défense du pays mobilisait 14 millions de travailleurs répartis dans plus de 6000 usines. Elle produisait alors prés de 2 500 nouveaux chars chaque année, ainsi que 3 500 pièces d’artillerie, 1 700 avions ou encore 9 sous-marins, et représentait 80% de l’activité industrielle et 50% du PNB du pays. L’effondrement du régime et l’éclatement de l’Union Soviétique en 1991, provoqua également l’effondrement de cet outil industriel alors que l’Etat russe, sous Boris Eltsine, était au bord de la faillite. De nombreuses grandes usines furent contraintes de mettre fin à leur production, et certaines d’entre elles, comme Ouralmach de Iekatarinbourg, tombèrent même aux mains de la mafia du pays. Peu de temps après avoir pris la présidence Russe, Vladimir Poutine entama toutefois la réorganisation et la modernisation de l’ensemble de cet outil industriel en friche, en y injectant plusieurs centaines de milliard d’euro depuis 2001.

C’était notamment le cas du complexe Kurganmashzavod, qui produisait depuis 1987 des véhicules de combat d’infanterie BMP-3, après avoir produit des BMP-1 puis BMP-2 pendant prés de 20 ans. Passée au bord de la faillite, l’entreprise put maintenir, grâce à l’exportation, une production réduite de l’ordre de 30 nouveaux BMP-3 par an, très en deçà de son activité lors de la période soviétique. Après être passée sous le contrôle du géant Rostec en 2019, le site de production fut modernisé pour en accroitre la productivité. Si l’on en croit la communication russe, c’est désormais le cas, la production de BMP-3 de Kurganmashzavod étant désormais capable de livrer autant de véhicules de combat d’infanterie en 1 mois qu’elle n’en livrait jusqu’ici en une année. C’est également le cas de Ouralmach qui vient de reprendre une activité de réparation et de modernisation de blindés à destination des forces aéroportées.

Avec la montée en puissance de la production de BMP-3 par Kurganmashzavod, Uralvagonzavod pourra probablement se dédier exclusivement à la production de chars T-90M et T-72B3M, ainsi qu’à la modernisation des T80 vers le standard T-80BVM

La montée en puissance de l’outil industriel russe n’est pas, en soit, la conséquence directe de la guerre en Ukraine et des très lourdes pertes subies par les forces russes engagées dans ce conflit, mais d’une démarche entamée il y a plusieurs années, de sorte à rebâtir un complexe militaro-industriel de premier ordre pour soutenir les ambitions du Kremlin. Pour autant, la nouvelle production de Kurganmashzavod pourrait avoir une influence sur la conduite des opérations russes, notamment en permettant à Uralvagonzavod de concentrer son activité sur la production de chars de combat exclusivement, et non sur un mix de chars et de BMP-3 comme aujourd’hui. Il est probable que d’autres sites industriels sont eux aussi en cours de modernisation pour être en mesure d’accélérer voire de relancer la production d’équipements de défense, de sorte que dans les mois à venir, il est raisonnable de penser que la production industrielle d’équipements de défense en Russie sera appelée à croitre de manière très sensible.

Reste que l’effort entrepris par Moscou dans ce domaine, n’est pas sans rappeler celui qui mena l’Union Soviétique à la banqueroute il y a maintenant 30 ans. En effet, aujourd’hui plus que jamais, l’économie russe prend l’aspect d’une économie de rente basée exclusivement sur l’exportation d’hydrocarbures et d’autres matières premières, pour financer non seulement l’effort de guerre en Ukraine, mais également l’ensemble de l’économie du pays. En outre, Moscou commence à rencontrer d’importants problèmes de liquidités, notamment liées au fait que le pays accepte des paiements en monnaies locales pour ses hydrocarbures exportés, sans qu’il ait accès au réseau financier mondial pour convertir ces devises y compris en rouble, avec le risque d’un prochain effondrement du rouble sur la scène internationale. De fait, la stratégie appliquée par le Kremlin dans ce domaine, risque fort de se retourner contre lui à relativement court terme.

Les armées espagnoles vont commander pour 330 m€ de systèmes anti-aériens Mistral auprès de la France

Entré en service en 1988, le missile anti-aérien à très courte portée Mistral représente, aujourd’hui, l’un des missiles de ce type le plus exporté de la planète, ainsi que l’un des plus performants. A ce titre, il est aujourd’hui en service au sein d’une trentaine de forces armées, dont 8 appartenant à l’OTAN, tant pour protéger les forces terrestres que les unités navales, ou armer les hélicoptères de combat. Depuis 1988, le missile conçu initialement par Matra devenue depuis MBDA, a connu plusieurs améliorations conséquentes. La dernière version, le Mistral 3, est entrée en service il y quelques années au sein de l’Armée de terre, et intègre un nouveau propulseur permettant d’accroitre la portée du missile au delà de 7 km à une vitesse proche de Mach 3, ainsi qu’un nouvel autodirecteur plus précis et offrant une meilleure résistance aux contre-mesures, et une charge militaire renforcée. Il peut prendre à partie aussi bien les avions de combat évoluant à basse altitude que les hélicoptères et les drones, avec un fiabilité supérieure à 99% et un taux de réussite lors de essais de l’ordre de 97%.

Les armées espagnoles font partie des plus importants opérateurs de Mistral internationaux. Les missiles de MBDA arment en effet les unités de défense anti-aérienne SHORAD de l’Armée de Terre qui dispose de 102 poste de tir d’infanterie et de 10 système ATLAS, alors que ses 24 hélicoptères de combat Tigre HAD peuvent mettre en oeuvre la version ATAM air-air. De toute évidence, Madrid est satisfait des performances offertes par le système français. En effet, alors que la livraison des 91 nouveaux missiles Mistral 3 prélevés sur l’inventaire de l’Armée de terre française commandés il y a quelques mois pour renforcer la défense anti-aérienne de ses unités terrestres, navales et aériennes, le tout pour un montant de 43,4 m€, arrive à son terme, les autorités espagnoles ont annoncé qu’une nouvelle commande cadre d’un montant de 330 m€ serait passée pour moderniser l’ensemble de son parc Mistral vers le standard Mistral 3 entre 2023 et 2032.

L’Armée de Terre française va recevoir 24 véhicules blindés Serval équipés d’une tourelle armée de 2 missiles Mistral 3 au cours de la prochaine Loi de Programmation Militaire

Après la Serbie et la Croatie, l’Espagne est le 3ème pays à se tourner à l’exportation vers la nouvelle version du missile. Pour répondre à l’évolution de la demande, MBDA a annoncé, il y a quelques mois, porter sa production mensuelle de missiles de 20 à 30 unités, ce qui laisse supposer que d’autres négociations avancées sont en cours. Le missile se montre très efficace en Ukraine, la Norvège ayant transféré dés le moi de Mai 2022 une centaine de missiles pour renforcer la défense anti-aérienne des unités ukrainiennes, la France ayant également transféré un nombre indéterminé de postes de tir et de missiles vers Kyiv. Outre ses capacités anti-aériennes à courte portée, le Mistral dans sa version navale, s’est également montré particulièrement efficace pour la défense anti-aérienne et anti-missile, raison pour laquelle la Marine Nationale a remplacé le système Crotale Naval de ses frégates légères furtives rénovées de la classe Lafayette, par deux systèmes Sadral armés de 6 Mistral chacun.

Les porte-hélicoptères d’assaut modernes : la menace aéro-amphibie sous l’horizon (2ᵉ partie)

Comme nous l’avons vu dans la première partie de cet article, les porte-hélicoptères d’assaut, un navire hybride associant une puissante capacité aéronavale avec un pont d’envol droit et d’un grand hangar permettant de mettre en œuvre une flotte d’hélicoptères de manœuvre et de combat, ainsi qu’une capacité amphibie au travers d’un radier pouvant accueillir des barges de débarquement ou des aéroglisseurs d’assaut, sont apparus pour répondre à la multiplication des batteries côtières équipées de missiles anti-navires capables de viser n’importe quel navire au-dessus de l’horizon.

Toutefois, si l’horizon électromagnétique constitue bien une protection efficace contre ce type de menace, il impose une contrainte des plus significatives, ayant amené à concevoir ce type de navires. Celui-ci doit en effet mener son opération d’assaut tout en restant à plus de 40 km du site de débarquement.

Si une telle distance n’influence que peu le déroulé de la première vague d’assaut, elle constitue une contrainte considérable pour la suite de l’opération, alors qu’une barge évoluant à 15 nœuds mettra près de cinq heures à faire une rotation pour aller charger et ramener sur le site de débarquement les renforts et munitions nécessaires pour soutenir l’assaut amphibie.

C’est précisément pour faire face à cette contrainte que les porte-hélicoptères d’assaut de type LHD (Landing Helicopter Deck) sont apparus. À l’instar des LPD (Landing Platform Deck), ils mettent en effet en œuvre des barges de débarquement, ou mieux, des aéroglisseurs capables d’effectuer les rotations en à peine plus de deux heures.

Surtout, le soutien et le renforcement des unités de têtes de pont, sont effectués non pas à l’aide de barges, mais de la flotte d’hélicoptères capables d’amener hommes et munitions vers la plage, mais également d’évacuer les blessés vers le navire, avec des rotations de moins de 30 minutes.

Quant aux barges ou aéroglisseurs, leur fonction principale est d’amener les véhicules et le fret trop lourd pour être transportés par un hélicoptère. Toute l’architecture des porte-hélicoptères d’assaut découle de ce contexte, de sorte à conférer aux forces d’assaut une intensité opérationnelle élevée tout en demeurant sous la protection de l’horizon.

Malgré une vitesse de 20 nœuds, un EDAR met en moyenne plus de 4 heures pour faire une rotation avec un Mistral positionné sous l’horizon

Dans la première partie de cet article, nous avons présenté les porte-hélicoptères d’assaut de la classe America de l’US Navy, le Type 075 chinois, le Mistral français ainsi que le Trieste italien. Dans cette seconde partie, nous aborderons les LHD sud-coréens de la classe Dokdo, le très prolifique concept du porte-aéronefs d’assaut Juan Carlos I espagnol, le nouveau porte-drones d’assaut Anadolu turc ainsi que les futurs porte-hélicoptères d’assaut russes de la classe Ivan Rogov du projet 23900.

Coréen du sud : porte-hélicoptères d’assaut classe Dokdo

Navire offensif par excellence, le porte-hélicoptère d’assaut équipe avant tout les marines ayant des ambitions de projection de puissance. Mais tel n’est pas le cas des deux LHD de la classe Dokdo.

En effet, ces navires ont été conçus non pour conférer à la Marine sud-coréenne une capacité d’intervention à longue distance, mais pour offrir aux forces armées du pays de nouvelles options défensives face à son tumultueux voisin du nord. Il faut dire que, dans ce domaine, Séoul a, pour ainsi dire, été à bonne école.

Alors que les forces des Nations Unies étaient acculées dans la poche de Busan par l’offensive nord-coréenne à la fin de l’été 1950, le général Mac Arthur mit sur pied l’opération Chromite, un très audacieux débarquement amphibie à Incheon, près de Séoul, pour prendre à revers les armées nord-coréennes.

Lancée le 15 septembre 1950, l’opération mobilisa 230 navires, dont plusieurs porte-avions, et permit de mettre à terre plus de 40.000 hommes du Xᵉ corps américain à quelques kilomètres de la capitale, coupant les lignes d’approvisionnement de l’adversaire, et inversant le cours de la guerre, tout du moins jusqu’à l’entrée en guerre de la Chine.

L’exemple du débarquement d’Incheon a influencé les stratèges sud-coréens, qui décidèrent, à la fin des années 90, de doter leur Marine en pleine modernisation de deux grands porte-hélicoptères d’assaut capables d’opérer sous le couvert de l’horizon, la classe Dokdo, pour se préserver de la menace des très nombreuses batteries côtières mises en œuvre par Pyongyang.

Outre les deux LHD prévus, les ingénieurs sud-coréens développèrent simultanément un modèle d’aéroglisseur d’assaut, la classe Solgae, spécialement conçue pour armer les Dokdo et leur conférer une importante capacité de rotation. Le premier porte-hélicoptères d’assaut de la classe, le Dokdo entra en service en 2007, tout comme les premiers aéroglisseurs de la classe Solgae, mais il faudra attendre 2021 pour que la seconde unité, le Marado, rejoigne, elle aussi, la Marine sud-coréenne.

Long de 199 mètres, les Dokdo n’ont qu’un déplacement en charge de 19.000 tonnes. Ils sont également économiques, avec un prix unitaire inférieur à 300 m$. Pour autant, ils peuvent transporter une force d’assaut de 720 Marines et 30 véhicules dont 10 chars, et mettre en œuvre simultanément 2 aéroglisseurs classe Solgae ainsi qu’une quinzaine d’hélicoptères UH-60, UH-1 ou super Lynx.

La capacité de transport de véhicules peut être très largement accrue si aucun hélicoptère n’est présent dans le hangar aviation. En revanche, le pont des Dokdo permet d’accueillir des appareils lourds comme le MV-22 Osprey, il ne peut, en revanche, mettre en œuvre d’appareils à décollage vertical comme le F-35B.

Pour obtenir de telles capacités sur une coque aussi réduite, les ingénieurs sud-coréens ont dû sensiblement rogner sur les performances nautiques du navire, et notamment sur son endurance à la mer.

Pour autant, eu égard à son l’utilisation planifiée de ces navires, dont la doctrine veut qu’ils soient mis en œuvre au sein d’une force navale composée d’un Dokdo, de deux destroyers lourds de la classe Sejong le grand, de plusieurs destroyers d’escortes et frégates, ainsi que de sous-marins et de plusieurs navires de débarquement classe Gwanggaeto le grand, le navire semble bien dimensionné et conçu.

La Marine sud-coréenne étant très faiblement dotée en matière de navires logistiques, et notamment de pétroliers ravitailleurs de grandes capacités, il est évident que ces flottes n’ont qu’un périmètre opérationnel régional. En outre, contrairement au Japon qui a pris le parti de moderniser ses deux porte-hélicoptères de la classe Izumo pour accueillir des F-35B, la Corée du Sud s’est tournée vers la conception d’un porte-aéronefs dédié à cette fonction.

Espagne : Porte-aéronefs classe Juan Carlos 1

À la fin des années 60, l’Espagne entreprit de doter sa marine d’une capacité aéronavale, en négociant la location du porte-avions léger américain USS Cabot de la classe Independance. Entré en service en 1943, le navire était sous cocon depuis une vingtaine d’années. Initialement destiné à mettre en œuvre des hélicoptères SH-3 Sea King, le navire baptisé Dedalo fut en 1972 acheté par Madrid puis modernisé pour accueillir les nouveaux AV-8s Matador à décollage et atterrissage verticaux.

Le Dedalo demeura le navire amiral de la Marine espagnole jusqu’en 1988 et l’arrivée du premier porte-aéronefs de conception nationale, le Principe de Asturias. Presque 2 fois plus imposant que le Dedalo avec un déplacement de 19.000 tonnes, le nouveau porte-aéronefs pouvait accueillir une trentaine d’aéronefs dont une douzaine de AV-8B Harrier II ainsi que 2 SH-3 gréés en appareil de veille aérienne avancée, et était doté d’un Skijump.

Au début des années 2000, la Marine espagnole entama la conception du remplaçant du Principe de Asturias, mais contrairement à ce dernier, le nouveau navire avait cette fois une vocation double de porte-aéronefs et de navire d’assaut.

C’est ainsi qu’en 2005 commença la fabrication du porte-aéronefs d’assaut Juan Carlos I. Long de 230 mètres pour un déplacement de 26.000 tonnes, le nouveau navire pouvait emporter, comme son prédécesseur, un escadron de Harrier II ainsi qu’une douzaine d’hélicoptères, et était doté d’un Skijump.

En version porte-aéronefs pur, il peut emporter jusqu’à 25 Harrier II, alors qu’en configuration assaut, il peut transporter et mettre en œuvre 25 hélicoptères de manœuvre NH90. Mais le Juan Carlos I dispose surtout d’un radier de plus de 1000 m² pouvant accueillir jusqu’à 4 barges de débarquement ou un aéroglisseur d’assaut LCAC, et peut accueillir plus de 900 soldats ainsi que 12.000 tonnes de fret, dont de nombreux véhicules, y compris des blindés, sur deux plateaux de 6000 m².

Selon la Marine espagnole, le navire peut accueillir jusqu’à 46 chars lourds Leopard 2. Le porte-aéronefs d’assaut construit par Navantia est entré en service en 2010, et remplaça le Principe de Asturias comme navire amiral de la Marine espagnole à partir de 2012.

L’Australie a acquis deux LHD de la classe Canberra dérivés de la classe Juan Carlos

Si l’Espagne ne s’est dotée que d’un exemplaire de ce navire, le modèle, lui, rencontra un réel succès sur la scène export. En 2007, il s’imposa ainsi en Australie face au Mistral français, ce qui donnera naissance à la classe Canberra pour remplacer les deux navires d’assaut LPD de la classe Kanimbla.

La construction des deux bâtiments australiens débuta en 2009 (Canberra) et 2011 (Adélaïde), pour entrer en service respectivement en 2014 et 2015. Bien que l’Australie ne mette pas en œuvre d’avions de combat comme le Harrier II ou le F-35B, les deux Canberra sont tout de même équipés du même Skijump que le Juan Carlos I.

En 2013, la Turquie se rapprocha, elle aussi, de Madrid pour construire sous licence cette fois, deux navires dérivés du Juan Carlos I. Initialement destinés à mettre en œuvre les F-35B qui devaient rejoindre les forces aériennes turques, les bâtiments, dont la première unité TCG Anadolu est entrée en service il y a quelques semaines, ont depuis évolué vers la fonction de porte-drones d’assaut.

Turquie : Porte-drones d’assaut TCG Anadolu

C’est en 2015 que fut signé l’accord entre Navantia et la Marine turque pour la construction de deux porte-aéronefs dérivés de la classe Juan Carlos I. La quille du premier navire de la classe fut posée en février 2019, et le navire fut admis au service en avril 2023.

Long de 232 mètres pour un déplacement de 27.000 tonnes en charge, l’Anadolu est très proche du Juan Carlos en de nombreux aspects. Toutefois, après l’éviction d’Ankara du programme F-35 suite à la livraison d’une batterie de missiles antiaériens russes S400, la fonction du navire, initialement destiné à mettre en œuvre les F-35B qui devaient rejoindre les forces aériennes turques, a considérablement évolué pour mettre en œuvre des drones de combat TB3 et Kizilelma plutôt que des avions de combat.

Le TCG anadolu est entré en service le 10 avril 2023

L’objectif d’Ankara ici est autant de doter sa marine de capacités opérationnelles supplémentaires, en tirer profit de l’expérience acquise dans le domaine des drones de combat, avec le succès international et opérationnel des drones TB2 Bayraktar, Anca et Akincy, que de trouver une parade en termes de communication suite à l’éviction du programme F-35, alors que la construction de l’Andalou était intimement liée à l’arrivée de ces aéronefs au sein des forces turques.

Depuis l’annonce de la conversion de fonction de l’Anadolu il y a deux ans, Ankara a à de nombreuses reprises communiqué sur les capacités offertes par ce nouveau navire et la cinquantaine de drones qu’il pourrait mettre en œuvre. Toutefois, à ce jour, la démonstration des capacités de l’Anadolu à lancer, mais également à récupérer des drones à la mer, n’a pas été faite.

En outre, de nombreux experts demeurent dubitatifs quant à la possibilité de récupérer un appareil comme le drone supersonique Kizilelma à bord du navire sans brins d’arrêt, alors que la mise en œuvre d’un drone MALE comme le TB3 sur un navire à la mer est également à démontrer.

Pour autant, en dehors de la dimension drone qui demeure soumise à caution, l’Anadolu va tout de même apporter à la Marine turque de nouvelles capacités significatives alors que, plus que jamais, les relations d’Ankara avec son voisin grec sont très tendues, notamment quant au devenir de nombreuses iles de la Mer Égée.

Le navire peut effet mettre en œuvre jusqu’à 25 hélicoptères lourds Ch-47 Chinook en joignant le hangar aviation avec le hangar fret, et peut transporter quatre barges de débarquement pour le transport de matériels lourds.

Si la flotte d’assaut turque était jusqu’à présent loin d’être négligeable, avec 6 LST et une trentaine de barges de débarquement de tonnage varié, elle ne disposait cependant d’aucun grand navire d’assaut capable de mener une opération majeure contre des places défendues. En outre, la Marine grecque ne dispose, ni ne prévoit de disposer, de navires comparables, alors que jusqu’ici, les deux flottes évoluaient souvent en miroir l’une de l’autre.

De fait, l’arrivée de l’Anadolu, puis celle annoncée de son sister-ship, le TCG Trackya, ostensiblement baptisé ainsi en référence à la Thrace, l’un des points de tension avec Athènes, risque fort de faire sensiblement évoluer le rapport de force naval en Méditerranée orientale.

Russie : projet 23800 classe Ivan Rogov

A la suite de la campagne de Géorgie de 2008, l’état-major russe comprit deux enseignements clés. En premier lieu, une manœuvre amphibie à l’arrière des lignes de l’adversaire aurait permis de prendre ce dernier à revers (comme ce fut le cas à Incheon en 1950), et ainsi de réduire encore davantage la durée de la guerre.

En second lieu, ses navires d’assaut de type transport de chars LST (Landing Ship Tank), ne pouvaient mener une telle opération face à un adversaire disposant potentiellement de défenses côtières. Moscou entreprit donc une consultation internationale pour se doter de quatre grands navires de type porte-hélicoptères d’assaut.

L’espagnol Navantia avec le Juan Carlos I, et le français DCNS (devenu Naval Group) s’opposèrent dans cette compétition, et c’est ce dernier qui fut sélectionné pour la conception des navires. Le contrat, signé en 2011, prévoyait d’importants transferts de technologies avec les chantiers navals russes qui, par ailleurs, ont produit des tranches entières de deux premiers bâtiments assemblés à Saint-Nazaire.

Comme on le sait, suite à l’annexion de la Crimée, la France décida de ne pas livrer les deux bâtiments à la Marine russe, ceux-ci étant finalement cédés à la Marine égyptienne.

Pour autant, le contrat permit aux chantiers navals et bureaux d’étude russes de progresser dans la conception de ce type de navires, et de récupérer certaines compétences perdues, comme cela a été mis en évidences avec les déboires des deux premières unités de la classe Ivan Grene.

Surtout, la prise de la Crimée permit à Moscou de mettre la main sur les chantiers navals Zaliv, spécialisés dans la construction de grandes unités navales, là où précisément les chantiers navals russes peinaient dans ce domaine.

Si la construction des deux porte-hélicoptères de la classe Ivan Rogov était régulièrement abordée dans la communication russe depuis 2017, la confirmation n’intervint qu’en 2019 lorsque les chantiers navals Zaliv furent désignés pour cette tâche, après qu’ils eurent été eux-mêmes profondément modernisés. La construction des deux navires de la classe débuta simultanément le 20 juillet 2020, à l’occasion d’une cérémonie à laquelle participa le président Vladimir Poutine.

Selon les informations transmises par les autorités russes, les navires devraient avoir une longueur de 220 mètres pour un maitre-bau de 38 mètres et un déplacement en charge de près de 40.000 tonnes, se rapprochant de fait davantage des classes America ou Type 075 que des Mistral français.

Le radier permettra d’accueillir 4 navires de débarquement de type Dyugon ou 2 aéroglisseurs Tsaplya, pour mettre à terre les 70 véhicules transportés. Les 900 hommes des forces d’assaut, quant à eux, pourront être déployés par les 21 hélicoptères de transport ou d’assaut embarqués à son bord.

Certaines informations font également état de la possibilité par ces navires de mettre en œuvre jusqu’à quatre drones de combat lourds S70 Okhtonik B, mais rien à ce jour ne permet de confirmer ces dires. Les deux navires sont censés entrer en service en 2028 et 2029 au sein de la flotte du pacifique et de la flotte de mer Noire. Toutefois, le chantier Zaliv étant en Crimée, on ignore quelles seront les conséquences de la guerre sur la poursuite des travaux.

Conclusion

En bien des aspects, les nouveaux porte-hélicoptères d’assaut, apparus depuis le milieu des années 70, représentent aujourd’hui l’une des plus importantes innovations en termes de navires de combat depuis l’apparition des sous-marins à propulsion nucléaire au milieu des années 50.

Il est intéressant, à ce titre, de remarquer que c’est précisément ce type de bâtiment économique et versatile, qui a été choisi semble-t-il pour porter la future grande évolution des porte-drones en devenir, que ce soit en Chine, en Turquie ou en Russie.

Reste qu’à ce jour, aucun des LHD en service n’a mené effectivement la mission pour laquelle il a été conçu, à savoir mener un assaut aéro-amphibie de grande ampleur contre une cible défendue en gardant le couvert de l’horizon.

En outre, comme l’a montré l’épisode du croiseur russe Moskva en Mer Noire, le couvert de l’horizon est aujourd’hui tout relatif depuis l’arrivée de drones capables de repousser de plusieurs dizaines de kilomètres la limite de sécurité derrière laquelle ces navires devront à l’avenir évoluer, d’autant que beaucoup semblent particulièrement faiblement dotés en systèmes de protection.

Cette même menace peut d’ailleurs représenter une entrave considérable au déploiement des barges ou des aéroglisseurs transportant les forces vers la terre, alors que les défenses anti-aériennes constituent, on le sait, une menace majeure pour des hélicoptères qui, au-dessus de la mer, auraient bien du mal à tenter d’exploiter le relief pour se dissimuler.

De fait, on peut se demander si, aujourd’hui, les réponses apportées par le porte-hélicoptères d’assaut ne sont pas de trop datées pour représenter une solution efficace face à l’évolution des capacités de défense du littoral ?

Les Etats-Unis craignent la banalisation du « chantage à la dissuasion » russe et chinois

Alors que les tensions ne cessent de croitre, le recours au chantage à la dissuasion semble être devenu une pratique de plus en plus employée par les dirigeants russes, mais aussi nord-coréens et même chinois, alors que les occidentaux manquent de répondant en la matière.

À peine quelques jours après l’entame des opérations militaires en Ukraine, Vladimir Poutine ordonnait de manière très médiatique à son chef d’État-Major et son ministre de la Défense de mettre en état d’alerte avancé les forces stratégiques russes, en réponse au premier train de sanction venu des États-Unis et d’Europe contre la Russie en réponse à cette agression.

Depuis, Moscou a répété à plusieurs reprises ses menaces stratégiques pour tenter d’empêcher les occidentaux de s’immiscer dans le conflit en cours, et d’apporter un soutien croissant aux ukrainiens.

Si cela n’a pas empêché les États-Unis, la Grande-Bretagne et nombre de pays européens de livrer des armements de plus en plus lourds à mesure que la résistance ukrainienne montait en puissance, cette posture a toutefois convaincu les occidentaux de renoncer à livrer certains matériels avancés comme des avions de combat, des systèmes anti-aériens ou de l’artillerie à longue portée, ainsi que d’intervenir militairement dans le conflit, en imposant par exemple une zone d’exclusion aérienne au-dessus du pays.

Pour l’Amiral Charles Richard, commandant l’US Strategic Command, il faut désormais s’attendre à ce que ce type de chantage à la dissuasion se multiplie dans les rapports de force entre l’Occident et la Russie, mais également face à la Chine.

En dépit des traités interdisant les armes et courte et moyenne portée à capacité nucléaire en Europe, Moscou s’est en effet doté de nombreux systèmes à capacité duale, capables aussi bien de transporter des charges conventionnelles que nucléaires, susceptibles d’être employés pour ce type de chantage.

C’est le cas notamment du missile balistique à courte portée 9M273 Iskander-M capable d’emporter une charge nucléaire de 50 kilotonnes à 500 km dans une trajectoire semi-balistique conçue pour déjouer les défenses antimissiles occidentales, comme du missile de croisière 3M-54/14 Kalibr d’une portée de 1500 km embarqués à bord des corvettes, frégates et sous-marins russes (précisément pour contrer le traité INF qui ne concernait que les missiles terrestres), ou encore le missile de croisière 9M729 Iskander-K qui provoqua le retrait des Etats-Unis du traité INF.

Le chantage à la dissuasion est mis en œuvre par la Russie avec l'arrivée du missile Kinzhal
Le missile hypersonique aéroporté Kinzhal peut transporter une charge nucléaire de 100 à 500 kt à 2000 km de distance

De même, les nouveaux missiles hypersoniques russes sont, eux aussi, à capacité duale, comme le Kinzhal d’une portée de 2000 km pouvant transporter une charge nucléaire de 100 à 500 kilotonnes, et le missile anti-navire 3M22 Tzirkon capable d’emporter une charge nucléaire estimée à 200 kt.

Coté chinois, il en va de même, avec des missiles comme le DF-21 d’une portée de 1500 km et capable d’emporter jusqu’à 6 têtes nucléaires autonomes de 200 à 500 kt, le DF-26 d’une portée de 4500 km, et le DF-17 d’une portée estimée à plus de 2000 km et emportant une charge nucléaire au sein d’un planeur hypersonique.

Plus récemment, Pékin a révélé l’existence de missiles balistiques navals et aéroportés de puissance et capacités comparables à celles du DF-21. En outre, les forces stratégiques chinoises ont entrepris la construction d’au moins 360 silos durcis pour accueillir sa nouvelle flotte de missiles balistiques intercontinentaux à carburant solide dans les années à venir, alors que depuis deux ans, Pékin a vu le nombre de ses têtes nucléaires disponibles doublées, à la stupeur des services de renseignement US qui estimaient qu’il faudrait une dizaine d’années à la Chine pour y parvenir.

Les efforts consentis tant par Moscou que par Pékin pour accroitre et moderniser rapidement leurs arsenaux nucléaires respectifs, et pour se doter d’une panoplie de vecteurs susceptibles de couvrir un large spectre de besoin, laisse en effet craindre que ces deux pays estiment désormais que leur outil de dissuasion peut être employé au-delà de la simple protection stratégique de l’intégrité territoriale, comme c’est le cas des cinq grandes puissances nucléaires depuis un demi-siècle, mais pour servir d’arme de contention, et peut-être même de riposte graduée, dans des conflits régionaux.

C’est, de toute évidence, clairement ainsi que Moscou emploie aujourd’hui sa propre dissuasion pour contenir l’aide occidentale à l’Ukraine, et qu’il entend faire faire pression sur Helsinki et Stockholm pour empêcher la Finlande et la Suède de rejoindre l’OTAN.

Depuis février 2020, sous l’impulsion de Donald Trump, certains sous-marins de la classe Ohio emportent des missiles Trident II armés de têtes nucléaires dites de basse intensité W76-2

Pour l’Amiral Charles Richard, il est d’ailleurs probable que Pékin observe aujourd’hui avec attention l’efficacité de ce type de menace face aux occidentaux, et en particulier face aux Etats-Unis, dans le cadre du conflit ukrainien, de sorte à se préparer à faire de même dans un éventuel conflit pour s’emparer de Taïwan.

Le chef de l’US Strategic Command estime, à ce titre, qu’il est indispensable pour les Etats-Unis de poursuivre le développement du nouveau missile de croisière naval à capacité nucléaire destiné à redonner aux navires de surface et sous-marins d’attaque de l’US Navy des capacités de frappe nucléaire limitée.

Il préconise aussi de poursuivre le déploiement de capacités de frappe nucléaire de basse intensité, comme c’est le cas des missiles Trident II armés de têtes nucléaires de 5 kt W-76-2 emportés depuis février 2020 à bord de certains sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Ohio de l’US Navy.

En effet, depuis la fin de la Guerre Froide, les armées américaines, britanniques et françaises ont progressivement éliminé de leurs arsenaux les armes et vecteurs à capacité nucléaire de faible et moyenne intensité, limitant la force de dissuasion aux armes dépassant le seuil stratégique.

Face à la réorganisation des relations internationales, Washington, Londres et Paris estimaient alors que les armes nucléaires se limitaient au seuil stratégique, et étaient essentiellement des armes de « non-emploi ».

Même les capacités limitées, comme la dissuasion partagée de l’OTAN basée sur la bombe nucléaire B61, et la composante aérienne de la dissuasion française basée sur le missile de croisière supersonique ASMPA, emportent des charges nucléaires de plusieurs dizaines à plusieurs centaines de kilotonnes, et leurs doctrines d’emploi sont très imprégnées des limitations occidentales.

Contrairement à la Grande-Bretagne, la France a conservé une composante aérienne à sa dissuasion avec deux escadrons de Rafale armés de missile de croisière supersoniques ASMPA

Toutefois, se doter de capacités de réponse nucléaire graduée, si elle permet effectivement de se mettre sur un pied d’égalité avec l’évolution de la menace russe et chinoise, n’est pas sans générer ses propres risques inhérents.

En effet, plusieurs simulations ont montré que l’utilisation d’armes nucléaires de faible intensité augmentait considérablement le risque d’escalade plus ou moins progressivement jusqu’à seuil stratégique, et pouvait même en accroitre le risque du fait de la mauvaise appréciation réciproque des intentions de l’adversaire.

Pour autant, il est probable qu’en ne se dotant que d’une partie de cet arsenal, plus précisément en ne disposant que d’armes stratégiques, cela ouvre également des opportunités hypothétiques pour ceux qui disposeraient d’un arsenal complet.

C’est précisément ce qui aujourd’hui fait craindre à certains experts que Moscou pourrait utiliser une arme nucléaire ou chimique de faible intensité en Ukraine si la situation continuait à lui échapper militairement parlant, précisément pour geler le soutien occidental à Kyiv.

Une chose est cependant certaine désormais, les années à venir ressembleront bien davantage aux années 60, 70 et 80, qu’aux années 90, 2000 et 2010, dans le domaine des relations internationales, mais surtout concernant les tensions entre grandes puissances et la course aux armements, y compris dans le domaine nucléaire.

Si l’on peut douter de la capacité de Moscou à maintenir sur la durée un niveau de dissuasion et de menace comparable à celui dont il dispose aujourd’hui du fait des sanctions occidentales, il ne fait aucun doute que Pékin, de son côté, va rapidement monter en puissance dans ce domaine, au point de tangenter les capacités américaines de dissuasion d’ici à une quinzaine d’années au mieux.

Pour la France, il s’agit d’un nouvel argument critique et urgent en faveur d’une nouvelle Revue Stratégique ou d’un nouveau Livre Blanc sur La Défense, tant les paradigmes sur lesquels sont basés les documents constituant le socle de la programmation militaire française sont désormais obsolètes dans presque tous les domaines, y compris les plus critiques.

Après les Pays-Bas, le système d’artillerie à longue portée israélien PULS pourrait séduire l’Espagne

Il y a quelques jours, l’Armée de Terre Espagnole a annoncé qu’elle entendait obtenir, dans le cadre de la modernisation de ses capacités d’artillerie, 12 systèmes d’artillerie à longue portée de sorte à armer deux batteries au sein du Grupo de Artillerie Lanzacohetes de Campaña (Groupe d’artillerie lance-roquettes de Campagne) ou GALCA. Pour les forces espagnoles, comme pour une majorité de forces armées en Europe, il s’agit de renforcer les capacités d’engagement en matière de haute intensité, et de renforcer les capacités de frappe dans la profondeur du dispositif adverse, dont l’efficacité a été démontrée en Ukraine, surtout lorsque les forces aériennes ont été, quant à elles, en grande partie neutralisées. L’estimation de l’Etat-major espagnol n’a cependant surpris personne à Madrid. En effet, une vaste consultation internationale a été lancée il y a quelques mois, en vue d’acquérir ces systèmes.

3 offres formelles ont été transmises au ministère de la défense aujourd’hui. La première repose sur le K239 Chunmoo du sud coréen Hanwha défense, associé à l’espagnol Tecnesis 3000. La seconde, plus exotique, rassemble le brésilien Avibras et l’espagnol SMS pour promouvoir le système Astros II, qui en dépit de sa faible reconnaissance en Europe, a connu un réel succès sur la scène internationale auprès de 9 forces armées, dont l’Arabie Saoudite, l’Indonésie et l’Irak. La troisième offre semble, selon les informations du site infodefensa.com, avoir les faveurs des militaires mais également du Ministère de la Défense. Celle-ci repose sur un consortium rassemblé autour de l’Israélien Elbit, et concerne le système PULS.

Peu connu en Europe, l’Astros II du brésilien Avibras offre des performances proches de celles du PULS ou de l’HIMARS

Déjà choisi par Amsterdam au détriment de l’HIMARS il y a quelques semaines, et par Copenhague quelques mois plus tôt, le PULS est une évolution du lance-roquettes Lynx développé par Israeli Military Industry (IMI) pour armer les forces armées israéliennes. Particulièrement versatile à l’instar du système HIMARS, il peut mettre en oeuvre des roquettes allant du calibre de 122mm au calibre 370mm installées dans des conteneurs spécifiques, offrant une portée allant de 40 à 400 km. En outre, les négociateurs israéliens semblent se montrer particulièrement coopératifs, Madrid souhaitant obtenir un taux de production national de l’ordre de 75% pour un programme dont l’enveloppe globale ne dépasserait pas les 290 m€ entre 2023 et 2028. Il est très probable que ces exigences expliquent l’absence d’offre de la part de Lockheed-Martin avec l’HIMARS. De toute évidence, le groupe américain entend obtenir une commande bien plus significative pour penser à mettre en place une production locale.

Reste que ces derniers mois, les équipements israéliens s’adjugent la part du lion dans de nombreux contrats en Europe, qu’il s’agisse de missiles avec le SPIKE, le SPYDER et probablement l’Arrow-3, les systèmes hard-Kill avec le Trophy ou encore l’artillerie avec l’ATMOS et le PULS. Le plus souvent, ces contrats sont passés alors que des systèmes équivalents existent en Europe, offrent des performances au moins aussi élevées et des tarifs cohérents face aux offres israéliennes, comme avec le missile antichar MMP, les systèmes anti-aériens Iris-t SL et Mica VL, le système hard-kill ADS et bien entendu le canon auto-porté CAESAR. Et lorsque ces systèmes n’existent pas en Europe, comme pour l’Arrow-3 et le PULS, les compétences technologiques existent pour les développer. De manière évidente, le principe de préférence européenne et d’autonomie stratégique européenne sont encore très loin d’avoir convaincu sur le vieux continent.

La Pologne tente-t-elle de griller la politesse à Rheinmetall autour de la production d’HIMARS en Europe ?

Il n’y a de cela que quelques jours, le PdG de l’allemand Rheinmetall, Armin Papperger, et la vice-présidente des Missiles tactiques de chez Lockheed-Martin, signaient publiquement une déclaration d’intention en vue de proposer un système lance-roquettes multiples dérivé du HIMARS à la Bundeswehr, afin de remplacer les MARS II aujourd’hui en service. Il s’agissait dans un premier temps de répondre au partenariat signé entre Krauss-Maffei Wegmann et l’israélien ELBIT autour du système PULS déjà choisi par Amsterdam plutôt que l’HIMARS dans le cadre de la modernisation des armées néerlandaises. Mais pour Rheinmetall, les objectifs du partenariats ne se limitaient probablement pas à la seule Bundeswehr, face à un marché européen en forte demande pour ce type d’équipement qui a démontré tout son potentiel en Ukraine. Mais les ambitions de Rheinmetall, de même que celles de KMW quant à disposer de la seule ligne de production de systèmes lance-roquettes en Europe, pourraient être rapidement contrariées.

En effet, à l’occasion d’une visite de 3 jours aux Etats-Unis, le ministre de la défense et vice-premier ministre Polonais, Mariusz Błaszczak a déclaré s’être entretenu avec la direction de Lockheed-Martin au sujet d’une possible production de systèmes HIMARS en Pologne. Selon lui, Lockheed-Martin aurait fait savoir qu’elle était effectivement intéressée par une coopération industrielle approfondie et par des investissements en Pologne, ouvrant la voie à de prochaines négociations directes à ce sujet. A ce titre, la première étape de la visite de Mariusz Błaszczak aux Etats-Unis, n’était autre qu’à Camden, dans l’Arkansas, précisément là où sont assemblés les HIMARS américains. Et pour y parvenir, le ministre de la défense polonais est prêt à sortir le portefeuille, en précisant que les négociations autours de l’acquisition de 500 systèmes HIMARS par les armées polonaises restaient toujours d’actualité.

la decision de Varsovie d’acquérir 350 systèmes K239 sud-coréens semble remise en cause par les propos du ministre de la défense polonais en visite aux Etats-Unis

Rappelons qu’il y a quelques mois, les autorités polonaises avaient annoncé avoir privilégié l’acquisition de 300 systèmes sud-coréens K239 Chunmoo, plus économiques et surtout pouvant être livrés plus rapidement, dans le cadre de l’acquisition de 500 lance-roquettes multiples, ce qui laissait supposer que seuls 200 nouveaux systèmes HIMARS seraient effectivement commandés par Varsovie. L’hypothèse de pouvoir disposer de la production de l’ensemble des HIMARS destinés au segment européen a, semble-t-il, amené les autorités du pays à réviser leur position, pour laisser la porte ouverte à une commande globale unique de 500 HIMARS très probablement liée à un accord de production locale. Rappelons qu’un précédent accord avait déjà attribué à la Pologne la maintenance de tous les systèmes HIMARS européens. Lockheed-Martin, et plus globalement les Etats-Unis, auraient eux aussi tout intérêt à saisir l’opportunité présentée par Mariusz Błaszczak, quitte à devoir froisser les ambitions de Rheinmetall. Non seulement un marché de 300 HIMARS est, en soit, considérable, mais une production locale en Pologne permettrait probablement de proposer des systèmes moins onéreux face à la concurrence du Puls israélien ou du K239 sud-coréen. D’autre part, cela priverait la Corée du Sud d’un débouché et d’une référence critique pour soutenir son lance-roquette sur la scène internationale.

Reste à voir quels seront les suites données par l’industriel américain, mais également par l’exécutif et le congrès des Etats-Unis, à cette proposition polonaise. On le sait, Varsovie n’en est pas à sa première offre très attractive pour tenter de renforcer sa coopération avec Washington, et pour remplacer Berlin comme partenaire privilégié sur l’échiquier européen. Toutefois, il ne faut probablement pas négliger la force de conviction et les arguments des entreprises allemandes, qui ne manquent pas d’alliés puissants au sein de la BITD américaine. Au delà de ce bras de fer germano-polonais à distance, on remarquera également que dans ce domaine, aucun des grands acteurs européens, en dehors de la France, n’envisage la conception d’un système local. Pourtant, il est rare qu’une telle demande en volume n’émerge sur une temporalité aussi ramassée, constituant de fait un contexte privilégié pour une coopération industrielle et technologique européenne à ce sujet. Certes, l’argument des délais peut être avancé, mais la réalité est que la menace conventionnelle russe ne sera pas effective avant une décennie, le temps pour les armées russes, et surtout les forces terrestres, de se reconstituer. Dès lors, il n’existe guère d’arguments valides pour justifier d’un tel empressement qu’il nécessiterait une acquisition sur étagère importée au détriment d’un programme européen … Cela en dit long sur la réalité de ce concept, dans les faits.

Selon certaines photos, une batterie Patriot ukrainienne aurait intercepté un missile ‘hypersonique’ Kinzhal

Depuis l’annonce officielle en mars 2018 de son entrée en service, le missile aéroporté russe Kinzhal était présenté, et souvent reconnu, comme une munition hypersonique dont la vitesse et la capacité de manoeuvre le mettait hors de portée des systèmes anti-missiles existants. Cet argument a souvent été mis en avant, notamment en Occident, pour justifier de certaines positions politiques. Mais cette aura d’invincibilité pourrait bien avoir été taillée en brèche dans la nuit du 4 Mai. En effet, selon des photos publiées par le site ukrainien defence–ua.com, l’un de ces missiles aurait été intercepté par une des nouvelles batteries Patriot livrées à Kyiv pour renforcer la défense anti-aérienne et anti-missile du pays et de ses forces, ainsi que pour pallier le manque de munitions des systèmes traditionnellement employés pour fermer le ciel du pays, comme le S-300.

Pour l’heure, il est très difficile de valider ou d’invalider les déclarations du site ukrainien. Effectivement, les 2 photos publiées montrent un corps et une coiffe d’un missile qui de toute évidence n’ont pas explosé, et qui revêttent certains aspects proches du Kinzhal. Plus particulièrement, la coiffe présentée montre un aspect et des décrochements assez caractéristiques du missile hypersonique russe, comme c’est d’ailleurs aussi le cas du missile sol-sol du système Iskander. Toutefois, sa localisions précise, avancée par le site dans la banlieue de Kiev, et surtout les causes ayant amené le missile à frapper le sol en dehors d’une cible de valeur sans exploser, sont à cette heure impossibles à établir, tout comme le fait que ces deux photos soient liées, encore moins qu’il ait effectivement été détruit par un missile tiré par une des nouvelles batteries Patriot. Par ailleurs, si des frappes massives russes ont bien eu lieu en Ukraine dans la nuit du 4 Mai, les communiqués officiels des armées ukrainiennes font état de l’utilisation de drones iraniens Shahed 136 plutôt que de missiles, et ce dans la région de Kherson, et non Kyiv.

Les deux photos publiées par le site ukrainien peuvent effectivement représenter un Kinzhal, mais également un Iskander. Elles ne peuvent en revanche justifier de la localisation du cliché ni de l’origine de l’épave.

De fait, sans pouvoir être exclu, il convient de se montrer prudent quant à cette annonce, qui à cette heure n’a d’ailleurs pas été confirmée par les autorités ukrainiennes (PS : depuis la rédaction de cet article, l’état-major ukrainien a confirmé avoir abattu un missile balistique russe à l’aide d’une batterie Patriot), ni par des observations concordantes. Et si la compassion mais également l’expérience de 15 mois de guerre tendent à donner plus de crédits aux déclarations ukrainiennes que russes, il demeure que cette déclaration n’est pas, à cet instant, ni confirmée, ni infirmée en dehors des déclarations faites. Elle est, en revanche, l’occasion de revenir sur certains aspects possiblement sur-évalués autour du missile Kinzhal. Dérivé de l’Iskander, le Kinzhal est un missile aéroporté lourd à trajectoire semi-balistique. Il peut, de fait, suivre une trajectoire balistique aplatie avec une apogée entre 50 et 60 km d’altitude, soit au dessus du plafond de systèmes anti-balistiques comme le PAC-3 du système Patriot ou l’Aster Block1B du système Mamba, et sous le planché de systèmes comme le THAAD, le SM-3 ou l’Arrow-3. En outre, il maintient effectivement une vitesse au delà de Mach 5 sur l’ensemble de sa trajectoire. Pour autant, son invincibilité supposée est loin d’être démontrée aujourd’hui.

En effet, en premier lieu, les capacités de manoeuvre du Kinzhal, qui utilise une ogive très semblable à celle de l’Iskander, sont loin d’être avérées. En particulier, et contrairement par exemple au missile hypersonique tactique DF-17 chinois, le Kinzhal n’est pas doté d’un planeur hypersonique qui, en effet, lui conférerait une importante capacité de manoeuvre pour mettre en défaut les défenses anti-aériennes et anti-balistiques. A ce titre, la classification d’arme hypersonique aujourd’hui, fait le plus souvent référence à une vitesse hypersonique (supérieure à Mach 5) associée à une grande capacité de manoeuvre, en excluant de fait les missiles balistiques traditionnels comme l’Iskander qui ne répondent qu’à la première des deux conditions.

La coiffe de l’Iskander-M est très proche de celle du Kinzhal, les deux missiles étant par ailleurs très proches en terme de capacités.

En second lieu, la sécurité offerte par la trajectoire semi-balistique ne concerne que le transit. Dans sa phase de descente, le missile entre en effet dans l’enveloppe de tir de systèmes comme le Patriot PAC, pour peu qu’ils soient déployés à proximité de la cible visée. Dit autrement, Si le Patriot et Mamba ne peuvent faire barrage à un tir de Kinzhal, ils peuvent intercepter le missile dans sa phase plongeante s’ils se trouvent à proximité de la cible visée, du fait des faibles capacités de manoeuvre de l’ogive et en dépit de sa vitesse effectivement hypersonique. Il faudra donc se montrer très attentif quant aux suites qui seront données aux déclarations ukrainiennes concernant cette interception potentielle, ce qui pourrait effectivement confirmer le caractère excessif de la classification du Kinzhal comme une arme hypersonique, pour le reclasser dans la catégorie des armes à trajectoire semi-balistique.

Le démonstrateur d’hélicoptère super-véloce Racer d’Airbus devrait (vraiment) voler cette année

Par deux fois, le 7 et le 15 mars 2022, plusieurs hélicoptères de transport et d’attaque des forces russes en déploiement avancé sur l’aéroport international de Kherson, furent victimes d’attaques ukrainiennes ayant détruit ou gravement endommagé au moins une quinzaine d’appareils par une frappe d’artillerie et une attaque de forces spéciales. Conformément à la doctrine russe, les appareils avaient en effet été déployés au plus prêt de la zone d’engagement, de sorte à réduire les délais de transit et temps de réaction pour soutenir les forces. Malheureusement pour l’état-major russe, les ukrainiens surent mettre à profit cette faiblesse pour réaliser l’une des premières actions d’éclat de cette guerre. Cet épisode illustre parfaitement une nouvelle réalité auxquelles les unités d’aérocombat doivent désormais faire face, les obligeants à opérer à partir de bases beaucoup plus distantes des lignes d’engagement, augmentant de fait les temps de transit et réduisant l’un des atouts de l’hélicoptère au combat, à savoir sa grande réactivité. Dans le même temps, les hélicoptères russes comme ukrainiens payèrent un très lourd prix à la densification des systèmes anti-aériens, en particulier des missiles sol-air portables à l’origine de la majorité des pertes des hélicoptères des deux camps.

Ces deux aspects ne sont pas, à proprement parler, des révélations pour les armées occidentales. Ainsi, outre-atlantique, l’US Army a lancé à la fin des années 2000 le programme Futur Vertical Lift, ayant pour objectif de remplacer les hélicoptères hérités du super programme BIG 5 des années 70 ayant donné naissance à l’UH-60 Black Hawk, à l’OH-58 Kiowa ainsi qu’à l’Apache AH64. Le cahier des charges de l’US Army repose avant tout sur des performances largement accrues des nouveaux appareils, en particulier en terme de vitesse et d’endurance, précisément afin de réduire les temps de transit à partir de base déployées à distance de sécurité de la ligne d’engagement, mais également pour réduire les délais de réaction des opérateurs de défense anti-aérienne et ainsi garantir la sécurité des appareils. C’est ainsi qu’il y a quelques mois, l’hélicoptère à rotors basculant V-280 Valor de Bell a été sélectionné dans le cadre du programme FLRAA pour remplacer le Black Hawk. Entre autres caractéristiques, le Valor a une vitesse de croisière de 280 noeuds presque deux fois plus élevée que les 150 noeuds de l’UH-60, et un rayon d’action au combat de 1400 km contre 600 km pour le Black Hawk.

Le Bell V280 Valor participe à la competition FLRAA pour remplacer les UH60 Black Hawk

En Europe aussi, les hélicoptères à hautes performances sont à l’étude. C’est notamment le cas de l’AW609 à rotor basculant développé par l’italien Leonardo avec l’aide de Bell, qui avait déjà conçu l’Osprey mis en oeuvre par l’US Marines Corps et employant la même technologie. Toutefois, l’Osprey comme l’AW609, et dans une moindre mesure car plus évolué, le V-280, souffrent d’une technologie complexe, onéreuse et contraignante, tant en matière de pilotage que de maintenance, alors que l’autre alternatives développée par Sikorsky avec le Raider, repose sur la non moins complexe technologie des rotors contra-rotatifs et de l’hélice propulsive. Dans ce domaine, le programme Racer d’Airbus Hélicoptères représente, en quelques sortes, une pépite d’ingénierie et de technologies. Basé sur les acquis du démonstrateur X3, l’appareil met en effet en oeuvre deux hélices de part et d’autre de la cellule, dont l’énergie provient directement des turbines entrainant le rotor principal, et qui assurent à la fois un rôle de propulsion pour accroitre la vitesse et réduire la consommation de l’aéronef, mais également de force anti-couple en différenciant la puissance délivrée à chaque hélice.

Le démonstrateur de cette technologie, qui a reçu le nom de Racer, est en cours d’assemblage dans l’usine d’Airbus hélicoptères de Marignane, et devrait, selon le site aerobuzz, être en mesure d’effectuer son premier vol d’ici la fin de l’année en cours. Ce n’est pas la première fois qu’une telle information émerge, une déclaration identique ayant été faite l’année dernière à la même époque. Mais il existe des raisons d’espérer que cette fois, l’annonce se concrétisera. En effet, le programme Racer n’a pas été financé par la DGA, ni par une initiative européenne de défense comme c’est le cas des programmes FVL américains, mais par le programme civil européen Clean Sky, qui vise à réduire la pollution des moyens aériens. Or, le programme Clean Sky 2, qui finance le développement du Racer, prendra fin en 2024, alors que le programme Clean Aviation qui doit lui succéder, ne prévoit aucun credit pour les hélicoptères, le sujet étant jugé marginal en matière d’écologie. De fait, il est désormais indispensable à Airbus Hélicoptère de mettre les bouchées doubles pour faire rapidement voler son appareil, faute de quoi il pourrait manquer de crédits pour y parvenir. Quoiqu’il en soit, on ne peut qu’espérer que le potentiel technologique développé autour du Racer, soit rapidement exploité, et en particulier à des fins militaires pour concevoir la prochaine génération d’hélicoptères de manoeuvre et de combat qui, de toute évidence, devra s’appuyer sur des technologies et de performances de ce type pour espérer survire à un environnement de haute intensité.

Le démonstrateur EMBT de Nexter peut-il s’inviter dans le prochain standard du Leopard 2 ?

Il n’y a de cela que quelques mois, les actualités traitant de chars de bataille, désignés par l’acronyme anglais MBT (Main Battle Tank), ne représentaient qu’une infime partie de l’actualité défense, en Europe comme partout dans le Monde.

La guerre en Ukraine et ses conséquences, notamment sur la demande pour ce type de blindés, ont radicalement changé la donne, et le sujet désormais est non seulement fréquemment traité, mais il rencontre un réel intérêt de la part de l’opinion publique.

Le thème est également devenu un sujet d’intérêt pour les politiques, comme a pu le constater le Délégué Général à l’Armement, Emmanuel Chiva, lors de son audition par les députés de la Commission Défense de l’Assemblée Nationale, dans le cadre des consultations préparatoires au vote de la future Loi de Programmation Militaire.

Plusieurs députés ont en effet interrogé le DGA sur le devenir du programme franco-allemand MGCS qui, on le sait, rencontre certaines difficultés depuis plusieurs mois. À ce sujet, Emmanuel Chiva s’est voulu rassurant, précisant que le programme suivait sa trajectoire, mentionnant que huit démonstrateurs technologiques principaux (ou MTD pour l’acronyme anglophone) avaient été attribués aux industriels.

Bien que rassurante, la réponse du DGA tenait cependant d’une certaine langue de bois, passant sous silence par exemple que les 5 MTD restants de ce programme qui en compte 13, parmi lesquels certains sujets d’importance comme l’armement principal du char et son blindage, avaient été « reportés » du fait des oppositions entre industriels, et notamment entre Rheinmetall et Nexter.

Surtout, la question du report du programme au-delà de 2040, pourtant clairement abordé et même, en grande partie arbitrée, outre Rhin, a été évitée, alors que de l’aveu même du Ministre des Armées français, Sébastien Lecornu, un tel glissement serait plus que problématique pour l’Armée de Terre qui entend remplacer ses Leclerc partiellement modernisés à partir de 2035. Dans ce contexte, l’audition par cette même commission de Nicolas Chamussy, le PDG de Nexter, apporte des éclairages intéressants.

L’EMBT a été présenté par KNDS lors du salon Eurosatory 2022

Selon lui, en effet, Nexter dispose d’une solution pouvant remplir le rôle de modèle intermédiaire entre les Leclerc actuels et le futur MGCS, si celui-ci venait à glisser vers 2040 ou au-delà. Il s’agit du démonstrateur EMBT, présenté au public lors du salon Eurosatory 2022, concomitamment au KF-51 Panther de Rheinmetall.

L’hypothèse ne surprendra d’ailleurs en rien les lecteurs réguliers de Meta-Defense, le site ayant déjà consacré cinq articles au potentiel de ce démonstrateur comme solution intérimaire pour l’Armée de terre dans l’attente du MGCS.

Pour Nicolas Chamussy, le nouveau contexte opérationnel hérité des affrontements en Ukraine impose en effet de disposer d’un char ayant de nouvelles capacités face au Leclerc, pour répondre à la menace dans les années à venir. Et dans ce domaine, l’EMBT est particulièrement bien doté.

En premier lieu, il convient de préciser qu’aujourd’hui, le démonstrateur EMBT est constitué d’une nouvelle tourelle dessinée par Nexter en vue du salon Eurosatory 2022, montée sur une caisse de Leopard 2 fournie par son partenaire Krauss-Maffei Wegmann au sein du groupe KNDS.

Cette tourelle est en grande partie automatisée, et dispose d’un puissant armement offensif et défensif avec un canon de 120 mm à âme lisse pouvant être remplacé, à l’avenir, par le canon de 140 mm Ascalon développé par Nexter, ainsi qu’un tourelleau de 30 mm à fort débattement pouvant notamment engager les cibles aériennes et les drones, ainsi qu’un second tourelleau armé d’une mitrailleuse de 7,62 mm.

Elle dispose également d’un système de protection hard-kill / soft-kill évolué avec l’intégration native et protégée d’un APS Trophy pour en garantir l’efficacité et la pérennité. Enfin, le blindé dispose d’une vétronique très avancée multicanale permettant à l’équipage d’avoir une perception complète de l’environnement qui entoure le char.

Le KF-51 Panther est le cheval de bataille de Rheinmetall pour s’imposer sur le marché des MBT

À ce titre, l’équipage est porté, quant à lui, à quatre membres, non que le canon principal soit à chargement manuel ou semi-automatique nécessitant un poste de chargeur comme pour l’Abrams et le Leopard 2, celui-ci étant entièrement automatique comme pour le Leclerc, mais par l’ajout d’un opérateur système d’arme en charge des différents systèmes défensifs et offensifs du blindé, en particulier des drones et d’éventuels missiles.

La caisse est dérivée de celle du Leopard 2, avec un moteur V12 de 1500 cv construit par l’allemand MTU et une transmission Renk automatique avec 5 marche avant et autant de marche arrière, lui permettant d’atteindre 65 km/h sur route, et lui conférant une excellente mobilité potentielle en tout terrain grâce à un rapport puissance poids de presque 25 cv par tonne.

Ainsi paré, même s’il ne s’agit aujourd’hui que d’un démonstrateur, et non d’un prototype, l’EMBT représenterait effectivement une excellente base de travail pour concevoir rapidement, et à moindres frais, un char intermédiaire pour l’Armée de Terre et d’éventuels clients exports, ainsi qu’une réponse au KF-51 de Rheinmetall et autres K2 Black Panther du sud-coréen Hanwha défense. Mais il pourrait être bien davantage…

En effet, l’EMBT pourrait également représenter le trait d’union qui aujourd’hui fait défaut pour consolider le rapprochement de Nexter et de KMW au sein de KNDS, en devenant plus que l’EMBT de Nexter, mais le Leopard 2AX de KNDS. Il convient avant toute autre chose de rappeler qu’il y a quelques jours, KMW a dégainé une nouvelle version du Leopard 2, le A8, pour remplacer les Leopard 2A6 transférés par la Bundeswehr à l’Ukraine.

Ce nouveau char, dérivé du A7+, intègre notamment une protection renforcée avec le système euroTrophy, et plusieurs améliorations en termes de vétronique et de systèmes. Pour autant, aux dires de Krauss-Maffei Wegmann, il ne s’agirait là que d’une réponse intermédiaire dans l’attente de la disponibilité d’une nouvelle version du char qui, à l’instar de la A4 et de la A6 avant elle, en constituerait une évolution majeure pour répondre au nouveau contexte opérationnel.

Il y a quelques jours, la Bundeswehr a annoncé qu’elle commanderait 18 Leopard 2A8 pour remplacer les A6 livrés à l’Ukraine

KMW estime que son nouveau blindé sera disponible d’ici à 2 à 3 ans, et constituera une réponse aux nouveaux chars arrivants sur le marché, sans les citer, le K2 et le KF-51. Dans le même temps, les commentaires commencent à se faire de plus insistant quant à la justification du groupe KNDS.

En effet, en dehors du programme MGCS qui par ailleurs intègre Rheinmetall « à charge égale » vis-à-vis de KMW et de Nexter, les coopérations franco-allemandes et la consolidation industrielle attendue d’un tel rapprochement, se font clairement attendre. Dans les faits, KMDS aujourd’hui ressemble davantage à un mariage blanc en vue d’obtenir un visa de long séjour, qu’à un mariage d’amour destiné à bâtir un avenir commun.

Dans ce contexte très particulier, il apparait que fusionner un éventuel programme EMBT de Nexter, et le Leopard 2AX de Krauss-Maffei Wegmann, aurait de nombreuses vertus.

En premier lieu, le découpage industriel serait presque intuitif, contrairement aux problèmes rencontrés sur MGCS aujourd’hui, puisque d’ores et déjà, l’EMBT est conçu sur une caisse modernisée de Leopard 2, spécialité de KMW, alors qu’un tel découpage est proche de celui envisagé initialement pour le programme MGCS lorsque celui-ci ne devait concerner que KNDS créée spécialement à cet effet.

En second lieu, le blindé résultant profiterait des compétences les plus abouties des deux industriels dans leurs domaines respectifs de prédilection, de sorte à produire un char à la fois fiable et efficace au combat. Bien évidemment, une telle coopération permettrait aussi à la Bundeswehr et à l’Armée de Terre d’entamer un premier rapprochement en amont de MGCS, en matière de flux comme dans le domaine de la formation, comme ce fut le cas pour le Tigre.

Enfin, et c’est loin d’être négligeable, ce rapprochement permettrait de consolider et même, d’une certaine manière, de justifier l’existence de KNDS, tout en profitant des réseaux commerciaux des deux entreprises pour soutenir les exportations.

A l’inverse, si Nexter venait à développer l’EMBT (qui devrait changer de nom puisque E voulait dire initialement « European ») d’un côté, et KMW un Leopard 2AX de l’autre, le devenir de KNDS devrait clairement être remis en question, le groupe n’ayant pas pu démontrer en bientôt 9 années d’existence, une réelle capacité de collaboration entre les deux entités qui le constitue, le récent développement du RCH-155, un canon automoteur sur châssis de Boxer, en étant la dernière démonstration.

Dit autrement, si KNDS est effectivement destinée à devenir autre chose qu’une coquille vide de sens, le rapprochement entre l’EMBT et le Leopard 2AX s’impose de lui-même, nonobstant les économies d’échelle et les bénéfices commerciaux qu’une telle coopération pourrait engendrer.

Reste qu’avant toute chose, il est indispensable, pour donner corps à une telle possibilité, que la France affiche clairement ses besoins et ambitions en la matière, de manière unilatérale ou coordonnée avec Berlin.

De toute évidence, et en dépit des propos rassurants du DGA, le besoin d’un remplaçant intermédiaire entre le Leclerc et le programme MGCS, destiné irrémédiablement à voir ses chances glisser, va rapidement s’imposer à la programmation militaire française, même si le sujet a soigneusement été évité par la future Loi de programmation militaire.

Pour y parvenir, le démonstrateur EMBT semble être la meilleure option pour la France, afin d’éviter un programme trop long et trop onéreux, qui viendrait de fait entrer en collision budgétaire et capacitaire avec MGCS. Encore faudra-t-il que les autorités françaises ne tardent pas à envisager le sujet dans sa globalité et dans sa réalité, tant pour préserver les capacités de l’Armée de terre que les compétences de la BITD française, et dans l’absolue, le devenir de la coopération franco-allemande dans ce domaine.

Le chef de l’Intelligence Artificielle au Pentagone se dit « terrifié » par les capacités de Chat GPT en matière de propagande

Depuis les printemps Arabes au début des années 2010, le rôle d’internet, et plus particulièrement des réseaux sociaux, dans la société est devenu évident, y compris pour les armées. Depuis, tant les services de renseignement que les armées ont tenté de comprendre et de contrôler cet outil, aussi bien à des fins d’anticipation que de contrôle voire d’influence. Certains états, comme la Russie, la Chine ou encore l’Iran, ont même développé des services dédiés aux missions d’influence dans les pays étrangers au travers de ces outils, parfois même au point de venir s’inviter dans le processus électoral de grandes démocraties comme les Etats-Unis. A l’inverse, le contrôle de l’accès aux réseaux sociaux est devenu un impératif critique pour tout régime un tant soit peu autoritaire, afin de couper, à la racine, les phénomènes de contagions sociales et de mobilisation pouvant venir les menacer. Mais le rôle et surtout la profondeur potentielle de l’influence sur les réseaux sociaux, pourraient bien prochainement franchir une étape décisive, avec l’arrivée d’outils conversationnels avancés basés sur l’intelligence artificielle, comme Chat GPT.

Inconnu du grand public il y a encore deux ans, l’outil de conversation en ligne Chat GPT, qui en est aujourd’hui à sa version 4, s’est rapidement imposé comme un phénomène sur internet, au point de devenir un réel problème par exemple pour les cursus universitaires, alors que les étudiants ont été parmi les premiers à saisir l’intérêt de l’outil pour rédiger leurs mémoires et autres thèses. Au delà de ses applications détournées, Chat GPT est avant tout conçu pour créer une interface conversationnelle conviviale afin de remplacer l’interface humaine dans de nombreux domaines, comme par exemple dans l’accompagnement de la démarche commerciale, mais également pour filtrer / orienter / répondre à des requêtes d’usagers (de services publics par exemple) en langage natif. Mais pour Craig Martell, le chef du département numérique et intelligence artificielle du Pentagone, cet outil, comme ses cousins capables à la demande de recomposer une photo comme MidJourney, représentent également une solution de propagande et d’influence des plus problématiques et dangereuses, en particulier aux mains d’opérateurs hostiles ou mal intentionnés.

Les outils d’IA de génération d’images comme Midjourney sont déjà massivement employés à des fins de propagande politique, comme cette arrestation musclée de Trump qui n’a jamais eut lieu et qui fut pourtant massivement partagée et commentée sur les réseaux sociaux aux Etats-unis et au delà.

Selon Craig Martell, en effet, Chat GPT a été conçu pour répondre à des questions de manière rationnelle mais surtout autoritaire, de sorte qu’il se créé, entre le lecteur et l’IA, un rapport d’autorité facilitant l’acceptation par le premier des affirmations du second. Si dans sa version publique, Chat GPT se veut neutre dans ses réponses, l’IA peut en revanche être « éduquée » de sorte à mettre en avant certains aspects, ce d’autant que dans les faits, celle-ci ne comprend en rien le contexte ni même la réalité du contenu qu’elle produit, puisqu’elle ne fait que mettre en forme des informations issues de son noyau et de ses sources. C’est la raison pour laquelle les premières expériences de ce type menées par Google, Microsoft et Facebook il y a quelques années, sensées apprendre en « crawlant » internet, finirent par produire des IA aussi détestables que racistes et misogynes. Aux mains d’opérateurs hostiles, cet outil peut permettre de très efficacement remplacer les « Bot » qui constituent aujourd’hui plus d’un tiers des comptes sur un réseau social comme Twitter, et les « Troll » plus ou moins controlés pour relayer des informations manipulées.

En effet, d’une dimension purement déclarative actuelle, un outil comme Chat GPT et consort pourrait glisser vers une dimension conversationnelle de la propagande, sans d’ailleurs que les sujets soient conscient de discuter avec une IA, disposant d’un puissant potentiel adaptatif pour orienter la position de l’interlocuteur. Sachant les dégâts de la propagande aujourd’hui sur une partie de l’opinion occidentale au travers des réseaux sociaux avec des outils d’ancienne génération, on peut, comme Craig Martell, raisonnablement être terrifié par le potentiel en devenir de celle-ci, avec des outils comme Chat GPT et MidJourney. Malheureusement, le feu est déjà sorti de la boite de Pandore dans ce domaine, et même en limitant les utilisations potentielles de ces outils en occident, il est certain que d’autres acteurs plus offensifs ne montreront pas les mêmes réserves, si tant est qu’elles soient effectivement mises en oeuvre par les grandes Démocraties, ce que rien n’indique à ce jour. De fait, en bien des aspects, les futurs conflits pourraient avoir lieu au moins autant dans la sphère cognitive que dans sur le terrain des opérations militaires.

Pour la petite histoire, lorsqu’il a été demandé à Chat GPT d’expliquer pourquoi il représenterait un outil de propagande performant, ce dernier a répondu qu’il ne pouvait pas répondre à une telle demande inappropriée et violente… De toute évidence, il y a un certain instinct de conservation )