mercredi, décembre 3, 2025
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La Pologne veut faire payer les européens pour son effort de défense exceptionnel …

Depuis quelques années, et encore davantage depuis le début de l’offensive russe en Ukraine, les autorités polonaises ont multiplié les acquisitions d’équipements majeurs pour leurs armées. Si 3 frégates Arrowhead britanniques, là un millier de chars de combat K2 Black Panther sud-coréens, ou encore des F-35A, Himars et Patriot américains. Dans le même temps, Varsovie a annoncé son intention d’étendre le format de ses armées pour atteindre 6 divisions opérationnelles, ce qui est cohérent avec les volumes de matériels commandés, mais également d’augmenter son effort de défense à un niveau inégalé en Europe de 4% de son Produit Intérieur Brut. Pour de nombreux européens, l’effort polonais est admirable et même parfois envié, et contribue même à influencer l’orientation des programmations militaires en Europe de l’Ouest. Après tout, si la Pologne aligne 1250 chars et plus de 1100 systèmes d’artillerie mobile modernes, il est probablement préférable que britanniques, français ou italiens développent d’autres capacités comme dans le domaine naval ou de la guerre aérienne.

Pourtant, l’effort annoncé par le PiS, le parti Droit et Justice du président Andrzej Duda et surtout de son fondateur, l’obscure Jarosław Kaczyński, n’est pas sans soulever de nombreuses inquiétudes et objections, notamment de la part de l’opposition polonaise, qui avance depuis de nombreux mois qu’un tel effort est incompatible avec les finances publiques du pays, et qu’il engendrera soit un creusement rapide de la dette souveraine, soit devra-t-être compensé par d’importantes hausses d’impôts. Il ne faisait aucun doute, pour un observateur un tant soit peu objectif, que ces annoncent à répétition concernant l’acquisition de matériels militaires modernes reposaient autant sur la menace que fait à nouveau peser la Russie sur l’Europe de l’Est, que sur un calcul purement électoraliste en flattant la fibre nationaliste d’un grand nombre d’électeurs polonais. Mais il semble bien que les inquiétudes des opposants au PiS s’avéraient parfaitement fondées.

En effet, dans un article du Financial Times publié hier, le Secrétaire d’Etat Marcin Prydacz, a donné les pistes retenues par les autorités polonaises pour financer cet investissement colossale qui dépasse aujourd’hui les 50 Md€. D’une part, il serait question de se tourner vers les marchés, c’est à dire, de manière plus triviale, de faire de la dette. Il est vrai qu’avec une dette souveraine à peine supérieure à 50% du PIB, et une croissance soutenue, la Pologne a certaines marges de manoeuvre en la matière, et il serait probablement mal venu pour les pays d’Europe occidentale de critiquer cette décision, eux qui ont une dette souvent supérieure à leur propre PIB. Mais il ne s’agirait là que d’une partie de la stratégie poursuivie par le président Duda. En effet, celui-ci entend également mettre à contribution les européens eux-mêmes.

Selon le secrétaire d’Etat polonais, « Nous n’avons pas d’autres choix que de le faire (augmenter les investissements) », et surtout d’ajouter « nous pensons que tant l’Union Européenne que l’OTAN devraient nous aider davantage à le faire ». Pour les autorités polonaises, il serait donc naturel que les Européens qui profitent de la protection fournie par le renforcement des capacités militaires polonaises, participent au financement de celles-ci. Pour l’heure, le Secrétaire d’Etat Polonais n’a pas détaillé de quelle manière entendait-il que l’UE et/ou l’OTAN participent au renforcement militaire polonais. Mais l’observation des postures des autorités polonaises ces derniers mois, en particulier au sein de l’UE, laisse présager qu’il s’agira, là, d’un nouvel argument employer pour flatter l’électorat nationaliste polonais et avec lui l’ensemble des pays d’Europe de l’Est et du Nord, au détriment des européens de l’ouest, devenus désormais la cible favorite des autorités polonaises sur la scène internationale.

Il ne fait guère de doute que les Européens n’accueilleront pas favorablement toute demande de financement qui sortirait du cadre classique, au prétexte que Varsovie veut constituer une armée de terre de premier plan. Rappelons que déjà, les arbitrages polonais en faveur de matériels américains, en particulier lors de la compétition ayant opposée le Mirage 2000-9 français au F-16 Block 60 américain, avaient été très mal accueillis en France, alors que Varsovie est un bénéficiaire net important des aides européennes. Cela t’empêcha pas Varsovie de récidiver à plusieurs reprises, au point que l’on pouvait clairement s’interroger, depuis plusieurs années, sur une certaine forme de black-listage des industriels européens lors des compétitions d’armement. Surtout, donner un passe-droit à la Pologne dans ce domaine, ouvrirait une boite de Pandore budgétaire à l’échelle européenne, de nombreux pays, dont la France avec sa dissuasion et ses capacités de projection de puissance, pouvant se revendiquer de jouer un rôle critique dans la sécurité collective du contient européen.

De fait, le refus prévisible des européens face aux exigences polonaises, n’est en rien difficile à imaginer, et il ne fait aucun doute que le président Duda et son équipe dirigeante en sont parfaitement conscients. Dès lors, la seule autre explication, quant à la sortie de Marcin Prydacz, n’est autre qu’une nouvelle provocation destinée à radicaliser encore davantage l’opposition entre européens de l’Est et de l’Ouest, et surtout à mobiliser l’électorat polonais alors que l’échéance des élections législatives devant se tenir à la fin de l’automne se rapproche, et que les sondages sont loins d’être confortables pour le PiS, qui ne parvient plus qu’à federer 35% des voix aujourd’hui, contre 26 à 28% pour la Coalition Civic d’opposition.

En effet, l’un des points d’opposition les plus importants entre ces deux formations politiques, n’est autre que la politique européenne, le KO (Koalicja Obywatelska) ayant une ligne beaucoup plus modérée et pro-européenne que le PiS. Dans ce contexte, il faut s’attendre, dans les mois à venir, à ce que les autorités polonaises multiplient les provocations visant à présenter les Européens et les institutions européennes de manière défavorable, en particulier dans le domaine hautement sensible de la Défense et de l’aide militaire à l’Ukraine, mais également par des attaques ad hominem directes contre les dirigeants européens, comme cela a déjà été le cas à plusieurs reprises contre Olaf Scholz et Emmanuel Macron ces derniers mois.

Toutefois, si la position polonaise est très sans le moindre doute à visée électoraliste, il n’en demeure pas moins vrai que L’Union Européenne pourrait jouer un rôle bien plus important qu’elle ne le fait aujourd’hui, face à l’immense défi sécuritaire qui se dessine à relativement court terme. Comme nous l’avons déjà évoqué, les capacités industrielles et sociales russes, une fois le conflit en Ukraine achevé, et ce quelque soit sa conclusion, offrent à Moscou la possibilité de reconstruire très rapidement l’outil militaire perdu en Ukraine. Dans le même temps, les risques d’alternance politique outre-atlantique font, eux aussi, peser une réelle menace sur le soutien américain à l’Ukraine, ainsi que sur l’effectivité de la protection US de l’Europe dans le cadre de l’OTAN. Même sans tenir compte de ce facteur, il ne fait guère de doute que les Etats-Unis vont devoir, à courte échéance, concentrer l’essentiel de leurs moyens militaires dans le Pacifique pour contenir la menace chinoise. Dans ce contexte, et eu égard au manque de l’attitude budgétaire des pays européens du fait du Pacte de Stabilité, il ne fait aucun doute que c’est l’Union Européenne qui aujourd’hui détient les clés d’une réponse adaptée à court terme de l’ensemble des états européens à l’évolution de la menace mondiale. En d’autres termes, cette question est loin de ne concerner que la Pologne.

Les négociations avancent entre Berlin et Jerusalem au sujet du système antibalistique Arrow 3

En bien des aspects, les négociations entamées au lendemain de l’offensive russe contre l’Ukraine, entre Israéliens et allemands pour permettre à l’Allemagne de mettre en oeuvre le système anti-balistique Arrow-3, représentent le pilier fédérateur ayant amené 14 autres pays européens (Belgique, Bulgarie, Estonie, Finlande, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pays-Bas, République tchèque, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie et Slovénie) à rejoindre l’initiative European Sky Shield allemande pour doter l’Europe d’une défense anti-aérienne et surtout anti-missile intégrée afin de contenir la menace russe. Et si les exportations de systèmes IRIS-TL allemands visées par cette initiative n’ont pas vraiment décollée à ce jour, en particulier face à la concurrence très active des systèmes américains NASAMS et israéliens SPYDER et David Sling, la protection promise par Berlin à ses voisins grâces aux systèmes Arrow-3 israéliens demeure un puissant levier politique pour l’Allemagne afin de s’imposer comme le pivot de la défense européenne, au moins pour sa façade orientale.

Il n’y a donc rien de surprenant dans l’annonce faite il y a quelques jours par le Ministère Israélien de la Défense, selon laquelle les négociations avec l’Allemagne au sujet de l’acquisition de systèmes anti-balistiques Arrow-3 co-développé par IAI et Boeing, avanceraient, et qu’un projet d’accord serait en cours de rédaction. Cependant, pour l’heure, et comme le note le communiqué du ministère israélien, la concrétisation de cet accord reste suspendu à un accord de la part des Etats-Unis, le contribuable américain ayant contribué à hauteur de 1,3 Md$ au développement du système israélien en données publiques. Cet accord risque d’être difficile à obtenir, dans la mesure où les Etats-Unis sont en mesure de proposer le système THAAD à Berlin, qui offre des capacités anti-balistiques susceptibles de contrer une grande partie des missiles de moyenne portée et portée intermédiaire russe. Pour autant, si le THAAD peut effectivement constituer un bouclier anti-missile pour l’Allemagne, sa portée trop réduite en interdit l’utilisation pour constituer un bouclier pour les 14 alliés de l’Allemagne ayant signé la lettre d’intention pour le programme European Sky Shields.

Le THAAD américain ne permettrait à l’Allemagne de protéger l’ensemble de ses voisins signataires du programme European Sky Shield, contrairement à l’Arrow-3 israélien

En effet, là ou le THAAD propose une capacité d’interception au delà de 100 km d’altitude alors que l’Arrow 3 annonce un plafonnai opérationnel au dessus de 150 km, c’est surtout en terme de portée opérationnelle que les deux systèmes divergent, de l’ordre de 250 à 300 km pour le THAAD en données publiques, contre plus de 2400 km pour l’Arrow 3. C’est notamment pour palier les limites du THAAD que l’OTAN a déployé en Pologne et en Roumanie les systèmes AEGIS Ashore armés de missiles exo-atmosphériques SM-3 qui, en revanche, offrent une portée de 2500 km et surtout une apogée à plus de 1500 km permettant, au besoin, d’intercepter des missiles balistiques intercontinentaux, mais qui souffrent d’un planché d’engagement particulièrement élevé. En d’autres termes, objectivement, l’Arrow 3 est aujourd’hui le système anti-balistique complémentaire le plus adapté aux besoins allemands et européens, venant combler l’espace compris entre les planchés du SM3 et les plafonds et portées limitées des THAAD, Patriot PAC3 ainsi que de l’Aster 1B franco-italiens. Reste à voir si Washington, et surtout le Congrès américain qui voit d’un très mauvais oeil la concurrence israélienne émergente en matière d’armement en partie financée grâce à l’aide américaine, sauront prendre en considération ces aspects objectifs, ou pas.

La Revue Stratégique australienne 2023 redéfinit tous les aspects de la défense du pays

En règle générale, une revue stratégique était, en occident, un exercice imposé visant à donner un certain cadre aux décisions politiques qui encadreront, pour les années à venir, l’effort de défense consenti par le gouvernement du pays.

C’est notamment le cas en France, ou le Livre Blanc 2013, ainsi que les Revues Stratégiques 2017 et 2022, se caractérisaient par un puissant conservatisme doctrinal, autorisant uniquement quelques évolutions, à la marge, en matière de capacités et d’évolution.

Ce n’est, en revanche, pas le cas de la nouvelle Revue Stratégique Australienne 2023 présentée par le premier ministre Antony Albanese et son ministre de la Défense Richard Marles ce lundi.

En effet, celle-ci redéfinit en profondeur non seulement le format, mais également la doctrine et l’ensemble des programmes, y compris ceux déjà en cours, des armées australiennes, afin de répondre à l’évolution de la menace observée ces dernières années.

Rédigé par l’Air Chief Marshall Angus Houston, ancien chef d’État-major des armées australiennes, et par Stephen Smith, ancien ministre de la Défense de 2010 à 2013, le document débute, en effet, par un constat clé.

Selon lui, la doctrine australienne, qui prévoyait qu’une guerre majeure ne pouvait intervenir qu’au-delà d’un délai de 10 ans, était désormais caduque. Il est nécessaire, en conséquence, de réviser l’ensemble des piliers soutenant la défense australienne construits sur ce paradigme.

À présent, selon la nouvelle Revue stratégique, les risques de guerre se décomposent en 3 étapes, l’une allant d’aujourd’hui à 2025, la deuxième de 2026 à 2030, et la troisième au-delà de 2031.

La revue stratégique 2023 australienne ramène à 129 le nombre de VCI commandés dans le cadre du programme LAND 400
Le programme Land 400 qui devait voir l’acquisition de 450 véhicules de combat d’infanterie par l’Armée australienne, sera ramené à seulement 129 unités, dans un effort de réorientation de l’effort de défense aussi radical que sans précédant pour Canberra.

Cette partition permet aux planificateurs australiens de décomposer la réalité de la menace sur échéance, à la réalité des moyens dont les armées australiennes pourront disposer pour y répondre.

À ce titre, la Revue Stratégique nouvellement présentée préconise que l’exercice devra être renouvelé tous les deux ans. Ce calendrier permettra d’actualiser l’analyse des menaces et des réponses à y apporter, sur un tempo stratégique qui n’était plus de rigueur dans le pays depuis 80 ans.

Les recommandations publiées concernent tous les aspects liés au pilotage des armées et de l’effort de défense, en étant désormais ouvertement fondé sur l’hypothèse d’une confrontation stratégique avec la Chine qui viendrait menacer les intérêts vitaux australiens.

De fait, la structure même des armées australiennes devra être modifié. La Revue stratégique préconise de toute évidence une adhésion renforcée à la doctrine retenue par les armées américaines dans le Pacifique. Celle-ci repose sur des moyens plus concentrés, mais très mobiles et parfaitement coordonnées, et disposant de capacités de frappe à longue portée de précision, qu’il s’agisse de missiles de croisière ou de missiles balistiques comme le PrSM.

C’est dans ce contexte que s’inscrit le programme de sous-marins nucléaires AUKUS. En revanche, l’ouverture de négociation concernant l’acquisition de bombardiers stratégiques furtifs B-21 Raider américains est démentie.

Au contraire, plusieurs programmes ont vu leurs ambitions sensiblement réduites. Ainsi, le programme LAND 400 qui prévoyait l’acquisition de 450 véhicules de combat d’infanterie, sera ramené à seulement 129 unités.

Le programme Land 8116 dont la seconde phase prévoyait l’acquisition de 30 canons automoteurs AS9 Thunder, sera quant à lui annulé. Même le programme de frégates de la classe Hunter pourrait être revu à la baisse à l’issue d’une évaluation devant être rendue à la fin de l’été.

Reste qu’au-delà de ces évolutions très profondes de planification, cette nouvelle Revue Stratégique australienne 2023, montre surtout à quel point Canberra considère désormais comme presque inéluctable un futur conflit avec la Chine aux côtés des Etats-unis.

On remarquera que plusieurs alliés de premier ordre des Etats-unis dans le Pacifique, dont le Japon, les Philippines ou encore Singapour, semblent, eux aussi, alignés sur cette perception. Ils acceptent ainsi de faire radicalement évoluer leurs efforts de défense, mais également leurs doctrines, pour faciliter cette transition.

Les positions de ces pays, évoluant en première ligne face à la réalité chinoise, interrogent quant à celles affichées par les Européens, en particulier par la France, dans leur relation avec Pékin, alors même que tous ces pays de la sphère Pacifique entretiennent, pour la plupart, une dépendance économique forte envers Pékin.

La droite américaine du Congrès veut privilégier le théâtre Pacifique face à la Chine au soutien de l’Ukraine

Pour l’immense majorité des européens, mais également de leurs gouvernants, le soutien des Etats-Unis et de leurs armées face à la menace que peut faire peser la Russie est assuré et incontestable. L’empressement des finlandais et suédois à rejoindre l’OTAN après l’offensive russe en Ukraine, en est la parfaite illustration, tout comme le succès des armements US en Europe, en grande partie justifié par la volonté d’une grande inter-opérabilité avec les armées US. Et force est de constater que le soutien américain à l’Ukraine depuis le début du conflit, que ce soit en matière d’aide en armement comme en équipements civils, mais également concernant le renseignement et la formation, est exemplaire en bien des aspects, dépassant souvent le niveau des aides consenties par l’ensemble des pays du vieux continent. Ceci dit, toutes les personnalités politiques outre-atlantiques, y compris certaines bien placées pour terminer derrière le bureau ovale, voient la situation d’un oeil totalement différent.

C’est ainsi qu’à l’occasion des auditions encadrant le budget 2024 du pentagone, le sénateur du Missouri Josh Hawley, républicain et fervent soutien de Donald Trump, a fermement interrogé l’Amiral John Aquilino commandant le Théâtre Pacifique, en mettant en balance le soutien apporté par les Etats-Unis à l’Ukraine, notamment en terme de munitions, et les difficultés rencontrées pour contenir la montée en puissance des forces chinoises dans le Pacifique et l’Océan Indien. Rappelons que John Aquilino s’était, entre autres choses, publiquement opposé à l’adhésion de la Finlande et la Suède à l’OTAN. Ces positions défendues par Hawley, faisant de la Chine l’unique adversaire stratégique des Etats-Unis, est fréquemment reprises par d’autres ténors du parti républicains, comme Elbridge “Bridge” Colby, qui participe au puissant think tank Marathon Initiative. Mais elles sont surtout au coeur du discours du gouverneur de Floride, le bouillonnant Ron deSantis, pressenti pour être le principal opposant à Donald Trump lors de la future primaire républicaine pour les élections présidentielles de novembre 2024.

La primaire républicaine pour 2024 se jouera sans doute entre ces deux hommes, l’ancien président Donald Trump et le gouverneur de Floride Ron deSantis.

En effet, à de nombreuses reprises, le gouverneur de Floride a pris une très grande distance avec la politique suivie par le président Biden en matière de soutien à l’Ukraine, jugeant pour sa part qu’il s’agissait là d’une simple dispute territoriale européenne. Si, face à la réponse émotionnelle de l’opinion publique américaine suite notamment aux découvertes des exactions russes contre les populations civiles à Boutcha, Ron deSantis avait quelque peu modéré ses propos, le temps faisant, et la guerre venant de manière de plus en plus évidente à durer, celui-ci durcit à nouveau son discours au bout de quelques mois, là encore pour privilégier les moyens alloués aux Armées US afin de contenir la menace chinoise, la seule à représenter, selon lui, un réel enjeu stratégique, là ou la Russie et plus globalement l’Europe, n’en seraient pas. Le fait est, selon les sondages outre-atlantiques, non seulement est-il évident que la primaire républicaine se jouera entre DeSantis et Trump si ce dernier est autorisé à concourir, mais quelque soit le candidat républicain, celui-ci aura de sérieuses chances de s’imposer face à Joe Biden ou, le cas échéant, Kamala Harris, les candidats républicains remportants dans tous les cas les élections selon la dernière agrégation de sondage publiée par RealPolitikClear entre le 24 février et le 3 avril.

Bien évidemment, le retour à la Maison Blanche de la droite dure américaine poserait d’importants enjeux de sécurité en Europe, et en Ukraine en particulier. En effet, l’existant industriel européen ne pourrait, à cette échéance, en aucune manière se substituer à l’aide militaire américaine si celle-ci venait à s’étioler sur décision présidentielle. En outre, si les Européens venaient à transférer les munitions et matériels nécessaires à la conduite des opérations en Ukraine aux forces de Kyiv, ceux-ci n’auraient, alors, plus la capacité à moderniser leurs forces, et surtout à restaurer les stocks de munitions pour soutenir une éventuelle confrontation avec la Russie. Or, si cette perspective n’échappe pas à une analyse publique, il ne fait aucun doute qu’elle est également parfaitement connue et même probablement anticipée par Moscou, qui a déjà montré pouvoir efficacement s’inviter dans les élections clés en occident, y compris aux Etats-Unis. Et si la perpective d’un basculement US a de quoi inquiéter les Européens et les Ukrainiens, elle a également de quoi convaincre les Russes que la victoire dans cette guerre se joue sur la durée, avec une échéance relativement proche en dépit des pertes subies.

Le soutien US à l’Ukraine en armement et munitions représente plus de la moitié de l’ensemble du soutien accordé par les occident à Kyiv. Sans lui, les européens ne pourront probablement pas soutenir l’effort militaire ukrainien face à la Russie.

On peut naturellement blâmer les Etats-unis et son extreme droite républicaine pour ce risque démesuré, et ses évidentes conséquences sur la volonté russe de poursuivre le combat en Ukraine. Toutefois, il convient de garder à l’esprit que beaucoup de mouvements populistes européens, y compris en France, promettent un désengagement du soutien à l’Ukraine, et parfois même des instances économiques et sécuritaires comme l’Union européenne et l’OTAN, soit des postures pas si éloignées de celles soutenues par Trump ou deSantis. Surtout, c’est clairement avant tout l’incapacité des européens à soutenir l’Ukraine face à pays ayant 3 fois moins d’habitants et 10 fois moins riche que la seule Union Européenne, qui fait aujourd’hui peser un tel risque sur la sécurité du vieux continent, surtout en prenant en considération qu’une éventuelle défaite militaire ukrainienne créera sans le moindre doute une vague massive de migration des ukrainiens vers l’Europe.

De fait, aujourd’hui, un risque majeur pouvant être estimé à plus de 52% en 2024 (chances de victoires de Trump/DeSantis face à Biden/Harris lors de la dernière agrégation de sondage), qui verrait donc l’arrivée à la tête des Etats-Unis d’un président ouvertement hostile au soutien militaire à l’Ukraine et à la protection US de l’Europe, semble n’être pas le moins du monde anticipé par les dirigeants européens, qui dans leur immense majorité, ont certes accrus leurs investissements de défense, mais ce sans prendre en considération la réalité du calendrier qu’une telle menace impose. Il ne faudra pas, dans cette hypothèse, feindre la surprise si au lendemain du 5 novembre 2024, un vent de panique vient soufflet sur le vieux continent et sur ses chancelleries.

Le programme d’avion d’entrainement T-7A Redhawk montre-t-il les limites de la conception numérique ?

Au terme d’une compétition à couteaux tirés avec Lockheed-Martin, Leonardo et Northrop-Grumman, le consortium formé de l’américain Boeing et du suédois Saab parvint, en 2018, à s’imposer pour le remplacement des avions d’entrainement avancés T-38 Talon de l’US Air Force dans le cadre du programme T-X. Le programme comme son appareil, le T-7A Redhawk, devaient représenter la quintessence de la doctrine prônée activement par le nouveau chef des acquisitions de l’US Air Force de l’administration Trump, le docteur Roper, en faisant reposer massivement sa conception sur la technologique des jumeaux numériques. La confiance dans cette approche était à ce point importante, tant du point de vue des industriels que des militaires, que Boeing et Saab s’engagèrent dans une offre à enveloppe fixe de 9,2 Md$ pour 351 appareils ainsi que 46 simulateurs, avec un début de la production industrielle dès 2023. Malheureusement pour les deux industriels, certains problèmes sont apparus, faisant voler en éclat le modèle économique visé par Boeing.

Ainsi, lors d’un communiqué de juin 2022, l’US Air Force faisait état de plusieurs problèmes, rencontrés notamment lors des essais au sol des deux premiers prototypes, mais également de difficultés pour l’industriel et sa chaine de sous-traitance pour les corriger rapidement. En outre, 3 problèmes aérodynamiques engendrant une instabilité en vol avaient également été détectés. Mais ce fut surtout les craintes quant au fonctionnement du système d’éjection et de survie de l’équipage qui posèrent le plus gros défis à Boeing. En effet, selon les essais et simulations menées, l’intégrité physique des pilotes en cas d’éjection était loin d’être assurée, avec d’importants risques de commotion lors de l’ouverture du parachute, alors que la visière du casque pouvait ne pas résister au vent relatif suite à l’éjection. Ce point était d’ailleurs identifié comme le plus important risque par le Gouvernement Accountability Office, ou GAO, l’équivalent américain de la Cours des Comptes mais disposant de prérogatives étendues, dans son rapport de 2022.

T-38 Talon du 560th Flying Training Squadron, Randolph AFB. L’appareil rencontre depuis quelques années une recrudescence d’accident, et sa conception datée ne permet plus d’efficacement former les futurs pilotes de chasse américains.

Ces problèmes ont eu raison du calendrier initial de 2018, qui prévoyait le début de la production industrielle de l’appareil pour le début d’année 2023, et les premières livraisons à l’US Air Force pour la fin de la même année. En effet, selon celle-ci, le programme T-7A Redhawk prévoirait désormais d’entamer la production industrielle en 2025, pour atteindre la capacité opérationnelle initiale, permettant son utilisation pour former les pilotes et remplacer les T-38, pour 2027.

Au passage, Boeing a du annoncé qu’il devait prendre à sa charge, du fait du contrat à valeur fixe, pas moins de 1,1 Md$ de charges supplémentaires liés aux problèmes et reports rencontrés. Et si tant l’US Air Force que l’avionneur ne tarissent pas d’éloges quant à la conception numérique des avions de combat, devenue depuis la pierre angulaire de tous les programmes aéronautiques civils comme militaires, force est de constater que les ambitions initiales se sont heurtées à certaines réalités marquant les limites de cet exercice.

On peut naturellement s’interroger sur les délais pour developper un appareil d’entrainement comme le T-7A. En effet, il ne fallut qu’à peine plus de 3 ans aux ingénieurs de Dassault et de Dornier pour concevoir l’Alpha jet, en à peine 4 années entre le premier vol de l’appareil, en octobre 73, et son admission au service en novembre 77. Mais la conception du T-7A est, en bien des aspects, bien plus proche de celle d’un avion de combat comme le JAS-39 Gripen ou le F-16, que d’un Alpha Jet. En effet, le Redhawk embarque des technologies autrement plus avancées et complexes que celles équipants ses prédécesseurs, l’objectif visé par l’US Air Force étant de disposer d’un appareil d’entrainement permettant de former les équipages au pilotage d’avions de 5ème génération comme le F-22 et le F-35A, puis de 6ème génération comme le NGAD. De fait, là ou l’Alpha jet ou le Talon visaient avant tout à former au pilotage et à la manoeuvre, le Redhawk forme à la conduite de mission dans un environnement hautement technologique et interactif.

Lorsque l’on constate les difficultés rencontrées par un avionneur expérimenté comme Boeing pour le T-7A, on peut douter de la qualité d’un appareil construit à la hussarde par un avionneur sans expérience dans ce domaine.

Pour autant, force est de constater que les problèmes rencontrés par Boeing et Saab ici, relèvent davantage de l’avion lui même que de ses systèmes de bord. Or, la conception de ces systèmes repose précisément sur la qualité des modélisations employées pour concevoir l’appareil, et notamment des modèles aérodynamiques et mécaniques pour anticiper ses performances et capacités. Les difficultés rencontrées par le programme T-7A, montrent sans contestation que la qualité des modèles employés est encore incomplète et ne parvient pas à anticiper certains aspects complexes pour lesquels les données et les modèles sont encore perfectibles. De toute évidence, Boeing aujourd’hui essuie les plâtres de la montée en puissance de ces outils, alors que l’avionneur américain a probablement fait preuve d’une confiance excessive pour s’engager sur une enveloppe à budget fixe aussi restreinte que celle encadrant le programme T-X. Dans ce domaine, c’est donc bien davantage l’agressivité commerciale de Boeing pour s’emparer du programme, ce après avoir été écarté de plusieurs autres grands programmes de l’USAF (F-22, F-35, B-21..), qui est à mettre en cause, que la technologie de conception numérique employée ici.

Reste que les difficultés rencontrées par un avionneur aussi expérimenté que Boeing pour concevoir un appareil de second rang comme le T-7A, sur des délais de 7 ans, interroge quant à la réalité de certains programmes récemment annoncés, comme le KF-21 Boramae sud-coréen, mais surtout concernant le T-FX turc, un appareil sensé s’approcher de la 5ème génération d’avions de combat, dont la conception aurait débuté début 2016, et qui est attendu pour une entrée en service en 2028, alors que l’industrie aéronautique turque n’a pour seule expérience que la conception de l’avion d’entrainement Hürjet qui n’a pas encore effectué son premier vol. En dépit de l’aide de systèmes de modélisation avancée, la qualité de ces appareils en cours de conception, sera sans le moindre doute très inférieure à celle d’avions développés par des avionneurs expérimentés comme Boeing, Saab, BAe, Lockheed-Martin ou encore (et surtout) Dassault Aviation, et passant par des processus de qualification extrêmement rigoureux des forces aériennes US, britanniques, suédoises ou françaises.

Les 8 super-destroyers Type 055 de la marine chinoise sont désormais en service

Au début des années 2000, il y a tout juste une vingtaine d’années, les navires de surface combattants les plus performants et puissamment armés de la Marine chinoise étaient les deux destroyers Type 052 entrés en service entre 1994 et 1996.

Ces navires de 4600 tonnes et 144 mètres disposaient cependant de capacités limitées, tant en matière de senseurs que d’armement, n’alignant que 8 à 16 missiles anti-navires YJ-83 et pour seule capacité anti-aérienne, une copie sans licence du Naval Crotale français désigné HHQ-7.

À cette époque, la marine chinoise ne disposait d’aucune compétence d’engagement de haute mer ni de projection de puissance distante. Depuis, les choses ont considérablement évolué.

Celle-ci aligne en effet non seulement plus de 25 destroyers anti-aériens Type 052D/DL de 7000 tonnes, mais également une vaste flotte de frégates Type 054A de lutte anti-sous-marine, de sous-marins conventionnels et nucléaires, et désormais de grands navires de projection de puissance comme les porte-avions Liaoning, Shandong et bientôt Fujian, ainsi que de LPD Type 071 et de LHD Type 075.

Mais la classe de navires marquant ce changement de catégorie de la marine chinoise, n’est autre que le super destroyer Type 055, dont la 8ᵉ et dernière unité du lot initial, le Xianyang (n° coque 108) est entré en service il y a quelques jours.

Long de 180 mètres pour un déplacement de plus de 12.000 tonnes en charge, le Type 055 est en effet l’un des plus imposants navires de combat de surface à naviguer aujourd’hui, ne cessant dans ces domaines qu’au Pyotr Veliky russe de la classe Kirov.

Au-delà de ses dimensions, le navire dispose surtout d’équipements parfaitement modernes, comme le radar 3D à face place et antenne AESA Type 346B, ainsi que des armements aussi nombreux que performants, grâce à ses 112 silos verticaux permettant d’accueillir différents types de munitions comme le missile anti-aérien à longue portée HHQ-9, le missile de croisière anti-navire YJ-18, le missile de croisière CJ-21 et désormais, semble-t-il, le missile balistique YJ-21 dérivé du DF-21D.

De fait, alors que la marine russe ne faisait pas même jeu égal avec les frégates de l’OTAN au début des années 2000, elle tient à présent la dragée haute, avec les Type 055, aux plus performants des destroyers occidentaux comme les Arleigh Burke Flight III américains, les Maya japonais ou les Sejong le grand sud-coréens.

La Marine chinoise dispose désormais de 8 destroyers Type 055 en service

Reste que si le premier lot de 8 Type 055 a été livré entre janvier 2020 et avril 2023, rien n’indique, à ce jour, que la construction d’un second lot de ce type de navire a débuté dans les chantiers navals chinois.

En effet, à ce jour, on observe un grand effort pour produire à cadence élevée des destroyers anti-aériens Type 052D, plus ou moins équivalents aux frégates américaines de la classe Constellation ou aux destroyers européens classe Horizon ou Daring, et de nouvelles frégates de lutte anti-sous-marine, probablement des Type 054B. En revanche, aucune coque comparable au 180 m des Type 055 n’est pour l’heure observée.

Comme il est peu probable que l’APL renonce à se renforcer due ce type de bâtiments particulièrement adaptés à la projection de puissance plus qu’à l’escorte, on peut supposer qu’une évolution est en cours de conception, sur la base des enseignements reculâtes depuis la mise en service du Nanchang, premier navire de la classe en janvier 2020.

Rappelons également que de nouveaux équipements sont en développement en Chine, comme un modèle de canon électrique, mais également une propulsion électrique intégrée, des armes à énergie dirigées, ainsi que de nouveaux senseurs et missiles. On peut donc s’attendre à ce que le successeur du Type 055 soit un combattant encore plus redoutable que les huit super-destroyers déjà en service.

La marine Espagnole se tourne vers l’hélicoptère de lutte anti-sous-marine MH-60R de Sikorsky pour armer ses frégates

En matière d’hélicoptère naval dédié aux missions de lutte anti-sous-marine, l’offre occidentale se résume, dans les grandes lignes, à un affrontement entre le NH90 NFH (Nato Frigate helicopter) du consortium européen NH Industries, et le MH-90R (dit Romeo) de l’américain Sikorsky. Pendant un temps, on eut pu penser que l’appareil européen parviendrait à s’imposer face à la quasi-hégémonie dont disposait Sikorsky avec le SH-60 Seahawk jusqu’à présent, les NH90 NFH en service au sein des marines italiennes et françaises offrant, de toute évidence, des performances très satisfaisantes, en particulier en matière de lutte anti-sous-marine, domaine de prédilection de la Marine nationale. Malheureusement, ces dernières années, l’image du NH90 s’est grandement détériorée, plusieurs pays comme l’Australie, mais également la Suède, la Norvège et même la Belgique, ayant annoncé le retrait anticipé de leurs appareils en raison de problèmes de couts et de maintenance. Le fait est, la plupart de ces clients mécontents, se sont depuis tournés vers le Romeo ou tout au moins de Blackhawk de Sikorsky, un appareil pourtant relativement ancien, mais qui a su convaincre par sa fiabilité et surtout sa disponibilité.

Ce désamour pour le NH90 a probablement été un facteur clé, mais pas le seul, dans la décision de la Marine Espagnole de se tournée vers le MH-60R pour remplacer les Sh-60 Seahawk actuellement en service à bord de ses frégates de lutte anti-sous-marine de la classe Santa Maria, des navires de type O.H Perry qui seront bientôt remplacés par 5 nouvelles frégates F110 de la classe Bonifaz conçues et construites par Navantia. Madrid a en effet annoncé se tourner vers le modèle américain pour remplacer ses 12 SH-60B Seahawk actuellement en service, acquis en deux lots successifs. Pour cela, la marine espagnole a annoncé une commande de plus de 800 m$ pour un premier lot d’hélicoptères, probablement pour remplacer le premier lot de SH-60 entré en service à la find des années 80.

La Marine Espagnole met aujourd’hui en oeuvre une douzaine de SH-60B Seahawk pour les missions de lutte anti-sous-marine.

Sur la base de l’autorisation donnée début 2022 par le Foreign Military Sales américain, pourtant sur une enveloppe de 850 m$, la commande espagnole pourrait porter sur 8 cellules ainsi que 20 turbines T700 dont 4 spares, ainsi qu’un lot de missiles hellfire et de systèmes électronique de combat. En outre, 4 sonar plongeant ALFS ainsi que des bouées acoustiques An/SSQ feraient partie de la cotation américaine. Toutefois, les nouvelles frégates F110 espagnoles devant être équipées du sonar CAPTAS de Thales, on peut s’attendre à ce que les MH-60R soient, quant à eux, équipés du sonar plongeant Flash, spécialement conçu pour coopérer avec le CAPTAS .

L’US Space Force veut intégrer la flotte de satellites commerciaux à son offre de services aux armées

En cas de conflit, en particulier de conflit majeur, les armées américaines peuvent s’appuyer sur certaines dispositions législatives pour accroitre leurs flottes respectives, et ainsi répondre aux besoins croissants notamment en terme de logistique. C’est le cas de l’US Air Force, qui dispose d’accords et de procédures avec les grandes compagnies aériennes américaines, celles-ci constituant une réserve d’augmentation commerciale mobilisable aux besoins. Un dispositif similaire, bien que bien moins étendu, existe pour l’US Navy. C’est en s’inspirant de ces dispositifs que la nouvellement créée US Space Force entend s’appuyer sur l’immense flotte de satellites commerciaux américains, pour renforcer, étendre voire suppléer aux satellites militaires américains existants ou en cours de déploiement. C’est en tout cas le sens des déclarations faites par le Colonel Richard Kniseley, chef du tout nouveau Commercial Space Office, à l’occasion du Space Symposium qui s’est récemment tenu à Colorado Spring.

Pour l’officier américain, il est désormais nécessaire de créer une Réserve spatiale d’augmentation capacitaire commerciale, ou CASR pour l’acronyme de rigueur, s’appuyant sur 5 piliers : un pilier contractuel en cours d’élaboration et qui devrait être présenté d’ici l’été, un pilier programmatique pour structurer cette nouvelle capacité, un pilier doctrinal pour encadrer son utilisation, un pilier opérationnel pour sa mise en oeuvre, ainsi qu’un pilier de retour d’expérience industriel, de sorte à maintenir un dialogue constructif avec ces derniers, et améliorer les performances du système. En outre, le Colonel Kniseley entend rapidement permettre aux forces US de commencer à s’entrainer avec ces systèmes, de sorte à pouvoir les employer efficacement sur le terrain si le besoin venait à se faire sentir.

L’utilisation du système de communication civil Starlink a offert de nombreuses capacités d’une grande valeur ajouté aux forces ukrainiennes face aux armées russes.

L’utilisation des satellites commerciaux par les Armées américaines, et plus globalement occidentales, n’est pas en soit une nouveauté. Déjà, les forces ont pris coutume d’acquérir des clichés venant de satellites d’observation commerciaux pour enrichir leurs capacités de renseignement. Pour autant, les armées tendent à privilégier des systèmes propres dès lors qu’il s’agit de communication. Or, l’expérience de l’utilisation de la galaxy Starlink par les forces ukrainiennes depuis le début du conflit face à la Russie, montre que ces systèmes offrent des performances et capacités des plus appréciables, d’autant qu’ils sont à ce point nombreux qu’il est impossible à une force belligérante de simultanément brouiller l’ensemble des signaux militaires et civils, ou d’éliminer ces satellites au risque de déclencher un syndrome de Kessler qui viendrait immanquablement les handicaper eux aussi par ricochet. Notons également qu’en Europe, il est commun que des satellites de communication aient dès leur conception une fonction mixte, pour partie dédiée à la communication militaire, pour partie aux besoins civils.

Artillerie à longue portée : les Français y réfléchissent, les industriels allemands l’anticipent

L’artillerie à longue portée est devenue un enjeu opérationnel critique pour les armées modernes, son efficacité dans les conflits de haute intensité ayant été largement démontrée en Ukraine. Et dans ce domaine, les systèmes modernes, comme l’HIMARS de l’américain Lockheed-Martin ou les Tornado S et G russes, apportent une plus-value considérable sur les systèmes plus anciens, notamment du fait d’une précision et d’une portée sans commune mesure avec les systèmes de génération antérieure.

En occident, seuls les États-Unis disposaient d’un savoir-faire avéré dans le domaine, ces derniers ayant développé le M270 MRLS entré en service en 1980 comme une réponse aux Grad et Smerch soviétiques. Et de fait, plusieurs armées de l’OTAN, dont l’Allemagne fédérale, la France, le Royaume-Uni, mais également l’Italie, les Pays-bas, la Grèce, la Turquie et la Norvège, s’équipèrent dans les années 80 de ce dispositif permettant d’atteindre des cibles jusqu’à 45 km avec un écart circulaire probable d’une dizaine de mètres, et d’importantes capacités de destruction.

Certains pays européens, et plus particulièrement la France, disposaient pourtant du savoir-faire pour développer des dispositifs similaires. Toutefois, l’effondrement du bloc soviétique, et la réduction drastique des formats et budgets des armées européennes, ne permirent pas aux ingénieurs français de s’engager dans cette voie. Outre Atlantique, en revanche, l’US Army entama à la fin des années 90 le développement d’un remplaçant au M270.

Destiné à être plus mobile et plus aisément projetable que le lourd M270 et ses 25 tonnes au combat, le nouveau dispositif devait également être armé de nouvelles roquettes à la portée et précision accrues. C’est ainsi que Lockheed-Martin développa le M142 HIMARS qui était monté sur un camion 6×6 plutôt que sur une plage-forme chenillée, et qui n’atteignait que 16 tonnes sur la balance, lui permettant d’être aéro-transporté au besoin.

Il faudra toutefois atteindre 2010 pour que le M142 n’entre en service au sein de l’US Army, puis du corps des Marines et de la Garde Nationale. En dépit de l’efficacité du système démontrée en Afghanistan puis en Syrie, ce n’est qu’en 2018 qu’un premier pays européen commandera l’HIMARS, en l’occurrence la Roumanie pour 54 unités.

Le MARS II allemand comme le LRU français est équipé d’un système de tir développé par Airbus DS et interdit l’utilisation de roquettes équipées de sous-munitions

Dans le même temps, nombre d’armées européennes remisaient leurs M270, comme la Norvège, le Danemark et les Pays-Bas, alors que d’autres reportaient leur modernisation, comme la Grande-Bretagne. Toutes les Armées européennes conservant le M270 dans leur inventaire en réduisirent considérablement la dotation, comme la France qui ramena son parc à seulement 13 exemplaires au sein du 1ᵉʳ régiment d’Artillerie, dont néanmoins 7 ou 8 seraient effectivement opérationnels.

En outre, même si la France modernisa ses systèmes au standard LRU, et la Bundeswehr au standard Mittleres Artillerieraketensystem (MARS II), ils sont depuis plusieurs années considérés comme obsolètes, notamment face aux nouveaux lance-roquettes multiples russes comme les Tornado. La guerre en Ukraine a fait l’effet d’un électrochoc dans ce domaine en Europe et au-delà, puisque pas moins quatre nouveaux clients du M142 Himars se sont déclarés, les trois pays baltes et la Pologne, alors que d’autres armées européennes mènent des consultations dans ce domaine, dont la British Army, l’armée norvégienne et l’Armée finlandaise.

En France, dans le cadre de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2024-2030, le remplacement des M270 LRU représente un enjeu majeur. Pour autant, à ce jour, le Ministère des Armées n’a pas encore annoncé ses arbitrages en faveur d’un LRM acheté sur étagère, selon toute probabilité le M142 HIMARS américain, ou si le système serait développé par l’industrie de défense française. Outre-Rhin, en revanche, les industriels ont largement pris les devants pour anticiper les besoins à venir de la Bundeswehr.

En effet, les deux grands industriels de la BITD terrestre allemande ont entrepris de signer des partenariats avec les deux principaux acteurs dans ce domaine dans la sphère occidentale. Ainsi, Krauss-Maffei Wegmann, le concepteur du Leopard 2 et du Puma, a présenté en décembre 2022 un remplaçant potentiel au MARS II de la Bundeswehr, basé sur le système PULS de l’israélien Elbit, celui-là même qui vient de s’imposer aux Pays-bas face à l’HIMARS américain.

Quant à Rheinmetall, l’éternel concurrent, mais également partenaire de KMW, son PDG Armin Papperger a signé le 21 avril une déclaration d’intention avec Paula Hartley, vice-présidente des missiles tactiques chez Lockheed Martin, en vue de proposer à la Bundeswehr un système basé sur les technologies employées sur le M142 HIMARS.

Le système  de artillerie à longue portée PULS israélien a été choisi par les Pays-bas
Les Pays-bas ont récemment préféré le PULS de l’israélien ELBIT à l’HIMARS de Lockheed-Martin, en partie sur des considérations de prix.

Les partenariats de ce type sont fréquents pour les entreprises allemandes, qui se sont à plusieurs reprises appuyées sur des technologies israéliennes ou américaines au sein de coentreprises ad hoc, comme c’est le cas d’EuroSpike pour la construction et la vente des missiles antichars SPIKE de l’Israélien Rafael en Europe, et plus récemment EuroTrophy du même constructeur israélien, pour intégrer le système de protection active hard-kill Trophy aux blindés allemands et, plus généralement, européens.

Si les discussions autour de l’acquisition de systèmes anti-balistiques Arrow 3 aboutissaient, il est très probable qu’une entreprise dénommée EuroArrow verrait, elle aussi, le jour.

Il s’agit pour les industriels allemands de s’imposer comme un intermédiaire clé entre les systèmes d’arme israéliens et d’éventuels clients européens en s’appuyant sur le marché potentiellement supérieur promis par la Bundeswehr, mais également, dans ce cas précis, de répondre à l’arrivée annoncée des K239 sud-coréens en Pologne et en Roumanie, sachant qu’il est probable qu’au moins un de ces deux pays produira localement le lance-roquettes de Hanwha Defense et Doosan DST.

le K239 Chunmoo sud-coréen a été choisi par la Pologne et la Roumanie, et sera probablement produit localement par au moins l’un de ces deux pays.

En revanche, ces partenariats en devenir outre-Rhin ne sont pas une bonne nouvelle pour la France. En effet, par sa position géographique, mais également une position bien plus fédératrice au sein de l’OTAN que Paris, comme l’a démontré le succès initial du programme de défense anti-aérienne et anti-missile européen Sky Shield abondé par 14 pays européens, le développement d’une offre allemande, qu’il s’agisse du PULS co-produit par KMW ou de l’HIMARS avec Rheinmetall, représentera un concurrent d’importance pour un éventuel système français, tout au moins sur la scène européenne, ce d’autant que le K239 et l’HIMARS sont déjà bien implantés dans plusieurs armées du vieux continent.

De fait, si la France vise effectivement à développer son propre système, ce qui offrirait des plus-values opérationnelles loin d’être négligeables dans ce domaine, il sera probablement nécessaire de se tourner vers d’autres partenaires, au-delà de la sphère européenne, pour espérer obtenir quelques succès à l’exportation. Ce qui est certain, en revanche, c’est que les annonces allemandes jouent aujourd’hui de manière défavorable vis-à-vis de l’émergence d’un système lance-roquette de conception française, alors que les considérations budgétaires sont critiques dans le cadre de la LPM 2024-2030.

Les Armées US sont vulnérables sur le spectre électromagnétique selon l’US Air Force

En 2014, le Principal Deputy Assistant Secretary of Defense for Research and Engineering, Alan Shaffer, une des personnalités les plus respectées au Pentagon, avait sonné l’alarme au sujet des capacités des forces américaines en matière de guerre électronique. Selon lui, les Etats-Unis avaient rien de moins que « Perdu le contrôle du spectre électromagnétique », face aux progrès réalisés par ses compétiteurs comme la Russie ou la Chine. Il ajouta par ailleurs que la situation ira en se détériorant alors que l’ensemble des capacités opérationnelles des forces armées américaines allait reposer de manière croissante sur une utilisation intense de ce spectre, de sorte que l’enjeu était critique pour le devenir de l’efficacité même des armées US sur la scène internationale. A cette époque, toutefois, un tel discours, même porté par une personnalité aussi respectée, eut beaucoup de mal à faire son chemin, et les inquiétudes et prédictions de Shaffer furent modérées par la majorité des autres acteurs politiques et militaires du Pentagone l’époque, de sorte que la mise en garde ne donna lieu à aucune prise de conscience, aux Etats-Unis pas davantage qu’auprès de leurs alliés.

9 ans plus tard, le contexte géopolitique et stratégique a, bien évidemment, considérablement évolué, entre la guerre en Ukraine, les tensions entre l’OTAN et la Russie, et la perspective de plus en plus précise d’un probable conflit à venir entre les Etats-Unis et la Chine autour de Taïwan. Malheureusement, en matière de guerre électronique et de maitrise du spectre électromagnétique, non seulement la situation ne s’est pas améliorée pour les forces US, mais elle se serait même sensiblement détériorée. C’est ainsi qu’à l’occasion des auditions du Congrès autour du budget 2024 du Pentagon, le commandant de la nouvelle escadre de guerre du spectre électromagnétique de l’US Air Force, le colonel Joshua Koslov, a lui aussi dressé un tableau bien inquiétant quant aux capacités dont il dispose effectivement pour tenter d’inverser ce qui est désormais identifié comme une faiblesse structurelle des armées américaines, et plus globalement, des armées occidentales, en particulier face à la Chine et la Russie.

Les systèmes de brouillage et de guerre électronique russes, comme le Krazukha, se sont montrés bien plus efficaces une fois employés avec méthode par les forces russes en Ukraine

Selon lui, non seulement les Etats-Unis ont-ils donné une avance considérable à leurs compétiteurs dans ce domaine, mais les efforts pour inverser la tendance, en particulier au sein de son escadre, rencontre de très importantes difficultés. En matière de recrutement, d’une part, le colonel Koslov rencontrant de grandes difficultés pour recruter les personnels nécessaires à la conduite de la mission. Au delà du recrutement, l’officier supérieur estime également que l’approche de formation employée dans ce domaine est inefficace, car orientée strictement sur l’utilisation d’équipements et de plateformes, alors qu’une formation plus étendue s’avère indispensable pour appréhender toute la complexité du domaine. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, le colonel Koslov a mis l’accent sur le fait que la dépendance des armées américaines, notamment de l’US Air Force, au spectre électromagnétique évoluait bien plus rapidement que les moyens mis à disposition pour effectivement contrôler ce spectre.

Dans cette audition, le colonel américain a en particulier mis l’accent sur la dichotomie qui existe entre les capacités théorique d’un appareil comme le F-35 en matière de guerre électronique et de contrôle du spectre électromagnétique, et la réalité des moyens mis à disposition du 350th Spectrum Warfare Group, qui couvre la programmation de toute la flotte de Lighting II américains et alliés, pour analyser et transformer les données afin de mettre à jour le système de l’appareil, et ainsi lui conférer l’efficacité requise. Dit autrement, l’efficacité du F-35, toute version confondue, dans le domaine du contrôle du spectre électromagnétique, repose sur une capacité qui peine déjà aujourd’hui à soutenir la charge. Il est évident dans ce contexte qu’en cas de conflit, il se créera un tampon entre l’analyse des données et leur transformation en capacités, qui pourrait devenir très dommageable à l’efficacité de l’appareil qui représentera alors la colonne vertébrale des forces aériennes en Europe comme dans le Pacifique.

Les capacités de contrôle du spectre EM de tous les F-35 américains comme alliés, ne valent qu’en fonction des données et de la programmation transmise par le 350th Spectrum Warfare Group de l’US Air Force

Le fait est, le discours alarmiste du Colonel Koslov est loin d’être exceptionnel aux Etats-Unis comme désormais en Europe, auprès des spécialistes et même des utilisateurs du spectre électromagnétique. Ainsi, si le manque d’efficacité de la guerre électronique russe en Ukraine au début du conflit avait été largement commentée, son efficacité avérée aujourd’hui est souvent ignorée, y compris au plus haut degré de décision. Lors de ces mêmes auditions du Congrès, l’amiral John Aquilino, commandant les forces américaines sur le théâtre pacifique, a également insisté à la fois sur la dépendance croissante des forces au spectre électromagnétique, et la vulnérabilité des moyens effectivement mis en oeuvre pour s’en assurer. A ce titre, on peut se demander à quel point l’expérience des combats asymétriques qui a marqué les armées occidentales ces 30 dernières années, ne constitue pas ici une vulnérabilité profondément ancrée dans la constitution des forces et des capacités, ceci devenant un handicap sévère face à des forces vierges d’une telle expérience, et organisées au seul critère de la haute intensité comme l’Armée Populaire de Libération ?