mercredi, décembre 3, 2025
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La France va-t-elle s’engager dans le développement d’un système d’artillerie à longue portée ?

S’il est un équipement qui a démontré toute son utilité sur les champs de bataille ukrainiens, c’est incontestablement l’artillerie à longue portée, et plus précisément les systèmes lance-roquettes comme le fameux HIMARS américain, mais également les Grad, Smerch et autres Tornado S et G employés par les deux belligérants. Capables de frapper sur des courts délais dans la profondeur du dispositif adverse, ces munitions sont à la fois précises, rapides et difficiles à intercepter par la défense anti-aérienne. En outre, pouvant être mis en œuvre, pour les plus avancés d’entre eux, de façon relativement éloignée de la ligne d’engagement, ils souffrent d’une attrition relativement faible en comparaison des systèmes d’artillerie traditionnels plus sensibles aux tirs de contrebatteries. On peut ainsi considérer que l’arrivée des premiers HIMARS américains au sein des forces ukrainiennes, à la fin du printemps 2022, a joué un rôle déterminant dans l’évolution du rapport de forces sur plusieurs fronts, notamment en détruisant de nombreux sites logistiques russes.

L’efficacité des systèmes lance-roquettes à longue portée n’est pas une découverte pour les états-majors, y compris en occident. Ainsi, la plupart des armées de l’OTAN commandèrent au milieu des années 80 le nouveau système M270 américain, produit à plus de 1500 exemplaires, dont 951 pour les armées US, 252 pour la Bundeswehr, 64 pour la British Army ou encore 57 pour l’Armée de Terre française. Toutefois, une fois la menace soviétique écartée et la guerre froide considérée comme terminée, ces systèmes perdirent beaucoup de leur superbe, d’autant qu’ils souffraient de 2 défauts critiques. En premier lieu, ils étaient chers, pas seulement à l’achat (presque 3 m$ en 1982 pour le seul lanceur), mais également à la possession, le système nécessitant une lourde maintenance pour garantir son efficacité et la disponibilité des roquettes. En second lieu, ils étaient peu utiles lors des combats anti-insurrectionnels auxquels les armées occidentales ont participé à partir du milieu des années 90.

Le M270 est en cours de remplacement par le système HIMARS au sein des armées US et de plusieurs forces alliées

De fait, la plupart des parcs de M270 fondirent comme neige au soleil au sein des armées européennes à partir du début des années 2000, et nombres furent sacrifiés sur l’autel des bénéfices de la pays. C’est ainsi qu’aujourd’hui, la Bundeswehr n’aligne que 40 M270 portés au standard MARS II (Mittleres Artillerieraketensystem ), la British Army 44 systèmes non modernisés et l’Armée de Terre 13 systèmes portés au standard LRU pour Lance-Roquette Unitaire, alors que ces 3 pays ont transmis certaines unités en Ukraine, et que la disponibilité réelle de ces parcs est bien inférieure à ces valeurs théoriques. Outre leur faible nombre et leur disponibilité contestable, ces systèmes sont par ailleurs largement surclassés, notamment en portée et en précision, par les systèmes plus récents comme l’HIMARS américain, le K239 sud-coréen mais également, de manière plus problématique, par les Tornado S de 300 mm et Tornado G de 122mm russes. Si, dans le cadre de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2024-2030, un effort est prévu pour remplacer les LRU par un système plus moderne, il a longtemps été question d’un achat sur étagère d’un système importé, l’HIMARS ayant été souvent évoqué. Mais aux dires du Ministre des Armées, Sebastien Lecornu, il se pourrait bien que Paris décide finalement de developper son propre système.

Rappelons qu’initialement, le remplacement des LRU français comme des MARS II allemands, devait être effectué dans le cadre du programme franco-allemand Common Indirect Fire System, ou CIFS. Annoncé en 2017, ce programme, qui devait également produire le successeur des CAESAR et Pzh2000, a cependant rapidement fait long feu, Berlin montrant bien peu de motivation et d’empressement à son sujet, au point que dès 2019, le sort du CIFS apparaissait déjà scellé, comme ce fut le cas du programme Tigre III et de son missile antichar à longue portée MAST-S, ainsi que du programme de patrouille maritime Maritime airborne Warfare System qui devait remplacer les Atlantique 2 français et les P3 allemands. Il est vrai que dans le domaine de l’artillerie à longue portée, et notamment des roquettes et missiles balistiques, l’industrie de défense française dispose d’une expérience et de savoir-faire sensiblement supérieurs à son homologue d’outre-rhin, en particulier du fait de l’expérience acquise avec les programmes de missiles balistiques tactiques Pluton et Hades.

La France envisage d’acquérir des systèmes HIMARS pour remplacer ses LRU, sauf si elle décide de developper son propre équipement.

C’est précisément cette expérience héritée de la guerre froide, mais également celle en cours d’acquisition concernant les systèmes hypersoniques développés dans le cadre du missile de croisière de 4ème Génération ASN4G (Air-Sol Nucléaire de 4e génération) qui remplacera le missiles nucléaire ASMPA, qui ont probablement amené les industriels français à monter aux créneaux pour défendre la possibilité que le nouveau système d’artillerie à longue portée destiné à l’Armée de Terre ne soit pas acquis auprès d’un allié, mais développé par la BITD française. Et de fait, lors de sa visite au 1er Régiment d’Artillerie de Bourogne le 20 avril, Sebastien Lecornu a annoncé que 600 m€ seront débloqués sur la prochaine LPM pour le remplacement des LRU français, qui par ailleurs n’équipent que cet unique régiment à ce jour. Et d’ajouter « Nous aurons un choix important à faire pour notre avenir. Nous attendons les propositions des ingénieurs. Jusqu’à présent, nous n’avions pas de solution franco-française. Désormais, les propositions évoluent. Je me dois de les étudier« 

De toute évidence, l’idée d’un développement national a largement fait ce chemin au Ministère des Armées depuis quelques mois. Il est vrai qu’étant donné le rôle de plus en plus critique que revêt cette capacité dans les engagements de haute intensité à venir, disposer d’une solution nationale, ne dépendant pas par exemple du bon vouloir de Washington pour employer le signal militaire GPS, représente un enjeu critique. En outre, l’offre occidentale est loin d’être saturée d’offres dans ce domaine, en dehors de l’HIMARS américain particulièrement onéreux, du K239 sud-coréen développé hors du cadre de l’OTAN, du PULS israélien et du TRG-300 Tiger turc aux performances plus limitées. De fait, il existe probablement, au delà des besoins nationaux, un marché potentiel à l’exportation adressable pour un tel système développé en France, de sorte à en accroitre la soutenabilité, surtout si une certaine latitude est donnée aux ingénieurs et militaires français dans le développement d’une solution innovante. Enfin, l’expérience acquise dans le développement d’un système de ce type, et de ses multiples missiles et roquettes balistiques, complèterait parfaitement celle produite par les systèmes balistiques stratégiques et hypersoniques existants ou encore à l’étude. Il serait probablement dommage de se passer de tels atouts tant en matière de défense que d’industrie.

Le croiseur nucléaire russe Pyotr Veliky devrait quitter le service d’ici à 2030

Après la perte du Moskva, et dans l’attente du retour au service actif du croiseur nucléaire russe de la classe Kirov Admiral Nakhimov après une profonde modernisation, la flotte de croiseurs de la marine russe se limite à trois navires : les croiseurs Marshal Ustinov et Varyag de la classe Slava, sister-ships du Moskva, et le croiseur nucléaire Pyotr Veliky, une version améliorée de la classe Kirov.

Entré en service en 1998, le Veliky est aujourd’hui la plus puissante unité de surface combattante en service au sein de la marine russe et, en tant que tel, assume le rôle de navire amiral de la puissante flotte du nord. Il devait, jusqu’ici, entrer en phase de modernisation une fois le Nakhimov de retour.

Toutefois, il semble que les crédits considérables qu’aura couté la modernisation de son sister-ship, et peut-être le funeste destin du Moskva en Mer Noire, auront eut raison de l’avenir du plus imposant croiseur construit depuis les années 60.

En effet, selon l’agence Tass citant des sources proches de l’Amirauté, le prochain sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Boreï-A, dont la construction débutera l’année prochaine, recevra le nom de Pyotr Veliky.

Le navire devant entrer en service en 2030, cela suppose donc que non seulement le croiseur éponyme aura lui-même quitté le service à cette date, mais qu’il ne sera pas, comme annoncé jusqu’ici, modernisé.

De fait, il est probable que le navire devrait être relativement rapidement mis en retrait, alors que selon certaines informations, l’équipage du Nakhimov qui devrait prochainement rejoindre le service actif, a été constitué en partie à partir des effectifs du Veliky.

Croiseur nucléaire russe Admiral Nakhimov
La modernisation du croiseur Admiral Nakhimov aura duré plus de 9 ans (Photo ITAR-TASS / Maxim Vorkunkov)

Le Pyotr Veliky était jusqu’à présent le plus moderne des Kirov, disposant notamment d’une chaine de surveillance et de détection modernisée en 2009 avec les radars Top Pair et Top Plate, et une puissance de feu accrue, avec 20 missiles anti-navires supersoniques P700 (Code OTAN SS-N-19), 48 missiles anti-aériens à longue portée 48N6 du système S-300FM (désignation OTAN SA-N-20), 48 missiles anti-aériens 5V55RM du système S-300F (code OTAN SA-N-6), ainsi que 64 missiles anti-aériens à courte portée 9M330 du système 3K95 Kinzhal (SA-N-9 pour l’OTAN, version navale du TOR).

Le navire emporte également 1 canon double tube de 130 mm AK-130, 6 systèmes CIWS Kashtan, 10 tubes lance-torpilles de 533 mm ainsi que des lance-roquettes anti-sous-marines RBU 1000 et 12000.

Long de 252 mètres, il atteint un déplacement en charge de 28.000 tonnes, soit celui de 3 destroyers Arleigh Burke, et met en œuvre jusqu’à trois hélicoptères navals Helix. Pourtant, en dépit de cette puissance de feu, de ces mensurations exceptionnelles et de son autonomie presque illimitée du fait de sa propulsion nucléaire, le navire souffre de plusieurs faiblesses.

En premier lieu, un tel navire impose un équipage tout aussi important, avec plus de 725 officiers, officiers-mariniers et marins, soit plus de trois fois l’équipage d’une nouvelle frégate de la classe Admiral Gorshkov, plus compacte, mais disposant d’une grande puissance de feu avec notamment 32 silos verticaux pour les missiles anti-aériens du système Poliment-Reddut dérivé du très moderne S-350, et surtout 32 silos 3S14M UKSK capables de mettre en œuvre des missiles anti-navires Onyks, des missiles de croisière Kalibr et le missile hypersonique Tzirkon.

Comme beaucoup de marines modernes, la Marine russe fait face à de réelles difficultés pour attirer les profils requis comme pour les garder, et l’équipage d’un navire comme le Pyotr Veliky, constitue un vivier de ressources humaines des plus attractives dans le cadre de l’effort de modernisation entrepris. Son retrait permettrait également de libérer une tranche nucléaire, probablement utile du fait de l’extension de la flotte de sous-marins à propulsion nucléaire.

Contrairement au Pyotr Veliky, l’Admiral Nakhimov disposera de 10 systèmes VLS UKSK pouvant accueillir notamment le missile hypersonique 3M22 Tzirkon

En second lieu, la modernisation du Veliky aurait été, très certainement, aussi complexe, couteuse et longue que celle de l’Admiral Nakhimov. Rappelons que cette modernisation aura durée plus de 9 ans, ayant débuté en 2014 après qu’il fut décidé de faire du navire une des pièces maitresses de la flotte de surface russe en devenir.

Il est vrai que le Nakhimov dispose de nombreux atouts face au Veliky, comme le remplacement de ses 10 missiles anti-navires P700 par 10 systèmes de lancement vertical UKSK, soit 80 silos, capables de mettre en œuvre, comme pour les frégates Admiral Gorshkov, des missiles longs comme le Kalibr, l’Onics et le missile anti-navire hypersonique 3M22 Tzirkon, conférant au bâtiment une puissance de feu tout simplement inégalée sur les mers.

La défense anti-aérienne, elle aussi, a été renforcée. Si les 96 S300FM du Veliky ont été conservés, un système Poliment-Reddut a été installé en lieu et place du Kinzhal, alors que les CIWS Kashtan ont été remplacés par autant de systèmes Pantsir-M. Enfin, le navire peut mettre en œuvre, outre ses hélicoptères, des drones.

Pour autant, les moyens consacrés à la modernisation d’un navire dont la construction a débuté en 1986, et qui ne disposera, dans tous les cas, que d’une espérance de vie opérationnelle limitée, seront probablement bien plus efficacement employés pour renouveler effectivement la flotte, d’autant que la Marine Russe va devoir, dans les années à venir, remplacer une grande partie de ses frégates et destroyers hérités de la marine soviétique.

Au final, tout puissant qu’il puisse être, un croiseur comme le Nakhimov ne peut être à plusieurs endroits à la fois, et demeure vulnérable notamment aux attaques sous-marines, surtout s’il ne dispose pas de l’escorte adéquate.

Considérant la réalité à laquelle la Marine russe doit se confronter, en Atlantique, mais également dans le Pacifique, en Mer Baltique et en Mer Noire, il est probable que les contraintes liées à la modernisation du Veliky l’auront sans trop de difficultés emportées sur le potentiel du bâtiment, ce d’autant que Vladimir Poutine a annoncé, il y a quelques semaines, qu’une nouvelle classe de croiseur serait développée dans les années à venir, sans préciser si celle-ci sera à propulsion nucléaire ou pas, même si le contexte dans lequel l’annonce fut faite laisse penser que ce sera le cas.

Les ressources humaines deviennent-elles la ressource la plus critique des forces armées occidentales ?

Il était commun, aujourd’hui, d’évaluer la puissance d’une force armée, en se basant principalement sur son inventaire de matériels. Le nombre de chars modernes, de sous-marins ou d’avions de combat conditionnaient en effet souvent le potentiel militaire perçu d’un pays. Du fait de la complexité des engagements modernes, d’autres facteurs sont désormais pris en compte, comme les capacités logistiques et de soutien, l’entrainement des forces, ainsi que la doctrine mise en oeuvre. Pour autant, en de nombreux aspects, la puissance opérationnelle d’une armée s’inscrit dans un schéma millénaire bien connu des sciences du vivant, à savoir qu’un organisme, quel qu’il soit, se développera proportionnellement à la disponibilité de la ressource la plus rare. Et si aujourd’hui, tous les yeux semblent fixés sur les questions de budgets et les programmes d’armement présent et à venir, de nombreux facteurs tendent à montrer que la ressource critique en devenir pour les armées ne sera ni budgétaire, ni technologique, mais humaine.

De fait, depuis plusieurs armées, la plupart des armées modernes, en particulier en occident, alertent sur leurs difficultés croissantes pour recruter mais également pour fidéliser leurs effectifs. Ainsi, il y a de cela quelques jours, les forces d’autodéfense japonaises ont annoncé que les objectifs de recrutement en 2022 n’avaient put être atteints qu’à hauteur de 46,5%, avec 4300 recrutements effectifs sur les 9,245 prévus. Il s’agit, pour Tokyo, du plus bas historique jamais enregistré, le précédent record de 2018 atteignant 72%. Outre les difficultés de recrutement évidentes, les forces d’autodéfense nippones peinent également à fidéliser leurs effectifs, une majorité d’engagés quittant le service au bout d’un ou deux contrats. De fait, non seulement ne parviennent elles pas à maintenir leurs effectifs dans leur globalité, mais elles rencontrent d’importantes difficultés pour maintenir une pyramide des âges et des grades cohérentes avec le fonctionnement d’une force armée moderne.

Les forces d’autodéfense nippones souffrent d’un déficit de plus de 15.000 hommes du fait de leurs difficultés à recruter et à fidéliser leurs effectifs

Ce désamour pour le métier des armes est expliqué par le FADJ par plusieurs facteurs connexes, en premier lieu desquels la concurrence du marché de l’emploi qui propose des profils de carrières très attractifs et des rémunérations qui le sont encore davantage, d’autant que comme toutes les armées modernes et technologiques, celles-ci recherchent désormais des candidats à fort potentiel du fait de la complexification des systèmes d’armes et de la conduite de la guerre dans son ensemble. Mais les contraintes liées à la vie militaire, et d’une certaine manière, un certain manque de reconnaissance des FADJ dans l’opinion publique nippone, contribuent également à écarter de nombreux candidats potentiels, de sorte qu’aujourd’hui, celles-ci enregistrent un déficit de personnel estimé entre 15.000 et 23.000 militaires, une situation qui n’est pas sans rappeler les difficultés que rencontrent nombres d’armées occidentales, en Europe comme aux Etats-Unis, ces dernières années.

Pour répondre à ces déficits récurrents, les autorités nippones ont engagé trois actions complémentaires. D’une part, une commission a été créée visant à produire d’ici cet été une série de recommandations afin d’améliorer l’attractivité du métier des armes dans l’archipel, et ainsi accroitre les recrutements comme la fidélisation des personnels. Parmi les axes envisagés, figurent l’augmentation des soldes pour rattraper les salaires proposés par le privé, mais également l’amélioration des conditions de vie des militaires comme de leur conjoint. Le second axe s’appuie sur la constitution d’une réserve opérationnelle plus importante, même si selon l’état major nippon, les forces de réserve n’atteignent pas l’efficacité opérationnelle des forces professionnelles, du fait d’un entrainement moins aboutis et régulier. Enfin, les FADJ ont engagé un vaste et rapide basculement pour accroitre la robotisation des armées, en remplaçant partout ou cela sera possible des équipages par des intelligences artificielles. C’est dans cette optique qu’il y a quelques semaines de cela, celles-ci annoncèrent leur intention de remplacer leurs hélicoptères de combat et de reconnaissance par des drones, ainsi qu’une profonde réorganisation des acquisitions de matériels pour s’inscrire dans cette dynamique.

La LPM2019-2025 a permis de stopper l’hémorragie dont souffraient les armées françaises en matière de ressources humaines

Les difficultés comme les solutions mises en oeuvre par Tokyo dans ce domaine ne sont pas sans rappeler celles mises en oeuvre au sein des armées américaines et européennes. Ainsi, aucune des armées d’un grand pays occidental n’a annoncé, ces derniers mois, d’ambition significative visant à accroitre leurs formats en matière de ressources humaines malgré le durcissement évident de la menace, toutes faisant face aux mêmes difficultés de recrutement et de fidélisation que la FADJ. En France, la situation était particulièrement critique jusqu’en 2019, mais fut en partie rééquilibrée suite aux efforts consentis par la Loi de Programmation Militaire 2019-2025 qui consacra une majorité de ses nouvelles ressources budgétaires précisément à l’amélioration de condition militaire, ce qui permit relativement rapidement d’endiguer l’hémorragie dont souffraient les 3 armées françaises dans ce domaine. Toutefois, si désormais les effectifs sont stabilisés et la fidélisation améliorée, il semble très difficile d’accroitre sensiblement le format, tout au moins en maintenant les critères de recrutement. Pour répondre à l’augmentation de la menace et aux besoins de densification des forces, la France a fait le choix, dans la LPM 2024-2030 à venir, d’accroitre sensiblement les effectifs de la réserve opérationnelle, ceux-ci devant passer de 45.000 à 90.000 hommes et femmes sur cette période.

Outre Atlantique, les 4 grandes armées US font elles aussi face à d’importantes difficultés de recrutement, d’autant que selon le Pentagone, seul 1 jeune américain sur 3 répondrait aux critères physiques et psychologiques requis pour rejoindre les forces. S’appuyant déjà sur une réserve considérable et bien dotée, la Garde Nationale, la réponse proposée par le Pentagone pour densifier leurs forces s’appuie en priorité sur le développement d’une vaste offre de systèmes robotisés, allant du drone aérien au navire et sous-marin autonome, mais également sur le développement à marche forcée de capacités agissant comme des multiplicateurs de force permanent, comme la doctrine Joint All-Domain Command and Control, tout en produisant d’importants efforts pour accroitre la survivabilité des forces, et plus particulièrement de la ressource la plus précieuse, c’est à dire les personnels.

La Garde nationale américaine est une force de premier rang disposant d’un haut niveau de technicité et d’entrainement, et d’équipements modernes en propre

Car en effet, si les armées occidentales, et en particulier celles ayant tourné le dos à la conscription, peinent à maintenir leurs effectifs et sont dans l’incapacité de les accroitre, ce n’est pas le cas de celles de certains pays dits autoritaires. Ainsi, la guerre en Ukraine a montré que les armées russes ne rencontraient pas de grandes difficultés pour se renforcer, au besoin par la conscription et la mobilisation, même si la qualité des troupes ainsi générées est loin d’égaler celle des forces d’active. Paradoxalement, Moscou n’a montré que très peu de considérations afin de préserver ses forces les mieux entrainées, comme par exemple les forces aéroportées, nombres d’entre-elles ayant été décimées dans des offensives d’infanterie sans enjeux sans que cela n’ait engendré la moindre protestation ni des armées, ni de la société civile. Le fait est, malgré les pertes effroyables subies par les armées russes depuis le début du conflit, celles-ci ont présenté, il y a quelques mois, un plan visant à accroitre leurs effectifs hors réserve de presque 50% pour atteindre 1,5 millions d’hommes, soit davantage que les armées US (1,38 millions d’hommes), pour un pays deux fois moins peuplé.

L’exemple russe est loin d’être isolé. En Corée du nord, les armées gardent en permanence sous les drapeaux 1,2 millions d’hommes soit 5% de la population du pays. La Chine, quant à elle, ne semble pas faire face à des problèmes de recrutement significatifs, même si elle rencontre des difficultés pour former ses effectifs. Le format de ses forces armées d’active atteint aujourd’hui 2 millions de militaires, dont une grande partie est constituée de conscrits volontaires effectuant un service militaire de 2 ans. L’Armée Populaire de Libération ne manque pas de candidats, en particulier pour les postes prestigieux. Ainsi, la Marine chinoise avait enregistré pas moins de 16.000 candidatures valides lors d’une campagne d’inscription en ligne pour rejoindre les forces aéronavales. En revanche, rien n’indique à ce jour que Pékin envisagerait, à court terme, d’accroitre significativement le nombre de militaires ni même de réservistes, les autorités chinoises étant particulièrement prudentes à ce sujet, de sorte à ne pas déclencher de sur-réactions occidentales. Pour autant, le cadre législatif entourant la réserve, et plus particulièrement le potentiel de mobilisation en cas de crise, a été considérablement durci il y a quelques jours, conférant à l’APL une capacité de montée en puissance très importante sur des délais courts.

Une grande partie des effectifs de l’APL est constituée de conscrits volontaires effectuant un service militaire de 2 ans

On le voit, toutes les armées ne sont pas égales face au enjeux de ressources humaines. De toute évidence, pour les armées occidentales, il s’agit d’une contrainte critique, peut-être même du véritable critère limitant la puissance effective atteignable par ces forces, à l’instar de la nourriture ou de la lumière pour les organismes vivants dans leur compétition permanente pour survivre. A l’inverse, les pays autoritaires semblent ne rencontrer que peu de difficultés dans ce domaine, de sorte qu’un pays 13 fois moins peuplé et 400 fois moins riche que les Etats-Unis, la Corée du Nord, parvient à aligner une armée forte de presque autant de soldats. De toute évidence, l’enjeu des ressources humaines sera au coeur non seulement des préoccupations des Etats-majors, mais également du rapport de force qui se développe rapidement aujourd’hui entre les deux blocs. Force est de constater que l’avantage n’est pas, ici, du coté des occidentaux.

Les nouveaux missiles anti-navires hypersoniques chinois YJ-21 et CJ-21 changent la donne dans le Pacifique

Les autorités chinoises ont annoncé, photos à l’appui, que le missile balistique antinavire YJ-21 et CJ-21, étaient désormais opérationnels et équipaient désormais les unités navales et aériennes de l’APL, notamment les destroyers lourds Type 055. L’arrivée de ces missiles va encore accroitre le défi chinois pour l’US Navy, alors que les tensions entre Pékin et Washington ne cessent de croitre autour du cas taïwanais.

La Chine aurait-elle ravi la politesse à la Russie en déployant un missile hypersonique anti-navire à bord de ses nouveaux destroyers lourds Type 055 ?

C’est en tout cas la question qui se pose suite à la publication de photos montrant le tir d’un missile identifié comme YJ-21 à partir d’un de ces navires, laissant supposer que le missile pourrait être effectivement en service, ou tout au moins en phase de test avancée.

Comme si cette seule nouvelle ne suffisait pas, de nouvelles photos ont été diffusées montrant un bombardier naval à long rayon d’action H-6N emportant lui aussi un missile balistique anti-navire, que les experts estiment être le CJ-21.

YJ-21 et CJ-21 dérivés du missile antinavire DF-21D

Il s’agit de la version aéroportée du YJ-21, lui-même dérivé du fameux missile balistique anti-navire à longue portée DF-21D mis en œuvre à partir de lanceurs terrestres depuis le début des années 2010. Avec une portée de 1 700 km, le DF-21 avait provoqué un profond bouleversement dans la liberté d’action des forces navales et aéronavales américaines et occidentales à proximité des cotes chinoises.

Les YJ-21 et CJ-21 sont dérivés du missile antinavire balistique CF-21D
Les YJ-21 et CJ-21 sont dérivés du missile antinavire balistique CF-21D

Pour autant, l’US Navy avait, depuis plusieurs années, mis en œuvre une parade à la menace que représentaient les DF-21D et son grand frère de DF-26 d’une portée de 4 500 km. En effet, à l’instar de la surveillance des tirs de missiles balistiques de dissuasion chinois, le déploiement et les tirs de ces batteries de missiles anti-navires sont précisément suivis par les satellites d’observation et de renseignement américains.

En cas de tir agressif contre un navire américain, cette détection précoce permettrait aux navires d’escorte de déployer leur arme anti-balistique, le missile SM-3, pour intercepter la menace avant qu’elle ne frappe sa cible.

Dans le même temps, la menace que représentaient les missiles de croisière anti-navires supersoniques YJ-12 et CJ-12 au profil de vol comparable à celui des Kalibr russes, et mis en œuvre respectivement par les navires (destroyers et sous-marins) et les aéronefs de l’aéronavale chinoise, était à la portée des missiles anti-aériens SM2 des destroyers et des croiseurs américains.

De fait, même si elle ne devait pas être négligée, la menace représentée par les nouveaux missiles anti-navires chinois apparus ces dernières années était contenue par la Marine américaine et ses alliés.

Bombardier à long rayon d’action H-6N emportant un missile balistique, probablement un CJ-21

De nouvelles capacités pour les destroyers Type 055 et les bombardiers H-6N

L’arrivée du YJ-21 à bord des destroyers lourds Type 055, et de sa version aéroportée CJ-21 sous le fuselage des bombardiers à long rayon d’action H-6N, pourrait profondément changer cet équilibre, et venir menacer les navires, groupes aéronavals et amphibies américains, bien davantage et au-delà du périmètre de défense actuel de l’Armée Populaire de Libération.

En effet, contrairement au DF-21D, le missile YJ-21 sera embarqué et déployé à partir d’un destroyer, par nature mobile et pouvant sortir du périmètre de surveillance des satellites d’observation US, tout comme le CJ-21 sera aérotransporté par un bombardier beaucoup plus difficile à suivre.

De fait, si les performances du missile hypersonique sont probablement proches de celles du DF-21D en termes de portée, de vitesse et de précision, la détection de son lancement sera beaucoup plus incertaine, réduisant le temps de réaction pour employer des missiles anti-balistiques SM-3.

Qui plus est, le missile pourrait alors être lancé à relativement courte portée de sa cible, de l’ordre de quelques centaines de kilomètres, et suivre une trajectoire semi-balistique avec un apogée sous la barre des 80 km d’altitude, rendant inefficace les missiles SM-3 et leur impacteur cinétique qui ne peut être déployé qu’à partir de cette altitude.

De fait, même si le YJ-21 et son alter ego aéroporté CJ-21 n’étaient pas dotés de capacités hypersoniques à proprement parler, à savoir la capacité de manœuvrer à vitesse hypersonique pour éviter les défenses anti-missiles, ils pourraient être beaucoup plus difficiles à intercepter par la Marine américaine. En effet, seul le missile SM-6, encore peu déployé à bord des escorteurs américains ayant la capacité d’intercepter des cibles balistiques de ce type.

Dans le même temps, le périmètre défensif chinois serait considérablement étendu, bien au-delà des 1 700 km des DF-21D, des 500 km du YJ-12, et même des 4 500 km du DF-26.

Le missile SM6 constitue aujourd’hui la seule réponse efficace face à la menace que représente les nouveaux missiles hypersoniques chinois et russes.

Ils permettraient enfin aux vecteurs porteurs de lancer leurs missiles au-delà des capacités d’interception et de frappe de la chasse embarquée US, ne laissant guère que les sous-marins d’attaque pour contenir la menace de surface, et les radars à très longue portée pour tenter d’anticiper les frappes aéroportées.

Vers une chaine de détection dédiée ?

Reste que pour mettre en œuvre ces missiles, les destroyers et bombardiers chinois devront, eux aussi, disposer d’informations précises concernant la position et la trajectoire de leurs cibles.

Or, y parvenir est loin d’être un exercice aisé pour la Marine Chinoise. Elle pourrait s’appuyer sur sa flotte sous-marine, bien qu’elle ne dispose pour l’heure que d’un petit nombre de sous-marins nucléaires d’attaque aptes à remplir cette mission, ainsi que sur sa flotte de satellites d’observation en croissance rapide.

Mais il est surtout probable qu’elle entende developper conjointement à ces capacités de frappe, une flotte de drones aériens, navals et sous-marins conçus précisément dédiés à cette mission, et capables de la remplir efficacement à moindre risque, à moindres frais et de manière beaucoup plus discrète que les satellites et que même les sous-marins.

Dans tous les cas, l’US Navy, comme l’ensemble des forces navales occidentales et alliées, vont devoir désormais composer avec ces nouvelles menaces, face à la Chine comme face à la Russie.

L’US Navy veut produire 4 frégates Constellation chaque année grâce à un second chantier naval

Avec prés de 83 destroyers et croiseurs, l’US Navy dispose aujourd’hui de la plus formidable capacité navale en matière de défense anti-aérienne et anti-balistique, ainsi que dans le domaine de la puissance de feu vers la terre, tous ces navires étant à la fois équipés du système anti-aérien et anti-missile AEGIS et de missiles de croisière Tomahawk. En revanche, elle souffre, depuis le retrait des frégates O.H Perry, d’une importante faiblesse dans le domaine de l’escorte anti-sous-marine. En effet, si les destroyers Arleigh Burke disposent effectivement d’un sonar de coque AN/SQS-53, d’un sonar tracté et de deux hélicoptères de lutte anti-sous-marines SeaHawk, leur déplacement et leur discrétion acoustique n’en font pas une plate-forme de lutte anti-sous-marine de premier plan, d’autant qu’il est presque impossible de mener efficacement simultanément une mission de défense anti-aérienne et de lutte anti-sous-marine. Au delà de la flotte de surface, les autres composantes de la lutte sous la surface de l’US Navy ont, eux aussi, perdu de nombreuses capacités, avec le retrait des S-3 Viking du groupe aérien embarqué, des sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia plus efficaces dans la projection de puissance que dans le rôle de hunter-killer, et des P-8A Poseidon qui ne disposent, à ce jour, que d’une partie de leurs capacités dans ce domaine.

Le fait est, la plupart des flottes occidentales ont considérablement réduit leurs capacités dans le domaine de la lutte anti-sous-marine avec l’effondrement du bloc soviétique et la fin de la guerre froide. La plupart d’entre elles ont en effet, comme l’US Navy, largement privilégié les capacités anti-aériennes voire l’autonomie à la mer et les missions de faibles intensité, plutôt que de maintenir ce type de capacités. A ce titre, la Marine Nationale française qui, avec ses frégates de la classe Aquitaine très efficaces dans ce domaine, ses avions de patrouille maritime Atlantique 2 et ses nouveaux SNA de classe classe Suffren, fait office d’exception en ayant maintenu un haut niveau de compétences en matière de combat sous la surface, au point d’être régulièrement mise en avant par l’OTAN lors d’exercices conjoints. Or, la lutte anti-sous-marine est redevenue, depuis quelques années, un sujet de préoccupation majeure pour les marines occidentales, avec la modernisation et la montée en puissance rapide de la flotte sous-marine russe, mais également de celle mise en oeuvre par l’Armée Populaire de Libération, toutes deux disposant de submersibles performants et discrets comme les Iassen et Borei russes, ou les Type 039 chinois.

Les FREMM françaises de la classe Aquitaine sont probablement les meilleurs unités de surface dans le domaine de la lutte anti-sous-marine en occident à ce jour

C’est pour répondre à ce besoin qu’à la fin des années 2010, sous l’impulsion de feu le sénateur John Mc Caine, et presque contre l’avis de l’US Navy, celle-ci a lancé un nouveau programme visant à se doter de 20 frégates polyvalentes mais disposant de capacités de lutte anti-sous-marine avancées. C’est l’italien Fincantieri qui s’imposa en 2020 à l’issu d’une compétition ouverte, le constructeur européen ayant pu bénéficier simultanément d’une excellente offre tant en terme de performances que de prix sur la base des FREMM italiennes, et d’une importante présence industrielle outre-atlantique grâce aux chantiers navals de Fincantieri Marinette Marine qui produisaient déjà les LCS de la classe Freedom. La première unité de cette classe, l’USS Constellation, est en cours de construction, alors que les deux unités suivantes, l’USS Congres et l’USS Chesapeake, ont été commandées en 2022. Mais si la planification actuelle prévoit de livrer à partir de 2025 alternativement 1 puis 2 frégates chaque année dans un modèle en dents de scie, le Chef des Opérations Navals, l’amiral Gilday, entend désormais produire 4 frégates par an grâce à l’implication d’un second chantier naval.

C’est en tout cas ce que le CNO, soutenu en cela par le Secrétaire à la Navy Carlos Del Toro, a expliqué au Comité sénatorial des services armés dans le cadre des discussions autours de la programmation navale US. Pour le chef militaire de la Navy, ainsi que pour son chef civil, il reste encore quelques étapes à franchir en terme de maturation technologique, afin de lever tous les risques qu’impliquerait l’ouverture d’un second chantier naval pour produire des frégates Constellation. Toutefois, ces points auront été, selon eux, levés d’ici la fin de l’année, de sorte qu’il serait possible, dès l’année prochaine, de sélectionner un second chantier naval pour produire les frégates, et ainsi atteindre les 4 unités par an espérées par l’US Navy. Il est vrai que chaque année, désormais, ce sont entre 5 et 8 nouveaux sous-marins russes et chinois qui entrent en service, alors que les nouveaux sous-marins SSN(x), qui seront spécialisés dans la chasse aux sous-marins à l’instar des Seawolf, n’entreront pas en service avant la fin de la prochaine décennie.

Bien qu’équipés de puissants sonars, les destroyers Arleigh Burke de l’US Navy ne sont pas des plate-formes très efficaces dans le domaine de la lutte anti-sous-marine

Reste que cette perspective décrite par le CNO a de quoi surprendre. En effet, pour l’heure, rien n’indique dans la programmation de l’US Navy, que la classe Constellation puisse dépasser les 20 unités initialement prévues, alors même qu’un nouveau document cadre à 3 options a été présentés au Congrès il n’y a de cela que quelques jours. Face à un budget qui n’augmentera que de 2,1% en 2024, la marine américaine se doit en effet de se montrer très prudente dans sa programmation, d’autant qu’elle doit en priorité atteindre certains objectifs clés comme l’augmentation de la production de SNA de la classe Virginia, le bon déroulement du programme de SNLE de la classe Columbia, et le développement du nouveau chasseur de 6ème génération F/A-XX, tout en remplaçant les croiseurs de la classe Ticonderoga par les nouveaux destroyers Arleigh Burke Flight III.

Pour autant, se tourner vers le développement accélérée de frégates de la classe Constellation aurait beaucoup de sens pour l’US Navy. Longue de 151 mètres pour un déplacement de 7,300 tonnes, ces frégates feront en effet au moins jeu égal avec les destroyers chinois Type 052D et les frégates russes de la classe Admiral Gorshkov, tant en terme de capacités de détection grâce au radar AEGIS AN/SPY-6 et une suite sonar AN/SLQ-61/62 de nouvelle génération épaulée du système CAPTAS-4 de Thales, qu’avec ses 32 silos Mk41 armés de missiles ESSM (4 par silos), SM-2 ou BGM-109 et ses 16 missiles anti-navires NSM. En outre, le bâtiment ne requiert qu’un équipage de 130 marins et officiers, détachement aéronautique inclus pour l’unique MH-60R du bord, là ou un Burke Flight III en requiert largement plus du double. Enfin, le navire est économique, puisqu’il devrait passer sous la barre du milliard de $ l’unité une fois la production de masse lancée, contre plus de 2,5 Md$ pour un Burke.

Les frégates de la classe Constellation auront un déplacement, des dimensions et une puissance de feu comparable à ceux des destroyers anti-aériens Type 052D chinois

De fait, pour redonner une importante capacité d’escorte anti-sous-marine comme pour accroitre efficacement le format de la flotte, le tout en tenant compte des contraintes budgétaires et des difficultés de recrutement et de formation des personnels, la classe de frégate USS Constellation apporte des perspectives des plus pertinentes à l’US Navy dans sa compétition avec la Chine. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, la Constellation permettrait aux Etats-Unis de reprendre pied sur le marché International des grandes unités de surface combattantes, abandonné depuis la fin de la production de O.H Perry alors que ces navires, comme les Knox avant eux, ont constitué la colonne vertébrale de nombreuses marines occidentales ou alliées des Etats-Unis pendant plusieurs décennies. Dès lors, on peut effectivement s’attendre à ce qu’une fois l’ensemble des aspects techniques et industriels réglés autour de l’unité de tête de la classe, la classe Constellation devienne la nouvelle unité de surface de référence tant pour l’US Navy que pour beaucoup de leurs alliés, quoiqu’en dise la programmation navale à ce jour.

Le Japon veut s’appuyer sur les technologies US pour accélérer son programme de Rail Gun

En 2021, après une décennie d’investissements et d’essais, l’US Navy annonça qu’elle mettait fin au programme visant à developper un canon électrique, ou Rail Gun. Développé par BAe system, celui-ci visait à developper un canon employant l’énergie électromagnétique pour propulser un obus et ainsi atteindre une vitesse de sortie de bouche pouvant atteindre Mach 10, là ou les obus propulsés par de la poudre peinent à dépasser les Mach 4 du fait de la vitesse de propagation de la déflagration. Théoriquement, le Rail Gun de l’US Navy devait permettre d’atteindre des cibles jusqu’à 220 miles, plus de 340 km, et offrir dans le même temps des capacités avancées d’interception ainsi-aérienne y compris contre des cibles évoluant très haut, ou très vite, le tout pour un cout d’utilisation ne représentant qu’une fraction du prix d’un missile. Malheureusement, les technologies employées alors étaient encore insuffisamment matures pour atteindre de tels objectifs, du moins fussent les arguments avancés par l’US Navy pour justifier de la fin du programme. Le fait est, si les essaient réalisés par BAe furent qualifiés de prometteurs, ils se heurtèrent à plusieurs problèmes, notamment en matière de surchauffe du rail à l’utilisation engendrant d’importantes contraintes de dégradation des performances et de sécurité.

Au même moment, l’US Army, et son partenaire industriel Lockheed-Martin, jetèrent eux-aussi l’éponge au même moment. Moins ambitieux que le programme de l’US Navy, avec un dégagement énergétique de 60 kilojoules pour atteindre une portée de 100 km contre plus de 100 kj et 340 km pour la Marine, l’initiative de l’US Army fit fasse aux mêmes difficultés, ainsi qu’un évident problème de production électrique et de mobilité, bien plus sensible pour un dispositif terrestre que sur un destroyer de plus de 10.000 tonnes. D’autres pays ont eux aussi avancés dans ce domaine, comme la Chine ou la Turquie, mais rien n’indique à ce jour qu’ils soient effectivement parvenus à résoudre les écueils ayant sonné le glas des programmes américains. Cela n’a pourtant pas arrêté le Japon, qui a annoncé en début d’année dernière, le lancement d’un programme de canon électrique, avec pour objectif de l’employer pour densifier la défense anti-aérienne et anti-missile du pays, en particulier face aux missiles hypersoniques.

Cette image avait été transmise par le Ministère de la défense japonais en janvier 2022 lors de la présentation du programme de Rail Gun national

En réalité, le programme de Rail Gun avait déjà débuté depuis plusieurs années lors de cette annonce, et l’attribution d’une enveloppe de 6,5 Md de yen pour son développement sur le budget 2022. En effet, selon les ministère de la défense nippon, plusieurs développements ont permis, jusque là, d’atteindre des vitesses de sortie de bouche de 2.300 m/s, soit soit Mach presque Mach 7 à l’aide d’un démonstrateur technologique. Pour autant, et afin de respecter le très ambitieux calendrier définit par le Ministère de la défense japonais à ce sujet, les autorités nippones auraient ouvert des discussions avec Washington mais également avec les industriels ayant développé les programmes de Rail Gun pour l’US Navy et l’US Army, selon les déclarations faites par Shigenori Mishima, le vice commissaire et CTO de l’agence des technologies, acquisitions et logistiques du Ministère de la Défense, au site Nationaldefensemagazine.org à l’occasion du salon DSEI.

Pour Tokyo, il s’agit avant tout d’éviter de devoir dupliquer certains développements, comme par exemple dans le cadre des systèmes de visée et de guidage ou de stockage de l’énergie, alors que ceux-ci ont déjà bénéficié d’avancées très concrètes aux Etats-unis. En revanche, le Ministère de la défense nippon semble confiant quant à ses capacités pour dépasser les impasses auxquelles les industriels américains ont du faire face, notamment en terme de surchauffe, grâce à certaines avancées réalisées en matière de matériaux. S’adressant au magazine US, M Mishima n’exclut d’ailleurs pas que ces avancées réalisées par les ingénieurs nippons autour de ces questions puissent redonner de l’intérêt vis-à-vis de cette technologie auprès des armées américaines, de sorte que celles-ci puissent être mutuellement profitables de part et d’autre du Pacifique, notamment pour faire face à la montée en puissance chinoise. Interrogées par les journalistes du site, BAe et Lockheed-Martin ont effectivement confirmé être en relation avec les autorités nippones à ce sujet, sans toutefois s’épancher sur la réalité de la coopération à ce jour.

Le programme de Rail Gun de l’US Navy a été annulé en 2021 car il faisait face à certaines impasses comme la surchauffe du dispositif lors des essais

Reste pour les forces d’autodéfense japonaises, ce programme de Rail Gun revêt une dimension stratégique qu’il n’avait pas pour les armées US, en particulier pour renforcer la défense du pays, que ce soit face à la Chine ou face à la Corée du nord. En effet, de part sa géographie spécifique obligeant à une dispersion très importante des moyens de défense, le pays sera très difficile à protéger d’une attaque se voulant saturante employant des missiles balistiques, des missiles de croisière voire des drones. Dans ce domaine, la multiplication de systèmes comme le Rail Gun permettrait en effet de considérablement renforcer la résilience nippone. En effet, celui-ci est capable d’offrir une couverture relativement étendue mais surtout une grande puissance de feu face à de très nombreuses cibles pour un faible cout relatif, puisque le prix d’un Rail Gun dépend avant tout de celui du système lui-même, et non du nombre de munitions dont il dispose, contrairement à un système antimissile classique. En outre, il dispose d’une polyvalence sensiblement plus importante qu’un système anti-missile, capable à la fois d’engager des cibles balistiques, des cibles aériennes manoeuvrantes ou pas, des drones ainsi que des cibles de surface ou terrestres.

On comprend, dans ce contexte, pourquoi le programme de canon électrique revêt un tel intérêt pour le ministère de la défense nippon, ce en dépit des écueils technologiques qu’il faudra franchir pour le rendre opérationnel. Un tel développement fait largement sens pour Tokyo et les forces d’autodéfense nippones, d’autant qu’elles verront leur budget considérablement croitre dans les années à venir pour venir flirter avec les 100 Md$ par an, alors qu’elles ne pourront que très difficilement étendre leurs ressources humaines dans les années et décennies à venir. Il est donc probable qu’au delà du Rail Gun et d’autres programmes technologiquements avancés dont le lancement a été annoncé il y a quelques mois, la technologie nippone sera mise à contribution de manière très significative pour renforcer le potentiel défensif et donc dissuasif d’un pays dont la moyenne d’âge dépassera les 50 ans en 2025.

La Marine russe veut ferrailler son sous-marin Saint-Petersbourg seulement 14 ans après sa livraison

Le sous-marin Saint-Petersbourg, tête de série de la classe Lada, va être ferraillé sur décision de la Marine Russe, après seulement 14 années de service.

Présentés pour la première fois à la fin des années 90, alors même que la Russie traversait une des plus grandes crises économiques et politiques de son histoire, portant un coup terrible sur son industrie de défense, les sous-marins conventionnels de la classe Lada, projet 677, devaient marquer le renouveau de la production de ce type de navires par Moscou.

Très ambitieux, le programme prévoyait notamment une intégration très avancée des technologies numériques permettant de ramener l’équipage à seulement 35 hommes, contre plus de 50 pour les 636 Improved Kilo qu’ils devaient remplacer.

En outre, des recherches avaient été entamées pour doter le navire d’une propulsion anaérobie AIP à l’instar des Götland suédois ou des nouveaux Type 214 allemands. La construction du prototype de la classe, le sous-marin Saint-Petersbourg, fut entamée fin 1997, et le navire lancé sept ans plus tard, ce qui, à cette époque, était un délai très court pour les chantiers navals russes. C’est alors que les problèmes commencèrent à s’accumuler.

En 2005, alors qu’il commençait ses essais à la mer, le programme fut suspendu par manque de crédits pour libérer les fonds nécessaires à la conception et fabrication d’autres unités navales de surface, pour reprendre uniquement fin 2012.

Entre temps, l’ambition du programme avait été revue à la baisse, la Marine russe préférant se tourner sur le programme 636.3 plus fiable pour renouveler les flottes de la mer Noire, puis plus tard, de la flotte Pacifique et de la mer Baltique, soit 18 sous-marins. La classe Lada, quant à elle, se trouvait limitée au remplacement des sous-marins projet 877 de la classe Kilo de la flotte du nord.

Pour autant, les performances du Saint-Petersbourg lors de ses essais à la mer étant jugées très décevantes, la conception d’une version améliorée, désignée projet 677M, fut entamée, pour en palier les principaux défauts.

Si aujourd’hui, 4 de ces navires sont à différents stades de construction, dont le Kronshtadt qui termine ses essais à la mer et devrait rejoindre la Flotte du Nord cette année, et que 2 autres unités ont été commandées en 2022, le sort du Saint-Petersbourg demeurait incertain.

Le sous-marin Saint-Petersbourg, contrairement aux Improved Kilo, n'a jamais fait la démonstration de son potentiel opérationnel
La Marine Russe a préféré se tourner vers le 636.3 Improved Kilo pour moderniser les flottes sous-marines de la mer Noire, du Pacifique et de la mer Baltique face aux performances décevantes de la classe Lada

C’est désormais chose faite selon l’Agence Tass, citant deux sources proches du dossier, qui indique que l’Amirauté Russe aurait décidé de ferrailler le navire, seulement 14 ans après sa livraison, sans qu’il ait jamais été admis au service actif.

En effet, selon ces sources, il semble que les couts de modernisation du navire pour le porter au standard 677M, et ainsi corriger ses nombreuses défaillances, seraient au moins équivalents à ceux permettant de construire un nouveau navire, marquant la fin de ce navire au destin peu glorieux.

Pour autant, les difficultés rencontrées par le programme Lada semblent ne pas s’être dissipées avec le ferraillage de la tête de classe, même si de nombreux progrès ont été réalisés, semble-t-il, pour en corriger les défauts les plus importants.

Ainsi, les chantiers navals et bureaux d’étude Rubin, en charge de ce programme, peinent toujours à developper une vraie propulsion de nouvelle génération, qu’elle soit de type Air Indépendant comme pour les Type 39B chinois, les A24 suédois ou les Type 214 allemands, ou en employant des batteries Lithium-ions comme les Taigei japonais.

Si de nombreuses annonces ont été faites en ce sens, et ce, depuis plusieurs années, rien n’indique, en effet, à ce jour, que des avancées fonctionnelles et opérationnelles aient été réalisées à ce sujet.

D’ailleurs, après avoir conçu la classe de sous-marin conventionnelle la plus prolifique de ces dernières décennies avec le modèle 877/636 Kilo, les bureaux Rubin peinent désormais à s’imposer lors des compétitions internationales. C’est particulièrement le cas vers des clients traditionnels qui lui préfère des modèles occidentaux ou chinois, alors même que l’exportation de sous-marins a représenté une part importante des exportations de matériels militaires russes dans les années 90, 2000 et 2010.

Les SSGN de la classe Iassen-M ont montré des performances et une discrétion très avancées, y compris face aux SNA américains, français et britanniques.

Reste que le funeste destin du Saint-Petersbourg ne doit pas masquer l’évidente renaissance de l’industrie sous-marine russe, il est vrai aujourd’hui bien davantage tournée vers la production à destination nationale qu’à l’exportation.

Ainsi, de 2020 à 2022, ce sont pas moins de 8 sous-marins qui ont été livrés à la Marine Russe : les Volkhov, Magadan et Ufa de la classe 636.3 Improved Kilo destinés à la flotte du Pacifique, les sous-marins nucléaires lance-missile de la classe 885M Iassen Kazan (flotte du nord) et Novosibirsk (Pacifique), les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins 955A Borei Knyaz Vladimir (Nord), Knyaz Oleg et Généralissime Suvorov (flotte du Pacifique), ainsi que le fameux sous-marin spécial Belgorod (Pacifique) qui transporte la torpille nucléaire Poseidon.

Les années à venir semblent être du même acabit, avec 6 livraisons pour la seule année 2023, dont les deux premières unités modernisées du programme Lada (flotte du nord), un nouveau 636.3 pour la flotte du Pacifique, deux Iassen-M pour les flottes du nord et du Pacifique, ainsi qu’un Boreï-M, et 3 navires pour 2024.

En outre, si les Lada ont effectivement rencontré des problèmes, les Improved Kilo, et surtout les Iassen-M et Boreï-A se sont rapidement taillé une réputation d’efficacité et de discrétion.

La porte ayant été ouverte par l’alliance AUKUS au sujet de l’exportation directe de sous-marins à propulsion nucléaire, on peut s’attendre, dans les années à venir, à ce que la Russie s’engouffre dans cette brèche vers certains de ses clients traditionnels et fidèles comme l’Algérie, l’Inde ou le Vietnam.

Elle pourrait également se tourner vers des soutiens du pays dans sa guerre face à l’Ukraine, dont la Chine qui bénéficierait grandement d’un important transfert de technologies russes dans ce domaine, pour accélérer la montée en puissance de ses programmes de sous-marins nucléaires d’attaque et de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, et ainsi rééquilibrer ses forces avec la flotte US dans le Pacifique.

De fait, les difficultés rencontrées autour du programme Lada ne doivent certainement pas être sûr interprétées comme un signe de faiblesse ou de déclassement de l’industrie sous-marine russe.

Pourquoi l’Europe occidentale sous-estime gravement le devenir de la menace militaire russe ?

Soutenue par d’importants efforts industriels et sociétaux, la menace militaire russe est en pleine transformation, sans que les Européens de l’Ouest ne s’adaptent à cette évolution

En amont de l’offensive russe contre l’Ukraine en février 2022, l’immense majorité des analystes considéraient que les forces armées russes disposaient d’une puissance militaire redoutable, faisant au moins jeu égal avec les armées de l’OTAN déployées en Europe. De fait, il était raisonnable de considérer que l’Ukraine et ses forces armées, disposant de presque 10 fois moins de moyens budgétaires chaque année que leurs adversaires, ne pourraient résister bien longtemps à une offensive menée par Moscou, sauf à mener une réflexion approfondie sur la réalité du terrain et des capacités défensives ukrainiennes.

Quoi qu’il en soit, après quelques semaines de combat, il devint vite évident que la puissance militaire russe était bien moindre qu’estimée, alors que la résistance ukrainienne et la mobilisation occidentale s’avéraient beaucoup plus efficaces qu’anticipé. Petit à petit, alors que les armées russes se faisaient étriller par des combattants ukrainiens aussi déterminés qu’inventifs, ce sentiment de toute puissance des armées russes se transforma en une perception de manque d’efficacité concernant tant le commandement que la doctrine et même les équipements russes.

Aujourd’hui, alors que les forces russes ont perdu près de 65% de leur parc de char d’avant-guerre, mais aussi 50% des blindés de combat, 25% de ses hélicoptères et 15% de ses avions de combat, sans parler du très symbolique croiseur Moskva, ainsi que près de 200.000 combattants tués, blessés ou disparus, les armées russes ne sont considérées que comme le fantôme de ce qu’elles étaient il y a deux ans.

La perception européenne d’une menace militaire russe sous contrôle

Face à ce constat, si les européens de l’est et du nord, probablement entrainés par la dynamique polonaise, continuent de moderniser et accroitre leurs capacités défensives, en particulier dans le domaine de la guerre de haute intensité, les européens de l’ouest, France, Allemagne, Italie et Royaume-Uni en tête, semblent quant à eux, considérer dans leur programmation militaire, que cette menace russe n’est plus majeure, tout au moins à court terme.

C’est ainsi qu’aucun de ces pays ne prévoit d’augmenter leurs forces dédiées à l’engagement de haute intensité, alors que l’existant est très limité du fait d’évolutions successives sur la base d’engagement dissymétriques comme en Irak, en Afghanistan ou au Mali.

La perception de la menace militaire russe a été largement marquée par les échecs en Ukraine
Les chars russes ont payé un très lourd tribu en Ukraine, presque 2000 d’entre eux ayant été documentés détruits, endommagés ou abandonnés comme ce T90A

Ainsi, ces 4 puissances, représentant pourtant un PIB cumulé de presque 12,500 Md$ soit 75% de celui de toute l’Union Européenne, disposeront ensemble de moins de 1000 chars de combat en 2030, soit moins que la Pologne et son PIB de 700 Md$, mais également de moins de 300 tubes de 155 mm, 700 avions de combat et de moins de 250 hélicoptères antichars.

En effet, en observant les nouvelles programmations militaires françaises, britannique, allemande et italienne, il apparait que ces pays n’envisagent pas que la Russie puisse représenter une menace significative à court terme, du fait des très lourdes pertes enregistrées en Ukraine, et ce quelle que soit la conclusion du conflit.

Des programmes européens à trop longue portée

Dès lors, les efforts budgétaires qui auraient été nécessaires pour renforcer la composante dédiée à la haute intensité, ont été reportées au-delà de 2030, voire 2035, de sorte à libérer les crédits nécessaires pour moderniser d’autres composantes, comme la dissuasion, la protection anti-balistique, le renseignement ou la projection de puissance. Pourtant, plusieurs éléments objectifs tendent à remettre en question cette perception, qu’elle soit raisonnée ou argumentatoire, au cœur des plans européens.

En premier lieu, il est indispensable d’évaluer les capacités de reconstruction des forces armées russes au-delà de la guerre en Ukraine, ainsi que les seuils et contraintes auxquelles elles sont confrontées. Et de fait, si le terme « économie de guerre » est aujourd’hui très à la mode en Europe, au point d’être souvent galvaudé, voire dépourvu de sa substance, il est appliqué avec méthode par la Russie depuis le début du conflit en Ukraine.

Ainsi, d’une économie ouverte relativement similaire à l’économie de marché occidentale, la Russie a évolué vers une économie beaucoup plus contrôlée, orientée principalement sur l’exportation de matières premières et d’hydrocarbures, ainsi que la production d’armement, tout en faisant de nombreuses concessions à l’opinion publique pour éviter un traumatisme trop important, notamment en substituant aux produits occidentaux jusque-là très présents, les produits manufacturés chinois.

La réorganisation de l’industrie de défense russe

Aujourd’hui, l’économie russe est profondément réorganisée pour répondre à ces trois objectifs, ce sans qu’aucun mouvement d’humeur n’ait agité la population.

Un temps à l’arrêt, la production industrielle militaire de l’usine de blindés Uralvagonzavod a repris après quelques mois de sanction, et livre désormais prés de 50 blindés par mois, insuffisant toutefois pour compenser les pertes mensuelles en Ukraine

Cette stratégie a permis à Moscou de considérablement accroitre les cadences de production de certains équipements clés, en particulier pour ce qui concerne des blindés modernes comme le char T-90M, le véhicule de combat d’infanterie BMP-3M, le système anti-aérien Pantsir S2 ou les systèmes d’artillerie à longue portée Tornado S et G, tout en maintenant des cadences soutenues concernant la production de navires, sous-marins et avions de combat comme le Su-35s et le Su-57, et ce, en dépit des sanctions occidentales.

Ainsi, l’usine de chars Uralvagonzavod produit, chaque mois, plus de 20 T-90M pour un total de 50 chars modernes (T-90M, T-72B3M et T-80BVM) et véhicules de combat d’infanterie BMP-3M et BMP-4. Cette production n’est certes pas suffisante pour compenser les pertes au combat, de l’ordre de 100 MBT et autant de VCI par mois, raison pour laquelle des sites secondaires de remise en condition de T-64M ont été déployés.

Une menace au-delà du conflit ukrainien

Pour autant, une fois le conflit terminé, ces cadences seront très probablement maintenues, et même amplifiées du fait de contraintes moindres quant à la fourniture de composants, notamment chinois. Or, si l’industrie russe peut produire 30 T-90M par mois, soit 360 chars par an, les armées russes disposeront d’au moins 3,500 chars de ce type en 2035, auxquels il conviendrait d’ajouter au moins 2,500 T-72B3M et T-80BVM, soit plus de 2 fois plus de chars que disponibles en Europe.

Il en ira de même de l’ensemble des catégories d’équipements, avec la production de systèmes d’artillerie Koalitsya et Tornado bien plus performants que les Msta-s, Grad et Smerch actuellement employés en Ukraine, et clairement surclassés par les Caesar, Pzh2000 et autre HIMARS livrés par les occidentaux aux défenseurs ukrainiens.

De même, les futurs chars et blindés russes seront, eux aussi, modifiés pour intégrer les enseignements de cette guerre, en intégrant notamment le système hard-kill Arena-M qui commence à équiper les nouveaux T-90M produits par Uralvagonzavod. En conséquence, non seulement les capacités de recapitalisation des armées russes sont très importantes aujourd’hui, mais tout indique que l’Armée russe de 2030 ou 2035, n’aura guère à voir avec celle qui déclencha l’offensive contre Kyiv en 2022.

De nouveaux systèmes d’arme, comme les lance-roquettes Tornado S et G, ont montré en Ukraine qu’ils disposaient de performances proches de celles des matériels occidentaux, comme le HIMARS

Une armée russe en transformation

Le second facteur devant être pris en considération n’est autre que le contrôle qu’exercent désormais les autorités russes sur l’opinion publique du pays. S’il y a quelques années, la société civile russe avait encore une certaine latitude, celle-ci a été, tout comme toutes velléités d’opposition, entièrement muselée, tant par des lois de plus en plus répressives que par une propagande de tous les instants.

Une fois le conflit en Ukraine terminé, peu importe dans quelle condition, il est très peu probable que la dynamique lancée par le Kremlin pour consolider et accroitre rapidement sa puissance militaire, et ainsi faire face à ce qui est présenté comme la menace existentielle orchestrée par l’occident, soit appelée à s’étioler.

Dit autrement, là où l’on peut anticiper un glissement progressif vers une atténuation de la perception de la menace en occident (déjà sensible dans plusieurs pays, notamment en France), tant de la part de l’opinion publique que de la classe politique, il convient d’anticiper que la Russie conservera, sous le contrôle du Kremlin, la trajectoire dans laquelle elle s’est inscrite pour reconstruire un outil militaire susceptible de prendre l’ascendant sur l’OTAN à relativement court terme.

Pour cela, les Armées russes pourront s’appuyer sur l’ensemble des enseignements et expériences acquises en Ukraine, même si cela fut fait au prix de dizaines de milliers de vies. Ainsi, au-delà de l’évolution déjà observée des équipements produits par l’industrie de défense russe, il est très probable que plusieurs évolutions majeures viendront transformer les armées, que ce soit en termes de doctrine, d’entrainement, de chaine de commandement ou encore de flux logistique, soit les principales faiblesses observées en Ukraine, comme ce fut le cas en 2008 après les dysfonctionnements constatés lors de la campagne de Géorgie.

Déjà, il apparait que les unités russes appliquent des doctrines et stratégies en Ukraine relativement différentes de celles employées au début du conflit, alors que la mécanique de conscription a, elle aussi, été considérablement durcie il y a quelques semaines. Par conséquent, tout indique que l’ensemble de la nation russe tend à se mobiliser pour produire une force armée bien plus efficace que celle qui connut tant de difficultés en Ukraine.

Moscou a considérablement durci la législation encadrant la conscription, sans la moindre réaction d’une opinion publique désormais totalement sous contrôle des autorités.

Le soutien chinois à la Russie

Pour cela, Moscou pourra s’appuyer sur un dernier élément, et non des moindres, puisqu’il s’agit du soutien de plus en plus marqué de Pékin, y compris dans le domaine militaire. Il est probable que la Chine conservera une posture plutôt discrète dans ce domaine jusqu’à ce que le conflit en Ukraine prenne fin.

En revanche, dès que cette échéance sera atteinte, on peut raisonnablement anticiper que le soutien militaire chinois à Moscou croitra considérablement, en particulier pour ce qui concerne des alternatives aux équipements et composants occidentaux employés jusqu’ici par l’industrie de défense russe, comme les semi-conducteurs, mais également les machines outils qui font gravement défaut à la production industrielle russe de défense aujourd’hui.

Pendant longtemps, le rapprochement potentiel entre ces deux pays était limité, notamment en raison du déséquilibre flagrant en matière économique et démographique entre la Russie et la Chine. Désormais, cependant, les bénéfices tant pour Moscou que pour Pékin autour d’un tel rapprochement dépassent très largement les contraintes.

Pour la Chine, une Russie puissante, et en partie dépendante de l’économie et de l’industrie chinoises, permettrait de faire peser une menace constante et très sensible sur l’OTAN, de sorte à limiter de possibles interventions européennes dans le Pacifique ou l’Océan Indien, tout en obligeant les Etats-Unis à maintenir une posture militaire significative en Europe et dans l’Atlantique, venant de fait se soustraire aux moyens potentiellement déployables sur le théâtre Pacifique.

En outre, le soutien chinois pourrait permettre à Pékin de négocier certains transferts de technologies avec la Russie, comme dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire, et ainsi accélérer l’objectif de parité technologique avec les Etats-Unis. Enfin, un tel rapprochement permet à la Chine d’accéder à de nombreuses matières premières critiques à des conditions très avantageuses et à moindre risque afin d’accroitre et renforcer notamment sa production aéronautique et de défense.

La Russie dispose encore de certains savoir-faire enviés des Chinois, comme dans le cas des sous-marins à propulsion nucléaire. Le rapprochement militaire entre les deux pays permettra probablement à Pékin de combler ce retard rapidement pour atteindre la parité technologique totale avec les Etats-Unis pour 2027.

Pour la Russie, un temps au bord de l’excommunication internationale, le soutien de la Chine représente la garantie d’une position internationale bien plus confortable, avec notamment la création d’une opposition de bloc que de nombreux dirigeants russes regrettaient dans la fin de la guerre froide. Il offre également les débouchés nécessaires à l’industrie minière et la production d’hydrocarbures sur lesquelles l’économie russe est construite, tout en offrant des alternatives manufacturières aux produits occidentaux et européens.

À ce titre, l’arrivée des produits chinois dans les supermarchés et grandes surfaces russes est déjà très visible aujourd’hui, en lieu et place des produits européens. Il est probable que dans les années à venir, l’ensemble de l’industrie civile et de la production manufacturière russe se sinisera, elles aussi, par exemple en reprenant les infrastructures abandonnées par les grandes entreprises européennes comme dans l’automobile.

Le point le plus critique de ce rapprochement pour Moscou est qu’il permet à l’industrie de défense russe de reprendre une production intensive, mais aussi d’évoluer dans les années à venir, faisant de l’alliance avec la Chine aujourd’hui une condition nécessaire, mais également suffisante à la reconstruction des armées russes à court terme.

Conclusion

On le voit, de nombreux facteurs tendent à démontrer que la perception répandue en Europe occidentale, selon laquelle la menace militaire russe serait désormais fortement réduite du fait des pertes subies en Ukraine, et ce, pour plusieurs décennies, est loin d’être incontestable.

Ainsi, même en considérant que chacun des points évoqués ici n’aurait que 75% de chances de se produire comme décrit, le risque que ces 4 points soient respectés, amenant ainsi la Russie à disposer en 2035 d’une puissance militaire sensiblement supérieure aux forces armées européennes, atteint les 31%, alors qu’il s’agirait d’une menace des plus sérieuses, d’autant que même si un ou deux de ces points venaient à être modérés, le résultat demeurerait très significatif.

On peut s’interroger, dès lors, sur la pertinence des trajectoires poursuivies par les grands pays européens en matière de programmation militaire, et plus particulièrement par les quatre grandes puissances économiques, aucune n’ayant, semble-t-il, pris la mesure du potentiel de reconstruction des armées russes à relativement court terme une fois le conflit en Ukraine terminé, alors même que la protection US ira nécessairement décroissante pour soutenir la compétition avec Pékin dans le Pacifique.

La question, aujourd’hui, est probablement de savoir si cette menace est à ce point importante qu’elle pourrait justifier une mesure globale et une souplesse budgétaire à l’échelle européenne, comme ce fut le cas lors de la crise Covid, de sorte à permettre aux Européens de reconstruire symétriquement une puissance militaire capable de neutraliser les armées russes en devenir ?

Quel blindé pour assurer l’intérim du Leclerc si le programme MGCS venait à être reporté ?

Ces derniers jours ont probablement été les plus difficiles concernant le programme Main Ground Combat System, ou MGCS, destiné initialement à remplacer les Leclerc et Leopard 2 à partir de 2035. En effet, coup sur coup, plusieurs annonces ont été faites outre Rhin, laissant supposer que cette échéance ne serait plus respectée. Ainsi, selon la Bundeswehr, les blocages industriels auxquels le programme fait face aujourd’hui, interdiraient désormais une entrée en service en 2035.

Quelques jours plus tôt, Suzanne Weigand, la CEO de RENK, qui conçoit et fabrique les très critiques transmissions des chars français et allemands, a déclaré lors d’une interview que cette même échéance n’était plus souhaitable alors que la demande immédiate pour de nouveaux chars de combat vient redistribuer la physionomie du marché adressable en 2035.

Le coup de grâce a été porté en fin de semaine par Krauss Maffei Wegmann, le concepteur du Leopard 2, qui a présenté une nouvelle version 2A8 de son char, et indiqué qu’une version plus évoluée, encore désignée 2AX, était en développement pour une entrée en service d’ici à 2 ou 3 ans.

Le calendrier du programme MGCS menacé

De toute évidence, il sera bientôt impossible de continuer d’espérer que les premiers MGCS viendront remplacer les Leclerc français et Leopard 2 allemands à partir de 2035, la date de 2045 étant souvent citée outre-Rhin.

Cette échéance est même, d’un certain point de vue, probablement optimiste au regard de la réalité du reversement de marché concernant les chars lourds auquel nous assistons aujourd’hui en Europe comme dans le Monde. Comme nous l’avons évoqué dans nos précédents articles sur le sujet, un tel report viendrait mettre à mal tant l’Armée de Terre française que la Base Industrielle et Technologique Défense Terre nationale.

La première, en effet, n’a pas aujourd’hui la possibilité de renforcer ou moderniser comme il se doit son parc de Leclerc pour atteindre une telle échéance, ou du moins rien n’indique à ce jour dans la programmation militaire française que l’hypothèse ait été traitée dans sa globalité. La seconde, quant à elle, a un plan de charge optimisé avec le programme SCORPION l’amenant jusqu’en 2035, et tablait sur le programme TITAN, duquel MGCS est le pilier principal, pour prendre le relais à cette échéance.

Un retard de MGCS mettrait à mal le programme TITAN de l'Armée de Terre
Le programme TITAN de l’Armée de Terre est une évolution du programme SCORPION intégrant la composante blindée lourde

De fait, si, comme il est désormais très probable, le programme MGCS venait à être reporté sans être annulé, il sera nécessaire, pour Paris, de trouver une solution intérimaire capable de répondre simultanément aux besoins de l’Armée de Terre comme à ceux de la BITD terre, de sorte à préserver les capacités et ambitions de l’un comme de l’autre.

Vers une solution intérimaire pour l’Armée de terre

Plusieurs articles publiés sur ce site ont déjà étudié quelques options, comme le démonstrateur EMBT et sa très prometteuse tourelle développée par Nexter, voire en se tournant vers une solution exogène, comme le KF51 Panther de Rheinmetall, le K2PL polonais ou le nouveau Leopard 2AX en cours de conception chez KMW, le partenaire de Nexter au sein du groupe KNDS.

Toutefois, ces analyses reposaient sur l’étude d’une solution existante, pour en déterminer la pertinence et la soutenabilité dans l’hypothèse d’une augmentation de format, et non pour répondre à un report de MGCS. Dans cet article, à l’inverse, nous partirons des besoins, du contexte international et commercial, mais également des enseignements de la Guerre en Ukraine à ce sujet, pour établir quelle serait la meilleure réponse que pourrait apporter la BITD française.

Il n’y a de cela que quelques années, la plupart des états-majors estimaient que le char de combat était une relique du passé. Pour beaucoup, les progrès réalisés ces dernières décennies en matière de munitions antichars, mais également de munitions rôdeuses et de munitions d’artillerie ou aéroportées de précision, rendaient le char de trop vulnérable pour pouvoir jouer son rôle sur le champ de bataille. Les exemples des engagements post-guerre froide, notamment en Tchétchénie, en Irak ou en Afghanistan, tendaient à accréditer cette perception.

Mais les conflits de haute intensité récents, comme la seconde guerre du Haut-Karabakh, et surtout la guerre en Ukraine, ont démontré que le char, et avec lui l’ensemble de la composante blindée lourde chenillée, demeuraient indispensables à la conduite des opérations terrestres offensives comme défensives, en espace ouvert comme en zone urbaine.

C’est précisément ce constat qui a amené un grand nombre de forces armées, en particulier en Europe, à reconsidérer à court terme leur propre parc de blindés lourds et de chars, l’exemple le plus exceptionnel n’étant autre que la Pologne qui se dote d’une force terrestre sans équivalent forte de 1250 chars lourds Abrams et Black Panther, épaulés d’un millier de systèmes d’artillerie à longue portée K9, K239 et Himars, et de 1800 véhicules de combat d’infanterie, ceci jouant un rôle déterminant dans le report probable du MGCS.

Les premiers K2 polonais ont été produits en octobre 2022 et livrés en décembre aux forces polonaises.

Pour autant, si la demande excédait sensiblement l’offre concernant les chars et les VCI lourds jusqu’il y a peu, les industriels, notamment européens, ont pris la mesure de l’évolution des besoins immédiats depuis l’entame de la guerre en Ukraine.

La multiplication de l’offre du char de combat

C’est ainsi que l’allemand Rheinmetall a présenté lors du salon Eurosatory 2022 son nouveau char lourd KF51 Panther, développé sur fonds propres, alors que son PDG, Armin Papperger, montre de grandes ambitions pour le positionner aux côtés du VCI KF41 Lynx de sorte à s’emparer d’importantes parts de marché.

Dans le même temps, l’américain GDLS s’est montré actif pour vendre son Abrams M1A2 SEPv3, mais également, à l’instar de Rheinmetall, en présentant un nouveau char, l’AbramsX, lors du salon AUSA.

Le sud-coréen Hanwha a quant à lui marqué un grand coup en plaçant du K2 en Pologne, pour ce qui représente le plus important contrat export d’armement terrestre de ces 20 dernières années, tout en plaçant probablement le VCI AS21 Redback en Roumanie.

La Russie, acteur traditionnel de ce marché, est en revanche presque transparente sur la restructuration en cours, son char le plus récent, le T-90M, ne montrant pas de capacités remarquables en Ukraine, alors que le T-14 Armata semble bel et bien destiné à passer par les pertes et profits, au moins pour les cinq prochaines années. Quant à la Chine, elle enregistre quelques succès avec son VT4, mais demeure un acteur secondaire de ce marché.

On le voit, l’offre a désormais rattrapé à la demande, d’autant que l’annonce faite la semaine dernière par KMW, un poids lourd sur ce marché, au sujet de son Leopard 2A8, lui confère une dimension incontournable.

En outre, tous ces chars sont effectivement disponibles, et peuvent donc participer à des compétitions ou démontrer leurs capacités face à un client potentiel qui, de toute évidence, aura, lui aussi, un calendrier relativement serré pour moderniser sa propre flotte de chars lourds et de VCI.

Dit autrement, si Nexter et la BITD française devaient, aujourd’hui, entreprendre le développement d’un char de combat lourd, par exemple sur la base de l’EMBT, pour assurer l’intérim jusqu’à 2045/2050 et l’arrivée de MGCS, celui-ci arriverait probablement sur un marché relativement saturé, sans pouvoir s’appuyer sur un marché captif important comme c’est le cas du Leopard 2, de l’Abrams ou même du T-90M.

Par ailleurs, si Nexter venait à développer son propre char de combat, le groupe KNDS n’aurait tout simplement plus de sens, puisque toute la gamme de véhicules blindés serait répliquée de part et d’autre du Rhin, sans qu’aucune coopération n’ait été effectivement mise en œuvre.

Les forces russes ont perdu, de manière documentée, 18 T-90M depuis le début du conflit

L’achat sur étagère menacerait Nexter

L’hypothèse de l’acquisition d’un char sur étagère n’est guère meilleure. En effet, si l’acquisition du Leopard 2, du K2 et même du KF51, permettrait effectivement de répondre aux besoins de l’Armée de terre pour faire face aux évolutions de la menace, elle ne permettrait pas de maintenir les compétences et les savoir-faire de la BITD terre.

L’hypothèse pouvait avoir du sens lorsque l’échéance MGCS demeurait à 2035, puisque l’activité industrielle était garantie par SCORPION, et que l’activité R&D ne l’était pas TITAN et MGCS. Mais avec un report de 10 ou 15 ans, une telle solution marquerait l’abandon d’une grande partie des compétences de cette BITD, et donc, avec elle, d’un pan entier de l’autonomie stratégique française.

De fait, aujourd’hui, les options permettant de répondre efficacement aux besoins de l’Armée de terre, tout en préservant la BITD et les opportunités d’exportations de sorte à en accroitre la soutenabilité budgétaire, sont très limitées concernant un char lourd susceptible d’assurer l’intérim tout en préservant le programme MGCS et le groupe KNDS. Pourtant, une solution à ce problème existe bien. Pour cela, il est nécessaire de commencer par reprendre les enseignements de la guerre en Ukraine.

Les enseignements de la guerre en Ukraine

Depuis le 24 février, les chars russes comme polonais ont été au cœur des combats offensifs comme défensifs, ce d’autant que la puissance de feu aérienne a été en grande partie neutralisée, et que l’omniprésence de l’artillerie rend le blindage indispensable. Bien qu’indispensable, le char a montré toutefois, comme anticipé, sa grande vulnérabilité, près de 2400 chars ayant été perdus de manière documentée depuis le début du conflit (1900 russes et 480 ukrainiens).

Toutefois, une majorité de ces pertes est due à des armes antichars d’infanterie ou portées, qu’il s’agisse de missiles ou de roquettes, ainsi que du fait de tirs d’artillerie. En revanche, les destructions liées à un tir tendu de canon ont été relativement rares, alors même que la doctrine voulait jusqu’à présent que le pire ennemi du char était le char lui-même.

Le KF51 Panther de Rheinmetall se positionne lui aussi sur le marché des chars intérimaires, sans toutefois disposer de commande à ce jour

L’analyse des rapports d’engagement montre, quant à elle, que l’immense majorité des combats opposants forces russes et ukrainiennes et mettant en œuvre des chars de combat, se déroulent à relativement courte portée, moins de 1000 mètres, tant du fait du relief, de la végétation que de la surreprésentation des engagements en zone urbaine.

Par ailleurs, pour la deuxième année consécutive, il apparait que les blindés très lourds, comme les chars de combat, s’avèrent sensiblement handicapés dès lors qu’ils évoluent en zone ouverte, les chars russes embourbés et capturés par des « tracteurs ukrainiens », ayant été l’un des marqueurs de l’échec de l’offensive initiale russe sur Kyiv.

Il apparait également que le franchissement de rivières et cours d’eau est un exercice des plus périlleux dès lors qu’il est nécessaire de déployer des ponts flottants. Enfin, tout indique, dans ce conflit qui dure désormais depuis 15 mois, que la plus-value la plus importante et difficile à remplacer, concernant un char, n’est autre que son équipage, dont la survie doit représenter l’objectif prioritaire.

Un nouveau paradigme du char de combat est-il possible ?

La synthèse de ces informations montrerait que le « char idéal » pour évoluer en Europe de l’Est, serait avant tout beaucoup plus mobile et léger que les Main Battle Tank actuels, protégé par un blindage plus réduit de sorte à en limiter la masse pour préserver la mobilité, et surtout par un système hard-kill / soft-kill assurant l’essentiel de la protection contre les missiles, roquettes et munitions vagabondes.

L’armement principal, quant à lui, pourrait être ramené à un tube de 105 mm long à haute pression et grande cadence de tir, monté sur une tourelle entièrement robotisée, de sorte à en accroitre la légèreté tout en réduisant la surface de cible et les risques liés aux munitions transportée.

Une telle tourelle pourrait par ailleurs avoir une vitesse angulaire plus élevée, de sorte à accroitre la réactivité, donc la survivabilité, du char pour mettre en œuvre son armement.

L’armement principal, justement, devrait être complété par des missiles antichars, idéalement sans ligne de visée, pour traiter les engagements au-delà de 1000 m notamment contre les blindés lourdement protégés, ainsi que par un tourelleau de 25 ou 30 mm pour engager l’infanterie à distance de sécurité et éliminer les menaces de type drones.

L’équipage, lui, devrait être placé dans une capsule de survie le protégeant contre les frappes directes ainsi que contre les explosions secondaires, et disposerait d’une visualisation multicanale fusionnée pour percevoir son environnement, ainsi que de drones pour étendre cette perception. Enfin, idéalement, le blindé devrait disposer de capacités de franchissement étendues, y compris concernant des coupures humides.

Le Mobile Firepower Protected de GDLS, commandé à 504 exemplaires par l’US Army, est l’un des seuls blindés modernes pouvant répondre à la classification de char moyen

Dit autrement, la solution serait, ici, non pas de concevoir un autre char de combat lourd de 60 tonnes qui arriverait sur un marché extrêmement concurrentiel, mais un char moyen, d’une masse de 40 à 45 tonnes, disposant d’un important rapport puissance/poids au-delà de 28/30 cv par tonne, dont la survivabiltié reposerait davantage sur la mobilité, sur les protections actives et éventuellement sur une solution de cloaking, et non sur un lourd blindage.

Sa puissance de feu serait orientée vers la réactivité et l’engagement à courte portée, tout en disposant d’une solution d’engagement à longue portée notamment contre les MBT par l’action conjointe de missiles, de drones et d’engagement coopératif.

Conclusion

Un tel blindé répondrait de toute évidence aux besoins de l’Armée de terre, en la dotant de capacités d’engagement de haute intensité, tout en respectant la doctrine par essence très mobile de cette force. Il permettrait aussi de maintenir et de développer l’ensemble des compétences de la BITD terre française, sans venir concurrencer le Leopard 2 au sein de KNDS.

Quant au marché export, il serait par nature plus étendue, mais plus incertain, car répondant à un besoin non adressé par l’offre actuelle de MBT ou de chars « légers ». Rien n’exclut, à ce titre, de pouvoir séduire certains partenaires de la BITD française, devant faire face à des conditions d’engagements défavorables au MBT, comme c’est le cas de la Grèce (montagne), de la Suède (toundra) ou de l’Inde (plateaux tibétains), pour co-développer un tel projet, et ainsi s’assurer d’une soutenabilité budgétaire améliorée.

Très souvent, les succès de l’industrie de défense française sur la scène internationale, ont été le fait d’une approche en rupture avec la doxa industrielle occidentale. Ce fut le cas de l’AMX13, du VAB ou plus récemment du CAESAR dans le domaine terrestre, des chasseurs Mirage dans le domaine des avions de combat, ou encore des frégates furtives dans le domaine naval.

Au-delà des équipements, les armées françaises, elles aussi, ont bâti leur réputation d’efficacité en s’appuyant sur des qualités peu répandues, notamment en matière de projection, de puissance et de rusticité.

De fait, la saturation du marché des chars de combat, et le besoin d’une solution intérimaire face à l’allongement probable des délais du programme MGCS, ouvrent peut-être une nouvelle opportunité pour qu’ingénieurs et militaires français fassent à nouveau la démonstration de leur inventivité, en se tournant vers un modèle de blindé issu conçu pour répondre aux réalités constatées plutôt que sur des paradigmes hérités de la guerre froide, d’autant qu’aucune des approches dites « traditionnelles » ne semble satisfaisante pour répondre à l’ensemble des besoins et contraintes auxquels l’un comme l’autre font face.

La conception des Arsenal Ships de la Marine sud-coréenne a débuté

En bien des aspects, la politique appliquée par la Corée du Sud, en matière de défense, est exemplaire. Certes, le pays vit sous la menace permanente de son cousin du nord disposant non seulement d’une très importante force militaire faute d’être moderne, mais également d’armes nucléaires et de vecteurs de plus en plus performants. Si, à l’instar des pays européens, mais également du Japon ou de l’Australie, le pays peut s’appuyer sur la protection des Etats-Unis avec notamment plus de 28.000 militaires américains déployés en permanence sur son sol, Séoul a toujours oeuvré pour renforcer ses capacités militaires propres, ainsi que son autonomie stratégique industrielle et technologique, en faisant aujourd’hui l’une des armées conventionnelles les plus puissantes et modernes de tout le théâtre Pacifique.

Comme 190 autres nations, la Corée du Sud est signataire du Traité de non-prolifération des armes nucléaires, ce alors même que la Corée du nord, elle, s’en est retirée en 2003. Elle ne peut de fait pas developper en propre une dissuasion nucléaire pour contre-balancer la menace de Pyongyang même si technologiquement, le pays en aurait les moyens relativement rapidement. Pour autant, Séoul n’entend pas s’appuyer uniquement sur le parapluie nucléaire américain pour assurer sa sécurité. C’est ainsi que les armées sud-coréennes ont développé, depuis quelques années, une doctrine spécialement conçue pour neutraliser la menace stratégique du nord, la doctrine « 3 axes ». Celle-ci repose sur une réponse en 3 étapes à une imminence de frappes nucléaires nord-coréennes. D’abord, une fois la certitude de la réalité de ces frappes à venir acquise par les autorités sud-coréennes, les forces armées mèneront une série de frappes préventives pour éliminer l’ensemble des vecteurs identifiés pouvant être employés à cet effet. Les vecteurs ayant échappé à cette frappe préventive doivent être, dans un second temps, interceptés par les moyens nécessaires, en l’occurence les capacités anti-balistiques et anti-aériennes mises en oeuvre par les armées. Enfin, une troisième étape prévoit d’éliminer, une fois la menace nucléaire supprimée, l’ensemble des sites critiques nord-coréennes, comme les bunker de commandement, les moyens de communication, les dépôts logistiques etc.. de sorte à décapiter l’ensemble des moyens offensifs de l’adversaire.

En 2021, la Marine sud-coréenne a procédé aux essais de lancement d’un missile balistique Hyunmoo-4 à partir d’une plate-forme navale improvisée

La doctrine 3 axes sud-coréenne n’est pas qu’un épouvantail politique destiné à rassurer l’opinion publique. En effet, les gouvernements successifs, pourtant appartenant à des sensibilités politiques différentes, oeuvrent depuis de nombreuses années pour conférer aux armées les moyens de la mettre en oeuvre le plus efficacement possible. C’est pour cela que les forces aériennes sud-coréennes se dotent d’avions furtifs comme le F-35 et le KF-21 ainsi que d’une large panoplie de systèmes anti-aériens et anti-balistiques, que les forces terrestres développent d’une formidable capacité de frappe à longue portée, et que la Marine a armé ses grandes unités de surface, comme les destroyers Selon le Grand, et ses sous-marins Dosan Anh Changho, d’importantes capacités de frappes vers la terre, et prévoit de se doter d’un porte-avions de plus de 40.000 tonnes. C’est également dans le cadre de cette doctrine qu’a été annoncé, le 13 avril, l’attribution du contrat d’étude pour un nouveau type de navire, l’Arsenal Ship, qui emportera pas moins de 80 missiles balistiques prêts à faire feu.

Selon le site navalNews.com, la première partie de ce programme désigné localement « bâtiment de puissance de feu conjointe », a été attribué aux chantiers navals Daewoo DSME. Il s’agira, dans un premier temps, d’une étude de faisabilité qui doit rendre ses conclusions d’ici la fin d’année, afin de déterminer les contraintes, opportunités et enjeux, mais également les couts et capacités opérationnelles, de ce nouveau type de navire, ce d’autant qu’il est impossible, dans ce cas, de s’appuyer sur des navires équivalents en service au sein de marines étrangères. Si l’étude est concluante, la phase de conception débutera alors l’année prochaine, avec pour objectif d’entamer la fabrication des bâtiments, on parle de 2 ou 3 navires, d’ici 5 ans. Parallèlement, la DAPA, l’agence nationale de l’armement sud-coréenne, a annoncé récemment avoir entrepris la conception d’un nouveau missile balistique destiné précisément à armer ces navires, mais également les destroyers du programme KDX-III, dont la classe Sejong le grand.

Le concept d’Arsenal Ship fut présenté pour la première fois en 2019 par la marine sud-coréenne

L’arrivée de missiles balistiques en lieu et place de missiles de croisière à bord des destroyers et éventuels arsenal ships sud-coréens, présenterait de nombreux atouts, notamment en réduisant considérablement le temps de réaction et de destruction des cibles, et en réduisant très sensiblement l’efficacité potentielle de la défense antiaérienne adverse. Ces deux aspects s’avèrent en effet des plus critiques dans le cadre de la première phase de la doctrine 3 axes, comme on peut supposer que le délais entre l’acquisition de la certitude d’une frappe imminente, et la réalité de cette frappe, sera court. Quant au principe de l’Arsenal Ship, il rendra beaucoup plus difficile d’éventuelles frappes préventives nord-coréennes, y compris préventives, visant à priver Séoul de ses capacités de riposte. Reste que, dans ce domaine, tout est à inventer, à tester, et à valider. Les ingénieurs et militaires sud-coréens auront donc probablement fort à faire dans les mois et années à venir, d’autant que le pays est engagé dans plusieurs autres programmes tout aussi innovants et dimensionnants.