mercredi, décembre 3, 2025
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KMW prend une longueur d’avance sur Rheinmetall en dégainant le Leopard 2A8 pour la Bundeswehr

L’Allemand Krauss-Maffei Wegmann prend une avance considérable sur Rheinmetall avec la commande de 18 nouveaux chars Leopard 2A8 pour la Bundeswehr, quelques jours à peine après que le nouveau modèle a été dévoilé.

La guerre des chars de génération intermédiaire aura bien lieu semble-t-il, mais tout indique qu’elle sera germano-allemande. Alors que les annonces se succèdent sur le sujet des chars de combat ces dernières semaines, l’article publié aujourd’hui par le site spécialisé esut.de, pourrait faire l’effet d’une bombe, et ce, à plusieurs niveaux.

Selon l’article de ce site réputé sérieux, les 18 chars de combat dont l’acquisition a été annoncée par la Bundeswehr il y a quelques jours, ne seraient pas dans la version A7V comme initialement avancé, mais dans une nouvelle version désignée A8, qui serait basée sur la version Leopard 2A7HU acquise par la Hongrie en 2020.

Surtout, le site précise que Krauss-Maffei Wegmann serait également engagé dans le développement de nouvelles versions de son char, le A8 ne représentant qu’une étape à court terme dans ce processus.

Le Leopard 2A8 représente la première évolution majeure du joyau de KMW depuis près de 15 ans, lorsque la version A7 fut dévoilée, et notamment de la première fois depuis la fin des livraisons de Leopard 2 allemand en 1992, que la Bundeswehr recevra des chars neufs.

Le blindé reprend de nombreuses caractéristiques du A7HU, spécifiquement en matière de blindage et de motorisation, et intègre, lui aussi nativement, le système de protection actif EuroTrophy, développé et vendu par une coentreprise rassemblant l’Israélien Rafael, concepteur du Trophy, l’américain General Dynamics Land System ainsi que l’allemand KMW, selon un modèle qui rappelle celui qui donna naissance à la société Eurospike. La tourelle est également protégée contre les armes à sous-munitions, comme c’est le cas du Puma ou du Pzh2000.

Une commande de 18 Leopard 2A8 pour la Bundeswehr
Le Leopard 2A8 intégrera nativement le système de protection actif Eurotrophy, comme montré ici sur un Leopard 2A7

L’optronique et la vétronique du nouveau char a aussi été sensiblement modernisée, par exemple, la fusion des canaux vidéos et infrarouges disponibles pour l’ensemble de l’équipage, permettant de lui offrir une bien meilleure perception de l’environnement dans lequel il évolue.

En outre, une unité auxiliaire d’une puissance de 20 kWh aurait été installée, permettant à l’ensemble des systèmes du blindé de fonctionner, même moteur coupé. En revanche, l’armement du char n’a semble-t-il pas évolué dans cette version, le canon principal demeurant le 120 mm/L55A1 de Rheinmetall, alors qu’aucun système de largage de drones, munitions rôdeuses ou missiles anti-char ou anti-aérien n’a été installé.

Plus surprenant, aucune tourelle autonome de petit calibre n’a été montée sur le char, pour en assurer la protection rapprochée, notamment contre les munitions rôdeuses, mais également pour engager l’infanterie, comme c’est le cas de l’EMBT. Mais il est probable que ces capacités arriveront plus tard. En effet, selon esut.de, le Leopard 2A8 ne serait qu’un marchepied dans le développement du Leopard 2AX, qui devrait être disponible d’ici à deux ou trois ans…

Si le Leopard 2A8 ne représente pas, à proprement parler, une révolution capacitaire pour la Bundeswehr, l’information selon laquelle KMW développerait une évolution critique de son char dans les quelques années à venir, donne une toute nouvelle perspective aux informations qui ont filtré ces derniers jours, quant à l’évolution des positions de l’industrie allemande, mais aussi de la Bundeswehr, dans le cadre du programme franco-allemand MGCS.

En effet, de toute évidence, le partenaire de Nexter dans le cadre de la coentreprise KNDS, Krauss-Maffei Wegmann, entend bel et bien s’engager sur le marché des chars de génération intermédiaire, dans lequel évoluent déjà le K2 Black Panther sud-coréen, le KF51 Panther de Rheinmetall et le T-90M russe, alors qu’américains et chinois semblent également s’y intéresser.

L’arrivée du constructeur du Leopard 2 sur ce marché lui confère une existence bien plus significative qu’elle ne l’était jusqu’à présent, susceptible de profondément influencer la perception et donc la réponse des forces armées mondiales à son encontre.

La position du KF51 Panther de Rheinmetall se trouve largement détériorée sur le marché des chars de génération intermédiaire par l’annonce de l’acquisition de Leopard 2A8 par la Bundeswehr.

Ainsi, la présentation du Leopard 2A8, et l’annonce du développement d’une évolution encore plus importante dans les 2 ou 3 années à venir, va sans le moindre doute amener de nombreux pays à réviser leur propre planification en matière de modernisation de leur flotte de chars, avec un gap technologique et capacitaire promis bien plus notable qu’il ne l’était aujourd’hui avec le Leopard 2A7.

Et l’arrivée de ce nouveau char, à mi-chemin entre le Leopard 2A7 et l’hypothétique MGCS, va très probablement bouleverser la nature même du marché de chars adressable par les industriels européens pour les 30 à 40 prochaines années.

De fait, ces annonces imposent désormais de manière incontestable le report de 10 ans du MGCS, voire plus, le marché export indispensable pour son développement étant destiné lui aussi à glisser d’au moins autant, si pas davantage, avec les conséquences que nous avons déjà évoquées à plusieurs reprises sur les armées françaises et l’industrie de défense nationale.

D’un point de vue objectif, l’annonce de KMW est raisonnable, puisqu’elle répond à un besoin évident tant pour la Bundeswehr que pour le marché export, et qu’elle permet à l’industriel de considérablement réduire les opportunités de Rheinmetall et de Hanwha Defense pour s’emparer de ce marché émergent.

Pour autant, les conséquences qu’elle engendre sur MGCS, sont très importantes pour la France, et nécessiteront une réponse rapide dans les années à venir pour assurer l’intérim des Leclerc et préserver le savoir-faire et les compétences de la BITD.

Or, rien n’indique, dans le projet de Loi de Programmation Militaire présenté il y a quelques jours, que ce sujet ait été traité, ni de manière directe, ni sous la forme d’option. Paradoxalement, si les autorités françaises pouvaient feindre la surprise au sujet de l’arrivée du K2 sud-coréen en Europe, ou au sujet de la présentation du KF51 de Rheinmetall lors du salon Eurosatory, il est impossible que le développement du Leopard 2A8 et du futur Leopard 2AX lui ait échappé, puisque Nexter et KMW appartiennent au même groupe.

Le MGCS ne verra probablement pas le jour avant 2045, dans le meilleur des cas.

Le report du programme MGCS de 10 ou 15 ans représenterait fondamentalement les mêmes opportunités pour Nexter que pour KMW, de sorte à développer et produire un char de génération intermédiaire tant pour renforcer et moderniser le corps blindé de l’Armée de terre, que pour se positionner sur le marché export.

Mieux, avec la tourelle EMBT, Nexter disposerait d’une certaine avance capacitaire dans ce domaine, d’autant que fondamentalement, le Leclerc appartient déjà à la même 3ᵉ génération que le K2 ou le Leopard 2A8, par exemple. D’autres hypothèses peuvent être envisagées, certaines déjà abordées ici, d’autres qui le seront bientôt.

En revanche, la politique de l’autruche, que tout indique qu’elle a été privilégiée par l’exécutif à ce sujet dans le cadre de la préparation de la future LPM, n’apportera strictement aucun bénéfice, bien au contraire, et pourrait même lourdement compromettre les chances de voir, un jour, le programme MGCS aller à son terme.

Les Etats-Unis font le forcing pour « sortir » le Gripen suédois de la compétition aux Philippines.

La Suède va-t-elle expérimenter la même déception que fut celle de la France lorsque les autorités suisses se tournèrent vers le F-35A au détriment du Rafale, alors que toutes les informations donnaient l’avion français vainqueur de la compétition ? C’est probable. En effet, jusqu’il y a peu, le chasseur mono-réacteur Saab Gripen JAS-39 était donné comme le futur vainqueur face au F-16V Block 70/72 de l’américain Lockheed-Martin, pour la modernisation de la flotte de chasse philippines, ou plutôt sa reconstruction après que les F-5 Tiger philippins aient été retirés du service en 2004 sans être remplacés, en dehors des 12 avions d’entrainement et d’attaque sud-coréens FA-50 acquis en 2012. Mais suite à la visite conjointe du Secrétaire d’Etat Antony Blinken et du secrétaire à la Défense Lloyd Austin à Manille pour remontrer leurs homologues philippins, le secrétaire aux affaires étrangères Manalo et le Secrétaire à la Defense nationale Galvez, les choses ont, de toute évidence, considérablement évolué, en faveur de l’industrie US.

Les deux piliers de la politique extérieures de l’Administration Biden, sont en effet arrivés à Manille avec une offre très attractive pour reconstruire les forces armées philippines, lourdement éprouvées ces dernières années, et garantir la sécurité du pays alors que les tensions se multiplient sur ce théâtre. Le plan proposé par les officiels américains contient en effet le déploiement de forces américaines sur l’archipel, ainsi que d’équipements avancés comme des radars, des drones et des systèmes de défense anti-aérienne. En outre, il prévoit des aides substantielles pour moderniser les armées philippines, notamment une enveloppe de 100 m$ pour l’acquisition d’hélicoptères de manoeuvre moyens. Au total, ce seront jusqu’à 4 sites qui seront employés par les forces américaines sur l’archipel, de sorte à dissuader la Chine de toute manoeuvre hostile, tout en assurant Manille du plein soutien des Etats-Unis dans les disputes territoriales du pays avec Pékin au sujet des revendications chinoises en Mer de Chine du Sud.

Les forces aériennes philippines mettent en oeuvre 12 avions d’entrainement et d’attaque FA-50 Golden Eagle sud-coréens comme seule flotte d’aviation de chasse à ce jour

Mais dans la liste des programmes conjoints illustrant la nouvelle coopération entre Washington et Manille, figure également l’acquisition de nouveaux avions de combat, de sorte à doter à nouveau les forces aériennes philippines d’une capacité de chasse. Ce programme sera traité, selon Washington, dans les semaines à venir au travers du Foreign Military Sales, de sorte que les négociations semblent, en effet, bien avancées sur ce sujet. Bien évidemment, un tel basculement serait un coup très dur pour Saab, pour qui la compétition philippines représentait une des dernières chances pour tenter de placer son Gripen, alors que plusieurs utilisateurs de la première génération du chasseur, comme la République Tchèque et la Thaïlande, ont annoncé vouloir se tourner vers le F-35, et que l’appareil a connu plusieurs revers en Europe ces dernières années face au F-16V et au Rafale.

La méthode employée ici par les Etats-Unis, n’est pas sans rappeler celle mise en oeuvre à plusieurs reprises en Europe, pour tenter de faire dérailler des contrats au profit d’acteurs européens, dans le domaine de la défense. Certes, l’approche agressive peut se justifier par la compétition entre états et grandes entreprises. Toutefois, plusieurs travaux de chercheurs, y compris outre Atlantique, ont montré ces dernières années que cette stratégie hégémonique s’avère, au final, contre productive pour la sécurité des Etats-unis, car elle oblige les armées américaines à multiplier les déploiements et les dispersions de forces, sans jamais atteindre des capacités de forces suffisamment significatives pour jouer en rôle opérationnel, tout en érodant les capacités militaires américaines et en entrainant des surcouts considérables, alors que les pays ainsi aidés tendent à « baisser leur garde », se sachant protéger par les Etats-Unis. Pour plus d’informations sur ce sujet, il suffit de regarder la situation allemande.

La préservation du savoir-faire de Saab en matière d’avions de combat représente un enjeu critique pour l’Europe

Reste que si l’échec du JAS-39 Gripen venait se confirmer aux Philippines, il est probable que cela viendrait, en l’absence de réelles nouvelles opportunités exports en dehors du Brésil, menacer l’industrie suédoise aéronautique, et plus particulièrement la capacité du pays à produire des avions de combat. Alors que la plupart des grands pays produisent des efforts considérables pour être en mesure d’acquérir les compétences nécessaires afin de concevoir et construire un avion de combat, l’un des plus expérimentés des constructeurs européens, serait alors menacé. Dans ce contexte, il pourrait être plus que pertinent, pour la France, de se rapprocher de Stockholm dans ce domaine, que ce soit dans le cadre du programme SCAF ou hors de celui-ci, de sorte à developper conjointement, peut-être avec d’autres acteurs européens disposant eux-aussi d’une industrie aéronautique comme la Grèce, la République Tchèque, le Portugal ou encore la Belgique, un appareil complémentaire au SCAF/Tempest, tant pour enrichir l’offre commerciale européenne que pour donner des alternatives au F-35 et aux SCAF/Tempest aux forces aériennes européennes au delà de 2040. Cela permettrait notamment à la France de créer une réelle dynamique dans ce domaine, plutôt que de soutenir en boucle l’intérêt de l’autonomie stratégique européenne, sans vraiment montrer de signes tangibles en faveur de ce principe.

La Roumanie pourrait commander des sous-marins Scorpène de Naval Group dès cette année

A l’instar de nombreux pays européens, la Roumanie a considérablement réduit son effort de défense à partir des années 2000, alors que le pays a rejoint l’OTAN en 2004 et l’Union Européenne en 2007. En effet, celui est passé de 2,5% du PIB en 2000 à 1,2% du PIB en 2012. Pour autant, du fait d’une économie très dynamique avec un PIB multiplié par 7 entre 2000 et 2020, les dépenses de défenses, elles, ont connu une hausse croissante, passant de 1 Md$ en 2000 à 2,4 Md$ en 2012. Et comme une majorité de pays d’Europe de l’Est, Bucarest a entrepris, à partir de 2014 et l’intervention russe en Ukraine, de reconstituer ses forces militaires. Ainsi, aujourd’hui, les armées roumaines disposent d’un budget annuel de plus de 6 Md$ représentant 2% du PIB. En outre, le gouvernement roumain s’est engagé à amener l’effort de défense à 2,5% du PIB, alors même que la croissance économique du pays dépasse les 7%. De fait, d’ici 2025, le budget de la défense roumain dépassera les 10 Md$, 10 fois supérieur à ce qu’il était en 2000.

Cette afflux de moyens permet aux états-majors d’entreprendre de vastes programmes de modernisation des forces, notamment pour effectuer la transition des équipements datant de l’époque soviétique, vers des équipements standards de l’OTAN. C’est ainsi que ces derniers mois, Bucarest a négocié l’acquisition d’une quarantaine de F-16 d’occasion venus de Norvège, ainsi que de 54 chars lourds M1A1 Abrams qui seront prélevés sur le parc de la Garde nationale US. Le pays avait déjà annoncé l’acquisition en 2020, de systèmes HIMARS et 7 batteries Patriot PAC-3. En début de semaine, le ministère de la défense roumain a par ailleurs confirmé être engagé dans l’acquisition de F-35A Lighting 2, sans toutefois en préciser le nombre ni le calendrier. Le pays partage en effet presque 650 km de frontières avec l’Ukraine en conflit avec la Russie, et autant avec la Moldavie, également menacée par Moscou.

En 2019, Bucarest annonçait la victoire de Naval Group et de sa Gowind 2500 dans une compétition visant à moderniser la flotte de surface roumaine

Dans le domaine naval, Bucarest avait attribué, en juillet 2019, la construction de 4 corvettes Gowind 2500 et la modernisation des frégates Type 22 acquises d’occasion auprès de la Royal Navy, a une co-entreprise formée par le français Naval Group et le chantier naval local Santierul Naval Constanta (SNC) . Depuis, le programme est à l’arrêt du fait de nombreuses procédures de contestation entreprises par le néerlandais Damen et l’italien Fincantieri, venant menacer la modernisation de la flotte roumaine pourtant cruciale pour le contrôle de la Mer Noire par l’OTAN. Au delà de ce programme, Naval Group pourrait bien, à relativement court terme, participer à un autre programme majeur roumain. En effet, le ministère de la défense vient d’entamer, dans le cadre de l’exécution du budget défense 2023, la demande d’autorisation parlementaire pour entamer la construction de « sous-marins diesel » modernes, ainsi que de navires de guerre des mines.

Légalement, le ministère de la défense roumain se doit, en effet, d’obtenir l’aval du parlement pour tout engagement de crédits dépassant les 100 m$. Dans le même temps, de nombreuses rumeurs et informations ont filtré depuis plusieurs mois au sujet de négociations avancées entre la France, Naval Group et la Roumaine, au sujet de l’acquisition de 2 ou 3 sous-marins conventionnels de type Scorpène. La demande d’engagement de crédits entamée par Angel Tîlvăr, le ministre de la défense, auprès du parlement, laisse donc supposer que le contrat entre la France et la Roumanie est proche non seulement de sa signature, mais également de l’entame de son exécution, les crédits étant requis sur l’année fiscale 2023. La Roumanie deviendrait alors le 5ème opérateur du Scorpène de Naval Group après le Chili, la Malaise, l’Inde et le Brésil, en faisant le plus important succès à l’export de l’histoire des sous-marins français, dépassant les 4 clients exports de la classe Daphné des années 60.

La Marine Russe emploie 6 sous-marins 636.3 Improved Kilo en Mer Noire.

Au delà des aspects commerciaux et industriels, l’arrivée de 2 ou 3 Scorpene en Mer Noire, qui plus est épaulés potentiellement par 4 corvettes Gowind 2500, va considérablement faire évoluer le rapport de force dans cette mer fermée aujourd’hui aux mains des Russes et des Turcs. Très évolués, les Scorpène français feront en effet au moins jeu égal avec les 6 nouveaux Type 214 de la classe Reis en construction dans les chantiers navals turques, mais qui devront se répartir entre la Mer Egée, la Méditerranée orientale et la Mer Noire, et surclasseront sans le moindre doute les 6 sous-marins pr 636.3 Improved Kilo de la flotte russe. De fait, ces navires entraveront considérablement la liberté de manoeuvre de Moscou sur cette mer, en particulier pour potentiellement y déployer des bâtiments de surface ou sous-marins susceptibles de mettre en oeuvre des missiles de croisière à longue portée Kalibr. Il ne reste désormais plus qu’à se montrer patient, et d’espérer qu’aucune mauvaise surprise ne vienne s’immiscer dans ce dossier.

Le nouveau char du programme franco-allemand MGCS ne peut plus être livré en 2035, selon un rapport de la Bundeswehr

Parfois, la providence fait bien les choses. C’est en substance ce que doivent penser les industriels allemands impliqués aujourd’hui dans la production de chars de combat, alors que selon un rapport de la Bundeswehr, l’objectif initialement visé pour une première livraison du nouveau char de combat issu du programme franco-allemand MGCS, n’est désormais plus atteignable. En effet, si l’intervention des ministres français et allemand de la défense permit de lever, en fin d’année dernière, les blocages industriels autour du programme d’avion de combat SCAF, les mêmes problèmes subsistent autour du partage industriel et technologique au sein du programme MGCS, exacerbés depuis l’arrivée en son sein de Rheinmetall. Le fait est, aujourd’hui, 4 des piliers majeurs du programme, dont celui concernant l’armement principal du blindé ainsi que la technologie de blindage employée, font l’objet d’une dispute de territoire entre le français Nexter et l’Allemand Rheinmetall, sans que les arbitrages n’aient été menés à ce jour. Selon le rapport de la Bundeswehr, cette situation interdit désormais de respecter l’objectif d’une livraison en 2035, sans pour autant préciser à quelle date celui-ci pourra effectivement commencer à être livré.

Il serait bien hasardeux aujourd’hui, il est vrai, d’annoncer une date, tant les inconnues restent importantes. Pour le français Nexter, il n’est pas question, en effet, de voir ses attributions technologiques initiales revues à la baisse du fait de l’arrivée, en 2019, d’un second industriel allemand au programme. A ce titre, celui-ci doit toujours respecter, selon les bases de l’accord lui ayant donné naissance, une stricte parité entre les industries françaises et allemandes, les deux pays contribuant à part égale à son financement. Coté allemand, en revanche, la perspective est différente, ce d’autant que les industriels nationaux n’ont pas obtenus gains de cause au sujet du premier pilier du programme SCAF, qui demeure piloté par le français Dassault Aviation. En outre, de ce point de vue, le principe de « best athlète » mis en avant par Paris au sujet du SCAF, devrait s’appliquer également au MGCS, domaine dans lequel Rheinmetall et KMW estiment avoir une expérience bien supérieure à Nexter du fait du parc Leopard 2 installé, et des récents succès commerciaux dans ce domaine.

Les industriels allemands semblent convaincus que le leopard 2 a encore un marché adressable immédiat significatif avec la reprise de la demande internationale liée aux tensions internationales. Les récents succès du char tendent à leur donner raison.

Fondamentalement, les deux points de vue peuvent se justifier, selon que l’on ait un biais français ou allemand, ce qui explique d’ailleurs le gel du programme aujourd’hui, chacun étant persuadé d’être dans son bon droit. Pour les industriels allemands, le programme SCAF, et surtout son avion de combat NGF, étant à forte connotation perçue française, il est logique que le MGCS sont un programme ayant une image perçue allemande, ce d’autant que l’industrie outre-Rhin dispose d’une excellente image internationale et de parts de marché à l’export très supérieures à celle de Nexter. De fait, en présentant le MGCS comme le successeur du Leopard 2, les industriels allemands estiment qu’il bénéficiera d’un transfert d’image très efficace pour s’imposer lors des compétitions. La France, de son coté, explique qu’elle a déjà fait de nombreuses concessions dans ce programme pour « faire de la place » à Rheinmetall, et que le partage industriel autour du SCAF est beaucoup plus équilibré que présenté par l’industrie germanique. En conséquence, l’impasse était inévitable à ce stade. Mais une question demeure : cette impasse est-elle manipulée par l’industrie allemande elle-même, qui a déjà appelé à reporter de 10 ans le programme, ou est-elle réellement fortuite ?

En effet, selon Armin Papperger, CEO de Rheinmetall, il serait désormais illusoire de viser l’échéance de 2035 pour MGCS, 2040 étant, selon lui, une date bien plus raisonnable et réaliste. Mais il convient de rappeler qu’il y a seulement une semaine, la CEO de RENK Suzanne Weigand, qui produit les transmissions des Leopard 2, Leclerc, Panther et K2 de première génération, et qui doit concevoir et produire la transmission du MGCS, estimait publiquement dans une interview donnée au site WirtshaftsWoche, qu’il était aujourd’hui nécessaire de decaller le calendrier du programme franco-allemand de sorte à ne pas chevaucher la reprise des exportations de Leopard 2. Cet argument est par ailleurs repris par Armin Papperger, qui estime pour sa part que son KF51 Panther n’est nullement un concurrent du MGCS, car s’agissant d’un char immédiatement disponible, et non dans 20 ans.

Le décalage du programme MGCS, qu’il soit négocié ou imposé, ferait certainement les affaires de Rheinmetall pour placer son KF51 Panther

Pour autant, un glissement du calendrier du programme poserait d’importants problèmes aux armées françaises, alors que la nouvelle LPM prévoit une modernisation partielle des Leclerc actuellement en service, avec objectif de les remplacer, et probablement d’en étendre le parc, à partir de 2035. En outre, comme nous l’avions abordé, le plan de charge de l’industrie de défense terrestre française, est conçu précisément sur ce calendrier et cette échéance de 2035, alors que la production des MGCS dans le cadre du programme Titan doit prendre le relais au début de la prochaine décennie de la production des blindés médians du programme SCORPION. De fait, il est largement prévisible que pour Paris, l’Armée de Terre et la BITD terre française, les arguments avancés par leurs homologues outre-Rhin pour décaler de 10 ans le programme MGCS, auront beaucoup de mal à passer, ce d’autant que contrairement à l’Allemagne, la France n’a pas la possibilité, aujourd’hui, de profiter de la reprise de la demande en matière de chars de combat.

Dans ce contexte, les difficultés rencontrées dans le partage de charge du programme MGCS, font donc largement l’affaire des allemands, même si cela se fait au détriment des français. Ainsi, Rheinmetall n’a, pour le moment, strictement aucun intérêt à trouver un terrain d’entente avec Nexter au sujet des piliers bloquants, étant simultanément engagé dans la production des nouveaux Leopard 2A7 qui s’imposent sur le marché international, et proposant dans le même temps une alternative à ce char avec le Panther, qui n’attend plus qu’une première commande pour en entamer la production. Par ailleurs, plus le programme MGCS sera reporté, plus les nations ayant déjà signifié leur intérêt pour ce modèle, comme la Suède, l’Italie ou les Pays-bas, pourraient montrer de l’intérêt pour le Panther en solution intérimaire. Quant aux autres industriels, comme RENK, MTU et même KMW, il y a fort à parier qu’ils partagent la position exprimée par Suzanne Weigand la semaine dernière, estimant que la reprise de la demande dans le domaine des chars de combat, viendra se substituer au marché adressable du MGCS si ce dernier venait à être produit avant 2045. Là encore, étant impliqués dans la production de Leopard 2A7, ces industriels ont intérêt à attendre.

Les 200 Leclerc MLU partiellement modernisés de l’Armée de terre ne pourront pas tenir la ligne efficacement au delà de 2035

Le fait est, pour la BITD allemande, mais également pour la Bundeswehr qui a la possibilité d’acquérir de nouveaux Leopard 2A7 sans venir déstabiliser son parc de chars lourds, jouer le blocage administratif et commercial représente une alternative pertinente, car elle évite une confrontation directe avec la France au risque de menacer le programme lui-même. On peut donc ce demander si cette situation gelée ne résulte pas d’une stratégie coordonnée, et non d’une simple opposition d’ambitions, de sorte à amener Paris à adoucir ses exigences tout en faisant glisser le calendrier du programme conformément aux attentes industrielles. Coté français, en revanche, les alternatives sont bien peu nombreuses, d’autant qu’une sortie du programme MGCS pourrait directement menacer le programme SCAF, et obliger la France à des investissements très importants difficilement compensables par le marché adressable par Nexter dans ce domaine, surtout si ce dernier a déjà été en parti phagocyté par les exportations à court terme de Leopard 2, Panther et Black Panther. Des solutions peuvent être envisagées, comme nous l’avions déjà abordé, mais à ce jour, la programmation militaire planifiée n’offre pas la souplesse nécessaire pour les mettre en oeuvre efficacement.

Le Japon investit 3 Md$ pour se doter dès 2026 de missiles balistiques hypersoniques à longue portée

Après avoir traversé relativement calmement la seconde moitié du XXème siècle et le début du XXème siècle, sous l’action conjuguée de la protection américaine et d’un théâtre de moindre intensité dans la compétition que se sont livrés les Etats-Unis et l’Union soviétique après la seconde guerre mondiale, le Japon est aujourd’hui au centre du théâtre potentiellement le plus explosif de la planète, sous la menace simultanée d’un affrontement sino-américain autour de Taïwan, et d’un conflit entre les deux Corées. En effet, le pays est désormais à portée tant des missiles chinois distant d’à peine plus de 3000 km, et des nouvelles capacités balistiques nord-coréennes, les deux pays étant distants de seulement 1000 km. En outre, le Japon est un pays particulièrement vulnérable à des frappes stratégiques, même conventionnelles, avec seulement 29% de sa superficie potentiellement utile (pouvant accueillir des populations), et des zones à très forte densité de population, comme Tokyo qui atteint 6000 habitants au km2.

Sachant que le Japon ne peut se doter d’armes de destruction massive du fait de sa constitution, la constitution d’une capacité de dissuasion conventionnelle s’avère désormais indispensable face à de telles menaces, d’autant que le pays pourrait être ciblé « malgré lui » par des mesures de rétorsion chinoises ou nord-coréennes du fait de la présence importante de forces américaines sur son sol. C’est dans ce contexte que les autorités nippones ont produits, ces dernières années, d’importants efforts pour se doter de capacités de riposte à longue portée avec l’acquisition récente de 400 missile de croisière Tomahawk destinés à armer les destroyers Aegis des forces navales d’autodéfense nippones. Pour autant, cette annonce ne constitue qu’une première étape dans le durcissement des capacités dissuasives japonaises. En effet, Tokyo a annoncé, hier, la signature d’un contrat de 380 Md de yen, soit 3 Md$, avec la société Mitsubishi Heavy Industries, afin de developper et de produire en série dès 2026 un nouveau missile balistique hypersonique à longue portée, ainsi que la modernisation du missile anti-navire Type 12.

Entré en service en 2012, le missile anti-navire Type 12 arme les batteries côtières des forces d’autodéfense nippones

Ainsi, le missile Type 12, qui arme aujourd’hui les batteries côtières nippones, verra sa portée passer de 200 km à 1000 km dans sa version modernisée, et selon certaines sources, jusqu’à 1500 km dans sa version aéroportée. En effet, là ou le Type 12 présent n’équipe que les batteries côtières des forces d’autodéfense, son évolution pourra armer également les navires, les aéronefs et les sous-marins au travers d’une version à changement de milieux. Pour répondre à ces enjeux, le missiles sera allongé, doté d’un nouveau moteur, d’un nouvel autodirecteur, d’une structure furtive et d’une liaison de données permettant de recalibrer dynamique la navigation et l’attribution de cibles. Le programme recevra, selon Janes, 33,8 des 150 Md de yens prévus pour l’année fiscale 2023, et doit être pleinement opérationnel d’ici 2028.

Dans le même temps, Mitsubishi développera un nouveau missile balistique coiffé d’un planeur hypersonique, ou HVGP (Hyper Velocity Guide Projectile). Si le programme recevra 50 Md de Yen, soit 375 m$, sur l’année fiscale 2023 pour la recherche et le développement de capacités industrielles initiales, très peu d’informations ont filtré autour de ce programme. Il est probable que ce missile aura pour fonction de rivaliser avec le missile DF17 chinois ou les récentes démonstrations nord-coréennes dans ce domaine, ce qui suppose une portée d’au moins 3500 km pour atteindre le continent chinois. On ignore cependant si la fonction première de ce missile sera bien la frappe de riposte vers la terre, comme c’est le cas du DF-17 ou du Kinzhal, ou s’il s’agit d’un missile a visée anti-navire, comme le 3M22 Tzirkon russe. Toutefois, le choix d’un HVGP tend à privilégier la première thèse, les missiles anti-navires hypersoniques ayant, jusqu’à présent, fait le choix du missile de croisière propulsé par Scramjet plutôt que du planeur hypersonique.

L’évolution du missile anti-navire Type 12 pourra armer les destroyers Aegis nippons ainsi que ses aéronefs et ses sous-marins

Ce programme s’inscrit dans un vaste effort inédit de la part de Tokyo, tant pour renforcer le caractère dissuasif de ses forces d’autodéfense en les dotant progressivement d’un budget de 100 Md$, à 2% du PIB du pays contre 52Md$ et à peine plus de 1% d’effort de défense aujourd’hui, qu’en renforçant considérablement l’industrie de défense du pays. C’est ainsi que, ces derniers mois, les autorités japonaises ont annoncé l’arrivée du pays au sein du programme Tempest de chasseur de 6ème génération britannique également soutenu par l’Italie et qui vise, pour Tokyo, a produire le futur remplaçant du chasseur F-2 à partir de 2035. Dans le même temps, les industries nippones ont été mises à contribution dans de nombreux domaines, comme le développement d’armes à énergie dirigée ou d’un rail gun, mais également, en coopération avec les Etats-Unis, pour developper un système d’interception capable de contrer les armes hypersoniques. Une chose est certaine, dans les années à venir, et sauf bouleversement majeur exceptionnel, le Japon sera incontestablement le pays pacifiste le mieux armé et défendu de la planète.

Le Brésil négocierait l’acquisition de 40 Saab JAS-39 Gripen E/F supplémentaires

Avec seulement 42 chasseurs supersoniques F-5EM en service, épaulés par 80 avions d’attaque et anti-insurrectionnels AMX et EMB-314, le Brésil est l’un des pays ayant la force aérienne combattante la plus faible eu égard à sa puissance économique. En 2014, Brasilia commanda 32 chasseurs monomoteurs JAS-39 Gripen E ainsi que 8 Gripen F biplaces pour la transformation opérationnelle pour 5,5 Md$, afin de remplacer les Tiger acquis en 1974, avec un important accord technologique permettant l’assemblage local d’au moins 15 appareils. Toutefois, les modifications réclamées par Brasilia firent rapidement croitre la note de 1 Md$, alors que dans le même temps, Stockholm s’engageait sur un package de compensations industrielles et économiques de 9 Md$. Le premier Gripen fut livré aux forces aériennes brésiliennes en 2019, et l’ensemble des appareils doit être produit d’ici 2027.

Toutefois, cette commande a toujours représenté, dans l’esprit des forces aériennes brésiliennes, un premier lot d’appareils, alors qu’elles estimaient déjà en 2015 avoir un besoin s’élevant à 108 avions de combat pour couvrir l’ensemble du territoire. C’est dans ce contexte que, selon l’agence Reuters, Brasilia et Stockholm auraient entamé de nouvelles négociations en vue de commander 40 nouveaux chasseurs Gripen E/F, de sorte à armer une seconde base aérienne, avec une objectif de livraison avant 2040. Il est vrai qu’avec 8,5 millions de km2, le Brésil se doit de disposer d’une force aérienne à minima répartie sur plusieurs bases aériennes, ne serait-ce que pour assurer les missions de police du ciel au dessus de son territoire. Pour autant, cette indiscrétion intervient alors que plusieurs forces aériennes d’Amérique du Sud ont entrepris des négociations ou des consultations en vue de moderniser voire d’étendre leurs propres forces aériennes, et dans un contexte international de plus en plus tendu.

La flotte de chasse brésilienne repose aujourd’hui sur une quarantaine de F-5 certes modernisés mais datant des années 70

Fondamentalement, le Brésil n’a aucun adversaire déclaré à ce jour, en grande partie du fait de sa politique internationale particulièrement inclusive, y compris avec des pays en marge sur la scène internationale comme l’Iran, la Corée du Nord ou le Venezuela. En outre, le pays a de bonnes relations avec tous ses voisins, et n’a aucune dispute territoriale passée ou présente. Pour autant, Brasilia a entreprit ces dernières années un important effort en vue de moderniser et d’étendre ses forces armées, avec l’acquisition de 4 sous-marins Scorpene et le développement d’un sous-marin nucléaire d’attaque de facture nationale avec le soutien du français Naval Group, de 4 frégates de la classe Tamandaré développées avec l’allemand TKMS, ou encore l’acquisition de 98 chars légers italiens Centauro II ou de plus de 2600 véhicules blindés Guarani. En outre, il fournit d’importants efforts pour se doter de capacités avancées, comme dans le domaine du spatial avec la commande prévue de plusieurs satellites de communication, de reconnaissance ou d’observation, dans la supériorité aérienne avec la commande de 22 avions polyvalent (transport/ravitailleurs) KC-390 et 2 A330 MRTT, ainsi que de 5 Awacs Embraer R-99 et de 6 avions SIGINT, ou encore l’ambition affichée de se doter, d’ici 2040, d’un porte-avions et d’une classe de destroyers anti-aériens.

Le fait est, si le Brésil ne consacre que 1,2 % de son PIB a ses forces armées, celles-ci disposent toutefois de 20 Md$ chaque année et de plus de 300.000 hommes, en grande partie composés de conscrits, pour assurer la sécurité de la nation. Toutefois, le pays a un poids de plus en plus important sur la scène internationale, notamment du fait de sa croissance économique de l’ordre de 5% pas an, et d’un PIB ayant il y a peu dépassé celui de la Russie. En outre, s’il demeure désigné comme un allié des Etats-Unis, ayant été nommé « Allié majeur non Membre (de l’OTAN) » en 2019 par Donald Trump qui entretenait alors d’excellents rapports avec le président nationaliste Bolsonaro, le retour au pouvoir du président Lula au 1er janvier 2023, tend à détériorer les relations entre les deux pays, comme on peut le constater au sujet de la position brésilienne au sujet de l’Ukraine et de la Russie ces derniers mois. Dans ce contexte, il est probable que les forces armées brésiliennes, et notamment les capacités de projection de puissance, seront renforcées dans les années à venir, même si le nouveau gouvernement du pays est largement moins porté sur le sujet que ne l’était le précédant. Il s’agit pour Brasilia davantage de « tenir son rang » sur la scène internationale, que d’anticiper une quelconque menace sur le continent sud-américain.

La Marine brésilienne a entrepris la construction de 4 sous-marins de type Scorpène ainsi que la conception du premier sous-marin nucléaire d’attaque sud-américain

Reste qu’une nouvelle commande de Gripen brésiliens donnerait incontestablement une bouffée d’oxygène à son constructeur Saab, qui a aligné, les dernières années, les déconvenues commerciales face à la concurrence du F-35A et du F-16V américains ainsi que du Rafale français. Même les clients historiques du constructeur suédois, comme la Finlande et l’Autriche, anciens opérateurs du Draken, et la République Tchèque, la Slovaquie et la Thaïlande, qui opèrent aujourd’hui des Gripen A/B, s’en détournent au profit d’appareils américains. De fait, alors que Saab fondait de grands espoirs au sujet de son nouveau Gripen E/F, un appareil entièrement nouveau disposant de performances et de capacités largement étendues face au modèle initial, les seuls clients du chasseur à ce jour sont les forces aériennes suédoises et le Brésil, alors que le chasseur suédois semble bien placé pour s’imposer aux Philippines. Dans ce contexte, les quelques succès à l’exports à venir, comme une nouvelle commande brésilienne, peuvent conditionner lourdement la conception à venir d’un futur avion de combat en Suède, et donc la préservation d’un savoir stratégique en Europe.

Le F-35 américain plus souple d’utilisation qu’anticipé selon l’US Air Force

En mai 2022, pour répondre à l’offensive russe contre l’Ukraine, les Etats-Unis ont sensiblement renforcé le dispositif défensif de ses forces déployées en Europe. Parmi ces déploiements, la 388ème escadre de chasse fut déployé initialement en Allemagne, avant d’être réparti au besoin dans les pays alliés, notamment pour surveiller les évolutions de la défense anti-aérienne russe déployée à Kaliningrad, le long des côtes de la Mer Baltique et des frontières baltes, ainsi qu’en Biélorussie. Pour cela, l’escadre américaine s’appuya sur les performances du chasseur, le F-35A de Lockheed-Martin du 34ème escadron de chasse. Mais au delà des capacités de l’appareil par ailleurs largement anticipées, pour détecter et classifier les systèmes de détection anti-aériens de l’adversaire, celui-ci a démontré une capacité qui a surpris jusqu’à l’US Air Force, en l’occurence une souplesse d’emploi opérationnelle inattendue.

En effet, parmi les faiblesses identifiées de l’avion de Lockheed-Martin, au delà de son cout de possession élevé et de performances aéronautiques inférieures à celles des autres chasseurs de sa classe, la plus mise en avant, notamment dans la presse française, était sa maintenance à la fois très lourde et complexe, nécessitant des infrastructures importantes et un grand nombre de personnels pour simplement permettre à l’appareil de prendre l’air. En outre, le système de maintenance prédictive et de gestion des flux logistiques du F-35, désigné ALIS pour Autonomous Logistics Information System, se montrait bien peu performant durant les premières années de mise en service. Enfin, l’appareil nécessitait alors un lien numérique avec ce système pour pouvoir être configuré et mis en oeuvre. Bref, si le F-35A répondait bien aux contraintes des conflits de basse ou moyenne intensité, pour lesquels les bases aériennes sont peu exposées et permettent donc le déploiement d’infrastructures et d’équipes de maintenance très importantes, ces contraintes s’avèreraient un handicap sévère en cas de conflit de haute intensité.

La lourdeur de la maintenance du F-35A était un sujet d’inquiétude de l’US Air Force, notamment dans l’hypothèse d’un conflit de haute intensité.

Pour autant, l’US Air Force ainsi que l’industrie aéronautique US, ne sont pas restés les bras croisés ces dernières années face à ce constat. En effet, d’importants efforts ont été déployés pour corriger ces problèmes, alors que les menaces, et notamment l’hypothèse de nouveaux conflits de haute intensité, faisaient leur retour, y compris en Europe. Dans ce contexte, le déploiement des F-35A de la 388ème escadre de chasse de l’US Air Force en Europe il y a bientôt un an, permit de faire un état des lieux à l’instant T des progrès réalisés dans ces domaines, mais également du chemin qu’il reste à parcourir pour répondre à la réalité de la menace telle que constatée en Ukraine. Et selon le Wing Commander Craig Andrle, commandant l’escadre, l’appareil a montré, lors de ce déploiement, des capacités opérationnelles satisfaisantes, mais surtout une capacité de redéploiement avec une infrastructure de maintenance allégée qui surprit jusqu’au commandement US.

Dans ce domaine, le 34ème escadron put en effet expérimenté des déploiements temporaires sur des bases aériennes non optimisées ni équipées pour accueillir l’appareil. Les F-35A ainsi déployés purent assurer leurs missions avec une infrastructure de maintenance légère déployée par C-130 Hercules, se passant même de la connexion aux serveurs centraux du système ALIS, sans venir handicaper la disponibilité des appareils. L’exercice permit ainsi à l’US Air Force de se faire une idée précise des compétences techniques nécessaires pour la constitution d’une équipe de maintenance déportée, et notamment des formations mixtes à donner aux personnels de maintenance mais également volant, de sorte à créer des équipes autonomes de déploiement pouvant répondre à un impératif de dispersion des forces pour faire face, par exemple, à des menaces de type frappes préventives massives contre les infrastructures critiques alliées.

Le F-35 devra très probablement s’appuyer sur des drones de combat pour étendre efficacement ses capacités opérationnelles et palier certaines de ses limitations

Une autre performance démontrée par le F-35A lors de ces déploiements, et notamment lors des vols de surveillance des capacités anti-aériennes adverses, fut la capacité de l’appareil à coopérer efficacement avec les autres appareils alliés. De manière inattendue, le W. Cdr Craig Andrle a, lors de son interview fin mars, largement mis l’accent sur cette capacité, précisant que ses F-35A étaient parfaitement adaptés pour repérer et neutraliser les défenses anti-aériennes adverses au bénéfice des autres appareils de l’alliance pouvant alors frapper l’arrière du dispositif ennemie. Longtemps présenté comme l’appareil omnirôle ultime, le F-35A est ici présenté comme une composante, certes dotée de capacités aussi exclusives que nécessaires, mais non absolue des forces aériennes, considérant que certaines missions, comme la défense aérienne ou la pénétration profonde, devaient relever d’autres appareils. Il s’agit d’une vision étonnamment réaliste, puisqu’elle reconnait, en substance, les limites de l’appareil, et donc la nécessité de s’appuyer sur d’autres systèmes, qu’il s’agisse d’avions de combat ou de drones, pour compléter son spectre opérationnel.

Pour autant, ses déclarations indiquent également que le chasseur américain s’avère particulièrement performant dans sa mission principale, à savoir l’élimination des défenses anti-aériennes adverses. Or, si l’on en juge des enseignements en Ukraine, c’est précisément cette capacité qui fait lourdement défaut tant aux forces aériennes ukrainiennes que russes, ce qui explique la neutralisation presque complète des deux armées dans ce domaine. Ces enseignements, issus de missions qui, malgré tout, se déroulent en temps de paix, sont évidemment précieux, mais ils doivent cependant être pris avec précaution et non pour une réalité absolue, étant probable que la défense anti-aérienne russe ne déploie pas, face aux appareils de l’OTAN aujourd’hui, l’ensemble de ses capacités de détection. En revanche, force est de constater que si le F-35A venait à éprouver des difficultés dans ce domaine spécifique, il est plus que probable que les autres appareils alliés seraient eux aussi menacés, probablement même davantage.

La complémentarité capacitaire entre les F-35A et les autres appareils de l’OTAN a été largement mise en oeuvre lors du déploiement de la 388ème escadre de chasse US en Europe

Ces retours d’expériences de l’US Air Force en Europe, s’ils montrent une réelle amélioration des performances opérationnelles du F-35A, et une adéquation forte avec la principale menace identifiée en matière de guerre aérienne moderne, montrent également, de fait, les limites, par ailleurs anticipées, de l’appareil. Il est incontestable qu’il s’agit d’une chasseur bombardier très performant, capable d’évoluer dans des environnements fortement contestés, au profit des forces engagées sur terre et en mer, mais également des autres appareils des forces aériennes. Toutefois, la question se pose quant à la pertinence d’avoir imposé la transformation d’une majorité des forces aériennes européennes vers cet appareil, et vers cet appareil seulement. Il sera probablement indispensable à ces forces aériennes de compléter à l’avenir leur inventaire avec d’autres chasseurs, ou plus probablement avec de futurs drones de combat aptes à remplir ces missions. Pour autant, les Rafale, Gripen, Typhoon ainsi que les futurs NGF et Tempest européens, auront probablement forts à faire pour combler les trous laissés dans la raquette des forces aériennes de l’OTAN en Europe par l’omniprésence du F-35A.

L’industrie de défense turque entièrement mobilisée pour soutenir le président Erdogan lors des prochaines élections

Rarement les élections turques auront-elles été si scrupuleusement suivies par autant de grandes chancelleries mondiales, de Washington à Pékin, en passant par Paris, Berlin ou encore Moscou. En effet, pour faire face à l’AKP, le parti de la justice et du développement du président Erdogan au pouvoir depuis 21 ans, les 6 principaux partis d’opposition ont fait cause commune pour se ranger derrière Kemal Kilicdaroglu, président du Parti Républicain du Peuple social-démocrate et laïc, pour mener le combat, alors que la popularité du président turc a été sévèrement érodée par les mauvais résultats économiques d’un pays marqué par une inflation galopante de plus de 55% sur les 12 derniers mois, un taux de chômage demeurant élevé autour de 10%, et surtout la très mauvaise conduite des opérations de secours suite au tremblement de terre du 6 février ayant fait de plus de 50.000 morts dans le pays. Le fait est, les sondages récents mettent Erdogan et Kilicdaroglu au coude à coude lors du premier tour des élections présidentielles, avec respectivement 41% et 46% des voix, et un second tour encore plus serré.

Pour redorer son blason face à son electoral traditionnel, le président Erdogan s’appuie depuis plusieurs mois sur un acteur majeur de l’économie moderne turque, mais également de son nouveau rôle sur la scène internationale, à savoir l’industrie de défense du pays. Ainsi, à l’instar de ce que fit Vladimir Poutine en 2018 lors de la dernière campagne présidentielle russe, R.T Erdogan a mis sous pression toute cette industrie, de sorte à multiplier les annonces flattant la fibre nationaliste d’une part importante de l’opinion publique. C’est ainsi qu’en quelques semaines de temps, l’industrie aéronautique a présenté le drone de combat supersonique Kizilelma, le drone de combat furtif Anka-3 ainsi que le TB-3, successeur désigné du célèbre TB-2 destiné à opérer à bord du nouveau porte-hélicoptères hâtivement reclassé porte-drones de combat, le TCG Anadulu. Ce dernier vient d’ailleurs, fort opportunément, d’être livré à la marine turque, là encore pour accroitre la perception d’une dynamique très soutenue dans ce domaine, quelques jours après que la construction des 3 dernières frégates de la classe Istanbul ait été annoncée.

Si l’Anadulu peut mettre en oeuvre des hélicoptères, sa capacité à embarquer efficacement des drones de combat reste à démontrer.

Mais le véritable enjeu, en terme d’image, repose sur le programme d’avion de combat de nouvelle génération, le TFX, ainsi que sur le char Altay, les deux devant faire la démonstration de leurs capacités dans les semaines à venir. Le TFX, d’une part, a été assemblé à marche forcée en seulement quelques mois de temps, après n’avoir que très peu évolué pendant prés de 3 ans suite à l’embargo US sur les technologies aéronautiques. L’appareil a commencé ses essais de roulage le 16 mars, et tout porte à croire qu’il pourrait réaliser son premier vol soit avant le premier tour, le 14 Mai, soit entre les deux tours avant le 28 Mai. La situation est identique concernant le char de combat Altay, l’un des piliers de l’effort de défense et du renouveau de la BITD turque. Présenté en grande pompe lors du salon Eurosatory 2018, le char lourd devant devenir le pivot de la composante haute intensité des armées turques, a connu un sévère coup d’arrêt lorsque les européens, et les allemands en particuliers, décidèrent de mettre sous embargo les exportations de matériels destinés aux forces terrestres et aériennes d’Ankara après l’intervention turque en Syrie. Or, l’Altay reposait sur certains composants importés clés, notamment pour ce qui concernait son moteur MTU et sa transmission RENK de facture allemande. Il fallut plusieurs années aux négociateurs turcs pour obtenir des alternatives à ces deux composants, en l’occurence auprès de la Corée du Sud, l’Altay devant désormais être équipé du même moteur Hyundai DV27K et de la même transmission SNT EST15K que le K2 Black Panther.

De fait, ces dernières semaines, les annonces émanant de la BITD turques se sont multipliées, et la dynamique semble encore destinée à s’accroitre jusqu’aux élections présidentielles, de sorte à créer une perception publique d’autonomie stratégique à portée de main liée à la réélection du président Erdogan, une motivation très performante pour une partie de l’opinion turque par ailleurs réceptives aux discours de grandeur retrouvée du pays, y compris face aux grandes puissances mondiales. Quant à la BITD, elle sait à quel point ses très importants crédits, dans un pays exposé à des difficultés économiques pus que sérieuses, sont liés aux aussi à la réélection de R.T Erdogan, ce d’autant que la plupart des dirigeants des grands groupes de défense du pays a été nommée directement par le président, et appartient au cercle de confiance de l’AKP.

10 tonnes plus lourd que le K2, l’Altay utilise la même transmission que le char sud-coréen

Reste qu’en de nombreux aspects, ces déclarations sont, surtout, de la poudre aux yeux, destinée à faire briller le regard des soutiens perdus du président. Ainsi, les images publiées du TCG Anadulu montrent surtout l’absence de brins d’arrêt et un pont trop étroit pour réaliser des manoeuvres d’aviation avec un drone de 14 mètres d’envergure comme le TB3 sur un pont de 32 mètres de maître-bau avec un ilot de 10 mètres de large. De fait, si l’Anadulu peut éventuellement lancer des TB3, il est encore loin de pouvoir les récupérer à la mer en situation de combat, ce qui en réduit sensiblement l’efficacité opérationnelle dans ce domaine. De même, la transmission SNT qui doit permettre au programme Altay de redémarrer, a montré de réelles faiblesses à bord des K2 sud-coréens, obligeant Hanwha défense à équiper le second lot de char de transmission RENK pour livrer les blindés aux armées sud-coréennes. Or, si a transmission SNT est déjà fragile pour le K2 de 55 tonnes, elle souffrira d’autant plus sur l’Altay et ses 65 tonnes. Quant au TFX, s’il parvient à effectuer son premier vol d’ici les élections, il est probable qu’il s’agira davantage d’un principe de démonstrateur, et non d’un réel prototype, d’autant qu’Ankara n’a toujours pas l’autorisation de produire des turboréacteurs GE F110 pour équiper cet appareil.

Dit autrement, il est plus que probable que l’immense majorité des programmes présentés comme imminent ces dernières semaines, connaitront, d’une manière ou d’une autre, un coup d’arrêt, ou tout au moins une replanification sensible, au delà des élections à venir, quel qu’en soit les résultats. Pour autant, cela n’élève rien au dynamisme réel de l’industrie de défense turque, qui a effectivement réalisé des progrès impressionnants ces 15 dernières années, et qui a amené, aujourd’hui, la pays au pied de l’autonomie stratégique. Il ne faudra en effet, si l’effort est effectivement maintenu comme ces dernières années, qu’une dizaine d’années, quinze tout au plus, pour lui permettre d’acquérir les dernières technologies qui lui font défaut, notamment dans le domaine clé de la motorisation des équipements, sujet à propos duquel Ankara s’est rapproché de Kyiv qui dispose d’importants savoir-faire hérité de l’époque soviétique. Reste à voir, dans l’hypothèse ou Kilicdaroglu viendrait à remporter les élections, si le nouveau gouvernement poursuivra l’effort dans ce domaine, ou s’il préférera flécher une partie de ces crédits vers d’autres investissements.

Comment un amendement à la LPM peut-il donner aux armées les équipements qui lui feront défaut en 2030 ?

Depuis sa présentation en conseil des ministres le 4 avril, beaucoup de choses ont été dites ou écrites au sujet de la future Loi de Programmation Militaire. Si les membres de la majorité présidentielle y voient, à juste titre, un effort inédit en faveur des armées, leurs opposants en soulignent le plus souvent les manquements et défaillances, face aux évolutions rapides du contexte international, ce qui est tout aussi justifié. Le fait, de manière objective, si l’effort budgétaire consenti par le gouvernement est incontestable, il n’est cependant pas suffisant pour redonner à des armées profondément handicapées par 25 années de sous-investissements, les moyens qui leur seraient nécessaires pour donner à l’exécutif la capacité à « Choisir nos guerres et les gagner », pour reprendre la célèbre maxime du Général de Gaulle. Au delà du contexte obligeant les 3 armées à devoir moderniser et reconstituer simultanément bien plus de capacités qu’elles ne le devraient en 7 années de temps en régime normal, l’inflation et les bouleversements géopolitiques agissent comme des facteurs érodants significativement la réalité de l’effort budgétaire promis, les amenant à venir tangenter le format défini dans le Livre Blanc de 2013 (225 avions de combat, 200 chars, 15 frégates..) alors que le contexte international était sans commune mesure avec aujourd’hui.

S’il ne fait aucun doute que l’exécutif sera satisfait de sa LPM, le vote de la Loi au parlement sera en revanche très différent de ce qu’il fut en 2018 pour la LPM 2019-2025. En effet, non seulement la majorité présidentielle ne dispose plus d’une majorité législative absolue pour en garantir l’adoption, mais l’usage intensif de l’article 49.3 de la constitution dans le cadre du budget, interdit l’usage de ce mécanisme pour la LPM qui sera débattue en Juin selon toute probabilité. De fait, les parlementaires, députés comme sénateurs, disposent aujourd’hui d’un pouvoir d’amendement bien plus important qu’il ne l’était en 2018, de sorte à éventuellement redonner aux armées les moyens nécessaires pour atteindre leurs objectifs, notamment en libérant des ressources pour l’acquisition d’équipements de défense au delà de ceux planifiés par le projet de Loi aujourd’hui.

Il va manquer une soixantaine de Rafale aux armées françaises en 2030, tant pour renforcer l’Armée de l’Air et de l’espace que pour remplacer les Rafale Marine de première génération entrés en service il y a presque 25 ans.

Pour autant, pour qu’un tel amendement puisse voir le jour, et surtout être adopté, encore faut-il qu’il respecte simultanément plusieurs impératifs. Pour les armées d’une part, celles-ci ne pouvant être déstabilisées par la remise en question des acquisitions d’équipements déjà prévues par la LPM 2024-2030. Par ailleurs, et cela va sans dire (mais cela va d’autant mieux en le disant), il est nécessaire de s’appuyer sur des mécanismes législatifs valides, de sorte à encadrer strictement l’exécution de l’amendement. Surtout, il est indispensable que les mécanismes d’acquisition présentés disposent de ressources ne venant pas alourdir la dette souveraine, ou handicaper les efforts entrepris pour réduire les déficits budgétaires conformément aux attentes des instances européennes. De manière synthétique, pour être adopté, un éventuel amendement doit disposer de ses propres sources de financement, mises à disposition des armées sous la forme de recettes exceptionnelles pour accroitre leurs capacités immédiates d’investissements dans de nouveaux équipements. Mais où trouver de telles ressources budgétaires ?

Chaque année, la base industrielle technologique de défense, ou BITD française, réalise entre 8 et 10 Md€ de chiffre d’affaire à l’exportation, ceci représentant 60.000 à 70.000 emplois directs et indirects sur le sol français. De fait, les entreprises de la BITD et leurs sous-traitants, génèrent d’importantes ressources fiscales venant directement alimenter les caisses de l’Etat, mais également des cotisations sociales venant réduire les déficits sociaux, eux-mêmes compensés chaque année par le budget de l’Etat. Sur des hypothèses basses, l’état récupère ainsi 40% de ces investissements, soit directement dans ses caisses par l’intermédiaire de la fiscalité, soit en réalisant d’importantes économies sur la compensation des déficits sociaux. En fléchant ces ressources « exceptionnelles car non planifiées », vers le financement de nouveaux équipements produits par la BITD pour les armées françaises, ces dernières récupéreraient donc entre 3,2 et 4 md€ supplémentaires chaque années, permettant d’augmenter de plus de 50% les investissements dans les Programmes à Effets Majeurs.

Les ressources dégagées par ce modèle permettrait de doter l’Armée de Terre des moyens nécessaires à l’engagement de haute intensité moderne, y compris de nouveaux chars de combat.

Par ailleurs, ces nouveaux investissements des armées françaises dans la BITD pour l’acquisition d’équipements supplémentaires, généreront, eux aussi, des recettes budgétaires. En l’occurence, aux 40% déjà mentionnés, s’ajouteront les 20% de la TVA appliquée à toutes les acquisitions de matériels militaires nationaux. Le retour budgétaire, pour l’Etat, s’élèverait alors à 60% des investissements, soit entre 1,92 et 2,4 Md€ pour l’état, absorbant de fait une partie significative de l’éventuel « manque à gagner budgétaire » lié au fléchage des ressources. Notons au passage que si 8 Md€ d’investissements garantissent l’activité de 60.000 emplois au sein de la BITD, 3 Md€ supplémentaires en créaient au moins 22.000 de plus, toujours en hypothèses basses. Il s’agirait, de fait, d’un effort largement atténué pour les finances publiques, au prorata d’un sur-investissement significatif de plus de 3 Md€ pour les équipements des armées. Sur la base de ce seul modèle, un tel amendement permettrait aux armées de disposer de plus de 22 Md€ supplémentaires sur la LPM 2024-2030, dédiés strictement à l’acquisition de matériels majeurs, ce qui permettrait, déjà, de compléter significativement l’inventaire des forces sur cette période. Mais le modèle permet d’aller, en réalité, bien plus loin.

En effet, en liant le succès des exportations de la BITD et les ressources d’investissements en équipements majeurs des armées, les relations entre ces deux piliers de la défense nationale, seraient profondément modifiées, donnant potentiellement naissance à de nouveaux paradigmes très performants. Ce serait notamment le cas en matière des négociations de partenariats dynamiques de co-production, à l’image de ce que firent la BundesMarine et TKMS lors des négociations avec Oslo pour l’acquisition de 4 sous-marins Type 212CD, ayant permis non seulement de garantir le succès allemand dans cette compétition très disputée, mais également de procurer deux sous-marins supplémentaires pour la BundesMarine, qui auront été autofinancés par les recettes fiscales liées à l’exportation des 4 navires norvégiens. Au travers du dispositif de sur-financement décrit ci-dessus, il serait possible de faire oeuvrer conjointement la BITD et les Armées en faveur de modèles de coopération comparables, inversant profondément les paradigmes d’aujourd’hui dans ce domaine, ce qui ouvrirait très probablement de très importantes opportunités pour accroitre le marché adressable par la BITD française, et donc les capacités d’investissement des armées, dans un cercle vertueux très efficace.

En changeant les bases de la relation entre industriels et militaires, il serait possible de developper de nouvelles approches susceptibles d’accroitre sensiblement l’attractivité des équipements de défense français sur la scène internationale.

Ce mécanisme permettrait par conséquent, en application de ce principe, de créer en substance un équivalent français au célèbre Foreign Military Sales américain, l’un des outils les plus efficaces aux mains de Washington pour soutenir ses exportations défense, en liant les acquisitions de leurs clients exports aux contrats négociés par les Armées US, de sorte à profiter de conditions préférentielles. Par ailleurs, il donnerait aux armées une certaine souplesse budgétaire leur permettant de soutenir et donc de sensiblement stimuler les investissements de R&D de la BITD, en acquérant des parcs limités de nouveaux équipements développés en fonds propres, pour les tester mais également pour en accroitre l’attractivité sur la scène internationale, du fait d’une production industrielle d’une part, et de leur utilisation par les armées françaises qui jouissent d’un réel crédit dans ce domaine. C’est notamment la stratégie mise en oeuvre avec un réel succès par la Turquie depuis plusieurs années, contribuant significativement au dynamisme de sa propre BITD. On notera que si les exportations de la BITD, du fait de ces mécanismes, venaient à augmenter de 50%, les armées disposeraient alors de plus de 6 Md€ de crédits d’investissements supplémentaires par an, alors que les recettes sociales et fiscales de l’Etat atteindraient 3,6 Md€, soit autant que sans ce dispositif. Dernier point, et non des moindres, ce mécanisme étant basé sur les recettes fiscales et sociales des contrats exports de la BITD, il est par définition auto-compensé de l’inflation, ce quel que soit son niveau.

On le voit, il existe aujourd’hui une réelle conjonction d’opportunités, de moyens et de besoins, pour enrichir la prochaine Loi de Programmation de sorte à donner aux Armées des moyens significatifs pour accélérer et étendre leur modernisation, et ainsi faire face aux enjeux sécuritaires présents et à venir. Ce modèle n’est évidemment ici que présenté de manière synthétique, et d’importants travaux seraient nécessaires pour en faire un réel amendement législatif. Toutefois, il pose des bases de réflexion à fort potentiel pour résoudre l’une des plus importantes défaillances constatées de la LPM, en dépit de son ambition budgétaire. Reste à voir si un député, un sénateur ou un groupe parlementaire, s’emparera effectivement du sujet..

Les industriels allemands remettent en question le calendrier du programme de chars franco-allemand MGCS

Lancé en 2017, le programme Main Ground Combat System, ou MGCS, est aujourd’hui l’un des piliers, mais également l’un des seuls survivants, des efforts menés par Paris et Berlin afin de créer une dynamique européenne autour des industries et armées françaises et allemandes pour accroitre l’autonomie stratégique du vieux continent. A cette époque, la France et l’Allemagne partageaient un besoin identique, à savoir le remplacement des chars de combat Leclerc et Leopard 2 entrés en service à a fin des années 80 et au début des années 90, avec pour échéance 2035. Depuis, bien que moins médiatisé que l’autre volet phare de cette coopération, le programme SCAF qui doit pour sa part remplacer les Rafale français et Typhoon allemands et espagnols à horizon 2040, le programme MGCS traversa de nombreux et importants remous.

Ainsi, à la fin de l’année 2019, les autorités allemandes décidèrent d’intégrer le second groupe national impliqué dans la conception de véhicules blindés lourds, le rheinant Rheinmetall, au programme jusque là attribué au français Nexter et à l’allemand Krauss-Maffei Wegmann, au travers d’une co-entreprise strictement équilibrée reflétant le partage industriel de MGCS. Il fallut dès lors réorganiser totalement le partage industriel autour du programme, de sorte à donner à chaque acteur majeur (KMW, Nexter et Rheinmetall) un tiers de l’activité industrielle, tout en respectant le partage de charge également reparti entre la France et l’Allemagne. Jusqu’à aujourd’hui, si des accords ont été annoncés il y a quelques mois pour permettre la poursuite du programme, ce déblocage est davantage le fait d’un « report » des points de frictions, comme la conception du blindage ou du canon principal du char de combat, qu’à un arbitrage, puisque ces dossiers ont été postponés avec objectif de sélectionner l’offre industrielle la plus performante, le principe de Best Athlete qui avait jusqu’ici posé plus de problèmes qu’engendrer de solutions au sein du programme SCAF.

Le KF51 Panther, conçu par Rheinmetall, constitue un réelle menace pour le programme MGCS, tout autant que le Leopard 2A7

En 2022, deux nouvelles menaces, bien plus significatives, apparurent presque conjointement. En premier lieu, l’agression russe contre l’Ukraine a considérablement bouleversé la texture du marché du char de combat, en particulier en Europe. Sous l’influence de la nouvelle perception de la menace qu’a représenté la réapparition de la guerre en Europe, ainsi que des transferts d’armes, et notamment de chars de combat venant des pays européens pour aider les défenseurs ukrainiens, la demande en matière de chars de combat a bondi en quelques mois, se tournant vers les modèles immédiatement disponibles, comme le K2 Black Panther sud-coréen, le M1A2 Abrams américain, et surtout le Leopard 2A7 qui a enregistré plusieurs commandes majeures pour la seule année 2022, autant que pour les 15 années années précédentes. Dans le même temps, en juin 2022, Rheinmetall présenta, à l’occasion du salon EuroSatory, un nouveau char de combat développé en fonds propres, le KF51 Panther, tout en dévoilant une stratégie commerciale ouvertement hostile au programme MGCS. En quelques mois, le contexte qui donna naissance au programme MGCS fut ainsi boulversé, au point que désormais, les industriels allemands, au delà de Rheinmetall, estiment publiquement que le calendrier actuellement visé, n’est plus du tout pertinent.

En effet, après presque 30 années de vaches maigres liées à une demande internationale famélique, l’industrie du char allemand, et plus particulièrement celle rassemblée autour du Leopard 2, est à nouveau très sollicitée, en particulier sur la scène européenne avec des commandes venant de Hongrie, de Norvège et même la Bundeswehr allemande, et de nombreuses tractations commerciales avec la République tchèque, la Lituanie, la Slovaquie ou encore l’Italie. Parallèlement, Rheinmetall multiplie les initiatives pour tenter de lancer la production de son KF51 Panther, en proposant des conditions très attractives. C’est cette conjonction de facteur qui fait dire, à l’occasion d’une interview donnée au site économique WirtshaftsWoche, à Suzanne Weigand qui dirige le groupe RENK produisant les chaines de distribution du Leopard 2, mais également du Panther et du Leclerc, que le calendrier du MGCS ne répondait plus à la réalité du marché du char, en Allemagne mais également en Europe, et probablement pour une grande partie du marché potentiel export adressable par le programme franco-allemand.

Le programme MGCS vise a développé non seulement un char de combat, mais une famille de blindés lourds dédiés à la haute intensité

Selon la cheffe d’entreprise, les bouleversements récents observes vont, à court terme, engendrer l’acquisition de plus de 300 chars Leopard 2 au sein des forces armées européennes, notamment pour remplacer les chars de génération antérieure, comme les T-72 soviétiques d’Europe de l’Est, mais également les Leopard 2A4 acquis dans les années 80 et 90. Or, les nouveaux Leopard, mais également les M1A2 Abrams, K2 Black Panther et peut être KF51 Panther, qui seront commandés et livrés dans les quelques années à venir, vont considérablement réduire le marché adressable européen par le programme MGCS lors de sa mise en service, alors que ce dernier est indispensable aux équilibres budgétaires et industriels entourant ce programme. Ces chars ayant une durée de vie de 30 à 40 ans, leur remplacement n’interviendra qu’autour de 2060. A cette date, MGCS aura déjà 25 ans, et devra donc faire face très probablement à des modèles plus récents proposés par les industriels ayant anticipé de renversement de dynamique de marché, comme le Sud-Coréen Hanwha, l’allemand Rheinmetall, ou encore l’américain GDLS.

Pour Suzanne Weigand, il est donc indispensable, désormais, de réorganiser le calendrier de MGCS, pour le décaler de plusieurs années, et ainsi éviter d’entamer la production pour les seuls clients français et allemands sur un marché atone, au risque de devoir cesser cette production avant que la demande internationale ne redémarre. Un scénario qui, reconnaissons le, n’est pas sans rappeler celui auquel le pourtant très performant Leclerc français a du faire face dans les années 90. Sans quantifier dans cette interview la durée du report devant être envisagée, la CEO de RENK se fait, en réalité, la porte-parole d’une perception largement partagée outre-Rhin, alors que de nombreuses rumeurs font état, depuis plusieurs mois, d’un objectif d’entrée en service du programme MGCS pour 2045 soutenu tant par l’industrie allemande que par la Bundeswehr.

La BITD française est organisée pour entamer la production du MGCS dès le milieu des années 2030.

Reste que, si les arguments avancés par Suzanne Weigand font incontestablement sens, ils sont loin de faire les affaires des armées et de l’industrie de défense française, pour qui l’échéance de 2035 est beaucoup plus critique. Ainsi, et cela a été confirmé lors de la présentation de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2024-2030 il y a quelques jours, les Leclerc français n’ont pas vocation à rester en service au delà de 2040, ceux-ci n’étant modernisés que partiellement lors de la mise à jour à mi-vie actuellement en cours. D’autre part, l’Armée de Terre n’a pas la possibilité, aujourd’hui, de commander de nouveaux chars de combat modernisés pour remplacer les blindés les plus anciens et les plus usés, ou pour renforcer sa composante haute intensité, la ligne de production du Leclerc ayant été démontée depuis plus de 20 ans, sauf à se tourner vers un second modèle importé. Enfin, du point de vue industriel, l’activité de la BITD terre française est aujourd’hui pleinement sollicitée pour la production des Serval, Griffon et Jaguar du programme Scorpion, dont les livraisons doivent précisément prendre fin au milieu de la prochaine décennie pour lancer la production du MGCS. Si quelques aménagements peuvent être envisagés, comme avec la modernisation des VBCI et le remplacement des VBL, il sera impossible de préserver intégralement l’outil industriel sur une période supplémentaire de 10 ans.

On le voit, la mise en garde de RENK publié le 6 avril par le site WirtshaftsWoche, constitue un réel écueil pour le programme MGCS, tant la divergence de calendrier présentée est complexe à résoudre, d’autant que dans le même temps, le troisième acteur majeur du programme, Rheinmetall, poursuit son travail de sape pour le faire dérailler. Pour autant, un échec de MGCS serait non seulement un grave échec politique et industriel en soit, mais il viendrait également menacer directement la poursuite du programme SCAF, les deux programmes ayant été artificiellement liés dans leur conception initiale en dépit des risques importants qu’une telle approche faisait porter sur l’ensemble de la coopération entre Paris et Berlin. Des solutions peuvent être envisagées, qu’elles soient mises en oeuvre conjointement ou unilatéralement, comme le lancement d’un modèle de char intérimaire basé sur le démonstrateur EMBT de KNDS, voire la négociation d’une production nationale d’un modèle importé, pour faire la jonction militaire et industrielle jusqu’à 2045. Cependant, rien n’indique, à ce jour, que ce risque ait été pris en compte dans la planification militaire française déjà sous forte tension budgétaire.