mercredi, décembre 3, 2025
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La Finlande officialise la commande du système anti-aérien et anti-missile israélien David’s Sling

En 2020, soit 10 ans après avoir sélectionner le système anti-aérien NASAMS américano-norvégien au détriment du Mamba franco-italien pour remplacer les batteries Buk acquises auprès de l’Union Soviétique, Helsinki mena une consultation ouverte pour se doter d’un système anti-aérien complémentaire pour couvrir à la fois la défense anti-aérienne à longue portée et haute altitude, et la protection antibalistique contre les missiles balistique à courte portée. Cette période de consultation prit fin en novembre 2021, lorsque les autorités finlandaises décidèrent de poursuivre les négociations avec deux sociétés israéliennes, Elbit et Rafael, avec pour objectif de sélectionner le prestataire définitif au début de l’année 2023. C’est désormais chose faite. Le Ministère de la Défense finlandais a en effet annoncé hier, avoir autorisé la commande d’un système anti-aérien et anti-missile à longue portée David’s Sling (Fronde de David) produit par Rafael Advanced Defense Systems au détriment du Barack-8 MX d’Elbit. La commande coutera 316 millions d’Euro hors taxes aux finances publiques finlandaises, soit 213 m€ pour l’acquisition du système, et 103 m€ en prestations de service et équipements complémentaires.

Développé conjointement avec l’américain Raytheon, le système David’s Sling est entré en service en 2017 au sein des forces armées israéliennes. D’une portée efficace allant de 70 à 250 km, il se positionne entre les systèmes anti-balistiques indo-atmosphérique haut Arrow 2 et Arrow 3 conçus pour intercepter des missiles balistiques de moyenne portée et de portée intermédiaire, et la protection à courte portée composée des systèmes SPYDER et Iron Dome. Il s’appuie sur un radar 3D millimétrique à antennes AESA capables de détecter des cibles au delà de 250 km, ainsi que des missiles sol-air dotés d’une grande capacité de manoeuvre, d’une liaison de données et d’un autodirecteur électro-optique infra-rouge en course finale. Moins versatile que ses concurrents directs comme le Patriot américain, le Mamba européen ou le Barak-MX d’Elbit, tous offrant des capacités d’interception à courte et moyenne portée permettant notamment de traiter la menace des menaces volant à basse altitude comme les avions de combat, les hélicoptères et les missiles de croisière, le David’s Sling offre en revanche des performances sensiblement supérieures à tous ces systèmes dans son domaine de prédilection, l’interception à haute altitude et à longue distance.

Le système David’s Sling de Rafael a été préféré au Barak-MX d’Elbit ici en photo par Helsinki

Eu égard aux couts d’acquisition, il est probable qu’un unique système aura été acquis pas Helsinki. Couvrant un périmètre circulaire de presque 100.000 km2, le David’s Sling ne pourra efficacement protéger qu’un peu moins d’un tiers du pays. Toutefois, l’immense majorité de la population finlandaise, mais également de l’activité économique du pays, se situe effectivement dans un espace de 100.000 km2 autour d’Helsinki, de sorte qu’un unique système pourra effectivement, par sa portée et sa spécialisation, protéger les cibles les plus pertinentes du pays contre d’éventuelles frappes de missiles balistiques à courte portée comme le 9M723 Iskander M russe mais également contre les missiles de croisière supersoniques KH-22 qui évoluent à haute altitude lors de la croisière. En outre, Rafael a annoncé, en 2022, avoir entrepris de moderniser son système pour être en mesure d’intercepter des menaces hypersoniques comme le missile Kinzhal Russe.

De toute évidence, la décision finlandaise fait sens, tant dans la complémentarité du système David’s Sling avec les batteries NASAMS acquises en 2009, que dans la réponse à des menaces parfaitement identifiées et confirmées par la guerre en Ukraine. Mais son principal argument, dans ce dossier, aura probablement été budgétaire. En effet, à 316 m€ le système à longue portée livré et opérationnel, Rafael est tout simplement moitié moins cher que le système Patriot PAC-3 vendu par les Etats-Unis à la Suisse. Il est toujours difficile de comparer des contrats d’armement de défense, ceux-ci étant souvent opaques quant à leur périmètre. Toutefois, en données publiques, le missile du David’s Sling coute effectivement 3 fois moins cher que le PAC-3 antibalistique du système Patriot. Notons également que Washington devra donné son aval pour l’exécution de ce contrat, Raytheon mais également le contribuable américain ayant participé à la conception du système israélien. Quant au Mamba européen, il n’offre qu’une portée de 120 km, donc une surface protégée 4 fois moins étendues, nécessitant 4 batteries pour couvrir, certes plus efficacement, mais de manière également bien plus onéreuse, les surfaces vives du pays.

Rafael serait en négociation avec 5 pays européens au sujet de son système anti-aérien à courte et moyenne portée SPYDER

Reste que la décision finlandaise marque une nouvelle victoire de l’industrie de défense israélienne en Europe. Déjà presque en situation de monopole dans le domaine des missiles antichars avec la famille SPIKE et la co-entreprise EuroSpike, cette industrie mène depuis plusieurs mois une offensive massive pour placer ses systèmes anti-aériens à courte et moyenne portée SPYDER, alors que Berlin à d’ores et déjà signifié son intention d’acquérir le système anti-balistique Arrow-3 comme pièce maitresse du nouveau bouclier anti-aérien et anti-missile européen centré sur l’Allemagne, et qui prévoit également de s’appuyer sur le système américain Patriot à longue portée, et l’Iris-T SLM allemand pour la défense à courte et moyenne portée . En choisissant le système David Sling, Helsinki porte de fait un premier coup de canif à l’ambition allemande visant avant tout à placer le système de Diehl, ce qui obligera probablement Berlin à se montrer beaucoup plus souple dans ses ambitions, d’autant que plusieurs des signataires de cette initiative ont déjà signifié leur intérêt pour d’autres systèmes comme le SPYDER et le NASAMS.

En revanche, force est de constater que le système anti-aérien SAMP/T Mamba qui fait la fierté de Paris et Rome, ne parvient pas à convaincre, y compris en Europe. Ce désamour est d’autant plus paradoxal que son homologue naval, le système PAAMS, et surtout le missile Aster 15/30, ont rencontré un réel succès international, armant pas moins de 10 marines, comme la principale alternative au couple SM2-ESSM américain. Si, l’échec du Mamba lors des compétitions internationales, le plus souvent au détriment du Patriot américain, fut souvent expliqué par les pressions américaines, cette explication ne peut être produite en Finlande. De toute évidence, le problème se trouve ailleurs, peut-être dans un positionnement intermédiaire avec une portée somme toute limitée par rapport aux systèmes à longue portée David’s Sling mais également au Patriot PAC-3, mais un prix trop élevé face aux systèmes à moyenne portée NASAMS, SPYDER ou Iris-T SLM ?

Le Canada s’apprête à lancer une réplique de la compétition australienne de 2015 pour construire 12 sous-marins conventionnels

Contrairement à l’immense majorité des pays européens membres de l’OTAN, le Canada, membre fondateur de l’Alliance, n’a pas, pour l’heure, présenté de trajectoire budgétaire ferme pour atteindre un effort de défense de 2% de son PIB.

Pour autant, et en dépit d’un effort de défense famélique de seulement 1,35% du PIB et un budget de 23 Md$ (us) en 2023, le pays a entrepris, ces dernières années, plusieurs grands programmes de modernisation de ses armées, parmi lesquels l’acquisition de 88 avions de combat F-35A pour remplacer les 76 CF-18 encore en service, mais aussi 15 frégates F-26 britanniques pour remplacer les 12 frégates de la classe Halifax entrées en service entre 1988 et 1995.

Plus récemment, Ottawa a annoncé son intention de remplacer sa flotte de 15 CP-140M Aurora de patrouille maritime, dérivés du Lockheed P-3 Orion, par le nouveau Boeing P-8A Poseidon américain. Mais dans le domaine naval, la plus grande révolution à venir pour la Royal Canadian Navy, interviendra dans le domaine sous-marin.

En effet, la Royal Canadian Navy met en œuvre, aujourd’hui, 4 sous-marins diesel-électrique de la classe Victoria, développée par la Grande-Bretagne pour épauler ses nouveaux SNA de la classe Conqueror et remplacer les Oberon au milieu des années 80. Sur les 12 sous-marins prévus pour la Royal Navy, seuls quatre bâtiments de ce qui était alors désignée comme la classe Upholder, furent construits, la Royal Navy ayant décidé entre-temps, à l’instar de la Marine Nationale ou de l’US Navy, de se tourner exclusivement vers des submersibles à propulsion nucléaire.

Entrés en service entre 1990 et 1990, les 4 navires seront finalement vendus en 1998 à la Royal Canadian Navy pour remplacer les Oberon canadiens arrivés en limite d’âge.

Durant toute la période post-guerre froide, le format très réduit de la flotte sous-marine canadienne ne fut guère un handicap, d’autant qu’Ottawa prit, comme ses homologues européens, à bras-le-corps le potentiel offert par les fameux « bénéfices de la paix », tels que présentés après l’effondrement de l’Union Soviétique en occident.

Mais alors que les tensions montent en Atlantique et en Arctique face à la Russie, et dans le Pacifique face à la Chine, les autorités canadiennes ont été amenées à revoir le format de la flotte à la hausse, et plus particulièrement de la flotte sous-marine.

la Royal Canadian Nagy met en œuvre 4 sous-marins conventionnels de la classe Upjolder

Et de fait, selon la presse canadienne, les autorités du pays seraient désormais en consultation pour entreprendre un nouveau programme afin de remplacer les 4 Victoria par pas moins de 12 sous-marins conventionnels.

Pour ce faire, Ottawa présente une enveloppe 60 Md$ canadiens, soit de 40 Md€. Pour plusieurs commentateurs, toutefois, la Royal Canadian Navy disposerait d’une importante marge de progression dans ce programme, un budget de 100 Md$, soit 60 Md€, étant souvent mis en avant à ce sujet.

Ce budget, mais également le nombre de navires visé, n’est certainement pas sans rappeler la précédente compétition en Australie gagnée par le français Naval Group en 2015, avant d’être unilatéralement abandonnée par Canberra en 2021 pour se tourner vers une coopération avec les États-Unis et la Grande-Bretagne dans le cadre de l’alliance AUKUS nouvellement formée, afin de produire huit sous-marins d’attaque dotés cette fois d’une propulsion nucléaire. Mais si en apparence, la compétition canadienne rappelle l’australienne, dans les faits, elle sera très différente.

En effet, au début des années 2010, lorsque eut lieu la compétition australienne, seuls 3 navires pouvaient revendiquer le statut de sous-marins conventionnels océaniques : le Type 214 allemand, le Soryu japonais et le Shortfin Barracuda français.

Pendant longtemps, le modèle japonais avait été présenté comme le grand favori en Australie, avant qu’à la surprise générale, Canberra décide de se tourner vers le Shortfin Barracuda, un navire conçu sur les acquis des programmes de sous-marins à propulsion nucléaires d’attaque et lanceurs d’engins de la Marine Nationale, notamment autour de la nouvelle classe de SNA Suffren de la Marine Nationale.

De fait, à cette date, Naval group disposait de nombreux atouts face à ses concurrents, certes peu visibles du grand public, mais très efficaces face aux experts navals australiens, comme la technologie de pump-jet qui permet au navire d’évoluer à 12 nœuds sans le moindre bruit en réduisant les effets de cavitation.

La situation, aujourd’hui, est cependant radicalement différente, et la compétition canadienne sera sans le moindre doute bien plus rude pour Naval Group qu’elle ne le fut en Australie il y a maintenant huit ans.

En effet, si le constructeur français peut montrer le nouveau SNA Suffren et bientôt le Dugay-Trouin pour justifier des performances nautiques et acoustiques de son modèle, la concurrence, elle, disposera souvent de navires effectivement opérationnels et en service, et ce, dans une configuration très proche de celle qui pourrait être proposée au Canada, y compris en matière de propulsion. D’autres offres, quant à elles, sont très avancées de sorte que les couts de conception en seront sensiblement réduits.

C’est notamment le cas du nouveau Type 212CD de TKMS, choisi par les Marines norvégienne et allemande, dont le premier navire doit être livré en 2029, et dont la conception est déjà pleinement assumée par ces deux pays.

Ce sera également le cas du nouveau S-80 Plus espagnol de la classe Isaac Peral qui, comme le Shortfin Barracuda, est un sous-marin conventionnel océanique avec un déplacement de presque 3500 tonnes dont la première unité vient d’effectuer sa première plongée statique.

En Asie, les Dosan Ahn Changho sud-coréens, mais également les nouveaux Taïgei japonais employant des batteries Lithium-ions sont, eux aussi, en service et proposent des performances avancées et démontrables, avec des couts de conception et d’adaptation probablement très réduits.

Pour autant, Naval Group et son Shortfin Barracuda ne seront pas démunis dans cette compétition. D’une part, les avantages du modèle de sous-marin océanique Marlin français demeurent aujourd’hui, notamment pour ce qui est d’une discrétion acoustique dynamique inégalée grâce à la technologie du Pump-jet, mais également des tuiles anéchoïques de nouvelle génération développées par l’industrie française.

En outre, si le sous-marin ne navigue pas, une part non négligeable de son étude a déjà été réalisée, et payée, par Canberra, ce qui en réduira d’autant le cout final. Enfin, Naval Group pourrait trouver à Washington un allié inattendu dans cette compétition, sachant qu’Ottawa n’a pas montré d’ambition particulière pour se doter de sous-marins à propulsion nucléaire, et qu’une partie de la classe politique US est plutôt enclin à donner certains gages de confiance à Paris après le pitoyable épisode australien.

Reste que la compétition canadienne à venir sera incontestablement très ouverte, et il faudra se montrer des plus convaincants pour Naval Group pour s’imposer face aux sérieux arguments technologiques et commerciaux aux mains de TKMS, Navantia, Daewoo ou Mitsubishi.

Une option pertinente pourrait être d’appliquer la même stratégie que celle mise en œuvre par Berlin lors de la compétition norvégienne, en promettant l’acquisition de 2 ou 3 sous-marins supplémentaires de même classe pour la Marine Nationale, de sorte à en faire baisser les couts de construction et de partager les couts de développement.

Par ailleurs, en procédant ainsi, Paris donnerait de probantes garanties à Ottawa quant à la maintenabilité, mais également l’évolutivité de ses navires dans la durée.

Quant aux couts d’une telle initiative pour les finances publiques françaises, ils seraient bien inférieurs aux recettes fiscales consécutives de l’exécution du contrat canadien pour ce qui concerne la partie réalisée en France.

La Marine Nationale, elle, disposerait de 2 ou 3 sous-marins supplémentaires, certes à propulsion conventionnelle et non nucléaire, mais proches en comportement comme en systèmes des Suffren, permettant de libérer les SNA pour les missions nécessitant spécifiquement ce type de navire, tout en simplifiant la maintenance et la formation des équipages.

Enfin, et c’est loin d’être négligeable, cela conférerait à Naval Group une flotte active sur laquelle l’industriel pourra appuyer ses futurs argumentaires commerciaux, ce dont l’entreprise française manque cruellement aujourd’hui au sujet des Shortfin Barracuda.

Entre ambition et déception : la nouvelle Loi de programmation Militaire française sous contraintes

Après plusieurs mois de déclarations officielles, de fuites plus ou moins voulues et de spéculations, la nouvelle Loi de Programmation Militaire française a été dévoilée hier. Celle-ci encadrera l’effort de défense français entre 2024 et 2030, qu’il s’agisse du budget consacré par l’Etat à la mission, mais également des objectifs de format et des programmes industriels en cours ou à venir. En dépit d’un budget en forte hausse avec 400 Md€ de crédits d’état et 13 Md€ de recettes exceptionnelles sur les 7 années à venir, soit 35% de plus que la LPM précédente, celle-ci ne permettra pas la reconstruction des forces Armées françaises pour répondre aux enjeux sécuritaires globaux présents et à venir, du fait des très nombreuses contraintes qui s’y appliquent, comme les engagements de dépenses déjà planifiées, les besoins exceptionnels de recapitalisation des stocks notamment en terme de munitions, et les effets de l’inflation.

Ainsi, le format des armées françaises n’évoluera que très peu dans les 7 années à venir, qu’il s’agisse des ressources humaines qui verront surtout les effectifs de la réserve opérationnelle doublés mais dont le personnel d’active restera sensiblement le même, qu’en matière de dotation, les armées passant par un point bas situé entre 2028 et 2030 dans ce domaine. Comme lors de la LPM précédente, la progression budgétaire s’effectuera en deux étapes. Entre 2024 et 2027, soit la fin du quinquennat en cours, le budget progressera de 3 Md€ par an, puis de 4,3 Md€ par an sur les 3 années restantes. Il s’agit, comme nous l’avions déjà abordé, d’un découpage identique à celui mis en oeuvre lors de la LPM 2019-2025, qui prévoyait une hausse de 1,7 Md€ par an entre 2019 et 2022, puis de 3 Md€ par an jusqu’en 2025, divisé par l’échéance électorale. On peut donc relativement être certain de l’application de la LPM jusqu’en 2027, mais guère au delà. En outre, cette progression budgétaire n’intègre pas les 13 Md€ de recettes exceptionnelles, sans que l’on sache précisément à quel moment ceux-ci seront effectivement réalisés.

Seuls 200 des 300 EBRC Jaguar seront livrés d’ici 2030, une partie des AMX-10RC modernisés devant jouer les prolongations

Si certains programmes ont été sanctuarisés, notamment ceux liés à la dissuasion ou à forte connotation politique comme SCAF et MGCS, la plupart des autres grands programmes a subi une cure d’amaigrissement sur la LPM, la plupart de temps avec un étalement de la production et un rattrapage au delà de 2030. Dans ce domaine, les 3 armées ont été également touchées. Ainsi, l’Armée de terre ne disposera que 200 des 300 EBRC Jaguar, 1345 des 1808 Griffon et 1405 des 2038 Serval du programme Scorpion, alors que seuls 160 des 200 Leclerc seront modernisés à cette date. Elle disposera bien, en revanche, des 109 canons CAESAR NG prévus, ainsi que de 24 Serval Mistral de défense anti-aérienne rapprochée et de 12 Serval LAD de lutte anti-drones, et de la totalité des 17 systèmes de Drones terrestres Patroller planifiés. Elle recevra, enfin, au moins la moitié des 26 systèmes d’artillerie à longue portée prévus à terme, le système HIMARS américain étant souvent cité dans ce domaine, même si d’autres alternatives, notamment une production nationale ou européenne, ne sont pas exclues.

La Marine Nationale, longtemps présentée comme la grande gagnante de cette LPM, a vu ses ambitions significativement réduites. Si elle recevra bien les 4 derniers sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Suffren, elle ne disposera, en 2030, que de 3 des 5 frégates FDI, de 7 des 10 patrouilleurs hauturiers, de 3 des 6 bâtiments de guerre des Mines, ainsi que de 3 des 4 bâtiment de ravitaillement de la Flotte. En matière de patrouille maritime, si les 4 derniers Atlantique 2 modernisés seront bien livrés pour une flotte de 18 appareils, seuls 8 des 12 appareils de surveillance maritime Albatros seront livrés en 2030, 4 des 8 Falcon 50 étant appelés à jouer les prolongations. L’aviation embarquée, quant à elle, conserve son format à 41 Rafale M, alors que les 3 E-2C Hawkeye seront effectivement remplacés par autant de E-2D. Quant au programme de porte-avions de nouvelle génération, sa conception débutera bien début 2026 après que la phase d’étude ait pris fin à l’autonome 2025. Sa propulsion nucléaire, basée sur les nouveaux réacteurs K22, est confirmée, tout comme son déplacement 50% plus important que le Charles de Gaulle. En revanche, le navire ne sera livré à la Marine Nationale qu’en 2038, et non 2037 comme initialement planifié, soit juste à temps pour le retrait du PAN.

Les 3 E-2D Hawkeye de la marine Nationale seront livrés avant 2030

Quant à l’Armée de l’Air et de l’Espace, elle voit elle aussi ses espoirs déçus, avec seulement 137 Rafale et 48 Mirage 2000D modernisés en 2030. On note au passage que 7 des 55 MirageD modernisés ont subrepticement disparus ici, ce qui permet de supposer que Paris envisage effectivement de transférer ces appareils modernisés à l’Ukraine dans les mois à venir, les personnels ukrainiens étant déjà formés à Mont-de-Marsan. Si le transfert de Mirage 2000C souvent évoqué dans les médias n’avait guère de sens, le Mirage 2000D, capable de mettre en oeuvre des munitions évoluées comme des bombes à guidage laser, les bombes propulsée à guidage GP2 A2SM mais également des missiles SCALP-EG ou Storm Shadow, protégé par une nouvelle suite de guerre électronique, et pouvant emporter le très performant missile air-air d’autodéfense MICA IR, peut effectivement apporter une grande plus-value sur le théâtre ukrainien, surtout s’il est accompagné d’appareils de supériorité aérienne efficaces comme le Mirage 2000-5f, qui eux aussi ont disparu de l’inventaire donné pour 2023 alors qu’ils devaient aller jusqu’en 2027-28, ou l’Eurofighter Typhoon.

Quoiqu’il en soit, en 2030, l’Armée de l’air ne disposera que des 185 avions de combat prévus par le Livre Blanc 2013, un format très insuffisant pour répondre aux besoins et enjeux sécuritaires modernes, mêmes épaulés des 41 Rafale M de la Marine Nationale. En outre, le format final de 50 A400M visé par l’Armée de l’Air semble lui aussi remis en question, seuls 35 d’entre eux étant confirmés pour 2030 à ce jour. En revanche, les 3 appareils de renseignement et de guerre électronique Archange sont bien confirmés pour 2030. Quant aux 4 Awacs et les 14 avions de transport C-130J, ils seront remplacés d’ici 2035 respectivement par le programme Alliance Futur Surveillance and Control ou AFSC développé dans le cadre de l’OTAN, et le programme européen d’avion de transport moyen ATASM. Si un seul système Euromale RPAS sera livré aux cotés des 4 systèmes Reaper en 2030, au moins 6 systèmes Euromale sont planifiés pour 2035. Enfin, si les 8 systèmes anti-aériens Mamba seront modernisés d’ici 2030, les 4 systèmes supplémentaires ne seront livrés que d’ici 2035, alors que 9 des 12 systèmes VL MICA devant remplacer les 9 batteries Crotale NG auront été livrés en 2030.

7 Mirage 2000D et les Mirage 2000-5F ont disparu de l’inventaire de l’Armée de l’Air, laissant supposer que ces appareils pourraient être transférés, notamment en Ukraine

On le voit, de nombreux programmes ont été revus à la baisse et étalés, pour répondre aux différentes contraintes appliquées à cette LPM. Ainsi, 16 Md€ seront consacrés à l’acquisition de munitions d’artillerie, de missiles, bombes et torpilles, soit plus de 2 Md€ par an. De même, 5 Md€ sont fléchés vers le renforcement de la composante drones, même si à ce jour, aucun nouveau système majeur n’ait été annoncé, tant dans le domaine des drones de combat aériens que des systèmes navals ou sous-marins sans équipage. Le renseignement et le cyber verront, eux aussi, leurs moyens considérablement augmentés dans cette LPM. Au delà de ces dépenses moins spectaculaires mais pourtant requises, la nouvelle Loi de programmation devra également servir de tampon avec les effets de l’inflation, en particulier sur les bénéfices que devait procurer la précédente LPM et que l’on sait avoir été divisés par 2 du fait du pic inflationniste de 2022 à 2024. A ce titre, l’inflation prévisible entre 2024 et 2030 va probablement, quant à elle, réduire de 30% les crédits supplémentaires alloués à cette LPM, avec une érosion plus forte en début de cycle. Enfin, il convient de remarquer que cette LPM, comme la précédente, souffre principalement, dans son application, des conséquences du sous-investissement critique des 2 précédentes décennies ayant créé un puissant décalage entre les besoins de renouvellement des équipements sur 10 ans, et le cycle de renouvellement classique de ces équipements sur 30 ans.

De fait, en dépit d’une progression exceptionnelle des crédits, la prochaine Loi de Programmation Militaire sera marquée par une nouvelle baisse des dotations de certains équipements majeurs, alors que les formats des armées, qui pourtant devraient croitre pour répondre au durcissement des tensions internationales, stagneront au moins jusqu’en 2030. Si appliquée jusqu’à son terme et dans son intégralité, cette LPM permettra probablement de rétablir les armées, dans leur format réduit, dans un cycle de modernisation cohérent, et absorber définitivement les dégâts liés aux décennies passées. En revanche, sauf à changer radicalement de paradigmes en terme de financement, d’acquisition et de durée de vie des équipements au sein des armées, il est impossible, aujourd’hui, de planifier une évolution sensible du format des Armées dans les années à venir, tout au moins sans dégrader lourdement les équilibres budgétaires déjà très relatifs en France. Il ne reste plus qu’à espérer que les compétiteurs et adversaires potentiels à venir de la France, auront la courtoisie d’attendre que nos armées se rétablissent pour déclencher une action hostile à notre encontre.

L’industrie de Défense est-elle le maillon faible de la posture militaire occidentale ?

Pour une majorité d’occidentaux, en Europe, en Asie et en Amérique du Nord, l’industrie de défense occidentale représente un atout considérable aux mains des militaires et des dirigeants. Cette perception s’est forgée à la fin des années 80 et au début des années 90, avec notamment la démonstration de force qu’a représenté la guerre du Golfe.

Les armées américaines, européennes et moyen-orientales, toutes équipées de matériels US ou européens, avaient, en effet, très nettement surclassé la 4ᵉ armée du monde, telle qu’elle était alors présentée, qui était majoritairement équipée de systèmes soviétiques avancés comme les avions Mig-25 et Mig-29, les systèmes anti-aériens SA-6, SA-8 et SA-5, ainsi que les chars T72 et véhicules de combat d’infanterie BMP1 et 2.

Avec l’effondrement de l’Union Soviétique et le difficile rétablissement russe, ce sentiment de supériorité technologique a conservé son statut absolu jusqu’au milieu des années 2010, lorsque la Russie d’un côté, la Chine de l’autre, commencèrent à en contester les fondements avec de nouveaux équipements comme les chasseurs J-10, J-16, J-20 ou Su-35, les chars T-14 et Type 99A, ou encore les frégates Type 054A et Admiral Gorshkov ainsi que les sous-marins Iassen ou Type 039C/G.

Pour autant, et malgré certaines alertes sévères comme dans le domaine des armes hypersoniques, la supériorité technologique et industrielle occidentale dans le domaine des armements ne fit pas débat jusqu’il y a quelques mois, lorsque la Russie entama son agression contre l’Ukraine.

Soudain, l’ensemble des pays occidentaux, Etats-Unis compris, prit conscience des limites de leurs propres industries de défense, et surtout de la manière dont celle-ci avait évolué et s’était adaptée aux contraintes budgétaires et à l’inconstance des programmes de défense ces 30 dernières années.

De fait, aujourd’hui, aux Etats-Unis comme en Europe, d’importants efforts sont entamés, ou demandés à l’industrie de défense, pour que cette dernière se réorganise, et retrouve la dynamique et le tempo qui étaient les siens dans les années 70 et 80.

On peut notamment le percevoir très nettement dans la nouvelle « Économie de Guerre » développée dans la Loi de Programmation française 2024-2030 qui vient d’être rendue publique, mais également dans le super programme Zeitenwende allemand, ou dans le nouveau budget 2024 en cours d’élaboration à Washington.

Au-delà des aspects purement budgétaires et programmatiques, on peut identifier trois axes majeurs d’évolution visés par les planificateurs occidentaux pour leur industrie de défense. Le premier de ces aspects repose sur l’augmentation ou l’accélération des cadences de production, ainsi que la sécurisation de ces capacités productives, de sorte à en garantir le fonctionnement quelles que soient les évolutions du contexte international.

Le second volet requiert une évolution plus profonde de la stratégie industrielle actuellement appliquée, de sorte à produire des équipements moins contraints, mais également d’adapter la doctrine industrielle aux nouvelles relations internationales tendues.

Le troisième et dernier impératif demande aux industriels de retrouver la dynamique d’innovation qui était la leur dans les années 70 et 80, au-delà des seuls programmes d’état. Dans cet article, nous étudierons chacun de ces aspects tant en matière de perspectives que de contraintes et d’applicabilités.

Accroitre et durcir la production industrielle de défense

Il y a quelques jours, à l’occasion d’un panel de discussions dans le cadre de la conférence Navy League’s Sea Air Space, le Lieutenant Général Michael Schmidt, en charge du programme F-35 pour le Pentagone, dressait un tableau inquiétant quant à la vulnérabilité de la chaine de production de l’appareil, aux Etats-Unis comme ailleurs.

En effet, pour répondre aux exigences de couts et notamment de prix de vente imposés par les autorités US, les industriels du programme ont conçu une chaine de production excessivement dynamique et en flux tendus, de sorte à réduire au maximum les couts et contraintes de stocks.

En outre, pour répondre au caractère international du programme Joint Strike Fighter, la production industrielle de composants a été distribuée dans de nombreux sites et pays. La conjonction de ces deux facteurs a engendré une capacité de production excessivement vulnérable, en particulier dans l’hypothèse de nouveaux conflits de haute intensité.

La chaine est, en effet, tout à la fois très exposée à des ruptures d’approvisionnement critiques, mais également incapable d’augmenter rapidement, au besoin, les cadences de production pour compenser une éventuelle attrition importante.

L Industrie de defense occidentale privilégie aujourd'hui la recherche et le développement à la production

L’exemple du F-35 est emblématique des évolutions auxquelles les industriels de défense ont dû procéder ces 30 dernières années, pour répondre à des ambitions technologiques croissantes, dans un contexte budgétaire très contraint.

Dans ce domaine, les industries de défense ne sont pas davantage exposées que l’immense majorité des autres activités industrielles, elles aussi vulnérables à des facteurs exogènes, comme on a pu le voir lors de la crise Covid et au travers de la pénurie de composants électroniques.

Malheureusement, elle ne l’est pas moins non plus, alors même que cette industrie est précisément en devoir de soutenir les armées en situation de crise. Dans ce contexte, il est donc indispensable, désormais, de permettre aux capacités productives d’évoluer et d’augmenter au besoin, et ce, de manière structurelle, donc planifiée et anticipée.

On a notamment pu voir l’expression de ce besoin dans l’augmentation des cadences de production de systèmes d’artillerie CAESAR du français Nexter, passées en quelques mois de 2 systèmes par mois, à 6 systèmes aujourd’hui, avec l’objectif d’atteindre, au besoin, 8 à 10 systèmes par mois.

Cela suppose également, outre l’adaptation de l’outil industriel final, de durcir et d’adapter l’ensemble de la chaine de sous-traitance, une composante critique et pourtant souvent très mal connue de l’activité industrielle de défense, cet aspect étant probablement le plus délicat à mettre en œuvre, tant la Supply Chain est hétérogène et éclatée, voire parfois mal traitée historiquement par certains industriels.

Enfin, la stratégie industrielle de flux tendus devra être tout simplement abandonnée, les industriels comme leurs sous-traitants devant dimensionner leurs stocks de matières premières comme de composants exogènes.

L’objectif est de répondre à un cahier des charges précis, anticipant simultanément une rupture des approvisionnements et une hausse sensible des cadences de production, sur une durée de temps suffisamment longue pour soit prendre l’avantage militaire (et cela peut être long comme l’a montré la guerre en Ukraine), soit rétablir les flux d’approvisionnement.

Bien évidemment, une telle évolution nécessitera du temps et d’importants investissements pour être mise en œuvre, ce qui se ressentira immanquablement dans les prix des équipements eux-mêmes.

Une organisation industrielle plus dynamique et moins contrainte

Pour s’adapter aux investissements faméliques en matière d’équipement de défense de 1992 et la fin de la Guerre Froide, et la seconde moitié des années 2010 et la prise de conscience de la dynamique de menaces à l’œuvre, les industriels de défense ont dû faire évoluer leur propre stratégie industrielle, comme les Armées et les Agences nationales d’Armement, en Europe plus particulièrement.

C’est ainsi que d’une stratégie basée sur une grande réactivité et sur une production soutenue, les industriels se sont tournés vers une activité basée avant tout sur la captation des crédits de recherche et de développement, et sur une capacité de production réduite si pas marginale.

Les dérives de la production industrielle défense depuis 1990

Ainsi, des entreprises, qui jusque-là avaient 60 à 70 % de leurs effectifs dédiés à la production industrielle, et 15 à 20 % à la recherche et l’étude, ont considérablement fait croitre leurs capacités d’étude, et dégradé leurs capacités industrielles, se reposant au besoin sur des prestataires de services pour répondre à des variations d’activité de production.

Cette évolution a également touché les armées dans leurs propres expressions de besoins, les volumes d’équipement étant presque systématiquement revus à la baisse. Pour palier cette contrainte, les militaires ont progressivement glissé vers un excès de spécifications ou d’ambition dans leurs programmes, de sorte qu’aujourd’hui, la production d’un armement représente souvent moins de 65 % du cout total du programme, contre 80 à 85 % dans les années 80.

Cette dérive autoentretenue, tant par les industriels que les militaires, a conduit à certains échecs industriels majeurs, notamment outre atlantique avec le programme Ground Combat Vehicle de l’US Army qui consomma 20 Md$ de crédits de recherche sans produire le moindre véhicule de combat d’infanterie alors que les M2 Bradley prenaient de l’âge, ou le programme de l’US Navy des Littoral Combat Ships, des corvettes censées être d’une grande versatilité opérationnelle par leur conception modulaire avancée, ayant abouti à des navires dont la Marine américaine ne sait plus vraiment quoi faire.

Une autre dérive consécutive de cet aspect se caractérise dans une certaine forme de prédation budgétaire des grandes entreprises de défense, en Europe comme outre-Atlantique, de sorte que ces dernières en sont venues à davantage gérer la rente, qu’à developper leur propre activité.

Ce point peut être illustré dans le domaine des drones en France, un secteur qui aurait certainement permis l’émergence d’un nouvel acteur majeur au sein des grandes industries de défense nationale, prenant sa source dans une PME/PMI agile particulièrement adaptée à ce secteur très dynamique.

Au contraire, le système de drones de reconnaissance de l’Armée de Terre a été confié à Safran, une entreprise qui réalise déjà presque 20 Md€ de chiffre d’affaires dans son activité traditionnelle de conception et production de moteurs aéronautique, alors que les deux programmes de munitions rôdeuses de l’Agence Innovation de Défense ont été confiés à MBDA et Nexter.

Il sera évidemment difficile aux industries de défense comme aux Armées de revenir à une organisation plus dynamique et moins contrainte des programmes industriels de défense. Cela suppose de donner aux Armées les moyens de s’équiper dans une programmation dimensionnée et suffisamment ferme pour rompre avec le besoin de sur-spécification.

En outre, il conviendra d’amener les industriels à retrouver une structure fondée sur la production industrielle, y compris dans l’organisation de la marge opérationnelle. Cela suppose un engagement ferme du ou des clients sur un volume productif justifiant d’une structure industrielle dimensionnée, mais également une plus grande souplesse dans l’exécution de la programmation militaire, de sorte à pouvoir se saisir d’opportunités, qu’il s’agisse de coopération ou de technologies.

Recréer une dynamique technologique industrielle

Dans les années 60, l’Armée de l’Air française engagea le développement de deux avions de combat, le Mirage III V Balzac, un chasseur moyen à décollage et atterrissage vertical ou court capable d’atteindre Mach 2, et le Mirage G, un chasseur lourd bimoteur à géométrie variable.

Dassault, de son côté, commença à developper une variation du Mirage III dotée d’une aile en flèche à partir de 1964, l’avionneur, qui pourtant développait les deux appareils pour l’Armée de l’Air, jugeant que ces chasseurs seraient trop complexes, trop lourds et trop chers pour le marché international.

Cette étude donnera naissance d’abord aux Mirage F2 et F3, puis au plus léger Mirage F1 qui deviendra le chasseur intercepteur de l’Armée de l’Air à partir de 1973, et acheté par 11 autres forces aériennes, dont l’Espagne et la Grèce en Europe.

Cette dynamique d’innovation n’avait rien de surprenant dans les années 60 ou 70, en particulier en France, les industriels développants régulièrement, sur fonds propres, des équipements innovants qu’ils soumettaient à leurs armées de tutelle, ou sur le marché international. Ce point fut notamment abordé la rencontre organisée à l’Élysée par le Président Macron avec les grandes industries de défense française le 28 mars.

Là encore, les contraintes budgétaires et programmatiques des années 90, 2000 et 2010, ont eu des conséquences importantes sur cette dynamique, tant du côté des industriels, bien moins enclins à developper des équipements sur fonds propres, que de celui des armées, très rétives à s’équiper d’un équipement non sollicité et planifié, même en soutien de l’industrie nationale.

Ce fut le cas, par exemple, du Patrouilleur l’Adroit, construit sur fonds propres tel un démonstrateur de la nouvelle gamme d’OPV Gowind par Naval Group, et mis en œuvre sous contrainte quelques années par la Marine nationale, avant qu’il soit vendu à l’Argentine.

Plus récemment, le très innovant véhicule blindé léger Scarabée d’Arquus, qui pourtant propose des capacités pertinentes, notamment pour les forces spéciales ou les éléments projetés, ne parvint pas à convaincre l’Armée de terre d’en acquérir une flotte réduite, ce qui aurait probablement mis le pied à l’étrier du blindé sur la scène internationale.

Et que dire des sous-marins Scorpène et des corvettes Gowind, deux des piliers des exportations navales françaises, qui mériteraient tous deux une prochaine génération, mais dont la Marine nationale ne veut pas ?

L’inverse existe toutefois. Ainsi, en Turquie, l’immense majorité des nouveaux équipements produits par cette jeune industrie de défense, est acquise en petite quantité par les Armées Turques, de sorte à en évaluer les performances, à soutenir les exportations, et surtout à soutenir la dynamique d’innovation industrielle, avec le succès que l’on connait désormais.

Ainsi, le célèbre drone MALE léger TB2 Bayraktar n’avait été commandé qu’à une dizaine d’exemplaires par les Armées turques, avant qu’il ne fasse ses preuves lors de la seconde guerre du Haut-Karabakh, et qu’il rencontre un immense succès international. Il en va de même pour de nombreux équipements, qu’il s’agisse de drones aériens, navals ou sous-marins, mais également de blindés, de munition et de systèmes de détection.

Le même soutien fut observé lorsque Berlin proposa à Oslo de cofinancer le développement du sous-marin Type 212CD et d’en acquérir deux exemplaires si la Norvège choisissait TKMS pour la construction des quatre submersibles devant remplacer les six navires de la classe Ula.

De fait, pour amener les industriels à retrouver la voie de l’innovation et des développements sur fonds propres, il sera avant tout indispensable de convaincre les Armées de s’équiper d’un certain nombre de ces équipements ainsi développés, tant pour les tester que pour en promouvoir l’image sur la scène internationale.

Conclusion

On le voit, les évolutions nécessaires pour effectivement atteindre une industrie répondant au qualificatif « d’économie de guerre » souvent employé par le Président et le ministre des Armées français, de très importants efforts devront être déployés, tant de la part des industriels que des Militaires, et par voie de conséquences, par les responsables politiques de tutelle.

Cette transformation nécessitera non seulement des évolutions sensibles de l’outil productif, mis également de l’organisation profonde des industries, et d’une certaine manière, de la culture industrielle défense elle-même. De la même manière, les Armées devront, elles aussi, prendre leur part de l’effort à produire, que ce soit dans la conduite des programmes comme dans un soutien bien plus poussé aux industriels dans la mise en œuvre de leurs équipements innovants.

Il s’agit donc, pour y parvenir, de trouver un nouvel équilibre, radicalement différent de celui qui émergea des difficultés rencontrées ces 30 dernières années. Car si la plupart des industries et des armées occidentales partagent les mêmes difficultés dans ce domaine, ce n’est pas le cas d’autres acteurs, notamment la Chine, qui a déjà dimensionné et organisé son appareil industriel défense en prenant précisément compte de ces contraintes auxquelles les occidentaux font face aujourd’hui.

Le Rafale sera-t-il l’héritier du Mirage III pour l’avenir de l’industrie aéronautique française ?

Rapide, agile, puissant et bien armé, l’ancêtre du Rafale, le Mirage III est incontestablement une légende de l’aviation militaire de chasse dans le monde. Aux mains des pilotes israéliens, le chasseur monomoteur à aile delta de Dassault Aviation s’imposa contre les Mig et les Hunter arabes durant les guerres des six jours et du Kippour.

Il joua un rôle décisif dans la victoire de l’État hébreu lors de ces deux conflits, parant l’avion d’une aura d’efficacité et de performances qui construisit son succès à l’exportation avec 1400 appareils construits (Mirage III et V), et qui imposa les chasseurs de Dassault Aviation sur le marché internationale pendant plusieurs décennies.

Le Mirage III/V fut ainsi exporté dans 13 pays, son successeur le Mirage F1 dans 10 pays, et le Mirage 2000 dans 8 pays. Chacun de ces appareils conservait les atouts clés du Mirage III, à savoir des performances élevées pour un appareil compact et économique à l’achat et à la mise en œuvre face à la majorité des appareils américains, comme le F-100 Super Sabre et le F-104 Starfighter pour le Mirage III, au F-4 Phantom II pour le Mirage F1.

Le Mirage 2000 s’est, lui, confronté au Tornado, F-15 et F-18 pour le 2000, même si ces deux derniers ont souffert de l’arrivée du F-16 Falcon américain, précisément conçu comme un chasseur léger et économique à l’instar des chasseurs français, et non dans la tendance traditionnelle anglo-saxonne.

Avec le Rafale, Dassault Aviation prit un risque important, en visant non pas son domaine de prédilection, les chasseurs monomoteurs à hautes performances, mais un chasseur bimoteur polyvalent, domaine dans lequel américains et britanniques s’étaient imposés en occident depuis plusieurs décennies, avec le F-4 Phantom puis le F-14, F-15, Tornado et le F-18, et alors qu’ils développaient de nouveaux modèles de ce type avec le Typhoon du consortium Eurofighter, le F-22 de Lockheed-Martin et le F/A-18 E/F Super Hornet de Boeing.

Après près de deux décennies de vaches maigres marquées par des échecs retentissants à l’exportation face au F-16 (Maroc), au F-35 (Pays-Bas, Danemark) et même au Gripen Suédois (Brésil), le Rafale parvint finalement à convaincre ses trois premiers clients l’exportation en 2015, l’Égypte pour 24 appareils, le Qatar pour 24 appareils (+12 options levées en 2017), et l’Inde avec 36 appareils.

Mais la véritable consécration pour le Rafale vint en 2021, lorsque la Grèce (18+ 6 appareils), la Croatie (12 appareils), l’Égypte (30 appareils) et les Émirats arabes unis (80 appareils) annoncèrent leurs commandes, suivis en 2022 par l’Indonésie (42 appareils), faisant du chasseur français le plus grand succès à l’exportation de sa génération, dépassant de loin les Typhoon, Super Hornet, Eagle II et Su-35, et transformant ce qui était longtemps perçu, même en France, comme un couteux échec, en une véritable succès international.

D’autres pays sont en négociation avec Dassault Aviation pour de nouvelles commandes, même si le constructeur français a appris de ces échecs, et reste particulièrement discret sur le sujet.

Le Mirage III a forgé l’image et le succès de l’industrie aéronautique de défense française pour plusieurs décennies

Ainsi, le Rafale est considéré comme très bien placé dans la compétition qui l’oppose au Super Hornet pour équiper les porte-avions indiens, d’autant que l’avenir du second est désormais scellé avec l’annulation de la commande allemande et le refus de l’US Navy de commander de nouveaux appareils en 2023. (Maj 11/23: le 14 juillet 2023, le Ministère de la défense indien a annoncé qu’il avait sélectionné le Rafale M et entrait en négociation exclusive avec Dassault)


Dans le même temps, une nouvelle commande de l’Indian Air Force serait en discussion, alors que le Rafale est également considéré comme un très sérieux prétendant pour le super contrat MMRCA 2 portant sur 114 appareils.

La Grèce comme l’Égypte ont aussi laissé entendre qu’une nouvelle commande de Rafale pourrait intervenir à l’avenir, d’autant que les performances annoncées du Rafale F4 et les anticipations quant aux capacités du standard F5 intéressent précisément ces pays.

Le Qatar doit lui aussi arbitrer quant à l’option restante portant sur 24 appareils, alors que l’Irak semble intéressée par l’avion français dans le cadre de la modernisation de ses forces aériennes. Le chasseur français est enfin proposé à d’autres pays de manière plus ou moins appuyée, alors que dans un article publié ce jour, le très bien informé Michel Cabirol laisse entendre que la Serbie s’intéresserait au Rafale pour remplacer ses appareils d’origine soviétique par 12 avions français.

Il faut dire que la frontière entre un chasseur dit « léger’ comme le F-16, le Mirage 2000 ou le J-10C chinois, et le Rafale, tend à devenir de plus en plus floue. En effet, si le F-16 affichait initialement une masse maximale au décollage de 17 tonnes pour une masse à vide inférieure à 8 tonnes, sa dernière version atteint presque les 9 tonnes à vide et une masse maximale de plus de 19 tonnes, là où le Rafale affiche seulement 9,8 tonnes à vide sur la balance pour 25 tonnes au maximum au décollage.

Cette frontière est également de moins en moins nette en termes de couts d’acquisition et de couts de maintenance, le F-16 Block 70+ étant proposé en condition de vol à 70 m$, 10% de moins seulement que le Rafale, et que son prix à l’heure de vol évolue désormais dans la même fourchette que celle de l’avion français.

Face au F-35, un chasseur monomoteur, mais considéré comme appartenant à la gamme des chasseurs moyens, le Rafale serait proche à l’achat en matière de prix, et 35% moins cher à l’heure de vol, et ce, en considérant les valeurs les plus basses fournies par l’US Air Force (24 k$/hdv vs 16 k$ pour le Rafale).

Même les appareils visant précisément ce segment, comme le KF-21 Boramae sud-coréen ou le TFX turc, et présentés comme le successeur du F-16 par ces pays, afficheront des masses à vide au moins égales à celle du Rafale, pour une masse max au décollage inférieure.

Le F-16 Block 70+ Viper affiche une masse et des couts proches de ceux du Rafale, en dépit de performances moindres et d’une configuration monomoteur

De fait, loin de représenter, comme c’est parfois le cas, un appareil d’ancienne génération, le Rafale pourrait bien, dans les années à venir, trouver un second souffle sur le marché de l’exportation, sur un positionnement différent de celui sur lequel il évolue aujourd’hui, ouvrant de nouvelles opportunités jusqu’ici considérées comme chasse gardée des chasseurs ‘légers » comme le F-16, et ainsi jouer le même rôle que fut celui du Mirage III pour repositionner l’industrie aéronautique française sur le marché international pour plusieurs décennies.

Plus que jamais, et comme abordé dans l’article « Inde, Indonésie : Doit-on changer les paradigmes du programme Rafale pour anticiper les succès futurs ?« , les changements de paradigmes industriels qui président au devenir du programme Rafale s’avéreraient pertinents pour accompagner ce nouveau positionnement, et optimiser les chances de succès dans les années à venir sur la scène internationale.

Dans ce domaine, l’augmentation des engagements de commande à destination des forces aériennes et aéronavales françaises, mais également le développement d’une version dédiée à la Guerre Électronique et la Suppression des défenses anti-aériennes de l’adversaire, constitueraient incontestablement le socle sur lequel une nouvelle stratégie commerciale et industrielle du programme pourrait être construite, pour objectif final de préparer l’avenir en fidélisant le plus grand nombre possible de forces aériennes à l’industrie aéronautique française.

Reste bien évidemment la question quant à l’opportunité de developper, conjointement au programme SCAF qui vise à developper un remplaçant au Rafale et au Typhoon, un nouvel appareil monomoteur se voulant le successeur du Mirage 2000.

Le sujet a été plusieurs fois abordé dans nos articles, mettant en avant l’intérêt de developper une alternative économique et européenne au F-35, comme de palier le calendrier du programme SCAF qui ne vise à remplacer les Rafale qu’à partir de 2040.

Force est de constater qu’aujourd’hui, le seul programme moderne visant ce segment est le Su-75 Checkmate russe dont l’avenir est encore loin d’être garanti, alors que l’hypothèse d’une version monomoteur du NGAD américain semble, elle aussi, s’éloigner.

En outre, l’analyse de la guerre en Ukraine montre que les missions de chasse pure, comme celles d’appui aérien rapproché, tendent à devenir des plus rares eu égard à l’omniprésence de la defense anti-aérienne.

De fait, les missions aériennes se composent essentiellement de pénétrations à très basse altitude et à haute vitesse, de frappes à longue distance employant des munitions de précision, et l’utilisation de plus en plus massive de drones au-dessus des espaces contestés, seuls capables d’évoluer face aux defense anti-aériennes adverses.

Le segment, jusqu’ici confié aux chasseurs monomoteurs comme le F-16, le Mirage 2000 ou le J-10C, va probablement évoluer vers l’utilisation de drones de combat plus adaptés et moins onéreux pour ce type de missions.

En d’autres termes, le spectre des missions des chasseurs légers, qui plus est monomoteurs, tend à évoluer vers une composante non pilotée, alors que le reste des missions est pour sa part confiée à des appareils plus lourds, dotés d’une plus importante capacité d’emport et d’une grande autonomie, permettant d’être mis en œuvre à partir de terrains distants au-delà des possibilités de frappe adverse.

En outre, la pénétration très basse altitude et haute vitesse requiert une configuration bimoteur pour palier le risque d’ingestion de volatile ou d’autres corps étrangers, mais également pour mieux résister aux tirs d’armes légères, alors qu’une plus grande capacité d’emport et une plus grande autonomie bénéficient également d’une telle configuration bimoteurs, le F-35 étant un parfait exemple des limites de l’exercice dans ce domaine.

De fait, même si le concept de chasseur monomoteur de 5ᵉ génération pouvait apparaitre séduisante il y a encore quelques mois, elle l’est désormais beaucoup moins, tant du point de vue opérationnel que commercial, d’autant que le Rafale tend naturellement à évoluer vers cette classification.

Et le développement d’une solution étoffée de drones de combat lourds, moyens et légers, aéroportés ou à longue endurance, associé à celui d’une version spécialisée du Rafale en matière de Guerre Électronique, enrichirait bien davantage le panel d’options opérationnelles des forces aériennes et aéronavales françaises, comme celui de leurs clients existants et à venir.

Les Pays-bas se tournent vers les Etats-Unis et Israel pour se doter de capacités de frappe à longue portée

Depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine, les Pays-bas ont été l’un des pays européens ayant le plus fait évoluer sa posture défense. Dès le mois de Mai 2022, Amsterdam annonçait une hausse de 5 md€ de ses investissements de défense, soit une croissance de 40%, pour atteindre dès 2024 un effort de défense supérieur à 2% du PIB du pays, là ou il n’était que de 1,41% en 2021, et qu‘il était envisagé en 2020 de décrocher de l’objectif de défense OTAN. Deux mois plus tard, en juillet, les autorités néerlandaises publiaient un nouveau Livre Blanc très ambitieux, prévoyant outre la hausse de l’effort de défense, la modernisation de l’ensemble des blindés des forces terrestres, un important effort pour se doter d’une défense anti-aérienne terrestre et navale renforcée, la mise en oeuvre d’un troisième escadron de chasse équipé de F-35A, ainsi que l’acquisition de capacités de frappes à longue portée pour les 3 armées. C’est pour répondre à cette dernière ambition que les autorités néerlandaises ont annoncé un ambitieux plan d’acquisition il y a quelques jours.

Ainsi, après l’Allemagne, la Finlande et la Pologne, les forces aériennes néerlandaises ont annoncé qu’elles se douteraient, elles aussi, du missile JASSM-ER pour armer leurs F-35A. D’une portée de 1000 km, ce missile de croisière aéroporté d’une tonne pour 4,23 mètres de long, évolue en vitesse subsonique à très basse altitude. Il dispose par ailleurs d’une faible surface équivalente radar et d’un rayonnement infrarouge réduit le rendant difficile à détecter, et donc à contrer. Le missile emporte, en outre, une charge militaire WDU-42/B de 450 kg conçue pour pénétrer et détruire les cibles fortement durcies. Il dispose enfin d’un autodirecteur infrarouge intelligent et d’une liaison de données, de sorte à en renforcer la précision terminale et l’évaluation de l’efficacité, même en cas de brouillage électromagnétique. Il est par ailleurs relativement économique, avec un prix unitaire légèrement supérieur au million de $ en données publiques.

Le JASSM-ER dispose d’un autodirecteur infrarouge final pour en accroitre la précision

Amsterdam a par ailleurs annoncé son intention d’équiper les quatre frégates de la classe De Zeven Provinciën, mais également les 4 sous-marins d’attaque de la Marine royale néerlandaise de missiles de croisière RGM/UGM-109E Tomahawk Land Attack Missile (TLAM-E Block IV), ultime version et seule variante encore en production du Tomahawk. D’une portée de plus de 1.600 km, le Tomahawk emporte, à vitesse subsonique et basse altitude comme il se doit, une charge militaire de 1000 livres, ou 450 Kg. Il prend place à bord des navires de surface dans les silos du système VLS Mk41 qui équipent les 4 frégates néerlandaises, ou peut être lancé par l’intermédiaire d’une capsule à changement de milieux par les tubes lance-torpilles standard de 21 pouces (533 mm) qui arment la plupart des sous-marins de l’OTAN. En plus de l’US Navy, le TLAM est également à ce jour en service au sein des forces navales britanniques, et doit prochainement équiper les nouveaux destroyers et sous-marins australiens, canadiens et nippons.

Au-delà de ces deux nouvelles capacités déjà fort impressionnantes pour des forces armées néerlandaises longtemps considérées comme de second rang, les autorités du pays vont également massivement doter leur Armée de terre de capacités de frappe à longue portée. Il y a quelques semaines, le Foreign Military Sales américain avait ainsi autorisé l’exportation de 20 systèmes HIMARS vers les Pays-bas pour 670 millions de $. Mais il semble qu’Amsterdam ait obtenu une bien meilleure proposition de la part de l’israélien Elbit au sujet d’un nombre équivalent de systèmes Précise and Universal Launching System ou PULS. A l’instar de l’HIMARS, le Puls est un système versatile capable de mettre en oeuvre plusieurs types de munition, allant de l’Accular 122 de 122mm (calibre du GRAD russe) d’une portée de 35km à guidage GPS embarqué à 2×20 unités, au missile balistique Delilah de 330 mm équivalent de l’ATACMS avec une portée de 250 km et une précision de 1 mètre, mais ne pouvant être embarqué qu’à raison de 2 unités par système. Le Danemark avait déjà signifié son intention d’acquérir 8 systèmes PULS lors de l’annonce de l’acquisition de 19 canons embarqués ATMOS 2000 du même constructeur en janvier 2023.

Le PULS peut mettre en oeuvre 2×4 roquettes EXTRA de 306mm d’une portée de 150 km avec une navigation inertielle et GPS lui conférant une précision de moins de 10 mètres.

Avec ces nouveaux équipements, les armées néerlandaises vont, pour ainsi dire, changer de stature, rejoignant le club, il est vrai de moins en moins restreint, des forces armées disposant de telles capacités de frappes dans la profondeur de l’adversaire. On peut naturellement regretter qu’une fois encore, un pays européen préfère se tourner vers des systèmes américains ou israéliens pour cela. Toutefois, il est important de rappeler que le seul missile de croisière naval produit en Europe, le MdCN français, ne peut être mis en oeuvre qu’à partir de systèmes de lancement verticaux SYLVER 70 spécifiques à cette fonction, dont les frégates hollandaises ne sont pas dotées. En outre, il n’existe aucune alternative européenne au système lance-roquettes mobiles HIMARS ou PULS. Enfin, ni le missile de croisière SCALP-EG franco-britannique, ni le Taurus allemand, ne sont qualifiés sur F-35A.

En tout état de cause, Amsterdam n’avait guère d’alternatives européennes à évaluer dans ces 3 domaines. Reste qu’en ouvrant les vannes au sujet de l’exportation des missiles de croisière Tomahawk et JASSM-ER, Washington neutralise très efficacement l’un des arguments de l’industrie de défense française sur la scène européenne, à savoir les missiles MdCN et SLAP-EG, tant pour promouvoir le Rafale que les frégates et sous-marins français. Toutefois, la multiplication des armées dotées de ces capacités créera sans le moindre doute une plus grande appétence pour ce type de systèmes pour des armées vers lesquelles les Etats-Unis ne souhaitent pas exporter de telles technologies. Dès lors …

Le français Nexter vise l’acquisition du grec ELVO pour le remplacement du segment médian de l’Armée de Terre hellénique

En bien des aspects, les forces armées grecques sont les plus admirables du vieux continent. Avec un budget annuel de 8 Md€, le pays tient la plus haute marche du podium en matière d’effort de défense, avec 3,6 % de son PIB. En outre, malgré ce budget limité, les armées grecques parviennent à aligner une force considérable avec 142.000 militaires et conscrits sous les drapeaux, ainsi que 220.000 réservistes actifs, et plus de 2 millions de soldats mobilisables sur une population de 10,6 millions d’habitants. Contrairement à une majorité de pays européens, en particulier en Europe de l’Ouest, les questions de défense sont par ailleurs au coeurs de préoccupation de l’opinion publique y compris lors des élections, faisant de la défense du pays une réelle cause nationale pour une majorité des grecs.

Il faut dire que contrairement aux européens qui ont redécouvert il y a un an le sentiment d’insécurité que procure un voisin belliqueux et agressif, les grecs vivent depuis plusieurs décennies sous la menace d’une armée turque de plus en plus puissante, menaces largement accentuées depuis l’arrivée au pouvoir du président R.T Erdogan qui n’a eu de cesse, depuis 2003 lorsqu’il prit la position de premier ministre, d’attiser les tensions avec son voisin, que ce soit au sujet de Chypre, des iles de la Mer Egée ou depuis quelques années, de l’exploitation des ressources de la Zone économique exclusive grecque. Et de puissance, les armées turques n’en manquent pas, avec un budget deux fois plus important qu’Athènes, 425.000 militaires en activité mais également 2.200 chars, 10.000 véhicules blindés, 350 avions de combat, 12 sous-marins ainsi que 23 frégates et corvettes. En outre, Ankara a considérablement investi ces 20 dernières années dans le développement de son industrie de défense, lui permettant de rapidement moderniser ses 3 composantes.

Les armées grecques vont moderniser 123 de leurs Leopard 2A4 vers le standard A7

C’est précisément cette modernisation rapide qui inquiète Athènes, d’autant que les deux pays étant membres de l’OTAN, ils ne peuvent évoquer l’article 5 de l’Alliance pour faire face à une agression de l’un par l’autre. Ces dernières années, les autorités grecques ont produit d’importants efforts pour moderniser les forces navales et aériennes du pays, avec l’acquisition de 24 avions de combat Rafale, de 4 sous-marins Type 214, ainsi que de 3 frégates FDI pour ne citer que les programmes les plus importants. Dans le domaine terrestre, les forces helléniques ont entrepris la modernisation de leur composante lourde, notamment de 123 de ses Leopard 2A4 qui sont portés au standard A7, l’acquisition de 40 VCI Marder, ainsi que des négociations en cours pour remplacer les BMP-1A encore en service par 300 M1A2 d’occasion, ainsi que par 170 à 205 KF41 Lynx de Rheinmetall. Mais le gros de l’effort de modernisation de cette armée reste à venir, avec pas moins de 2500 blindés du segment médian arrivant au terme de leur vie opérationnelle dans les années à venir. C’est précisément pour cette raison que le français Nexter serait en négociation avec les actionnaires israéliens du constructeur grec de véhicules blindés ELVO.

Si ELVO a connu son heure de gloire au début des années 80 en produisant le transport de troupe blindé Leonidas, dérivé du Saurer 4K 4FA, puis de son évolution Leonidas 2 pour 700 véhicules mis en oeuvre par les armées grecques, chypriotes et macédoniennes, le groupe a depuis connu des temps très difficiles liés à l’annulation du Leonidas-3 et de l’échec du Kentaurus, un véhicule de combat d’infanterie conçu dans les années 90 pour remplacer les BMP grecs. En 2020, le constructeur emblématique dans le pays, était racheté par deux entreprises israéliennes promettant un plan d’investissement de 100 m$ pour relancer l’activité. Après 3 ans, ce plan n’a jamais été mis en oeuvre, et ELVO est désormais une entreprise moribonde, avec seulement une vingtaine d’employés, un chiffre d’affaire en chute libre principalement basé sur de l’activité de ferraillage et des pertes de plus en plus importantes.

Le véhicule de combat d’infanterie Kentaurus (centaure) a été entièrement conçu par ELVO. D’une masse de 20 tonnes au combat, il était armé d’un canon de 20 ou de 30 mm, et pouvait transporter 8 hommes en arme sur 500 km.

Si, industriellement, ELVO est en de nombreux aspects, une coquille vide si ce n’est pour son infrastructure, elle demeure, aux yeux des grecs eux-mêmes, une marque de référence de la BITD nationale. C’est dans ce contexte que Nexter, qui vise depuis plusieurs années le marché stratégique du segment blindé médian des armées grecques, a entrepris, selon la presse hellénique, de négocier le rachat des 47,6% de l’entreprise détenus par l’israélien Plasan, ainsi que les 4,8% de l’entreprise toujours détenus par l’homme d’affaire grec ayant permis le rachat israélien de l’entreprise en 2020, de sorte à obtenir la majorité de contrôle de l’entreprise. En outre, toujours selon la presse hellénique, Nexter négocierait également le rachat des actions restantes au groupe israélien NASKA Industries – SK Group, et ainsi détenir l’ensemble des rênes. Eu égard à la situation catastrophique d’ELVO aujourd’hui, on peut penser que les investisseurs israéliens seront intéressés par une telle hypothèse de sortie.

Pour Nexter, il s’agit d’un mouvement stratégique, pour marquer encore davantage le partenariat franco-grec en matière de défense. L’Industriel français dispose en effet d’une gamme parfaitement adaptée aux besoins de l’Armée de terre hellénique, comme les VBMR Griffon et Serval, l’EBRC Jaguar mais également le canon CAESAR ou encore le véhicule de combat d’infanterie VBCI. Très modernes, ces blindés offrent une grande valeur ajoutée en matière de combat infocentré, de sorte à neutraliser la modernisation en cours des forces armées turques. Légers et très mobiles, ils répondent en outre aux contraintes d’emploi des armées grecques, qui doivent à la fois faire potentiellement face à une poussée mécanisée en Thrace orientale, ou à des assauts amphibies ou aéroportés sur les iles de la Mer Egée, sans oublier le théâtre chypriote. Surtout, les blindés médians français ont un avantage critique, ils sont bon marchés, le Griffon coutant à peine un peu plus de 1,5 m€, le Jaguar et le Caesar entre 5 et 6 m€, et le VBCI entre 3,5 et 5 m€ selon sa configuration.

Les blindés du segment médian appartenant au programme SCORPION constitue une plate-forme offrant un excellent rapport performances-prix pour les armées helléniques.

La main d’oeuvre grecque étant environ 50% moins onéreuse que la française, ces couts pourraient être même revus à la baisse, en fonction de la part de production locale qui serait éventuellement négociée, tout en assurant à l’état grec un retour budgétaire significatif sur son investissement de sorte à en accroitre la soutenabilité, un critère critique pour une armée sous fortes contraintes aussi bien opérationnelles que budgétaires. Reste à voir, désormais, si les négociations entre Nexter et les propriétaires israéliens aboutiront, et comment l’industriel grec sera effectivement transformé par le groupe français en amont de l’éventuelle signature d’une commande pour le segment médian, ce qui déterminera très probablement la perception publique autour de cette acquisition.

Les forces d’autodéfense nippones réorganisent leurs acquisitions pour anticiper l’arrivée massive des drones

Faisant face simultanément à une hausse des menaces et une baisse des ressources humaines mobilisables, les forces d’autodéfense nippones ont engagé une profonde transformation de leurs programmes d’équipements à venir, pour se tourner vers des drones et solutions robotisées partout ou cela sera possible.

Le durcissement rapide et massif des menaces chinoises et nord-coréennes sur la péninsule japonaise a amené les autorités nippones à entamer de profondes évolutions en matière de défense.

Au-delà d’un Livre Blanc en rupture avec la tradition japonaise en la matière, et de l’ambition désormais assumée de porter l’effort de défense de 1 à 2% du PIB, soit deux fois le budget de la France à effort identique, Tokyo a également annoncé de nombreux programmes reposant sur l’utilisation massive de capacités de frappe à longue portée, mais également de nombreux drones en lieu et place de systèmes employant la ressource la plus difficile à mobiliser sur l’archipel, les ressources humaines.

Si jusqu’à présent, les annonces étaient essentiellement qualitatives, portant sur des ambitions à terme et sur les programmes de développement ou d’acquisition nécessaires pour y parvenir, l’Agence des Acquisitions, de la technologie et de la Logistique japonaise vient de publier un rapport mettant à jour les ambitions de ses programmes en cours, ce qui offre une vision plus concrète non seulement des ambitions, mais également du calendrier visé par Tokyo.

Dans ce nouveau rapport, le nombre des avions de patrouille maritime Kawasaki P-1 est ainsi ramené de 70 à 61 appareils, alors que fin février, les forces d’autodéfense navales nippones ont annoncé qu’elles entendaient se tourner vers le MQ-9B SeaGuardian de General Atomics pour assurer une partie des missions de surveillance et de patrouille maritime, y compris dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.

Spécialement conçu pour assurer ce type de missions, le SeaGuardian, une évolution du MQ-9 Reaper, peut transporter 40 bouées acoustiques de grande taille, ou 80 bouées aux dimensions réduites, et emporte un puissant radar Leonardo Seaspray AESA à synthèse d’ouverture inversée, lui conférant d’excellentes capacités de détection navales y compris en zone côtière. Ainsi équipé, le drone peut maintenir une patrouille de 8 heures à 1.200 miles (2.200 km) de sa base, soit sensiblement les mêmes performances que celles offertes par le P-1, en dehors de l’emport d’armement.

Les forces d'autodéfense nippones se tournent vers les drones
Le MQ-9B SeaGuardian peut transporter jusqu’à 4 pods équipés chacun de 10 bouées acoustiques lourdes ou 20 légères.

Il est probable que l’arrivée probable du SeaGuardian a également joué un rôle dans la décision annoncée de réduire la flotte d’hélicoptères SH-60K, la flotte visée étant désormais de 71 appareils sur les 20 années à venir, contre 91 appareils sur 15 ans précédemment.

En effet, les destroyers et frégates nippones, qui mettent précisément en œuvre les SH-60K, évoluent le plus souvent à proximité relative des côtes du pays, donc avec le soutien potentiel des SeaGuardian et des P-1, avec des contraintes de mise en œuvre moins importantes que pour les hélicoptères navals embarqués, même si ces derniers disposent de capacités uniques, comme la possibilité d’utiliser un sonar plongeant ainsi qu’un détecteur d’anomalie magnétique, très utile pour établir la position précise d’un submersible afin de livrer la munition.

À l’Inverse, la note produite par l’agence japonaise prévoit l’augmentation sensible du nombre d’appareils de soutien à la flotte de chasse, avec l’acquisition de 18 avions d’alerte aérienne avancée E-2D Hawkeye contre 13 initialement prévus, ainsi que de 15 avions ravitailleurs KC-46A Pegasus, 5 de plus que le plan ne le prévoyait.

Contrairement à l’US Navy ou à la Marine Nationale, les E-2D Hawkeye nippons ne sont pas destinés à opérer à partir de porte-avions, mais à partir de bases terrestres, à l’instar d’autres pays dont Israël ou la Corée du Sud.

Avec 18 appareils, contre 13 initialement prévus, il est probable que les forces d’autodéfense nippones entendent anticiper le retrait probable de leurs 4 E-767 Awacs, qui mettent en œuvre le même radar AN/APY-2 que les E-3 Sentry de l’US Air Force, et dont la maintenance va devenir plus problématique alors que celle-ci a annoncé sa volonté de les remplacer par des E-7 Wedgetail à relativement court terme.

L’extension de commande des KC-46A, quant à elle, répond à l’évolution des besoins à venir pour mettre en œuvre la flotte de chasse nippone, notamment en ce qui concerne le besoin de permanence opérationnelle face à des phases de tensions avec Pékin ainsi que Pyongyang de plus en plus intenses, mais également de plus en plus fréquentes.

Les forces d'autodéfense nippones ont déjà entamé leur conversion vers le Grumman E-2D Hawkeye
Les forces aériennes d’autodéfense nippones ont déjà entamé leur conversion vers le Grumman E-2D Hawkeye

Reste que les annonces faites par l’Agence des Acquisitions, de la technologie et de la Logistique japonaise, ouvrent la voie à l’arrivée massive des drones pour densifier la puissance militaire des forces d’autodéfense nippones.

En effet, si le pays dispose bien de moyens importants, avec un PIB de presque 5.000 Md$ en 2022, sa démographie est très problématique, avec un taux de natalité excessivement bas depuis de nombreuses années (1,34 enfant par femme en 2022), et une espérance de vie très importante (85 ans en 2022), lui conférant un arbre démographique évasé avec deux fois moins de Japonais de 0 à 4 ans que de résidents de 70 à 74 ans.

De fait, la population du pays est appelée non seulement à diminuer relativement rapidement (-0,3% en 2022), mais également à vieillir avec une moyenne d’âge qui dépassera les 50 ans dans les quelques années à venir.

Donc, non seulement les jeunes gens aptes à servir dans les forces armées seront-ils de plus en plus rares au fil des ans, mais il sera indispensable, pour leur immense majorité, qu’ils soient le plus productif possible pour assumer les générations passées, ce qui exclut, autant que possible, le métier des armes.

On comprend, dans ce contexte, pourquoi les technologies robotiques, mais également l’Intelligence artificielle et les capacités renforçant la dissuasion, représentent un impératif bien plus qu’un simple avantage pour les autorités nippones, que ce soit dans le domaine militaire comme industriel.

Les pays d’Amérique du Sud se préparent pour le renouvellement de leur flotte de sous-marins

Si l’essentiel de l’attention internationale au sujet des forces navales se concentre sur l’Asie-Pacifique, le Moyen-Orient et le théâtre Méditerranéo-Atlantique, les flottes d’Amérique du Sud sont loin d’être en reste, notamment pour ce qui concerne leur flotte de sous-marins.

Ainsi, pas moins de 24 sous-marins diesel-électriques appartenant à 7 Marines sud-américaines sont actuellement en service, pour l’immense majorité des Type 209 allemands achetés neufs ou d’occasion dans les années 70 et 80.

Certaines de ces marines, en l’occurrence la Marine Chilienne et Brésilienne, ont déjà entrepris de moderniser leur flotte, Santiago étant le premier client du alors nouveau sous-marin français Scorpene au milieu des années 2000 pour 2 navires, puis Brasília, là encore pour 4 Scorpene de Naval Group dont le premier exemplaire est entré en service en décembre 2022, dans le cadre d’un important programme de transfert de technologies devant aboutir à la conception du premier sous-marin nucléaire d’attaque sud-américain.

Pour autant, il reste aujourd’hui pas moins de 16 Type 209 qui atteindront prochainement leur limite d’âge, et qui devront être remplacés dans les années à venir. C’est la raison pour laquelle les marines argentine (2 unités), chilienne (2 unités), colombienne (2 unités), équatorienne (2 unités) et péruvienne (6 unités) se sont rassemblées à l’occasion du 1ᵉʳ Symposium international des commandos et des forces de sous-marins d’Amérique du Sud organisé par la Marine Équatorienne le 22 mars.

Il s’agissait, pour les délégations présentes, de partager leurs expériences passées et présentes, ainsi que leurs visions quant à l’évolution des forces sous-marines dans les années et décennies à venir. Au-delà du partage de connaissance, il s’agissait également d’établir un point de départ pour d’éventuelles coopérations internationales, notamment dans le domaine industriel, de sorte à garantir la sécurité du continent.

la flotte de sous-marins péruvienne est l'une des plus importantes du continent sud-américain
La Marine Péruvienne aligne 6 sous-marins conventionnels, 4 Type 209 (Ici le S-31 Angamos) et 2 Type 206

Le remplacement des sous-marins Type 209 est particulièrement urgent pour la marine argentine, dont les 2 navires restants, le Santa Cruz et la Salta, entrés en service respectivement en 1984 et 1973, ont été placés en réserve suite à la perte du San Ruan, le sistership du Santa Cruz, en 2017.

La situation n’est pas meilleure pour la Marine colombienne, dont les deux Type 209, l’ARC Pijao et l’ARC Tayrona sont entrés en service en 1975, alors que ses 2 Type 206, l’ARC Intrépido et l’ARC Indomable, acquis d’occasion auprès de l’Allemagne en 2011, sont entrés en service respectivement en 1974 et 1975.

Les 2 navires équatoriens, le Shyri et le Huancavilca, sont quant à eux entrés en service respectivement en 1977 et 1978. Les navires les plus récents de cette flotte sud-américaine, au-delà des Scorpène chiliens et brésiliens, sont les 2 Type 209 chiliens, le Thomson et le Simpson entés en service en 1983 et 1984, ainsi que les 4 Type 209/1200 péruviens, les Angamos, Antofagasta, Pisagua et Chipana, entrés en service entre 1980 et 1983, alors que ses deux Type 209/1100, l’Islay et l’Arica, entrèrent en service en 1975.

Le remplacement de ces quelque 12 Type 209, mais également des 2 Type 206 colombiens tout aussi âgés, va représenter un enjeu critique pour les constructeurs internationaux. Mais si le marché est attractif et colossal, la concurrence, quant à elle, n’aura jamais été aussi forte.

En effet, pas moins de 8 industriels peuvent se positionner sur ces marchés, pour 11 modèles de sous-marins différents. L’Europe, à elle seule, propose 6 modèles par 4 constructeurs, les Type 212 et 214 de l’allemand TKMS, le S-80 de l’Espagnol Navantia, les Scorpene et Shortfin Barracuda du Français Naval Group, ainsi que le A26 Blekinge du suédois Kockums.

En Asie, la Corée du Sud proposera très certainement son Dosan Ahn Changho dont la construction du second batch de 3 navires vient de débuter, le Japon son Taïgei, premier navire équipé de batteries ions-lithium, et la Chine, économiquement très présente sur ce continent, son performant et économique Type 039.

Enfin, la Russie peut proposer ses 636.3 Improved Kilo et ses Lada, même s’il est plus probable qu’elle ne parvienne désormais plus à se positionner sur ce continent que pour le remplacement des 2 Type 209 Vénézuéliens.

La Chine dispose d’arguments importants pour placer son Type 039 en Amérique du Sud

Face à une offre aussi riche, et conscientes du poids stratégique que la modernisation des flottes sous-marines de ces cinq pays peut représenter, il est évidemment tentant, pour les Marines péruviennes, argentines, chiliennes, colombiennes et équatoriennes, de s’entendre de sorte à être en position de force dans les négociations à venir, d’autant que ces flottes ont, le plus souvent, su coopérer pour garantir la sécurité des eaux sud-américaines.

Un tel accord représente également, pour la Marine Argentine, le moyen de convaincre les constructeurs navals de passer outre les menaces de rétorsions britanniques pour le remplacement de ses navires, Londres étant toujours très réactif dès lors qu’il s’agit de redonner à Buenos Aires des capacités militaires pouvant potentiellement représenter une menace pour la sécurité des iles Malouines.

Reste que dans ce dossier, le français Naval group et l’Allemand TKMS partent avec une certaine longueur d’avance sur leurs éventuels concurrents. Ainsi, les Type 209 allemands ont en effet montré leur efficacité et leur longévité pendant bientôt 50 ans au sein des Marines sud-américaines, et les marins et personnels de maintenance sont habitués à travailler avec leurs homologues allemands, ce qui simplifie souvent la transition vers des navires de nouvelle génération.

Naval Group, de son côté, peut s’appuyer sur l’excellente tenue des Scorpène chiliens, sans commune mesure avec les Type 209 de l’avis même des équipages, mais également sur la solidité du partenariat industriel et technologique démontré avec le Brésil.

Rien n’exclut, à ce titre, que les chantiers navals ICN d’Itaguaï puissent participer à un tel projet. À l’inverse, le S-80 espagnol, s’il est onéreux et n’a encore pas démontré ses performances, peut s’appuyer sur la proximité culturelle entre l’Espagne et les pays d’Amérique du Sud, tous hispanophones.

Quant à la Chine, elle mettra en avant sans aucun doute l’exceptionnel dynamisme des relations commerciales avec les pays sud-américains, le pays ayant notamment accordé 130 Md$ de prêts à l’Argentine, au Brésil, à l’équateur et au Venezuela depuis 2005, et investi plus de 160 Md$ en Amérique Latine entre 2000 et 2020. Une chose est certaine, la lutte sera intense, à l’image du marché que ce continent représente pour les futures exportations militaires.

La nouvelle classe de super-frégates singapouriennes va accroitre le tonnage de la Marine du pays de 70%

Singapour est, en de nombreux domaines, le pays de tous les superlatifs, en particulier en terme de défense. En effet, malgré une population de seulement 5,5 millions d’habitants, et un pays qui ne s’étend que sur 733 km2, soit 10% de plus que la superficie du Territoire de Belfort, les armées singapouriennes sont parmi les plus efficaces et puissamment armées du théâtre indo-pacifique. Ainsi, avec un budget de 17 Md$ par an, soit 4% du PIB, les forces armées de la petite république sont fortes de 71.000 hommes, en grande partie des conscrits exécutants d’un service militaire de 2 ans, et dispose d’une puissante force de réservistes de plus de 350.000 hommes et femmes, pour un format final supérieur à celui des armées françaises et de leurs réservistes. Outre la masse, ces forces sont remarquablement équipées, avec plus de 170 chars lourds Leopard 2 actuellement portés vers le standard A7, plus de 1000 véhicules de combat d’infanterie et de combat blindés, plus de 2200 transports de troupes blindés ainsi qu’une cinquantaine de canons automoteurs de 155 mm chenillés blindés Primus et 24 systèmes Himars. Les forces aériennes, quant à elles, alignent une centaine de chasseurs F-16 et F-15 (12 F-35B en acquisition), mais également 4 systèmes Awacs G550, 11 avions ravitailleurs A330 MRTT et KC-130 Hercules, ainsi qu’une centaine d’hélicoptères dont 18 Apache, 26 CH-47 Chinook et 16 H225 Caracal.

La Marine singapourienne n’est pas en reste, bien au contraire. Ses 4000 marins et officiers mettent en effet en oeuvre une flotte de combat considérable, avec 4 sous-marins d’attaque Type 218SG en cours de livraison, 6 frégates classe Formidable dérivées des FLF Lafayette française mais considérablement mieux armées, 4 navires d’assaut de 8500 tonnes en charge de la classe Endurance, 4 bâtiments de guerre des mines de la classe Bedok, 8 OPV de la classe Indépendance ainsi que 6 corvettes de la classe Victory. C’est précisément ces dernières corvettes que le programme Multi-Role Combat Vessels ou MRCV doit remplacer. Mais les navires qui entreront en service à la fin de la présente décennies, n’auront aucun rapport avec les corvettes légères de 63 mètres et 600 tonnes qu’ils remplaceront.

En effet, les MRCV singapouriens seront construits par ST Engineering sur la base des frégates des classes Iver Huitfeldt (en illustration principale) et Absalon de la marine danoise. Mais si les frégates de défense aériennes Iver Huitfeldt danoises sont déjà remarquables avec leurs 136 mètres de long, 6500 tonnes de déplacement et 56 silos verticaux pour missiles anti-aériens SM2 et ESSM, les MRCV seront plus imposants avec un tonnage en charge annoncé de 10.000 tonnes, mieux armés et beaucoup plus polyvalents que les bâtiments danois. Ainsi, selon le site Naval News, les bâtiments seront équipés du nouveau radar AESA à faces planes SeaFire de Thales qui équipe les FDI grecques et françaises, ainsi que de missiles surface-air Aster 30 et MICA VL, à l’instar des frégates de la classe Formidable. Sur la base du visuel d’illustration transmis par ST Engineering, on constate la présence de 8 systèmes SYLVER sur la plage avant derrière le canon de 127 mm, soit 64 silos, alors que l’architecture des Iver Huitfeldt place également des silos verticaux entre le mat intégré et les cheminées. De fait, les MRCV seront de très puissantes plateformes de défense aériennes, par ailleurs parfaitement interopérables avec les 6 frégates de la classe Formidable armées des mêmes missiles.

Surtout, les MRCV promettent d’être également très polyvalents, en s’appuyant sur le même principe de conteneurs de missions qui devaient représenter la grande plus-value des LCS de l’US Navy. Ainsi, les bâtiments de combat singapouriens pourront embarquer, au besoin, de modules de combat permettant de contrôler un large panel de drones et systèmes automatisés, qu’il s’agisse de drones aériens, de navires de surface sans équipage, ou de drones sous-marins, de sorte à pouvoir en étendre les capacités opérationnelles y compris dans les domaines très spécialisés de guerre des mines ou de lutte anti-sous-marine. La flotte du pays n’ayant pas vocation à la projection de puissance à longue distance, pas plus qu’à la suprématie navale de haute mer, les MRCV seront donc pleinement adaptés à leur contexte spécifique d’emploi, et exploiteront au mieux les options offertes par l’architecture navale moderne pour y répondre, à l’image de ce que font les israéliens avec les corvettes Sa’ar 6 à vocation exclusivement littorale, très bien armées mais ne disposant que d’une autonomie à la mer limitée.

Reste que l’arrivée des 6 nouveaux navires, qui l’on peut classé comme des Super-frégates plus que comme destroyers ou croiseurs du fait de l’absence de capacités de projection de puissance, va entrainer une profonde évolution capacitaire de la Marine Singapourienne, qui verra le tonnage de sa flotte de surface passer de 80.000 tonnes aujourd’hui à plus de 130.000 tonnes à la fin de la décennie, soit le tonnage de Marines réputées comme la Royal Australian Navy ou la Royal Canadian Navy. S’il est vrai qu’avec prés de 80.000 $ par habitant et par an, Singapour est un des pays les plus riches de la planète, son effort de défense est aussi important que parfaitement maitrisé, le pays s’appuyant à plus de 50% sur des équipements produits sur son sol, voire par sa propre industrie. Conscient de la convoitise que peut engendrer la position stratégique du pays pour rejoindre la Mer d’Andaman à partir de la Mer de Chine du Sud, mais également en lien avec le dynamisme économique, technologique et industriel du pays, Singapour n’a jamais baissé sa garde, et se positionne aujourd’hui parmi les pays ayant la défense la plus performante de son théâtre. De toute évidence, le pays n’a aucunement l’intention de se reposer sur ces lauriers dans les années à venir.