mercredi, décembre 3, 2025
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La Russie lance un important programme pour densifier la défense antiaérienne et antimissile du pays

Les autorités russes ont annoncé un important programme visant à moderniser, mais surtout à densifier la défense antiaérienne et antimissile du pays, suite aux attaques de drones ukrainiens sur leur territoire.

En amont de l’agression russe contre l’Ukraine, une majorité d’analystes considérait, non sans de nombreuses raisons objectives, que la défense anti-aérienne et anti-missile multicouche russe était l’une des plus performantes, si pas la plus performante de la planète.

Celle-ci associait en effet plusieurs types de systèmes spécialisés et complémentaires, comme le S-400 dédié à la défense antiaérienne et défense antimissile à moyenne et haute altitude, le S-300PMU/2 pour la défense antibalistique, le Buk pour la défense tactique à moyenne et basse altitude, ainsi que les systèmes TOR et Pantsir pour la défense rapprochée.

Cette défense, complétée par les systèmes anti-balistiques lourds A-135 positionnés autour de Moscou et de Saint-Petersbourg, couvrait un très large périmètre le long des frontières russes et assurait également la protection des sites sensibles, tout en étant présentée comme parfaitement intégrée avec la défense aérienne composée d’appareils de veille aérienne A-50, d’intercepteurs Mig-31 et d’appareils de supériorité aérienne Su-35 et Su-27.

La défense antiaérienne russe prise en défaut

La guerre en Ukraine, et notamment les frappes attribuées à l’Ukraine contre plusieurs sites sensibles russes, qu’il s’agisse de la base aérienne de Rostov et les dépôts de carburant de Belgorod au début du conflit, de la base aérienne stratégique d’Engels il y a quelques mois, ou de la frappe à moins de 200 km de Moscou il y a quelques semaines, en employant des missiles balistiques Toshka, des hélicoptères de combat Mi-24 ou des drones Tu-141, ont sensiblement taillé en brèche l’image d’opacité absolue que Moscou voulait donner à sa défense aérienne jusqu’ici, au point que même la Turquie semble vouloir se détourner du S-400 pour developper son propre système anti-aérien à longue portée.

Si le problème est déjà sensible sur la scène internationale pour les futures éventuelles exportations d’armements russes, il est également important sur la scène intérieure, l’opinion publique comme les commentateurs russes étant de plus en plus perplexes quant au manque de performances apparent de la défense aérienne du pays censée être impossible à prendre en défaut, y compris par l’OTAN.

Système de défense antiaérienne S-350
Le système S-350 est plus léger et mobile que le S-300 qu’il remplace

C’est dans ce contexte que Sergueï Choïgou, le ministre de la Défense russe, considéré comme le dauphin désigné de Vladimir Poutine avant la guerre en Ukraine et à la limite de la disgrâce depuis, a annoncé un vaste programme visant à moderniser et renforcer la défense anti-aérienne et anti-missile du territoire russe, et notamment considérablement durcir la protection de Moscou.

Pour cela, le Ministère de la Défense entend réorganiser organiquement la défense moscovite, en créant une division de défense anti-aérienne et anti-missile composée de brigades de défense spécialisées équipées de systèmes S-400 et S-500, ainsi que de régiments de défense aérienne qui recevront les nouveaux S-350 pour cette mission.

En outre, une centaine de bataillons à ce jour équipés de S-300 vont être transformés vers le S-350, alors qu’un grand nombre de systèmes de protection rapprochée Pantsir, plus de 500 pour 2023, sera livré aux unités de défense locale à travers le pays.

Une défense antimissile et antibalistique renforcée

Quant aux A-135, ils seront remplacés, d’ici à 2025, par le nouveau A-235 Nudol qui dispose de capacités antibalistiques, mais également anti-satellites étendues, car pouvant atteindre des cibles jusqu’à 700 km d’altitude.

Au-delà de l’entrée en service des systèmes qui ont été développés depuis 2011 au travers d’un effort ayant consommé à lui seul 17% de l’effort de défense russe, comme le S-350, le S-500 et l’A-235, le développement d’une version aux performances étendues du S-500, le S-550, a été détaillée avec l’objectif d’entrer en service en 2025, ce qui semble ambitieux pour un système qui n’aurait, à ce jour, pas encore atteint la phase d’essais.

Si le S-500 a été conçu pour remplacer les S-300 PMU2 dans la mission de défense antibalistique contre des missiles à courte et moyenne portée, le S-550 permettra également de détruire des cibles spatiales évoluant à basse altitude, tout en offrant des performances accrues en termes de portée et de plafond.

Toutefois, à ce jour, rien n’indique qu’aucun des systèmes en cours de livraison ou de développement en Russie aura la capacité à contrer des armes hypersoniques manoeuvrantes, même s’il est raisonnable de penser qu’il s’agira probablement d’un des objectifs prioritaires du programme S-550.

Les Silos contenant les missiles anti-balistiques A-135 sont déployés autours de Moscou et de Saint-Petersbourg

Un probable affaiblissement des moyens engagés en Ukraine

Reste que l’effort annoncé, s’il permettra en effet de durcir la défense anti-aérienne et anti-missile notamment des deux grandes agglomérations clés russes que sont Moscou et Saint-Petersbourg, celles-ci rassemblant 15% de la population, mais surtout l’ensemble des instances politiques, économiques et décisionnaires du pays, va également lourdement ponctionner les budgets de défense russes, alors que les armées russes ne parviennent ni à prendre l’ascendant sur l’Ukraine, ni à compenser leurs pertes qui continuent d’éroder très rapidement les effectifs et le parc matériel en dépit de l’effort industriel consenti.

De fait, un tel effort ne pourra se faire qu’au détriment des forces engagées en Ukraine, alors même que ni Moscou, ni Saint-Petersbourg, n’avaient été jusque-là directement visés par des frappes ukrainiennes, d’autant que Kyiv est probablement fortement dissuadé d’une telle tentation par ses alliés occidentaux.

On peut se demander, dès lors, si cette annonce ne préfigure pas un changement radical de posture de la Russie, en Ukraine, mais également face à l’OTAN, qui passerait d’une doctrine offensive à une bunkerisation des forces en Ukraine comme du pays, de sorte à ne pas céder face à des tentatives de frappes ukrainiennes si celles-ci venaient à ne plus pouvoir progresser sur le terrain.

Une chose est certaine, alors que les occidentaux ont montré à de nombreuses reprises leur détermination à circonscrire le conflit à l’Ukraine, l’effort annoncé semble pour le moins anachronique dans le contexte au moment de l’annonce, et suppose donc une évolution sensible à venir.

Le Canada se tourne lui aussi vers l’avion de patrouille maritime P-8A Poseidon de Boeing

Certaines victoires s’obtiennent de haute lutte, d’autres, moins glorieuses mais tout aussi efficaces, faute d’adversaire. C’est probablement ce dernier cas qui explique l’adressant succès de l’avion de Patrouille maritime P-8A de Boeing ces dernières années. Entré en service en 2013 pour remplacer les P-3 Orion de l’US Navy, le Poseidon s’est depuis imposé dans 7 autres forces aériennes, et non des moindres, allant de l’Australie à la Norvège, en passant par l’Allemagne et même l’Inde. A ce jours, 131 appareils ont été commandés à Boeing, dont 91 par l’US Navy, alors que plus de 90 sont en service, en majorité dans la Marine américaine. Il semble que cette liste soit sur le point de s’étoffer à nouveau, alors qu’Ottawa a adressé en février dernier, une demande d’information au Foreign Military Sales américain au sujet de l’appareil, afin de remplacer les 15 CP-140M Aurora, une évolution du P-3, qui assurent la mission de patrouille maritime et de C4ISR au sein de la Royal Canadian Air Force.

De manière remarquable, le communiqué d’Ottawa précise qu’aujourd’hui, le P-8A est non seulement un bon appareil déjà acquis par plusieurs pays majeurs, y compris par les 4 autres alliés des fameux 5 Eyes rassemblant USA, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et Grande-Bretagne, mais qu’il constitue, en substance, la seule alternative envisageable pour ce type de mission. Il est vrai qu’à l’exception notable du Kawazaki P-1 japonais plus économique et plus compact mais aux performances inférieures à celles de l’appareil de Boeing basé sur le 737, il n’existe à ce jour aucune réelle offre pouvant à la fois offrir des performances comparables au P-8A, et un parc étendu en garantissant la pérennité et l’évolutivité pour les 2 ou 3 décennies à venir.

Le P8-A dispose de 5 points d’ancrage dans sa soute interne, et de 6 points d’ancrage extérieurs.

Long de presque 40 mètres pour 37,5 mètres d’envergures, le P-8A a une masse à vide de 62 tonnes et une masse maximale au décollage de 85 tonnes. Il est propulsé par deux turboréacteurs CFM-56 délivrant chacun 121 KN de poussée, lui conférant une vitesse de croisière de 815 km/h pour un rayon d’action au combat de plus de 7000 km. Il dispose en outre d’un puissant radar multi-modes APY-10 disposant d’un mode à synthèse d’ouverture directe ou inversée, ainsi qu’une suite de senseurs APS-154 pour la détection littorale, et une suite de guerre électronique ALQ-240. L’appareil dispose d’une soute à 5 points d’ancrage et de 3 points d’ancrage sous chaque aile permettant d’emporter de nombreux armements, comme le missile anti-navire AGM-84 Harpoon, la torpille Mk-54, des mines navales aéroportées ainsi que la future munition air-surface anti-sous-marine High Altitude Anti-Submarine Warfare Weapon Capability (HAAWC)  qui permettra d’engager des sous-marins à partir d’une altitude élevée et à distance de sécurité.

Avec plus de 200.000 km de côtes, le Canada est le pays disposant du plus important littoral sur la planète, loin devant les 84.000 km de la Norvège seconde du classement, ou des 54.000 km de la pourtant très insulaire Indonésie, 3ème du classement. De fait, il est naturellement le pays disposant de la plus importante surface en matière d’eaux territoriales, avec plus de 2,7 millions de Km2. Paradoxalement, les caractéristiques du pays et du droit international font que ses eaux territoriales se confondent presque avec la Zone économique exclusive du pays. Quoiqu’il en soit, Ottawa doit assure la surveillance d’un espace maritime considérable, pour lequel les 16 P-8A envisagés par la Letter of Request envoyée au FMS américain il y a un mois, ne seront probablement pas de trop. Autre caractéristique spécifique à la géographie Canadienne, la flotte de patrouille maritime interviendra majoritairement à proximité des cotes, et notamment le long des cotes boréales du pays, sauf pour les missions dépendant de l’OTAN et/ou coordonnées par les Etats-Unis dans la Pacifique. Dans ce contexte, le radar APS-154 du P-8A apportera une plus-value de taille, tout comme l’allonge de l’appareil, même si les équipages effectueront le plus souvent leurs transits au dessus des forets canadiennes plutôt qu’au dessus de l’océan pour rejoindre leur zone de patrouille.

Bien qu’exceptionnellement performant et adapté à la mission, l’Atlantique 2 français n’aura été acquis que par la Marine nationale, car arrivé à contre-temps sur le marché internationale de la Patrouille Maritime

On peut toutefois regretter que le pays ayant, avec les Etats-Unis, la plus grande expérience en matière de patrouille maritime, la France, soit absent de ce marché. En effet, aujourd’hui, l’expérience acquise dans ce domaine par la Marine Nationale et les industriels français, est universellement reconnue, et souvent prise en référence notamment au sein de l’OTAN. Malheureusement, et comme c’est souvent le cas en France, la planification militaire et industrielle s’exécute à contre-temps des marchés internationaux, qui pourtant constituent une composante critique pour la soutenabilité budgétaire de l’effort de défense du pays. Ainsi, l’Atlantique 2 est entré en service alors que le P-3 de Lockheed avait déjà saturé le marché potentiel occidental dans les années 70 et 80. Quant au remplaçant de l’Atlantique, il n’entrera pas en service avant 2035, laissant tout le temps nécessaire au P-8A de s’imposer au sein de l’immense majorité des forces aériennes ou aéronavales dotées de ce type d’appareil. Enfin, l’appareil ne sera très probablement plus en catalogue en 2050, lorsque viendra le moment de remplacer les Poseidon. Dans le domaine des armements aussi, le timing de l’offre est stratégique. Et tout indique que al France est à contre-temps.

La Corée du Nord prétend avoir miniaturisé ses têtes nucléaires

S’il existe une hiérarchie considérable en matière de défense entre les pays dotés de l’arme nucléaire, et ceux qui ne le sont pas, il existe également une importante hiérarchie entre les quelques pays disposants de telles armes. Au delà de la puissance des têtes nucléaires possédées, et du nombre d’entre elles au sein de l’arsenal, les technologies des vecteurs pouvant transporter ces armes jouent un rôle crucial dans ce domaine.

En effet, disposer d’une bombe nucléaire gravitationnelle, ne pouvant être mise en oeuvre que par un avion de combat que l’on sait vulnérable et limité en rayon d’action, n’est en rien comparable que disposer de missiles balistiques intercontinentaux à changement de milieux mis en oeuvre à bord de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de dernière génération, que l’on sait presque impossible à repérer ou à pister.

Dans ce contexte, la menace que constitue l’arsenal nucléaire nord-coréen, s’il n’est en rien négligeable, n’est toutefois pas comparable à celle posée par les 5 pays membres du conseil de sécurité des Nations Unis, qui sont également les seuls à disposer de SNLE et de SLBM à très longue portée.

On estime aujourd’hui que Pyongyang dispose d’une soixantaine de tête nucléaires, repartis entre ses missiles à longue portée et sa force de bombardement. Toutefois, jusqu’ici, tout portait à croire que la Corée du Nord ne disposait pas du savoir-faire et des compétences technologiques pour miniaturiser suffisamment ses têtes nucléaires, et ainsi venir armer ses missiles balistiques de moyenne ou courte portée, ou ses missiles de croisière. Mais des photos publiées par la presse d’état nord-coréennes font aujourd’hui peser un doute sur ces certitudes (en illustration principale)

L’illustration d’arrière plan montre divers modèles de missiles et la façon dont la tête nucléaire miniaturisée peut y être installée.

En effet, celles-ci montrent le leader Kim Jong Un inspectant ce qui est présenté comme une tête nucléaire de nouvelle génération. Le dispositif montré pourrait en effet contenir une arme à fission, mais sa caractéristiques le plus interessante n’est autre que ses dimensions.

En effet, selon les photos, on peut estimer que le dispositif montré a une longueur entre 90cm et 1 mètre, pour un diamètre de l’ordre de 50 cm, soit des dimensions suffisamment réduites pour prendre place à bord de missiles balistiques plus compacts que les ICBM nord-coréens très imposants, et donc relativement faciles à suivre par satellite.

A ce titre, en arrière plan derrière le président nord-coréen, une illustration montre l’installation de cette tête miniaturisée à bord de différents types de missiles, dont une coiffe qui ressemble au missile balistique tactique KN-25, à celle du missile balistique à moyenne portée Hwasong-7 ainsi qu’à celle du missile balistique à changement de milieux Pukguksong-3.

Selon les autorités sud-coréennes, il s’agirait là d’une nouvelle tentative de désinformation de la part du régime nord-coréen, Séoul estimant que son voisin ne disposerait pas des capacités industrielles et technologiques pour concevoir une tête nucléaire aussi miniaturisée. Toutefois, ces dernières années, Pyongyang a plus d’une fois surpris la communiste du renseignement international, y compris en Corée du Sud, notamment lors des essais du missile Pukguksong-3 à changement de milieux, du KN-24 monté d’une coiffe hypersonique ou encore du missile de croisière Hwasal-2. On ne peut exclure, par ailleurs, des aides extérieures ayant permis aux ingénieurs nord-coréens d’acquérir cette technologie, notamment venues de Russie alors que Moscou peine à fédérer effectivement autour de la Russie une alliance susceptible de compenser l’alliance occidentale soutenant l’Ukraine. De fait, l’hypothèse ne peut, ni ne doit, être exclue, faute de quoi la Corée du Sud, mais également le Japon et leurs alliés américains, pourraient se trouver en situation de vulnérabilité sur ce théâtre.

Le KN-25 est un missile balistique tactique d’une portée de 380 km suivant une trajectoire semi-balistique le rendant difficile à suivre et à intercepter par la défense anti-balistique traditionnelle

En effet, la miniaturisation des têtes nucléaires nord-coréennes pourrait avoir d’importantes conséquences sur l’équilibre des forces sur la péninsule, notamment en neutralisant la doctrine 3 axes mise en oeuvre par les armées de Séoul, déjà mise à mal par la nouvelle doctrine de frappe préventive nucléaire nord-coréenne. Rappelons que cette doctrine suppose la destruction préventive des vecteurs nucléaires nord-coréens lorsque l’imminence d’une frappe nucléaire ne ferait aucun doute, suivi par l’interception en vol des vecteurs ayant échappés à ces frappes préventives, avant de mener une campagne de neutralisation de l’ensemble des infrastructures militaires et civiles jouant un rôle dans le commandement et le soutien des forces nord-coréennes. Or, s’il est relativement aisé de traquer et suivre les vecteurs nucléaires que sont les missiles balistiques lourds ou les bombardiers nord-coréens, il s’avèrerait beaucoup plus délicat de garantir la destruction de l’ensemble des missiles balistiques et de croisière de courte et moyenne portée, très nombreux dans l’arsenal militaire du pays, chacun pouvant potentiellement transporter une charge nucléaire miniaturisée, ainsi que du ou des sous-marins armés des missiles baltiques ou de croisière à changement de milieux de la Marine de Pyongyang.

Même moment, sous un autre angle. Remarquez le KN-25 à gauche

De fait, cette annonce mise en scène par Kim Jong-Un, n’est en rien fortuite, et vise très précisément à potentiellement renverser le rapport de force stratégique sur la péninsule coréenne, en neutralisant l’avantage potentiel que pouvait procurer à Séoul la nouvelle doctrine 3 axes. Pour y répondre, les armées sud-coréennes devront soit densifier considérablement leurs capacités de frappe préventive et de surveillance des vecteurs adverses, soit répliquer en se dotant, symétriquement, de capacités stratégiques garantissant des destructions similaires et inévitables pour Pyongyang. Au delà de la péninsule coréenne, la miniaturisation d’une telle arme représentera, également, un nouveau casse tête pour les services de renseignement occidentaux, en charge de garder sous surveillance les éventuelles fuites d’armes de destruction massive de Corée du Nord ou d’ailleurs. Une chose est certaine, cette annonce, qui passera probablement inaperçue de beaucoup, représente une évolution majeure en matière d’équilibre stratégique, pour la péninsule coréenne et au delà.

Le nouveau porte-avions de la Marine Nationale à nouveau menacé par des arbitrages budgétaires

A l’occasion des voeux présidentiels aux armées à la fin du mois de janvier, le président Emmanuel Macron avait tracé les grandes lignes de la future Loi de Programmation Militaire 2024-2030 en cours de préparation. Ainsi, le budget alloué aux Armées sur cette période devrait atteindre 400 Md€, plus 13 Md€ de recettes exceptionnelles, alors que certains programmes, dont le très emblématique Porte-avions de Nouvelle Génération, ou PANG, étaient confirmés par le Président. Toutefois, depuis cette annonce, des signaux contradictoires ont été émis par le Ministère des Armées, les Etats-Majors ainsi que le cabinet de la première Ministre, Elisabeth Borne. Quant aux Etats-Majors et au Ministère des Armées, ils ont été très actifs, afin de replanifier les programmes industriels dans le but de satisfaire à une nouvelle contrainte budgétaire imposée par la cheffe du Gouvernement.

Jusqu’ici, l’hypothèse d’une progression linéaire de l’effort de défense, de l’ordre de 4 Md€ par an, était souvent évoquée. Cette approche aurait permis une hausse maitrisée des dépenses, mais également le financement d’une réelle montée en puissance de l’industrie de défense française, sans provoquer d’accoups ou de variations trop importants tout aussi néfastes pour les industriels que pour les militaires. Mais il semble que face aux difficultés budgétaires et économiques liées au contexte international, et notamment des effets déstabilisateurs de l’inflation sur les dépenses publiques, la Première Ministre française ait imposé que la hausse budgétaire du budget des Armées soit limitée de 2024 à 2027 à 3 Md€, soit la même que celle qu’ont connu les armées en 2023. Il s’agit, dans les faits, d’une réplique de ce qui fut fait autour de la LPM 2019-2025, qui prévoyait une hausse de 1,7 Md€ par an du budget des armées sur la période 2019-2022, puis de 3 Md€ par an de 2023 à 2025. Bien évidemment, la date pivot de 2022 ne fut pas choisie par hasard, puisqu’il s’agissait de la fin du quinquennat du président Macron, ce qui fit craindre à de nombreux commentateurs, y compris au sein des Etats-Majors, que la précédente LPM ne soit jamais pleinement exécutée.

La Marine nationale ne devrait recevoir que 3 des 4 Bâtiments de Ravitaillement de la Flotte de la classe Jacques Chevallier

Au final, il n’en sera rien, puisque même alors que la prochaine LPM débutera en 2024, elle pérennisera, de toute évidence, la hausse de 3 Md€ par an prévue par la précédente. Pour autant, depuis, le contexte international à considérablement évolué, tout comme la réalité de la menace militaire. Surtout, tout porte à croire désormais que la prochaine LPM sera construite sur l’exact modèle de la précédente, à savoir une hausse de 3 Md€ par an sur la période couvrant le quinquennat en cour de 2024 à 2027, puis de 6 Md€ par an pour les 3 années au delà, de 2028 à 2030, marquant du sceau de l’incertitude sa pleine et entière exécution, alors même qu’elle s’avère absolument indispensable pour, si pas éviter, en tout cas reporter le risque de déclassement de la France en matière de défense. Bien évidement, la nouvelle donne budgétaire imposée par Matignon nécessite une redistribution des moyens au sein des programmes. Et dans ce domaine, la Marine Nationale, présentée il y a peu comme largement privilégiée par les Arbitrages du Ministère des Armées pour la LPM à venir, semble être destinée à jouer le rôle de variable d’ajustement, en perdant ou reportant au delà de la LPM, 1 des 4 bâtiments ravitailleurs de la Force, 3 des 6 grands navires de guerre des Mines, 3 des 10 patrouilleurs océaniques et en reportant de 2 ans le lancement du programme PANG.

Pour les instances politiques, mais également militaires, il s’agit avant tout d’économiser les quelques 10 Md€ qu’une progression linaire aurait permis d’apporter au budget des Armées entre 2024 et 2027. L’Armée de Terre et l’Armée de l’Air étant déjà aux limites basses concernant leurs besoins de modernisation, la Dissuasion étant sanctuarisée, et les grands programmes SCAF et MGCS étant gravés en lettres d’or dans l’agenda politique, les marges de manoeuvre étaient relativement faibles, d’autant que les Armées préfèreront toujours reporter des programmes industriels plutôt que de devoir diminuer ou réorganiser leurs ressources humaines, beaucoup plus difficiles et longues à reconstituer. En outre, la baisse d’activité que ces reports ou diminutions de programmes entrainera pour les industriels concernés, notamment Naval Group, peut-être en parti compensée par certaines opportunités d’exportation en cours de négociation à court terme. Quant aux chantiers de l’Atlantique, qui doivent construire le PANG, ils pourront simplement avancer la construction d’un ou deux Super paquebots, pour réorganiser leur activité. Enfin, la Marine recevra tout de même sur cette LPM 5 frégates FDI, 5 sous-marins nucléaires d’attaque, 2 BRF, 7 patrouilleurs hauturiers et 3 grands navires de guerre des Mines, soit un renouvellement de plus de 25% de sa flotte.

La construction du futur PANG avait été confirmé par le Président Macron lors des voeux aux armées 2023

Pour autant, cet arbitrage n’est rationnel qu’en apparence. En effet, d’un point de vue économique, utiliser les programmes d’équipement des armées comme variable d’ajustement budgétaire, est incontestablement la décision la moins efficace. Rappelons que si les couts de personnels et de fonctionnement des armées génèrent un retour budgétaire entre 25 et 35% pour les finances publiques, selon que l’on considère son périmètre stricte ou étendu, celui de l’industrie de défense atteint 50% à 70%, soit le double, du fait d’un processus industriel faiblement exposé aux importations. En outre, l’industrie de défense est un pilier des exportations françaises, et dépend pour cela des dépenses nationales pour étendre le catalogue d’équipements et de services, mais également accroitre leur attractivité du fait de leur utilisation par les Armées françaises. Plus globalement, l’investissement dans l’industrie de défense française est incontestablement l’un des plus efficaces, si ce n’est le plus efficace, des investissements d’état, tant du point de vue budgétaire que du point de vue social, avec un nombre d’emplois générés au moins deux fois plus élevé que les autres mécanismes de soutien à l’économie ou à l’industrie mis en place par l’Etat.

Qui plus est, comme nous l’avons montré il y a quelques jours dans un précédent article, l’influence de l’inflation mais également des sous-investissements massifs des armées ayant précédé la précédente LPM, en ont considérablement amoindri les bénéfices, de sorte qu’en euro 2017, le budget des armées en 2023 n’a pas augmenté de 11 Md€ comme exprimé en Euro courant, mais de seulement 5 Md€ à périmètre constant, trop peu pour combler le retard budgétaire accumulé de 2000 à 2017. Alors que les menaces internationales ont été, pour ainsi dire, décuplées entre 2017 et 2023, l’exécution stricte et de bonne fois de la LPM, s’appuyant sur une progression linéaire des crédits, était de fait indispensable pour permettre aux Armées de remonter en capacités opérationnelles si pas en format, ce d’autant que l’inflation prévisible sur la période 2024-2030, sera bien supérieure à ce qu’elle était avant la crise de 2022.

L’exportation des équipements militaires, ici la première des 3 frégates FDI HN commandées par Athènes, font de l’investissement dans l’industrie de défense un des investissements les plus rentables pour les finances publiques

Reste que les contraintes budgétaires ayant amené Matignon à réorganiser la progression budgétaire de la future LPM, en ayant recours au même artifice que lors de la précédente, sont bien réelles, et ne peuvent être ignorées. Déjà, lors de l’annonce par Emmanuel Macron des ambitions budgétaires de cette Loi, il ne manquait pas d’économistes pour expliquer sur les plateaux TV ou sur les radios d’information, que l’investissement de défense était, aujourd’hui, généré par de la dette. Bien évidemment, non seulement cette conclusion est contestable, mais il existe plusieurs solutions qui permettraient d’augmenter les investissements industriels de défense, sans venir aggraver la dette, et pouvant potentiellement permettre de créer un décalage salutaire entre le retour budgétaire perçu et l’investissement budgétaire nécessaire. C’est le cas du recours au Leasing, de la réorganisation du cycle de vie des équipements dans les armées, ou plus prosaïquement, d’une potentielle exception française permettant de sortir les investissements liés à la dissuasion des déficits publics, pour n’en citer que quelques uns récemment traités sur ce site. De toute évidence, ce n’est pas tant de ressources budgétaires dont manquent aujourd’hui les Armées, mais de la volonté politique d’aller au delà des conservatismes qui encadrent l’exercice de planification budgétaire défense, dont les décideurs présidant au devenir des armées françaises manquent le plus.

Coup dur pour le KF51 Panther de Rheinmetall, Berlin se tourne vers le Leopard 2A7V pour remplacer les chars envoyés en Ukraine

En dehors de faire le poirier, Armin Papperger, le CEO de Rheinmetall, aura probablement tout tenté, ces dernières semaines, pour convaincre la Bundeswehr de se tourner vers son nouveau char, le KF51 Panther, notamment pour remplacer les 18 Leopard A26 envoyés par Berlin en Ukraine en soutien de l’effort de défense de Kyiv face à Moscou. Malheureusement pour lui, il n’en sera rien. En effet, la présidente de la commission défense au Bundestag, Agnès Strack-Zimmermann, a confirmé hier dans un entretien accordé Frankfurter Rundschau, que la Bundeswehr allait commander de nouveaux chars Leopard 2 dans leur ultime version A7V, mais également des canons automoteurs Pzh2000, pour remplacer les blindés envoyés en Ukraine, au plus grand plaisir de Krauss-Maffei Wegmann, qui fabrique les deux blindés (avec le concours de Rheinmetall), et qui voit, ces derniers mois, son carnet de commande se remplir après le succès du Leopard 2 en Hongrie et en Norvège, et en attendant la République Tchèque.

C’est un coup dur pour Rheinmetall, qui espérait un soutien de la part du Bundestag pour lancer la production du KF51 Panther, de sorte à pouvoir se positionner efficacement lors des compétitions internationales, y compris en Europe. Pour convaincre les parlementaires allemands, Armin Papperger a même laissé filtrer certaines négociations autour de projets pour le moins hasardeux, comme la construction d’une usine de production en Ukraine pour 200 m€ qui serait capable de produire 400 Panther par an, des valeurs que tous les experts du domaine s’accordent à trouver peu crédibles. Fort heureusement pour le cours du bourse de Rheinmetall, l’arbitrage de Berlin a été rendu public 10 jours après la publication de ses résultats et de ses perspectives, par ailleurs bons et prometteurs.

Les espoirs de Rheinmetall de voir son Panther rejoindre la Bundeswehr ont été réduits à néant, tout au moins à court terme, par la décision d’acquérir des Leopard 2A7 supplémentaires.

Le choix du Leopard 2A7V fait en revanche parfaitement sens pour la Bundeswehr, qui a déjà modernisé une partie de son parc de chars lourds vers ce standard, et qui dispose de fait tout à la fois des infrastructures de maintenance et des formations adaptées pour les mettre en oeuvre. Avec une masse au combat de 63 tonnes, le Leopard 2A7V est en effet l’un des meilleurs chars lourds du moment, à la fois bien protégé par un blindage composite alliant acier, tungstène, titane et céramique, bien armé grâce à son canon L55 de 120mm à âme lisse et de 55 calibres alimenté à 42 coups, et puissamment motorisé avec son moteur MTU Mb 873 ka 501 turbo-diesel. Il dispose en outre, dans cette version, d’un blindage modulaire renforcé du glacis frontal lui conférant un équivalent acier de plus d’un mètre, une coque renforcée pour résister aux mines, une nouvelle APU de 20 kw permettant de faire fonctionner l’ensemble des systèmes, y compris la climatisation, à l’arrêt, ainsi que de systèmes de bords et vétroniques modernisés.

L’arbitrage allemand en faveur du Leopard 2 va probablement avoir une influence notable sur les futurs contrats et compétitions en Europe et au delà. Ainsi, les chances de voir le Panther s’imposer en Italie, qui a annoncé il y a peu son intention de commander 125 chars de combat ainsi que 200 (probablement) véhicules de combat d’infanterie, sont amoindries, pas tant du point de vue industriel puisque 125 chars et 200 VCI constituent un volume suffisant pour justifier une fabrication locale si les deux plateformes sont proches, comme c’est le cas du KF51 Panther et du KF41 Lynx, que pour profiter de la dynamique européenne autour des nouvelles versions du Leopard 2 A7 (V ou +), et ainsi partager les couts de modernisation et d’acquisition de pièces, plutôt que de tout assumer en tant qu’opérateur unique. Ce d’autant que Rome a pu expérimenter les limites de ce principe avec son char C1 Ariete. L’absence de ligne de production pour le Panther handicapera également le char de Rheinmetall sur de potentielles négociations en petites séries, comme il peut en apparaitre dans les mois et années à venir, de la part des pays d’Europe de l’Est ou du nord. Enfin, en l’absence de références solides venant d’une ou plusieurs armées réputées, les chances de pouvoir imposer le Panther lors des grandes compétitions internationales, sont également entamées.

Le programme MGCS sort renforcé de l’arbitrage de Berlin en faveur du Leopard 2 au détriment du Panther.

Reste que si Rheinmetall pleure, et Krauss-Maffei Wegmann rit de l’arbitrage de Berlin, la France, de son coté, reprend son souffle. En effet, la décision allemande retire l’épée de Damoclès qui pendait au dessus du programme de char de nouvelle génération MGCS, pour lequel l’arrivée du Panther dans la Bundeswehr aurait représenté une menace existentielle, tant le char de Rheinmetall était présenté par son concepteur comme une alternative efficace et économique au programme franco-allemand. Ce d’autant que Agnès Strack-Zimmermann, dans ce même entretien, a indiqué qu’il pourrait s’agir, pour la Bundeswehr, d’une première commande, laissant entendre que d’autres commandes de Leopard 2A7 mais également de Pzh2000 pourraient intervenir à l’avenir, pour accompagner la reconstruction capacitaire des armées allemandes. Sans marginaliser Rheinmetall, qui demeure impliqué dans la construction de ces deux blindés notamment en en fournissant les canons, ces déclarations positionnent clairement KMW comme le prestataire principal de la Bundeswehr en matière de blindés lourds, et avec lui le rôle du programme MGCS dans la planification militaire allemande.

Le F-35 se rapproche à grand pas de la Marine mais également de l’Armée de l’air espagnoles

Le F-35 américain équipe ou a été commandé, aujourd’hui, pas moins de 9 forces aériennes européennes, alors que 3 autres, la Grèce, la Roumanie et la République Tchèque, ont d’ores et déjà annoncé leur intention de s’en doter à court ou moyen terme. Non seulement deviendra-t-il l’appareil le plus employé en Europe, mais il formera, pour de nombreuses forces aériennes, l’unique appareil en fonction. A ce jour, seules 3 grandes forces aériennes européennes n’ont pas annoncé leur intention de se doter du chasseur bombardier de Lockheed-Martin : la France, la Suède et l’Espagne. Il est désormais plus que probable que Paris et Stockholm continueront seuls à porter le flambeau de l’aéronautique militaire européenne. En effet, tout indique que Madrid s’apprête à annoncer, sous peu, une commande de F-35B, peut-être complétée par une commande de F-35A.

Aujourd’hui, l’Ejército del Aire y del Espacio, l’Armée de l’Air et de l’espace espagnole, met en œuvre 152 avions de combat, soit 84 Boeing F/A-18 Hornet dont 12 EF-18BM biplaces dédiés à l’entrainement, ainsi que 68 Eurofighter Typhoon. Si les Typhoon sont en cours de modernisation, notamment les 17 appareils de la Tranche 1 exclusivement air-air qui sont portés au standard Tranche 3 multirole, les Hornet, quant à eux, doivent être remplacés, tout comme les 13 AV-8B Harrier de la Marine qui arment aujourd’hui le porte-aéronef Juan Carlos. En juin 2022, Madrid annonçait ainsi l’acquisition de 20 Typhoon supplémentaires, pour remplacer la vingtaine de Hornet de l’escadrille 46 qui protège les iles Canaries. Quant au remplacement des F/A-18 restant et les AV-8B, ils font l’object de deux programmes distincts, qui doivent être lancés cette année.

L’Armée de l’Air et de l’espace espagnole doit remplacer avant la fin de la décennie ses 84 C15M, désignation nationale du Hornet

Le premier de ces programmes vise à remplacer les C15M de l’Armée de l’Air, soit la désignation espagnole des Hornet. Il est doté d’un budget de 4,5 Md€, dont 130 m€ en 2023, et doit permettre le remplacement des Hornet concernés d’ici 2028. Tout porte à croire, à ce jour, que ce programme portera sur l’acquisition de 25 Typhoon supplémentaires, ceci correspondant à la fois aux besoins des forces aériennes espagnoles, qui aligneront alors entre 110 et 115 chasseurs européens polyvalents. L’Eurofighter Typhoon a pour lui deux atouts importants en Espagne : d’excellentes performances en matière de supériorité aérienne, ainsi que l’implication de l’industrie de défense aéronautique espagnole dans sa production, celle-ci étant membre du consortium Eurofighter. Il n’y a rien d’étonnant, dans ce contexte, à ce qu’Airbus DS communique, cette semaine, sur les 657 emplois et les 1,7 Md€ de PIB produits par le contrat Alcyon concernant les 20 appareils commandés en 2022. Quant au second programme, tout porte à croire qu’il portera sur l’acquisition de F-35 Lightning II.

celui-ci est en effet doté 6,25 Md€, et vise, dans la communication officielle espagnole, au remplacement des AV-8B de la Marine, mais également de C15M (F/A-18 Hornet) de l’Armée de l’Air, sans que les quantités qui seront commandés de chaque appareil ne soient détaillées. Depuis 2 ans maintenant, une rumeur, certes officiellement démentie, mais très crédible, faisait en effet état d’une commande par Madrid de 50 F-35 Lighting II, 25 en version B à décollage et atterrissage court ou vertical pour remplacer les Harrier de la Marine, ainsi que 25 en version A basée à terre, pour remplacer une partie des Hornet de l’Armée de l’Air. L’articulation du programme espagnol, mais également son budget, donne évidement beaucoup de poids à cette indiscrétion malheureuse d’un des directeurs de Lockheed-Martin qui avait mis dans l’embarras Madrid, alors que l’Espagne venait de rejoindre le programme SCAF franco-allemand, et que la France était vent-debout contre l’acquisition du chasseur américain.

Les forces aériennes espagnoles aligneront, au début de la prochaine décennie, plus d’une centaine de Typhoon neufs ou modernisés

Depuis, de l’eau a coulé sous les ponts, principalement du fait de la commande de 35 F-35A par Berlin afin de remplacer les Tornado de la Luftwaffe assurant la mission de partage nucléaire de l’OTAN. En outre, le programme SCAF a rencontré de nombreuses turbulences ces derniers mois, au point d’avoir frôlé l’effondrement. Pour Madrid, il n’est plus question désormais de composer avec les sensibilités de ses partenaires au delà du raisonnable, d’autant que tout indique que le SCAF aura beaucoup de mal à entrer en service en 2040 comme prévu initialement, et que les tensions internationales ne cessent de croitre, y compris en Europe et en Méditerranée. En outre, en liant dans un unique programme le remplacement des AV8B et une partie des Hornet, Madrid justifie l’acquisition d’une flotte de F-35 plus importante, tout en rationalisant la gestion et la maintenance du parc entre la Marine et l’Armée de l’Air, de sorte à mutualiser de nombreux aspects allant de la formation à la gestion des pièces détachées.

Pour autant, le budget annoncé, 6,25 Md€, semble trop faible pour espérer acquérir 25 F-35B et 25 F-35A, ainsi que l’ensemble des services et équipements de maintenance, de formation et de pièces et munitions nécessaires à leur mise en oeuvre. Une flotte de 35 à 40 appareils semble plus probable, sauf à acquérir les services et équipements complémentaires au travers d’un second programme. Dans cette hypothèse, l’acquisition de 2 versions de l’appareil semblerait inefficace, d’autant que le F-35A et le F-35B ont des différences significatives tant en matière de capacités opérationnelles que de maintenance et de formation, particulièrement pour les pilotes. Il n’y aurait de fait rien de surprenant à ce que plutôt que d’acquérir les 2×25 appareils initialement prévus, Madrid ne se tourne vers une flotte unique de F-35B, à l’instar de la Royal Air Force, tout au moins à ce jour. En outre, d’un point de vue politique, la version à décollage et atterrissage vertical du chasseur de Lockheed est difficilement critiquable par la France, aucun appareil européen présent ou à venir ne proposant cette capacité indispensable pour armer le Juan Carlos. Enfin, cela pourrait permettre à la Marine espagnole de se doter d’un second porte-aéronefs, voire d’un porte-aéronefs plus imposant que le Juan Carlos de 26.000 tonnes, et ainsi rejoindre, en terme de capacités aéronavales, l’Italie et la Grande-Bretagne.

Le remplacement des AV-8B Harrier II de la Marine espagnole ne laissait aucune autre option que l’acquisition de F-35B, sauf à renoncer à cette composante aéronavale embarquée

On comprend que les arbitrages menés par Madrid aujourd’hui en matière de modernisation de sa flotte de chasse, laissent de moins en moins libre court aux spéculations. Sans le moindre doute, désormais, l’Espagne rejoindra, dès cette année, le club F-35, la seule question encore en suspend étant le volume de la flotte et sa composition exacte. Pour autant, Madrid comme Berlin auparavant, limite le format de la flotte de F-35 à venir, notamment en acquérant de nouveaux Typhoon, de sorte à préserver le marché potentiel du SCAF qui, de toute évidence, sera avant tout destiné à remplacer les Eurofighter bien davantage que les Lighting II. De fait, contrairement au GCAP ou aux NGAD qui visent précisément à opérer pleinement aux cotés d’une flotte de F-35 assurant les missions d’attaque, les arbitrages espagnols et allemands préservent, jusqu’à présent, le caractère pleinement polyvalent du SCAF, indispensable à Paris.

Toutefois, il ne restera en Europe, une fois les programmes espagnols officiellement lancés, que deux pays ayant fait le choix de s’appuyer pleinement sur leurs propres appareils pour leurs forces aériennes, la Suède avec le JAS-39 Gripen et la France avec le Rafale. Une telle convergence de vue mais également de positionnement stratégique et industriel, constitue, sans le moindre doute, un terreau dès plus favorable pour construire une coopération très solide, dans le domaine aéronautique mais également au delà, comme dans la conception de sous-marins, de blindés ou de systèmes d’artillerie. Alors que l’adhésion de la Suède a l’OTAN est en suspend du fait du veto turc, on peut s’étonner que Paris n’entreprenne pas d’importants efforts pour créer les bases d’un rapprochement stratégique en terme de défense mais également d’industrie de défense avec Stockholm, par exemple en étudiant l’opportunité de developper un second chasseur plus léger que le NGF de SCAF, ou d’une gamme de sous-marins conventionnels étendue associant les navires océaniques de Naval Group et les navires plus compacts suédois. L’Europe ne se limite pas aux pays frontaliers de la France …

La Roumanie va dépenser 10 Md€ pour moderniser ses armées

Avec un budget de défense de 7,8 Md€ par an, soit 2% du PIB du pays, la Roumanie fait parti des bons élèves de l’OTAN, même si cet effort est handicapé par un PIB de moins de 300 Md$ et un des PIB par habitant les plus faibles au sein de l’Union Européenne. La hausse de l’effort de défense, entamé en 2013 après le retour de Vladimir au Kremlin et le durcissement sensible de la posture russe en Europe de l’Est, permit de faire progresser l’effort de défense de 1,2% du PIB à 2% aujourd’hui, et de viser les 2,5% dans les années à venir, alors que le pays peut s’appuyer sur une croissance dynamique de l’ordre de 5% par an. L’augmentation des budgets permit à Bucarest de lancer plusieurs programmes d’acquisition d’armement, tant pour moderniser ses forces armées que pour occidentaliser ses équipements, jusqu’ici largement composés de matériels soviétiques produits sous licence par l’industrie locale. C’est ainsi qu’en 2020, les forces aériennes et terrestres roumaines commencèrent à recevoir les premières des 7 batteries anti-aériennes MIM-104 Patriot commandés auprès des Etats-Unis, alors qu’en 2016, les premiers des 17 F-16 d’occasion acquis auprès du Portugal, suivi cette année de 32 autres F-16 cédés par la Norvège. En 2019, c’était le français Naval Group qui remportait la compétition pour la construction de 4 corvettes Gowind 2500, alors que Bucarest a depuis entamé des discussions avec Paris pour l’acquisition de sous-marins Scorpene.

Il y a quelques jours, le Ministère de la défense roumain a présenté son plan pour moderniser ses forces terrestres, ce après annoncé, il y a quelques semaines, l’acquisition de 54 chars lourds M1 Abrams d’occasion auprès des Etats-Unis. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Bucarest se donne les moyens de ses ambitions, en mettant pas moins de 10 Md€ sur la table pour acquérir 298 véhicules de combat d’infanterie, 41 systèmes de protection anti-aérien à courte portée SHORAD, une centaine de systèmes d’artillerie automoteurs de 155 mm, ainsi que 485 missiles air-air AIM-120 et AIM-9X Sidewinder pour armer ses F-16 récemment acquis, le tout avec un ambitieux planning de livraison.

Le K21 dans sa variante AS21 Redback est aujourd’hui considérée comme le favori de la compétition Land 400 en Australie face au KF41 Lynx.

Les 298 véhicules de combat d’infanterie, pour lesquels 3 Md€ ont été provisionnés dont 2,5 Md€ pour une première commande de 246 blindés dont la livraison doit débuter cette année, devront remplacer les quelques 150 MLI-84 dérivés du BMP-1 soviétique, en service depuis le milieux des années 80. Ils évolueront aux cotés des 227 Piranha V en cours de livraison, alors que 150 exemplaires supplémentaires pourraient être prochainement commandés. Plusieurs VCI répondent au cahier des charges du Bucarest, et dans l’enveloppe annoncée, dont le CV90 Mk4 récemment sorti victorieux des compétitions Slovaques et Tchèques, ainsi que le KF41 Lynx de Rheinmetall retenu par Budapest en 2020. Toutefois, le grand favori, aujourd’hui, n’est autre que le K21 sud-coréen, aprés que la société d’état ROMARM ait signé, au début du mois de février, un Memorandum of Understanding pour la production de blindés avec le sud-coréen Hanwha, à l’instar de ce qui fut fait en Pologne au sujet des chars K2 et des canons automoteurs K9. Economique avec un prix unitaire public inférieur à 5 m$, puissamment armé avec un auto canon de 40mm, et très mobile grâce à son moteur de 750 cv lui conférant un rapport puissance/poids de 29 cv par tonne, le K21 a en effet des arguments à faire valoir, surtout accompagné d’un accord industriel efficace, d’autant que l’enveloppe budgétaire prévue (10 m€/blindé) offre une grande liberté de configuration aux négociateurs roumains.

La situation est sensiblement similaire pour ce qui concerne la centaine de systèmes d’artillerie pour lesquels Bucarest a provisionné 2 Md€ afin d’armer 5 régiments d’artillerie, dont 1,15 Md€ pour la livraison des 3 premiers régiments, ceci comprenant les éléments d’artillerie mais également les munitions et les véhicules de soutien. Là encore, le cahier des charges semble parfaitement taillé pour le K9 Thunder sud-coréen et son véhicule de soutien K10, ces derniers faisant également parti de l’accord entre Hanwha et Romarm, laissant bien peu d’espace de manoeuvre aux autres systèmes européens comme le Pzh2000 allemand, l’Archer NG suédois ou le Caesar français, même si ce dernier reste en course pour remplacer une partie de l’artillerie tractée roumaine. Un succès du K9 en Roumanie en ferait le 6ème opérateur au sein de l’OTAN, et le système d’artillerie le plus largement employé au sein de l’alliance et sur le vieux continent.

Le système SPYDER-SR est sensiblement moins onéreux que ses homologues européens comme l’IRIS-T SLM ou le NASAMS

L’acquisition de 41 systèmes SHORAD pour 4,2 Md€ est peut-être la compétition la plus ouverte aujourd’hui. En effet, plusieurs systèmes peuvent répondre aux besoins exprimés par Bucarest, comme l’Iris-t SLM de l’allemand Diehl, le SPYDER de l’israélien Rafael, le Nasams co-produit par le norvégien Kongsberg défense et l’américain Raytheon, ains que le MICA VL NG français. Tous ces systèmes offrent une bulle de protection de 30 km de rayon, et sont performants contre les avions de combat, les hélicoptères et les missiles de croisière. Reste que 100 m€ par batterie représentent une enveloppe très contraignante pour le NASAMS, le MICA VL et l’IRIS-T SLM, alors qu’ils correspondent parfaitement au tarif d’acquisition des batteries SPYDER, d’autant que Rafael a laissé fuiter dans la presse en début d’années être en négociation avec pas moins de 5 pays européens, dont la Roumanie.

On le voit, il y a de fortes chances qu’aucune entreprise européenne de défense ne voit la couleur de ne serait-ce qu’une partie des 10 Md€ qui seront investis par Bucarest pour moderniser ses forces armées terrestres. A l’instar de la Pologne, il semble bien que Bucarest ira privilégier le rapport performances-prix offert par le sud-coréen Hanwha pour son parc blindé, d’autant que des discussions seraient également en cours au sujet du système lance-roquettes à longue portée K239, alors que tout porte à croire que la défense anti-aérienne roumaine sera américano-israélienne. Bien évidemment, il est tentant de juger durement Bucarest pour son manque d’empressement à acheter européen et à soutenir la BITD européenne, un reproche fréquemment fait à la Pologne. Toutefois, contrairement à Varsovie, les autorités roumaines ont toujours fait preuve d’un attachement profond à l’UE. Dès lors, si effectivement les autorités roumaines arbitraient en faveur du K21, du K9 et du SPYDER, il serait sans le moindre doute nécessaire de s’interroger sur les raisons ayant amené un partenaire européen privilégié à se tourner vers des offres extra-européennes, plutôt que de se perdre en invectives stériles pour masquer une situation qui, de toute évidence, tend à se multiplier depuis quelques années, tout au moins dans certains domaines comme les blindés lourds ou la défense sol-air.

L’Armée de Terre française peut-elle se tourner vers le char KF-51 Panther de l’allemand Rheinmetall ?

Ça y est… ils ont craqué... C’est probablement en ces termes que l’immense majorité des lecteurs, tout du moins les plus mesurés d’entre eux, ont abordé ce nouvel article au titre un tantinet provocateur.

En effet, le nouveau char KF-51 Panther présenté par son concepteur, l’allemand Rheinmetall, lors du salon Eurosatory 2022, est aujourd’hui le principal outil dans les mains de son PDG, Armin Papperger, pour tenter de faire dérailler le programme franco-allemand MGCS qui vise à concevoir, précisément, le remplaçant du char français Leclerc comme du Leopard 2 allemand. Développé en fonds propres, le Panther est proposé par Rheinmetall à quiconque montre un intérêt pour acquérir un nouveau char lourd, y compris dans des montages pour le moins improbables.

Comment, dans ce cas, peut-on ne serait-ce qu’imaginer que la France puisse se tourner vers ce blindé, alors même qu’elle développe le MGCS et modernise le Leclerc ?

Comme souvent, le point de vue par lequel on aborde un problème conditionne sensiblement le raisonnement et donc la conclusion que l’on peut y apporter. Ainsi, aujourd’hui, les autorités françaises, comme l’opinion publique du pays, soutiennent activement le concept d’armée globale pour les armées françaises, à savoir une force armée disposant de la majorité des capacités requises pour répondre à un champ d’utilisation très étendu.

C’est ainsi que l’Armée de terre dispose à la fois de forces adaptées à l’engagement de haute intensité symétrique qu’à la projection de forces en environnement dissymétrique, que la Marine dispose d’une composante aéronavale enviée de nombreux autres pays et d’un savoir-faire en matière de suprématie navale et de projection de puissance très élargi, et que l’Armée de l’Air est apte à soutenir ces deux armées dans l’ensemble des scénarios d’emploi.

Qui plus est, la France dispose d’une dissuasion à deux composantes, par ailleurs technologiquement très avancée, lui conférant un poids sensiblement égal à celui de la Chine dans ce domaine. Ce qui est encore plus rare, la France dispose d’une base industrielle et technologique Défense, ou BITD, elle aussi globale, lui conférant une très grande autonomie d’action et de décision quant à l’emploi de ses forces armées, ainsi qu’un atout de poids sur la scène internationale grâce aux exportations d’armement.

Pour venir renforcer le parc de chars Leclerc, l'Armée de Terre peut-elle se tourner vers le KF-51 Panther de Rheinmetall ?
L’Armée de Terre ne va moderniser que 200 de ses 226 Leclerc encore en service

Pour y parvenir, la France consacre chaque année plusieurs Milliards d’euros pour financer les programmes de Recherche et de Développement de la BITD, de sorte à conserver des armements aussi performants sur le terrain qu’attractifs sur la scène export, ce qui lui permet notamment d’engranger d’importantes recettes budgétaires et fiscales liées à ce dernier aspect et permettant d’alléger le fardeau budgétaire pour les finances publiques, en particulier grâce à certains équipements stars des exportations comme l’avion Rafale, le canon CAESAR, le sous-marin Scorpène ou la frégate FDI. Dans ce contexte, la question posée en titre de cet article, apparait probablement inutilement provocante.

Pourtant, pour peu que l’on étudie avec méthode et objectivité le sujet, il apparait que la conception de certains équipements, notamment les chars lourds, engendre en France des couts loin d’être compensés par les recettes à l’exportation, mais également loin d’offrir un bénéfice opérationnel ou politique suffisamment significatif pour justifier de tels développements, plutôt que de se tourner vers des solutions proposées par des partenaires internationaux, et qui pourraient s’avérer plus économiques et moins contraignantes tant pour l’acquisition que pour la mise en œuvre de ces équipements. On continue ?

Pour poser le sujet, il est important d’en définir les paramètres. Et aujourd’hui, le plus contraignant d’entre eux concernant la flotte de chars lourds français n’est autre que la dimension du parc.

Ainsi, si l’Armée de terre avait acquis plus de 1300 chars AMX-30 entre 1966 et 1980, elle n’a reçu que 488 chars Leclerc à partir de 1993, ce qui contraint le Ministère de la Defense à ventiler les couts de développement, soit 1,8 Md€, sur un nombre réduit de coque, amenant le char à un prix d’acquisition unitaire de 15 m€ par char en 1995 (soit 26 m€ en euro 2023), là où, à la même époque, le Leopard 2A5 était proposé à 6 m€ (soit 11 m€ 2023).

Il est évidemment possible d’ergoter sur les capacités supérieures du Leclerc vis-à-vis de son homologue allemand. Pour autant, le faible volume de la commande française, ainsi évidement qu’un calendrier très malchanceux (du point de vue industriel) avec la fin de la Guerre Froide, fit du Leclerc un programme très déficitaire du point de vue des finances publiques, ce même en tenant compte des 388 chars acquis par les Émirats Arabes Unis.

Au-delà des surcouts d’acquisition, le périmètre réduit de la flotte, ainsi que du marché export, a considérablement handicapé les opportunités de modernisation du blindé depuis son entrée en service, les chars français ayant très peu évolué depuis leur livraison initiale.

Berlin envisage d’acquérir une flotte complémentaire de chars de génération intermédiaire pour durcir sa composante haute intensité

La situation autour du Leclerc ne va certainement pas s’améliorer dans les années à venir alors que, dans le cadre de la LPM 2019-2025, la modernisation prévue du parc de l’Armée de terre ne portait que sur 200 unités.

Et alors que le rôle du char de combat a été mis en évidence de manière incontestable face à ses détracteurs par la guerre en Ukraine, la planification française demeure inchangée, avec 200 exemplaires armant 3 régiments de chars et une compagnie de 3 régiments d’infanterie mécanisée jusqu’en 2035 et l’arrivée espérée du MGCS.

Or, si le développement et l’amortissement d’un programme de char lourd ont déjà été lourdement handicapés par un format de moins de 500 unités à la fin des années 80, on imagine ce qu’il pourrait en être avec un format de flotte à 200 exemplaires, 250 en étant optimiste et en tenant compte de machines d’entrainement et de réserve, alors même que les couts de développement vont être beaucoup plus importants du fait de l’évolution technologique.

Ce d’autant que le marché export sur lequel le successeur du Leclerc pourrait arriver en 2035, MGCS ou autre, pourrait bien avoir bien davantage de points communs avec le marché 1990 du Leclerc qu’avec le marché 1970 de l’AMX-30.

En effet, les offres se multiplient aujourd’hui sur la scène internationale, avec l’arrivée de nouveaux acteurs comme le K2 Black Panther sud-coréen, l’Altay turc et le VT4 chinois, alors que les acteurs traditionnels américains, allemands et russes, semblent déterminés à conserver leurs parts de marché dès maintenant.

Dit autrement, un successeur au Leclerc qui entrerait en service en 2035 comme visé par l’Armée de terre, pourrait bien arriver exactement entre deux vagues d’acquisitions à l’échelle mondiale, celle en cours aujourd’hui et celle qui débutera en 2045 pour remplacer précisément les chars acquis en ce moment.

Il est évidemment possible qu’à l’avenir, au-delà de l’exécution de la future LPM 2024-2030, le format des forces blindées lourdes puisse être appelé à évoluer positivement, ce qui permettrait d’étendre la surface d’application des couts de conception.

En outre, si le remplaçant du Leclerc est effectivement le programme MGCS franco-allemand, ces couts seront répartis également entre la France et l’Allemagne, alors que le volume de production sera lui au moins multiplié par deux. On est sauvé ? C’est possible, et c’est incontestablement aujourd’hui le plus important argument en faveur de ce programme de coopération.

Toutefois, il convient de garder à l’esprit que l’histoire des programmes de ce type a montré qu’ils avaient aisément tendance à déborder des prévisions budgétaires et de leur calendrier initialement établi, parfois au point de venir neutraliser les bénéfices espérés de la coopération.

D’autre part, des informations concordantes et de plus en plus insistantes laissent entendre que Berlin envisagerait de viser une échéance opérationnelle à 2045 pour le MGCS, tout en achetant à court terme une nouvelle flotte de chars de génération intermédiaire (Panther ou Leopard 2A8) et en modernisant ses Leopard 2A6 pour assurer l’intérim, alors que les points de friction entre Nexter et Rheinmetall, notamment au sujet de l’armement principal du char, n’ont pas été arbitrés.

Le démonstrateur E-MBT est une alternative attractive pour la France si celle-ci entend continuer à jouer un rôle sur le marché des chars de combat dans les deux décennies à venir.

Dans ce contexte, il n’est pas absurde de s’interroger objectivement sur la pertinence, pour Paris, de s’engager dans le développement d’un remplaçant du Leclerc, y compris en coopération, plutôt que de se tourner vers une acquisition sur étagère européenne ou internationale.

Et dans cette hypothèse, il apparait que l’industriel, mais également le pays, qui serait prêt aux plus grandes concessions afin de vendre 200 de leurs chars de génération intermédiaire, seraient probablement Rheinmetall et l’Allemagne, le premier qui pourrait enfin trouver son client export, et non des moindres, pour lancer la production de son Panther, le second pour aligner les calendriers français et allemands au sein de MGCS, tout en créant un précédant industriel qui, jusqu’ici, n’a jamais eu lieu entre Paris et Berlin à un tel niveau.

Quant à l’Armée de terre, elle disposerait d’un char plus moderne que ne le sera le Leclerc modernisé et surtout bien mieux protégé grâce au système hard-kill du Panther. Une autre possibilité serait le K2PL polonais de conception sud-coréenne, lui aussi performant et probablement plus économique que le Panther, qui ouvrirait d’importantes opportunités pour accroitre les coopérations industrielles et opérationnelles entre Paris et Varsovie.

Bien évidemment, d’autres solutions existent, la plus évidente étant d’engager rapidement le développement du char E-MBT précisément pour saisir l’opportunité commerciale du moment en ouvrant le programme à d’autres partenaires, comme la Grèce, mais également l’Égypte, les EAU ou l’Arabie Saoudite, des pays qui tous vont devoir prochainement moderniser leur parc blindé lourd dans les années à venir.

Pour autant, ce qui apparaissait initialement comme une hérésie méritant le pire des châtiments, apparait, de toute évidence, bien moins hérétique une fois l’ensemble des paramètres et des contraintes encadrant le sujet posé.

Plus globalement, si le choix de disposer d’une Armée Globale contrainte par ses effectifs et son budget relève d’un arbitrage politique, le fait de se doter, ou pas, d’une BITD globale, en revanche, découle directement des formats effectifs constatés dans les armées, ou des partenariats industriels et politiques qu’il est possible de fédérer autour de ces sujets.

De toute évidence, la pire des solutions, ou tout au moins la plus onéreuse et la moins efficace, serait d’imposer artificiellement à cette BITD un caractère global sans disposer du format des armées suffisant pour justifier une telle décision.

Le système d’artillerie mobile HIMARS portera à 1000 km dans les années à venir

Avec le CAESAR, le TB2 et le Javelin, le système d’artillerie mobile HIMARS a été l’une des grandes révélations opérationnelles de la première année de guerre en Ukraine. Armé de 6 roquettes M30 ou M31 d’une portée allant de 15 à 90 km, ce système monté sur un camion 6×6 est à la fois très mobile grâce à ses 290 cv pour une masse de seulement 16 tonnes, et très efficace contre les lignes arrières de l’adversaire, grâce à sa grande précision et la puissance destructrice de la tête militaire des roquettes. L’HIMARS peut également mettre en oeuvre la munition Ground Launch Small Diameter Bombe, composée d’une bombe GBU-39 intégrée à un fuselage léger et un propulseur, permettant d’atteindre une portée de 150 km, et le missile balistique léger ATACMS d’une portée de 300 km, capable notamment de détruire des cibles fortement durcies comme les bunker. Si Washington refuse toujours la livraison d’ATACMS aux forces Ukrainiennes, celle de GLSDB aurait déjà commencé, alors que les armées russes avaient déjà du réorganiser leurs lignes logistiques pour contrer la menace des roquettes M30 et M31.

Dans le cadre du programme Long Range Precision Fire, ou LRPF, l’US Army a lancé, en 2016, la conception d’un nouveau missile balistique, le Precision Strike Missile ou PsSM. Plus fin que l’ATACMS, il permet à l’HIMARS de mettre en oeuvre simultanément 2 missiles balistiques, contre un unique ATACMS, et peut atteindre des cibles distantes de 500 km. Outre le guidage GPS et inertiel de l’ATACMS, le LRPF dispose également d’un système de guidage terminal lui permettant de frapper des cibles mobiles, comme les navires ou les véhicules, en faisant une arme d’une grande polyvalence. Au delà du PrSM Inc 1 actuellement en production pour remplacer les ATACMS, le développement de deux autres versions avaient déjà été entamé. Le PrSM Inc 2 reçoit ainsi un autodirecteur multi-mode radar et infrarouge en faisant le système anti-navire demandé par l’US Army dans le cadre de son renforcement sur le théâtre Pacifique. Le PrSM Inc 3, quant à lui, doit être doté d’une nouvelle charge militaire, de sorte à en accroitre l’efficacité notamment contre les cibles durcies ou déployées.

Le missile balistique ATACMS est à ce point imposant qu’un HIMARS ne peut en mettre en oeuvre qu’un seul, contre 2 PrSM et 6 M31.

Dans le cadre du budget 2024, le développement d’une 4ème version du PrSM a été dévoilée. Désigné PrSM Inc 4 mais également Long Range Maneuverable Fires (LRMF), ce nouveau missile permettra d’atteindre une portée de 1000 km grâce à un fuselage redessiné et un nouveau propulseur, peut-être employant un stato-réacteur à l’instar de l’ASMPA français. Selon le site BreakingDefense.com, il est possible que le LRMF entre en service simultanément à la nouvelle charge militaire du PrSM Inc 3. Toutefois, pour l’heure, le sujet semble encore largement confidentiel, ni l’état-major ni les industriels interrogés par le site américain n’ayant accepté de donner des informations sur ce programme, en dehors du fait qu’il a bel été bien été lancé.

Le développement du LRMF est rendu possible par le retrait par Washington du traité INF annoncé en 2018 et mis en application le 1er février 2019 par Donald Trump, après que les Etats-Unis aient constaté le non respect du traité par la Russie qui développait alors le système 9M729, un missile de croisière d’une portée de plus de 1500 km selon le renseignement américain. La portée du PrSM de 500 km, tout comme celle du missile basilique russe 9M723 Iskander, résultait précisément des limitation du traité INF, qui interdisait la possession ou le développement de missiles baltiques ou de croisière à lancement terrestre d’une portée allant de 500 à 5.500 km. Notez que les missiles navales comme les missiles de croisière aéroportés, tels que le Tomahawk américain ou le Kalibr russe, n’étaient pas concernés par ce traité, ceci expliquant la multiplication de ces systèmes sur ces vecteurs aux Etats-Unis comme en Russie. C’est notamment pour cette raison que les OPV de la Marine russe comme les Buyan-M furent équipés de 8 silos pour emporter le missile de croisière Kalibr. Mis en oeuvre à partir de la Mer Noire ou de la Mer Baltique, ces navires de moins de 1000 tonnes, faisaient ainsi porter une menace directe sur tout le territoire européen grâce aux 2500 km de portée du missile 9M54 Kalibr.

La Chine n’était pas concernée par le traité INF, ce qui lui permit de developper plusieurs missiles de moyenne portée comme le DF17 coiffé d’un planeur hypersonique.

Reste que l’arrivée massive à venir de ces systèmes d’artillerie à longue portée, comme le PrSM et le LRMF de l’US Army, le 9M729 russe ou les DF21 et DF17 chinois, mais également des systèmes de détection et de communication nécessaires pour leur mise oeuvre la plus efficace possible, va profondément modifier la conduite des opérations militaires terrestres, notamment la notion déjà floue de ligne de front et de lignes arrières, désormais presque aussi vulnérables les unes que les autres. Il sera indispensable, pour éviter des frappes destructrices notamment sur les noeuds logistiques et rassemblements de force, de s’appuyer sur une doctrine à la fois très dynamique et d’une grande atomicité, de sorte à obtenir le même effet opérationnel sans devoir passer par des phases de concentration de forces. En outre, les lignes logistiques vont considérablement se complexifier.

De fait, alors que depuis la seconde guerre mondiale, la puissance militaire était évaluée en faisant la synthèse qualitative et quantitative des forces, celle-ci pourrait dépendre, à l’avenir, de la capacité ou pas à mettre en oeuvre ce type de doctrine all-domain et à disposer des moyens technologiques susceptibles d’en exploiter pleinement le potentiel. C’est à ce titre probablement autour de ces domaines que les armées disposant effectivement de moyens budgétaires significatifs, mais limités dans leurs ressources humaines, comme c’est le cas du Japon, de l’Allemagne mais également, plus globalement, de tous les pays occidentaux économiquement avancés comme les Etats-unis, le Royaume-Uni ou la France, trouveront les moyens de rétablir un rapport de force numériquement défavorable. Encore faudra-t-il que la boucle opérationnelle allant de la détection au tir à la vérification des dégâts, soit effectivement maitrisée technologiquement dans son intégralité par celui qui entend jouer un rôle dans la géopolitique de demain.

Gamers et Intelligence artificielle peuvent-ils améliorer l’efficacité des simulations militaires ?

Les simulations militaires de type wargame ont toujours été un outil précieux pour les états-majors, mais depuis le retour des tensions internationales, leur importance a considérablement augmenté en raison des évolutions géopolitiques en Europe, en Asie et au Moyen-Orient. Alors qu’il était admis dans les années 1990 qu’aucune puissance militaire ne pouvait espérer s’opposer militairement à l’Occident, la montée en puissance des forces armées chinoises, russes, iraniennes et même nord-coréennes oblige les états-majors à s’appuyer sur des simulations de plus en plus nombreuses et précises pour planifier leur propre montée en puissance et organiser leurs forces et moyens.

L’OTAN organise fréquemment des séances de simulation de type wargame pour l’aider à organiser son propre dispositif défensif. Toutefois, cet exercice souffre de plusieurs faiblesses. D’une part, il ne vaut que par la précision des modèles utilisés, qu’il s’agisse des simulations elles-mêmes ou des ordres de bataille effectifs. L’article d’Overt Defense de mars 2021 sur l’annihilation des forces polonaises en seulement cinq jours lors d’un wargame illustre bien les limites des modèles de simulation. Les performances réelles des forces russes en Ukraine ont montré qu’elles avaient été de fait sensiblement sur-évaluées par les modèles de simulation. Surtout, ces wargames sont principalement employés par des personnels ayant toutes la même formation et le même profil : des officiers des différentes armées occidentales. Il en résulte une portée et une efficacité limitées de ces exercices.

Les unités russes se sont montrées sensiblement moins efficaces au combat en Ukraine que ne l’anticipaient les modele occidentaux.

Il existe cependant une autre catégorie de personnels qui pourrait représenter une plus-value significative pour l’efficacité de ces simulations : les gamers. Ces derniers, pour qui le but est avant tout de gagner en se basant sur la simulation elle-même, et non sur ce qu’elle est censée simuler, proposent des approches parfois radicalement différentes de celles qu’emploieraient des militaires de formation, mais non moins efficaces, au contraire. Par ailleurs, ils jouent souvent plusieurs fois la même partie pour en étudier les variations et ainsi produire la conduite de jeu la plus performante. Dans un environnement numérisé, ils seraient alors en mesure produire de grandes quantités de données qu’une intelligence artificielle pourrait à son tour analyser, intégrer et optimiser, de sorte à prendre le relais et ainsi analyser de très nombreux scénarios pour produire des alternatives tactiques et stratégiques très efficaces et potentiellement inenvisagées pour les militaires de formation.

Ces alternatives tactiques et stratégiques pourraient être particulièrement utiles dans les conflits de haute intensité, qui se caractérisent par une grande incertitude, une grande rapidité de décision et une grande complexité tactique. Ainsi, les wargames mise en oeuvre par des gamers et analysés par l’intelligence artificielle, pourraient représenter un moyen efficace afin d’explorer de manière approfondie les limites des systèmes de défense actuels et de développer des tactiques et des stratégies innovantes. Dans cette optique, des initiatives ont été lancées pour intégrer des gamers et des experts en intelligence artificielle dans la conception des simulations militaires. Par exemple, le projet « Stolen Cerberus » mené par l’US Army et développé par la société californienne Slitherine, vise à créer une plateforme de wargame en ligne où les joueurs peuvent participer à des combats à grande échelle en temps réel, tout en permettant aux développeurs de collecter des données de jeu pour améliorer la précision des modèles de simulation. Les gamers pourront ainsi contribuer à la formation d’une base de données gigantesque qui permettra d’affiner les modèles de simulation, de prédire les résultats d’une bataille et de proposer des stratégies innovantes.

Ecran de la simulation numérique militaire tactique Tacops 4

De plus, des entreprises spécialisées dans l’intelligence artificielle comme C3.ai, Palantir ou IBM ont développé des outils pour améliorer la qualité des simulations de guerre. Par exemple, Palantir a développé une plateforme appelée « Gotham », qui permet aux analystes militaires de travailler en temps réel pour collecter, analyser et partager des données dans le but de prédire les résultats d’une bataille et de développer des stratégies efficaces. Toutefois, il est important de noter que l’utilisation des gamers et de l’intelligence artificielle dans les simulations militaires soulève également d’autres questions d’ordre éthiques et de sécurité. Ainsi, les données collectées par ces outils pourraient potentiellement représenter une information capitale si elles tombaient entre les mains d’un adversaire potentiel, alors que l’utilisation de l’intelligence artificielle dans la guerre soulève dans certains pays des questions très sensibles, notamment sur la responsabilité en cas de pertes civiles ou de violations des droits de l’homme. Il est donc essentiel que les militaires travaillant avec des gamers et des experts en intelligence artificielle prennent des mesures de sécurité appropriées pour protéger ces données sensibles, ce qui peut s’avérer délicat à mettre en oeuvre en dehors du strict milieux militaire. Notons enfin que si l’appel aux Gamers s’avèrerait pertinent, il ne peut se faire qu’en complément d’une utilisation plus traditionnelle et académique des simulations par les militaires eux mêmes, de sorte à entendre le potentiel d’apprentissage de l’IA, et non de le restreindre. .

Les Wargames traditionnels offrent une grande convivialité, mais ne permettent pas de post-traitement numérique pour étudier les possibles variations ou pour renseigner une IA. Remarquez les uniformes tout au tour du plateau.

Comme nous l’avons vu, les simulations militaires sont devenues un outil crucial pour les états-majors dans un contexte géopolitique en évolution rapide. Les wargames permettent de tester différentes stratégies et tactiques avant de les mettre en œuvre sur le terrain. Cependant, ces simulations souffrent de plusieurs limites qui peuvent affecter leur efficacité, notamment la précision des modèles utilisés et la formation des personnels impliqués. Les gamers et l’intelligence artificielle peuvent apporter une valeur ajoutée significative à ces simulations en proposant des approches radicalement différentes et en produisant de grandes quantités de données qui peuvent être analysées et optimisées par l’IA. Aux États-Unis, plusieurs initiatives ont été lancées pour exploiter les compétences des gamers et de l’IA dans le cadre de simulations militaires. En Europe, cependant, la question de la simulation militaire prospective est encore souvent abordée avec une approche traditionnelle, tant en matière de modélisation que de technologie. Pourtant, il est clair que les gamers et l’IA peuvent jouer un rôle important dans l’efficacité des simulations militaires, et il est temps que les états-majors européens commencent à explorer pleinement leur potentiel.