mercredi, décembre 3, 2025
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Après la Russie, la Corée du Nord surfe sur le fantasme de la torpille nucléaire capable de créer un Tsunami

Les autorités nord-coréennes ont annoncé avoir développé une torpille nucléaire comparable à la Poseidon russe, et comme elle, capable de provoquer d’immenses Tsunami. Mais ces affirmations sont bien peu crédibles, comme le sont, d’ailleurs, celles concernant la Poseidon russe.

Le 1ᵉʳ mars 2018, à l’occasion d’une allocution télévisée dans le cadre de la campagne électorale présidentielle, le président Vladimir Poutine annonçait publiquement l’arrivée prochaine, au sein des forces armées russes, de six nouvelles armes qui amèneront le monde, et les occidentaux en particulier, à « écouter à nouveau la Russie« , selon ses mots.

Au-delà des armes hypersoniques Kinzhal et Avangard ainsi que du nouvel ICBM RS-28 Sarmat, tous désormais bien connus, le président russe présenta un missile de croisière « à propulsion nucléaire », le 9M730 Burevestnik, un système de défense anti-aérienne et spatiale laser désigné Perevest, ainsi qu’une arme qui, depuis sa présentation, suscite de nombreux commentaires, la torpille drone lourde à propulsion nucléaire Status 6, désignée par la suite en Russie sous un autre nom, la torpille Poseidon, suite à une consultation nationale qui en souligne sa principale dimension, à savoir faire parler d’elle.

La présentation publique de la Poseidon par Vladimir Poutine n’était toutefois pas, à proprement parler, une découverte en occident. En effet, le programme était surveillé depuis de nombreuses années par les services de renseignements occidentaux, la CIA la désignant alors sous le nom de code Kanyon. En outre, en 2015, le site d’information Rosskaijia gazeta, publia un article à ce sujet, présentant une nouvelle torpille drone à propulsion nucléaire, lui conférant une autonomie de plus de 10.000 km et une vitesse de pointe de 100 nœuds (180 Km/h), lui permettant de contourner les défenses sonars adverses et venir frapper une cible.

Cette « fuite d’informations », que beaucoup de spécialistes considèrent intentionnelle, expliquait alors que la charge nucléaire retenue pour la torpille, était davantage une arme radiologique qu’une arme nucléaire du fait de l’utilisation de Cobalt-59, caractérisée par une contamination sensiblement plus importante et longue, avec une demi-vie de 5 ans pour le Cobalt-60, que celle résultante d’autres types d’isotopes, comme l’Or ou le zinc.

En d’autres termes, la torpille était présentée comme une arme destinée à contaminer un espace littoral de plusieurs dizaines de kilomètres carrés, ou à pénétrer les défenses adversaires pour venir, par exemple, faire détoner une charge nucléaire dans un port militaire.

Le Tsunami créé par la torpille nucléaire Poseidon russe n'est pas crédible
Le nouveau sous-marin nucléaire lance-missile Belgorod, destiné à transporter les torpilles Poseidon, est aujourd’hui le plus imposant sous-marin en service

La notion de créateur de Tsunami était, de fait, totalement absente de la communication russe, y compris lors de la présentation publique de 2018. Les références à cette éventuelle capacité ne sont d’ailleurs pas à chercher en Russie, mais en occident, et plus précisément au début de l’année 2017 dans des tabloïds britanniques friands de ce type de titre accrocheur.

Cette spéculation avait été alors immédiatement rejetée par plusieurs spécialistes de la question, arguant que non seulement la puissance nécessaire pour générer un faible tsunami dépasserait les 100 Mégatonnes alors que la plus puissante bombe thermonucléaire jamais construite, la Tzar bomb soviétique de 1961, n’atteignait que 54 Mt, et surtout que l’utilisation d’une torpille dronisée de ce type n’apportait aucune plus-value, bien au contraire, vis-à-vis des armes stratégiques plus traditionnelles, comme les missiles intercontinentaux ICBM et SLBM.

Même l’hypothèse de l’arme radiologique à base de Cobalt, avancée par Russkajia Gazeta, était taillée en pièce, alors que l’immense majorité des isotopes libérés dans une telle hypothèse, se disperserait dans l’océan et non sur la cote. Malheureusement, l’hypothèse de la torpille capable de générer des super-tsunamis était bien trop appétant pour la presse occidentale, celle-ci reprenant en boucle cette hypothèse peu crédible, au point que quelques mois plus tard, c’était au tour de la propagande russe d’annoncer que la Poseidon emportait une charge de 100 Mt capable de générer une vague de « plusieurs centaines de mètres ».

Rappelons que l’énergie dégagée lors du Tsunami de Fukushima en 2011, était 5 fois plus importante que celle dégagée par une bombe thermonucléaire de 100 Mt (qui n’existe pas), et 250 fois plus importante que la tête de 2 Mt parfois présentée comme armant la torpille russe.

Depuis, cette fonction fictive de la Poseidon s’est imposée dans la propagande russe, reprise avec délectation par les médias occidentaux, au point de venir masquer la fonction réelle de l’arme, c’est-à-dire de s’appuyer sur sa grande autonomie pour contourner les défenses sonar américaines, et venir faire peser une menace sur les arsenaux occidentaux, comme le fit le sous-marin nucléaire d’attaque HMS Conqueror après que le croiseur ARA General Belgrano fut coulé, amenant l’immense majorité de la Marine Argentine à rester au port pendant la guerre des Malouines.

La dimension « destruction massive » fantasmée a supplanté la fonction opérationnelle de la Poseidon, y compris dans l’utilisation faite de ce système d’arme par Moscou, devenu une arme stratégique par la peur qu’elle inspire, bien davantage que l’arme « nucléaire tactique » qu’elle est vraiment.

Le programme de torpille à propulsion nucléaire chinois semble bien plus pertinent et applicable que la Poseidon russe.

Cette psychose irrationnelle auto-entretenue par les médias occidentaux n’est d’ailleurs pas passée inaperçue au-delà de la Russie. Ainsi, en juillet 2022, le directeur scientifique de l’Institut chinois de l’Énergie Atomique Guo Jian publia dans le Journal des systèmes autonomes sous-marins un article présentant une nouvelle torpille à propulsion nucléaire supposée en développement.

Toutefois, contrairement à la Poseidon russe, cette torpille n’emporterait pas de charge nucléaire, et emploierait son mini-réacteur nucléaire uniquement pour obtenir une autonomie de 200 heures à 30 nœuds, permettant par exemple de venir engager une force navale majeure à grande distance, sans que le vecteur principal, le sous-marin, n’ai besoin de s’en approcher.

D’ailleurs, selon Guo Jian, le réacteur nucléaire doit être éjecté par la torpille dès que la cible est détectée par son autodirecteur sonar, celle-ci agissant alors de manière parfaitement similaire à une torpille anti-navire lourde traditionnelle. Si l’utilisation présentée par les chercheurs chinois de cette torpille est nettement moins spectaculaire que les vagues de 300 mètres promises par Moscou, elle est également beaucoup plus concrète, d’autant que cette munition pourra être mise en œuvre par la plupart des sous-marins chinois, prenant place dans un tube lance-torpille classique.

En revanche, l’annonce faite hier par la Korean Central News Agency, l’agence de presse nord-coréenne, montre que Pyongyang entend se mettre dans les pas de Moscou dans ce domaine. En effet, l’agence a publié des photos montrant ce qui est présenté comme un nouveau drone sous-marin, ainsi que la supervision directe du président Kim Jung Un du projet, de sorte à en intensifier le caractère stratégique.

En effet, ce drone serait, comme la Poseidon, armé d’une puissante charge nucléaire, dont la fonction serait de créer « d’immenses Tsunami ». Si le discours ne suffisait pas, le drone est nommé Haeil (해일 en coréen), ce qui signifie … Tsunami.

Les photos publiées par KNCA montrent ce qui est présenté comme la détonation de cette arme (en illustration principale), soit une grande gerbe montrant effectivement l’existence d’une explosion sous-marine, mais non nucléaire, et sans aucun tsunami, l’agence précisant que plus d’une 50 essais du drone Haeil auraient été réalisés, 29 d’entre eux directement supervisés par Kim Jung-Un, et que le drone serait entré en service en décembre 2022.

Selon l’agence KNCA, le président Kim Jung-Un s’est personnellement investi dans le développement du drone nucléaire Haeil, en supervisant directement 29 des 50 tests effectués.

Si cette annonce est évidemment destinée à surfer sur les angoisses générées par la Poseidon, elle vise surtout à répondre à la mise en œuvre de la nouvelle doctrine 3 axes sud-coréenne, qui repose sur des frappes préventives pour détruire les vecteurs nucléaires nord-coréens, suivies de l’interception des vecteurs ayant survécu à cette première frappe, puis la destruction de l’ensemble des sites stratégiques de Corée du Nord, et contre laquelle Pyongyang, qui ne dispose que d’une cinquantaine de têtes nucléaires à ce jour, dont aucune thermonucléaire, est aujourd’hui relativement désarmée du fait de l’obsolescence avancée de ses forces conventionnelles.

Reste qu’au-delà de l’annonce, de nombreuses questions demeurent quant à la matérialité de cette annonce nord-coréenne, son industrie navale n’étant pas réputée pour produire des équipements sous-marins particulièrement performants ou discrets, alors que l’embarquement d’une charge nucléaire dans un drone de ce type requiert une miniaturisation de la charge qui peut être hors de portée de Pyongyang. Enfin, comme pour la Russie, l’efficacité relative d’un tel dispositif face, par exemple, aux nouveaux missiles semi-balistiques ou hypersoniques dont la Corée du Nord a fait la démonstration, est loin d’être en faveur du drone sous-marin.

De fait, il est très probable que cette annonce nord-coréenne, n’a pour seul objet que de créer en Corée du Sud une réaction comparable à celle obtenue, malgré elle, par la Russie en Occident au sujet de la Poseidon.

Dans un tel contexte, peu importe si l’arme est, ou n’est pas fonctionnelle ou efficace, tant qu’il y aura des médias pour véhiculer la peur d’un tsunami radioactif de plusieurs centaines de mètres venant frapper par surprise les cotes sud-coréennes.

L’Italie se donne les moyens, mais peine à trouver les militaires pour ses nouvelles ambitions de défense

Alors que l’Italie s’emploie à accroitre ses moyens militaires, tant du point de vue des équipements que du budget, elle rencontre d’importantes difficultés pour satisfaire à ses objectifs de recrutement, ceci venant menacer ses ambitions de défense.

L’augmentation des crédits consacrés à la défense avait été l’un des engagements de campagne de Giorgia Meloni, avec l’ambition affichée d’amener l’effort de défense italien à 2% d’ici à la fin de la décennie, contre 1,51% en 2023. Et de fait, s’exprimant face au sénat en début de semaine, la désormais première ministre du pays a confirmé qu’elle entendait bien appliquer strictement ses engagements de campagne dans ce domaine, et ce, de manière parfaitement ouverte et assumée.

Elle faisait ici référence à la hausse du budget des armées consenti par la coalition précédente qui fut faite de la façon la plus discrète possible, de sorte à éviter les critiques de l’Église catholique italienne, alors très opposée à cela. Il est vrai que depuis, la situation internationale a sensiblement évolué avec le retour de la guerre en Europe, les tensions sino-américaines dans le Pacifique, et la multiplication des points de tension menaçant de nombreux intérêts européens et italiens.

Les armées italiennes reviennent de loin. Ainsi, en 2015, la troisième économie d’Europe continentale, ne leur consacrait pas même 1% de son PIB à ses armées, avec un budget de défense d’à peine plus de 13 Md€.

Toutefois, contrairement à leurs homologues françaises ou britanniques, les armées italiennes disposaient alors d’un budget dédié aux acquisitions, l’équivalent en France des Programmes à Effets Majeurs (PEM), relativement important puisque atteignant alors 4,87 Md€, là où la France, par exemple, avait un budget de 31,4 Md€ dont seulement 5 Md€ consacrés au PEM, soit un effort industriel sur le budget défense de 15,9% en France contre 37,5% pour l’Italie.

Il est vrai que dans ce domaine, Rome peut s’appuyer sur deux caractéristiques propres au pays. La première est relative à la construction du budget italien, puisque les dépenses d’équipements du Ministère de la Défense sont abondées par le Ministère de l’Industrie. Ainsi, sur le 4,87 Md€ de crédits d’équipements pour les armées en 2015, seuls 2,37 Md€ ont été payés par le Ministère de la Défense, le solde, soit 2,5 Md€, ayant été financé par le Ministère de l’Industrie, pour soutenir l’activité industrielle défense italienne.

Si ce premier point est un avantage certain tant pour les armées que pour l’industrie de défense italienne, le second représente, en revanche, un handicap très sévère, aujourd’hui et à venir. En effet, comme toutes les armées occidentales professionnalisées, les armées italiennes peinent à recruter.

Avec un peu plus de 160.000 militaires d’active, le pays demeure proportionnellement proche des 207.000 militaires français vis-à-vis de sa population de 60 millions d’habitants. En revanche, une part significative de ces militaires refuse les postes contraignants, par exemple l’embarquement à bord de frégates, et la projection de forces.

De fait, s’exprimant face aux parlementaires italiens, le chef d’état-major de la Marina Militare, l’amiral Enrico Credendino, confirma qu’il était, aujourd’hui, incapable de fournir un équipage complet à l’ensemble de ses frégates, précisant à titre de comparaison, que la Marine Nationale disposait, elle, de deux équipages tournants par navire, leur conférant une disponibilité bien plus importante à la mer. Rappelons toutefois que les doubles équipages ne concernent qu’une partie des frégates de la Marine Nationale, et non l’ensemble de la flotte.

Ces éléments, associés à une augmentation budgétaire de plus de 30% dans les sept années à venir, expliquent les grandes ambitions affichées par les états-majors italiens en matière d’acquisition.

Ainsi, l’Armée de Terre a récemment rendu publique son intention d’acquérir, à court terme, 125 chars de combat, ainsi qu’une flotte de véhicules de combat d’infanterie modernes, qui viendront remplacer une partie des C1 Ariete, alors que 125 d’entre eux seront modernisés pour rester en service et augmenter le parc disponible, ainsi que les 200 véhicules de combat d’infanterie Dardo désormais obsolètes.

On peut s’attendre, également, à ce que les obusiers tractés FH70 encore en service, seront très prochainement remplacés par des systèmes autotractés comme les roues canons qui allient performances, mobilité et des tarifs attractifs. Le général Luca Goretti, chef d’état-major des forces aériennes, a, quant à lui, confirmé, lors de cette audition, qu’il entendait commander 41 chasseurs F-35 supplémentaires pour remplacer les derniers Tornado encore en service, de sorte à revenir à la flotte de 131 appareils initialement prévus avant que de sévères coupes budgétaires ne viennent réduire ce format.

Avec 95 Typhoon en parc, elles disposeront alors d’une flotte de chasse de près de 200 avions, composée de F-35A, F-35B et Typhoon modernisés, proche en format des forces aériennes françaises, et sensiblement supérieures à la Luftwaffe et à la Royal Air Force.

La Marina Militare, quant à elle, est devenue, ces dernières années, l’axe principal pour l’effort de défense de Rome. Forte de 32.000 militaires, elle aligne une flotte composée de 8 sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, 2 porte-aéronefs d’assaut, 3 navires amphibies, 19 frégates, 16 patrouilleurs et OPV ainsi que 10 bâtiments de guerre des mines et trois grands navires logistiques.

Elle prévoit surtout, à l’avenir, d’augmenter considérablement son tonnage tout en modernisant la flotte, avec l’entrée en service du porte-aéronefs d’assaut de 40.000 tonnes Trieste qui remplacera le porte-aéronefs léger Garibaldi de 13.000 tonnes, de 4 à 6 nouveaux sous-marins Type 212NFS pour remplacer 4 Sauro de 1600 t, de 2 destroyers super-lourds de 12.000 tonnes pour remplacer les 2 destroyers de 5.500 tonnes Durand de la Penne, ainsi que de 3 nouveaux grands navires d’assaut amphibie de type LHD de 20.000 tonnes pour remplacer les 3 LPD de la classe San Giorgio de 8000 tonnes.

Reste à voir, désormais, à quel point les nouveaux moyens budgétaires à disposition des armées italiennes, serviront effectivement à étendre leurs capacités opérationnelles, permettant ainsi à Rome de peser davantage notamment en Méditerranée, ou si, comme aujourd’hui, le déficit de personnels entravera cet objectif.

Quoi qu’il en soit, il ne fait en revanche aucun doute que dans les années à venir, les crédits consacrés par l’État italien à l’acquisition d’équipements de défense, dépasseront sensiblement ceux consacrés par la France, mais également la Grande-Bretagne à cette mission, d’autant que ces deux pays doivent également financer leur dissuasion respective.

De toute évidence, si l’objectif opérationnel demeure incertain, celui visant à soutenir la montée en puissance de l’industrie de défense italienne sur la scène internationale, notamment dans ses domaines de prédilection que sont la construction de navires de surface, l’aéronautique et l’électronique embarquée, sera atteint.

Il est donc très probable que cette industrie soit appelée à devenir, dans les années à venir, un compétiteur encore plus féroce qu’elle ne l’est aujourd’hui. À bon entendeur …

Les forces aériennes des 4 pays scandinaves vont désormais agir comme une force unifiée

Les 4 pays formant la Scandinavie, le Danemark, la Finlande, la Norvège et la Suède, partagent, au delà de leur histoire et d’une météo pour le moins fraiche, de nombreuses caractéristiques géographiques, démographiques et économiques. Ainsi, ils ont une population relativement réduite, 5,8 m pour le Danemark, 5,5 m pour la Finlande, 5,5 m pour la Norvège et 10,5 m pour la Suède, pour un territoire très vaste, 2,2 m km2 pour le Danemark (du fait du Groenland), 340.000 km2 pour la Finlande, 385.000 km2 pour la Norvège et 450.000 km2 pour la Suède. De fait, ces 3 de ces pays affichent une densité de population très faible, entre 16 et 23 habitants par km2 pour la Finlande, la Norvège et la Suède, mais 160 habitants par km2 pour la métropole danoise, contre, à titre d’exemple, 105 hab/km2 en France et 230 hab/km2 en Allemagne. Ils présentent également un PIB par habitant nominal sensiblement supérieur à la moyenne européenne, de 53.000 $ en Finlande à presque 100.000 $ par habitant et par an en Norvège, qui bénéficie d’importantes ressources d’hydrocarbures, contre 42.000 $ de moyenne européenne.

Outre des langues proches trouvant leurs racines dans leur histoire Viking et une appétence certaines pour les meubles en kit, les scandinaves partagent également une caractéristique peu enviable, celle d’être en première ligne face à la puissance militaire russe. Seuls deux des 4 pays partagent une frontière terrestre avec la fédération de Russie, la Finlande pour 1340 km et la Norvège pour 196 km, mais l’ensemble des cotes scandinaves, qu’elles soient en Mer Baltique (Finlande, Suède et Danemark), en Mer du Nord (Norvège, Danemark) ou en Mer de Norvège (Norvège), sont directement accessibles à l’ensemble des flottes de la Baltique ou du Nord russes, alors que l’espace aérien scandinave est en contact direct de celui de la Russie. Jusqu’à présent, en dépit des liens économiques, sociaux et culturels qui unissaient ces pays, ceux-ci avaient choisi ds trajectoires divergentes, le Danemark, la Finlande et la Suède ayant rejoint l’Union Européenne contrairement à la Norvège, et le Danemark et la Norvège ayant rejoint l’OTAN contrairement à la Finlande et la Suède, deux pays attachés traditionnellement à une posture d’autant plus neutre que toute volonté de se rapprocher de l’OTAN entrainait immédiatement une vive réaction et de nombreuses menaces de la part de Moscou.

La Norvège a été l’un des premiers pays dans le monde a disposer d’un escadron complet de F-35A

Quoiqu’il en soit, lorsque les forces russes entamèrent leur offensive contre l’Ukraine en février 2023, le niveau de menace perçu partout en Europe grimpa de plusieurs crans, en particulier pour les pays qui se sentaient les plus menacés, comme les pays Baltes et leurs homologues scandinaves. De fait, après à peine un peu plus de 3 mois de guerre, Helsinki et Stockholm annoncèrent conjointement leur candidature pour rejoindre l’OTAN, profitant tout à la fois d’un basculement net dans leurs opinions publiques que du fait que Moscou était alors, et demeure toujours aujourd’hui, incapable de menacer efficacement les deux pays, ses troupes étant concentrées sur l’Ukraine. Si cette démarche aura finalement été plus complexe qu’anticipé, notamment du fait d’une instrumentalisation de la part de la Hongrie et de la Turquie, elle aura permis, parallèlement, d’engager des discussions directes pour une meilleure coopération et intégration des forces armées des 4 pays. C’est désormais chose faite, tout au moins pour ce qui concerne les forces aériennes. En effet, selon la presse norvégienne, les chefs d’Etat-majors des forces aériennes scandinaves ont annoncé que celles-ci allaient désormais agir telle une seule et unique force armée.

Aujourd’hui, les forces aériennes royales danoises sont fortes 3.500 militaires et 120 appareils, dont 33 chasseurs F-16 en cours de remplacement par 23 F-35A, 4 avions de transport C-130J ainsi que 45 avions d’entrainement (dont 11 F-16 et 4 F-35A à venir) et 35 hélicoptères, dont une dizaine de MH-60R mis en oeuvre par la Marine, le tout réparti sur 6 bases aériennes. Les forces aériennes finnoises, quant à elles, sont fortes de 3100 militaires et 160 appareils, dont 62 F/A 18 Hornet qui seront remplacés par 54 F-35A, un cinquantaine d’avions d’entrainement Hawk et Grob, 11 avions de transport moyens et légers ainsi qu’un CASA 295 de guerre électronique. Ces appareils opèrent à partir de 4 bases aériennes. Les forces aériennes royales norvégiennes sont composées de 3650 personnels et 120 appareils, parmi lesquels 42 F-35A en cours de livraison, 5 avions de patrouille Maritime P8-A Poseidon, 4 avions de transport C-130J ainsi que qu’une cinquantaine d’hélicoptères dont la moitié dédiés au SAR et à l’action à la mer. Les forces aériennes suédoises, enfin, ne sont fortes que de 2.700 hommes et femmes, mais alignent 71 chasseurs Saab JAS39 Gripen C alors que 60 Gripen E ont été commandés pour les remplacer partiellement, ainsi que de 4 avions d’alerte aérienne avancée, de 5 C-130 hercule de transport, de 2 Gulfstream d’écoute électronique (SIGINT), de 79 appareils d’entrainement dont 23 Gripen D et de 53 hélicoptères de transport et navals, repartis sur 5 bases aériennes.

La Finlande a commandé 54 F-35A pour remplacer les 62 F/A-18 Hornet actuellement en service

La force aérienne résultante de ces 4 armées de l’air alignera donc plus de 250 avions de combat et de soutien, à peu prés autant d’avions d’entrainement et 150 hélicoptères de manoeuvre et navals, pour 13.000 militaires, et disposera d’une vingtaine de base aérienne pour accueillir et mettre en oeuvre cette flotte, repartie sur presque 1,2 millions de Km2 en Europe (sans compter le Groenland danois). Ainsi intégrée, elle se rapproche, dans plusieurs domaines, notamment pour ce qui concerne la flotte de chasse, d’une force aérienne comme la Royal Air Force ou l’Armée de l’Air et de l’espace, tout en disposant, notamment pour les forces finlandaises, une profondeur stratégique dont elles ne disposaient pas jusqu’à présent. En outre, leur flotte sera composée d’appareils particulièrement performants et modernes, surtout dans le domaine de la chasse, avec presque 120 F-35A en cours de livraison, et une centaine de Gripen E et C, les premiers étant particulièrement bien adaptés pour l’attaque et la suppression, les seconds étant des appareils de supériorité aérienne et d’interception d’une grande efficacité, conçus spécifiquement pour répondre à la menace aérienne russe.

Reste que si d’un point de vue défensif et collaboratif, l’association de ces 4 forces aériennes fait naturellement sens, et qu’elles opéreront avec le soutien des appareils de l’OTAN, celles-ci sont encore loin d’être articulées comme une réelle force aérienne de taille moyenne comme peuvent l’être les forces britanniques et françaises. Ainsi, si la flotte de chasse est incontestablement bien dimensionnée, la flotte de transport, forte de seulement 11 C-130, quelques CASA et des appareils de transport d’autorités, est de toute évidence bien inférieure à celles de référence. Surtout, la flotte de soutien, à savoir les avions ravitailleurs, d’alerte aérienne avancée, de patrouille maritime ou encore de renseignement électronique, est très insuffisante, en particulier dans le domaine des ravitailleurs pourtant indispensable pour espérer exploiter au mieux la profondeur stratégique offerte par cette fusion. A l’inverse, les flottes d’entrainement sont, de toute évidence, redondantes et sur-dimensionnées, et offrent de fait d’importantes opportunités d’optimisation.

Va falloir s’habituer …

Quoiqu’il en soit, cette initiative n’en est aujourd’hui qu’à ses prémices, et il n’y a, de fait, rien d’étonnant à ce que les marges de progression et d’optimisation pour atteindre une puissance aérienne optimale soient très importantes. Il est probable que celle-ci débutera pleinement une fois que la Suède et la Finlande auront rejoint l’OTAN, de sorte à profiter des infrastructures de commandement et de soutien offertes par l’Alliance. En revanche, si cet effort de rationalisation est effectivement mené à bien, les forces aériennes scandinaves qui en résulteront, seront incontestablement aussi puissantes qu’efficaces, et constitueront un glacis défensif très efficace face à la Russie le cas échéant. En outre, si l’expérience est concluante, on peut s’attendre à ce qu’elle soit étendue à d’autres domaines, comme pour la Marine ou la défense anti-aérienne, voire à d’autres pays riverains, notamment les pays baltes qui ne disposent pas de forces aériennes significatives à ce jour.

L’US Space Force réclame 16 Md$ pour détecter et suivre les nouveaux missiles hypersoniques

En juillet dernier, une grande partie de la sphère défense française ne décolérait pas, après que la Commission Européenne ait attribué à l’espagnol SENER Aeroespacial épaulé de l’allemand Diehl et de plusieurs autres entreprises européennes, la conception du programme EU HYDEF pour European Hypersonic Defence Interceptor, qui doit permettre de réaliser un système de détection et d’interception de missiles hypersoniques, une menace devenue désormais beaucoup plus précise depuis l’utilisation des Kinzhal russes en Ukraine. En effet, l’ensemble des entreprises sélectionnées par Bruxelles n’a aucune expérience ni dans le domaine de l’interception balistique, ni des armes hypersoniques. Ce qui n’est pas le cas des entreprises françaises, qui d’une part produisent le système anti-aérien et anti-balistique SAMP/T Mamba et sa variante navale au sein de la co-entreprise franco-italienne Eurosam rassemblant MBDA, Thales et Leonardo. Ces mêmes entreprises françaises participent également à la conception du futur missile hypersonique nucléaire destiné à remplacer le missile supersonique ASMPA, et au développement du démonstrateur de planeur hypersonique V-MAX avec l’ONERA.

Au delà de cette décision ayant privilégié le coté « européen » du projet face à son aspect opérationnel, alors que les temps ne se prêtent probablement pas à de telles considérations, une autre caractéristique du programme est pour le moins surprenante : son budget. En effet, le FED a prévu de consacrer 110 m€ au programme, un montant qui semblait déjà, à ce moment, particulièrement faible, et encore davantage aujourd’hui. En effet, dans le cadre de la préparation du budget des armées US 2024, l’US Space Force, la nouvelle armée dédiée à l’espace des forces américaines créée en décembre 2019, a également présenté un programme consacré à contenir la menace hypersonique. Il ne s’agit pour l’US Space Force, toutefois, que d’assurer la détection et le suivi de ces missiles associants des très hautes vitesses, des trajectoires atypiques et d’importantes capacités de manoeuvre, et non de l’intercepter, cette mission revenant aux autres armées américaines, comme l’US Navy à l’aide des missiles SM-6. Pour autant, elle réclame, pour remplir cette mission, un budget de 16 Md$, 130 fois supérieur à celui attribué par la Commission Européenne au travers du FED.

Il est vrai que les armées US ont une culture de consommation budgétaire très supérieure à celles de leurs homologues européennes à programme identique. Il est ainsi fréquent que des programmes américains proposant des caractéristiques industrielles et technologiques très proches de programmes européens mais également sud-coréens, soient dotés d’un budget plusieurs fois supérieurs à leurs homologues. A titre d’exemple, un sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Virginia, certes plus imposant et disposant de silos verticaux, revient aux contribuables américains presque 2,5 plus chers que ne coutent les SNA de la classe Suffren de la Marine Nationale. De même, la phase de conception du chasseur F-35A Lightning II, pour les 3 versions y compris celle à décollage et atterrissage vertical ou court, aura couté presque 14 plus cher que celle ayant permis de developper le Rafale dans ses deux versions principales, terrestre et navale. Pour autant, l’explication à cet écart n’est pas à chercher dans une éventuelle sur-performance de la BITD européenne, mais au niveau des ambitions des deux programmes, aux antipodes l’une de l’autre.

En effet, le programme de l’US Space Force vise non seulement à concevoir de nouvelles technologies permettant de détecter et suivre le tir et la trajectoire suivie par ces nouveaux missiles, mais porte également sur la conception et l’intégration de l’ensemble de la chaine de détection dans la chaine de décision puis dans la Kill-Chaine des armées US. Surtout, ce budget permettra de déployer, à partir de 2024, les satellites équipés de cette technologie, afin de remplacer ceux qui assurent aujourd’hui la détection et le suivi des missiles balistiques en gravitant autour de la terre afin de permettre au Pentagone de détecter, le cas échéant, le lancement d’un missile de type ICBM ou SLBM sur l’ensemble de la planète.

Afin de détecter et suivre les nouveaux missiles et planeurs hypersoniques, qui évoluent à des altitudes plus basses que les ICBM classiques, et à des vitesses au delà de Mach 5, les nouveaux satellites évolueront sensiblement plus bas que l’orbite géosynchrone de ceux qu’ils remplaceront, à une altitude de l’ordre de 35.000 km, soit à mi chemin entre l’orbite géosynchrone et l’orbite basse. L’objectif affiché par l’US Space Force, et la raison pour laquelle elle demande une ligne de crédits budgétaires de 16 Md$, dépasse donc très largement les ambitions du programme européen qui, aujourd’hui, ne vise qu’à developper un démonstrateur d’interception hypersonique, sans qu’aucune composante ni aucun calendrier opérationnels n’aient été définis ni même envisagés, là ou l’USSF vise un système de détection spatial opérationnel pour 2028.

La constellation de satellites de surveillance infrarouge de l’US Space Force permet de suivre un missile balistique de sa phase de lancement et d’accélération à sa phase de rentrée atmosphérique, et ainsi de diriger le tir d’intercepteurs comme le SM-3 équipant les destroyers AEGIS de l’US Navy

Dit autrement, alors que les forces armées américaines s’engagent dans un processus à visée opérationnelle à relativement court terme, de sorte à répondre à une menace immédiate liée à l’apparition d’une nouvelle technologie contre laquelle les moyens de défense sont réduits, les Européens, quant à eux, se contentent d’un vague projet de recherche qui, au final, ne pourra représenter qu’une sous-composante d’un système de systèmes global qui, pour sa part, ne pourra faire l’impasse sur des capacités de détection et de suivie spatiale, et dont la conception n’a pour l’heure pas été annoncée. Une chose est certaine, tant que les européens continueront de piloter les efforts technologiques de défense en regardant davantage les volets politiques et économiques que l’urgence opérationnelle, le vieux continent devra s’en remettre pieds et poings liés à la protection américaine, et ce même si l’Union Européenne est aujourd’hui 30% plus peuplée et si son PIB, équivalent à 65% de celui des Etats-Unis, est le second de la planète.

HEMISPACE : Détecter pour contrer les menaces

Communiqué de presse du 21 mars 2023

LERITY, concepteur et fabricant, spécialiste reconnu dans le domaine des systèmes de vision innovants à haute technicité, lance en 2023 HEMISPACE. Il s’agit d’un système d’imagerie optronique hémisphérique innovant, dédié à la détection, le tracking et la localisation des drones à 360°.

HEMISPACE offre une solution de surveillance globale efficace, répondant aux nouvelles menaces sécuritaires que représentent les drones, qu’ils soient isolés ou en essaims. Composé de 12 caméras à très haute résolution, HEMISPACE détecte, suit et localise jusqu’à 10 cibles, permettant de traiter en temps réel 120 menaces potentielles – y compris les micro-drones de 30 × 30 cm.

Pour accroître la couverture de la zone de détection (jusqu’à 6 KM pour les drones de 30 × 30 cm), plusieurs systèmes HEMISPACE peuvent être couplés les uns aux autres dans un réseau IP privé et sécurisé ou par communication sans fil. Ce maillage peut être également relié à d’autres senseurs ou équipements pour constituer un système global de lutte anti- drone.

De nuit comme de jour, dans un environnement difficile, HEMISPACE s’adapte aux différentes contraintes de surveillance tout en préservant la furtivité du système avec ses sources lumineuses embarquées, déclenchées à l’instant où la menace est identifiée.

Facile à transporter et à déployer, HEMISPACE peut être activé en continu, 24h/24 et 7j/7. Il répond aux cas d’usages de protection et de surveillance des sites militaires mais également des infrastructures civiles telles que les aéroports, les installations industrielles, les parcs nucléaires, les complexes sportifs…

Pour en savoir plus : https://www.lerity-alcen.com/products/system/hemispace 

Lien à la vidéo HEMISPACE https://youtu.be/aVQXbUZXTPo

Contact : press@lerity-alcen.com

L’hypothèse des chars KF-51 Panther construits en Ukraine laisse perplexe les spécialistes

Au début du mois de mars, le bouillonnant président du géant industriel allemand Rheinmetall provoqua la surprise en annonçant que des négociations étaient en cours avec Kyiv, en vue de construire en Ukraine une usine capable d’assembler 400 chars KF-51 Panther par an, de sorte à donner aux armées ukrainiennes non seulement un avantage technologique et opérationnel majeur face aux forces russes, mais également à uniformiser et rationaliser le parc blindé des forces armées ukrainiennes qui, aujourd’hui, n’a guère à envier à la cours des Miracles tant les références et les micro-flottes y sont nombreuses. En outre, Kyiv aurait la possibilité d’acquérir un parc de véhicules de combat d’infanterie modernes KF-41 Lynx en parallèle, ceux-ci pouvant être produits sur la ligne d’assemblage hongroise construite suite à la commande par Budapest de 218 de ces blindés en septembre 2020. Et d’ajouter que la construction de cette usine, qui couterait 200 m€ selon le chef d’entreprise allemand, devait débuter au plus vite pour répondre aux besoins opérationnels ukrainiens.

Depuis, la direction de Rheinmetall comme les autorités de Kyiv, sans démentir les déclarations de Armin Papperger, sont restées particulièrement discrètes à ce sujet. Officiellement, le sujet est à ce point sensible qu’il ne peut être exposé publiquement, tant qu’un accord définitif n’ait été obtenu. Mais pour de nombreux spécialistes, les annonces faites par le CEO de Rheinmetall, posent plus de questions qu’elles n’apportent de réponses. En effet, beaucoup d’éléments « ne collent pas » à la réalité existante ou envisageable, de sorte que beaucoup sont ouvertement sceptiques quant à la matérialité de cette annonce. Il est vrai que, même très succincte, cette annonce fait difficilement sens.

Rheinmetall propose également à Kyiv l’acquisition de véhicules de combat d’infanterie KF-41 Lynx qui seraient alors construits en Hongrie.

En premier lieu, la construction d’un site industriel qui permettrait d’assembler 400 chars modernes comme le Panther, prendrait beaucoup de temps, et bien davantage que les 200 m€ évoqués par M Papperger. Même si le site n’était destiné qu’à l’assemblage des blindés, il devrait disposer d’infrastructures industrielles et de transport très étendues, de sorte à absorber le flux industriel ainsi généré pour produire plus d’un nouveau char par jour. D’autre part, au delà de l’infrastructure d’assemblage, un tel flux nécessiterait de faire sensiblement évoluer les capacités de production de l’ensemble des sous-traitants participants au programme notamment au sein de la BITD allemande, ce qui suppose, là encore, de nombreux investissements, mais également la formation de nombreux nouveaux opérateurs. Et là intervient un second point très surprenant dans cette déclaration. En effet, les Armées ukrainiennes ont capacité à mettre en oeuvre entre 800 et 1200 chars lourds, ce qui suppose une production sur seulement 3 années. Même en tenant compte de possibles marchés exports, ainsi que d’une éventuelle attrition au combat de la flotte ukrainienne, il est difficile d’envisager une production au delà de 5 à 6 ans, un délais de production active bien trop court à la vue des investissements requis en Ukraine comme en Allemagne. De fait, d’un point de vue purement industriel et économique, le modèle décrit par Armin Papperger, il est vrai quelques semaines avant la publication des résultats de l’entreprise, semble bien peu cohérent.

Dans le même temps, l’applicabilité d’un tel modèle pour les armées ukrainiennes est également très contestable. En effet, l’Ukraine a un budget de défense limité, et son parc de chars lourds est aujourd’hui principalement constitué de T-64 et de T-72 modernisés, ainsi que de différents modèles envoyés par ses alliés européens. La construction de 400 Panther par an couterait probablement entre 6 et 8 Md€ par an, peut-être un peu moins en tenant compte des salaires plus bas de la main d’œuvre ukrainienne sur la chaine d’assemblage. Ce montant est égal à la totalité du budget consacré par Kyiv à ses armés avant l’agression russe, ce alors que l’économie du pays prendra plusieurs années pour recoller à son niveau d’avant-guerre, ce quel que soit la conclusion de cette guerre, si tant est qu’elle en ait une à court ou moyen terme. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, un site aussi stratégique pour l’effort de défense ukrainien, serait sans le moindre doute la cible de nombreuses tentatives de destruction de la part des forces russes, probablement une fois que l’activité industrielle aura débuté, de sorte à maximiser l’effet des destructions sur les finances publiques mais également le moral des ukrainiens. En outre, le site industriel devrait très probablement accueillir des personnels allemands, pour encadrer la montée en puissance de l’activité, ce qui ferait peser une menace que l’on imagine très difficilement acceptable par la chancellerie allemande.

Le T84 Oplot est la char le plus puissant de l’arsenal ukrainien, avec des capacités proches de celles du T90M. Pourtant, le blindé n’est pas produit en Ukraine, et les armées ukrainiennes n’en alignent qu’une dizaine, son cout étant trop élevé pour le budget ukrainien.

Dans ces conditions, et en dépit de certains bénéfices potentiels en matière de puissance opérationnelle, l’hypothèse avancée par Armin Papperger début mars semble très peu crédible. La question est donc de savoir pourquoi fut-elle faite ? En effet, en excluant l’hypothèse que ces différents points aient pu échapper aux cadres de Rheinmetall, ce qui est très peu probable, le bénéfice attendu d’une telle annonce, ne peut qu’être en matière de stratégie industrielle et politique intérieure, alors que Rheinmetall ne cesse de pousser son Panther comme une alternative au Leopard 2 pour recapitaliser la Bundeswehr, mais également comme une alternative économique au programme franco-allemand MGCS, dont il fait pourtant pleinement parti, au même titre que Krauss-Maffei Wegmann et que le français Nexter. En effet, si la Heer venait à s’équiper de KF-51, un char disponible, selon Rheinmetall, sur étagère et donc sans phase de développement aussi couteuse que longue et risquée, il est très probable que le calendrier, pour Berlin, du programme MGCS viendrait à glisser pour une entrée en service en 2045 ou 2050, alors que la France, de son coté, doit remplacer ses Leclerc en 2035.

Ainsi, en s’appuyant sur un premier contrat export, Rheinmetall pourrait se trouver en position de force pour peser de tout son poids politique déjà considérable au Bundestag, pour amener l’Armée allemande à se tourner vers son modèle, et ainsi condamner le programme MGCS au sujet duquel Rheinmetall a toujours été hostile. Notons également que l’abandon de MGCS entrainerait très certainement, dans la foulé, celui du programme SCAF d’avions de combat de 6ème génération, les deux programmes étant intimement liés en matière de partage industriel entre la France et l’Allemagne. Paradoxalement, la mèche pour un tel effondrement des ambitions affichées en 2017 par le président Français et la Chancelière allemande, serait d’une certaine manière indirecte, puisque reposant sur le choix par la Bundeswehr d’un modèle de char intérimaire dans un contexte sécuritaire et économique qui pourrait justifier cet arbitrage. Sachant la défiance qui demeure entre les différents acteurs de ces deux programmes, il est loin d’être exclu qu’il existe un faisceau de volontés pour allumer cette mèche outre-Rhin. Quant à l’Ukraine, elle pourrait bien jouer, ici, le rôle de leurre, au profit d’intérêts industriels à visée intérieure.

L’US Air Force lance le développement d’une Kill-Chain à longue portée à composante spatiale

La guerre en Ukraine a produit de nombreux enseignements nouveau, notamment sur la durée potentielle d’un engagement de très haute intensité, ou sur le rôle de l’artillerie et des blindés lourds dans la manoeuvre terrestre. Dans d’autres domaines, elle a surtout confirmé des évolutions anticipées par les planificateurs militaires, comme la vulnérabilité des hélicoptères de combat et des avions de soutien aérien rapproché face aux défenses anti-aériennes modernes, alors que l’US Army a précisément lancé les programmes FLRAA et FARA d’hélicoptères de nouvelle génération et que l’US Air Force a tracté depuis presque une décennie avec le Congrès pour retirer du service ses A-10 Thunderbolt II, précisément pour ces raisons. Au-delà de ces aspects, il est également devenu incontestable que l’arrivée des missiles sol-air à longue portée, comme le S-400 russe ou le HQ-9 chinois, et de missiles air-air à très longue portée comme le R-47M russe et le PL-15 chinois, posait désormais une menace très sérieuse sur les avions de soutien, ceux-là même qui participent à alimenter les chasseurs-bombardiers et leurs systèmes d’arme de précision en informations de ciblage comme en carburant.

De toute évidence, ce sujet est devenu une priorité majeure pour l’US Air Force qui, dans le cadre des travaux préparatoires à la conception de la loi de finance militaire américaine 2024, a dévoilé certains projets et modifiés d’autres, comme l’acquisition de KC-46A supplémentaires plutôt que de poursuivre la compétition KCy, en vue de libérer des crédits pour le développement du programme d’avion ravitailleur KCz conçu pour en accroitre la furtivité et la survivabilité au combat. De même, celle-ci va se tourner vers l’E-7A Wedgetail comme une solution probablement intérimaire et à moindre cout pour remplacer ses E-3 Sentry, dans l’attente du développement d’un nouvel appareil d’alerte aérienne avancée adapté à ce nouvel environnement, et faisant probablement appel à une chaine de détection composée de drones.

Le E-8 Joint-STARS est entré en service au sein de l’US Air Force en 1991, et devra être remplacé d’ici quelques années

Si le E-3 Sentry est aujourd’hui employé pour détecter et designer les cibles aériennes aux chasseurs américaines et alliés, le E-8C Joint Surveillance Target Attack Radar System, ou JSTARS, a pour fonction de détecter et designer les cibles terrestres ou de surface à ses bombardiers et chasseurs tactiques, leur permettant d’employer leurs armements de précision à guidage GPS avec une grande réactivité et efficacité, tout en restant à distance de sécurité des défenses anti-aériennes adverses. La procédure allant de la détection d’une cible au transfert des informations de ciblage au chasseur, puis au tir de la munition de précision, est désignée par le terme Kill-Chain, et constitue l’un des plus importants avantages opérationnels de l’US Air Force sur les autres forces aériennes mondiales, celle-ci étant aussi efficace que véloce, d’autant qu’elle permet également d’intégrer d’autres technologie de ciblage. Toutefois, à l’instar des Sentry et des Pegasus, les JSTARS sont désormais aussi vieillissant que vulnérables aux capacités sol-air et air-air d’un adversaire majeur, l’obligeant à évoluer sensiblement plus loin des dispositifs adverses, et ainsi de perdre en efficacité et surtout en profondeur de frappe. C’est précisément pour pallier cette limitation que l’US Air Force a annoncé le développement d’une nouvelle Kill-Chain à longue portée, qui s’appuierait cette fois sur des capacités spatiales.

Ainsi, dans le cadre de ses demandes de financement pour l’année 2024, l’USAF entend obtenir 243 m$ pour developper deux systèmes liés à cette nouvelle Kill-Chain, dont le développement avait été révélé pour le première fois en 2021. Le premier est le Ground Moving Target Indicator ou GMTI, un système de senseurs équipant des satellites, et capables de détecter, suivre et désigner des cibles terrestres ou de surface dans la profondeur de l’adversaire, là ou les défenses anti-aériennes interdisent toute mise en oeuvre d’un système de détection et de guidage dynamique. Intégré au nouveau Advanced Battlespace Management System, ou ABMS, le coeur logiciel de la doctrine Joint All-Domain Command and Control (JADC2), le GMTI permettra donc de remplacer et d’étendre une partie des capacités des JSTARS vieillissants. Toutefois, cette capacité ne représentera qu’une partie des moyens à disposition de la Kill-Chain de l’US Air Force, l’autre s’appuyant sur le second programme annoncé, et désigné « Auxilliary Payloads », à savoir des systèmes de détection et de traitement pouvant être intégrés à d’autres vecteurs, comme les avions pilotés, les drones et autres systèmes de reconnaissance et de désignation, comme les ballons stratosphériques voire des opérateurs au sol.

Le programme « Auxilliary Payloads » permettra de developper les systèmes qui prendront place à bord des avions pilotés et drones pour assurer la détection et désignation de cibles terrestres et navales

Cette architecture, sur la base d’un système de systèmes, permettra de calquer les capacités mais également la résilience et l’évolutivité de la Kill-Chain de l’US Air Force, sur celles des autres systèmes majeurs en cours de développement, comme les avions de combat et drones du programme NGAD, ou le programme KCz qui redéfinira la notion de ravitaillement en vol. En outre, la juxtaposition de ces systèmes de systèmes au sein du système de gestion du champs de bataille ABMS, permettra de concevoir l’ensemble de la puissance aérienne américaine comme un seul et unique système de systèmes, lui même intégré dans un super système représenté par la doctrine JADC2, de sorte à prendre l’ascendant sur l’ensemble des adversaires potentiels, y compris les mieux équipés.

Reste que s’il est peu probable que Moscou puisse developper une Kill-Chain comparable à l’avenir, eu égard aux limitations constatées concernant l’acquisition et exploitation/restitution de l’information tactique par les forces russes en Ukraine, on peut raisonnablement se demander si une telle capacité sera suffisante face à la Chine et l’Armée Populaire de Libération, qui eux aussi investissent massivement dans ce type de domaine et de technologies. Surtout, l’architecture propriétaire qui résultera de l’implémentation de ces systèmes, risque fort d’accroitre encore davantage la dépendance technologique des armées alliées aux USA, comme celles appartenant à l’OTAN, tant le contrôle de l’information constituera le pivot de l’action militaire à venir. Il se pourrait bien, dans les années à venir, que le F-35 et la dépendance technologique et informationnelle qu’il induit dans les forces aériennes qu’il rejoint, ne soit que les prémices d’un phénomène qui s’accentuera considérablement dans les années à venir.

Le véhicule blindé de la British Army Ajax sort de l’ornière pour entrer en service en 2025

De toutes les armées européennes, la British Army est sans conteste celle qui a connu la plus drastique cure d’amincissement depuis la fin de la guerre froide, passant de 158.000 hommes et 900 chars Chieftain et Challenger en 1989, à 79.000 hommes et 227 chars Challenger 2 aujourd’hui, ce d’autant que contrairement à l’Armée de terre ou la Bundeswehr, celle-ci était déjà composée exclusivement de militaire professionnelles, une tradition séculaire en Grande-Bretagne. Outre cette réduction de format, celle-ci a également été exposée à une intense pression opérationnelle, notamment du fait des interventions en Irak et en Afghanistan aux cotés des Etats-Unis, la Grande-Bretagne ayant été, à chaque fois, le second plus important contributeur des forces alliées derrière les Etats-Unis. Dans le même temps, ses crédits ont eux aussi été largement mis sous pression, d’une part du fait des baisses d’investissement dans la défense ayant suivi la guerre froide, celui-ci passant de 47 Md$ en 1991 à 39 Md$ en 1999, et si la progression repris à partir de 2000 pour atteindre 54 Md$ en 2012, il fut à nouveau diminué par la suite pour atteindre 51 Md$ en 2015, avant d’enfin reprendre une courbe de croissance l’amenant à 68 Md$ en 2021.

De fait, et à l’instar de l’Armée de Terre française, la British Army a été confronté, ces 25 dernières années, à une équation impossible à résoudre, avec des crédits stagnant ou en baisse, des effectifs en chute libre, et une intense pression opérationnelle, l’obligeant à reporter la modernisation de ses équipements et l’amenant, aujourd’hui, a devoir remplacer simultanément plusieurs des équipements désormais trop obsolètes pour prendre part à un engament de haute intensité, comme c’est le cas des systèmes d’artillerie AS90, des lance-roquettes GMLRS, des véhicules de combat blindés de reconnaissance Scimetar ou des véhicules de combat d’infanterie Warrior et Bulldog. Pour cela, Londres annonça en 2018 l’acquisition de 523 véhicules blindés Boxer sous pas moins de 11 versions allant du transport de troupe blindé au blindé de transport médical d’urgence en passant par le poste de commandement mobile et le mortier d’appui feu. En Avril 2022, un second lot de 100 blindés fut commandé, sans que le détail des versions n’ait été révélé, portant le total à 623 véhicules, dont les premiers éléments rejoindront les unités britanniques dès cette année. Il s’agissait pour la British Army de compenser le retard d’un autre programme critique, le véhicule blindé Ajax.

Les blindés de la British Army ont été intensément employés en Irak et en Afghanistan

En effet, contrairement à l’Armée de Terre, la British Army ne renonça pas à une flotte de véhicules blindés lourds chenillés, et annonça, au début des années 2010, le développement d’une famille spécifique de blindé basée sur l’ASCOD 2 de General Dynamics, au grand damn de BAe et de son CV90. Initialement, le blindé devait entrer en service en 2017 pour sa version de reconnaissance armée désignée Ajax, selon l’accord signé en 2014 prévoyant l’acquisition de 245 Ajax, de 256 Protected Mobility Recce Support (PMRS) composés de transport de troupe blindés, véhicules de commandement et de reconnaissance, et de 88 blindés en variante génie, pour un total de 589 véhicules et 3,5 Md£. C’est après cela que les choses se sont sévèrement compliquées, avec des décisions et des problèmes techniques qui entrainèrent l’explosion des couts et surtout des délais. D’une part, Londres exigea que le blindé soit assemblé en Grande-Bretagne, obligeant GD à construire une usine pour ce seul contrat, entrainant un surcout de plus de 360 m£. Surtout, d’importants problèmes de vibrations et l’intense niveau sonore à l’intérieur du blindé, amenèrent le programme au bord de l’effondrement, non sans provoquer des blessures significatives auprès de certains équipages de test.

Les difficultés du programme Ajax se transformèrent alors en crise intérieure, alors que les ingénieurs de General Dynamics peinaient à trouver des parades aux problèmes techniques, et que les délais, et les couts, glissaient dramatiquement amenant le budget à 5,5 Md£. En octobre 2021, une mission de la dernière chance pour tenter de sauver le programme, fut confiée à l’ingénieur de l’armement David March, avec mandant de produire rapidement un nouveau planning réaliste ou, le cas échéant, d’arbitrer quant à l’avenir du programme. Il fallut toutefois bien plus que les quelques mois que devaient initialement durer sa mission pour produire le résultat escompté, ce d’autant que la guerre en Ukraine, mais également la valse des premiers ministres britanniques, entrainèrent certains bouleversements et changements de priorité au sein du gouvernement. Quoiqu’il en soit, il semble bien désormais que le programme visant à donner naissance à l’Ajax et à l’ensemble de ses sous-versions, soit effectivement sorti de la zone rouge. Déjà en février, le Secrétaire Ben Wallace avait annoncé que celui-ci avait franchit des étapes critiques et qu’il serait prochainement en capacité de présenter un nouveau planning de livraison. Hier, le Ministère de la défense britannique a confirmé cette prévision, en publiant un nouveau planning prévoyant l’entrée en service des premiers Ajax en 2025, soit avec 8 années de retard sur le calendrier initial.

La British Army alignera également 623 Boxer pour épauler les 589 Ajax et sous-versions

Au delà du délais, le MoD britannique a surtout donné des précisions sur les dernières avancées enregistrées par le programme. Ainsi, lors de son audition par le parlement, le ministre délégué aux acquisitions de défense Alex Chalk a précisé que les différentes variantes du programme avaient été testées à ce jour sur 2.260 km sur tous les types de terrain, dans l’ensemble des contextes opérationnels auxquels ils devront répondre, sans qu’aucun problème particulier n’ait été révélé lors des essais. Cela suppose donc effectivement que les problèmes de vibration, qui empêchaient les équipages de mener des actions aussi cruciales que percevoir leur environnement ou viser une cible, mais également de niveau sonore ayant engendré de sévères traumatismes auditifs aux équipages de test par le passé, ont bel et bien été résolus. Les évolutions ont été à ce point satisfaisantes que le MoD britannique a annoncé la reprise des paiements à Général Dynamics, libérant notamment un paiement de presque 500 m£ mis sous séquestre en 2020 du fait des manquements observés. Dans le même temps, l’Autorité des projets et Infrastructures, qui supervise la bonne conduite des programmes d’état outre-manche, a jugé les progrès suffisamment significatifs pour remplacer la note « Rouge » donnée au programme il y a quelques mois, par une note « Ambre » de risques existants mais maitrisables.

Il s’agit incontestablement d’une bonne nouvelle pour General Dynamics, qui est passé très prêt d’une catastrophe industrielle et financière eu égard aux investissements consentis, mais surtout pour la British Army, qui avait déjà dépensé presque 4 des 5,5 Md£ consacrés au programme, et qui doit absolument remplacer ses blindés atteints désormais par une sévère obsolescence, d’autant qu’ils ont presque tous été intensément employés dans les années 2000 et 2010, notamment en Irak. Il aurait fallu, en cas d’impasse, se tourner vers un autre modèle en urgence, obligeant à de nouveaux investissements importants et surtout à de nouveaux délais, très difficiles à absorber. Reste qu’à l’instar de l’immense majorité des armées européennes, la British Army sera bel et bien dotée de nouveaux blindés lourds chenillés aux cotés de ses Boxer officiant comme transport de troupe et véhicules de combat d’infanterie évolués. En dépit de ses contraintes de format et de budget, Londres ayant décidé de donner la priorité à la Royal Navy et la Royal Air Force, elle disposera de forces adaptées à l’engagement de haute intensité, certes compactes, mais équipées de matériels performants, modernes et répondant à ce besoin.

Le programme GCAP de chasseur de 6ᵉ génération se spécialise dans la supériorité aérienne

Le nouveau programme GCAP rassemblant la Grande-Bretagne, l’Italie et le Japon, semble se spécialiser dans la supériorité aérienne pour un appareil destiné à évoluer aux côtés du F-35A/B.

Annoncé lors du salon de Farnbourouh de 2018, le programme Futur Combat Air System et le chasseur de 6ᵉ génération Tempest britannique était alors perçu par de nombreux experts comme une réponse d’orgueil à l’annonce du lancement prochain du programme SCAF franco-allemand à l’automne 2017.

Et même si des partenaires européens, comme l’Italien Leonardo ou le missilier MBDA, participaient au programme britannique, de nombreuses interrogations subsistaient quant à la soutenabilité budgétaire d’un tel programme par Londres.

Pour autant, la détermination politique des Britanniques ne vacilla pas, et les premiers investissements significatifs pour le développement du programme ne tardèrent pas à être indiqués avec, au passage, un modèle économique piloté par PWc basé non pas sur la dépense publique, mais sur le solde budgétaire et social de l’investissement consenti.

De fait, là où SCAF peinait à dépasser les divergences franco-allemandes et voyait ses délais glisser de plus d’une année par an, le FCAS poursuivit ses travaux, au point d’attirer de nouveaux partenaires d’état. D’abord l’Italie en janvier 2021, puis une année plus tard, le Japon en fusionnant le programme Tempest européen et F-X nippon.

De fait, aujourd’hui, non seulement le programme FCAS, renommé depuis Global Combat Air Program ou programme GCAP, est-il sécurisé, mais il offre même des paramètres structuraux beaucoup plus robustes que ne le fait le programme SCAF, marqué par une année de bras de fer entre Dassault Aviation et Airbus Defense & Space pour le pilotage du 1ᵉʳ pilier du programme visant à concevoir le Next Génération Fighter, l’avion de combat au cœur du système de systèmes.

En effet, d’une part, la complémentarité des savoir-faire au sein de GCAP facilite le partage industriel au sein du programme, d’autant que la Grande-Bretagne, du fait de son expérience, demeure le pilote incontesté et notamment le concepteur de l’avion de combat Tempest.

En outre, les ambitions avancées par les 3 partenaires du programme GCAP en matière d’investissement de défense, sont toutes supérieures à celles avancées par leurs miroirs du programme SCAF, avec spécifiquement le Japon qui vise un budget des armées au-delà de 100 Md$ là où l’Allemagne ne vise que 85 Md$. Enfin, les trois pays partagent une architecture similaire pour le devenir de leurs forces aériennes.

Perçu comme plus robuste que le programme britannique à son lancement, le SCAF est aujourd’hui bien moins sûr de ses forces relatives

Ainsi, Londres comme Tokyo et Rome sont déjà d’importants utilisateurs du F-35 Lightning II, notamment de la version B à décollage et atterrissage vertical ou court pour armer les porte-avions Queen Elizabeth et Prince of Walles britanniques, les porte-avions légers Izumo et Kaga japonais et les porte-aéronefs Cavour et Trieste italiens.

En outre, il est probable que, comme les forces aériennes d’autodéfense nippones et les forces aériennes italiennes, la Royal Air Force se dotera bien à l’avenir de F-35A en complément des F-35B de son aéronavale, de sorte à densifier ses capacités de frappes et de suppression des défenses adverses.

La situation est beaucoup moins claire au sein du programme SCAF, où la France veut effectivement un appareil entièrement polyvalent pour remplacer ses Rafale, alors que l’Allemagne, et très probablement l’Espagne, mettront au moins en œuvre une flotte spécialisée de F-35, le premier pour assurer la mission nucléaire de l’OTAN, le second pour armer son porte-aéronef Juan Carlos I, avec un risque bien sensible que des commandes complémentaires ne viennent notamment pour compenser les glissements de calendrier du programme SCAF.

Toutefois, au-delà de ces aspects technologiques et économiques, ces éléments induisent que les deux programmes SCAF et GCAP pourraient bien avoir une finalité très différente, le second visant de plus en plus ouvertement à devenir, à l’instar des NGAD américains, un appareil de supériorité aérienne plus qu’un appareil pleinement polyvalent.

Ainsi, à l’occasion du salon DSEI qui s’est tenu dans la banlieue londonienne la semaine dernière, plusieurs informations concernant la configuration du GCAP ont été dévoilées, spécialement par le Major Général Masaki Oyama dirigeant la division du développement du programme GCAP au sein de l’Agence nippone d’acquisition, de logistique et de technologies.

Il a présenté pour la première le système d’intégration et de fusion des senseurs, désigné par l’acronyme ISANKE (Integrated Sensing and Non Kinetic Effects) ainsi que le système de communication intégré désigné par l’acronyme ICS, tous deux développés conjointement par Mitsubishi Electric, Leonardo UK, Leonardo et ELT. Le système ISANKE rassemblera en un système unifié les capacités de détection et senseurs de l’appareil ainsi que de ses vecteurs déportés (drones), mais également les moyens d’autodéfense, et notamment de brouillage et de leurre, tout en offrant une vision synthétique avancée à l’équipage pour exploiter au mieux les moyens disponibles.

Le système ICS, quant à lui, permettra à l’appareil de communiquer avec l’ensemble des éléments du système de systèmes, spécifiquement les autres appareils, les drones ainsi que les appareils de soutien, les forces et équipements terrestres et navals, sans oublier les potentialités spatiales. La finalité de cette architecture, somme toute classique dès lors que l’on parle de 6ᵉ génération, sera de permettre à l’appareil de s’emparer et de conserver la supériorité aérienne, désignant de fait quelle sera la mission principale de l’appareil.

Le programme GCAP sera plus spécialisé que le programme NGAD de l'US Navy
Le programme NGAD de l’US Navy vise aussi à concevoir un appareil ayant une réelle spécialisation dans le domaine de la supériorité aérienne.

La spécialisation du GCAP dans le domaine de la supériorité aérienne n’est en rien surprenante. Déjà, les programmes NGAD de l’US Air Force comme de l’US Navy, visent, eux aussi, à développer avant tout un appareil spécialisé dans cette mission, même si le programme de la Navy, par sa désignation F/A-XX, et sa justification, à savoir le remplacement des F/A-18 Super Hornet, indique que l’appareil disposera également de capacités de frappe, même si cette mission sera prioritairement déléguée au F-35C.

En outre, à l’instar de tous les programmes de 6ᵉ génération, GCAP s’appuiera sur des drones de type Loyal Wingman et Remote Carrier, qui permettront non seulement d’étendre les capacités de détection et d’engagement dans le domaine aérien, mais également dans le domaine air-sol ou air-surface.

Ainsi, même si le GCAP comme les NGAD seront spécialisés pour la supériorité aérienne, ils seront loin d’être démunis dans les autres domaines, du fait de la polyvalence de leurs drones d’accompagnement. Enfin, pour les trois forces aériennes, le nouvel appareil remplacera des appareils dédiés à la supériorité aérienne, le Typhoon au sein des forces aériennes britanniques et italiennes, le F-15J et le F-2 au sein des forces d’autodéfense nippones.

Reste que si la spécialisation des NGAD et GCAP a du sens de toute évidence, du fait de la complémentarité avec le F-35, celle-ci démontre les limites désormais parfaitement perçues de l’avion de Lockheed-Martin dans ce domaine.

Ainsi, si les capacités du Lighting II dans les missions de frappes, de suppression ou de pénétration sont avérées, ses performances limitées, notamment en termes de vitesse, de plafond, de rayon d’action et de manœuvrabilité, ont amené les forces aériennes les mieux dotées à concevoir des appareils spécialisés dans ce domaine, et donc complémentaire du F-35.

Les nombreux clients du chasseur de Lockheed-Martin mettant en œuvre exclusivement le Lightning II, comme la Finlande, la Norvège ou le Canada qui doivent protéger de vastes zones aériennes, apprécieront probablement.

À l’inverse, cette spécialisation ouvre une opportunité quant au positionnement du SCAF pour en faire un nouvel appareil multirôle polyvalent, efficace dans tous les domaines, comme c’était déjà le cahier des charges du Rafale qui, au final, n’a rien eu à envier au Typhoon en matière de supériorité aérienne, tout en étant bien plus performant dans les domaines air-sol et air-surface. Espérons que Berlin et éventuellement Madrid, ne pousseront pas pour aligner la philosophie de SCAF sur celle de GCAP ou des NGAD, en se tournant, eux aussi, vers le F-35.

La République Démocratique du Congo vise l’acquisition de chasseurs J-10C chinois

Comme de nombreux pays africains, la République Démocratique du Congo connait une importante croissance économique, de l’ordre de 6% par an, en partie portée par la hausse des manières premières sur la scène internationale. Le pays est en effet un important exportateur de produits miniers, disposant d’importantes réserves d’or, de cuivre, d’uranium et de Coltan, ainsi que de diamants et de pétrole. Aujourd’hui, les exportations congolaises, qu’elles soient de matière première comme de production agricole, représentent 22,5 Md$ chaque année, soit un tiers du Produit intérieur Brut du pays. Cette croissance, largement soutenue par les nombreux investissements consentis par la Chine, est toutefois menacée par l’instabilité politique du pays, et notamment par la rébellion tutsi dans la région du Nord-Kivu organisée autour du Mouvement du 23 Mars, ou M23, composé d’anciens militaires issus du CNDP ayant lancé leur rébellion en 2012. Après une période de calme suite à une offensive massive contre ce groupe de l’armée congolaise en 2013, il reprit ses exactions à partir de novembre 2021, pour atteindre un pic avec le massacre de Kishishe en novembre dernier, ayant fait plus de 120 tués civils selon les organisations internationales.

C’est dans ce contexte que le lieutenant-générale Franck Ntumba, qui commande la maison militaire du Chef de l’État congolais, multiplie les acquisitions de matériels militaires ces derniers mois, de sorte à doter l’armée régulière des moyens nécessaires pour venir à bout du M23, mais également pour anticiper d’éventuels conflits frontaliers, notamment avec le Rwanda accusé par Kinshasa de soutenir le mouvement rebelle. Ainsi, il y a un peu plus d’un mois, ce dernier confirmait l’acquisition de 9 drones MALE (Moyenne Altitude Longue Endurance) CH-4 de facture chinoise, précisément pour surveiller et éventuellement frapper les forces du M23. Conçu par la société CASC, le CH-4 Rainbow est un drone de 1,3 tonnes et de 20 mètres d’envergure, doté d’une autonomie de 40 heures à une vitesse de 350 km/h pour une altitude maximale de 7500 mètres. Il peut notamment être armé de missiles Air-sol léger AR-1 et de bombes à guidage laser. Cette acquisition a semble-t-il exacerbé les appétits de Kinshasa, puisque des négociations ont été ouvertes avec une délégation chinoise en vue d’acquérir de nouveaux avions de combat destinés à épauler les 7 Su-25 ainsi que les 8 hélicoptères de combat Mi-24 d’origine soviétique actuellement en service.

La RdC a annoncé la commande de 9 drones MALE CH-4 Rainbow chinois en début d’année pour contrer la reprise des combats avec le mouvement M23 dans le Nord-Kivu.

Initialement, il semblait que les discussions entre congolais et chinois portaient sur l’acquisition de FC-1, la version export du JF-17 Thunder sino-pakistanais. Toutefois, selon le site politico.cd, les autorités militaires congolaises auraient émis le souhait d’acquérir un appareil plus lourd que le Thunder, qui évolue dans la même catégorie que celle du FA-50 sud-coréen avec une masse maximale au décollage de 13 tonnes et une capacité d’emport de 3,5 tonnes. De toute évidence, Kinshasa souhaite un appareil offrant des performances supérieures au FC-1 pourtant généralement considéré comme offrant un rapport performances-prix très attractif, notamment du fait d’une bonne motorisation et d’une électronique embarquée moderne lui permettant de mettre en oeuvre des munitions très évoluées comme les missiles air-air PL-10E et PL-15E, le missile de croisière supersonique HD-1A ainsi que divers bombes guidées. Pour répondre aux attentes de Kinshasa, la délégation chinoise aurait alors proposé l’acquisition du chasseur monomoteur J-10C, un appareil bien plus performant, mais également plus lourd et onéreux, que le Thunder.

Produit à près de 600 exemplaires et exporté à ce jour uniquement au Pakistan, le Shenyang J-10 représente aujourd’hui pour les forces aériennes de l’Armée Populaire de Libération, l’équivalent du F-16 au sein de l’US Air Force. Il est, à ce titre, l’appareil le plus utilisé au sein de l’APL. Long de 16,9 mètres pour presque 10 mètres d’envergure, il a une masse à vide de 9,75 tonnes, et une masse maximale au décollage de 18 tonnes, lui permettant d’emporter notamment presque 8 tonnes de carburant dont 4 tonnes dans les réservoirs internes. Il est propulsé par le nouveau turboréacteur chinois WS-10B développant plus de 9 tonnes de poussée sèche et 13 tonnes de poussée avec post-combustion. L’appareil est en outre doté d’une avionique très moderne, notamment dans sa version C qui dispose d’un radar à antenne AESA, d’un système infrarouge de détection IRST et d’une suite d’autodéfense, ainsi que d’une très vaste panoplie de munitions d’origine chinoise. De fait, aujourd’hui, le J-10C n’à guère à envier aux versions les plus évoluées du F-16, comme le F-16 Block 60 ou son ultime version, le Block 70/72+, comme du Mirage 2000 avec le 2000-9, et ne cède, en terme de performances, qu’à des appareils plus lourds comme le Rafale, le Typhoon ou le Su-35. A ce titre, en 2019 lors de l’exercice Eagle Strike, les J-10C de l’APL ont largement surclassé les JAS-39 C/D thaïlandais, alors que ces ces mêmes Gripen thaïlandais avaient suclassés les J-11 envoyés par Pékin lors du même exercice en 2015, ce qui en dit long sur les performances du J-10C.

Contrairement au Su-27, le J-10C est un chasseur multirôle aussi performant en supériorité aérienne que dans les frappes air-sol

Selon le site, le J-10C serait en compétition à Kinshasa avec une proposition sur base de Su-27 biélorusses datant des années 80. Si le Su-27 est un chasseur lourd disposant encore de performances interessantes, il ne représente, dans la version mise en oeuvre par la Biélorussie en dehors de son prix, à faire valoir face au J-10C chinois, ce d’autant qu’il s’agit d’un avion de supériorité aérienne probablement bien moins adapté aux besoins de Kinshasa que le chasseur chinois parfaitement polyvalent. Reste que l’acquisition de J-10C par la RDC constituerait un bouleversement des rapports de forces en Afrique équatoriale, ce qui ne manquerait probablement pas d’entrainer une réaction de la part des nombreux voisins du pays. Après le CH-4, cela montrerait également le rapprochement de plus en plus marqué de Kinshasa avec Pékin, ce qui pourrait venir menacer, au delà de l’influence diplomatique, certaines filières minières aujourd’hui critiques pour l’industrie occidentales, notamment européenne.