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Malgré un budget en hausse de 11 Md€/an depuis 2017, pourquoi les armées françaises sont-elles toujours exsangues ?

L’exécution de la Loi de Programmation Militaire française 2019-2025 à ce jour a été, de l’avis de tous les observateurs, exemplaire. En effet, celle-ci a respecté scrupuleusement les hausses budgétaires prévues, constituant une première depuis que l’exercice a été mis en place.

Ainsi, le budget des armées en 2017 n’était que de 32,7 Md€, après une quinzaine d’années de sous-investissements critiques, ayant amené les armées françaises au bord de l’implosion. De fait, les crédits supplémentaires alloués ont permit d’amener le budget des armées à 43,9 Md€ en 2023, soit une hausse de 11,2 Md€ ou 34% vis-à-vis du budget 2017.

Et si la prochaine LPM 2024-2030 respecte les lignes annoncées, le budget 2024 atteindra alors 46,9 Md€, soit 43% de plus qu’il ne l’était lors de l’arrivée du président Macron à l’Elysée.

Pour autant, si le moral des militaires s’est semble-t-il amélioré sur cette période caractérisée par un effort important pour la condition militaire, le format des armées, lui, semble stagner, et même le remplacement de certains matériels ayant déjà largement joué les prolongations, comme les Patrouilleurs hauturiers A69 de la Marine Nationale, les KC-135 de l’Armée de l’Air et de l’espace, ou encore les canons automoteurs AUF1 et hélicoptères gazelles de l’Armée de terre, semblent encore être amenés à rencontrer certaines difficultés lors de la prochaine LPM.

Pourquoi, avec une telle hausse budgétaire, les armées peinent-elles encore à engager les programmes permettant de renouveler les équipements obsolètes, et refusent-elles toute notion d’augmentation sensible de format sur la prochaine LPM, qui pourtant devrait permettre, en appliquant une croissance linéaire du budget comme précédemment, d’arriver à un budget annuel de 68 à 69 Md€ en 2030, soit une hausse de presque 108% en 13 ans ?

Comme souvent, il n’y a pas qu’une cause à cet état de fait, celui-ci reposant principalement sur deux facteurs détériorant sensiblement l’efficacité de l’effort fourni pour redonner aux armées les crédits et les moyens nécessaires à leurs missions. Le premier n’est autre que la conséquence directe de 20 années de sous-investissements dans le renouvellement des équipements, en parti compensés, mais en parti seulement, par une sévère révision à la baisse du format des armées.

Le second résulte directement de la façon dont la LPM est conçue, à savoir une programmation pluri-annuelle exprimée en Euro courants, et donc incapable d’absorber des variations économiques sévères, comme le retour de l’inflation observé en 2022 et 2023, celle-ci ayant, pour ainsi dire, neutraliser l’effort budgétaire consenti depuis 2017.

malgré la hausse du budget des armées françaises, certaines unités comme les patrouilleurs A69 n'ont toujours pas été remplacées
Il reste aujourd’hui 6 Patrouilleurs A69 en service au sein de la Marine Nationale, Ces navires sont entrés en service entre 1981 et 1984.

Les conséquences d’un budget en sous-investissement chronique dans les Armées

En moyenne, un équipement militaire d’importance, comme ceux acquis dans le cadre des Programmes à Effets Majeurs, a une durée de vie au sein des armées de 30 à 35 ans. C’est ainsi que tous les navires de la Marine nationale, mais également les aéronefs des 3 armées, ou les blindés de l’Armée de terre, restent en service sur une période dépassant 30 années.

Or, sur la base du format des armées défini par le Livre Blanc de 2013, la valeur totale des équipements en service au sein des 3 armées, en dépit d’un nouveau coup de rabot dans les effectifs, les unités, et par voie de conséquence, dans les équipements requis pour répondre au contrat opérationnel, avoisine les 240 Md€ exprimés en € 2023.

Avec une durée de vie de 30 ans, il s’avère donc nécessaire d’investir chaque année 8 Md€, en moyenne, dans les programmes à effets majeurs et efforts de développement, pour assurer un renouvellement fluide du parc matériel des armées. C’est désormais le cas, mais sur les vingt années ayant précédé, cet effort n’était que de 4 Md€ par an en moyenne, soit un déficit de 40% et 4 Md€ par an, ce pendant une vingtaine d’année de 2000 à 2020, sur l’autel des bénéfices de la paix.

Sur la même période, paradoxalement, les armées furent souvent très sollicitées, avec de nombreuses interventions extérieures les obligeants à sur-consommer le potentiel de leurs équipements. De fait, non seulement les armées ne parvinrent pas à renouveler leurs équipements de manière raisonnée, mais elles durent répondre à une activité opérationnelle importante détériorant encore plus rapidement leur parc.

Au final, il en est résulté un déficit d’investissement de prés de 80 Md€ en 2020, de sorte à renouveler l’ensemble des matériels qui auraient du l’être sur les 20 années passées, ceci expliquant, en grande partie, le manque de résilience des forces notamment dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité, comme l’ont montré plusieurs rapports récents de parlementaires désormais beaucoup plus insistants sur ces manquements du fait du contexte international.

Quant aux militaires, ils n’ont cessé de répéter, depuis le milieu des années 2000, qu’ils étaient dans l’obligation de consommer leurs propres réserves pour répondre à la pression opérationnelle en l’absence d’investissements suffisants, mais ils ne furent effectivement écoutés qu’à partir du moment où les menaces devinrent beaucoup plus pressantes et palpables de l’opinion publique.

Au delà de l’évolution des couts d’acquisition, il convient de prendre en considération les couts de modernisation, souvent plus que significatifs. Ainsi, l’étude et le développement du standard F4 aura couté 2 Md€ aux finances publiques françaises.

Dans ces conditions, on comprend que le surplus budgétaire consenti lors de la LPM 2019-2024, même s’il est effectivement conséquent, n’aura permis à ce jour, que de ramener les investissements en matière de renouvellement des équipements à leur point d’équilibre, soit 8 Md€ par an.

Il ne permet donc, aujourd’hui, que de renouveler les équipements à un rythme normal, c’est à dire sur un rythme de 30 années, ceci expliquant qu’en dépit de son évolution, le budget des armées ne permet aujourd’hui ni d’envisager une augmentation de format, ni même une remise en état des armées sur un échéancier de court ou de moyen terme.

Pour répondre à ce besoin, il serait nécessaire d’augmenter encore sensiblement les efforts budgétaires, tout en gardant à l’esprit que l’essentiel de cet effort serait initialement fléché vers le renouvellement des matériels obsolètes et la réparation des dégâts de la période 2000-2020, ce qui sera probablement en grande partie l’objectif visé par la prochaine LPM, en tout cas par les militaires.

Comment l’inflation handicape très lourdement les investissements des armées ?

Pour autant, en dépit d’une enveloppe budgétaire appelée à évoluer très sensiblement d’ici 2030, cela pourrait bien ne pas suffire, en raison d’un second paramètre d’importance réapparu il y a peu, l’inflation. En effet, traditionnellement, les LPM sont conçues et exprimées en Euro courants, sans prendre en considération d’autres paramètres économiques comme l’évolution de la dette, la croissance économique et, ce qui apparait plus gênant, l’inflation.

Il est vrai que depuis la crise inflationniste des années 80, la France avait été relativement préservée dans ce domaine, avec une inflation annuelle d’autant plus maitrisée que le pays rejoignait la zone Euro sous influence allemande, Berlin ayant historiquement une aversion profonde à l’inflation. De fait, sur les LPM précédentes, l’inflation n’a pas eu d’effets notable, tout du moins ceux-ci ont été largement négligeables face à l’inconstance politique des dirigeants du pays.

La LPM 2019-2025 fut, elle aussi, conçue sur les mêmes paradigmes, avec une hausse budgétaire exprimée en € courant de 1,7 md€ par an pendant 4 ans, puis de 3 Md€ par an pendant 3 ans, de sorte à atteindre un effort de défense de 50 Md€/ an en 2025. Malheureusement pour les armées, la crise Covid d’une part, puis l’agression russe en Ukraine de l’autre, eurent raison de la résilience européenne à l’inflation, avec un taux moyen de 5% en 2022, de 6% en 2023 et une prévision à 3,5% en 2024, contre 1% en moyenne sur la période 2017-2021.

L’augmentation du format des armées est aujourd’hui hors de portée du fait des effets de l’inflation qui ont raboté une grande partie des crédits supplémentaires ces dernières années

Une telle inflation est venue très largement compromettre l’effectivité de la hausse consentie depuis 2017 du budget des armées, ce d’autant que dans le même temps, et conformément à la planification annoncée, le cout des Opérations Extérieures, soit en moyenne 1,5 md€ par an, était transféré d’un effort interministériel au seul budget des armées. Mis bout-à-bout, ces deux facteurs donnent une vision très différente de la réalité de la hausse budgétaire de 11,2 Md€ et de 34 % sur cette période, comme le montre le tableau ci-dessous.

Analyse des équivalents budgétaires à périmètre constant de la LPM 2019-2025

On le voit, exprimé en euro 2017, les 43,9 Md€ du budget 2023, correspondent à 37,2 Md€ de capacités budgétaires à périmètre constant pour les Armées, soit une hausse de seulement 5 md€ et 13,4%. Ce montant est par ailleurs largement entamé par les hausses de soldes passées, présentes et à venir, celles-ci constituant, d’une certaine manière, le principal bénéfice de la LPM 2019-2025 puisqu’ayant permis d’apaiser un sentiment de démoralisation très palpable au sein des armées en 2017.

En revanche, on comprend que les crédits effectivement disponibles pour renouveler le parc matériel, n’auront que très faiblement progressé en Euro constants, ceci expliquant que les armées peinent encore à simplement renouveler leurs équipements obsolètes.

Il montre également qu’une grande partie des crédits supplémentaires qui seront libérés lors de la prochaine LPM, alors que l’inflation reviendra probablement à des niveaux certes plus élevés qu’en 2017-2021, mais plus accessibles qu’en 2022-2023, permettra seulement revenir à la situation d’investissement visée par la LPM 2019-2025 avant la crise inflationniste.

Ainsi, si l’inflation en 2022, 23 et 24 avait été limitée à 1,5% par an, comme le montre le tableau ci-dessous, la hausse budgétaire compensée de l’inflation en 2024 aurait été de 10% supérieure à aujourd’hui.

Exécution budgétaire de la LPM 2019-2025 sans la crise inflationniste de 2022-2023

Conclusion

On le comprend, l’action cumulée du déficit d’investissements de 2000 à 2020 d’une part, et les crises internationales ayant engendré une inflation importante et non planifiée en 2022 et 2023, ont eu raison d’une grande partie des efforts budgétaires consentis par la France pour recapitaliser ses armées depuis 2017.

Sur la trajectoire qui semble celle qui sera suivie par la LPM à venir, il est probable, sauf nouvel épisode économique non planifié, qu’une grande partie de la hausse des investissements à venir, ne servira qu’à compenser les pertes cumulées d’investissement des années précédentes, et à rattraper le coup de rabot lié à l’inflation en 2022, 2023 et 2024.

On comprend également que la situation budgétaire des armées françaises, aujourd’hui, n’est pas si éloignée de celle qui était la sienne en 2017, l’essentiel de l’effort préservé de l’inflation ayant été capté vers l’amélioration indispensable de la condition militaire, ne laissant que bien peu de moyens pour le renouvellement du parc matériel, et évidement aucune marge de manoeuvre à court ou moyen terme, pour accroitre le format des armées.

Le remplacement des équipements ne peut se faire aujourd’hui que sur un rythme supérieur à leur durée de vie réelle planifiée, comme dans le cas des H160M qui devront remplacer, à partir de 2026, des appareils entrés en service au milieux des années 80.

Pour répondre à ce besoin, si tant est qu’il devienne véritablement un objectif politique, il serait alors nécessaire soit de s’inscrire dans les pas de Berlin, et de libérer une enveloppe de 80 Md€ pour compenser le sous-investissement des années précédentes et remettre les armées dans un format et un fonctionnement normal, soit d’accroître considérablement, pour un temps, la croissance de l’effort de défense tout en intégrant à la programmation militaire à moyen terme, donc à la LPM, une clause de re-évaluation budgétaire stricte pour compenser une inflation supérieure à 1,5%.

Surtout, il semble indispensable de construire l’envelopper budgétaire allouée aux armées sur la base des couts réels auxquelles elles sont effectivement exposées, en particulier celui visant au renouvellement des équipements de son parc, de sorte à empêcher qu’une situation comme celle à laquelle elles sont exposées aujourd’hui, naturellement alors qu’elles sont le plus sollicitées, ne se reproduise à l’avenir.

Après le A-10, l’US Air Force veut retirer ses F-15C du service d’ici 2030

La préparation du budget annuel des forces armées américaines est une période très riche d’enseignements, permettant notamment aux 3 forces du pays, l’exécutif d’une part, le Congrès d’autre part, mais également les forces armées elles-mêmes, d’exprimer publiquement leur vision et leurs attentes pour l’année à venir et au delà, en terme d’investissements mais également de format et de stratégie. Si, durant les années 90, 2000 et 2010, les considérations de chacun étaient avant tout technologiques ou économiques, elles revêtent, depuis le début de la décennie, un nouveau caractère très appliqué, alors que les tensions avec la Russie, la Chine mais également l’Iran ou la Corée du Nord, ne cessent de croitre, et qu’un front unis de nations autoritaires les rassemblant pourrait bien émerger sous peu. De fait, là ou pendant plusieurs décennies militaires, sénateurs, représentants et membres du gouvernement américains se sont livrés des bras de fer pour déterminer dans quelle entreprise ou dans quel état investir les colossaux crédits du Pentagone, les sujets sont aujourd’hui beaucoup plus concrets, opérationnels et même directifs.

Après 30 années d’errance programmatique et des centaines de milliard de dollar évaporés en programmes avortés ou ratés, chaque dollar compte aujourd’hui au sein du Pentagone, pour soutenir en particulier le défi chinois. C’est ainsi que les 4 Armées ont entrepris de profondes réorganisations en vue de moderniser à marche forcée leurs unités, donnant naissance à de nouveaux programmes développés sur des calendriers extraordinairement courts (pour le Pentagone) comme le char léger Mobile Protected Firepower ou MFP dont la production a été lancée après seulement 5 années de complétion et de tests, un record pour l’US Army qui, ces dernières années, avaient plutôt tendance à vriller ses programmes. De même, les programmes NGAD de l’US Air Force et de l’US Navy, qui produiront d’une part un chasseur de supériorité aérienne qui remplacera le F-22 au début de la prochaine décennie, d’autre part un chasseur multi-rôle pour remplacer le Super Hornet à bord des porte-avions de l’US Navy sur un même calendrier, sont tout deux menés tambours battants, avec un agenda et un budget scrupuleusement surveillé notamment par le Congrès. Le fait est, s’il ne fallut que 30 ans à la Chine, entre 1990 et 2020, ses armées et son industrie de défense, pour rattraper les 30 années de retard technologiques et industriels qui étaient les leurs à la fin des années 80, les armées et les industriels américains, quant à eux, vont devoir absorber d’ici 2030, 30 années d’indigence programmatique, ce à quoi ils s’emploient désormais.

Le F-35A va devenir progressivement le pilier central de la chasse américaine d’ici 2030, lorsque plus d’un millier de ces appareils seront en service au sein de l’US Air Force.

Pour l’US Air Force, la stratégie visée a été définie il y a deux ans par le général Brown, peu de temps après qu’il prit les rênes de la plus puissante force aérienne de la planète. Celle-ci reposait sur la modernisation des appareils de soutien, avec l’acquisition de nouveaux tanker KC-46A dans le cadre du programme KCx et de nouveaux appareils de veille pour remplacer les Sentry, la modernisation glissante de la flotte de transport et le production d’efforts importants pour developper de nouveaux équipements comme les drones de combat et les armes hypersoniques. La Force aérienne stratégique, elle, se renforcerait de l’arrivée d’un nombre confidentiel de nouveaux bombardiers furtifs B-21 Raider. Mais le sujet clé des années à venir, n’est autre que la modernisation de la flotte de chasse américaine. Ainsi, sa colonne vertébrale, à la fin de la décennie, sera bel et bien constituée de près d’un millier de F-35A qui remplaceront progressivement les A-10, ainsi qu’une partie des F-16 et des F-15E, alors que les appareils les plus modernes seraient, quant à eux, modernisés. Le nouveau F-15EX Super Eagle, qui devait initialement être commandé à 240 exemplaires, ne le sera finalement qu’à 80 unités, principalement pour remplacer le retrait des F-15C. Et enfin, le programme NGAD, qui s’il visait à remplacer le F-22 d’ici la fin de la décennie, sera de toute évidence un temps épaulé par ce dernier qui jouera très certainement les prolongations. Toutefois, le planning exact des retraits de service des appareils hérités, ou Legacy devices tels que désignés par l’USAF, n’était pas clairement défini jusqu’ici. C’est désormais chose faite.

En effet, afin de dégager les ressources budgétaires et humaines indispensables à l’acquisition et la mise en oeuvre des nouveaux appareils comme le F-35, le NGAD, le F-15EX mais également le KC-46A, le E-7 Wedgetail et le B-21, l’US Air Force se doit, de manière anticipée, de retirer du service de nombreux appareils, notamment ceux jugés comme trop obsolètes ou vulnérables pour être d’une quelconque utilité en cas de conflit de haute intensité contre un adversaire symétrique (« near-pear adversary » dans le vocable du Pentagone) comme la Chine ou la Russie. C’est notamment le cas du A-10, jugé aujourd’hui trop vulnérable aux défenses anti-aériennes modernes, mais également des F-16 C/D les plus anciens, et des F-15, dans leur version de supériorité aérienne C comme pour une partie des bombardiers F-15E Silent Eagle. Jusqu’à présent, toutefois, le Congrès avait refusé le retrait de ces appareils, comme il refusait de la même manière celui de certains navires réclamé par l’US Navy, s’appuyant à la fois sur des considérations objectives, sachant que cela créerait des trous capacitaires temporaires significatifs, mais également sur de nombreuses considérations de politiques intérieures et locales, notamment pour ce qui concernait la fermeture ou la réduction de format des bases aériennes, comme la diminution potentielle des investissements industriels dans certaines circonscriptions.

Plus de la moitié des F-15E, soit les 119 propulsés par des réacteurs Pratt & Whitney F100-220, seront retirés du service d’ici 2030

Dans le cadre de la loi de finance du budget 2023 du Pentagone, le Congrès avait déjà consenti à bien davantage de retraits anticipés que précédemment, tant pour l’US Air Force que pour la Navy, et il y a fort à parier qu’il en sera de même en 2024 face aux tensions internationales et à l’urgence constatée. En effet, sur cet exercice budgétaire, l’US Air force a présenté son plan d’acquisition pour les 10 années à venir, marqué notamment par l’achat de 48 F-35A par an, mais également de 24 F-15EX en 2024 et 2025, ainsi que de 21 KC-46A (probablement davantage suite à l’annonce d’une extension du programme KCx et l’annulation du programme KCy) et de 94 avions d’entrainement T-7A d’ici 2030. La liste des appareils quittant le service sur la même période est, quant à elle, bien plus importante, avec 13 B-1B, 149 F-15C/D, 119 F-15E, 125 F-16C/D ainsi que 64 KC-135, de sorte que la flotte de l’US Air force passera de 5,154 appareils en 2023, à 4,453 aéronefs en 2030. Si la totalité de la flotte de F-15C/D sera retirée du service d’ici 2030, seule la moitié des F-15E le seront, en l’occurence les 119 appareils motorisés par le Pratt & Whitney F100-220, de sorte à disposer d’une flotte homogène de 99 appareils employant le turboréacteur F100-229. La flotte de A-10 sera, quant à elle, entièrement retirée du service d’ici 2028, y compris les appareils ayant été modernisés il y a peu. Quant aux F-16, les appareils restants seront modernisés sans toutefois atteindre le standard Block 70, dont ils recevront cependant le système d’auto protection. Rappelons enfin que le Secrétaire à l’Air Force, Franck Kendall, a annoncé que 200 NGAD seront produits ainsi que 1000 drones de combat « lourds » destinés à évoluer au profit de ces appareils ainsi que de 350 F-35A modifiés à cet égard.

On le comprend, la transformation en cours au sein de l’US Air Force est tout aussi rapide que radicale, ceci ne pouvant se faire sans des effets de bords importants, sur les formats notamment. De toute évidence, celle-ci considère qu’il est désormais très difficile et risqué pour un appareil de la génération du F-15 ou du F-16 d’opérer en environnement contesté symétrique, et même les évolutions comme le F-15EX ou le F-16V ne semblent pas trouver grâce aux yeux des planificateurs américaines dans ce domaine. Si une flotte de F-15E et de F-16C/D restera en service, il est probable que l’essentiel de ces appareils seront reversés à la Garde Nationale, de sorte à créer un second rideau opérationnel mobilisable au besoin et potentiellement projetable en environnement de moindre intensité, alors que les escadrons de chasse de l’US Air Force évolueront, quant à eux, à bord d’appareils furtifs F-22, F-35A et NGAD, épaulés de drones, et éventuellement couverts par quelques F-15EX faisant office de camion à missile. Quoiqu’il en soit, la précipitation de ces transformations entreprises par l’USAF, donne une indication de la fébrilité qui règne aujourd’hui au Pentagone, et qui est loin de ne toucher uniquement que les forces aériennes.

 

La British Army commande en urgence 14 canons autoportés Archer pour remplacer les AS90 envoyés en Ukraine

En novembre 2019, à la demande du Ministère de la défense britannique, le think tank Royal United Services Institute, dressait un constat au vitriol au sujet des moyens a disposition de la British Army, en particulier dans le domaine de l’artillerie. En effet, à cette date, elle n’alignait que 2 régiments d’artillerie équipés chacun de 24 canons automoteurs de 155mm/39 calibre AS90 sur les 89 en parc, ainsi que de 2 batteries de 6 canons tractés légers L118 de 105 mm assignées à la 16th Air Assault Brigade. Quant au 26th Regiment Royal Artllery, il alignait 35 des 44 lance-roquettes multiples GMLRS non modernisés, que le think tank jugeait alors obsolètes et très vulnérables au brouillage adverse. Pour les experts britanniques, le manque de mobilité, de puissance de feu et de portée de l’artillerie britannique, risquait de se payer par de très nombreuses pertes si un conflit majeur devait advenir.

En dépit des nombreuses annonces spectaculaires de Boris Johnson concernant les ambitions britanniques en matière de défense à partir de 2020, il fallut attendre janvier 2023 pour que le Secrétaire à la Défense Ben Wallace, n’aborde effectivement le sujet dans une allocution parlementaire, alors que la guerre en Ukraine avait mise en évidence le rôle crucial de l’artillerie dans les conflits de très haute intensité modernes, mais également la plus value déterminante des systèmes modernes représentés par le Pzh-2000 allemand, le Krab polonais et surtout le Caesar français, afin d’apporter la puissance de feu, l’allonge et la précision indispensable pour soutenir les forces mais également pour compenser la supériorité numérique de l’artillerie russe. Lors de cette allocution, Ben Wallace promis d’exécuter le programme Mobile Fires Platform, qui devait initialement remplacer les AS90 et les L118 d’ici 2032, sur la décennie en cours, ce d’autant que Londres avait promis à Kyiv la livraison de prochaine de 30 AS90. En outre, 29 des 44 GMLRS seraient modernisés d’ici 2025 pour mettre en oeuvre de nouvelles roquettes capables d’atteindre la portée de 150 km (contre 80 km) et résistants au brouillage.

Les AS90 britanniques emportent un canon de 155mm/39 calibre limités en portée à 25 km

Pour autant, face à la pression opérationnelle et les tensions croissantes, en Europe face à la Russie, mais également dans le Pacifique face à la Chine, la situation de la Briitish Army devenait critique. Et il n’y a donc rien de surprenant dans l’annonce faite hier par le Ministère de la Defense, au sujet de l’acquisition en urgence de 14 systèmes d’artillerie autoportés de 155mm Archer, conçus par le suédois Bofors entre 1995 et 2009, d’autant que la société suédoise a été rachetée par BAe en 2005 pour devenir BAe Systems AB, comme une solution intérimaire de renforcement des capacités de la British Army à court terme, dans l’attente des arbitrages définitifs du programme Mobile Fires Platform qui devraient intervenir dans ls mois à venir. Selon le ministère britannique, le transfert de propriété des 14 systèmes aura été effectué d’ici la fin du mois de mars, et les 14 systèmes seront effectivement en service en Grande-Bretagne dès le mois d’avril à venir.

Développé peu de temps après la première présentation du CAESAR du français Nexter, l’Archer en reprend les principales caractéristiques, à savoir un canon de 155 mm et 52 calibre monté sur un camion 6×6, et épaulé par un système de géolocalisation et de calcul balistique automatisé permettant une grande précision et une portée étendue. En outre, contrairement au CAESAR qui est un système à chargement semi-automatique, l’ARCHER dispose d’un système de chargement automatique lui permettant d’être mis en oeuvre par un équipage réduit de 3 personnes. Enfin, l’Archer est mieux protégé que la système français, et dispose même d’une mitrailleuse en tourelle comme armement d’auto-protection. Toutefois, ces capacités supplémentaires ont engendré un surpoids considérable du système suédois, qui atteint une masse au combat de 35 tonnes, ce qui en réduit à la fois considérablement la mobilité et l’autonomie au combat.

La CAESAR français a sacrifié de nombreuses capacités au profit d’une mobilité inégalée

Avec une telle masse, l’Archer applique presque 12 tonnes par essieux, contre moins de 6 tonnes par essieux pour le CAESAR qui ne pese que 17,7 tonnes en configuration de combat, pour un même chassas 6×6. Rappelons qu’au delà de 8 tonnes par essieux, les performances tout-terrain d’un véhicule tendent à rapidement se dégrader. En outre, les 325 cv de l’Archer produisent un rapport puissance-poids désastreux de 9,2 cv par tonne, là ou le Caesar dépasse les 12 Cv par tonne, et que le Caesar NG viendra flirter avec les 18 Cv par tonne. De fait, le système suédois manque considérablement de mobilité, avec une vitesse maximale sur route de 70 km contre 100km/h pour son compétiteur, une autonomie de 500 km contre 600 km, et surtout une mobilité tout terrain très limitée, là où le Caesar peut soutenir une vitesse de 50 km/h et franchir des pentes à 40%. Ceci explique pourquoi l’Archer n’avait été produit jusque là qu’à 48 exemplaires pour les armées suédoises, alors que le Caesar a été commandé par 8 forces armées.

Quoiqu’il en soit, ici, d’autres considérations ont été prises en compte par le Ministère de la Défense britannique. D’une part, la préférence nationale a très certainement joué, l’Archer étant produit par une filiale de BAe. Surtout, la célérité des livraisons annoncées par Ben Wallace aurait été inenvisageable pour le Caesar, dont le carnet de commande est déjà bien rempli pour plusieurs années, même en tenant compte de l’augmentation des cadences de production annoncée par Nexter. Par ailleurs, comme pour l’Allemagne et en dépit des accords de Lancaster House, il est très exceptionnel que les Armées britanniques achètent des équipements majeurs à la France, et vice-et-versa, en dehors de co-développements technologiques.

BAe Systems AB propose à la British Army une nouvelle version 8×8 de l’Archer dans le cadre du programme Mobile Fires Platform

En effet, si les forces armées des deux pays coopèrent intensément sur une base quotidienne sur plusieurs théâtres d’opérations, leurs industries de défense se livrent tout aussi fréquemment une compétition féroce à l’exportation, et ce dans de très nombreux domaines. On peut enfin penser que Ben Wallace a voulu, par cette acquisition, donner des gages à Stockholm pour tenter de ramener la Suède au sein du programme FCAS, comme initialement prévu. De fait, les chances du Caesar dans ce contrat étaient presque nulles, et demeurent incertaines en dépit des performances du système, dans le cadre du programme Mobile Fires Platform à venir, d’autant que Londres voudra certainement privilégier la standardisation de ses capacités dans ce domaine. Quoiqu’il en soit, il ne fait aucune doute que les 14 Archer sont désormais attendus avec une grande impatience par les artilleurs britanniques, qui souffraient certainement de l’obsolescence de leur propres systèmes.

Faut-il reconsidérer le potentiel de l’artillerie navale pour les navires de surface combattants ?

Au début des années 2000, l’US Navy entreprit de concevoir une nouvelle classe de destroyers lourds, le programme DD-21, désigné comme « Destroyers d’attaque vers la terre » sur la base d’un nouveau système d’artillerie navale. Le programme donnera naissance à la classe Zumwalt, un navire de 190 mètres de long pour un déplacement en charge de presque 16.000 tonnes, disposant d’une grande furtivité et d’une ligne particulièrement basse sur l’eau pour en réduire la vulnérabilité aux missiles anti-navires.

Outre les 20 systèmes de lancement vertical Mk47 de 4 silos accueillant chacun 4 missiles anti-aériens à courte et moyenne portée ESSM ou un missile de croisière Tomahawk, l’armement principal du navire reposait sur 2 nouveaux canons de 155 mm désignés Advanced Gun System, un système d’artillerie censé tirer une dizaine d’obus par minute, et d’une portée de près de 150 km avec le nouvel obus guidé Long Range Land Attack Projectile, ou LRAP.

Cependant, et comme ce fut souvent le cas pour de nombreux programmes majeurs américains post guerre froide, la classe Zumwalt et le système AGS tournèrent court, le premier alors que ses couts de développement explosaient au point que la flotte de 32 destroyers fut ramenée à 3 navires pour un cout de 21 Md$, soit le prix de deux porte-avions de la classe Nimitz, ainsi que par l’abandon du second, pourtant déjà monté sur les Zumwalt, alors que le prix de chaque obus LRAP dépassait le demi-million de $, très loin des objectifs initialement visés par l’US Navy.

1950 : les missiles commencent à remplacer l’artillerie navale

En dehors de cette initiative manquée, l’artillerie navale a perdu, dès la fin des années 50, son rôle central en matière d’armement des unités de surface combattantes, frégates, destroyers et croiseurs.

Ainsi, là où le croiseur Colbert, armé en 1957 et dernier navire de ce type conçu en Europe, emportait à son lancement 8 tourelles doubles de 127 mm et 10 canons anti-aériens bitubes de 57 mm, les destroyers lui ayant succédé, en France comme partout dans le monde, privilégiaient la mise en œuvre de missiles, qu’ils soient anti-aériens, anti-navires ou anti-sous-marins, au détriment de l’artillerie navale qui était ramenée le plus souvent à un ou deux affuts de 127 mm.

Le phénomène s’amplifia au fil des décennies, et aujourd’hui, la puissance de feu d’un navire est le plus souvent ramenée à sa seule capacité d’emport de missiles, en particulier depuis l’arrivée des systèmes de lancement vertical et de nouveaux missiles étendant les capacités de ces navires, tant dans les domaines traditionnels comme la lutte anti-aérienne, anti-navire et anti-sous-marine, que dans de nouveaux comme l’interception anti-balistique et la frappe vers la terre à l’aide de missiles de croisière ou balistiques dans les années à venir.

l'artillerie navale était au coeur de la conception des destroyers de la classe Zumwalt
Les destroyers de la classe Zumwalt devaient mettre en oeuvre deux canons de 155mm du système AGS d’une portée de 150 km

De fait, aujourd’hui, même les navires les plus imposants et puissamment armés, comme les Type 055 chinois, les Sejong le grand sud-coréens ou les Arleigh Burke Flight III américains, ne mettent en œuvre qu’un unique canon de 127 ou 130 mm, ainsi que quelques pièces de petit calibre destinées à l’autoprotection à courte portée.

Et à l’exception de certains pays comme l’Italie, particulièrement dynamique dans le domaine des obus à portée additionnée guidés comme le Leonardo Vulcano, l’artillerie navale est devenue un armement secondaire employé essentiellement pour la gradation de force et éventuellement le soutien tactique en situation de faible ou moyenne intensité.

Les progrès récents de l’artillerie terrestre

Paradoxalement, dans le même temps, d’importantes avancées ont été réalisées dans le domaine de l’artillerie terrestre, avec de nouveaux canons et de nouveaux obus capables non seulement d’atteindre des cibles 2 fois plus loin qu’ils ne le pouvaient, à calibre égal, au début des années 50, mais également avec une précision proche de celle atteinte par des missiles, ce pour des couts considérablement inférieurs.

Mises en évidence par la guerre en Ukraine, les nouvelles performances de l’artillerie tactique terrestre peuvent-elles amener à reconsidérer le rôle de l’artillerie navale sur les navires de combat de surface ?

Il est vrai que les performances proposées par l’artillerie moderne ont considérablement évolué ces dernières années. Ainsi, le canon de 155 mm Long Tom de l’US Army, produit jusqu’en 1945 et qui resta en service dans cette force jusqu’à la fin des années 60, avait une portée limitée de 23 km, là où les systèmes terrestres modernes de 155 mm / 52 Calibres (longueur du tube exprimée par rapport au calibre de l’arme) dépassent désormais les 40 km de portée avec des obus optimisés, alors que la précision et la dispersion des tirs ont également été considérablement améliorées, y compris pour des obus non guidés.

Et c’est loin d’être un plafond. En effet, tant en Europe qu’aux États-Unis, d’importants efforts sont produits pour accroitre la portée et la précision des systèmes d’artillerie, que ce soit par l’intermédiaire d’obus à propulsion additionnée équipés d’un moteur fusé propulsif pour en étendre la portée, et de systèmes de guidage GPS, laser ou infrarouge pour une précision métrique, qu’en allongeant la longueur relative du tube.

Le programme ERCA de l’US Army vise à équiper le M109 d’un tube de 155 mm / 58 calibre pour atteindre une portée de 70 km

C’est ainsi qu’en novembre 2019, l’allemand Rheinmetall établit un nouveau record de portée pour un canon de 155 mm en atteignant la distance de 76 km avec un obusier G6 de 52 calibres armé d’un obus Assegai V-LAP, mais également de 67 KM avec un PZH-2000, et même de 54 km avec un obusier de 39 Calibres comme ceux employés par le M109 Paladin américain.

D’autres programmes similaires sont en développement de par le Monde, avec le M982 Excalibur américano-suédois, le Katana du Français Nexter ou le Volcano italien, celui-ci ayant déjà été testé à 70 km à partir d’un canon naval de 127 mm et 54 calibres.

De son côté, l’US Army développe le programme Extended Range Cannon Artillery ou ERCA, visant à atteindre une portée de 70 km en s’appuyant sur un tube de 155m et 58 calibres, mais employant des obus conventionnels plus économiques que les munitions à propulsion additionnée qui atteignent et dépassent souvent les 50.000 $ par unité, soit le prix de plusieurs dizaines d’obus de 155 mm optimisés, mais qui demeurent 10 fois moins onéreux que les obus LRAP des Zumwalt.

En associant un tube de 58 calibres et des obus à propulsion additionnée, il sera, sans le moindre doute, dans les années à venir, possible de dépasser la portée de 100 km, c’est-à-dire celle de nombreux systèmes lance-roquettes multiples.

Toutefois, si la technologie des obus guidés à propulsion additionnée commence à être efficacement maitrisée, celle des tubes longs fait face à de sérieuses difficultés technologiques. En effet, lors des essais du programme ERCA, l’US Army a constaté une usure rapide du tube, ce qui viendrait handicaper sévèrement leur utilisation au combat de manière intensive.

Déjà, les tubes de 52 calibres équipant les CAESAR français, Pzh-2000 allemands et KRAB polonais, s’ils apportent une réelle plus-value aux forces ukrainiennes grâce à leur portée et leur précision sensiblement supérieures à celles du meilleur système d’artillerie russe, le 2S19 Msta-S, ont également montré qu’ils atteignaient relativement rapidement leurs potentiels de tir, obligeant à les renvoyer en maintenance pour remplacer le tube, bien plus rapidement que les tubes de 39 calibre des M109 par exemple, ce d’autant plus que du fait de leurs performances, les Ukrainiens ont souvent employé ces systèmes bien plus intensément que les autres systèmes d’artillerie.

Les tubes de 155mm/52 calibres employés en Ukraine ont montré une usure plus rapide que les tubes plus anciens et moins performants de 39 calibres

Vers une application pour l’artillerie navale

Pour autant, si ce problème est en effet difficile pour les systèmes terrestres, il l’est considérablement moins pour les systèmes navals. En effet, là où le poids du tube est un critère déterminant pour la mobilité du véhicule qui le porte, il l’est beaucoup moins pour un grand navire de surface, capable d’accueillir sans difficulté le surpoids d’un tube plus épais, donc plus résistant, mais plus lourd, pour absorber les contraintes mécaniques et thermiques liées à l’utilisation d’un tube plus long.

Plus précisément, si un surpoids de 3 tonnes, afin de renforcer les pièces exposées aux contraintes amplifiées d’un tube long, ne représente que 0,06% de la masse d’une frégate de 5000 tonnes, il atteint un gain de masse de 7,5% pour un blindé de 40 tonnes comme le M109A7, et de 16,7 % pour les 18 tonnes du CAESAR, ce qui viendrait immanquablement handicaper sévèrement la mobilité, mais également la consommation de carburant du véhicule, et donc son efficacité au combat.

L’augmentation de la portée balistique et de la précision des canons n’est pas la seule avancée mise en évidence ces dernières années dans le domaine de l’artillerie de gros calibre. En effet, leur précision en matière d’interception de cibles aériennes a également considérablement progressé.

C’est ainsi qu’en septembre 2020, l’US Air Force annonçait avoir réalisé l’interception d’un drone BQM-167 simulant un missile de croisière, à l’aide d’un canon automoteur M109A6 Paladin de l’US Army.

Pour cela, le paladin fut armé d’un nouvel obus développé par BAe, désigné Hypervelocity Projectil ou HPV, ayant une vitesse de sortie de bouche de Mach 5, alors que le guidage était confié à un système s’appuyant sur un usage intensif de l’Intelligence Artificielle.

Beaucoup de ces technologies, en particulier l’obus HPV, ont été développées dans le cadre du programme de Rail Gun de l’US Navy abandonné en 2019, notamment en raison des couts croissants et d’une application incertaine de la technologie. L’obus HPV est effectivement onéreux, donné à 86.000 $ en 2020, même si, selon BAe, ce prix était appelé à baisser si des commandes importantes lui étaient adressées.

Enfin, les paramètres de cet essai, notamment la distance et l’altitude d’interception, n’ont pas été dévoilés. Pour autant, il apparait bien que l’artillerie lourde peut représenter une alternative aux missiles surface-air à moyenne portée, pour un cout d’emploi sensiblement moindre, un missile ESSM coutant 1 million de $.

Le S-100 Camcopter permet aux unités navales d’étendre leurs capacités de détection au-delà de la ligne de visée électromagnétique.

Dans ce contexte, la question d’un retour des canons d’artillerie navale comme armement principal de certaines unités de surface combattantes, semble effectivement se poser. D’une part, la portée de tels systèmes de 155 mm, soit 70 km avec des obus conventionnels, et plus de 100 km avec des obus à propulsion additionnée, répond en de nombreux points aux distances d’engagement des unités de surface qui, rappelons-le, ne peuvent percevoir leur environnement de surface qu’à 40 km du fait de la rotondité de la terre.

En ajoutant à ces navires des drones de reconnaissance comme le Camcopter S-100, cette portée d’engagement s’étend à 60/70 km, et à plus de 100 km avec un drone plus lourd, comme le VSR700, soit des distances d’engagement cohérentes avec la portée de ces systèmes d’artillerie.

En outre, contrairement aux missiles anti-navires traditionnels, les obus d’artillerie sont à la fois plus discrets, beaucoup plus rapides, moins sensibles aux leurres et au brouillage, et beaucoup plus difficiles à intercepter par les systèmes d’autodéfense existants.

L’artillerie lourde offre également des capacités bien plus versatiles que les systèmes missiles, pouvant être employée tant pour la lutte anti-navire que pour des frappes vers la terre, y compris dans la profondeur de la bande côtière, ainsi que pour densifier la défense anti-aérienne et anti-missile.

Si l’artillerie navale ne peut intégralement se substituer aux traditionnels missiles, dotés d’une portée plus étendue et répondant à des scénarios spécifiques, comme l’interdiction aérienne à longue portée ou les frappes à l’aide de missiles de croisière, elle offre toutefois, désormais, une vaste panoplie de capacités à la fois très économiques et bien plus résilientes, notamment en cas d’attaque de saturation ou d’engagement prolongé.

Enfin, et c’est loin d’être à ignorer, l’essentiel des systèmes de protection en développement, visent à répondre exclusivement à la menace missile, ce qui suppose des moyens de détection, de leurres et d’interception, qui s’avéraient bien moins efficaces face à des obus d’artillerie, ouvrant la voie non seulement à des avantages opérationnels significatifs, mais également au développement de tactiques et doctrines pouvant, potentiellement, paralyser l’adversaire face à une menace contre laquelle il n’est pas préparé, équipé ni même entrainé.

La Moskva aurait il eut un destin différent, si au lieu de ses P1000 anti-navires et de ses S300 anti-aériens , il avait à son bord des canons d’artillerie navale de longue portée et des drones de reconnaissance ?

Et de se poser la question, quelle aurait été la physionomie de la guerre navale en Mer Noire, si plutôt que d’imposants missiles anti-navires P1000 et de missiles anti-aériens S300, le Moskva avait eu à son bord 3 batteries doubles de 152 mm d’une portée de 70 km et même 100 km avec certains obus, et de plusieurs drones pouvant potentiellement surveiller la zone côtière, notamment pour y détecter le déploiement de forces ou de batteries côtières, tout en restant caché sous la ligne d’horizon ?

Et qu’en aurait-il été si, en lieu et place de tubes de 152 mm, il fut équipé d’affuts de 203 mm dont la portée atteindrait, selon les mêmes paramètres, plus de 100 km, et plus de 130, voire 140 km avec des obus spéciaux ? Reconnaissons que l’effectivité de la présence navale russe aurait été tout autre, et ce, sur l’ensemble de la bande littorale ukrainienne…

La Lituanie veut acquérir 50 chars de combat pour armer sa nouvelle division mécanisée

A l’instar des deux autres états baltes, la Lituanie, qui a rejoint l’OTAN en mars 2004 et l’Union Européenne 2 mois plus tard, consacre une part relative importante de ses richesses à ses armées, avec une effort de défense atteignant 2,53% du PIB en 2023, alors que le pays partage une frontière de 227 km avec la Russie (Enclave de Kaliningrad) et de 567 km avec son allié Biélorusse. Ses forces armées se composent aujourd’hui de 23.000 militaires d’active professionnels, en majorité au sein des forces terrestres, et de 28.000 réservistes formant, notamment, l’une des 3 brigades du pays, la brigade légère de Aukštaitija formée en 2017. En outre, le pays accueille des déploiements permanentes de l’OTAN, sur la base aérienne Šiauliai avec un détachement de 4 chasseurs dans le cadre de la mission Baltic Air Policy, ainsi qu’un bataillon mécanisé de 3.700 hommes sous commandement allemand déployé dans le pays depuis 2017 comme mesure de réassurance face à la montée des tensions avec la Russie.

Outre la brigade Aukštaitija de réserve, les forces terrestres lituaniennes se composent de deux brigades, une brigade d’infanterie mécanisée dans la région de Kaunas, et une brigade d’infanterie motorisée basée à Klaipėda sur la cote baltique. Celles-ci sont équipées aujourd’hui de 89 véhicules de combat d’infanterie 8×8 Boxer germano-néerlandais acquis en 2017 et dont la livraison se poursuivra jusqu’en 2026, ainsi que de 260 véhicules de transport blindés M113 acquis d’occasion auprès de la Bundeswehr au début des années 2000. Si la commande de 120 Boxer supplémentaires est en cours de discussion, et si le pays a par ailleurs investi dans une puissante artillerie mobile lourde avec 21 canons automoteurs chenillés PZH-2000 en service, ainsi que 18 CAESAR NG français et 8 Himars américains commandés cette année, les deux brigades lituaniennes manquent toutefois clairement de puissance de feu en tir direct et de blindage, si elles devaient faire face, aux cotés de leurs alliés de l’OTAN, à une offensive russe.

La Lituanie a rejoint, en juin dernier, le programme CAESAR NG dont elle a annoncé l’acquisition de 18 systèmes

C’est la raison pour laquelle le pays envisage d’acquérir une flotte de 50 chars de combat de sorte à armer un nouveau bataillon, dans un effort global visant à accroitre le format opérationnel de ses forces terrestres jusqu’au niveau d’une division mécanisée. L’information, initialement dévoilée par le Ministre de la Défense Arvydas Anušauskas, a été confirmée hier par le Lieutenant General Valdemaras Rupšys, chef d’Etat-major des armées lituaniennes. Le fait est, avec 17.000 hommes rassemblés en 2 brigades professionnelles, l’essentiel des 28.000 réservistes dans une brigade légère, ainsi qu’une flotte mécanisée alignant 50 chars lourds, 209 véhicules de combat d’infanterie Boxer, 39 tubes de 155 mm modernes et 8 lance-roquettes à longue portée et haute précision et protégée par 2 batteries anti-aériennes à moyenne portée NASAMS, la division lituanienne n’aura probablement pas grand chose à envier aux divisions françaises, britanniques ou italiennes, si tant est que ces pays soient effectivement en mesure de déployer une division mécanisée, alors même qu’avec seulement 2,8 millions d’habitants et un PIB de 70 Md$, le pays n’a que 4% de la population et 2,3% des richesses d’un pays comme la France.

Le modèle des chars comme leur origine n’ont pas encore été dévoilés par les autorités lituaniennes. Il est très probablement que le Leopard 2, en version neuve ou d’occasion, sera évaluée, tout comme l’Abrams américain, même si cette dernière hypothèse semble peu probable du fait de ses couts de mise en oeuvre et de sa masse très élevée, mal adaptée à la géographie du pays. Il est également très probable que le K2PL Black Panther, la version du char sud-coréen qui sera produite par le voisin polonais à partir de 2025, sera envisagé, d’autant que le char promet d’être un peu plus économique que les modèles traditionnels occidentaux, et que le K2, plus léger de 10 tonnes vis-à-vis du Leopard 2, offre également une masse mieux adaptée au terrain. Il ne fait aucun doute, enfin, que le bouillonnant Armin Papperger y verra une nouvelle opportunité de placer son KF-51 Panther, de sorte à lancer la production de ce nouveau char qu’il entend bien vendre à la Bundeswehr.

Il y a fort à parier que Rheinmetall proposera son KF51 Panther à la Lituanie

Une chose est certaine, au delà des postures purement politiques notamment en lien avec le soutien à l’Ukraine, la Lituanie, comme la Lettonie et l’Estonie, ainsi que les autres pays de l’Est de l’Europe, redoutent véritablement que Moscou ne se retourne contre eux une fois l’affaire ukrainienne réglée, et ce quel qu’en soit la conclusion. Et s’il ne fait aucun doute que les dirigeants de ces pays s’appuient parfois sur les investissements de défense pour se bâtir une légitimité politique, cette approche n’est possible que du fait d’un puissant sentiment de crainte ancré dans les opinions publiques baltes, finlandaises ou encore polonaises, slovaques et tchèques. Et si, dans les déclarations du moins, l’Allemagne, l’Italie ou les Pays-bas semblent avoir entendu ces craintes dans leurs projets pour durcir leurs propres forces mécanisées lourdes de sorte à soutenir leurs alliés, ce n’est pas le cas de la Grande-Bretagne, qui semble avoir définitivement abandonné l’idée de jouer un rôle majeur dans ce domaine, mais également en France, qui continue de concevoir ses forces armées pour la projection de puissance en Afrique et au Moyen-Orient. Il ne faut guère être surpris, dans ce contexte, que le leadership espéré par la France en matière de défense européenne, reste et demeure lettre morte auprès de nombreux pays, en particulier en Europe de l’Est.

Avec le programme CVX, la Corée du Sud va-t-elle construire le porte-avions idéal pour l’exportation ?

Au début des années 2000, l’industrie de défense sud-coréenne était encore balbutiante, même si elle avait déjà conçu certains blindés comme le char lourd K1, le véhicule de combat blindé K200 ou encore les corvettes légères Donghae. Depuis, en s’appuyant sur d’importants transferts de technologie en lien avec ses programmes d’acquisition et de fabrication locale, mais également sur l’immobilisme global des industriels de l’armement occidentaux entre la fin de la guerre de froide et le milieux des années 2010, Seoul s’est hissé sur le podium des concepteurs et producteurs d’équipements militaires avancés, comme dans le domaine du combat terrestre avec une famille de blindés lourds chenillés allant du char K2 Black Panther au véhicule de combat d’infanterie AS21 Redback, dans le domaine naval du sous-marin AIP Dosan Ahn Chango au destroyer lourd Sejong le Grand, dans la missilerie du missile balistique à changement de milieu Hyunmoo 4-4 au missile anti-balistique L-SAM, et dans l’aviation de combat avec l’avion d’entrainement et d’attaque FA-50 et le nouveau chasseur moyen KF-21 Boramae, et se positionne désormais comme un concurrent redoutable, notamment pour les industriels européens, dans de très nombreux domaines et y compris jusqu’en Europe.

Aujourd’hui, avec 22 sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle ou AIP, 13 destroyers et frégates, 21 corvettes ainsi que 2 porte-hélicoptères amphibies et 8 grands navires de débarquement, la marine sud-coréenne est devenue non seulement l’une des plus imposantes du théâtre pacifique, mais également l’une des plus puissamment armées, les 3 destroyers de la classe Sejong le Grand, avec 128 silos verticaux, ne cédant par exemple qu’aux croiseurs de la classe Kirov dans ce domaine. Mais il est un programme qui suscite de nombreuses controverse dans le pays, celui visant à doter la Marine sud-coréenne d’un ou plusieurs porte-aéronefs ou porte-avions, capables de mettre en oeuvre des avions de combat.

Il est vrai que ce programme, qui n’a pas encore été formellement entamé, a connu de très nombreux rebondissements depuis qu’il fut pour la première fois évoqué par l’état-major sud-coréen en juillet 2019 sous la forme de deux porte-hélicoptères d’assaut de 30.000 tonnes dérivés de la classe Doko, destinés à mettre en oeuvre les 20 F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court que l’armée du l’air devait encore commander. Il s’agissait alors, pour Séoul, de répondre à la prochaine entrée en service du second porte-avions chinois, le Shandong, lancé en Avril 2017, et qui rejoint le service actif au sein de la Marine de l’APL en décembre 2019.

Les premiers appontages de F-35B à bord du porte-aéronefs Izumo des forces d’auto-dédefense nippones, eurent lieu à l’automne 2021

L’hypothèse retenue par Séoul était alors très inspirée de la conversion des deux porte-hélicoptères de la classe Izumo des forces navales d’autodéfense nippones annoncée quelques semaines plus tôt, là encore pour mettre en oeuvre la flotte de d’une quarantaine de F-35B commandée par Tokyo, tant pour répondre à la menace chinoise que pour apaiser un Donald Trump très insistant sur l’équilibrage de la balance commerciale américaine avec le Japon.

Rapidement, toutefois, le programme prit de l’ampleur, et en octobre 2019, il n’était déjà plus question de navires de 30.000 tonnes, mais de deux options, l’une de 41.000 tonnes pour 238 mètres désignée porte-aéronefs léger, et l’autre de 71.000 tonnes pour 298 désignée porte-avions moyen. Dans les deux cas, il s’agissait de navires dotés d’un tremplin et dépourvu de catapultes ou de brins d’arrêt, à l’instar des porte-avions britanniques, italiens, espagnols ou encore japonais, destinés à mettre en oeuvre des hélicoptères et des avions à atterrissage vertical et décollage court, comme le Harrier ou le Ligthning II. Un an plus tard, en Aout 2020, le modèle de porte-aéronef sud-coréen ne faisait plus que 40.000 tonnes en charge, et avait perdu son tremplin pour une configuration proche des LHA de la classe America de l’US Navy.

La crise Covid mit à l’arrêt l’ensemble des perspectives, et la question du porte-avions sud-coréen, désormais désigné CVX, ne réapparut sur la scène publique qu’au printemps 2022, lorsque de nombreuses voix dans le pays, y compris au sein du parlement, déclenchèrent un feu nourri contre ce programme à 2 Md$. Deux mois plus tard, en juillet, le couperet semblait être tombé sur le CVX, puisque la commande de 20 F-35B qui devaient constituer l’escadron de chasse embarquée du navire, fut remplacée par 20 F-35A, la version terrestre de l’appareil. Un mois plus tard, en aout, la messe semblait dite pour ce programme, alors que les crédits qui devaient lui être alloués dans le cadre de la loi de finance militaire 2023, avaient tout simplement disparu de la planification militaire sud-coréenne, sur l’autel du changement d’administration suite aux élections du printemps 2022.

Un mois plus tard, en septembre, un nouveau rebondissement spectaculaire et inattendu eut lieu, lorsque le chef d’état-major, le général Kim Seung-kyum, annonça que le programme CVX était d’ores et déjà acté, et qu’il ne serait donc pas remis en cause. En revanche, la question de la taille du navire demeurait posée, notamment avec l’apparition d’une nouvelle option représentée par une version navale embarquée du KF-21 Boramae, présentée pour la première fois sous forme de maquette le 22 septembre dernier à l’occasion du salon Defense Expo 2022 de Goyang dans la banlieue de Séoul, comme une réponse aux propos du général Kim Seung-kyum quelques jours plus tôt.

La maquette du KF-21N, version navale du Boramae, a été dévoilé à l’occasion du salon Defense Expo 2022 

Le porte-avions pourrait alors être plus imposant que ne devait l’être le programme CVX, avec un déplacement de 50.000 tonnes pour une longueur de plus de 260 mètres, soit des dimensions proches de celles du porte-avions nucléaires Charles de Gaulle. En revanche, la configuration du navire, à savoir en version tremplin et brins d’arrêt comme pour les porte-avions chinois et indiens, équipés de catapultes comme les porte-avions de l’US Navy et le Charles de Gaulle français, ou doté (ou pas) d’une tremplin et dépourvu de brins, n’est pas encore arbitrée, et dépendra très certainement des performances du chasseur embarqué qui sera retenu, et donc du succès de l’avionneur KAI de faire de son Boramae un chasseur embarqué. Notons au passage que la conversion d’un chasseur terrestre en chasseur embarqué a rarement été couronnée de succès, qui plus est lorsque l’avionneur ne dispose pas auparavant d’une grande expérience dans la conception de chasseurs embarqués.

Reste que si, effectivement, la version navale du Boramae venait à se révéler performante et fiable, Séoul disposerait alors non seulement d’une configuration opérationnelle très performante pour doter sa marine d’une composante de chasse embarquée susceptible d’en faire l’une des rares marines de haute mer disposant de réelles capacités de projection de puissance distante, mais également d’une offre des plus attractives sur la scène internationale, et qui pourrait de fait séduire plusieurs marines qui, jusque là, ne considéraient pas l’option de se doter d’une telle capacité comme crédible. En effet, non seulement le CVX promet d’être relativement économique, il est question de 2 Md$ et donc d’un prix export inférieur à 3 Md$, même équipé de 2 catapultes de 60 m, mais Séoul disposerait également, alors, de la possibilité de proposer simultanément le navire et les chasseurs embarqués conçus pour ce navire, le KF-21N Boramae qui, s’il n’est pas à proprement parler un chasseur de 5ème génération, n’en sera pas moins un appareil performant et moderne, offrant de significatives capacités.

Le développement du KF-21 Boramae va conditionner le développement du programme de porte-avions sud-coréen CVX

En outre, Séoul pourrait bien disposer d’une offre unique en occident, puisque toutes les marines exploitant un ou plusieurs porte-aéronefs, à l’exception des Etats-Unis et de la France, ne peuvent que proposer le navire alors que le chasseur embarqué ne peut être, pour sa part, que le F-35B américain que l’on sait performant mais également très onéreux et complexe à mettre en oeuvre. Les Etats-Unis, pour leur part, ne pourraient proposer qu’une configuration basée sur les LHA de la classe America et là encore le F-35B, étant hors de question, et hors de prix, d’exporter un porte-avions nucléaire lourd de la classe Ford.

La France, enfin, dispose bien du très performant chasseur embarqué Rafale M qui, dans sa version F4, promet d’être l’un des tous meilleurs, si ce n’est le meilleur chasseur embarqué du moment, mais a elle aussi fait le choix d’une propulsion nucléaire pour le Charles de Gaulle et pour son successeur, alors que ce dernier promet d’être bien plus onéreux que le CVX du fait des dimensions et du déplacement du navire (75.000 tonnes) afin de pouvoir mettre en oeuvre le futur mais toujours menacé chasseur lourd NGF en version navale du programme SCAF. Dans ce contexte, le CVX sud-coréen, et sa flotte de KF21N, représenterait non seulement la seule alternative « intégrée » disponible qui ne soit pas basée sur le Lighting II, mais offrirait également un ticket d’entrée budgétaire fort attractif, puisque le porte-avions et la flottille de chasseurs embarqués Boramae destinée à l’armer, pourraient être proposés sous la barre des 5 Md$, soit un investissement que plusieurs pays, comme le Brésil, l’Arabie saoudite ou encore l’Egypte, pourraient trouver accessible pour se doter d’une capacité aujourd’hui réservée aux très grandes puissances navales.

Cette question interroge également quant au bienfondé des arbitrages de l’Etat-major de la marine nationale comme du Ministère des Armées en faveur d’un porte-avions lourd pour remplacer le Charles de Gaulle. En effet, non seulement le navire sera, à minima deux fois, plus probablement trois plus cher qu’un navire aux dimensions et capacités au CVX sud-coréen, mais la conjonction du prix du navire et de sa propulsion nucléaire, rend ce navire presque impossible à exporter, alors même que les exportations jouent un rôle déterminant au sein de la BITD française pour préserver les compétences développées dans le cadre des programmes nationaux, ainsi que pour réduire la charge budgétaire pour l’état et le contribuable de cet investissement. En effet, si certaines composantes, comme la dissuasion, ne se prêtent pas à l’atténuation budgétaire par le biais de l’exportation, on peut regretter qu’un type de navire ayant un réel potentiel dans ce domaine, ne soit pas conçu en tenant compte de ce besoin, ce d’autant qu’au delà du navire, la France serait en effet, avec la Chine et les Etats-Unis, le seul acteur disposant simultanément de toutes les technologies navales et aériennes pour produire une composante aéronavale embarquée complète (rappelons que le KF21 Boramae emploie des turboréacteurs F414 américains).

La question se pose pour la France quant à la pertinence du développement du programme PANG qui vise à concevoir et construire un unique porte-avions à propulsion nucléaire de 75.000 tonnes pour un prix probablement supérieur au triple d’un porte-avions CVX sud-coréen

Une chose est certaine, l’époque ou américains, russes (et soviétiques avant eux) et européens se partageaient l’immense majorité du marché mondial de l’armement, est désormais révolue, avec l’émergence de plusieurs acteurs faisant montre d’une grande determination, de réelles compétences technologiques et industrielles, et d’un soutien politique souvent bien plus marqué que ce que l’on peut observer en Europe. Au delà de la Corée du Sud, qui promet de devenir un acteur majeur de l’armement mondial dans les années à venir, la Chine, mais aussi l’Inde, la Turquie ou encore Israel, grignotent chaque année des parts de marchés, principalement russes et européennes, les américains conservant une prédominance politique et opérationnelle suffisantes pour préserver leurs propres clients. L’arrivée des K2 et K9 sud-coréens en Pologne, Norvège et Finlande, des HQ-22 chinois en Serbie, ou les récents succès internationaux des corvettes Ada et drones Baykar turcs, ne sont que les prémices de cette transformation rapide qui ne se fera pas sans d’importants dégâts pour la base industrielle défense européenne.

La Pologne va developper un véhicule de combat d’infanterie lourd pour soutenir ses chars M1A2 Abrams

La Pologne va-t-elle, à elle seule, entièrement neutraliser la menace russe terrestre dans les années à venir ? C’est en tout cas la question que l’on peut se poser en observant les ambitions de recrutement, programmes de défense et d’acquisition de matériels qui ont été annoncés depuis maintenant une année par Varsovie. En effet, après avoir annoncé la commande de 250 chars lourds américains M1A2 SEPv3 en juillet 2021, les autorités polonaises ont annoncé la commande 32 hélicoptères AW149 à l’italien Leonardo en juin 2022, de 3 frégates Mièçznick auprès du britannique Babcock ainsi que de 1000 chars K2 et 672 canons automoteurs K9 en juillet 2022, de 96 hélicoptères de combat AH-64E Gardian et de 48 chasseurs légers FA-50 en septembre, 2022, de 300 lance-roquettes multiples K239 en octobre 2022, de 2 satellites d’observation militaires auprès de la France en décembre 2022, ainsi que la construction locale de 1400 véhicules de combat d’infanterie amphibies Borsuk en février 2023 (en illustration principale). Il ne fait aucun doute qu’avec un tel arsenal, les forces armées terrestres polonaises seront les plus imposantes et puissamment armées en Europe occidentales, d’autant qu’elles seront épaulées par 140 chasseurs F-35A, F-16 Block 60 et FA-50, appuyées par une centaine d’hélicoptères de combat Apache, et protégées par une défense anti-aérienne multi-couches composée de batteries de Patriot PAC-3, de SPYDER et d’un système SHORAD de conception national.

On pouvait penser que Varsovie s’arrêterait après cette série d’annonces, d’autant que les investissements nécessaires pour le financement de ces programmes équivaut déjà à plus de 15% du PIB du pays. Il n’en est rien. D’une part, les arbitrages définitifs quant au programme Orka de sous-marins d’attaque polonais, afin de remplacer l’unique sous-marin de la classe Kilo en service et atteint par une sévère insolence, n’ont toujours pas été rendus. Surtout, dans une interview donnée à l’agence de presse polonaise, le lieutenant-colonel Krzysztof Płatek, porte-parole de l’agence de l’armement du pays, a indiqué que Varsovie entendait construire un nouveau véhicule de combat d’infanterie lourd, non amphibie cette fois, mais bien mieux protégé et armé que le Borsuk, pour épauler les chars M1A2 Abrams, également sensiblement plus lourds et mieux protégés que les K2PL Black Panther d’origine sud-coréenne. Sur le même ratio que le nombre de Borzuk vis-à-vis du nombre de K2, on peut donc s’attendre à ce que les autorités polonaises commandent, dans un avenir proche, 350 de ces VCI lourds qui accompagneront les Abrams.

Bien que mieux protégé, l’Abrams M1A2 est sensiblement moins mobile que le K2 Black Panther, du fait de ses 10 tonnes supplémentaires

Quelques informations au sujet de ce futur blindé ont été révélées par le site polonais defence24.pl. Ainsi, celui-ci serait conçu sur le même châssis que celui équipant le canon automoteur K9 Thunder également acquis par le pays, de sorte à en faire baisser les couts et risques de développement, ainsi que profiter d’une certaine convergence en terme de maintenance pour une série somme toute limitée, et ce même si ce châssis na pas été conçu ni optimisé pour la mission VCI. Le blindé sera sensiblement plus lourd que les 28 tonnes du Borsuk, mais il sera probablement inférieur au 49 tonnes du K9 de sorte à lui conférer une plus grande mobilité. On peut estimer, sur la base du moteur MT881Ka-500 de 1000 cv équipant le K9, et pour obtenir un rapport puissance/poids identique à celui du Borsuk de 25,7 cv par tonne, une masse au combat de 37 à 39 tonnes, mettant le nouveau VCI dans la catégorie du KF-41 Lynx de Rheinmetall. De fait, celui-ci pourra être mieux protégé, avec l’ajout d’un blindage passif plus épais et peut-être d’un système hard-kill soft-kill que l’on sait indispensable désormais pour mener des opérations offensives blindées face à un adversaire symétrique, mais également mieux armé.

Selon le lieutenant-colonel Krzysztof Płatek, le nouveau blindé sera en effet armé d’un canon de calibre supérieur à celui du Borsuk (30 mm), et disposera toujours d’une mini-tourelle pour lancer des missiles anti-chars SPIKE-LR. Selon le site spécialisé polonais, il est très probable que la tourelle du nouveau VCI sera, comme celle du Borsuk, entièrement automatisée, et que le canon employé sera de 40 mm, lui conférant à la fois une puissance de feu et une survivabilité supérieure au combat. De fait, on peut penser que le blindé polonais, comme les Abrams qu’il protègera, auront une fonction de rupture dans le dispositif polonais, de sorte à percer les lignes adverses, et permettre aux blindés plus mobiles mais bien armés K2 et Borsuk, d’exploiter la percée pour s’enfoncer dans le dispositif adverse. Reste à savoir désormais si, à l’instar de l’US Army, les polonais vont concentrer leurs VCI et chars lourds dans une unique division de rupture, ou s’ils seront ventilés à raison d’un bataillon de chaque dans 5 des 6 divisions polonaises, de sorte à leur conférer un potentiel de percé moins important mais autonome.

Les premiers K2 polonais sont arrivés en Europe à la fin de l’année dernière, alors qu’un second lot devrait arriver au cours du mois de mars.

L’annonce faite par le porte-parole de l’agence de l’Armement polonaise, apparait cohérente avec les acquisitions préalables et l’organisation des forces polonaises en construction, même si certaines inconnues demeurent. En outre, en développant le blindé localement, certes sur un châssis sud-coréen et avec un moteur et une transmission germano-coréens, cela constituera une nouvelle expérience pour l’industrie polonaise dans ce domaine, afin notamment de mettre en application les enseignements reçus des transferts de technologies venus de Corée du Sud avec les programmes K2 et K9PL. Cela permettra également à Varsovie d’étoffer sa gamme de blindés sur la scène européenne et internationale, alors que le CV90 commence à marquer le poids des années et se révèle un peu léger, que le Puma et l’Ajax se montrent peu fiables et incertains, et que le Lynx de Rheinmetall peine à convaincre.

Reste que les annonces du gouvernement de Andrzej Duda, commencent à inquiéter jusqu’en Pologne, et notamment les membres de l’opposition. En effet, au delà de l’aura que confère au président en exercice ces investissements dans sa propre opinion publique, et qui propulsent le pays aux premiers rangs des grandes nations européennes en matière de défense et de politique internationale, y compris aux yeux des américains, ceux-ci craignent que la note que les polonais devront payer vienne non seulement déstabiliser l’économie du pays, et notamment sa croissance économique parmi les meilleures de l’Union Européenne, mais également le modèle social polonais, au risque de menacer les fondements mêmes de la nation. Pour autant, avec un endettement de seulement 46% de son PIB, et une croissance de presque 5% en 2022, le pays dispose d’une certaine marge de manoeuvre dans le domaine budgétaire. Mais le sujet sera sans le moindre doute au coeur des campagnes électorales qui débutent en vue des élections législatives de novembre prochain, alors que le parti au pouvoir, le PiS, semble revenu à son planché de 35% d’intentions de vote, et que la Coalition Civile (K-O), la Gauche et les écologistes frisent désormais avec les 50% d’opinions favorables, sans pour autant être strictement alliés. Et en cas de changement de majorité, il y aurait fort à parier que les ambitions polonaises en matière de défense seraient alors sévèrement revues à la baisse par le nouveau gouvernement, ce qui bouleverserait la carte géopolitique sur laquelle certains pays d’Europe de l’Ouest semblent construire leur propre planification défense ….

Ces 7 technologies qui vont transformer la guerre d’ici 2030

Depuis le début de l’agression russe contre l’Ukraine, de nombreuses analyses, y compris sur ce site, se sont portées sur les différents enseignements que ces combats de très haute intensité ont pu faire émerger, comme le rôle désormais indiscutable du char mais également de l’artillerie, des défenses côtières ou anti-aériennes, et bien évidemment des drones, pour ne parler que de la question technologique. Et de fait, de nombreuses armées ont fait évoluer, ces derniers mois, leur planification militaire précisément pour répondre à ces enseignements. C’est ainsi que la Pologne s’est engagée dans un effort inédit pour reconstituer une très puissante force terrestre alignant 6 divisions, 1250 chars lourds, au moins 1400 véhicules de combat d’infanterie, 700 canons automoteurs et encore 500 lance-roquettes à longue portée. Pour autant, un certain nombre de technologies en cours de développement ou de diffusion, ne sont pas, ou très peu, employées par l’Ukraine ou la Russie dans cette guerre, alors même qu’elles ont le potentiel de profondément transformer la conduite des opérations militaires à partir de 2030. Dans cet article, nous étudierons 7 de ces technologies critiques émergentes, et leur impact potentiel sur la guerre au delà de 2030 : l’arrivée massive des drones, les systèmes de défense actifs, les armes hypersoniques, les systèmes furtifs et passifs, les armes à énergie dirigée, les systèmes C2 multi-domaines et l’Intelligence Artificielle.

1- Drones et Robotisation, une réponse partielle à la masse

Les drones et, d’une certaine manière, les technologies robotisées, sont d’ores et déjà employées tant par la Russie que par l’Ukraine dans ce conflit. C’est également le premier conflit (et non la première fois) durant lequel des drones sont employés comme des armes stratégiques pour détruire des installations et des cibles civiles. Pour autant, la plupart des équipements y sont employés de manière individuelle, au profit d’un unique théâtre tactique, souvent pour mener une reconnaissance, guider une frappe d’artillerie ou frapper l’adversaire, loin des doctrines d’emploi des drones en cours de diffusion dans les grandes armées mondiales, en particulier aux Etats-Unis et en Chine. En effet, dans les années à venir, l’utilisation des drones tendra à se généraliser pour l’ensemble des échelons opérationnels, offrant un vaste éventail de services allant de la reconnaissance à la logistique, en passant par les frappes de saturation ou d’élimination ciblée. Dès lors, si les drones sont bien employés en Ukraine, l’échelle à laquelle ils le sont, mais également les performances des engins comme leurs capacités opérationnelles, sont encore très loin des matériels en cours de développement, comme les Remote carrier et les Loyal Wingmen en matière de force aérienne, les navires et sous-marins autonomes dans le domaine naval, ou encore les robots autonomes et les essaims de drones dans le domaine terrestre. Au delà de la spécialisation des drones, ceux-ci offriront également d’importantes capacités de coopération et d’intégration avec les systèmes alliés du champs de bataille, bien au delà de leur utilisation actuelle.

Les drones en cours de développement comme les Remote Carrier du programme SCAF vont offrir des performances et des capacités sans comparaison avec les modèles employés en Ukraine par les deux camps

La robotisation, elle aussi, a rejoint le champs de bataille, non seulement au travers des différents systèmes entièrement autonomes, mais également au sein des systèmes pilotés, de sorte à remplacer, lorsque cela est possible, l’action humaine. Là encore, cela n’a rien de nouveau. Ainsi, les systèmes de chargement automatiques des chars russes T-72, T-80 et T-90, mais également du Leclerc ou du K2 sud-coréen, ont permis de ramener l’équipage du blindé à seulement 3 membres, contre 4 à bord des Abrams ou le Leopard 2 qui en sont dépourvus, en remplaçant précisément le poste de chargeur. La robotisation permettra ainsi non seulement de réduire les équipages de blindés ou de véhicules de soutien, mais également ceux des navires de combat, et de nombreux autres systèmes. Qu’il s’agisse de drones ou d’applications robotiques, il s’agit, systématiquement, de remplacer par la technologie une mission qui, jusque là, était à la charge de soldats, et ainsi d’apporter une réponse partielle à la problématique de masse, et notamment en matière de ressources humaines, y compris en réduisant les effets de l’attrition sur ce qui promet d’être l’élément le plus précieux pour les armées dans les années à venir, le militaire lui-même, de plus en plus difficile à recruter, à former, et à garder.

De fait, en 2030, les drones constitueront le coeur de nombreuses missions critiques, comme la supériorité aérienne, la reconnaissance, les frappes dans la profondeur, la suppression des défenses ou encore l’appui feu, et ce dans les 4 éléments (Terre, air, mer et espace). Les systèmes robotiques quant à eux, agiront comme un coefficient multiplicateur de force, en permettant d’aligner davantage de matériels sur la même base de force humaine. La maitrise des technologies robotiques et de drones conditionnera donc non seulement l’efficacité des forces, mais également la masse de forces disponibles, en compensant pour partie la faiblesse des recrutements dans les armées.

2- Les systèmes de protection actifs Soft et Hard-Kill pour le retour de la prédominance offensive

Depuis la fin de la première mondiale, et l’arrivée simultanée des blindés et de l’aviation tactique, les guerres de haute intensité ont, le plus souvent, donné un net avantage à l’offensive et à la manoeuvre sur les postures purement défensives. En dehors de quelques conflits, notamment la guerre Iran-Irak de 1980 à 1988, cette supériorité offensive a été très rarement démentie sur l’ensemble du XXème siècle pour les engagements de haute intensité, même si la guerre hybride et insurrectionnelle a certainement posé de très importants problèmes aux armées américaines au Vietnam et soviétique en Afghanistan. Le début du XXIème siècle semblait s’inscrire dans la même dynamique, comme lors de la seconde guerre du Golfe, ou dans le Haut-Karabakh. Dès lors, ce fut une grande surprise pour de nombreux états-majors et stratèges, lorsque l’invasion russe de l’Ukraine se transforma en guerre de position à partir du printemps 2022, marquant à net retour de la prédominance défensive dans ce type de conflit.

les APS hard-Kill comme le système Trophy ici monté sur un M1A2 Abrams, accroissent sensiblement la survivabilité des blindés au combat

En effet, qu’il s’agisse du domaine terrestre du fait des performances des armes antichars, de l’artillerie et des drones, dans le domaine naval avec la menace désormais très bien perçue par la Marine Russe des batteries côtières, ou aérien du fait des performances des systèmes anti-aériens multicouches, l’utilisation de stratégies et systèmes offensifs expose à de très sévères pertes, avec notamment un « taux d’échange » très difficile à supporter. De fait, même lorsqu’une offensive parvient à percer les défenses adverses, la force de manoeuvre restante a à ce point été érodée qu’elle est dans l’impossibilité d’en exploiter le potentiel, sauf à parvenir à surprendre l’adversaire en concentrant des forces importantes sans réaction miroir, ce qui s’avère très difficile notamment du fait de l’omniprésence de la surveillance satellite.

Cette prédominance de la défense sur l’attaque constitue la plus grande originalité du conflit en Ukraine. Pour autant, celle-ci pourrait n’être que temporaire, du fait du développement d’une nouvelle technologie, les systèmes de protection actifs soft-kill et hard-kill, qu’ils soient terrestres, aériens ou navals. Ces systèmes de protection permettent en effet d’accroitre considérablement la survivablité des matériels, y compris des matériels offensifs, soit en neutralisant les capacités de ciblage des armes adverses (Soft Kill), soit en neutralisant l’arme adverse elle-même, qu’il s’agisse d’un drone, d’un missile, d’une roquette et même d’un obus. Or, c’est précisément en raison cette faible survivabilité face aux systèmes antichars, antiaériens ou antinavires modernes, que la posture défensive prédomine en Ukraine. Dès lors, l’entrée en service de ces systèmes APS pour Active Protection System, que ce soit sur les blindés de première ligne, sur les navires et sur les aéronefs, permettra très probablement de redonner son caractère prédominant aux stratégies offensives face aux postures défensives.

3- Les armes hypersoniques et l’accélération du tempo tactique

Il y a quelques jours, les forces aériennes russes ont lancé une frappe massive sur les infrastructures ukrainiennes, employant pour la première fois, 6 missiles hypersoniques aéroportés Kinzhal en plus des traditionnels Kalibr, Kh-101 et autres S-300. Il s’agissait, pour Moscou, tout à la fois de faire un démonstration de force à destination de l’occident et des européens très réceptifs à l’image d’invulnérabilité pourtant des plus temporaires associée aux missiles hypersoniques, que d’éviter l’interception par la très efficace mais désormais très éprouvée défense anti-aérienne et anti-missile de Kyiv. Pour autant, l’utilisation de ces armes aussi rares qu’onéreuses, ne se justifiait pas vis-à-vis des cibles visées, et surtout de l’effet opérationnel recherché. En effet, au delà de leur capacité à éviter les défenses anti-aériennes, les armes hypersoniques permettent surtout de considérablement accélérer le tempo tactique d’un théâtre d’opérations. Ainsi, aujourd’hui, la majorité des systèmes défensifs, mais également des procédures de sauvegarde, a été conçue sur un tempo conditionné par des menaces évoluant à une vitesse subsonique élevée, comme les missiles de croisière, ou suivant des trajectoires balistiques offrant un préavis bien plus important qu’une armée hypersonique suivant une trajectoire semi-balistique ou tendue.

La Russie a employé des missiles Kinzhal contre des infrastructures ukrainiennes civiles dans une démonstration de force sans efficacité opérationnelle

C’est notamment le cas des systèmes anti-aériens modernes, qu’ils soient terrestres ou navals, mais également des procédures de préservation de personnels clés, comme les dirigeants politiques et militaires. En effet, le Kinzhal russe qui, du fait de sa trajectoire semi-balistique et de sa vitesse d’évolution de Mach 8, parcoure plus de 2,5 km par seconde, et ne laisse que 30 à 40 secondes, dans le meilleur des cas, entre sa détection et la destruction de sa cible, un délais bien insuffisant, par exemple, pour évacuer le parlement, l’état-major des armées ou encore le palais présidentiel d’un belligérant. Au delà des frappes stratégiques comme décrites ci-dessous, les armes hypersoniques, comme celles développées aujourd’hui aux Etats-Unis, conféreront à leur détenteur, une capacité de frappe sur des délais à ce point courts qu’il sera indispensable d’adapter l’ensemble des doctrines pour s’en prémunir, ce d’autant que l’interception de ces munitions demeure très incertaine. Pour peu qu’ils soient intégrés à un système de commandement et de communication multi-domaine efficace et capable de réduire les délais de transmission entre la détection/localisation d’une cible et le déclenchement du feu, l’arrivée massive des armes hypersoniques lors de la seconde moitié de la décennie, va engendrer de profonde mutation des doctrines militaires mais également de celles encadrant la protection des sites et personnels critiques.

4- Furtivité et détection passive, ou le retour de l’élément de surprise

Même si elle n’a presque pas été employée en Ukraine, la furtivité, apparue sur les champs de bataille en 1991 avec le bombardier tactique F-117A Nighthawk de l’US Air Force en Irak, est désormais une composante clé de l’action militaire, qu’elle soit aérienne, navale et même terrestre. En effet, comme déjà abordé, pour redonner à l’offensive son caractère prédominant, il est indispensable d’accroitre la survivabilité des systèmes d’armes. Et si les Systèmes de Protection Actifs constituent une réponse à ce problème, la Furtivité, et son corollaire, la détection passive, en est une autre. Celle-ci consiste à se soustraire, au moins pour un temps, aux systèmes de détection et de localisation de l’adversaire, qu’ils soient radar, électro-optiques ou autres. Pour y parvenir, de nombreuses solutions peuvent être envisagées, la plus connue étant le camouflage, employé depuis la nuit des temps, pour se fondre dans le décor de sorte à surprendre l’adversaire, ou à éviter son feu. Le camouflage s’étend désormais aux spectres infrarouges et UV, et s’appui sur des technologies évoluées permettant effectivement de rendre la détection multi-spectrale très difficile.

S’il semble bien que le Su-57 a été employé contre l’Ukraine, rien n’indique que l’appareil ait été employé pour défier les défenses anti-aériennes de Kyiv

L’équivalent au camouflage passif pour les ondes radars est désigné par son terme générique, la Furtivité passive. Elle s’appuie sur l’utilisation de certains matériaux et de certaines formes pour absorber ou dévier les ondes radars, de sorte à en réduire l’écho réfléchi permettant la détection. Cette technologie est employée sur certains avions de combat, souvent qualifiés de 5ème génération comme le F-22 et le F-35 américains, mais également le J-20 et le J-35 chinois ou encore le Su-57 russe. Ainsi, la surface équivalente radar d’un F-35A en secteur frontal n’est que de 0,005m2, 1000 fois inférieure à celle d’un F-16 de première génération, lui permettant de s’approcher à 30 km d’un radar comme celui équipant l’avion d’alerte aérienne avancée E-3 Sentry, contre plus de 300 km pour un Su-27. Cette technologie est également employée sur les navires de combat de surface, de sorte à renvoyer un écho radar laissant penser à un navire beaucoup plus petit, comme un petit navire de pêche, et non une puissante frégate, ainsi que sur certains drones comme le MQ-25 Stingray, le S70 Okhtonik-b et le GJ-11, et certains missiles comme le Scalp-EG/Storm Shadow franco-britannique. D’autres solutions de furtivité peuvent être employées, comme la furtivité active basée sur des brouilleurs, ou l’utilisation du masquage terrain, mais aucune n’offre les mêmes opportunités que la furtivité passive radar et optique

Les progrès réalisés en matière de systèmes de détection, qu’ils soient radar, sonar ou électro-optiques, rendent désormais très difficile d’employer une des plus anciennes tactiques militaires, à savoir l’utilisation de l’élément de surprise. En outre, pour effectivement effacer la présence d’un ou plusieurs matériels majeurs, il convient non seulement de s’appuyer sur des technologies de furtivité, mais également d’employer des technologies de détection n’émettant pas de signaux susceptibles d’être détectés, comme c’est le cas d’un radar dont les missions peuvent être détectées à plus de 3 fois la distance de détection. Les systèmes de détection passifs, ainsi désignés, sont de différents types, comme les systèmes d’écoute et détection des émissions électromagnétiques, les systèmes de détection optique, notamment infrarouge comme les IRST, ou encore les radars passifs, qui utilisent les ondes électromagnétiques de l’environnement humain (Télévision, radio, téléphonie mobile) pour détecter les appareils adverses. Si l’utilisation conjointe de ces deux technologies est encore rare dans le domaine terrestre, et émergente dans le domaine aérien, elle est au coeur des tactiques navales, qu’elles soient de surface ou sous-marines, depuis plusieurs décennies. Il est très probable que dans les années à venir, l’arrivée conjointe de nombreux systèmes furtifs et l’amélioration des technologies de furtivité passive, redonneront des capacités de manoeuvre en environnement contesté aux blindés, aéronefs et navires, là ou précisément ils apparaissent neutralisés en Ukraine.

5- Les armes à énergie dirigée, le système défensif ultime

Si les drones ou les armes hypersoniques ont déjà été employés au combat, notamment en Ukraine, les armes à énergie dirigée n’entreront en service, quant à elles, que dans les années à venir, probablement uniquement dans les forces les plus modernes, comme les armées américaines ou l’Armée Populaire de Libération. Contrairement aux armes à munitions, comme l’artillerie ou les missiles, ces systèmes s’appuient, comme le nom l’indique, sur un faisceau énergétique pour neutraliser la cible. Deux grandes familles d’armes à énergie dirigée sont en cours de développement à ce jour Les laser à haute énergie d’une part, sont capables de projeter un puissant rayon laser sur une cible pour l’endommager ou la détruire par l’effet thermique résultant de l’impact des photons. Les canons à micro-onde, quant à eux, visent les systèmes électroniques de la ou des cibles visées, en surchargeant, grâce à la projection d’un rayonnement micro-onde directif, la polarité des circuits, à l’image de ce qui se produit à proximité d’une arme à impulsion électromagnétique. Il convient enfin de noter qu’une troisième famille d’armes hybrides est également en développement, les canons électriques ou Rail Gun, qui propulsent un projectile d’artillerie à grande vitesse grâce à un puissant champs électromagnétique.

Les armes à énergie dirigée constituent la réponse la plus appropriée pour répondre à la menace drone mais également pour la défense C-RAM (missile de Croisière – Roquette / Artillerie / Mortier)

Ces armes ont de nombreux avantages, en premier lieu desquels un cout à l’utilisation extrêmement faible en comparaison des systèmes existants, les rendants particulièrement adaptées pour détruire des drones ou des essaims de drones dont le cout unitaire est très inférieur à celui d’un missile. En outre, contrairement aux obus d’artillerie, ils ne sont pas affectés ni par la gravité, ni par le frottement de l’air, permettant de potentiellement tirer bien plus loin qu’un système d’artillerie de masse égale. Enfin, ils simplifient la logistique, puisque tant que l’énergie électrique requise est disponible, ils peuvent, théoriquement, faire feu. De fait, de nombreux programmes d’armes à énergie dirigée sont en cours dans le monde, tant pour protéger les forces terrestres des drones mais également des missiles de croisière, des roquettes et des missiles de croisière (on parle de protection C-RAM), que pour compléter les défenses anti-drones et anti-missiles des navires de combat. Même les avions de soutien de l’US Air Force, comme les appareils de veille aérienne avancée ou de ravitaillement en vol, pourront être protégés par ce type de défense par l’intermédiaire du programme SHIELD prévoyant de les équiper, comme leur escorte, d’un laser antimissile à haute énergie.

Ces technologies sont encore peu mature, et de nombreuses questions demeurent en suspend. Ainsi, il apparait que les véhicules terrestres portant un laser à haute énergie, comme le système Gardian de l’US Army, génèrent une signature thermique très importante du fait de la production électrique nécessaire au fonctionnement du laser de 50 Kwh, ce qui est loin de la furtivité recherchée sur le champs de bataille. De même, l’efficacité de ces systèmes varie sensiblement en fonction de la météo, et notamment de la nébulosité. Enfin, certaines peintures permettent de réduire l’efficacité des laser, en réfléchissant une partie du rayon et donc en ralentissant l’apparition de l’effet thermique destructeur. Pour autant, il ne fait guère de doute qu’elles s’implanteront massivement et durablement dans les forces armées disposant d’un avantage technologique, tant pour neutraliser la menace drone, que pour renforcer la survivabilité des forces, et ainsi neutraliser, en partie au moins, la toute puissance de l’artillerie qui, aujourd’hui, conditionne l’ensemble des actions menées en Ukraine.

6- Les systèmes de commandement et de communication multi-domaines, la pierre angulaire du combat de demain

Au delà de leur combativité et du soutien fourni par l’OTAN, l’efficacité relative des armées ukrainiennes face à des forces russes disposant pourtant d’une puissance de feu terrestre, aérienne et navale considérablement supérieure, s’explique en grande partie du fait d’un système de communication et de commandement efficace, permettant de considérablement raccourcir les délais nécessaires à la décision et à l’action des officiers, ainsi que de coordonner efficacement et dynamiquement l’emploi des forces disponibles sur un théâtre. Pour autant, le système ukrainien, développé en urgence à partir du début de l’invasion, est loin d’offrir des capacités proposées par les systèmes de commandement et de communication employés par les armées les plus modernes, notamment au sein de l’OTAN, qui permettent non seulement de commander et coordonner les forces d’une même unité opérationnelle, mais également de faire collaborer des forces et des systèmes appartenant à différentes armées. Cette intégration globale de l’ensemble des moyens disponibles sur un théâtre, qu’ils soient ou non présent physiquement sur celui-ci, est désignée sous le terme de système de commandement et de communication multi-domaine, et tend à devenir, dans les années à venir, la pierre angulaire de l’engagement militaire.

Les blindés français du programme SCORPION continue un premier échelon d’engagement multi-domaines

Il n’est donc pas surprenant que le Pentagone ait fait de la doctrine Joint All-Domain Command and Control, ou JADC2, le pivot de toute la doctrine militaire américaine en développement. Cette capacité offrira en effet une souplesse et une flexibilité hors d’atteinte jusqu’à présent, notamment en menant des actions globales coordonnées sans devoir en passer par une phase de concentration de forces, aujourd’hui bien trop visible aux satellites et systèmes de reconnaissance modernes, et bien trop vulnérables aux frappes à longue portée adverses. Surtout, ce système de commandement et de communication intégré représente l’architecture indispensable pour pleinement employer les nouvelles technologies présentées ici, et permettre ainsi non seulement de redonner à l’action offensive l’efficacité qu’elle avait il y a encore peu, mais également pour y faire face sans s’engager dans un engagement à très haute attrition réciproque. De fait, leur diffusion dans les armées dans les années à venir, permettra de faire considérablement évoluer la conduite des opérations, et ainsi d’éviter de s’engager dans des faces à faces souvent stériles comme c’est le cas en Ukraine, tout en permettant de redonner des capacités de surprise en dépit de la surveillance satellite.

7- L’intelligence artificielle, la ressource critique de tous les systèmes

L’intelligence artificielle est depuis de nombreuses années présentée comme l’une des technologies clés de l’engagement militaire à venir. Et pour cause : elle est au coeur de l’ensemble des technologies qui vont refaçonner celui-ci dans les prochaines années. Ainsi, l’IA est indispensable au bon fonctionnement des drones, notamment pour les plus évolués d’entre eux comme les futurs Loyal Wingmen, Remote Carrier et autres navires et sous-marins autonomes, de sorte à évoluer conformément aux attentes dans un environnement mixte composé de systèmes autonomes et pilotés, et ce sans surcharger de travail des équipages en charge de les commander, non plus de les piloter. Il en va de même des systèmes robotisés embarqués, en charge non seulement d’action mécaniques, mais également d’analyser leur environnement et ainsi répondre à ses variations au plus prêt de ce qu’aurait fait un opérateur, conformément aux attentes de l’équipage qu’il sert. C’est également l’Intelligence artificielle qui permettra d’analyser les données complexes émanant des systèmes de détection passifs pour en faire une synthèse compréhensible par l’équipage de l’appareil furtif. Enfin, seule l’Intelligence Artificielle est en mesure de traiter, analyser et organiser le volume de données qui alimente un système multi-domaine, avec la célérité requise pour l’action coordonnée des forces.

Les drones avancés comme le Loyal Wingman s’appuieront sur une puissante intelligence artificielle pour évoluer au profit d’un avion de combat piloté sans surcharger l’équipage

De fait, l’Intelligence Artificielle constitue non seulement une ressource critique pour l’ensemble des technologies de défense en devenir, mais également un critère de hiérarchisation très contraignant entre les armées, et donc entre les pays eux-mêmes, dans les années à venir. Il n’est donc pas surprenant que les Etats-Unis et la Chine se détachent largement en matière de depot de brevets dans ce domaine depuis 30 ans, avec respectivement 30% et 26% de l’ensemble des brevets déposés, suivis par le Japon (12%), la Corée du Sud (6%) et l’Allemagne (5%). La France, quant à elle, se positionne en 7ème position, avec 2,4 % des brevets déposés, mais voit sa position relative reculer ces dernières années, n’apparaissant plus même dans le Top 10 mondial à partir de 2019. Il convient toutefois de modérer l’application de ces statistiques globales au domaine militaire, bien plus spécifique, mais au sujet duquel aucune statistique n’est disponible à l’échelle mondiale, alors que certains pays absents de ce classement, comme la Russie, consacrent d’importants moyens pour developper des solutions efficaces dans ce domaine.

Conclusion

On le voit, les technologies en cours de développement et de diffusion dans les armées, vont profondément modifier les équilibres prévalant aujourd’hui, et sur lesquels les enseignements de la guerre en Ukraine sont souvent basés. Au delà d’un très probable retour à une forme d’équilibre entre la posture offensive et défensive, et une amélioration sensible de la survivabilité des équipements lourds comme les blindés, les aéronefs et les navires, il semble également que le nivellement capacitaire des forces, du fait de l’efficacité relative des systèmes légers d’infanterie comme les missiles antichars ou anti-aériens, soit appelé à s’inverser, ce qui tendrait à reconstituer une puissante hiérarchisation militaire reposant en grande partie sur des technologies confidentielles, avec une prédominance importante des Etats-unis et de la Chine, mais également l’émergence de certaines nations comme la Corée du Sud. Quant au devenir des nations européennes et de la Russie, il dépendra en grande partie des efforts qui seront effectivement consentis dans les années à venir pour recoller technologiquement et militairement à ces enjeux technologiques, faute de quoi, le déclassement semble inévitable.

Canberra, Londres et Washington ont présenté une stratégie solide pour équiper l’Australie de sous-marins nucléaires d’attaque

L’acquisition de sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) par la Royal Australian Navy (RAN), annoncée il y a maintenant 18 mois dans le cadre de la création de l’alliance AUKUS entre l’Australie, le Royaume-Uni et les Etats-Unis, avait levé de nombreuses questions quant à la faisabilité réelle d’un tel programme, mais également concernant les couts qui seront, sans le moindre doute, très importants pour permettre à la RAN de passer de 6 sous-marins conventionnels de la classe Collins à 8 SNA de conception américaine ou britannique, alors même que le pays ne dispose pas d’industrie nucléaire civile. La présentation, à l’occasion du AUKUS Event à San Diego le 13 mars en présence du premier ministre Australien Anthony Albanese, du premier ministre britannique Richi Sunak et du président Américain Joe Biden, du plan qui sera appliqué pour y parvenir, était donc très attendue, notamment en France encore irritée de l’annulation des 12 sous-marins de la classe Attack dans des conditions effectivement bien peu respectueuse vis-à-vis d’un partenaire et allié. Pour autant, le plan présenté hier s’avère probablement l’option la plus solide et équilibrée qui pouvait être suivie par les 3 nations, de sorte à garantir l’effectivité de cet accord dans les meilleurs conditions.

Le Plan formel présenté est très proche de celui qui avait fait l’objet d’indiscrétion il y a quelques jours. L’Australie se tournera vers la Grande-Bretagne pour la conception d’une nouvelle classe de SNA désignée SSN AUKUS et qui entrera presque conjointement en service dans la Royal Navy à la fin des années 2030 pour entamer le remplacement des SNA de la classe Astute, et en 2040 en Australie. En outre, les 8 navires destinés à la Royal Navy seront construits en Australie, et seront équipés de technologies US empruntées aux navires de la classe Virginia. Pour assurer la transition avec le retrait des sous-marins de la classe Collins qui n’iront pas au delà du début des années 2030, Canberra pourra acquérir 3 SNA de la classe Virginia auprès de l’US Navy, pour partie d’occasion et pour partie neufs. En outre, l’Australie aura la possibilité d’acquérir 2 navires supplémentaires de ce type si des délais supplémentaires venaient retarder la livraison des SNA australien. Enfin, pour assurer la protection de l’Australie, renforcer la présence alliée dans le pacifique, mais également pour faire monter en compétences les équipages et personnels de maintenance de la Royal Australian Navy, 5 SNA alliés, 4 américains et 1 britannique, seront déployés rapidement à partir de la base navale de Perth, au sud-ouest du pays sur la cote bordant l’océan indien.

Anthony Albanese, Joe Biden et Rishi Sunak a San Diego le 13 mars 2023 pour la présentation du plan « SSN AUKUS »

Force est de constater que l’approche présentée fait sens, et répond à de nombreuses interrogations et inquiétudes, parfois même à certaines critiques. En se tournant vers la Grande-Bretagne, l’Australie se permettra de jouer un rôle accru dans la conception de la nouvelle classe de SNA destinée à remplacer les Astute, alors que la commande partagée permettra non seulement d’en réduire les couts de développement rapportés à une unité, mais également d’en partager une partie des couts de fabrication sur des séries plus importantes. Dans le même temps, cette solution permet de réduire l’impact de ce plan sur la montée en puissance de l’US Navy, qui fait de la modernisation et l’extension de sa flotte sous-marine la grande priorité pour contenir la menace chinoise. Pour autant, Washington consent à céder 3 Virginia au début de la prochaine décennie, dont probablement 1 navire neuf, ce qui permet de limiter les contraintes sur l’effort de l’US Navy, probablement compensé par le déploiement de 4 de ses sous-marins à Perth, soit un emplacement idéal pour contrôler le Sud du Pacifique et de l’Ocean Indien, de sorte à économiser des jours de déploiement de sa flotte sous-marine en transit depuis San Diego ou Pearl Harbour vers ces deux océans. La présence d’un SNA britannique compense également l’impact de ces mesures pour ce qui concerne le théâtre Pacifique, qui demeure la principale préoccupation du Pentagone.

Du point de vue industriel, l’approche présentée est également équilibrée, avec une montée en compétences sur 20 ans des personnels australiens, qui iront notamment se former dans les chantiers navals et bureaux d’étude américains et britanniques, et qui se formeront directement sur les Astute et Virginia des deux pays basés à Perth. Cela donne le temps à Canberra et à la Royal Australian Navy de faire émerger une génération d’ingénieurs et de spécialistes indispensable pour mener à bien la construction et la mise en oeuvre de ses propres SNA. Les australien pourront en outre s’appuyer sur le savoir-faire et l’organisation industrielle des britanniques pour mettre en place leur propre site industriel, tout en mutualisant certains composants critiques construits en Grande-Bretagne, comme les chaufferies nucléaires de Rolls-Royce. Enfin, Canberra s’engage à mener des investissements directement dans les BITD britanniques et Américaines pour compenser les transferts de technologies, mais conservera un retour budgétaire et technologique significatif, les 8 submersibles étant bel et bien construits sur son sol.

La Royal Australian Navy va acquérir 3 SNA de la classe Virginia au début des années 2030 pour assurer l’interim entre le retrait des Collins et l’arrivée des SSN AUKUS

Pour autant, et si le plan présenté par les 3 chefs d’Etat hier apporte des réponses pertinentes à de nombreuses inquiétudes, il demeure certaines questions sans réponse, et d’obstacles à lever ou éviter. En premier lieu, les investissements qui devront être consentis par Canberra promettent d’être colossaux. En effet, non seulement l’Australie devra assumer le déploiement d’un site industriel et la construction des 8 SNA, mais elle devra également participer à la conception d’une nouvelle classe de SNA. En outre, elle prévoit d’acquérir au moins 3 SNA américains, dont au moins 1 sera neuf, pour un cout qui dépassera sans le moindre doute celui d’une autres option d’attente proposée reposant sur l’acquisition de 6 sous-marins conventionnels neufs. D’autre part, le retour budgétaire de ces acquisitions « sur étagère » sera bien évidemment nul. Enfin, le potentiel d’exportation des nouveaux SNA australiens étant inexistant, et des technologies clés demeurant aux mains des américains et des britanniques, notamment la chaufferie nucléaire et les systèmes critiques de combat, d’arme et de détection, il est plus que probable que les investissements auxquels Canberra devra consentir pour le remplacement de ses futurs SNA après 2070, promettent d’être tout aussi importants que ce auxquels les australiens devront faire face dans les années à venir.

D’autre part, le programme présenté ici devra faire face à des procédures extrêmement longues et complexes concernant l’exportation de certaines technologies critiques américaines, comme ce fut le cas dans les années 50 concernant les transferts de technologies entourant la dissuasion britannique. Il sera très probablement indispensable de signer, comme ce fut le cas en 1958 entre Londres et Washington, un accord de défense mutuelle entre l’Australie et les Etats-unis afin de permettre de tels transferts. Surtout, un projet à ce point ambitieux et inscrit dans le long terme, suppose une grande stabilité des positions de ces 3 pays sur l’ensemble de la durée du programme, soit plus de 30 ans. S’il ne fait aucun doute que Joe Biden, Rishi Sunak et Anthony Albanese sont pausés et réfléchis, ces 3 pays ont montré, dans un passé récent, qu’ils pouvaient mettre à leur tête des personnalités beaucoup plus impulsives, pouvant prendre des décisions désastreuses pour satisfaire à leurs aspirations ou pour répondre à celles de leurs bases électorales.

Le premier AUKUS SSN devant remplacer les Astute au sein de la Royal Navy arrivera plusieurs années avant la date prévue de retrait du HMS Astute

Reste que, loin de faire le constat d’une impasse, les 3 membres de l’alliance AUKUS sont parvenus à concevoir un programme probablement optimal à ce jour du point de vue politique, industriel et opérationnel, tout au moins dans le contexte international du moment. Si les australiens acceptent les efforts budgétaires qui ne manqueront pas de venir s’inviter dans leurs porte-feuilles dans les années à venir pour financer cette ambition, il ne fait guère de doute que ce programme pourra mener avec succès son ambition de doter la Royal Australian Navy de 8 Sous-marins nucléaires d’attaque, et même 9 si l’on compte le Virginia neuf qui restera en service jusqu’en 2060/2065. Il est d’ailleurs possible que la Royal Navy augmentera elle aussi sa flotte de SNA, puisque le premier SSN AUKUS doit entrer en service avant la fin des années 2030, alors que le premier Astute est entré en service en 2010 et donc restera en service probablement jusqu’en 2045, en s’appuyant sur les économies réalisées par le partage des couts de conception et les recettes d’exportation liées à ce programme. Quant à l’US Navy, elle verra ses alliés proches déployer une flotte de SNA équivalente à 25% de la sienne dans le Pacifique, ce qui est loin d’être négligeable face à la Chine et la Russie. Reconnaissons que nous ne sommes pas loin, ici, du Win-Win et Win.

Italie, Allemagne, Pologne .. : tous en Europe augmentent leurs forces blindées lourdes, sauf la Grande-Bretagne et France

Les enseignements de la guerre en Ukraine sont nombreux, et viennent parfois tailler sévèrement en brèche certains paradigmes puissamment ancrés dans les Etats-majors et ministères de la défense occidentaux. Deux de ces enseignements concernent directement la flotte de chars et de blindés lourds chenillés, considérés il y a encore quelques mois comme trop vulnérables, lourds et chers pour un effet opérationnel relatif discutable. Il est désormais clair que non seulement les chars de combat et les véhicules de combat d’infanterie chenillés sont indispensables à la manoeuvre offensive comme défensive, y compris en théâtre urbain, mais qu’en dépit de ce rôle clé, ils demeurent vulnérables, même pour les plus performants et mieux protégés d’entre eux, et qu’il est donc nécessaire de disposer d’une certaine masse non seulement pour obtenir l’effet opérationnel désiré, mais également pour absorber l’attrition et poursuivre la manoeuvre.

Si la question des chars et des VCI transmis à l’Ukraine a focalisé l’attention médiatique, elle a également masqué en partie les efforts consentis par de nombreux pays en Europe pour moderniser et étendre leur parc blindé lourd, alors que les contrats d’acquisition de Leopard 2, Abrams, K2 et autres CV90, ne cessent d’être annoncés ces derniers mois. Dernières informations en date, et au delà des contrats pharaoniques annoncés par Varsovie qui prévoit d’acquérir 1000 chars K2 en plus de 250 M1A2 SEPv3 Abrams déjà commandés aux cotés de 1400 VCI Borsuk, la Roumanie qui a annoncé son intention d’acquérir 54 chars M1A2 Abrams américains d’occasion pour moderniser un bataillon blindé, alors que l’Allemagne négocie avec Bern la ré-acqusition de Leopard 2 sous cocons en Suisse pour renforcer la Bundeswehr, et probablement compenser les Leopard 2A6 qui sont envoyés en Ukraine par Berlin.

La Pologne va commander 1400 véhicules de combat d’infanterie Borsuk de conception nationale pour remplacer ses BMP-1 d’origine soviétique

Hier, c’était au tour de Rome d’annoncer son intention d’acquérir 125 chars lourds qui joueront le rôle de capacité de transition aux cotés de 125 C-1 Ariete modernisés, ainsi que d’un nombre indéterminé de nouveaux véhicules de combat d’infanterie lourds, afin de remplacer les Ariete et les 200 VCI Dardo jugés désormais obsolètes face à la réalité mise ne évidence en Ukraine. L’objectif des autorités italiennes est de rapidement doter leur armée de 250 chars lourds et probablement de 200 à 250 VCI modernes de sorte à répondre à la menace, avant de rejoindre un programme de blindés de nouvelle génération, le programme franco-allemand MGCS ayant été cité, pour recapitaliser à terme la composante lourde de son armée de terre. Deux pays européens se distinguent cependant dans cet effort collectif. D’une part, la Grande-Bretagne qui reste empêtrée dans un programme Ajax sans visibilité pour se doter de de 589 véhicules de combat d’infanterie lourds chenillés, et qui ne disposera que de 148 chars lourds Challenger 3, même si ces derniers feront l’object d’une intense modernisation en faisant probablement l’un des meilleurs chars du moment. D’autre part, la France, qui en dépit d’une Loi de Programmation majeure en préparation, ne disposera que de 200 Leclerc partiellement modernisés, et qui n’a pas, pour l’heure, prévu de se doter de véhicules de combat d’infanterie lourds chenillés.

La posture britannique, par ailleurs souvent critiquée outre-manche, est toutefois conforme avec la nouvelle orientation donnée à la British Army par la Revue Stratégique de 2021, revoyant précisément de faire évoluer ses forces armées en réduisant ses capacités d’intervention et d’engagement, pour accroitre ses capacités de soutien, notamment au profit de ses alliés. Pour autant, disposer d’une capacité militaire terrestre de moins de 85.000 hommes, 150 chars et une centaine de tubes d’artillerie, est loin d’être au niveau du poids démographique et budgétaire du Royaume-Uni, avec ses 68 millions d’habitants et son PIB de 3.375 Md$ en 2022, soit le second du vieux continent, et encore moins de son histoire. Pour autant, Ben Wallace, le ministre de la défense britannique, comme Rishi Sunak, le locataire du 10th Downing Street, n’ont pas pour habitude de vanter les performances relatives de leurs armées en Europe, contrairement à Sebastien Lecournu et Emmanuel Macron, respectivement ministre des armées et président français.

Le programme Ajax britannique continue de faire face à d’importantes difficultés techniques liées à des vibrations excessives dans le poste de pilotage

En effet, les autorités françaises, sur la base de opérations extérieures menées par leurs armées notamment en Afrique et au Moyen-Orient ces dernières années, aiment à répéter que les armées françaises représentent « la meilleure armée en Europe ». Le fait est, si l’Armée de terre dispose effectivement de forces de projection professionnelles, très performantes et disposant d’un équipement adapté et disponible pour mener des missions en Afrique dans un environnement asymétrique, elle manque en revanche très clairement de forces lourdes, alors que ses 226 Leclerc sont à ce jour ses seuls blindés de manoeuvre chenillés, que ses 600 VBCI manquent de protection, de puissance de feu et sont en configuration 8×8, et que ses CAESAR sont certes très performants, mais également peu nombreux alors que 18 des 77 tubes en service ont été transmis à l’Ukraine. Le plus surprenant, toutefois, n’est pas tant l’architecture des forces françaises, optimisées en effet pour les opérations extérieures du fait d’une (très) mauvaise appréciation de l’évolution de la menace ces dernières années, mais l’absence de réponse à court terme pour tenter de palier en partie ces déficiences, y compris dans la prochaine Loi de Programmation Militaire qui, pourtant, pouvait représenter l’outil idéal pour reconstruire les capacités lourdes de l’Armée de Terre.

Une chose est certaine, en dépit de leurs capacités navales et aériennes, de leurs dissuasion et capacités cyber ou de renseignement, le poids de Paris comme de Londres dans les années à venir sera sévèrement contesté, en particulier vis-à-vis des pays d’Europe de l’Est appelés à jouer un rôle croissant aussi bien dans le domaine stratégique qu’économique et politique en Europe ainsi que dans l’ensemble de la sphère occidentale. Il est incontestable que la guerre et les rapports de forces ont considérablement évolués depuis la fin de la guerre froide, du fait des évolutions technologiques comme des bouleversements politiques. Pour autant, comme le rappelle de manière indiscutable la guerre en Ukraine, évolution ne veut pas dire dissipation de l’ensemble des paradigmes passés, comme c’est le cas pour le rôle des blindés lourds dans le combat terrestre, et du combat terrestre dans la guerre de haute intensité. Dit autrement, si disposer de capacités technologiques exclusives constitue incontestablement une plus-value stratégique, celles-ci ne peuvent pleinement jouer leur rôle qu’en disposant également des capacités cruciales et attendues par l’ensemble des alliés. Malheureusement, rien n’indique que Londres et Paris aient fait leurs ce principe pourtant trivial.