jeudi, décembre 4, 2025
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Pourquoi le croiseur redevient une option crédible pour les marines mondiales ?

Le 9 juillet 1995 entrait en service l’USS Port Royal, dernier croiseur de la classe Ticonderoga à rejoindre l’US Navy, mais également dernier croiseur produit en occident, ou tout au moins désigné comme tel. À l’échelle de la planète, il n’aura été suivi que par le croiseur de bataille nucléaire russe Piotr Veliki (Pierre le Grand), 3ᵉ et dernière unité de la classe Kirov à avoir rejoint la Marine Russe en 1998 après 15 années de construction et que les trois dernières unités aient été annulées suite à l’effondrement du bloc soviétique.

Suite à cela, aucune des grandes marines mondiales n’a produit de croiseur, jusqu’à l’entrée en service en 2008 du premier des 3 destroyers lourds sud-coréens de la classe Sejong le Grand et ses 128 silos verticaux pour un déplacement de 10.000 tonnes et 166 mètres de long. Il faudra encore attendre plus de 10 ans pour qu’une seconde classe de destroyers lourds, le Type 055 chinois de 12.000 tonnes, 180 mètres et 112 VLS, n’entre en service.

Depuis, plusieurs Marine, dont l’US Navy avec le programme DDG(x), l’Italie avec le programme DDx, ou encore la Russie avec la classe Lider, ont annoncé le lancement de programme visant à se doter de destroyers lourds ou de croiseurs. Reste à déterminer les raisons de ces changements de paradigmes amenant au regain d’intérêt des grandes marines mondiales vis-à-vis du croiseur, après qu’il fut mal-aimé pendant près de 30 années.

Qu’est-ce qu’un croiseur ?

Pour répondre à cette question, il convient de commencer par définir ce qu’est un croiseur. Plusieurs définitions existent, basées par exemple sur le tonnage du navire ou sa puissance de feu. Mais la plus pertinente n’est autre que celle permettant de classifier les unités de surface combattantes en fonction de leur mission principale structurant leur conception.

Ainsi, les frégates seraient des escorteurs spécialisés et les destroyers, plus lourds, des escorteurs polyvalents. Dans cette nomenclature, le croiseur se distingue du destroyer par le fait qu’il n’est pas un escorteur destiné à protéger un navire majeur comme un porte-avions ou un grand navire amphibie, mais qu’il représente à lui seul un navire majeur capable, comme c’est le cas du porte-avions, de contrôler un théâtre et disposant pour cela de tous les moyens pour frapper des cibles aériennes, navales ou terrestres.

Bien évidemment, un croiseur peut agir au profit d’un autre capital ship, comme c’était la mission des Ticonderoga américains, mais il est surtout en mesure de contrôler une force navale propre afin de créer un effet opérationnel et politique majeur.

Le dernier croiseur à avoir rejoint l’US Navy est un navire de la classe Ticonderoga en 1995

Dès lors, sur la base de cette définition, il apparait clairement que les Type 055 chinois, comme les Sejong le Grand sud-coréens, répondent bien davantage à la classification de croiseur que de destroyer.

Ceci est confirmé par le format de déploiement fréquemment constaté de ces navires alors qu’ils constituent souvent le Capital Ship d’une flottille composée d’escorteurs, frégates ou destroyers, et de navires logistiques, de sorte à être capables de mener leurs missions premières, qu’elles soient anti-navires, de frappe vers la terre ou de protection anti-balistique et antiaérienne.

Il en ira de même des futurs DDGx et DDx de l’US Navy et de la Marina Militare, ou des trois nouveaux croiseurs russes dont la construction a été annoncée par Vladimir Poutine il y a quelques semaines, et qui seront probablement dérivés du modèle Lider à propulsion nucléaire présenté sur les salons russes depuis des années. Et si la rumeur concernant le développement de super-destroyers pour la Bundesmarine reste très incertaine, il n’en demeure pas moins vrai que, désormais, les croiseurs ont, à nouveau, les faveurs des amirautés.

Sejong le Grand, DDGx, Type 055 .. : Pourquoi le croiseur revient-il sur le devant de la scène des marines mondiales ?

Ce retour en grâce du croiseur résulte de l’évolution ou de l’apparition de nombreux facteurs concomitants. Le premier d’entre eux n’est autre que l’arrivée de munitions de frappe vers la terre, comme le missile de croisière, mais également le missile balistique et le drone de type munition rôdeuse, désormais disponibles dans de nombreux pays.

Au début des années 90, seuls deux pays disposaient de cette technologie, les États-Unis et la Russie, alors qu’aujourd’hui, la Chine, la Corée du Sud, la Turquie, l’Inde ou encore l’Europe, avec le MdCN français, s’en sont dotées en propre. Ces missiles permettent de frapper des cibles terrestres à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de kilomètres de distance pour certains, et disposent d’une importante capacité de destruction et d’une grande précision.

Et si un destroyer ou une frégate peuvent mettre en œuvre entre 16 et 32 de ces missiles, un croiseur peut, quant à lui, en accueillir 48 et plus, de sorte à obtenir un effet de saturation contribuant au succès des frappes.

Les destroyers lourds sud-coréens de la classe Sejong le Grand répondent à la définition d’un croiseur

La vulnérabilité des grandes unités navales, notamment des porte-avions et grands navires amphibies, est un second facteur favorisant le retour du croiseur. Par sa conception, le croiseur est tout à la fois moins exposé qu’un grand navire aéronaval, mais également plus résistant à d’éventuels dégâts, et surtout dispose d’une puissance de feu défensive largement supérieure pour contrer des attaques massives ou saturantes.

Ainsi, un unique Sejong le Grand met en œuvre 10 systèmes VLS Mk41, soit 80 silos verticaux pouvant accueillir chacun un missile surface-air à longue portée SM-2ER, un missile anti-balistique SM-3 ou SM-6, ou 4 missiles surface-air à moyenne portée ESSM, alors que ses 6 systèmes K-VLS lui permettant de mettre en œuvre 48 missiles de croisière Hyunmoo III, soit une puissance de feu équivalente à celle de quatre frégates lourdes comme les FREMM Aquitaine ou Alsace.

Par ailleurs, les nouvelles avancées enregistrées ces dernières années en matière d’artillerie navale, notamment depuis l’arrivée d’obus à propulsion additionnée et guidage GPS ou Laser, tendent à étendre encore davantage la puissance de feu d’un croiseur capable d’emporter plusieurs pièces lourdes ou moyennes pour densifier sa puissance de feu anti-aérienne comme anti-navire et vers la terre.

La question de la puissance énergétique des unités de surface combattantes

La taille et surtout la puissance énergétique des croiseurs constitueront également des atouts de taille dans les années à venir, avec l’arrivée de systèmes informatiques et de détection de plus en plus gourmands en énergie, et surtout des nouvelles armes à énergie dirigée comme le Laser à haute énergie, le canon à micro-onde directionnel ou encore le canon électrique, ou Rail Gun.

La plupart de ces technologies sont encore en cours de développement, mais leur entrée en service massive interviendra au cours de cette décennie, alors qu’elles imposent toutes deux contraintes majeures : une forte puissance électrique disponible d’une part, ainsi que de l’espace disponible pour les installer sur les navires d’autre part.

À ce titre, si les croiseurs ou destroyers lourds actuellement en service (en dehors des Kirov à propulsion nucléaire), utilisent encore une architecture énergétique classique avec un groupe propulsif et des générateurs électriques indépendants, les futurs destroyers lourds américains et italiens s’appuieront, comme c’est déjà le cas de certains destroyers comme les Type 45 britanniques, sur une propulsion électrique intégrée basée sur un groupe énergétique unique produisant la puissance électrique employée par l’ensemble des systèmes du navire, y compris la propulsion.

Cette architecture énergétique, par ailleurs similaire à celle mise en œuvre par les navires à propulsion nucléaire, offre nativement une grande souplesse d’évolution, notamment pour les systèmes très énergivores comme les armes à énergie dirigée.

L’Italie prévoit de se doter de deux grands destroyers de 12000 tonnes à horizon 2030 au travers du programme DDx

Les atouts uniques du croiseur face à la frégate ou au destroyer

Le dernier des atouts du croiseur est économique et organisationnel, et il est de taille. En effet, le cout du développement et de construction d’un croiseur est sensiblement le même que celui d’un destroyer ou d’une frégate, une fois ramené à la puissance de feu disponible, et notamment au nombre de missiles et silos.

En revanche, un croiseur ayant la puissance de feu de trois frégates, n’aura besoin que d’un équipage équivalent à ceux de deux frégates, et probablement moins dans les années à venir grâce à l’automatisation grandissante des systèmes.

En outre, le navire est plus facilement ravitaillé, que ce soit à la mer ou en ports, qu’une flottille de frégates. Ces critères sont désormais des plus critiques, en particulier en occident, alors que toutes les marines, comme l’ensemble des forces armées professionnelles, rencontrent de grandes difficultés pour maintenir leurs effectifs.

Dans le même temps, le cout d’un croiseur est sans commune mesure avec celui d’un porte-aéronefs et de ce groupe aérien embarqué, qui requiert à la fois des investissements initiaux bien plus importants, mais également des effectifs sans comparaison avec l’unique équipage d’un croiseur.

Des contraintes et faiblesses faisant du croiseur un navire à part

Reste qu’en dépit de ses nombreux atouts, le croiseur n’en est pas moins dépourvu de certaines faiblesses ou limitations. Ainsi, en dehors de l’utilisation de son aviation embarquée (hélicoptères ou drones) et d’éventuels drones navals ou sous-marins, le croiseur n’est pas adapté pour les missions de lutte anti-sous-marine, raison pour laquelle, d’ailleurs, les Type 055 chinois sont toujours accompagnés d’une frégate anti-sous-marine Type 054A plus compacte et bien plus performante pour cette mission.

En outre, et contrairement au porte-avions capable de soutenir une activité opérationnelle intensive dans la durée, le croiseur dispose d’une très importante puissance de feu immédiate, lui conférant de fait un potentiel dissuasif important, mais il perd toute utilité une fois ses munitions tirées, tout au moins jusqu’à ce que nouveaux systèmes, comme le Rail Gun, soient fiabilisés et déployés.

Enfin, un unique croiseur ne pourra jamais contrôler la même surface navale et aérienne que trois frégates pouvant être déployées, et ne permet pas, par nature, de gradation ou de répartition de l’effort.

Les maquettes de la classe Lider avaient fait couler beaucoup d’encre il y a quelques années. Il est probable que les 3 croiseurs dont al construction a été annoncé par Vladimir Poutine en décembre 2022 seront de cette classe, et seront destinés à remplacer les 2 croiseurs Slava restant en service

De fait, on comprend que le croiseur présente aujourd’hui de nombreux attraits, en particulier pour les Marines visant une forte répartition géographique, ainsi que pour celles qui font face à des contraintes importantes en matière de ressources humaines, mais qui disposent de ressources budgétaires importantes.

Plus rapide et moins onéreux à produire et à armer qu’un porte-avions ou qu’un grand navire amphibie, moins gourmand en ressources humaines, et plus dissuasif que des destroyers ou frégates, il répond à de nombreux besoins spécifiques, et il est dès lors logique que de nombreuses marines majeures ou moyennes entendent s’en doter dans les années à venir, qu’elles les classifient comme croiseur, destroyer ou frégate. Enfin, l’arrivée prochaine des armes à énergie dirigée, et la démocratisation de la propulsion électrique intégrée, tendront très probablement à accroitre le phénomène.

La stratégie a été dévoilée concernant l’acquisition de sous-marins nucléaires d’attaque par l’Australie

Suite à la sortie du programme SEA 1000 attribué au français Naval Group pour la construction de 12 sous-marins océaniques à propulsion conventionnelle, et l’annonce de la constitution de l’alliance AUKUS rassemblant l’Australie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis dont un des objectifs étaient de doter la Royal Australian Navy de sous-marins nucléaires d’attaque, les spéculations ont été aussi nombreuses que les démentis des autorités de Canberra. Pour de nombreux observateurs, en effet, et non sans raisons objectives, ce basculement opéré par Canberra serait tout à la fois très difficile et très onéreux à mettre en oeuvre, sans parler des nombreuses ornières technologiques et industrielles qu’il faudra éviter pour mener ce programme à son terme.

Parmi les nombreuses inquiétudes souvent mises en avant, la durée de vie opérationnelle des 6 sous-marins conventionnels de la classe Collins formant actuellement la force sous-marine de la Royal Australian Navy (RAN) constituait l’une des plus difficiles à solutionner, alors que ces navires ne pourront garder la ligne au delà de 2035 et que la livraison des premiers SNA australiens ne peut être espérée, dans le meilleur des cas, qu’au-delà de 2040. En outre, il est rapidement apparu que le partenaire industriel privilégié par les commentateurs dans ce dossier, les Etats-Unis avec la classe Virginia, manquerait de capacités industrielles pour livrer les sous-marins nécessaires alors que l’US Navy elle-même est engagée dans une phase de modernisation intensive visant à remplacer ses sous-marins de la classe Los Angeles le plus rapidement possible par de nouveaux navires de la classe Virginia Block IV ou V dotés de systèmes de lancement verticaux de missiles, tout en développant activement une prochaine génération de Hunter Killer du programme SSN(x) spécialisés dans la traque et l’élimination des sous-marins adverses. De fait, les capacités industrielles US dans le domaine sous-marin sont déjà pleinement employées pour les 20 ans à venir, et la livraison de SNA américains américains à la RAN, résulterait nécessairement en un jeu à somme nulle sur le théâtre Pacifique.

La production des SSN par les chantiers navals US répond à peine aux besoins de modernisation de l’US Navy.

Américains, Britanniques et Australiens semblent toutefois être parvenus à un modèle répondant à l’ensemble des contraintes identifiées jusque là. En effet, les sous-marins nucléaires d’attaque ne seront pas des Virginia américains, mais une évolution de la classe Astute britannique, incontestablement l’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur SNA du moment avec le Suffren français. Cette évolution permettra très certainement de doter les submersibles australiens des mêmes systèmes de lancement vertical que les Virginia Block IV ou V, de sorte à mettre en oeuvre des missiles de croisière de type BGM-109 Tomahawk et les munitions qui les remplaceront dans les années en venir. En outre, comme c’était le cas pour les sous-marins de la classe Attack de feu le programme SEA 1000, les systèmes de bord des navires, ainsi que la chaine sonar, seront en grande majorité américains, de sorte que l’entraînement et la transformation des équipages de la RAN pourra en partie être effectuée par l’US Navy bien plus présente sur ce théâtre que la Royal Navy.

Cette solution permettra également à la RAN d’effectivement faire construire un ou deux premiers navires en Grande-Bretagne, celle-ci disposant semble-t-til des créneaux industriels pour cela, avant de construire les autres unités directement dans les infrastructures spécialement conçues à cet effet en Australie même. Ces infrastructures permettront en outre d’entretenir la flotte de manière autonome, et éventuellement de moderniser les navires lorsque le besoin se fera sentir. On peut également penser que ce nouveau site industriel pourra être employé, au besoin, par les SNA américains et britanniques dans leurs déploiements dans le Pacifique, ou pour la maintenance opérationnelle en cas de conflit.

Les Virginia Block V disposeront d’un module de lancement vertical VPM armé de 28 missiles de croisière BGM-109 Tomahawk ansi que de 12 silos verticaux armés du même missile. Il est probable que les SNA australien auront eux aussi des systèmes de lancement verticaux, raison pour laquelle il s’agira d’une évolution de l’Astute, et non de l’Astute lui même qui demeure un remarquable Hunter Killer

Le problème du retrait des Collins sera, quant à lui, réglé par l’acquisition par Canberra de 3 à 5 SNA américains de la classe Virginia à partir de 2030. Il s’agira probablement des navires les plus anciens de la classe, les 4 premiers Block I entrés en service entre 2004 et 2008, ainsi que le premier Block II, l’USS New Hampshire entré en service également en 2008. En 2030, ces navires auront 26 à 22 années de service, et disposeront donc de 9 à 13 ans de potentiel opérationnel restant sans recharge du noyau nucléaire, ce qui demeure une procédure exceptionnelle et très onéreuse pour ce type de navire employant des réacteurs à Uranium enrichi à plus de 97%. C’est d’ailleurs probablement sur la base de cette durée de vie restante, et des possibles délais supplémentaires liés à la livraison des Astute modifiés, que la fourchette de 3 à 5 SNA cédés aux Australiens a été bâtie, sachant que ces navires auront, de toute façon du fait de leurs standards, des capacités moindres pour l’US Navy, qui privilégiera probablement l’arrivée des SSN(x) dès l’entame de la prochaine décennie.

De fait, la stratégie retenue par Canberra, Washington et Londres, semble parfaitement répondre aux besoins et contraintes entourant ce programme. Toutefois, force est de constater qu’elle repose sur un empilement d’hypothèses à conclusion positive, que ce soit en terme de délais de conception, de déploiement des infrastructures, de recrutement et de formation des personnels industriels comme militaires, ou encore d’un statut quo stratégique dans le Pacifique, permettant à l’US Navy comme à la Royal Navy d’y diriger certaines capacités qui seraient, dans le cas contraire, indispensables à la poursuite des opérations. En outre, cela suppose que la RAN ne disposera que de 3 sous-marins, certes des SNA bien plus rapides et autonomes que des navires conventionnels, pour défendre les côtes australiennes jusqu’au milieu des années 2040. Cela suppose donc que la Royal Navy ou l’US Navy devront, pendant plus d’une dizaine d’années, renforcer la défense sous-marine australienne, alors même que les tensions seront très probablement à leur paroxysme avec la Chine voire avec la Corée du Nord et la Russie.

La flotte de SNA chinois est appelée à croitre rapidement dans les années à venir, avec des modèles plus performants et discrets que le Type 09III actuel

De fait, même si la transformation de la RAN vers une flotte de SNA apportera incontestablement une réelle plus-value tant à la défense du pays qu’à l’action collective occidentale dans le Pacifique et l’océan Indien, on peut se demander si cette approche, toute pertinente qu’elle puisse sembler, n’expose pas non seulement l’Australie, mais également la flotte britannique et américaine, à d’importantes contraintes alors même qu’elles pourraient devoir faire montre de toute leur puissance dans les années à venir. La question n’est pas de savoir si l’approche présentée est industriellement et budgétairement pertinente, mais si elle peut effectivement prendre forme de manière sécurisée dans le contexte international présent et à venir. C’est loin d’être évident …

Y-a-t’il un pilote pour la stratégie industrielle défense française ?

Avec le retour de la guerre en Europe et la dégradation rapide des tensions entre grandes puissances militaires en Asie et au Moyen-Orient, l’industrie de défense française s’est retrouvée, en quelques mois, un centre d’intérêt majeur tant pour les médias que pour nombre de personnalités politiques qui semblent découvrir l’état de délabrement des stocks de munitions et de pièces de rechange des armées, ou les délais de fabrication de certains équipements comme le canon Caesar. Il ne se passe plus désormais une semaine sans qu’une annonce concernant l’industrie de défense, les armées ou la prochaine loi de Programmation militaire, ainsi que les commentaires qui en découlent, ne trouve sa voie vers les plateaux de télévision ou la une des grands médias nationaux. Il était temps, dirons-nous, sachant à quel point ces sujets manquaient de visibilité publique jusque là.

La programmation militaire française, entre sérénité retrouvée et inquiétudes persistantes

Force est de constater que les choses ont considérablement évolué, globalement de manière positive, au cours de la précédente Loi de Programmation Militaire 2019-2025, qui permit d’inverser la courbe décroissante des financements pour les armées et, par voie de conséquence, pour les industriels de défense français, en faisant progresser les crédits annuels des armées de plus de 30% entre 2016 et 2023. Et l’on ne dira jamais assez à quel point cette inversion de tendance permis d’éviter un effondrement capacitaire imminent des armées françaises, sans quoi celles-ci auraient sans le moindre doute rencontré les mêmes difficultés que sont celles de la Bundeswehr aujourd’hui. Dans le même temps, la reprise de la demande mondiale en matière d’équipements militaires, permit aux industriels français de retrouver certaines marges de manoeuvre, notamment grâce à certains grands succès à l’exportation comme l’avion de combat Rafale de Dassault Aviation ou le canon Caesar de Nexter, mais également au travers de nombreux autres nouveaux contrats critiques comme la vente de frégates FDI à la Grèce et d’hélicoptères NH90 et Caracal par Airbus hélicoptères, ce qui entraina, logiquement, une hausse des commandes des équipementiers comme Safran, MBDA et Thales.

Le Caesar NG sera plus lourd, mieux blindé, plus moderne et bien mieux motorisé que le Caesar original

La nouvelle Loi de Programmation Militaire 2024-2030 en cours de finalisation verra, quant à elle, les crédits consacrés aux armées croitre à nouveau de 30% en 7 ans, pour atteindre un effort de défense 2,25 % du PIB en 2030. De nombreux nouveaux programmes majeurs seront livrés au cours de celle-ci, comme le standard F4 du Rafale à l’Armée de l’Air et de l’Espace, des hélicoptères H160M guépard aux 3 armées, des frégates FDI et des sous-marins Suffren à la Marine Nationale, et des blindés Scorpion et des nouveaux Caesar NG à l’Armée de Terre. Dans le même temps, plusieurs programmes de développement seront quant à eux lancés, comme le porte-avions nucléaire de nouvelle génération, le nouveau standard F5 du Rafale, ou encore les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3ème génération. Enfin, des efforts ciblés permettront de combler certaines défaillances critiques, comme dans le cas des munitions, des systèmes de drones ou du renseignement. Pour autant, et en dépit d’une situation qui sera sans le moindre doute, bien plus sereine qu’elle ne l’était pour les armées comme pour les industriels de défense il n’y a de cela que quelques années, il existe un sentiment très palpable, bien que souvent exprimé à demi-mots, d’inquiétude et même d’exaspération de ces derniers au sujet de la programmation militaire. Et ce n’est pas tant un manque de crédits qu’un défaut de pilotage stratégique de la Base Industrielle et Technologique Défense française, ou BITD, qui serait en cause.

Un Etat omniprésent qui détient tous les leviers de décision

Les raisons ayant donné naissance à ces inquiétudes, résultent en partie de la composition même de la BITD française, originale à plus d’un titre en occident. En effet, là ou beaucoup de puissances industrielles militaires européennes ont fait le choix de faire émerger des leaders nationaux multi-domaines, comme BAe en Grande-Bretagne, Leonardo en Italie, Saab en Suède ou encore Rheinmetall en Allemagne, la France a conservé une structure très segmentée par activité, avec Dassault pour la construction d’avions de combat, Naval Group pour le Naval, Nexter pour le terrestre, Thales pour l’électronique, MBDA pour la missilerie ou encore Safran pour les moteurs. En outre, ces groupes ont, eux même, des structures différentes, allant de l’entreprise privée comme Dassault Aviation à l’entreprise publique comme Nexter détenue à 100% par l’intermédiaire de KNDS, rendant difficile l’organisation globale d’une stratégie industrielle de défense à l’échelle du pays. Au delà de ces groupes industriels, la BITD française rassemble plusieurs milliers de petites entreprises, PME/PMI et ETI, n’ayant que très peu voix au chapitre et agissant surtout comme sous-traitants des grands groupes au bénéfice des programmes majeurs.

Les grandes entreprises de défense françaises conditionnent l’activité de plusieurs milliers de PME/PMI et ETI

D’autre part, l’état contrôle non seulement la planification militaire et industrielle, mais également la décision pour certains de ces grands groupes structurants pour l’ensemble de la BITD, y compris dans la nomination de ses dirigeants et les orientations stratégiques de recherche ou de développement commercial. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, il convient de rappeler que l’exportation de matériels militaires est interdite par défaut en France, et que chaque industriel doit soumettre une demande aux services de l’Etat pour obtenir une licence d’exportation de ses équipements, aussi simples soient-ils,. Notons au passage que ce dernier point favorise clairement les grands groupes, habitués de la procédure et de ses méandres administratives, et nuit à l’émergence de nouveaux acteurs. Dans ce contexte, il semble clair que l’Etat Français détient l’ensemble des prérogatives décisionnaires sur la BITD nationale. Il devrait donc, en toute logique, piloter cette activité industrielle tant pour la défense du pays et l’équipement des Armées, que pour les 200.000 emplois hautement qualifiés et non délocalisables qui en dépendent, et qui génèrent chaque année entre 20 et 25 md€ de Chiffre d’Affaire dont 40% à l’exportation, et ce au mieux des intérêts stratégiques de l’Etat, des Armées et de la BITD elle-même.

Mais un Etat plus client que pilote de la BITD

Malheureusement, il n’en est rien. En effet, la grille de décision employée par l’Etat ces 3 dernières décennies, qui n’a pas été modifiée par la présente LPM alors que rien n’indique qu’elle le sera dans la prochaine, ne s’appuie que sur deux indicateurs majeurs, à savoir les besoins exprimés par les Armées d’une part, et les couts d’investissements devant être consentis de l’autre. Dit autrement, l’Etat applique une relation client-prestataire aux industriels de défense, alors même qu’il dispose de la décision faisant de lui le capitaine d’industrie en charge, précisément, de piloter l’ensemble de la BITD. L’Etat intervient bien entendu quand nécessaire pour certaines décisions stratégiques, comme ce fut le cas au sujet de l’acquisition de certaines entreprises critiques, ou pour préserver certains savoir-faire stratégiques par la commande publique, mais bien souvent, ses interventions se rapprochent d’avantage de celles d’un pompier-pyromane, pour étendre un feu qu’il a lui-même allumé, que d’un stratège industriel appliquant une vision.

La réduction du nombre de frégates FREMM associée a l’étalement des délais de livraison engendrèrent une hausse si importante des couts de construction que les 8 frégates finalement acquises par la Marine nationale l’auront été au prix des 17 frégates initialement commandées.

Ce fut notamment le cas avec la commande des 5 frégates FDI à Naval Group en 2016, pour 4 Md€, afin de préserver l’activité des bureaux d’étude et du site industriel de Lorient du groupe, ce après avoir ramené la commande de frégates FEMM de 17 exemplaires à 8 unités, pour une enveloppe globale identique de presque 9 Md€. Il est probable qu’il aurait été nécessaire d’investir tout ou parti des 4 Md€ du contrat FDI afin de doter les dernières unités du programme FREMM des capacités avancées de ces nouvelles frégates, comme le Radar SeaFire AESA à face plane offrant des capacités de détection très supérieures à celle du radar Herakles des FREMM françaises, tout comme l’architecture modulaire numérique appliquée aux FDI conférant aux navires des capacités multi-domaines inédites, mais les arguments avancés sur la scène publique par Naval Group et le Ministre de la Défense de l’poque, JY Le Drian, à savoir la conception d’une frégate plus compacte répondant davantage aux attentes du marché international, étaient de toute évidence sans base solide et visaient avant tout à masquer le besoin critique d’activité des bureaux d’étude de l’industriel, et de son site de Lorien. La Marine nationale, quant à elle, n’aura au final que 13 frégates au lieu de 17, par ailleurs moins bien armées avec seulement 16 silos verticaux pour les 5 FDI, contre 32 pour les 8 FREMM. Il s’agit d’un parfait exemple de l’absence de pilotage de la BITD par l’Etat ces dernières années. Malheureusement, il n’est pas seul.

De nombreux exemples de défaut de pilotage

En effet, au delà des exemples strictement identiques à celui des FREMM/FDI induisant des surcouts majeurs pour les armées et des pertes de marchés exports suite à des arbitrages manquant clairement de vision à moyen terme de l’exécutif français, comme ce fut le cas pour l’hélicoptère Tigre (77 exemplaires à 35m€ vs 214 exemplaires initialement à 18 m€) et même le Rafale, l’état a également souvent imposé certaines politiques industrielles à la BITD sans en assumer les conséquences. Ce fut le cas lors du rapprochement entre DCNS (futur Naval Group) et Navantia au sujet du sous-marin Scorpene qui se solda par un pillage technologique de la part de l’Espagne sur les compétences françaises en matière de conception de submersibles militaires, mais également du mariage forcé et tout aussi avorté entre Naval group et l’italien Fincantieri qui, s’il a donné de bon résultats sur les frégates Horizon, aura été un désastre sur les FREMM qui ne partagent que 15% de composants communs, et au delà, les deux groupes étant le plus couvent à couteaux tirés sur la scène internationale, y compris en Grèce. Le rapprochement de Nexter et l’allemand Krauss Maffei-Wegman au sein de KNDS est également souvent remis en question, alors qu’après 6 ans, aucun équipement commun n’a été produit, et que le programme MGCS est de plus en plus menacé depuis l’arrivée imposée par le Bundestag de Rheinmetall, modifiant sensiblement le rapport de force au sein du programme. On notera à ce titre que ce furent ici des entreprises publiques controlées par l’Etat, et dont les CEO sont directement nommés à l’Elysée, qui ont fait les frais de ces ambitions plus politiques qu’industrielles de l’exécutif français. D’ailleurs, quant l’Etat tenta le mariage forcé entre Dassault Aviation et Airbus, cela s’est rapidement révélé une impasse.

Le programme NEURON est un exemple très parlant du manque de pilotage stratégique de la BITD française.

A l’inverse, et en dehors des besoins stricts des armées, l’Etat n’assume pas sa position de pilote en ce qui concerne les opportunités de recherche et de développement, ainsi que dans la construction de l’offre industrielle française sur la scène internationale. Au delà des nombreuses occasions ratées, comme le développement de l’APS Shark de Thales en 2010 qui aurait permis a la France de disposer d’un système Hard-Kill efficace et économique face aux israéliens trustant ce marché désormais, d’une solution de type HIMARS, qui aurait pu être conçue sur les bases technologiques du Hades dès le début de la décennie, ou des très nombreuses propositions de drones aériens, navals, sous-marins, l’état semble ne pas vouloir prendre en compte le rôle critique des exportations de l’industrie de défense non seulement dans le maintien des compétences industrielles, mais également dans la soutenabilité de l’effort de défense, l’industrie de défense ayant un excellent retour budgétaire pour l’Etat dans ce domaine du fait de sa très faible exposition aux importations et aux délocalisations. C’est ainsi qu’alors que l’exportation des sous-marins à propulsion conventionnelle a représenté le principal marché export de Naval Group ces 20 dernières années, l’Etat et la Marine Nationale n’envisagent pas de s’équiper de 2 ou 3 sous-marins de ce type de nouvelle génération qui conféreraient au groupe naval français, la vitrine pourtant indispensable pour convaincre ses potentiels clients internationaux à venir. De même, en décidant de produire un unique porte-avions de nouvelle génération, par ailleurs de 75.000 tonnes et surtout à propulsion nucléaire, l’Etat rend très difficile l’exportation du modèle comme du savoir-faire exclusif dans ce domaine, alors même qu’avec les Etats-unis et la Chine, la France est le seul acteur mondial à pouvoir simultanément produire le porte-avions et les avions embarqués qui vont avec.

Les exemples de ce type sont malheureusement très nombreux, et handicapent sévèrement le potentiel export de la BITD, et par la même, la possibilité offerte aux armées d’acquérir des équipements à des tarifs privilégiés. On peut naturellement parler du drone de combat Neuron qui, s’il était effectivement développé au delà du démonstrateur initial, aurait sans le moindre doute trouvé acquéreur parmi les clients traditionnels de l’industrie aéronautique française comme la Grèce, l’Egypte, les Emirats Arabes Unis ou l’Inde, car complétant à merveille le Rafale notamment pour les missions de suppression des défenses adverses. L’exemple du char l’E-MBT, ou plutôt de la tourelle EMBT développée par Nexter en amont du salon Eurosatory 2022, est également significatif, alors qu’il permettrait de concevoir dans des délais extrêmement courts un nouveau char de combat de génération intermédiaire alors même que la demande n’a jamais été forte à ce sujet depuis 40 ans. C’est également le cas d’un éventuel Super Rafale qui redonnerait un potentiel export au Rafale au delà de 2030 dans l’attente du SCAF au delà de 2040, ou encore de l’hélicoptère superveloce Racer d’Airbus, qui permettrait de couper l’herbe sous le pied des Defiant-X et autres Valor en cours de développement outre-atlantique.

Une nouvelle doctrine industrielle pour rétablir une BITD efficace ?

Tout n’est toutefois pas négatif dans ce domaine. D’une part, en dépit de ce manque évident de stratégie globale, l’industrie de défense française demeure performante, tant pour produire les équipements nécessaires aux Armées, que pour s’imposer sur les marchés exports. Mais on se doit d’admettre que ces succès sont davantage le fait d’ingénieurs de très grandes qualités et dotés d’une capacité à innover remarquable, qu’à une véritable stratégie comme celle appliquée en Italie ou en Grande-Bretagne. De fait, il ne manque probablement pas grand chose pour transformer la BITD française en une structure coopérative parfaitement huilée et compétitive pour équiper au mieux les armées, et remporter encore davantage de contrats à l’exportation, au plus grand bénéfice des finances publiques. La solution se trouve probablement dans l’élaboration d’une réelle doctrine industrielle française pour l’Industrie de défense, une stratégie globale permettant de clairement définir les rôles et responsabilité de l’ensemble des acteurs, de l’état aux industriels en passant par les Armées, ainsi que dans un changement de paradigme profond pour enfin piloter l’industrie de défense au regard des « bénéfices escomptés » (en l’occurence le solde budgétaire), et non simplement de la seule dépense publique, un critère hautement inefficace dans ce domaine.

La technologie développée par Airbus Hélicoptères autour du démonstrateur Racer représente une opportunité unique de se positionner de manière très efficace face à la nouvelle génération d’hélicoptères superveloces américains.

Il conviendrait surtout que l’Etat définisse clairement sa propre position dans le pilotage de la BITD, soit en choisissant un pilotage distant au travers de relations clients-fournisseurs bienveillantes mais structurées, et un soutien aux exportations au travers d’un système comparable au Foreign Military Sales américain; soit en assumant pleinement la position de pilote stratégique de la BITD, ce qui suppose une présence bien plus dynamique dans le soutien aux initiatives de R&D y compris pour ceux qui se destinent à l’exportation, quitte à tordre quelque peu la planification militaire pour soutenir certains équipements qui bénéficieraient grandement d’un tampon « Armées françaises » sur la scène internationale. Dans tous les cas, il s’avère désormais nécessaire de lever le flou qui entoure le rôle exact de l’Etat dans le pilotage de la BITD, et d’en assumer par la suite pleinement les conséquences. Faute de quoi, alors que l’industrie de défense est devenue un enjeu stratégique pour de très nombreux pays, la France risque de voir ses capacités industrielles de défense s’étioler au fil d’un probable recul de ses exportations et de décisions politiques plus portées par un dogmatisme européiste que par les besoins avérés de la BITD elle-même.

Après les avions de soutien, la chasse américaine aussi devra profondément évoluer dans les années à venir

Comme c’est le cas tous les ans à la même époque, la presse spécialisée défense US ne manque pas de sujet à traiter ces derniers jours. En effet, c’est en mars que débutent les auditions parlementaires en vue de préparer le prochain budget des armées, en l’occurence ici le budget 2024 qui entrera en application à l’automne 2023. Du fait de l’organisation politique du financement de l’effort de défense outre-Atlantique, le Congrès ayant le dernier mot sur le sujet bien au delà de l’enveloppe globale demandée par l’exécutif, les débats préparant ce budget sont généralement très précis et techniques. Toutefois, ils sont également l’occasion pour les militaires de faire valoir précisément leurs attentes, tant face à l’exécutif que face aux biais d’analyse des sénateurs et représentants parfois plus concernés par les retombées économiques de l’investissement fédéral que par l’efficacité réelle de leurs armées.

C’est dans le cadre de cette communication d’influence que, depuis quelques jours, des informations au sujet d’une profonde transformation de l’ensemble de la planification de l’US Air Force filtrent vers la presse. C’est ainsi que certains programmes de soutien ont été abordés, qu’il s’agisse du remplacement des 32 avions de veille aérienne avancée E-3 Sentry par 26 E-7A Wedgetail, ou de la volonté exprimée par l’US Air Force d’annuler la compétition KCy qui devait permettre l’acquisition d’un second lot de 160 avions ravitailleurs pour remplacer les KC-135 encore en service, pour ne commander que 75 KC-46A Pegasus de Boeing supplémentaires, ce afin de libérer les ressources budgétaires et humaines pour le développement du programme de ravitailleurs furtifs NGAS, dans le cadre du programme KCz. Pour l’US Air Force, les appareils actuellement en service, mais également ceux disponibles aujourd’hui à l’acquisition, comme le E-7A Wedgetail pour l’Awacs, ou les KC-46A Pegasus ou A330 MRTT pour les ravitailleurs, seront bientôt trop vulnérables pour se montrer efficaces lors d’un conflit de haute intensité face à un adversaire dit symétrique comme la Russie ou la Chine. Et les succès enregistrés en Ukraine par le missile russe à longue portée R37M tendent à accréditer les certitudes de l’US Air Force dans ce domaine.

Cette image d’un avion ravitailleur dérivé d’un appareil civil ravitaillant un chasseur piloté, pourrait devenir de plus en plus rare dans les années à venir.

C’est dans ce contexte que le Secrétaire à l’US Air Force Franck Kendall, ainsi que le chef d’Etat-major de l’US Air Force et favori des médias pour le remplacement du Général Milley pour le poste de Chef d’etat-major des Armées, le général Brown, se sont exprimés face à l’Air Force Association lors d’une conférence qui s’est tenue à Aurora dans le Colorado ce début de semaine. Il n’était pas question, cette fois, de l’évolution de la flotte de soutien, mais de celle de la flotte de chasse américaine. Et il semble que comme les Awacs et les ravitailleurs, les chasseurs américains soient, eux aussi, appelés à rapidement et radicalement évoluer dans les années à venir pour répondre aux enjeux de la guerre aérienne en devenir, sur la base des enseignements de le guerre en Ukraine. Et les déclarations des deux chefs politiques et militaires de la première puissance aérienne mondiale, permettent de se faire une idée bien plus précise de la trajectoire visée par l’US Air Force dans ce domaine.

Ainsi, selon France Kendall, le programme Next Génération Air Dominance, ou NGAD, en développement depuis une dizaine d’années, visera à produire 200 chasseurs à très forte valeur opérationnelle relative, ainsi qu’un millier de drones de combat de type Loyal Wingmen, ces derniers étant destinés à épauler les 200 NGAD ainsi que 300 F-35A spécialement modifiés à raison de 2 drones par appareil piloté. Ces quelques valeurs donnent des informations significatives sur le programme NGAD, notamment sur le fait qu’il a définitivement rompu avec les paradigmes prônés par Will Roper qui en assurait le pilotage dans la précédente administration. En effet, de toute évidence, les 200 NGAD n’auront pour fonction que de remplacer les 186 F-22 Raptor produits, en reproduisant le modèle de cet appareil qui disposait , à son entrée en service, d’une plus-value technologique et opérationnelle très importante sur l’ensemble des appareils en service ou en préparation. Cette hypothèse est confortée par de précédentes déclarations du Franck Kendall, selon lesquelles le NGAD sera un chasseur très onéreux, de l’ordre de plusieurs centaines de millions de $ par aéronef.

Finalement, NGAD ne visera qu’à developper le remplaçant du F-22, en empruntant les mêmes paradigmes que ceux ayant donné naissance à ce puissant chasseur de supériorité aérienne toujours sans équivalent aujourd’hui

De fait, cela exclut presque certainement toute possibilité d’exportation du futur NGAD, comme ce fut le cas précédemment pour le F-22, et ce en dépit des demandes plus qu’insistantes du Japon, de l’Arabie Saoudite et même d’Israel, pour acquérir l’appareil afin de remplacer leurs F-15C de supériorité aérienne vieillissants. Cela exclut de la même manière les hypothèses de coopération technologique internationale autour de ce programme, comme ce fut notamment évoqué au sein du Bundestag comme une alternative au programme SCAF. Il est d’ailleurs probable que le rapprochement de Tokyo avec Londres et Rome au sujet du programme FCAS/Tempest, comme les ouvertures répétées des autorités saoudiennes tant vers le Tempest britannique que vers le Rafale français, soient des conséquences directes de la politique de la porte close appliquée par Washington à ce sujet.

Dans le même temps, le Secrétaire à l’Air Force a indiqué que l’US Air Force entendait se doter d’un millier de drones de combat de type Loyal Wingmen d’ici la fin de la décennie, pour épauler les NGAD ainsi que 300 F-35A spécialement adaptés pour contrôler 2 Loyal Wingmen simultanément. Cette information, telle que formulée, permet de supposer que conjointement au développement du remplaçant du F-22, le programme NGAD développe un drone de combat autonome de type Loyal Wingmen bien plus imposant que ceux fréquemment évoqués dans la presse spécialisée, autour des programmes Skyborg de l’US Air Force ou Longshot de la DARPA. En effet, Frank Kendall a fait cette déclaration dans un discours se voulant structurant pour l’US Air Force, en précisant que la puissance aérienne militaire ne pourrait plus, à l’avenir, s’évaluer au seul nombre des avions de combat pilotés, faute de quoi les couts de construction et de mise en oeuvre de l’US Air Force seraient proprement astronomiques (déjà que ..)

Les Loyal Wingmen évoqués par Franck Kendall, seront probablement bien plus lourds et couteux que les appareils développés dans le cadre du programme Skyborg ou Longshot.

Dans ce cadre, évoquer des drones de combat potentiellement sacrifiables, comme ceux développés dans le cadre du programme Skyborg ou Longshot, n’aurait pas le même sens que d’évoquer des appareils plus lourds, performants et surtout onéreux destinés, de toute évidence, à remplacer une partie des avions de chasse pilotés dans les années à venir. Le développement d’un tel appareil par l’US Air Force étant encore confidentielle, on peut raisonnablement supposer que celui-ci fasse parti du programme NGAD, lui aussi préservé des yeux indiscrets comme des déclarations à la presse, et ce depuis plusieurs années. Comme il est probable que ces drones de combat lourd pourront, à leur tour, contrôler des drones plus légers, comme les Longshot ou le XQ-58A Valkyrie, de sorte à effectivement démultiplier l’efficacité opérationnelle sans mettre en danger ces précieux drones, au delà du raisonnable.

Si les chefs de l’US Air Force ont tracé plus clairement la ligne à suivre lors de cette conférence, ils ont également insisté, conjointement, sur un aspect critique de cette transformation. En effet, il est désormais indispensable que ces appareils entrent le plus rapidement possible en service, en l’occurence avant la fin de la décennie en cours, pour faire face à l’évolution de la menace, notamment face à la Chine. Rappelons que si la Chine produit publiquement et de manière de plus en plus intensive le chasseur furtif J-20, et développe activement le chasseur embarqué furtif J-35 pour son nouveau porte-avions équipé de catapultes, de nombreuses informations convergentes laissent entendre qu’elle développerait un troisième appareil de combat tactique appartenant à la 5ème génération, ainsi que plusieurs drones de combat furtifs comparables à ceux en cours de développement aux Etats-Unis et en Europe, en plus du bombardier stratégique furtif HH-20 également en développement, et probablement proche de rejoindre les unités opérationnelles chinoises. Pékin a également annoncé que le développement d’un chasseur de 6ème génération, comparable au NGAD américain et au SCAF/FCAS européens, qui devrait entrer en service entre 2035 et 2040.

La Chine développerait un 3ème modèle de chasseur furtif en plus des J-20 et J-35, peut-être pour remplacer les bombardiers tactiques JH-7

Reste que le plus grand défi auquel les chefs de l’US Air Force seront confrontés, dans les mois et années à venir, ne sera ni technologique, ni même économique. Il leur faudra en effet convaincre les très conservateurs représentants et sénateurs américains du bienfondé de leur approche qui suppose une conception radicalement différente de la puissance aérienne, pour répondre aux enjeux opérationnels dans les prochaines années. Ainsi, les parlementaires américains ont, depuis plusieurs années, rejeté les demandes de l’USAF de retirer du service ses A10 Warthog pourtant inadaptés à la réalité du combat de haute intensité aujourd’hui, comme l’attestent les lourdes pertes russes comme ukrainiennes concernant leurs flottes respectives de Su-25 Frogfoot, sans que ces appareils n’aient pu influer significativement sur le déroulement du conflit. La vigilance parlementaire n’est pas sans raison après plusieurs programmes devenus des puits sans fond budgétaires pour les finances publiques américaines, et il faudra des trésors de persuasion aux chefs de l’USAF pour les amener à soutenir leur approche. On peut supposer que de ce succès ou de cet échec dépendra, dans les années à venir, la capacité effective des forces aériennes américaines à contenir, ou pas, la menace représentée par des forces aériennes chinoises elles-aussi en pleine transformation, et ne faisant pas face aux mêmes difficultés politiques.

Après l’Italie, l’Allemagne va-t-elle, elle aussi, se doter de super-destroyers ?

La Marine militaire avait été, au cours de la Guerre Froide, le parent pauvre des forces armées de la République Fédérale d’Allemagne. Il s’agissait pour Bonn tant de limiter ses propres capacités de projection de puissance inhérentes aux flottes de haute mer, dans le respect de sa constitution, que de répondre à un besoin précis de l’OTAN, à savoir contrôler la Mer Baltique, alors que seuls la RFA et le Danemark avaient, à cette époque, des côtes sur cette mer. De fait, la Bundesmarine privilégiait alors des navires relativement compacts adaptés aux besoins spécifiques de la Baltique et de la Mer du Nord, l’exemple le plus flagrant étant sa flotte sous-marine composée de 11 Type 205, des sous-marins à propulsion conventionnelle de seulement 44 mètres de long et de 455 tonnes en plongée, armés par un équipage de 22 hommes, et aux performances limitées, notamment en terme de plongée avec une profondeur maximale de 100m. Pour autant, ces sous-marins, comme les corvettes des classes Guépard, Albatros et Tiger qui, elles non plus ne dépassaient les 500 tonnes, étaient bien adaptés pour les missions alloués par l’OTAN cette marine en Mer Baltique.

La Bundesmarine disposait toutefois de quelques navires de haute mer, comme les destroyers de la classe Hamburg de 4000 tonnes produits à 4 exemplaires entre entre 1959 et 1964, ou les 3 destroyers anti-aériens de la classe Lutjens entrés en service à partir de 1969. Toutefois, en comparaison des autres grandes marines européennes, comme la Royal Navy, la Marine Nationale et la Marina Militare, la Bundesmarine était clairement en retrait en matière de capacités de haute mer. Les choses ont quelques peu évolué depuis la réunification allemande et la chute du bloc soviétique. En effet, là ou les cotes baltiques étaient controlées avant tout par l’Union Soviétique (Russie, Estonie, Lituanie et Lettonie), par ses alliés polonais et est-allemands, ainsi que par deux pays neutres, la Suède et la Finlande, la carte a radicalement changé depuis, la Russie ne disposant plus que de 170 km de côtes sur cette mer, 10 fois moins qu’elle n’en contrôlait pendant la guerre froide. Ces changements géographiques, ainsi que l’évolution de la géopolitique perçue, ont entrainé une profonde transformation des forces navales allemandes, qui a remplacé ses 11 Type 205 par 6 sous-marins AIP Type 212 de 1830 tonnes, et a admis au service des navires plus imposants et mieux adaptés à haute mer, comme les 3 destroyers anti-aériens de la classe Sachsen de 5800 tonnes, les frégates 4 frégates Brandenbourg de 4500 tonnes, ainsi que les 4 frégates lourdes de plus de 7000 tonnes de la classe Baden-Wurtenberg.

Les frégates F125 de la classe Baden-Wurtenberg sont aussi imposantes qu’elles sont sous-armées, ayant été conçues pour évoluer en zone de faible intensité.

A partir de 2028, la Bundesmarine doit recevoir 4 nouvelles frégates F126 destinées à remplacer les 4 Brandenburg entrées en service entre 1994 et 1998. Les nouveaux navires du programme MKS 180, toujours désignés comme frégate, atteindront un tonnage de 10.000 tonnes pour une longueur de 166 mètres. Pour autant, leur configuration fait beaucoup débat outre-Rhin. En effet, en dépit d’un important tonnage, d’une autonomie à la mer très importante et d’une survivabilité renforcée, les F126 seront remarquablement mal armées pour un navire de ce tonnage, avec seulement 16 silos verticaux Mk41 destinés à accueillir 64 missiles anti-aériens à moyenne portée ESSM, 8 missiles anti-navires NSM, 2 systèmes CIWS C-RAM et un canon de 127 mm, là ou, par exemple, les destroyers américains de la classe Arleigh Burke jaugeant 9700 tonnes pour 155 mètres de long, emportent 96 silos verticaux. Toutefois, selon une information qui a enflammée les réseaux sociaux spécialisés, la Bundesmarine semblerait vouloir corriger le tir avec la prochaine classe de frégate F127, qui atteindrait 220 mètres de long et de 12.000 tonnes de déplacement, qui doit entrer en service au cours de la prochaine décennie. La Bundesmarine s’apprête-t-elle à lancer, elle aussi, un programme Super-Destroyer ? c’est loin d’être acquis …

Il n’existe pour l’heure que très peu d’informations sur ce programme. Selon l’article du Kieler Nachrichten, la nouvelle « frégate » serait dérivée de la Meko 300 de TKMS, même si celle-ci n’est donnée par son concepteur que pour un déplacement de 6000 tonnes et une longueur de 160 m. C’est également ce site d’information régionale qui a divulgué les impressionnantes dimensions du navire. Mais il semble que certaines informations, comme la longueur, soient excessives, notamment, à la vue des paradigmes de conception navale moderne. Rappelons que si le croiseur américain de la classe Long Beach (1961-1995) atteignait bien 220 mètres pour un déplacement de 15.000 tonnes, les grands navires modernes, comme le Type 055 chinois, atteingnent ce tonnage avec une longueur de seulement 180 mètres. En outre, dans un document brièvement publié sur le site de la Bundeswehr, et intitulé  » Zeilbild der Marine ab 2035″, « Une image projetée de la Marine en 2035 », si la classe F127 destinée à remplacer les frégates anti-aériennes F124 de la classe Sachsen apparait belle et bien et prévoit entre 5 et 6 bâtiments en service en 2035, la silhouette employée pour ce bâtiment est sensiblement plus petite que celle de la F126, et a des dimensions proches de celles de la F125 Baden-Württemberg qui ne fait « que » 150 mètres pour 7.200 tonnes.

L’une des planches du document publié brièvement sur le site de la Bundeswehr, permet de constater que la Bundesmarine anticipe l’arrivée de 5 à 6 F127 d’ici 2035. Mais elle montre également que les dimensions annoncées par la presse germanique sont probablement fantaisistes.

Ce document met également en évidence les difficultés rencontrée par la BundesMarine pour armer ses équipages. Ainsi, le nombre de corvettes K130, des navires de 90 mètres pour 1850 tonnes de déplacement, spécialisés dans le combat littoral, sera ramené d’ici 2035 de 10 à 6 unités, bien avant le retrait initialement prévu pour ces navires. De même, une des 4 frégates F-125, il est vrai encore moins bien armées que la F126 puisque dépourvues de capacités anti-aériennes et anti-sous-marines, devrait également être retirée du service, à peine 15 ans après son admission en 2019. Ces retraits permettront de libérer environ 400 marins pour armer les 2 F-127 surnuméraires aux 4 F124 qu’elles remplaceront. De fait, en arriver à retirer du service un destroyer de 10.000 tonnes et 4 corvettes bien avant leurs limites d’âge, sans effort évident pour remplacer ces navires par des bâtiments plus performants ou mieux adaptés à la menace, indique qu’effectivement, les contraintes RH sur la BundesMarine, qu’elles soient légales ou sociales, représentent une contrainte majeure pour son éventuelle extension.

Il est donc probablement encore largement anticipé de s’attendre à ce que la prochaine classe de frégate F127 de la BundesMarine s’avèrera être un futur Super-Destroyer, comme c’est le cas pour le programme italien DDx qui prévoit de construire deux destroyers anti-aériens de 12.000 tonnes pour remplacer les destroyers de la classe Durand de la Penne. Non seulement les valeurs données par le Kieler Nachrichten ne font guère de sens en ce qui concerne la conception moderne de bâtiment de combat de surface, mais d’autres informations de recoupement semblent privilégier l’hypothèse de frégates aux dimensions beaucoup plus raisonnables, de l’ordre de 7000 tonnes pour moins de 160 mètres, et un armement embarqué en conséquence, très probablement 32 ou 48 silos verticaux Mk41 pour mettre en oeuvre des missiles anti-aériens à longue portée SM-2ER et des missiles anti-aériens à moyenne portée ESSM, soit des performances et des dimensions comparables aux frégates de la classe Constellation américaine.

Japon, Allemagne : va-t-on vers l’émergence de nouvelles armées hyper-technologiques ?

Pour Berlin et Tokyo, la tentation est grande de se diriger vers la constitution d’armées hyper-technologiques en s’appuyant sur leurs importants moyens pour répondre à leurs handicaps démographiques et sociétaux.

Quelques jours après le début de l’offensive russe contre l’Ukraine, le Chancelier allemand Olaf Scholz annonçait, devant le Bundestag, son intention d’amener l’effort de défense du pays « au-delà de 2% du PIB », rompant avec trois décennies de sous-investissements chroniques de la Bundeswehr, qui aujourd’hui tient davantage d’une administration que d’une armée opérationnelle.

Quelques mois plus tard, ce fut le tour du parti libéral démocrate nippon, qui dirige le pays depuis 2012, d’annoncer son intention d’augmenter considérablement l’effort de défense du pays, en brisant le plafond de fer qui limitait le financement des forces d’autodéfense japonaises à 1% du PIB, et de porter cet effort, là encore, à 2% de l’ensemble des ressources produites par le pays en une année.

Il y a quelques jours, le premier ministre nippon, Fumio Kishida, a réitéré cette ambition, afin de répondre aux tensions croissantes avec la Chine, y compris au sujet de Taïwan, mais également à la menace nord-coréenne.

Or, ces deux pays partagent de nombreux attributs, qui leur confèrent des spécificités uniques dans le domaine de l’effort de défense. En effet, Berlin comme Tokyo peuvent s’appuyer sur des ressources budgétaires très importantes pour les respectivement 4ᵉ et 3ᵉ économies de la planète, alors qu’ils font tous deux face à des contraintes démographiques considérables.

En outre, aucun d’eux n’est contraint par les importantes dépenses de défense liées à la mise en œuvre d’une force de dissuasion nucléaire, ni même d’une force de projection de puissance significative, du fait de leurs histoires communes héritées de la fin de la seconde guerre mondiale.

Comme nous le verrons, l’ensemble de ces facteurs tend à conférer aux futures forces armées allemandes et japonaises, des caractéristiques uniques, ouvrant la voie à l’émergence d’une nouvelle forme de forces armées, dites hyper-technologiques, au-delà de 2030.

Avec 220 avions de combat, la Luftwaffe est la seconde force aérienne en Europe, après le couple Armée de l’Air et de l’Espace, Aéronautique Navale français et ses 260 appareils.

En effet, à cette date, le PIB allemand devrait s’élever à 5.000 Md$, selon les hypothèses de croissance et d’inflation probables à ce jour. Avec un effort au-delà de 2%, la Bundeswehr disposera alors de plus de 100 Md$ chaque année pour son fonctionnement, 35% de plus que les budgets des armées françaises, britanniques ou même indiennes à cette date, selon les prévisions présentes.

Quant au Japon, avec un PIB déjà égal à 5.000 Md$ aujourd’hui, un effort de défense à 2% permettrait aux forces d’autodéfense nippones de disposer du troisième budget annuel de défense à plus de 115 Md$ par an en 2030.

À titre de comparaison, le budget de la défense nippon en 2022 est égal à 54 md$, lui permettant déjà de mettre en œuvre une force armée plus que respectable avec 250.000 hommes, un millier de chars de combat, 250 avions de combat, 22 sous-marins et 38 destroyers et frégates.

Quant à la Bundeswehr, si elle souffre d’évidentes défaillances liées à un empilement législatif hérité des 3 dernières décennies, elle n’en aligne pas moins 185.000 hommes et femmes, 327 chars lourds Leopard 2, 230 avions de combat, 6 (+2) sous-marins et 12 destroyers et frégates avec un budget de 48 Md$.

Dans le même temps, les deux forces armées, nippones et allemandes, sont fortement contraintes par la démographie de leurs pays respectifs. Ainsi, au Japon, si la population atteint aujourd’hui 125 millions d’habitants, celle-ci a déjà entamé, depuis plusieurs années, une lente décroissance qui devrait amener, à horizon 2050, la population de l’archipel nippon à seulement 100 millions d’habitants, et à 86 millions d’habitants en 2060.

Concomitamment, cette décroissance démographique s’accompagne d’un vieillissement très sensible de la population, l’âge médian tangentant déjà aujourd’hui les 50 ans, avec une espérance de vie au-delà de 85 ans et une fécondité sous la barre des 1,5 enfant par femme.

La situation est comparable pour l’Allemagne, avec une population de 83 millions d’habitants en légère décroissance (-0,1%/an) grâce à l’immigration, mais faisant face, là aussi, à un vieillissement net de la population avec un âge médian au-delà de 47 ans, et à une faible natalité avec un taux de fécondité de 1,46 enfant par femme.

Les armées hyper-technologiques peuvent être une réponse aux difficultés démographiques japonaises
Comme la BundesWehr, les Forces d’autodéfense nippones auront de très importantes difficultés pour faire croitre significativement leurs effectifs.

De fait, Tokyo comme Berlin font face à une crise démographique en devenir, venant directement menacer non seulement la croissance économique du pays, mais également les équilibres sociaux sur lesquels ils sont construits. En d’autres termes, ni l’un ni l’autre ne peuvent se permettre le luxe de faire croitre homothétiquement les effectifs de leurs forces armées à l’augmentation du budget prévu dans les 10 années à venir.

Il est même plus que probable que les effectifs actuels des forces armées ne soient destinés qu’à très peu évoluer dans les années à venir, si ce n’est un effort dans le domaine de la réserve qui sera, lui aussi, probablement limité. Rappelons que si l’Allemagne annonce un million de réservistes potentiels, elle ne dispose, dans les faits, que de 30.000 réservistes effectivement formés, alors que le Japon n’en dispose que de 56.000.

Enfin, et c’est un point des plus significatif, ni l’Allemagne, ni le Japon, ne disposent d’un couteux et contraignant arsenal nucléaire à entretenir et mettre en oeuvre, comme peuvent le faire la France et la Grande-Bretagne, même si la Luftwaffe participe à la mission de dissuasion partagée de l’OTAN.

De même, l’un comme l’autre, du fait de leurs constitutions respectives héritées de la fin de la seconde guerre mondiale, ne disposent de capacités de projection de puissance, leur permettant de concentrer leurs investissements de défense sur un périmètre opérationnel relativement réduit orienté vers les capacités défensives, que ne doivent le faire les autres grandes nations militaires, comme les États-Unis qui dépensent chaque année 65 Md$ pour le seul financement de la dissuasion, et plus de 100 Md$ pour maintenir une importante capacité de projection de puissance aérienne et navale.

les frégates lourdes F125 de la classe Baden-Wurtemberg sont caractéristiques de la conception allemande de l’effort de défense ante-ukraine, imposante, disposant de nombreuses capacités technologiques, mais extraordinairement sous armées.

L’ensemble de ces paramètres font émerger une caractéristique très particulière des armées nippones et allemandes à horizon 2030. En effet, sur la base d’une augmentation des effectifs limités et de l’augmentation annoncée des crédits de défense, chaque pays investira chaque année plus de 350.000 m$ par combattant (actif+réserve), plus du double de ce qu’investiront à cette date, la France (155.000 €/combattant), la Grande-Bretagne (170.000$/combattant), la Chine (145.000 $/combattant), et sans commune mesure avec certains pays comme la Russie (60.000 $) ou la Corée du Nord (1800$).

Seuls les États-Unis, avec 365.000 $ par combattant, feront jeu-égal avec le Japon et l’Allemagne, mais avec des contraintes beaucoup plus importantes, comme la dissuasion, la projection de puissance, mais également un modèle social des armées US très gourmand en ressources.

En outre, l’un comme l’autre devront faire face, dans les années à venir, à des menaces disposant d’un avantage numérique significatif, alors que les Armées russes évoluent déjà pour accroitre leur format au-delà de 2 millions d’hommes, que la Corée du Nord dispose d’une armée d’1,2 million d’hommes avec 600.000 réservistes, et que l’APL, avec 1,2 million d’hommes, peut s’appuyer sur un réservoir mobilisable de plus de 20 millions d’hommes entrainés et surnuméraires.

Pour y faire face, aucun des deux ne peut espérer, même en fléchant un budget supplémentaire significatif, accroitre le volume de ses forces , sauf à venir menacer directement l’outil productif, économique, et mettre en péril l’ensemble du modèle économique et social du pays.

Les récentes déclarations du Kremlin laissent supposer que les forces armées russes aligneront prochainement plus de 2 millions d’hommes, même si ceux-ci seront sans aucun doute mal équipés et mal entrainés.

Dans ce contexte, il ne reste plus guère qu’une alternative afin de valoriser efficacement le regain d’investissements envisagé par Berlin et Tokyo, à savoir se tourner vers une nouvelle forme de forces armées, remplaçant la masse traditionnelle par un apport technologique supplémentaire, qu’il s’agisse de solutions robotiques, de capacités de frappe et de défense à très forte valeur ajoutée, ou d’intégrer des solutions technologiques valant multiplicateur de force à tous les échelons, de sorte que le potentiel défensif effectif résultant de l’investissement soit bien proportionnel, d’un point de vue militaire, à l’effort budgétaire consenti.

En d’autres termes, la Bundeswehr, comme les Forces d’autodéfense nippones, pourraient bien se transformer au cours de la décennie à venir, pour prendre un nouveau statut, celui de force armée hyper-technologique.

Cette transformation a d’ailleurs déjà été, d’une certaine manière, entamée, aussi bien en Allemagne qu’au Japon ces dernières années. Ainsi, le programme européen de défense anti-aérienne et anti-missile Sky Shield présenté par Berlin il y a quelques semaines, repose précisément sur ce principe, en valorisant les capacités d’investissement de l’économie allemande qui ferait l’acquisition des onéreux missiles antibalistiques exoatmosphériques israéliens Arroi 3, au profit d’une quinzaine d’états participants au programme et qui, eux, ne seront dotés que de Patriote et d’Iris T, et donc de la valorisation de l’effort de défense.

Au Japon, de nombreux programmes hautement technologiques, qu’il s’agisse de la conception de drones Loyal Wingmen, d’armes à énergie dirigée, de Rail Gun et autres, ont été annoncés ces 3 dernières années, le pays étant également le plus important client export du F-35 américain, et s’étant engagé dans le développement de son propre avion de combat de 6ᵉ génération avec le soutien de la Grande-Bretagne et de l’Italie.

Reste qu’à ce jour, il est loin d’être évident qu’un avantage technologique, même massif, puisse se substituer efficacement à la masse dans la durée. Au contraire, si l’on en juge par les récents conflits, comme la guerre en Ukraine, ou dans le Haut-Karabakh, et même plus amont, comme la guerre d’Irak et d’Afghanistan, il apparait que l’avantage technologique, même s’il est souvent déterminant au combat, tant à s’éroder dès lors que les combats se prolongent, au profit de la masse.

De fait, si la dimension dissuasive visée par le futur technologique des armées allemandes et nippones sera très probablement renforcée de manière significative, le défi, pour Tokyo comme pour Berlin, sera bien d’imaginer une nouvelle forme de force armée, capable effectivement de compenser la masse par un avantage technologique, mais que cet avantage ne se désagrège pas dans la durée, alors que les stocks technologiques s’épuiseront rapidement, face à un adversaire déterminé ayant la possibilité d’absorber les pertes infligées sur cette période.

C’est sans le moindre doute là, bien plus que sur l’augmentation certes importante, mais contrainte, du budget consacré à l’effort de défense, que se jouera l’efficacité de cet investissement à venir. Faute de quoi, les armées allemandes et japonaises pourraient suivre l’exemple d’autres armées très bien dotées, disposant d’un avantage technologique très imposant, et pourtant réputées peu efficaces au combat, comme c’est le cas de certaines forces armées d’états pétroliers du golfe persique.

L’US Air Force réduit sa prochaine commande de ravitailleurs pour préparer l’arrivée des Tankers de nouvelle génération

Il y a quelques jours, l’US Air Force annonçait la première commande ouvrant la voie à une future commande de 26 avions d’alerte aérienne avancée E-7A Wedgetail pour remplacer en partie ses 34 E-3 Sentry entrés en service entre la fin des années 70 et le milieu des années 80, et qui commencent à sensiblement marquer le poids des années. Si cette commande permettra effectivement de renouveler une capacité critique pour la puissance aérienne américaine, il est également marquant que l’US Air Force a privilégié, acec cette décision, une solution relativement économique basée sur un appareil conçu initialement pour l’exportation par Boeing. De toute évidence, les E-7A Wedgetail de l’US Air Force auront une fonction de transition, en attendant l’arrivée d’appareils assurant ce même type de mission, mais adaptés à la nouvelle réalité de la menace marquée par des avions beaucoup plus difficiles à détecter et des missiles air-air dont la portée dépasse désormais les 200 km.

Les menaces qui touchent la flotte d’Awacs concernent de la même manière la très imposante flotte de ravitailleurs en vol de l’US Air Force, de loin la plus puissante de la planète avec prés de 550 tankers représentant plus de 80% de la flotte mondiale d’appareils de ce type. En effet, à l’instar des E-3 Sentry, les KC-135 stratotanker, KC-10 Extender et KC-130 Hercule ne peuvent désormais plus opérer à proximité des lignes d’engagement d’un adverse symétrique, comme peut l’être la Russie ou la Chine, tant les risques en matière de défense aérienne à longue portée mais également de chasseurs équipés de missiles air -air à très longue portée comme le R37M russe ou le PL15 chinois, sont importants. Malheureusement, il en va de même pour le KC-46A Pegasus de Boeing, commandé par l’US Air Force en 2011 au détriment de l’A330 MRTT d’Airbus, à 179 exemplaires pour remplacer les KC-135 les plus anciens.

Le missile air-air à longue portée R37M permet d’atteindre des cibles aériennes jusqu’à 400 km selon les informations russes

En dépit de problèmes à répétition survenus lors du développement du programme KCx, le premier KC-46A Pegasus a été livré en 2019 à l’US Air Force, et 70 appareils ont rejoint les unités opérationnelles américaines à ce jour alors que les appareils restants devront être livrés d’ici la fin de la décennie. Un second programme, désigné KCy, devait prendre le relais du programme KCx, pour remplacer les KC135 restants, soit plus de 160 appareils, au cours de la prochaine décennie. Opposant principalement, comme précédemment, le KC-46A de Boeing d’un part, et l’A330MRTT d’Airbus cette fois associé à Lockheed-Martin, ce programme semblait jusqu’ici relativement ouvert, le volume permettant de neutraliser les effets de la flotte près-existantes de KC-46A au sein de l’USAF. Malheureusement pour Airbus, et dans une moindre mesure pour Boeing, ni le Pegasus, ni le MRTT n’offre une survivabiltié sensiblement supérieure aux appareils actuellement en service, même si ces nouveaux tankers pourront recevoir des systèmes d’autodéfense renforcés composés de leurres, de brouilleurs radars et de laser à haute énergie. En effet, l’US Air Force vient d’annoncer que le programme KCy serait ramené à 75 appareils, de sorte à libérer des crédits et des capacités pour le programme KCz qui, lui, doit précisément developper un système capable de répondre à ces menaces.

Contrairement aux ravitailleurs traditionnels, le programme KCz prévoit en effet de se composer d’un tanker lourd mère, lui même furtif et évoluant en zone sécurisée, et de drones ravitailleurs furtifs capables d’évoluer en espace contesté pour ravitailler les avions de combat ainsi que les drones furtifs au plus près de la zone d’engagement, De fait, ce seront les drones, et non les avions de combat, qui devront effectuer les aller retour vers le ravitailleur principal de zone sécurisé, offrant aux aéronefs de combat une autonomie accrue au dessus de l’objectif ou de la zone à défendre. On remarquera que cette logique est identique à celle qui prévaut à la conception des avions de combat de 6ème génération, eux aussi s’appuyant sur des drones de combat pour pénétrer les zones contestées et engager les cibles, sans que l’avion de combat piloté n’ait à s’engager dans cet environnement à haut risque. C’est également, d’une certaine manière, la solution retenue par l’US Navy avec le drone ravitailleurs furtif MQ-25 Stingray, précisément conçu pour accompagner les chasseurs au plus près de l’engagement sans prendre de risques excessifs.

Projet de Lockheed-Martin pour le programme NGAS (Next Génération Aerial refueling System)

Si la décision de l’US Air Force de réduire le volume de KCy pour accroitre les crédits de KCz fait parfaitement sens du point de vue opérationnel et technologique, elle ne fait certainement pas les affaires d’Airbus, qui voit ses chances de positionner son A330 MRTT face au KC-46A Pegasus de Boeing se réduire drastiquement. En effet, les couts connexes à la mise en oeuvre des appareils, comme les capacités de maintenance et l’entrainement des équipages et personnels de maintenance, ainsi que les couts de modernisation, se trouveront repartis sur un nombre considérablement plus réduit d’aéronefs, 75 avions, là ou Boeing pourra virtuellement s’appuyer sur 254 appareils de sorte à présenter une équation budgétaire sensiblement plus attractive, ce en dépit des surcouts rencontrés par le programme de Boeing jusqu’ici, et un appareil également plus cher. Autrement dit, il ne ferait guère de sens pour l’US Air Force de s’encombrer d’un second modèle de ravitailleurs offrant des performances malgré tout relativement proches, sachant que d’une manière évidente, les programmes KCx et KCy ne seront au final qu’une flotte de transition dans l’attente d’une nouvelle génération de ravitailleurs adaptés à la réalité de la guerre aérienne en devenir.

On peut se demander, à ce titre, si l’époque qui permettait de convertir des appareils de transport civils en avions militaires, comme ce fut le cas du KC135 et de l’E-3 Sentry dérivés du Boeing 707, du Wedgetail dérivé du 737, du KC46A Pegasus du Boeing 767, ou encore du MRTT de l’A330, n’est pas désormais révolue. En effet, les appareils de soutien, ravitailleurs, Awacs, renseignement électronique ou patrouille maritime, souffrent désormais tous des mêmes vulnérabilités face aux évolutions des capacités de détection et d’engagement d’adversaires symétriques, alors même que ces appareils sont à la fois onéreux et armés d’équipages rassemblant de nombreux personnels hautement spécialisés. Si l’A330 MRTT rendra sans le moindre doute de précieux services aux forces aériennes le mettant en oeuvre dans les années à venir, il faut désormais probablement d’interroger sur la pertinence de s’appuyer sur des avions civils militarisés pour le développement des remplaçants des appareils de soutien à venir, y compris en Europe, tant les risques auxquels ses appareils seront confrontés au delà de 2035 ou 2040, seront incompatibles avec l’exécution raisonnable de la mission.

Le futur standard Rafale F5 peut-il évoluer vers un Super Rafale ?

La Rafale F5 est des plus prometteurs, on le voit maintenant. Il l’est, à ce point, qu’il se rapproche de plus en plus du concept de Super Rafale, évoqué dans de précédents articles, comme une alternative au programme SCAF, l’avenir de celui-ci étant menacé.

Il y a quelques jours de cela, le premier Rafale au standard F4.1 a été livré au Centre d’Expertise Aérienne Militaire, ou CEAM, au sein de la base aérienne 118 de Mont-de-Marsan. Ce nouveau standard dotera le Rafale de nouvelles capacités attendues, comme le viseur à casque, de nouveaux modes air-air et air-sol de son système d’engagement, une fusion de données étendues et un système d’auto-protection SPECTRA entièrement modernisé.

En outre, l’appareil pourra mettre en oeuvre de nouvelles munitions comme le missile air-air à courte et moyenne portée MICA NG qui promet d’être le meilleur de sa catégorie comme l’était le MICA au début des années 2000; la nouvelle bombe lourde de précision et propulsée A2SM de 1000 kg capable d’éliminer les bunkers les plus durcis, ainsi que la nouvelle nacelle de désignation Talios.

L’ensemble des Rafale F3R actuellement en service au sein des forces aériennes et aéronavales françaises, ainsi que probablement les appareils exportés, évolueront vers ce standard dans les années à venir. Quant aux nouveaux appareils qui seront livrés à partir de 2025, ils le seront au standard F4.2, qui offre les mêmes fonctionnalités, mais qui prépare l’arrivée d’une évolution majeure du Rafale à venir, le standard F5.

Les précédents standards permirent de faire évoluer les premiers F1 de la Marine Nationale limités aux missions air-air et F2 de l’Armée de l’Air dédiés aux missions air-sol, vers le standard F3 puis F3R omnirôle, puis vers le F4.1 qui permet au Rafale de s’approcher de la fameuse 5ème génération grâce à des capacités de traitement de données renforcées.

Les performances attendues du Rafale F5

Le standard F5, et avant lui le F4.2 qui lui pave la voie, représentent en revanche une évolution majeure de l’appareil tant dans le domaine technologique que capacitaire, obligeant le Rafale à évoluer physiquement pour accueillir les nouveaux systèmes et équipements. Première conséquence, les Rafale antérieurs à la version F4.2 ne pourront pleinement évoluer vers ce standard, et il est probable qu’une double branche d’évolution émergera à compter du standard F4. Surtout, le F5 disposera de capacités lui permettant de s’approcher non pas de la 5ème génération d’avions de combat comme le F-35 ou le Su-57, mais de la 6ème génération du SCAF ou du NGAD.

Le premier Rafale F4.1 est arrivé ce week -end au CEAM de Mont-de-marsan

En effet, le Rafale F5 disposera de capacités en rupture avec celles les précédents standards, comme la mise en oeuvre du nouveau missile nucléaire hypersonique ASN4G qui remplacera les ASMPA-Re, les nouveaux missiles de croisière et anti-navires issus des programmes FMAN et FMC franco-britanniques ainsi que, très probablement, une nouvelle munition antiradar, le F5 devant être en mesure de pénétrer et d’évoluer au dessus d’environnement non permissifs fortement défendus par les moyens anti-aériens qui existeront en 2035 et au delà.

Surtout, le Rafale F5 devra mettre en oeuvre et contrôler des drones de combat comme les Remote Carrier en cours de développement dans le cadre du programme SCAF, ce qui lui permettra d’étendre considérablement ses capacités de détection et d’engagement, ces drones étants précisément conçus pour emporter des détecteurs (radar, système électro-optiques, systèmes d’écoute électronique ..) ou des effecteurs (missiles, bombes, systèmes de brouillage ou de guerre électronique …).

C’est précisément cette dernière capacité qui permettra au Rafale F5 de se revendiquer de la 6ème génération d’avions de combat, ou tout au moins comme s’en rapprochant. Du fait de l’immense progression technologique et capacitaire caractérisant ce standard, son développement sera incontestablement plus long que les précédents, puisque l’appareil n’entrera pas en service avant 2035, et très probablement le plus cher, même si une partie des développements sera mutualisée avec le programme SCAF.

Pourtant, le F5 ne constituera pas, à proprement parler, un nouvel appareil, alors même qu’il rompra avec l’une des caractéristiques les plus attractives du Rafale tant pour les armées françaises qu’étrangères, à savoir son évolutivité. Dans ce contexte, ne serait-il pas opportun de developper non pas un nouveau standard, mais un véritable nouvel appareil dérivé du Rafale F4 comme purent l’être auparavant les Gripen E/F vis-à-vis des Gripen C/D, les F/A-18E Super Hornet vis-à-vis du F/A-18C/D Hornet, ou encore le Super Etendard vis-à-vis de l’Etendard IV ?

Bien que reprenant les lignes du Hornet, le Super Hornet est un nouvel appareil, sensiblement plus imposant et disposant de capacités significativement accrues lui permettant de remplacer, outre les premiers F-18, les bombardiers tactiques A-6 prowler et les chasseurs de supériorité aérienne F-14 Tomcat.

Pourquoi un Super Rafale ?

Pour répondre à cette question, il convient de définir, en premier lieu, ce que pourrait être un Super Rafale notamment vis-à-vis d’un Rafale F5 qui, d’une certaine manière, pourrait déjà revendiquer ce qualificatif. Il n’est en effet pas question qu’un éventuel nouvel appareil n’offre pas à minima les mêmes capacités que le F5.

En revanche, du fait d’un avion sensiblement redessiné, il serait possible de le doter de certaines caractéristiques faisant défaut au F5, comme une furtivité accrue notamment par l’emploi d’une soute à munition et d’une forme et de matériaux plus adaptés à ce besoin, mais également de meilleures performances, qu’il s’agisse de vitesse pour garantir la Super Croisière même avec des trainées (bidons, munitions), de l’autonomie de vol grâce à des réservoirs plus imposants (conformes ?), ou des capacités d’emport, notamment pour mettre en oeuvre les Remote Carrier, eux-mêmes armés.

Pour répondre à ces besoins tout en conservant les atouts de son prédécesseur, le Super Rafale devrait être plus imposant et plus lourd que le Rafale, mais également disposer d’une propulsion plus puissante.

Pour autant, et de sorte à réduire les couts de développement, le Super Rafale pourra s’appuyer sur les piliers technologiques du Rafale, comme le turboréacteur M88 puisque Safran a répété à plusieurs reprises qu’il était possible d’amener ce moteur à 8,5 voire 9 tonnes de poussée unitaire; le radar à antenne AESA RBE2 qui offre d’excellentes performances et une grande évolutivité, le nouveau système d’auto-protection SPECTRA du Rafale F4, ainsi que les nombreuses munitions du Rafale (missile Meteor, MICA NG, SCALP-EG/AM39 Exocet puis leurs remplaçants FMC/FMAN, bombes propulsées A2SM etc..).

Dit autrement, le Super Rafale serait, dans ce modèle, une sorte d’aboutissement logique du principe de Rafale F5, afin de mettre en adéquation complète la cellule, les systèmes de bord et les senseurs et effecteurs avec la réalité des missions à venir, tout en en optimisant le potentiel d’évolution comme le potentiel commercial.

Le développement d’un Super Rafale pourra s’appuyer sur de nombreux systèmes du Rafale F3R et F4, comme les missiles MICA NG et Meteor, et les bombes propulsées A2SM

Le Super Rafale permettrait en effet, en quelque sorte, de totalement réinitialiser le potentiel d’évolution de l’appareil, puisque la cellule et les systèmes de bord seraient redessinés précisément pour répondre aux besoins d’évolution à venir prévisibles en 2025, et qui ne pouvaient l’être en 1990 lorsque le Rafale fut conçu. Ainsi, les emplacements recevants les systèmes de bords critiques, comme le radar, pourront être redimensionnés et optimisés pour anticiper l’arrivée de systèmes plus volumineux, plus mobiles ou nécessitants une production électrique ou une capacité de refroidissement accrues.

De même, les réseaux d’un Super Rafale pourraient, eux aussi, être dimensionnés pour transporter les volumes de données ou la puissance électrique nécessaire pour alimenter ces nouveaux systèmes, alors que les turboréacteurs et l’APU (unité de puissance auxiliaire permettant aux systèmes de bord de fonctionner moteurs éteints, mais également de démarrer en autonomie) devront fournir la puissance électrique supplémentaire requise. Dit autrement, un Super Rafale offrirait par définition un potentiel d’évolutivité et d’adaptabilité très supérieur à celui dont disposerait un Rafale F5 même partiellement redessiné pour cela.

Des opportunités industrielles significatives

De fait, le Super Rafale représenterait une importante opportunité pour la BITD française de poursuivre les exportations de l’appareil au delà de 2030, alors que le Rafale F5, quant à lui, peinera probablement à convaincre du fait de sa filiation trop marquée avec un appareil de plus de 35 ans, ce alors que d’autres modèles modernes, comme le KF21 Boramae sud-coréen dès 2025, et le Tempest britannique dès 2035, offriront des capacités bien plus actuelles, ce sans parler de l’arrivée probable d’appareils russes (Su-57e, Su-75?) ou chinois (FC-31/J-35) de 5ème génération sur le marché international.

En outre, en s’appuyant sur l’excellente réputation du Rafale en termes de performances et de fiabilité, tout en offrant des capacités renouvelées mettant le Super Rafale à mi-chemin entre la 5ème et la 6ème génération, le nouveau chasseur français se positionnerait sur un marché en forte demande mais manquant d’offres adaptées et fiables, en particulier pour la sphère occidentale.

Le KF21 Boramae sud-coréen entrera en service d’ici 2025, et représentera une alternative très attractive face au Rafale Fn dans les années à venir

A ce titre, et au delà d’un potentiel export renouvelé pour au moins deux décennies, le Super Rafale pourrait être un parfait support de coopération internationale, de sorte à en réduire le poids budgétaire, peut-être même sensiblement en deçà du poids planifié du standard F5. Ainsi, en Europe, la Grèce mais également la Belgique ont déjà fait savoir qu’ils étaient prêts à s’engager industriellement et budgétairement dans le développement d’un appareil de nouvelle génération, ce que serait incontestablement le Super Rafale.

La Suède, pour sa part, pourrait y voir une excellente opportunité pour co-developper son programme Flygvapnet 2030 qui vise à concevoir le successeur du Gripen E/F. Au delà du vieux continent, les Emirats Arabes Unis et l’Egypte, deux opérateurs du Rafale, sont confrontés à d’importants arbitrages pour le remplacement de leurs flottes respectives de F-16, alors que tous deux ambitionnent de developper leurs propres BITD.

C’est également le cas de l’Arabie Saoudite pour le remplacement de ses Tornado et une partie de ses F-15, Riad ayant déjà ouvert certaines portes à Paris à ce sujet, tout en essayant, sans grand succès, d’embarquer à bord du programme FCAS rassemblant Grande-Bretagne, Italie et Japon.

Il est cependant important de noter qu’un programme Super Rafale ne serait en rien une menace pour le programme SCAF qui rassemble France, Allemagne et Espagne, bien au contraire. En effet, SCAF vise à developper un appareil pleinement conçu ab initio pour la 6ème génération, et qui devra voler jusqu’en 2100 aux dires de ses concepteurs.

Le Super Rafale, quant à lui, vise à fournir une plate-forme de transition entre le Rafale actuel et le SCAF, avec une durée de vie plus limitée entre 2035 et 2065/2070. En outre, SCAF sera plus lourd, plus complexe et probablement plus cher que Super Rafale, précisément du fait d’ambitions accrues. Par ailleurs, il ne peut être ignoré que le calendrier actuellement visé par SCAF, à savoir une entrée en service pour 2040, est de toute évidence optimiste, pour ne pas dire autre chose.

Si le programme européen venait à glisser, du fait de ses ambitions technologiques mais également des inévitables difficultés politiques et disputes industrielles qui ont déjà lourdement ralenti son développement, le Super Rafale permettrait aux armées françaises, mais également aux industriels, de rester performants sur la scène opérationnelle comme commerciale.

Enfin, si SCAF venait à péricliter, ce qui ne peut être exclu, le programme Super Rafale offrirait à la France les délais nécessaires pour sereinement developper un autre programme, seule ou avec de nouveaux partenaires.

Les Remote Carrier sont développés par Airbus et MBDA dans le cadre du programme SCAF, mais entreront en service avant le NGF pour équiper les Rafale français ou les Typhoon allemands et espagnols

Super Rafale et programme SCAF

A ce titre, le programme Super Rafale pourrait même contribuer à réduire les tensions au sein de programme SCAF. En effet, au delà des questions de délais divergents liés à l’arrivée de F-35 en Allemagne (et probablement en Espagne), le programme Super Rafale permettrait de préserver les compétences industrielles françaises menacées par le partage industriel au sein du programme SCAF, notamment dans le domaine des systèmes embarqués, des munitions et drones, de la simulation et du cloud.

D’autre part, il permettrait de simplifier SCAF, par exemple en supprimant de ce programme la capacité aéronavale embarquée réclamée uniquement par la France, et qui est fréquemment mise en avant par Berlin comme un exemple du tant redouté « l’Allemagne paie pour la France« .

Paradoxalement, si l’aéronavale française venait à s’équiper de Super Rafale plutôt que de NGF, il serait également très probablement possible de réduire les dimensions du futur porte-avions de Nouvelle génération ou PANG, mais également de ses catapultes, ce qui entrainerait une baisse sensible des couts de conception comme de construction, au point qu’il pourrait même être possible, sur la base d’un navire de 50.000 tonnes conçu pour mettre en oeuvre des super Rafale, de construire deux navires pour le prix d’un unique PANG lourd de 75.000 tonnes prévu pour les NGF.

On notera également qu’un Super Rafale plus lourd mais affilié au Rafale, permettrait aux forces aériennes et aéronavales françaises de developper une version spécifique de l’appareil dédiée à la suppression des défenses anti-aériennes adverses, comme ce fut le cas pour l’EA-18G Growler de Boeing sur la base du F/A-18F Super Hornet.

En effet, un appareil de ce type est nécessairement biplace, pour répondre à la charge de travail dans le cockpit, et se doit de disposer de capacités de production électrique et de transfert de données accrues vis-à-vis d’un chasseur traditionnel.

Or, c’est précisément ce même cahier des charges qui s’applique au développement du Super Rafale qui, en lieu et place de brouilleurs puissants et de missiles anti-radiations, devra mettre en oeuvre des Remote Carrier, eux aussi impliquant une surcharge de travail obligeant probablement un équipage à deux, et des capacités énergétiques et de communication accrues.

Dit autrement, le Super Rafale constituerait, par sa conception, une plate-forme de choix pour le développement d’une version SEAD de l’appareil, alors que la production du Growler prendra fin en 2025, et qu’aucun autre appareil de ce type n’est en préparation en occident.

Plus petit et plus léger que le NGF, le Super Rafale permettrait de concevoir un PANG plus compact et plus économique

Conclusion

On le voit, la question du développement d’un Super Rafale en lieu et place du Rafale F5, se pose véritablement, tant les opportunités surpassent les risques, et les forces neutralisent les faiblesses d’un tel programme.

Qui plus est, la levée de doute quant à savoir si l’appareil aura effectivement l’attractivité internationale escomptée, est relativement simple à avoir, puisqu’il suffirait d’aborder le sujet d’une coopération autour de ce programme avec les autorités grecques, émiliennes ou saoudiennes, et d’évaluer leurs réponses pour en déterminer la viabilité du programme. Il est rare qu’un programme majeur comme celui-ci puisse être soumis à un arbitrage de type Go-No Go aussi indiscutable et trivial à mettre en oeuvre.

Le drone de combat aéroporté Longshot de la DARPA volera en 2024

L’arrivée des drones de combat coopératifs conçus pour épauler et étendre les capacités des avions de combat constituera, dans les années à venir, une évolution de la guerre aérienne aussi radicale que celle qui suivi l’arrivée du turboréacteur ou du missile air-air. Qu’il s’agisse de drones lourds comme le drone Okhotnik-B russe, de drones consommables comme le Valkyrie de Kratos, ou de drones aéroportés comme les Remote Carrier de MBDA et Airbus développés dans le cadre des programmes SCAF et FCAS européens, ces équipements vont non seulement apportés des capacités inédites, mais également changer en profondeur la conduite des opérations aériennes de combat. A ce titre, et bien davantage que la furtivité ou la fusion de données, ces drones et les appareils qui seront capables de les contrôler, formeront à coup sur une vraie nouvelle génération d’avions de combat.

C’est dans ce contexte que se positionne le programme Longshot de la DARPA. lancé en 2021, celui-ci vise à developper un drone de combat aéroporté, comme le Remote Carrier européen, pouvant être mis en oeuvre à partir d’un chasseur ou d’un bombardier, et capable de transporter des détecteurs (radar, systèmes de détection électronique ou électro-optiques) et des effecteurs (missiles air-air, air-sol ou air-surface; système de guerre électronique, bombes et munitions guidées), et pouvant être directement controlé à partir d’un avion de combat comme le F-35 Lignthing II ou les futurs NGAD de l’US Air Force et de l’US Navy. La phase I, ayant rassemblé General Atomics mais aussi Lockheed-Martin et Norton Grumman, qui devait mener une étude initiale, ayant pris fin au début de 2022, la DARPA annonça le passage en Phase II d’étude de faisabilité pour General Atomics en mars 2022, avec une échéance de une année, comme c’est souvent le cas pour la DARPA qui mène ses programmes tambour battant.

La vision publiée par Northrop-Grumman du programme Longshot de la DARPA

Selon le porte-parole de General Atomics, C. Mark Brinkley, l’étude de faisabilité a été transmise en temps et en heures à la DARPA, de sorte que General Atomics attend désormais la prochaine notification du contrat pour la Phase III, qui consistera à la conception d’un prototype qui devra voler en 2024. On notera que le fait que General Atomics ait bénéficié d’une exposition suite à l’attribution du contrat de la Phase II, ne signifie en rien que Lockheed-Martin et/ou Northrop-Grumman aient été exclus du programme, ni que General Atomics est aujourd’hui le seul industriel qui se verra attribué un contrat de prototypes de la Phase III. Il est d’ailleurs probable que ni la DARPA, ni l’US Air Force sponsor de ce programme, ne souhaite qu’un unique industriel développe les prototypes, sachant que cette technologie est aujourd’hui au coeur de la stratégie US pour tenter de contrôler la montée en puissance des forces chinoises.

Reste que le développement du ou des drones ne constitue, dans ce domaine, qu’une partie des enjeux technologiques. En effet, l’intégration du contrôle de ces drones dans le cockpit d’un avion de combat, et des systèmes de communication permettant à cet appareil de communiquer efficacement et de manière sécurisée avec son ou ses drones de soutien, représentent des enjeux au moins aussi délicats, ce d’autant que pour être effectivement performants, ces drones devront évoluer à une certaine distance, si pas une distance certaine, de l’avion contrôleur. En outre, et contrairement aux drones actuels qui demeurent contrôler par des pilotes déportés, ces derniers devront disposer d’une autonomie largement accrue, de sorte que le contrôle assuré par l’équipage du chasseur de supervision soit compatible avec la charge de travail dans le cockpit.

Le Su-57 pourra mettre en oeuvre jusqu’à 4 drones de combat lourds Okhotnik-B selon la communication russe

Reste qu’une fois ces difficultés surmontées, un chasseur piloté capable de mettre en oeuvre un ou plusieurs de ces drones de combat, deviendra de fait un avoine combat de 6ème génération, et sera très supérieur, en matière de capacités opérationnelle, à n’importe quel appareil qui serait dépourvu de cette capacité, fut il de 5ème génération. De fait, le Rafale F5, tel que défini aujourd’hui, et qui devra précisément mettre en oeuvre à horizon 2035 des drones de type Remote Carrier, sera un appareil de nouvelle génération, comme devrait l’être le Su-57 qui devrait être capable, selon les dires russes, de contrôler des drones Okhotnik-B, ou du F-35 qui devra mettre en oeuvre le drone issu du programme de recherche Longhsot de la DARPA, ainsi qu’évidemment les appareils de nouvelle génération issus des programmes NGAD et SCAF/FCAS.

Le budget de la défense chinois aura progressé de 30% entre 2019 et 2023

A l’occasion de l’ouverture de la session annuelle de l’Assemblée populaire nationale (NPC) chinoise, le rapport budgétaire publié établit un budget annuel de 1,5537 billions de yuans, soit 210 Md€, une hausse de 7,2% vis-à-vis du budget 2022 de 1,450 billions de yuan, et alors que ce même rapport anticipe une croissance de 5% pour l’économie chinoise pour 2023. Selon les nombreuses déclarations d’officiels chinois autour de cette hausse, celle-ci demeurerait raisonnable face au 830 Md$ de budget des Etats-Unis, et alors que l’ensemble des états en Europe et en Asie augmente sensiblement leurs propres investissements. Pour autant, et même s’il demeure parfaitement exact que la Chine ne dépensera en 2023 que 1,5% de son PIB en matière de Défense, très loin des 3,7% américains ou même des 2% recommandés par l’OTAN, Pékin aura vu ses dépenses mitaines presque doubler depuis 2013, et croitre de plus de 30% sur les seules 4 dernières années, avec une hausse moyenne annuelle de 7%.

Depuis le début des années 90 et l’entame de 30 années de très forte croissance économique , et alors que son PIB passait de 360 Md$ en 1990 à 17,950 Md$ en 2022, Pékin n’a jamais « surjoué » son effort de défense, avec une hausse moyenne et constante de l’ordre de 7% par an, permettant à ce dernier de passer de 10 Md$ en 1990 à 210 Md$ en 2023, alors que dans le même temps, à titre de comparaison, le budget défense US passait de 325 Md$ à 830 Md$, et le budget français de 30 Md$ à 56 Md$. De fait, et en dépit d’un effort de défense qui diminuait sensiblement face au PIB en passant de plus de 3% à 1,5% du fait de la très forte croissance de l’économie chinoise ces 30 dernières années, le budget des armées chinoise, lui, progressait proportionnellement 7 fois plus vite que le budget des Etats-Unis, et plus de 10 fois plus vite que le budget français ou japonais, ce dernier étant passé de 30 md$ à 60 Md$ entre 1990 et 2023.

Les crédits supplémentaires alloués aux armées chinoises permettront d’accélérer leur modernisation, avec l’acquisition d’équipements de nouvelle génération comme le chasseur embarqué furtif J-35

Au delà des comparaisons immédiates des budgets et efforts de défense entre la Chine et ses principaux compétiteurs géopolitiques, il convient, pour prendre en considération la dynamique en cours, d’ajouter plusieurs indicateurs dans la grille d’analyse. En premier lieu, la croissance chinoise excède sensiblement celle des Etats-Unis, de sorte que, selon les projections, le PIB chinois dépassera le PIB des Etats-Unis entre la fin de la présente décennie et le milieu de la prochaine, et ce même si les échanges internationaux avec Pékin venaient à diminuer, l’économie chinoise pouvant désormais s’appuyer en grande partie sur sa consommation intérieure pour générer sa propre croissance. En second lieu, et comme l’indique l’effort de défense chinois aujourd’hui qui ne représente que 1,5% de son PIB, les autorités chinoises disposent d’une importante réserve budgétaire mobilisable pour accroitre les dépenses de défense au besoin, ce d’autant que le pays n’est que très peu endetté, au contraire des pays occidentaux. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, les industries de défense chinoises produisent désormais des équipements parfaitement à niveau des équipements occidentaux du point de vue technologique, tout en étant considérablement moins chers, de l’ordre de 30% vis-à-vis des équipements européens, et de 50% vis-à-vis des équipements américains, alors qu’un militaire chinois coute, quant à lui, en moyenne 3 fois moins cher qu’un militaire européen dans une armée professionnelle comme la France.

L’excellence de la planification militaire chinoise constitue, elle aussi, un critère à prendre en considération pour évaluer la réalité de l’effort de défense chinois. En effet, avec une croissance budgétaire de l’ordre de 7% par an, Pékin est parvenu à developper de manière très efficace, non seulement une force armée parfaitement moderne et sans commune mesure avec ce qu’était l’Armée Populaire de Libération à la sortie de la Guerre Froide, mais également une très performante industrie de défense lui permettant désormais de ne plus dépendre de technologies importées d’Europe ou de Russie, comme c’était le cas auparavant. De fait, il n’était probablement ni nécessaire, ni même pertinent, pour Pékin d’accroitre davantage la croissance de ses investissements de défense, même si ces derniers demeuraient sous la barre de la croissance économique, pour atteindre des résultats optimums dans une dynamique de croissance maitrisée. En revanche, il est plus que probable qu’alors que la croissance économique chinoise tendra à baisser dans les années à venir pour s’établir autour de 3,5 à 4%, celui du budget des armées continuera à stagner autour de 7% par an, de sorte que l’effort de défense, lui, progressera significativement dans les années à venir.

Le Chinois Norinco développerait un remplaçant au char de bataille Type 99A, aujourd’hui le char le plus moderne au sein de l’APL

Dès lors, sur la présente trajectoire, le budget des armées chinoises atteindra 350 Md$ en 2027 pour le centenaire de la création de l’APL, et tangentera les 500 Md$ en 2035, soit la moitié du budget des Etats-Unis à cette date, par ailleurs sensiblement moins efficace en matière de conversion en matière de capacités militaires. D’autre part, comme nous l’avions déjà étudié dans un précédant article, la Chine dispose d’un surplus de population masculine qui atteindra 25 millions d’hommes entre 20 et 40 ans en 2030 potentiellement mobilisable car ne jouant aucun rôle significatif dans la démographie du pays. De fait, et contrairement aux annonces faites par les autorités chinoises présentant l’effort actuel comme « raisonnable », il ne fait aucun doute que d’ici 2027, les forces armées chinoises auront atteint un effort de modernisation et de croissance relatif supérieur à celui consenti par les Etats-Unis dans le Pacifique, et qu’en 2035 il dépassera celui des Etats-Unis et de leurs alliés du Théâtre Pacifique. Sachant qu’il faudra une quinzaine d’années pour que cet effort annuel donne sa pleine puissance sur l’ensemble des armées chinoises, dans la trajectoire actuelle, Pékin disposera bien en 2049, pour le centenaire de la création de la République Populaire de Chine, de la plus puissante armée sur la planète, surpassant sensiblement les Armées US.

Si la trajectoire est relativement aisé à modéliser, les solutions qui pourraient permettre aux Etats-Unis et au bloc occidental d’y répondre, sont loin d’être évidentes. En effet, si plusieurs alliés des Etats-Unis, notamment le Japon et de nombreux pays européens, peuvent encore faire croitre leurs efforts de défense et ainsi renforcer leurs investissements, il semble désormais très difficile aux Etats-Unis comme en Europe ou au Japon, de rattraper la dynamique chinoise, d’autant que l’avantage technologique occidental au coeur du rapport de force en Europe et au Moyen-Orient durant la Guerre Froide n’est plus d’actualité, même si le renforcement des alliances au sein de bloc occidental constituera incontestablement une mesure indispensable mais insuffisante pour y parvenir. Nul doute que cette équation est désormais au coeur des préoccupations du Pentagone, si pas encore des planificateurs européens qui continuent de vouloir ignorer les conséquences à venir de l’évolution des dépenses de défense chinoises.