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Le Japon et la Corée du Sud esquissent un rapprochement sur fond de tensions régionales croissantes

Pour faire face à la montée en puissance des armées chinoises mais également nord-coréennes et russes sur le théâtre du Pacifique occidental, Washington peut d’appuyer sur 3 alliés de poids, militairement performants et modernes : le Japon, la Corée du Sud et Taiwan. Malheureusement pour les Etats-Unis, et contrairement à la situation en Europe où les adversaires d’hiers ont su mettre un terme à leurs tensions passées pour faire face à l’Union Soviétique dès la fin des années 40, les risques sur le théâtre Pacifique étaient, si pas moindre, en tout cas plus localisés, sur l’ensemble la Guerre Froide. De fait, loin d’être contraints de faire cause commune face à une menace supérieure, Tokyo, Taipei et Séoul ont suivi des trajectoires divergentes en matière de coopération de défense, alors que les tensions héritées des exactions perpétrées par les Armées Impériales Nippones pendant toute la première partie du XXème siècle sur ces deux voisins, étaient régulièrement exacerbées par les mouvements nationalistes à des fins de politiques internes.

Ainsi, en 2020, alors que les 3 pays dépendent directement des Etats-Unis pour leurs Défense, qu’ils partagent des menaces majeures communes et qu’il existe d’importantes dépendances économiques entre eux, leurs forces armées ne collaboraient pas, ni même échangeaient des informations pourtant critiques pour tous, comme la détection des lancements de missiles nord-coréens. Depuis, notamment du fait de l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants au Japon et en Corée du Sud, et surtout de l’augmentation très sensible de la perception de la menace chinoise et nord-coréenne, les relations entre les pays ont commencé à évoluer. Ce fut notamment le cas en mars 2021, à l’occasion de la visite du Secrétaire à la Défense Américain Lloyd Austin, lorsque le ministre de la défense nippon Nobuo Kishi a confirmé que les forces américaines stationnées au Japon pourraient employer les bases nippones pour soutenir les forces armées taïwanaises, celles-ci venant à faire face à une attaque chinoise. Depuis, les choses ont encore évolué, notamment à l’occasion de la publication du nouveau Livre Blanc sur la Défense japonais à l’été 2022, qui désigne la Chine mais également la Russie comme des menaces majeures, et de désigner l’autonomie de fait de Taïwan comme un enjeu sécuritaire critique pour le pays.

La Corée du Nord a procédé en 2022 à prés de 88 tirs de missiles balistiques et de croisière, en grande partie vers la Mer du Japon, alors que la Corée du Sud et le Japon ne partagent plus leurs informations de détection depuis 2019

La situation était cependant plus complexe entre Tokyo et Séoul. En effet, sous l’impulsion du gouvernement de Moon Jae-in, les relations entre les deux pays s’étaient considérablement dégradées en 2019, après que la Cours Suprême sud-coréenne ait confirmé la validité d’une décision gouvernementale exigeant le paiement par le Japon de dommages et intérêts envers la Corée du Sud pour le travail forcé de sa population sur la période d’occupation nippone de la péninsule de 1910 à 1945, alors que pour Tokyo, cette question avait été réglée par les accords et les compensations économiques accordées en 1965 puis en 1998. Ces tensions, initialement économiques, entrainèrent la détérioration sensible de la coopération militaire pourtant loin d’être très avancée entre les deux pays, avec notamment la fin de la coopération en matière de détection de missiles balistiques lancés par la Corée du Nord. C’est très probablement pour retrouver une coopération désormais indispensable au deux pays face à la multiplication des tirs de missile par Pyongyang, mais également pour coopérer face aux incursions de plus en plus nombreuses et importantes des flottes navales et aériennes chinoises et parfois russes, que le ministre sud-coréen des Affaires étrangères Park Jin a annoncé ce week-end lors d’une conférence de Presse, que le gouvernement sud-coréen travaillait sur un nouveau plan qui permettrait, potentiellement, aux deux pays de renouer des liens économiques et surtout militaires plus approfondis.

Pour contourner la contrainte liée à la décision de la cours suprême sud-coréenne, Park Jin et le président Yoon Suk-yeo, ont en effet imaginé un mécanisme de contribution volontaire des entreprises japonaises dans l’économie du pays, valant compensation pour le travail forcé des sud-coréens sur la période 1910-1945. Cette approche, toute asiatique, permet dès lors au Japon de s’engager dans un plan de compensation, sans qu’il apparaisse être contraint par une législation extérieure de le faire. Ce plan a le mérite d’être simple à mettre en oeuvre, notamment du fait qu’il ne nécessite pas la signature d’un accord international. Toutefois, comme l’on fait remarqué plusieurs observateurs, cette souplesse représente également une vulnérabilité significative, puisque l’accord ne tiendra que tant que le gouvernement de Yoon Suk-ye tiendra.

La flotte sud-coréenne est, à l’instar de la flotte nippone, en pleine évolution et modernisation

Reste que cette brique pourrait permettre non seulement aux deux pays d’améliorer leurs coopérations en matière de défense, mais surtout d’ouvrir des opportunités importantes pour les Etats-Unis afin d’étendre le concept de défense collective comparable à celle en place au sein de l’OTAN dans le Pacifique, au travers de l’alliance AUKUS. Pour le Pentagone, en effet, le fait de devoir piloter la défense du Japon et de la Corée du Sud, deux pays qui dépendent considérablement de l’appui des forces américaines pour leur propre défense, de manière indépendante alors qu’ils partagent le même théâtre et les mêmes menaces, représente un casse-tête tant logistique qu’opérationnel, altérant sensiblement l’efficacité des forces armées américaines déployées sur ce théâtre. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le Département d’Etat se soit félicité de cette initiative sud-coréenne, par ailleurs également bien accueillie par Tokyo, ce d’autant plus qu’il est probable que Washington ait joué un rôle sensiblement plus significatif qu’il n’y parait pour lui donner naissance. A voir, désormais, si la dynamique lancée sera suffisante pour effectivement intégrer les deux pays dans une alliance militaire plus étendue, ce qui représenterait incontestablement un atout majeur pour faire face aux menaces spécifiques à ce théâtre.

La flotte chinoise a mené son premier exercice amphibie à longue distance

Si le renforcement rapide de la flotte chinoise est désormais connu de tous, les très importants efforts consentis par l’Armée Populaire de Libération pour entrainer ses équipages et parfaire leur maitrise du combat naval moderne, le sont beaucoup moins.

Pourtant, qu’il s’agisse des unités de surface, aéronavales, amphibies, logistiques et sous-marines, toutes participent à de nombreux exercices selon des scénarios de plus en plus évolués, et faisant souvent appel à des tirs de munitions, précisément pour accroitre l’aguerrissement des marins et de leurs officiers.

Ainsi, il est fréquent désormais que les grandes unités navales, destroyers, frégates, porte-avions ou navires d’assaut, participent chaque année à plusieurs exercices de grande envergure, ou à des déploiements distants, selon un rythme sensiblement plus dense que celui imposé aux unités des marines occidentales.

À l’instar de la montée en puissance maitrisée de l’outil industriel produisant les nouveaux bâtiments de la Marine chinoise, le programme de montée en compétence des équipages semble, lui aussi, avoir fait l’objet d’une planification très précise et efficace, avec une progressivité rapide, mais maitrisée permettant l’assimilation et les retours d’expérience.

C’est ainsi que, ces dernières années, la Marine chinoise a procédé à des dizaines d’exercices amphibies mettant en œuvre un nombre croissant de navires et d’unités de projection de puissance, parfois sur des côtes assez similaires à celles qui bordent l’ile de Taïwan. Toutefois, jusqu’à présent, ces exercices s’étaient toujours tenus à proximité, voire sur les cotes chinoises, ce qui en simplifiait de nombreux aspects. Ce n’est désormais plus le cas.

La Marine et le corps des marines chinois ont mené de très nombreux exercices simulant des assauts amphibies ces dernières années, mais tous eurent lieu dans un périmètre géographique limité autour de ses côtes

En effet, selon le site Globaltimes.cn, très proche du PCC, la marine de l’APL a mené, il y a quelques jours, un premier exercice amphibie qualifié de « distant », c’est-à-dire reproduisant une projection de puissance sans s’appuyer sur des forces continentales.

Ainsi, le nouveau porte-hélicoptères d’assaut Type 075 Hainan, entré en service il y a tout juste 6 mois, escorté du destroyer anti-aérien Type 052D Hohhot, de la frégate anti-sous-marine Type 054A Liuzhou et du pétrolier ravitailleur Type 901 Chaganhu, ont mené conjointement un exercice simulant un assaut aéro-amphibie pour projeter des marines chinois à l’aide d’hélicoptères et d’aéroglisseurs, lors d’une mission de 30 jours dans le Pacifique occidental et d’un périple de 9000 nautiques.

Le site exact de l’exercice n’a pas été divulgué, pas davantage que le volume de forces projetées. Pour autant, il s’agit tout à la fois d’une première pour l’APL, lui permettant d’accumuler de l’expérience dans ce type d’exercice, mais également d’un message à l’US Navy : la flotte chinoise peut désormais intervenir au-delà du premier cercle d’iles entourant la Mer de Chine.

En effet, pour les stratèges américains, et notamment pour le corps des Marines, l’une des plus grandes craintes autour d’une potentielle confrontation avec la Chine, serait que Pékin mette en œuvre une stratégie comparable à celle qu’avait appliquée l’Empire du Japon dans le Pacifique suite à l’attaque de Pearl Harbor.

Rappelons qu’en s’appuyant sur l’effet de sidération des forces américaines consécutif de l’attaque surprise sur la plus grande base navale américaine du pacifique, les forces nippones étaient parvenues à s’emparer de l’ensemble des iles séparant le continent de l’Australie en seulement six mois, atteignant jusqu’à la Papouasie-Nouvelle-Guinée, alors que dans le même temps, une grande partie du continent asiatique, de la Corée à la Birmanie, tombait sous contrôle japonais.

Plus mobiles et réactives que les forces US en ce début de conflit, les forces japonaises ont tout simplement submergé toutes les défenses américaines et alliées, y compris en prenant des zones d’appui considérées renforcées comme Singapour pour les Britanniques, et les Philippines pour les Etats-Unis.

La flotte chinoise d'assaut amphibie dispose de 9 LPD TYPE 071
Les LPD Type 071 ont été les premiers grands navires d’assaut à entrer en service au sein de la Marine chinoise en 2007

C’est précisément ce type de scénario que redoute l’US Marines Corps, mais également l’US Army, sachant précisément que la Marine Chinoise s’est dotée, ces dernières années, de navires capables de mener de telles missions jusque-là l’apanage de l’US Navy, et dans une bien moindre mesure, de la Marine russe et des marines françaises et britanniques.

Elle disposera, d’ici à 2030, de 9 grands navires d’assaut Type 071 de 25.000 tonnes plus imposants que les 12 LPD des classes Whidbey Island et Harpers Ferry de l’US Navy, et probablement d’autant porte-hélicoptères d’assaut Type 075 de 40.000 tonnes similaires aux 8 LHD classe Wasp en cours de remplacement par le LHA classe America de même tonnage.

Surtout, la Marine chinoise disposera toujours d’une vaste flotte de près de 60 transports de chars de 1000 à 5000 tonnes Type 072/73 et 74, lui conférant une grande capacité de projection de puissance à moyenne distance, très supérieure à celle dont dispose l’US Marine Corps.

De fait, l’exercice mené il y a quelques jours par le Hainan et son escorte, est bien plus significatif que le communiqué ne laisse paraitre, en particulier aux yeux des planificateurs américains. Il faudra probablement encore plusieurs années, et de nombreux exercices au corps des Marines et à la Marine chinoise pour atteindre sa pleine capacité opérationnelle.

Toutefois, il ne fait aucun doute que Pékin entend, en développant ce type de capacités, multiplier ses options tactiques et stratégiques dans l’hypothèse d’une confrontation avec les Etats-Unis, de sorte à forcer les armées américaines à combattre sur un terrain et dans un environnement les plus défavorables possible, l’empêchant ainsi de concentrer ses moyens et sa puissance de feu, notamment aérienne, encore susceptibles de prendre l’avantage sur les performantes, mais encore peu expérimentées troupes chinoises.

Les avions d’Alerte Aérienne Avancée Awacs ont-ils encore leur place dans la guerre aérienne moderne ?

Les armées occidentales tirent, depuis la Seconde Guerre Mondiale, une grande partie de leur puissance de feu de leurs forces aériennes. Toutefois, à partir du milieu des années 50, ce n’était pas tant la qualité relative de leurs chasseurs et bombardiers face aux appareils soviétiques, que la puissance de la flotte de soutien, qui porta la supériorité aérienne occidentale. C’est ainsi qu’en 1957 entra en service l’avion ravitailleur KC-135 Stratotanker qui, sur la base d’une cellule de Boeing 707, permettait de ravitailler en vol d’abord les bombardiers stratégiques de l’US Air Force, puis la flotte de chasse alors que les nouveaux chasseurs étaient dotés de perche ou puis de ravitaillement. L’appareil fut produit à 803 exemplaires jusqu’en 1965, et fut notamment acquis par l’Armée de l’Air française. C’est en 1955 qu’entra en service un second type d’appareils clés pour les forces aériennes occidentales, le Lockheed EC-121 Warning Star. Développé dès 1949 sur la base de l’avion de transport Constellation, ce quadrimoteur à piston était équipé de deux radômes radars, l’un sur le dos, l’autre sous la queue, et avait pour mission de détecter les appareils mais également les navires adverses, au delà de l’horizon radar des radar terrestres ou de surface. Les 262 exemplaires produis servirent uniquement dans les forces américaines, et furent retirés du service en 1978 par l’US Air Force, et 1982 par l’US Navy.

Le Warning Star fut remplacé par deux appareils encore en service aujourd’hui. L’US Navy développèrent, au début des années 60, un appareil assurant ces fonctions tant à partir de bases terrestres qu’à bord de ses porte-avions pour remplacer les peu performants E-1 Tracer. L’E-2A Hawkeye entra en service en 1964. Equipé d’un radar coupole rotatif, il ne donna toutefois pas satisfaction et fut rapidement replacé par l’E-2B qui, grâce à un nouvel ordinateur, offrait des capacités de détection bien supérieures à celles de son prédécesseur. Mais c’est avec la version E-2C que le Hawkeye obtint ses lettres de noblesses, et se généralisa à bord des porte-avions US. Il fut également choisi par plusieurs forces aériennes, dont Israel et le Japon, pour faire office d’appareil de veille aérienne avancée à partir de bases terrestres. La France, pour sa part, en acquit 3 exemplaires à la fin des années 90 pour armer le porte-avions Charles de Gaulle à bord de la flottille 4F auparavant équipée d’Alizée.

L’Armée de l’Air et de l’Espace met en oeuvre 4 E-3 Sentry modifiés pour emporter des équipements de détection et de protection de facture nationale

L’US Air Force, quant à elle, développa l’E-3 Sentry, qui est également connu sous le nom d’Airborne Warning and Control System, ou AWACS. A l’instar du KC-135, l’E-3 a été conçu sur la base du Boeing 707, et mettait en oeuvre le puissant radar coupole AN/APY-1 équipé d’une antenne électronique passive. Très performant, car capable de détecter des appareils à moyenne et haute altitude jusqu’à 650 km, et des appareils évoluant à basse ou très basse altitude à 400 km. Il fut construit à 68 exemplaires, dont 18 pour l’OTAN, 7 pour la Royal Air Force, 4 pour l’Armée de l’Air française, 5 pour l’Arabie Saoudite et 34 pour l’USAF. Cet appareil constitua le pilier de la guerre arienne lors de la dernière décennie de la guerre froide, et joua un pole crucial dans les guerres ayant suivi, comme la guerre du Golfe en 1990/1991, les guerres de Yougoslavie et la Guerre du Kosovo de 1994 à 1998, jusqu’à la surveillance de l’espace aérien européen aujourd’hui face à la guerre en Ukraine. Paradoxalement, alors que ces appareils ont été au coeur de la stratégie aérienne américaine et occidentale ces 4 dernières décennies, aucun successeur n’avait été développé par l’US Air Force, comme ce fut le cas par exemple du KC-46A et de son alternative européenne l’A330MRTT pour le KC-135. Et si celle-ci vient d’annoncer la future commande de 26 E-7A Wedgetail précisément pour remplacer ses E-3 vieillissants, force est de constater qu’il s’agit davantage d’une mesure d’urgence que d’une stratégie de long terme pour l’USAF, alors que les Sentry montrent de plus en plus de faiblesses opérationnelles.

Il faut dire que l’équation opérationnelle qui encadrait l’efficacité de l’AWACS jusqu’à présent a considérablement évolué ces dernières années. D’une part, l’arrivée de chasseurs furtifs ou discrets, comme le F-22, le F-35 mais également le Su-57 russe et les J-20 et J-35 chinois, réduit considérablement l’efficacité de détection active de ces aéronefs, même si certains d’entre eux, comme l’E2D Hawkeye, emploient un radar en bande UHF plus efficace pour détecter ces appareils furtifs. De fait, si un Su-27 ou un J-11 pouvait être détecté à plus de 450 km par un AWACS, un Su-57 ou un J-20 ne sera détecté que sous la barre des 150 km, peut-être moins. Dans le même temps, les missiles air-air ont fait d’immenses progrès, notamment en terme de portée, avec des modèles comme le Meteor européen capable de frapper des cibles au delà de 150 km, ou comme le R-37M russe donné pour atteindre une portée de 400 km. Outre leur portée, ces missiles sont également très rapides, dépassant souvent Mach 4. De fait, entre des appareils capables de s’approcher plus prêt, et des missiles tirant plus loins et étant plus rapides et plus précis, les AWACS se retrouvent directement menacés bien au delà de ce qu’ils pouvaient l’être auparavant.

Le chasseur furtif chinois J-20 emporte le missile air-air à longue portée PL-15 en soute, lui permettant d’engager un Awacs avant que ce dernier ne puisse le détecter

En effet, dans les années 80, un E3 pouvait détecter une cible aérienne menaçante à plus de 300 km quel que soit son régime de vol. Il avait dès lors largement le temps de diriger des appareils d’interception le protégeant pour détruire ces menaces avant qu’elles ne puissent s’approcher suffisamment de leur cible pour l’engager. Les missiles portaient alors à moins de 100 km, et étaient le plus souvent à guidage semi-actif, nécessitant une illumination radar permanente de la part de l’avion tireur. La seule tactique efficace pour éliminer ou repousser les Awacs de l’OTAN était alors, pour les soviétiques, de mener des vagues d’attaque massives et successives de sorte à user la chasse adverse, et ainsi espérer parvenir en position de tir, même si dans une telle situation, l’AWACS avait la possibilité et le temps de s’échapper. Aujourd’hui, un unique appareil peut potentiellement suffisamment s’approcher pour se mettre en position de tir, sans avoir été détecté par l’appareil, alors que les missiles sont dotés d’autodirecteurs radars ne nécessitant plus d’illumination de la part de l’avion tireur. Dit autrement, un E3 Sentry, comme un E2D Hawkeye ou un E-7A Wedgetail, est beaucoup plus menacé qu’il ne l’était il y a quelques années.

La menace sur les appareils de soutien, Awacs comme ravitailleurs ou appareils de renseignement électronique, est prise très au sérieux par l’US Air Force, qui entend se doter de certaines parades pour assurer leur protection. C’est ainsi que tous les appareils de soutien récent sont dotés de systèmes d’auto protection pour brouiller les radar adverses et leurrer les missiles le cas échéant. Un programme particulier, désigné SHIELD, prévoit également de les doter d’un système de défense actif hard-kill employant un laser à haute énergie pour détruire les missiles pouvant les menacer. Mais pour l’US Air Force, comme pour l’US Navy, le futur de l’aviation de soutien opérationnel semble devoir d’appuyer sur l’arrivé d’un second échelon d’appareils composé de drones destinés à évoluer en zone contestée, en relais des appareils sources évoluant en zone sécurisé. Toutefois, si ce schéma, par ailleurs proche de celui qui se dessine pour l’aviation de combat, semble bien convenir aux missions de ravitaillement en vol, il est plus complexe à mettre en oeuvre pour ce qui concerne l’alerte aérienne avancée.

Le système Erieye du suédois Saab est une alternative au Wedgetail américain, et peut être installé sur différentes plate-formes aériennes.

Alors que des travaux sont engagés outre-Atlantique pour confier la veille aérienne avancée mais également la gestion aérienne du champs de bataille à des drones ainsi qu’à des capacités spatiales, et si la détection passive et le multistatisme sont appelés, dans les années à venir, à supplanter la détection active d’un appareil comme le Sentry ou le Wedgetail, la commande à venir de 26 E-7A par l’US Air Force, n’est toutefois pas dénuée de sens. Elle permettra non seulement de conserver les capacités de surveillance et de contrôle du champs de bataille en situation de tension ou sur des théâtres dissymétriques, mais permettra à l’US Air Force de disposer d’une plate-forme relativement économique, en tout cas moins chers que n’aurait couté le développement d’un nouvel appareil, pour expérimenter ces nouvelles doctrines et technologies, qui donneront naissance probablement d’ici une dizaine ou une quinzaine d’années, à une nouvelle génération d’appareils, ou plutôt de systèmes aériens, dédiés à la détection avancée et au contrôle de l’engagement aérien, là ou les E-3 Sentry sont désormais trop usées et anciens pour servir de plate-forme de développement et d’expérimentation efficace.

Le remplacement des Sentry de l’US Air Force entraine également, de manière évidente, des interrogations quant au remplacement de la flotte d’AWACS de l’OTAN, mais également des flottes britanniques et françaises. A l’instar des appareils de l’USAF, les Sentry européens commencent à marquer le poids des années, tant en terme de performances que de disponibilité et de couts de maintenance. Les Britanniques ont déjà annoncé, il y a deux ans, la commande de E-7A Wedgetail pour remplacer leurs E-3, mais ni la France, ni l’OTAN n’ont présenté de programmes dans ce domaine. Les Awacs ayant un rôle clé dans la conduite des missions Poker de la composante aérienne de la dissuasion française, on peut penser que le remplacement des 4 Sentry français, mais également des 18 appareils de l’OTAN qui calque ses capacités sur celles de l’USAF, seront prochainement annoncé dès lors que la commande des 26 Wedgetail par le Pentagone sera officialisée, à moins que les Européens ne se tournent vers une solution locale, notamment sur le système Erieye du suédois Saab qui peut être mis en oeuvre sur plusieurs plateformes comme l’A330 MRTT, les avions d’affaire Saab E-2000 et 340, ou encore le R-99 brésilien. Pour autant, à l’instar de l’USAF, les européens devront s’engager dans le développement de nouvelles capacités dans ce domaine, faute de quoi ils devront, comme auparavant, s’en remettre intégralement aux Etats-Unis dans les années à venir.

Quels sont les 3 dangers majeurs liés à l’américano-centrisme européen en matière de Défense ?

Depuis de nombreuses années, bien avant l’arrivée du Président Macron à l’Elysée, la position française en matière de défense avait toujours été plus indépendante que celle de ses voisins vis-à-vis de la protection américaine.

En 2017, alors que les tensions entre Berlin et Washington étaient à leur paroxysme, Emmanuel Macron et Engels Merkel lancèrent plusieurs initiatives industrielles et politiques afin de donner corps à un projet très ambitieux et assez ancien, l’Europe de la Défense.

Toutefois, alors que les relations entre l’Allemagne et les Etats-Unis se normalisaient à partir de l’année suivante, les programmes de coopération franco-allemande s’étiolèrent petit à petit, en grande partie du fait d’un basculement sensible et rapide de l’Allemagne pour un retour vers sa posture traditionnelle s’appuyant sur la protection US en matière de Défense.

L’arrivée de Joe Biden à la Maison blanche en 2020, et encore davantage l’agression russe contre l’Ukraine, finit de convaincre Berlin, mais également l’ensemble des européens, y compris les pays indépendants tel la Suède et la Finlande, que la protection US et l’OTAN représentaient l’Alfa et l’Omega de la défense européenne.

Exit l’Europe de la Defense, vive le redéploiement des forces US en Europe, et l’acquisition de matériels militaires US pour mieux coopérer avec celles-ci.

Il faut dire que cette position, plébiscitée par toutes les capitales européennes de Lisbonne à Vilnius et Budapest, ne manque pas de pertinence aujourd’hui. Du fait de 20 années de sous-investissements critiques dans l’outil de défense européen, malgré une timide remontée à partir de 2015 et une nette accélération à partir de 2022 et le retour de la guerre en Europe, mais également de l’absence d’anticipation des Etats-majors en matière de risque géopolitique, concentrant les faibles crédits dans la modernisation des moyens de projection de puissance en négligeant l’engagement de haute intensité, les moyens dont disposaient les armées européennes à l’entame de l’agression russe contre son voisin, étaient plus que limités.

Sans l’intervention massive et volontaire des Etats-Unis, qui assument à eux seuls plus des 2/3 des envois d’armes et de munitions vers Kyiv, ainsi que la moitié de l’aide économique, et ce sans parler de l’aide en matière de renseignement et de conduite des opérations, il est probable que l’aide européenne n’aurait pas permis aux forces ukrainiennes de neutraliser la puissance militaire russe.

On peut d’ailleurs sincèrement s’interroger sur le fait que les européens, notamment les européens de l’Ouest, auraient effectivement soutenu militairement l’Ukraine de manière aussi importante sans le leadership américain ?

Les Etats-Unis ont fourni plus des 2/3 des équipements militaires transmis par les nations occidentales à l’Ukraine depuis le début du conflit

De fait, aujourd’hui, la position choisie par l’ensemble des pays européens s’appuyant sur la puissance militaire et la dissuasion américaines pour assurer leur propre protection, en particulier face à la Russie, semble ne plus faire débat, même si, une fois encore, la France, qui dispose de sa propre dissuasion, propose encore et toujours une posture plus indépendante, comme l’a rappelé le président Macron il y a quelques semaines. Pour autant, et même si les européens ont pour la plupart annoncé une hausse significative des moyens consacrés à leurs armées dans les années à venir, cette posture n’est pas sans risque, bien au contraire. Dans cet article, nous étudierons 3 de ces dangers majeurs liés à l’américano-centrisme renouvelé et même accru des capitales européennes en matière de défense suite à la guerre en Ukraine : le risque chinois, le risque d’extension de conflit, et le risque d’alternance politique outre-atlantique.

1- Pour contenir la menace chinoise, les Etats-Unis devront concentrer l’intégralité de leur puissance militaire dans le Pacifique

Qu’il s’agisse d’une application du piège de Thucydide qui opposerait la puissance montante, la Chine, à la puissance dominante, les Etats-Unis, de la conséquence de deux visions historiques et politiques divergentes, ou de celle de la vision d’un leader chinois voulant laisser son nom dans l’histoire au même rang que Mao Zedong et que l’empereur Qin Shi Huang, les risques d’une prochaine confrontation majeure entre la Chine et les Etats-Unis et leurs alliés dans le Pacifique, représentent désormais le plus important sujet de préoccupation des armées américaines. Le fait est, les simulations autour de la prise de Taiwan, les estimations exprimées par des hauts responsables militaires et politiques australiens, ou les analyses publiées sur notre site, toutes indiquent qu’au delà de 2027, les armées américaines ne pourront, au mieux, obtenir qu’un pat stratégique face à l’Armée Populaire de Libération en plein modernisation, et qu’au delà de 2035, la Chine pourra nourrir de sérieux espoirs de victoire face aux Etats-Unis.

La modernisation des armées chinoises constitue le principal enjeu sécuritaire pour le Pentagone depuis plusieurs années.

Pour neutraliser ce risque parfaitement perçu par le Pentagone, les Armées et le Département d’Etat américain ont mis en place une stratégie en 3 points. En premier lieu, un important effort est consenti afin de tenter de rétablir l’ascendant technologique des armées américaines aujourd’hui directement menacé par les succès des chercheurs et industriels chinois. C’est ainsi que la DARPA a retrouvé, ces dernières années, une position comparable à celle qui fut la sienne durant la Guerre Froide, afin de developper des axes de recherche avancés susceptibles, si pas de garantir la victoire des armées US, en tout cas de prévenir une victoire chinoise en cas de confrontation. Dans le même temps, des efforts très importants du Département d’Etat et de la Maison Blanche sont déployés pour fédérer le plus possible de nations du théâtre Pacifique dans une alliance militaire permettant, notamment, à Washington de s’assurer du soutien de ces puissances régionales, comme l’Australie, la Corée du Sud, le Japon ou encore les Philippines, pour faire bloc autour des Etats-Unis pour défendre Taiwan le cas échéant.

Enfin, les Armées US concentrent désormais, si pas de manière évidente, en tout cas de manière sensible, leurs efforts et leurs moyens dans le Pacifique, et plus en Europe ni au Moyen-Orient. Le fait est, si Washington veut pouvoir contrer la puissance militaire de Pékin dans les années à venir, il sera indispensable de concentrer l’immense majorité des moyens militaires américains sur ou à proximité de ce théâtre. Et en dépit des annonces de renforcement des forces US en Europe en réponse à la menace russe aujourd’hui, la présence de forces US significatives sur le vieux continent est appelée à diminuer. Plus encore, les capacités de renforcement potentiel du dispositif US en Europe en cas de menace, ou en cas de guerre, seront beaucoup plus limitées dans les années à venir, alors que le Pentagone sera contraint de conserver ses moyens pour répondre à une menace chinoise. De fait, et contrairement à la Guerre Froide, les Européens devront composer avec une présence militaire américaine de plus en plus réduite pour assurer leur défense, en dehors des aspects liés à la dissuasion, mais surtout, il sera dans un avenir proche très hasardeux de tabler sur d’importants renforts venus des Etats-Unis en cas d’agression, Article 5 ou pas.

2- Le périmètre de responsabilité géopolitique Européen est appelé à s’étendre dans les années à venir

Si la présence militaire US est appelée à s’étioler en Europe dans les années à venir, il en sera de même sur d’autres théâtres critiques pour les Européens, comme le Moyen-Orient, l’Afrique ou encore le Caucase. Qu’on le veuille ou non, la présence militaire américaine sur ces théâtres joue un rôle modérateur puissant vis-à-vis des tensions intestines qui les secouent. C’est ainsi que sans le poids des Etats-Unis, il est probable qu’un conflit entre Israël et l’Iran, embrasant l’ensemble du Moyen-Orient, exploserait à court terme, ne serait-ce que pour neutraliser les installations nucléaires iraniennes qui sont perçues comme une menace critique par Jerusalem, probablement à juste titre d’ailleurs. Un tel conflit entrainerait très probablement une généralisation des affrontements dans l’ensemble de la région, venant non seulement menacer d’une extension du conflit au delà du théâtre lui-même, mais également venant menacer les approvisionnements européens, que ce soit en matière d’hydrocarbure alors que l’Europe a renoncé aux approvisionnements russes, mais également en matière de commerce.

L’arrivée de Su-35se en Iran pourrait faire évoluer l’équilibre des forces au Moyen-orient, notamment dans le domaine des capacités de frappe nucléaire.

Or, d’un point de vu purement stratégique, l’embrasement du Moyen-Orient est probablement moins une menace pour Washington, qui peut s’appuyer sur une autonomie énergétique stricte, que ne le serait un affaiblissement de la posture défensive Pacifique face à la Chine. Dès lors, il est probable que la neutralisation de ce théâtre devra, tôt ou dire, revenir aux armées européennes, et en particulier aux flottes françaises et britanniques, seules capables de mettre en oeuvre des forces aéronavales et sous-marines comparables à celles déployées par l’US Navy, d’autant que les deux pays sont dotés d’une puissante force de dissuasion susceptible de donner du poids aux déploiements de forces européens. Faute de s’y atteler, il est plus que probable que la Chine ou la Russie, voire une coalition des deux, se saisiront de l’opportunité pour s’imposer sur ce théâtre, et ainsi, faire basculer les puissances régionales dans leurs girons, d’autant que tant Téhéran que Ryad, Le Caire et et Abu Dabi, entretiennent déjà des relations avancées avec Moscou et Pékin, y compris dans le domaine militaire.

Le risque lié au désengagement à venir des Etats-Unis du Moyen-Orient, touche de la même manière d’autres théâtres, eux aussi directement liés aux pays européens. C’est notamment le cas de l’Afrique, qui concentre deux menaces critiques vis-à-vis de l’Europe, les flux de matières premières, métaux et minéraux indispensables au fonctionnement de son industrie, y compris l’industrie de défense, d’une part, et un très important risque migratoire en cas d’instabilité majeure ou de guerre. De la même manière, les tensions dans le Caucase, parfois attisées par des acteurs extérieurs comme la Russie ou la Turquie, feraient elles-aussi peser d’importants risques économiques, industrielles et sociaux aux pays européens. On notera, par ailleurs, que Pékin, mais également Moscou et Ankara, déploient d’importants efforts pour s’imposer sur ces théâtres, profitant d’ores et déjà du désengagement entamé par les Etats-Unis et la passivité d’une grande partie des européens. Comme pour le Moyen-Orient, la sécurité du vieux continent imposera probablement aux Européens de s’engager bien davantage sur ces deux théâtres, pour tenter de limiter les risques.

3- Le risque d’alternance démocratique aux Etat-Unis volontairement ignoré des Européens

Le troisième danger qui menace directement l’américano-centrisme européen en matière de défense, est de loin le plus perceptible à court terme. Il est pourtant le plus souvent volontairement ignoré du débat européen. En effet, dès 2024, le locataire de la Maison Blanche pourrait bien ne plus être Joe Biden, ou un leader américain modéré et responsable comme ce dernier. En effet, l’opinion publique US demeure très sensible aux arguments avancés par Donald Trump et son clan au sein du parti républicain, et l’hypothèse que lui-même, ou un de ses acolytes, s’emparent des rênes du pouvoir outre-atlantique sont loin d’être négligeables, alors que les risques liés à une telle hypothèse concernent directement les Européens. Ainsi, les sondages les plus récents outre-atlantique montrent que le candidat démocrate, qu’il s’agisse de Joe Biden ou Kamala Harris, serait battu dans la moitié des cas face au candidat Républicain, Donald Trump ou Ron DeSantis. Ces deux derniers ont souvent exprimés leurs réserves vis-à-vis de l’OTAN, et prônent souvent des postures sensiblement plus isolationnistes des Etats-unis sur la scène internationale.

La posture américaine dans le Pacifique ne semble pas devoir être menacée par l’un ou l’autre de ces candidats. En revanche, le soutien à l’OTAN, mais également au Moyen-Orient ou à l’Afrique, pourrait être sensiblement et rapidement réduit si les candidats républicains venaient à remporter la présidentielle de 2024, alors même qu’aucune des armées européennes n’aura, à cette date, engranger des bénéfices substantiels liés à la hausse des crédits de défense annoncés ces dernières années. Une telle hypothèse viendrait également directement menacer le soutien américain à l’Ukraine face à la Russie, que le conflit en cours soit ou non terminé. De manière paradoxale, et pourtant bien réelle, il apparait donc que le plus important danger, pour les Européens, de faire dépendre leur propre défense sur la puissance militaire américaine, n’est autre que l’application stricte des principes démocratiques outre-atlantique.

Mais le désengagement des Armées US de l’OTAN n’est pas le seul risque qui pourrait émerger d’une élection d’un de ces candidats républicains à la Maison Blanche. En effet, si Ron DeSantis a montré certaines postures plus réfléchies et modérées que son ancien mentor Donald Trump, les deux hommes brillent surtout pas un manque de culture internationale et par des postures politiques largement influencées par les sondages et les réactions sur les réseaux sociaux. Dans le contexte de tensions généralisées qui se dessine dans les années à venir, s’en remettre à de tels personnalités pour diriger la posture défensive occidentale, apporterait incontestablement un risque non négligeable d’escalade, en Europe comme sur les autres théâtres d’opération. Faute de disposer des moyens suffisants pour assurer, au besoin, une réponse cohérente et concertée des européens non alignée sur celles du Président Américain, représente là encore un danger loin d’être négligeable, d’autant plus qu’il peut intervenir à court terme.

Conclusion

On le voit, sans remettre en question le bien-fondé de la puissante alliance liant américains et européens, et sans sombrer dans une forme de rejet des Etats-unis, il est évident que la posture actuelle choisie par l’immense majorité des pays européens ayant décidé de confier une grande partie de leur sécurité à Washington, est non seulement risquée à court ou moyen terme, mais elle est, de toute évidence, appelée à évoluer en profondeur dans les années à venir avec le basculement indispensable des moyens militaires US dans la Pacifique. En outre, la réponse européenne, ou plutôt l’absence de réponse à menace pourtant bien réelle liée à une alternance démocratique qui amènerait à nouveau Donald Trump ou Bon DeSantis à la Maison Blanche, montre que, même face à l’évidence, les Européens refusent d’assumer eux-mêmes leur propre sécurité, ainsi que leurs responsabilités internationales, préférant probablement se concentrer sur la production de biens et de services.

Avec 200 chars Leclerc modernisés et moins de 250 avions de chasse, le discours de la France au sujet de l’autonomie stratégique européenne est tout simplement inaudible par les européens

Dans ce contexte, il semble que la seule alternative serait qu’une nation européenne, ou un groupe de nations, se dote, à relativement court terme, d’une capacité de réponse militaire, y compris dans le domaine de la dissuasion, permettant d’offrir une alternative à la protection américaine, de sorte à convaincre, dans la durée, d’autres pays de s’en remettre à eux-mêmes plutôt qu’aux Etats-Unis par ailleurs très certainement bien occupés ailleurs, pour faire face aux menaces qui touchent non seulement le vieux continent, mais également sa sphère d’influence et de dépendance économique et sociale. Malheureusement, aucun pays, pas même la France qui offre de nombreux discours mais qui peine à convaincre avec seulement 226 chars, ne semble prêt à prendre cette direction. Il faudra probablement attendre d’être mis, comme dans le cas de l’agression russe contre l’Ukraine, face à l’évidence, pour que les Européens commencent à prendre conscience de la fin des années d’insousience de la période post-soviétique …

À l’instar des sous-marins, les hélicoptères Tigre et NH90 ont-ils fait l’objet d’une campagne de dénigrement injustifiée en Australie ?

En amont de la spectaculaire annonce de l’annulation du programme de sous-marins Shortfin Barracuda de la classe Attack conçus par Naval Group pour la Royal Australien Navy, afin de les remplacer par des sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire américano-britanniques dans le cadre de la constitution de la nouvelle alliance AUKUS, le programme comme Naval Group avaient fait l’objet d’une intense campagne de dénigrement tant dans la presse que dans les armées et au Parlement australien.

Comme nous nous en étions faits l’écho alors, les critiques répétées alors en boucle par les tabloïds et même dans la presse classique, par ailleurs largement reprises sans contradiction par les parlementaires australiens, s’appuyaient sur des informations irrationnelles et souvent fausses, ou totalement sorties de leur contexte.

C’est ainsi que lorsque l’annulation unilatérale du programme fut rendue publique pour se tourner vers une bien hasardeuse solution nucléaire très mal calibrée, l’immense majorité de l’opinion publique australienne soutint la mesure, tant elle était convaincue alors des difficultés le plus souvent fantasmées rencontrées par ce programme.

Une question est toutefois restée sans réponse jusqu’à l’annulation du contrat par le premier ministre australien de l’époque, Scott Morrison : Pourquoi Naval Group ne se défendait pas face à cette campagne visiblement orchestrée contre elle et son programme. La réponse est venue une fois les négociations de fin de contrat terminées.

En effet, contractuellement, l’industriel français n’avait tout simplement pas la possibilité de communiquer vers les médias autour du programme, cette prérogative revenant au gouvernement et, dans une moindre mesure, à la Royal Australian Navy.

Depuis, il est apparu que la plupart des accusations autour du programme, notamment en termes de non-respect des délais ou du budget, étaient parfaitement fausses, voire parfois totalement fantaisistes.

Malheureusement pour Naval Group, le mal était fait, même si le nouveau premier Anthony Albanese a tout fait pour normaliser les relations avec Paris, notamment en acceptant de payer l’ensemble des compensations contractuelles de rupture anticipée de contrat à Naval Group et ses partenaires.

Naval Group devait construire 12 sous-marins océaniques à propulsion conventionnelle de type Shortfin barracuda pour la Royal Australian Navy, avant que le programme soit annulé par le PL Scott Morrison en septembre 2021 pour se tourner vers des SNA américano-britanniques.

Il semble toutefois que le cas des sous-marins français en Australie n’ai pas été isolé. En effet, dans un article au vitriol publié par le journaliste australien Kym Bergmann, il apparait que les hélicoptères Tigre et NH90 Taipan en service au sein de l’Australian Army, ont fait eux aussi l’objet d’une campagne de dénigrement dans les médias, mais également dans la classe politique australienne, de sorte à permettre à Canberra d’en annoncer le retrait anticipé pour 2025, et de commander à la place 29 hélicoptères d’attaque américains Boeing AH-64E Guardian et 40 hélicoptères de manœuvre Sikorsky UH-60M Black Hawk.

Et comme ce fut le cas pour les Shortfin Barracuda de Naval Group, ces hélicoptères ont fait l’objet de déclarations souvent fausses, comme pour ce qui est de la disponibilité alors qu’elle atteint 70 %, soit davantage que la plupart des plateformes aériennes australiennes, ou en termes de couts, avec des valeurs publiées de couts à l’heure de vol (40 000 $ australiens) sans rapport avec la réalité, sans qu’aucun démenti ne soit publié par l’État-major ou le ministère de la Défense australien.

Dans son article, Kym Bergmann pointe non seulement les fausses déclarations diffusées vers l’opinion publique et généralement repris argent comptant par les parlementaires australiens, mais met également en lumière les causes réelles des difficultés rencontrées par les hélicoptères australiens, à savoir le logiciel de maintenance CAMM-2 employé par l’Australian Army, en cause dans de nombreux cas pour expliquer les difficultés auxquelles les forces armées australiennes ont été confrontées.

Il précise d’ailleurs qu’il est probable que le Guardian et Black Hawk commandés par Canberra rencontreront les mêmes difficultés. Et pour conforter son propos, le journaliste australien rappelle que la Nouvelle-Zélande emploie, elle aussi, une douzaine de NH-90 TTH dans une finition très proche des Taipan australiens, qu’ils en sont très satisfaits et qu’ils n’envisagent en rien de les remplacer.

De manière intéressante, il précise qu’Airbus Hélicoptères n’a pas souhaité répondre à ses questions, sachant que cet article permettrait à l’hélicoptériste européen, si pas, de sauver ses appareils au sein de l’Australian Army, en tout cas de mettre en lumière que ses appareils ne sont pour rien dans la décision de Canberra.

La Nouvelle Zélande met en oeuvre des NH90 TTH en configuration très proche de celle des Taipan australiens

Reste que les similitudes entre le cas des sous-marins de Naval Group et les Hélicoptères d’Airbus en Australie, sont plus que frappantes, et tendent à faire peser de réels soupçons quant aux forces à la manœuvre dans ces deux dossiers.

On notera, à ce titre, qu’un autre article publié par la presse australienne, mettait en évidence le fait que la Royal Australian Navy avait recruté plusieurs anciens amiraux de l’US Navy comme conseillers de l’Etat-major suite à l’attribution du contrat à Naval Group, et que tout indique que ces anciens militaires américains avaient joué un rôle dans le déroulement de ce dossier.

Il ne manquerait plus que l’on découvre, une fois les deux contrats officiellement terminés, que d’autres conseillés américains sont venus torpiller les Tigre et NH-90 au sein de l’Australien Army pour permettre un retour des appareils américains, pour comprendre parfaitement la dynamique qui aura été à l’œuvre ici.

Combien couterait aux contribuables français un alignement des capacités haute intensité de l’Armée de Terre sur la Pologne ?

Depuis quelques mois, en lien à la guerre en Ukraine et à la montée généralisée du risque d’engagement majeur en Europe et ailleurs, la question des capacités des armées françaises, et notamment de l’Armée de terre, à faire face à un conflit de « haute intensité » est devenue un thème récurrent tant dans l’hémicycle du parlement que dans la communication gouvernementale, les médias et les réseaux sociaux.

Très souvent, la Pologne, qui a annoncé un effort colossal pour moderniser et étendre ses capacités terrestres dans ce domaine dans les années à venir, est citée en référence, faisant de Varsovie l’exemple à suivre.

La Loi de Programmation Militaire 2024-2030 en cours de finalisation semble ne pas avoir suivi cette voie, en conservant un format de la Force Opérationnel Terrestre, le bras armé de l’Armée de Terre, sensiblement identique à ce qu’il est aujourd’hui, et en ne procédant qu’à une augmentation sectorielle de certaines capacités, comme dans le domaine du Renseignement, de la défense anti-aérienne ou encore des frappes dans la profondeur et des drones.

Pour autant, en 2030, selon ce schéma, l’Armée de terre conservera une force opérationnelle limitée en termes de haute intensité, avec seulement 200 chars lourds modernisés Leclerc, 650 véhicules de combat d’infanterie VBCI sur roues relativement légers et faiblement armés, moins de 120 tubes de 155 mm et une poignée de Lance-roquettes unitaires, potentiellement remplacés par des HIMARS américains.

De fait, en 2030, l’Armée de terre sera effectivement plus performante, notamment avec la poursuite du programme SCORPION et la livraison des VBMR Griffon et Serval pour remplacer les VAB, et des EBRC Jaguar pour le remplacement des AMX-10RC et des ERC-90 Sagaie, et disposera de réserves considérablement accrues en termes de munitions, mais aussi de personnels avec la montée en puissance de la Garde nationale.

Toutefois, pour ce qui est de la haute intensité, elle sera très loin des 6 divisions lourdes polonaises alignant 1250 chars de combat modernes M1A2 Abrams SEPv3 et K2PL Black Panther, 1400 véhicules de combat d’infanterie Borsuk, 700 canons automoteurs K9 Thunder et 500 lance-roquettes mobiles K239 et HIMARS.

Si dans de nombreux domaines, comme en matière de forces aériennes, navales et évidemment en termes de dissuasion, Varsovie devra s’appuyer sur ses alliés, elle disposera incontestablement de la plus importante force terrestre conventionnelle en Europe, sensiblement supérieure à la somme des forces terrestres françaises, allemandes, britanniques, italiennes et espagnoles réunies, soit les 5 économies les plus fortes du vieux continent.

Les premiers chars K-2 Black Panther ont été livrés par la Corée du Sud à la Pologne à la fin de l’année 2022

Si l’on ne peut que se féliciter de voir un allié s’équiper aussi efficacement dans ce domaine, force est de constater que dans de nombreux domaines, les positions et postures polonaises sont loin d’être alignées sur celles des européens de l’ouest.

En outre, Varsovie entend, de toute évidence, prendre une position politique centrale en Europe de l’Est précisément pour contrer l’influence des puissances d’Europe occidentale au sein de l’UE, en s’appuyant sur l’aura que lui conférera cet outil militaire face à la menace russe.

Pour équilibrer les rapports de force politiques, que ce soit face aux menaces militaires, russes ou autres (Turquie…), ou au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN, il serait naturellement bienvenu, pour la France, de doter son Armée de Terre d’une puissance comparable, comme de nombreux anciens officiers supérieurs et généraux ne cessent de le répéter sur les réseaux sociaux et dans les médias.

Toutefois, au-delà du besoin lui-même, il convient d’évaluer les couts et les contraintes qu’engendrerait une telle transformation, de sorte à en déterminer la soutenabilité budgétaire, mais également sociale.

Et comme nous le verrons, l’effort budgétaire d’une telle ambition serait loin d’être hors de portée, puisqu’il serait sous la barre des 0,25% du PIB français aujourd’hui.

L’objectif de cet article n’étant pas de disserter sur l’organigramme optimisé de l’Armée de Terre pour répondre à ces menaces, nous prendrons comme base de travail un format souvent évoqué par les spécialistes du sujet, avec une FOT portée à 90.000 hommes (contre 77.000 aujourd’hui) pour armer deux divisions lourdes dédiées à la haute intensité, et une division de projection de puissance et d’appui rassemblant les multiplicateurs de force et troupes spécialisées que sont les Troupes de Marine, les Troupes de montagne, les forces parachutistes, la composante d’aéromobilité (ALAT) et la Légion Étrangère.

En termes de matériels, nous considérerons l’acquisition de 1000 chars de combat modernes, épaulés de 1000 véhicules de combat d’infanterie lourds chenillés, de 500 systèmes d’artillerie automoteurs de 155 et 105 mm, de 300 lance-roquettes à longue portée, ainsi que de 200 EBRC jaguar supplémentaires, 120 systèmes de défense anti-aérienne autotractés SHORAD et 500 véhicules blindés spécialisés (Génie, récupérateurs de blindés, Ravitaillement des systèmes d’artillerie, etc.).

Les autres programmes en cours, notamment dans le cadre du programme SCORPION, sont considérés inchangés, tout comme le format de l’Aviation légère de l’Armée de terre, qui serait toutefois bien avisée de se pencher sur la possible ré-acquisition des Tigre et NH90 TTH australiens pour densifier son format. L’enveloppe budgétaire pour acquérir ces équipements s’établit autour de 50 Md€, en tenant compte des couts de conception et de fabrication.

L’Armée de Terre semble se diriger vers l’acquisition sur étagère de systèmes HMARS américains pour remplacer ses LRU et densifier ses capacités de frappe dans la profondeur

Au-delà de ces couts initiaux, il convient d’évaluer les couts récurrents. En premier lieu, le parc matériel couterait 2 Md€ par an pour la maintenance et les pièces détachées, soit 4% du prix d’acquisition par an. Il conviendrait aussi d’augmenter les effectifs professionnels de l’armée de terre de 15.000 hommes et femmes, soit un cout annuel de 1,5 Md€, auxquels il faudrait ajouter 0,5 Md€ pour les quelque 45.000 réservistes supplémentaires qui devront être recrutés pour consolider les forces.

Au total, donc, sur une période de 15 ans, la montée en puissance ici envisagée couterait donc 3,2 Md€ par an pour l’acquisition de matériels, alors que l’extension des effectifs couterait en moyenne 2 Md€ par an. L’installation des nouvelles unités, quant à elles, est estimée à 300 m€ pour trois nouvelles unités par an. Sur les 15 premières années, donc, ce programme couterait aux finances publiques 5,5 Md€, soit 0,22% du PIB 2023.

Au-delà des 15 années d’acquisition, les couts récurrents s’établiraient à 4 Md€ pour les effectifs et la maintenance, auxquels il conviendra d’ajouter 2,5 Md€ pour le financement des modernisations de parc, soit un total de 6,5 Md€ par an (exprimés en Euro 2023) et 0,26% du PIB 2023.

Sur la seule prochaine LPM à venir, il serait donc nécessaire d’augmenter la dotation de 30 Md€ sur sept ans pour financer la mesure. On notera que pour atteindre un résultat sensiblement équivalent, Varsovie va consacrer plus de 1% de son PIB sur une période équivalente.

Pour autant, et comme à chaque fois qu’il est question d’investissements de défense, il convient également de considérer les recettes fiscales et sociales supplémentaires pour l’État consécutives à l’investissement. En effet, ce n’est pas tant l’investissement lui-même qui importe dans ce type de planification, mais son impact sur les déficits publics et par conséquent sur la dette souveraine française.

En l’occurrence, les investissements industriels génèrent un retour budgétaire supérieur à 50%. En effet, tous les équipements et prestations de service industrielles sont soumis à la TVA immédiatement récupérée par l’État, alors que les industries de défense sont très faiblement exposées à l’importation.

De fait, les investissent de l’état se dissipent dans l’économie essentiellement en salaires qui, rappelons-le, sont soumis à un taux de prélèvement supérieur à 42%. Dès lors, considérer un retour budgétaire à 50% est une valeur par défaut, prenant en considération la somme des recettes directes et indirectes, sociales et fiscales pour l’état.

Pour les investissements salariaux, un retour de 30% sera considéré, là encore par défaut. Appliqués à ce modèle, l’impact effectif du programme sur les équilibres budgétaires serait rapporté à 3,15 Md€ en moyenne sur la phase de montée en puissance, soit 0,125% du PIB, et à 3,4 Md€ au-delà, soit 0,136% du PIB exprimé en euro constant 2023. À titre de comparaison, un tel montant est relativement proche de ce que dépensent les Français chaque année en abonnements sur les plateformes de streaming.

Il serait bien évidemment possible d’optimiser le modèle pour en réduire l’impact budgétaire, par exemple en appliquant les mesures préconisées dans l’article « Comment l’évolution de la doctrine de possession des équipements peut permettre d’étendre le format des armées ?« , ou en approfondissant les effets potentiels de l’effort industriel notamment en termes d’exportations, ce qui tendrait à en réduire le cout budgétaire effectif, et donc d’en accroitre la soutenabilité.

Quoi qu’il en soit, deux questions demeureraient. En premier lieu, il conviendrait d’établir que cet investissement serait le plus à même de répondre aux besoins de la France et de ses armées aujourd’hui et demain.

En effet, avec une Pologne aussi forte militairement, et le renforcement sensible des forces terrestres en Europe de l’Est et du nord, il est évident que la menace militaire russe sur l’OTAN et son flanc oriental sera contenue pour de nombreuses années.

Dit autrement, quitte à devoir investir 100 Md€ supplémentaires sur 15 ans, ne serait-il pas plus efficace de renforcer la composante chasse de l’Armée de l’Air, ou la composante sous-marine de la Marine Nationale, sachant que l’une comme l’autre offriraient des caractéristiques de retour budgétaire et donc d’impact budgétaire similaire ?

En second lieu, il convient de prendre en considération l’ensemble des contraintes qui s’appliqueront à la montée en puissance des armées. En l’occurrence, l’une des plus importantes, peut-être au-delà des contraintes budgétaires elles-mêmes, n’est autre que la contrainte de recrutement.

Ainsi, même si la situation s’est sensiblement améliorée ces dernières années du fait des évolutions de la condition militaire dans la LPM 2019-2025, il est loin d’être acquis que l’Armée de terre puisse effectivement recruter 15.000 militaires professionnels supplémentaires ainsi que 45.000 gardes nationaux, au-delà des trajectoires déjà établies dans la LPM 2024-2030.

Certes, la constitution de nouvelles unités de haute intensité équipées de matériels modernes ajoutera à l’attractivité des armées, mais il n’en demeure pas moins vrai que cette hypothèse de croissance aura sans le moindre doute fait sourciller les officiers s’étant confrontés aux difficultés RH de l’Armée de Terre ces dernières années.

L’extension des effectifs demeure un sujet difficile pour les Armées françaises

Quoi qu’il en soit, il est désormais établi qu’il est loin d’être inconcevable de doter l’Armée de terre d’une capacité d’engagement comparable à celle en constitution en Pologne en matière de Haute Intensité, tout en conservant les capacités exclusives de ses unités en matière de projection et d’appui.

D’un point de vue budgétaire, cet effort serait relativement limité en termes d’impact sur les déficits, et pourrait même être sensiblement optimisé vis-à-vis du modèle ici abordé.

Une chose est certaine, cependant, un tel effort ferait de la France le pivot central de toute la défense européenne, et donnerait une légitimité incontestable à Paris pour soutenir l’autonomie stratégique européenne, puisqu’avec un tel modèle, le soutien militaire des États-Unis dans le domaine conventionnel face, par exemple, à la Russie, serait tout simplement superfétatoire.

Eu égard à la sensibilité de l’exécutif français aujourd’hui, c’est probablement cet argument, conjointement aux couts réels de la mesure détaillés dans cet article, qu’il conviendrait de mettre en avant dans les médias et au parlement pour espérer obtenir une altération positive de la trajectoire.

Que nous apprend la nouvelle organisation tactique des unités russes engagées en Ukraine ?

Une nouvelle organisation tactique des unités russes engagées face aux forces ukrainiennes, serait en cours de déploiement, selon des documents saisis par les militaires ukrainiens ces dernières semaines. Celle-ci serait basée sur des BTG hybrides, plus simples que les BTG traditionnels, mais plus efficaces que les unités organiques employées jusqu’ici.

Depuis le début de l’agression contre l’Ukraine, les armées russes avaient déjà changé par trois fois de stratégie pour la conduite globale des opérations. D’abord, lors des dix premiers jours de l’opération, elles employèrent une stratégie de décapitation des instances politiques et du gouvernement ukrainien, en menant notamment une importante opération aéroportée sur l’aérodrome d’Hostomel au nord de Kyiv.

Les trois phases de l’offensive russe en Ukraine

Après l’échec de cette manœuvre, Moscou entama une stratégie visant l’effondrement des forces ukrainiennes, en menant simultanément et de manière intensive, des offensives sur l’ensemble des fronts, au nord à Kyiv et et Kharkov, à l’Est dans le Donbass, et au sud à partir de la Crimée.

Cette double manœuvre visait à prendre Marioupol afin de faire la jonction avec les forces du Donbass, et ainsi prendre Odessa pour priver Kyiv d’un accès à la Mer et potentiellement faire le lien avec la Transnitrie Moldave.

À partir de la fin du mois de mars, face aux très lourdes pertes subies en application de ces deux premières stratégies, les Armées russes entreprirent de se tourner vers une approche plus conventionnelle visant l’attrition des forces ukrainiennes, en créant des lignes de défense bien préparées et en accompagnant les offensives ukrainiennes pour les amener à s’écraser contre ces lignes, et ainsi leur faire enregistrer, elles aussi, de lourdes pertes.

Cette troisième stratégie a été de loin la plus efficace, même si la combativité ukrainienne et l’aide occidentale permirent aux forces de Kyiv de continuer d’infliger de lourdes pertes aux armées russes retranchées. Elle obligea Moscou à transformer, sans le reconnaitre, ce qui devait être une opération militaire spéciale de quelques semaines, en une guerre d’usure mobilisant l’ensemble du pays, au travers d’une mobilisation des hommes comme des industries et de l’économie.

Quoi qu’on en dise, les retraits russes sur les lignes défensives du Donbass, de l’oblat de Zaporojie ainsi que le retrait de Kherson au sud du Dniepr, ont atteint leurs objectifs, permettant aux forces russes de se regrouper sur une ligne de défense bien préparée, tout en érodant une partie des forces ukrainiennes.

L’utilisation, probablement à leurs dépens, des mercenaires de Wagner pour fixer l’attention de Kyiv sur Bakhmout, contribua à renforcer cette situation, en fixant de nombreuses unités ukrainiennes, tout en permettant aux unités russes de se reconstituer et de s’équiper.

Organisation tactique des unités russes en Ukraine évolue vers des BTG hybrides.
Les BTG devaient représenter l’organisation standard des unités russes au début du conflit. Dans les faits, très peu de BTG ont réellement été constitués, la plupart des unités étant employées dans leur forme organique.

Une quatrième phase stratégique aurait été engagée par les armées russes récemment. C’est du moins ce que l’on peut déduire de la découverte par le renseignement ukrainien d’un manuel tactique détaillant une nouvelle organisation des unités de contact.

Un nouveau BTG hybride

Ces nouvelles unités sont loin des Bataillon Tactical Group, ou BTG, ces unités interarmes russes tant redoutées au début du conflit par les analystes, alors qu’elles n’auront presque jamais été mises en œuvre. Elles promettent aussi d’être beaucoup plus efficace que l’engagement des unités organiques constaté depuis le début du conflit,

Cette approche hybride confère aux unités russes des capacités interarmes effectives, mais limitées, répondant probablement au manque d’expérience et de discipline constaté, tout en leur donnant une cohérence opérationnelle bien plus aboutie.

Surtout, au-delà des nouvelles capacités tactiques que cette organisation procure aux unités, cette réorganisation permettra au commandement russe de mettre en œuvre une nouvelle stratégie pour faire face aux armées ukrainiennes, qui peut nous informer sur les objectifs de guerre recherchés désormais par Moscou.

Sans entrer dans le détail, la nouvelle structure, détaillée par le manuel tactique capturé par les Ukrainiens, se rapproche de celle d’un BTG. Elle associe, autour d’un bataillon d’infanterie mécanisée, des capacités complémentaires. Elle dispose ainsi en matière d’artillerie de 6 mortiers automoteurs de 120 mm Nona et de 6 obusiers tractés de 122 mm D-30.

Elle emporte des capacités anti-aériennes avec 2 canons bitumes de 23 mm ZSU-23 et 3 groupes équipés de missiles anti-aériens portables SA-18 ou SA-24, ainsi qu’un véhicule de récupération des blindés endommagés BREM-L Beglianka.

Le bataillon dispose par ailleurs d’un peloton de 3 chars T-72, ainsi que de capacités d’appui avec deux binômes de tireur longue distance, deux mitrailleuses lourde Kord, 2 lance-grenades automatiques AGS-17, 2 poste de tir lance-missile antichars Kornet ou Konkurs, ainsi que 12 lance-flammes portatifs RPO.

Les compagnies d’assaut, quant à elles, disposent d’un T-72 en propre, de 4 véhicules de combat d’infanterie BMP 1 ou 2, d’un obusier de 122 mm D-30 associé à 2 mortiers de 120 ou 82 mm, tous tractés, et des mêmes capacités de soutien complémentaires que le bataillon (Sniper, ATGM, AGS-17..).

Les pseudo-BTG russes mettront en œuvre des mortiers automoteurs de 120 mm 2S9 Nona pour leur appui feu

Si ce BTG hybride dispose bien d’artillerie et de défense anti-aérienne, aucune de ces capacités ne peut opérer au-delà d’un périmètre restreint. En outre, il ne dispose en propre d’aucune capacité de génie, ni de logistique ou de transmission traditionnellement présentes dans une véritable unité interarmes de la taille d’un bataillon.

Les capacités de frappe à distance, artillerie ou missilerie, sont limitées, les canons automoteurs à longue portée 2S19 Msta-s, les systèmes anti-aériens tactiques TOR-M1/2, ou encore lance-roquettes multiples Grad ou Tornado, demeurent quant à eux à l’échelon de la brigade, voire de la division.

Une unité interarmes adaptée aux contraintes russes

Or, l’un des principaux intérêts de l’organisation interarmes est de permettre aux unités d’exploiter par elles-mêmes des opportunités tactiques, comme par exemple dans le cas d’une rupture de la ligne de front, en lui permettant de s’engager dans le dispositif adverse sans devoir s’en remettre aux appuis fournis par la brigade ou la division.

Ce constat est corroboré par les schémas tactiques développés dans les documents découverts. En effet, ceux-ci détaillent des manœuvres qui se caractérisent par un volume relativement restreint, et par une latitude limitée donnée à l’unité pour exploiter des opportunités tactiques.

De toute évidence, si ces unités sont incontestablement conçues pour l’offensive, elles ne sont pas organisées ni dimensionnées pour percer le dispositif adverse et exploiter cette percée, mais pour pousser les forces adverses au-delà de leurs lignes défensives, sans d’ailleurs chercher à s’emparer de celles-ci, par crainte des pièges et des mines.

Dit autrement, ces unités doivent éjecter l’adversaire de ses lignes défensives, de sorte, éventuellement, à le mettre à découvert par des frappes d’artillerie ou d’aviation à l’échelon organique, sans aller au-delà de cette mission.

Les documents saisis par le renseignement ukrainien sont riches d’enseignements, bien au-delà de la seule dimension tactique

Ce type d’unités, s’il venait à se généraliser, ce qui est probable, au sein des forces russes déployées en Ukraine, donne des informations précises sur la nouvelle stratégie russe que l’on commence à observer depuis quelques jours avec la multiplication d’offensives localisées le long de la ligne de front.

Contrairement à la seconde phase stratégique, il ne s’agit pas, par cette manœuvre, de découvrir des faiblesses dans le dispositif défensif ukrainien pouvant être exploités par un corps de manœuvre prêt à intervenir.

Des capacités de manœuvre accrues, mais limitées pour les unités russes engagées en Ukraine

Il est, en effet, désormais évident que toute concentration de force de la part des armées russes suscite une densification des défenses ukrainiennes pour y faire face, et si les Russes disposent de plus de puissance de feu et de blindés, les Ukrainiens peuvent s’appuyer, au besoin, sur des équipements de facture occidentale sensiblement supérieurs pour contenir la menace du fait du délai nécessaire pour rassembler une telle force.

La nouvelle stratégie russe, quant à elle, ne vise pas par l’effondrement ukrainien, mais à repousser leurs lignes tout en érodant leurs moyens, probablement pour amener Kyiv à la table des négociations sur la base des lignes militaires existantes.

De manière synthétique, ces nouvelles unités russes sont donc plutôt efficaces pour mener une défense préparée ; elles peuvent mener des opérations offensives ou des contre-offensives limitées, et sont parfaitement adaptées à la réalité industrielle russe pour être efficacement soutenues, remplacées ou régénérées.

Elles nous informent ainsi sur les moyens et la tactique qui seront employés par les armées russes dans les mois à venir, mais également sur la stratégie appliquée à l’ensemble du conflit, qui se caractérisera par de nombreuses offensives localisées à ambition limitée, ainsi que sur les objectifs de guerre du Kremlin.

Il est évident que cette approche favorise une certaine stagnation du front, pour se diriger, comme nous l’avions écrit dès le mois d’octobre, vers un pat stratégique et tactique à l’image de ce que fut la fin de la guerre de Corée.

Son objectif est d’éroder simultanément les armées et le pouvoir politique ukrainiens, ainsi que le soutien occidental, le premier des trois qui attendra son point de rupture entrainant les 2 autres dans son sillage.

Alors que le début de ce conflit était marqué par un manque évident de réalisme des forces russes, cette nouvelle stratégie s’avère donc cohérente, structurée et dimensionnée, de l’échelon tactique jusqu’aux objectifs stratégiques. Un vrai sujet d’inquiétude à venir…

Singapour lève l’option pour 8 F-35B à décollage et atterrissage vertical ou court supplémentaires

En 2019, Singapour entreprit d’évaluer le F-35 afin de remplacer une partie de ses 60 F-16 C/D, face à la montée des tensions régionales, notamment avec la Chine. Une année plus tard, le petit pays commanda 4 F-35B, la version à décollage et atterrissage court ou vertical de l’avion de Lockeed-Martin pour 2,75 Md$, ainsi qu’une option pour 8 appareils supplémentaires, et l’ensemble des services et infrastructures pour mettre en oeuvre cette force. Aujourd’hui, et sans grande surprise, il a levé l’option sur les 8 appareils restants, de sorte à porter sa flotte à 12 chasseurs. Selon les informations transmises par les autorités, les livraisons devraient intervenir d’ici la fin de la décennie, de sorte à ce que l’escadron soit entière opérationnel au début de la prochaine décennie, permettant le retrait des F-16 qu’ils doivent remplacer.

La commande singapourienne est interessante à plus d’un titre. En premier lieu, il s’agit du seul pays à avoir commander la version B à décollage et atterrissage vertical ou court, sans qu’ils soit prévu qu’ils opèrent à partir d’un porte-aéronefs. Au delà de l’US Marine Corps, le F-35B a en effet été commandé par le Japon, l’Italie et la Grande-Bretagne, pour servir à bord des porte-avions classe Izumo, Trieste et Queen Elizabeth, et le sera probablement par l’Espagne pour remplacer les AV-8B servant à bord du Juan Carlos. La Turquie avait également prévu l’acquisition de F-35B pour servir à bord du porte-aéronefs de la classe Anadulu, avant d’être exclu du programme suite à l’entrée en service d’une batterie antiaérienne S-400 commandée auprès de Moscou.

Tous les autres opérateurs de F-35B emploient leurs appareils à bord de porte-aéronefs ou porte-avions.

Dans le cas de Singapour, c’est le pays lui-même, qui ne fait que 728 km2, qui fait office de porte-avions. En effet, s’il dispose de 3 bases aériennes, il n’a aucune profondeur stratégique lui permettant, au besoin, de déployer des forces de réserve au delà de frappes préventives potentielles de l’adversaire. Autrement dit, même si ses forces armées sont conséquentes, avec 72.000 militaires et 1,2 millions de réservistes, une centaine d’avions de combat F15 et F16, mais également 180 chars de combat Leopard 2, 300 véhicules de combat d’infanterie, plus de 1200 transports de troupe blindés, 70 systèmes d’artillerie automoteurs dont 24 lance-roquettes M142 Himars, ainsi que 90 hélicoptères dont 17 AH64 Apache et 15 CH47 Chinook, ou encore 4 sous-marins d’attaque, 6 frégates, 6 corvettes et 4 navires d’assaut, il se sait vulnérable à des frappes préventives massives. C’est précisément là que le F-35B, probablement la version la plus aboutie de l’avion de Lockheed-Martin, offre des capacités qu’aucun autre appareil n’est à ce jour en mesure de fournir.

En effet, le chasseur peut potentiellement être déployé et mis en oeuvre en dehors des bases aériennes traditionnelles, en utilisant des portions d’autoroute voire des parkings pour prendre l’air et atterrir, rendant les frappes préventives bien moins radicales. Cette capacité avait initialement été au coeur du développement du chasseur britannique Harrier, qui visait précisément à doter les forces de l’OTAN d’un chasseur capable de se passer des bases aériennes probablement détruites dans l’hypothèse d’un combat de très haute intensité face aux Pacte de Varsovie. Paradoxalement, l’utilisation navale des Harrier, d’abord avec une version dédiée, le Sea Harrier, puis avec le développement de l’AV8 pour l’US Marine Corps lui permettant de doter ses LHD de capacités de chasse, n’intervint que dans un second temps. A ce titre, on peut se demander si, pour les pays manquant précisément de profondeur stratégique, comme c’est le cas par exemple de la Grèce dans un hypothétique conflit avec la Turquie, le F-35B, bien que plus onéreux, ne doive pas être privilégié face au F-35A, ce d’autant que le chasseur furtif, même en version terrestre, ne dispose pas d’une allonge comparable à celle, par exemple, du Rafale qui peut être mis en oeuvre à partir de base déportées et éloignées, comme en Crete, en Épire ou sur les iles Ioniennes.

Les forces aériennes singapouriennes alignent 40 chasseurs F-15SG et 60 F-16C/D aujourd’hui

Toutefois, contrairement au Harrier qui était avant tout un appareil rustique conçu pour pouvoir être mis en oeuvre dans de rudes conditions, loin de ses bases support, et pendant un temps relativement long, le F-35B souffre des mêmes cotraintes que les autres modèles de Lightning II, à savoir une complexité très importante et une maintenance particulière lourde requérant des capacités de soutien très importantes, et notamment une liaison de données remontant jusqu’aux Etats-Unis. Il est probable que Singapour ait voulu, avant de commander son premier escadron de F-35B dans son intégralité, obtenir certaines assurances et effectuer certains tests pour évaluer la capacité de l’appareil à être mis en oeuvre en situation de maintenance dégradée. La commande des 8 appareils supplémentaires laisse supposer que l’appareil répond à des besoins initiaux, comme par exemple la mise en oeuvre à partir de bases très endommagées. Si de nouvelles commandes de F-35B venaient à être passées par Singapour, cela indiquerait très probablement que ses forces aériennes auront toute confiance dans la capacité de l’appareil à être mis en oeuvre en environnement dégradé sur la durée. A suivre donc…

La Marine Indienne s’apprête à commander un sister-ship au porte-avions INS Vikrant

Depuis l’entrée en service du nouveau porte-avions à tremplin et brins d’arrêt INS Vikrant en septembre 2022, la question autour de la construction d’un nouveau navire, plus lourd et doté de catapultes, fait l’objet de nombreux débats en Inde.

Paradoxalement, l’Indian Navy est clairement, et depuis plusieurs années, très réservée sur la pertinence de construire un navire qui se veut la réponse indienne aux nouveaux Type 003 chinois, avec un déplacement de plus de 65.000 tonnes et des catapultes pour mettre en oeuvre le nouveau chasseur embarqué TEDBF pour Twin Engined Deck Based Fighter, en cours de conception par l’avionneur national HAL et l’agence de l’armement indienne DRDO.

Selon les amiraux indiens, les couts liés au développement d’un tel navire venant compléter la flotte composée des deux porte-avions INS Vikramaditya (ex Baku puis Admiral Gorshkov acquis auprès de la Russie en 2004), et l’INS Vikrant, premier navire de facture local, un porte-avions de 44.000 tonnes doté lui aussi d’un Ski-jump et de brins d’arrêts, la priverait des crédits nécessaires pour developper sa flotte de 6 sous-marins nucléaires d’attaque de conception nationale.

Il semble que l’amirauté indienne et le gouvernement de Narendra Modi, attaché aux symboles de puissance, aient trouvé un compromis. Plutôt que d’engager le couteux développement d’un nouveau porte-avions lourd, celle-ci s’apprêterait, selon la presse indienne, à commander un sister-ship à l’INS Vikrant, de sorte à amener la flotte de porte-avions indiens à 3 navires et ainsi disposer d’une capacité aéronavale permanente.

Pour rappel, une flotte de 4 navires est nécessaire pour maintenir en permanence un navire à la mer, comme c’est le cas des flottes de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins formant les dissuasions françaises et britanniques, de 3 navires pour garantir une disponibilité permanente d’au moins un navire à 100% du temps.

Une flotte de 2 navires permet d’assurer une disponibilité de l’ordre de 80%, alors qu’une flotte d’un unique navire culmine, selon les modes d’utilisation, entre 40 et 50% du temps dans le meilleur des cas.

Acquis en 2004 auprès de la Russie, l’INS Vikramaditya est entré en service en 2014 dans la Marine indienne après un long processus de modernisation pour doter le navire d’un Ski-Jump et de brins d’arrêt.

Selon l’Amiral R. Hari Kumar, chef d’Etat-major de l’Indian Navy, la construction d’un nouveau porte-avions de même type que l’INS Vikrant doté de modifications mineures, pourrait être achevée en 8 ans, permettant de passer alors à un format à 3 porte-avions.

Dans le même temps, le développement du remplaçant de l’INS Vikramaditya, qui quittera le service d’ici 2040, sera lancé, et portera probablement sur un nouveau modèle de porte-avions cette fois doté de catapultes et de brins d’arrêt électromagnétiques, de sorte à étaler les couts de développement mais également atténuer les risques technologiques, tout en maintenant le format visé par l’aéronavale indienne.

New Delhi n’ayant, en tout cas jusqu’à aujourd’hui, pas déclaré d’ambitions importantes pour se doter d’une puissante capacité de projection de puissance navale, ces porte-avions auront principalement pour mission de répondre à la menace que représente d’autres capacités aéronavales, comme celles en cours de déploiement en Chine, de sorte à dissuader l’adversaire de toute ambition excessive.

Dans ce domaine, des porte-avions STOBAR (short take-off but arrested recovery) comme le Vikrant et son sister-ship apporteront des capacités très appréciables et bien dimensionnées vis-à-vis de la menace prévisible dans les 30 à 40 années à venir.

Long de 262 mètres pour 62 mètres de maître-bau (plus grande largeur du navire), l’INS Vikrant, parfois désigné IAC-1 pour Indegenous Aircraft-Carrier n°1, a une jauge en charge de 50.000 tonnes, soit des dimensions proches de celles du PAN Charles de Gaulle de la Marine Nationale.

Il est propulsé par 4 turbines à gaz GE LM2500 lui permettant d’atteindre une vitesse de pointe, importante pour les manoeuvres aviations, de 30 noeuds, pour une autonomie de 8000 nautiques.

Son équipage de 200 officiers et 1450 marins et officiers mariniers, lui permet de mettre en oeuvre jusqu’à 36 appareils dont des chasseurs embarqués, probablement des Rafale M, et des hélicoptères MH-60 Romeo, Ka-31 et Dhruv.

Pour sa protection, le navire dispose de 32 silos verticaux équipés de missiles anti-aériens à moyenne portée Barak 8 co-developpés par l’Inde et Israel, ainsi que 3 canons de 76 mm Otobreda et 4 CIWS AK-630 de 30mm. Il emporte, enfin, un puissant radar EL/M-2248 MF-STAR de l’israélien Elta équipé d’antennes AESA à face plane, ainsi que de différents systèmes de protection et de guerre électronique.

L'indien Navy a arbitré en faveur du Rafale M pour armer son porte-avions INS Vikrant
L’Indian Navy a officiellement arbitrée en faveur du Rafale M pour armé son porte-avions INS Vikrant, mais la décision finale revient au gouvernement indien

La commande d’un second porte-avions de la classe Vikrant pourrait être une opportunité pour Dassault Aviation. En effet, il est désormais très probable (au point que wikipedia l’annonce déjà), que l’Indian Navy s’équipera de chasseurs Rafale M pour équiper l’INS Vikrant, le Mig-29K russe posant de plus en plus de problèmes notamment en terme de sécurité, et le Super Hornet s’étant retiré du jeu en annonçant la fin de la production pour 2025.

Si le programme TEBDF prévoit un premier vol pour 2026, il demeure assez improbable que HAL et la DRDO parviennent à rendre le programme opérationnel avant 2035, alors que le sister-ship devrait entrer en service au début des années 2030.

Dès lors, une nouvelle commande de Rafale M est possible afin d’armer ce second navire, ce d’autant que l’aéronavale chinoise aura, à cette date, deux puissants chasseurs à bord de ses porte-avions, le J-15T, version modernisée du J-15 actuel pouvant employer les catapultes électromagnétiques des porte-avions de la classe Fujian, et le J-35, un chasseur furtif embarqué dérivé du FC-31 de Shenyang.

Cette décision permettra également à la Marine indienne de libérer des crédits pour le développement de sa flotte de surface, mais surtout de sa flotte sous-marine avec le programme de 6 SNA en cours de conception.

Là encore, l’industrie française pourrait jouer un rôle critique pour aider l’Inde à se doter de cette capacité aujourd’hui réservée aux seuls membres permanents du Conseil de Sécurité des Nations Unis, et des négociations seraient en cours entre Paris et Ne Delhi afin de doter les SNA indiens de certaines technologies critiques améliorant sensiblement leurs performances et leurs discrétion acoustique, comme c’est le cas du Pump-jet, cette hélice carénée qui atténue les phénomènes de cavitation et permet aux sous-marins d’évoluer plus rapidement tout en restant discrets.

Plus que jamais, la France se positionne comme un partenaire stratégique pour la défense indienne, alors même que les tensions régionales ne cessent de croitre.

Boeing annonce la fermeture de la ligne d’assemblage du F/A-18 E/F Super Hornet en 2025

En 2013, l’US Navy annonça, dans le cadre de la préparation du budget 2014, qu’elle n’entendait plus commander de nouveaux chasseurs F/A-18 E/F Super Hornet, l’évolution du F/A-18 Hornet développée au début des années 90 pour remplacer le F-14 Tomcat, mais également le bombardier A-6 Intruder et l’avion de guerre électronique EA-6 Growler. Toutefois, comme souvent aux Etats-Unis, des considérations politiques et économiques locales amenèrent le Congrès à garder sous respirateur la ligne de production Boeing de Saint Louis pendant plus d’une décennie, en commandant entre 12 et 20 appareils supplémentaires chaque année contre l’avis de l’US Navy elle-même. Malheureusement, ce répit ne permit pas à Boeing de trouver de nouveaux débouchés à l’exportation pour son chasseur, et alors que les tensions avec la Russie, la Chine mais aussi l’Iran et la Coréen du nord prennent désormais le dessus sur des considérations locales, l’US Navy et le Congrès ont annoncé, dans le cadre de la préparation du budget 2022, qu’il s’agirait de la dernière commande de l’appareil avec 12 appareils sur l’année fiscale 2023, et 8 appareils supplémentaires en 2022.

De fait, Boeing n’avait guère d’autres choix que d’annoncer pour 2025 la fin de la production de cet appareil qui représente aujourd’hui le principal chasseur embarquée de l’US Navy, et qui n’a été commandé sur la scène internationale que par l’Australie et le Koweit, lorsque le dernier appareil commandé cette année par le Congrès pour l’US Navy aura été livré. Même si le Super Hornet demeure officiellement en compétition contre le Rafale M en Inde pour 26 appareils destinés à embarquer à bord du nouveau porte-avions Vikrant, et en dépit des réserves prises à ce sujet par la porte-parole de Boeing Deborah VanNierop selon lesquelles la fermeture de la ligne serait reportée de 2 ans si New Delhi venait choisir l’avion américain, il ne fait aucun doute désormais que Boeing a abandonné tout espoir autour de ce contrat, l’annonce de la fermeture due la ligne de production pour 2025 étant un bien mauvais argument commercial pour convaincre un futur client de la pérennité de son investissement.

Un quart des Super Hornet produits l’ont été en version de guerre électronique EA-18G Growler

Il est vrai qu’aujourd’hui, l’US Navy entend concentrer ses investissements sur de nouvelles capacités pouvant potentiellement lui donner les moyens de faire face à la Chine le cas échéant, comme les missiles hypersoniques qui armeront bientôt les destroyers de la classe Zuwalt, la nouvelle classe de sous-marins nucléaires d’attaque SSN(x) et la nouvelle classe de destroyers lourds DD(x). Dans le domaine de la chasse embarquée, elle poursuite l’acquisition de F-35C, mais concentre surtout ses efforts sur l’entrée en service du drone ravitailleur embarqué MQ-25 Stingray et sur le développement du nouveau chasseur embarqué de nouvelle génération F/A-XX du programme Next Génération Air Dominance version Navy, des capacités jugées indispensables dans un futur relativement proche pour conserver l’ascendant aéronaval sur les océans.

Au final, en 2025 à la fermeture de la ligne, le Super Hornet aura été produit à 698 exemplaires, dont 172 EA-18G Growler qui demeure aujourd’hui le seul appareil de guerre électronique et de suppression des défenses aériennes adverses moderne du camps occidental. S’il reprenait l’aspect du Hornet, le Super Hornet était cependant un appareil nouveau, bien plus imposant que son prédécesseur avec une masse à vide de 14,5 tonnes contre 10,5 pour le Hornet, et une masse maximale au décollage de presque 30 tonnes, contre 23,5 tonnes pour son aïeul, en faisant le plus lourd chasseur embarqué de l’histoire de l’US Navy avec le très imposant A5 Vigilante des années 60. En dépit de cette prise de masse, le Super Hornet demeure un appareil manoeuvrant, aux performances élevées et suffisamment robuste pour opérer à bord des porte-avions US.

L’usine Boeing de Saint-Louis va produire des éléments du MQ-25 Stingray pour l’US Navy

Toutefois, en dépit de ses atouts, il ne parvint jamais vraiment à convaincre, en particulier sur la scène internationale, souffrant encore davantage que les avions européens de la concurrence du nouveau F-35A de Lockheed-martin devenu cheval de bataille du Département d’Etat américain et de l’OTAN. Ainsi, la plupart des clients historiques du F/A-18 Hornet, le Canada, la Suisse ou encore la Finlande, se sont tournés vers le Lightning II pour le remplacement de leurs appareils, et ce même si, de l’avis de tous, ils étaient très satisfaits de leurs Hornet. Aujourd’hui, parmi ces clients, seule l’Espagne n’a pas encore franchi le pas, tiraillée qu’elle est entre ses engagements européens avec le Typhoon et le programme SCAF, et la volonté d’entrer dans le rang et d’optimiser sa flotte alors qu’ils prévoirait déjà à d’acquérir plus d’une vingtaine de F-35B pour remplacer les AV-8B Harrier II armant son unique porte-aéronef.

Si le Super Hornet est condamné à court terme, ce n’est pas le cas du site de Saint Louis. Selon Boeing, les personnels travaillant sur la ligne d’assemblage seront ventilés sur les nouvelles lignes produisant l’avion d’entraînement T-7A Redhawk et le F-15EX Eagle II de l’US Air Force et le drone lourd embarqué MQ-25 Stingray. Toutefois, l’avenir de Boeing en tant que constructeur d’avions de combat, se jouera très probablement autour du programme F/A-XX de l’US Navy, qui concentre sans le moindre tous les espoirs dans ce domaine de la firme de Seattle. Une chose est certaine, et comme l’avait parfaitement montré Will Roper en son temps, les Etats-Unis ont tout intérêt à ventiler vers différents constructeurs leurs besoins en matière d’avions de combat, tant pour stimuler la compétitivité que pour préserver un outil industriel suffisamment dimensionné, et pour éviter de créer des situation de dépendance trop importante vis-à-vis de quelques entreprises. Par son passé et celui des entreprises qu’elle absorba comme McDonnell Douglass, la perte de Boeing dans l’univers des avions de combat US serait incontestablement une perte dramatique.