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Faut-il reprendre les Mirage 2000-9 émiriens pour densifier l’Armée de l’Air et de l’Espace ?

Alors que la flotte « tout Rafale  » de l’Armée de l’Air et de l’Espace n’interviendra qu’au-delà de 2030, la reprise des Mirage 2000-9 des Émirats arabes unis offrirait une solution d’attente alors que les tensions internationales ne cessent de croitre.

La prochaine Loi de programmation militaire française, qui couvrira la période 2024 à 2030, promet d’être ambitieuse, avec un effort de défense amené à plus de 2,25 % du PIB et une hausse de près de 35 % de la dotation budgétaire aux armées.

Toutefois, de l’avis de nombreux analystes et anciens officiers supérieurs et généraux, elle ne permettra pas de combler certaines défaillances critiques des armées, notamment en termes de format.

Ce sera le cas de la flotte de chasse de l’Armée de l’Air et de l’Espace, qui connaitra certes une montée en puissance avec la livraison de 80 avions Rafale sur cette période, venant renforcer les quelque 82 chasseurs en parc aujourd’hui.

Les Mirage 2000D et Mirage 2000-5F de l’Armée de l’Air et de l’Espace

Avec les 55 Mirage 2000D modernisés toujours en service en 2030, et avec le retrait des Mirage 2000-5F, celle-ci n’alignera donc que 206 chasseurs à cette date, alors que son État-major estimait avant même la guerre en Ukraine qu’un format de 225 avions de combat était requis pour remplir son contrat opérationnel.

Au-delà de cette perception à 2030, la Chasse française passera par un point bas autour de 2028, lorsque les 2000-5F seront retirés du service, tandis que la livraison des 80 Rafale prévue jusqu’à 2030 n’aura pas encore été à son terme.

Pour répondre à ces problèmes, il n’est toutefois pas réaliste d’espérer une livraison de Rafale supplémentaires d’ici à 2030. En effet, Si Dassault Aviation a bel et bien augmenté ses cadences de production, en visant un rythme de livraison mensuel de 4 appareils, Soit 48 chasseurs par an contre seulement 11 en 2014, il n’a aucun intérêt à aller au-delà de ce tempo.

Cela épuiserait son portefeuille client bien avant 2035 et l’entame de la production du futur Next Generation Fighter du programme SCAF, et ce même en considérant le potentiel export restant du Rafale sur la scène internationale.

Dit autrement, si des Rafale supplémentaires seront très probablement livrés à la chasse française, qu’il s’agisse de remplacer les Mirage 2000D modernisés, les Rafale M les plus anciens, ou encore pour compenser les probables ventes d’occasion qui interviendront d’ici là, il n’est pas raisonnable, du point de vue de l’optimisation de l’outil industriel, donc des couts, que ces livraisons interviennent avant la fin de la LPM 2024-2030.

L’Armée de l’Air et de l’Espace n’alignera que 162 Rafale en 2030, ainsi que 55 Mirage 2000D. Un format inférieur aux 225 appareils de combat minimum demandés par l’état-Major français

Une solution pourrait cependant être envisagée, permettant de donner à l’Armée de l’Air et de l’Espace le potentiel et la souplesse opérationnelle nécessaire pour répondre aux enjeux de la décennie en cours, tout en préservant un fonctionnement optimal de l’outil industriel aéronautique défense français.

Les performances des Mirage 2000-9 des Émirats arabes unis

En effet, parmi les nombreuses forces aériennes ayant commandé le nouveau chasseur français ces dernières années, les Émirats arabes unis se caractérisent non seulement par le volume record d’appareils commandés, 80 Rafale F4 pour 16 Md€, mais également par la composition de la flotte de chasse que ces Rafale vont remplacer, en l’occurrence 58 Mirage 2000-9, la version la plus aboutie et la plus performante du chasseur monomoteur de Dassault Aviation.

Dans ce contexte, serait-il pertinent, pour l’Armée de l’Air et de l’Espace, comme pour les finances publiques, de reprendre tout ou partie de cette flotte afin de densifier la chasse française, et répondre ainsi aux enjeux opérationnels et sécuritaires qui se profilent dans les années à venir ?

Tout d’abord, il convient d’évaluer le potentiel opérationnel du Mirage 2000-9 aujourd’hui. Au-delà des performances annoncées par le constructeur et par ses équipementiers Thales et MBDA, il a montré, au combat comme à l’entrainement, des capacités opérationnelles plus que satisfaisantes, y compris très récemment.

Mais les éléments les plus parlants sont à trouver hors des EAU. Ainsi, il y a quelques semaines, à l’occasion d’un exercice d’engagement simulé, les 2000-5 taïwanais, des appareils pourtant non modernisés, ont largement pris le dessus sur les F-16C/D qui leur étaient opposés, et qui, eux, avaient été modernisés, avec un taux de victoire supérieur à 2 contre 1.

De même, lors de l’engagement ayant opposé les forces aériennes pakistanaises et indiennes en septembre 2019, les Mirage 2000i indiens sont parvenus à obtenir des solutions de tir MICA au-delà de la portée visuelle (BVR ou Beyond Visual Range), non seulement sans que les F-16 C/D Pakistanais puissent faire de même avec leurs AIM-120D, mais également avant que les Su-30 MKI indiens puissent accrocher leurs adversaires avec leurs R-77M de facture russe.

Or, les « 2000 » indiens et taïwanais sont sensiblement moins performants, et disposent d’une électronique embarquée moins évoluée, que les 2000-9 émiriens qui, outre leur radar RDY-2 plus évolué, peuvent aussi mener des attaques au sol à l’aide de missile Black Shaheen (SCALP-EG) de MBDA et des bombes guidées laser, et contre les cibles navales à l’aide du missile AM39 Exocet.

Bien que non modernisés, les Mirage 2000 taïwanais savent encore tenir la dragée haute aux F-16 C/D du pays qui, eux, ont été modernisés.

De fait, les Mirage 2000-9 émiriens apporteraient, sans le moindre doute, une plus-value opérationnelle significative à l’Armée de l’Air, d’autant qu’à l’instar de tous les appareils de sa famille, il est sensiblement moins couteux à mettre en œuvre que le Rafale, même si, évidemment, il ne peut prétendre en avoir les capacités et la polyvalence.

Une solution d’attente jusqu’à une flotte tout Rafale

En outre, étant effectivement multirôles, les -9 peuvent tout aussi bien remplacer les -5F qui devront être retirés du service dans les missions de supériorité aérienne et d’interception, que densifier la capacité de frappe offerte par les D qui, eux, resteront en service jusqu’au delà de 2030.

Enfin, et c’est loin d’être négligeable, les -9 demeurent des Mirage 2000, un appareil parfaitement connu par l’ensemble des personnels de l’Armée de l’Air, de sorte que leur mise en service potentielle pourrait être en même temps rapide et très efficace.

Reste que la flotte émirienne n’est pas homogène. En effet, si les 58 Mirage 2000-9 en service sont effectivement tous au même standard, ils n’ont toutefois pas le même âge ni le même potentiel.

Ainsi, cette flotte est composée pour moitié d’appareils acquis initialement au standard RDI dans les années 80, et qui ont été portés au standard -9 à l’occasion de la commande des 30 appareils supplémentaires livrés directement à ce standard entre le milieu et la fin dès 2000.

En d’autres termes, seuls 30 des 58 Mirage 2000-9 émiriens ont encore un important potentiel de vol, même si étendre le potentiel de plus de 4 000 heures avait effectivement proposé par Dassault, dans le cadre de la modernisation des appareils.

En outre, il semble qu’Abu Dhabi ait déjà promis à son allié marocain le transfert d’une partie de ses Mirage 2000-9 lors de l’arrivée des Rafale F4. Enfin, il est naturel que cette flotte ne pourra être intégralement libérée par Abu Dhabi qu’une fois les 80 Rafale F4 livrés, donc pas avant la fin de la décennie.

Le Mirage 2000-9 apporterait sans conteste une plus-value opérationnelle significative à la Chasse française
Le Mirage 2000-9 apporterait sans conteste une plus-value opérationnelle significative à la Chasse française

Il convient également de considérer que ces chasseurs, notamment les plus récents, ont un réel potentiel permettant d’envisager une modernisation plus intensive que celle effectivement commandée par les Émirats arabes unis en 2019.

Rafaliser les Mirage 2000-9

Ainsi, il avait été proposé, dans le cadre de ce programme de modernisation, de « Rafaliser » l’appareil, en dotant notamment son radar d’une antenne AESA et en y intégrant de nouveaux modes, en portant la poussée de son réacteur M53 à 11 tonnes tout en améliorant la maintenance, et en permettant au chasseur de mettre en œuvre les très performants missiles air air Meteor et MICA NG, ainsi que les bombes guidées planantes ASSM.

Ainsi parés, les Mirage 2000-9 modernisés feraient jeu égal avec les versions les plus évoluées du F-16 comme le Viper Block 70/72+ ou le Gripen avec les versions E/F. Notons enfin que de tels appareils disposeraient encore d’une attractivité significative sur le marché international des chasseurs d’occasion au-delà de 2035, c’est-à-dire lorsque la flotte française aura le potentiel d’atteindre un format « tout Rafale ».

En d’autres termes, pour déterminer l’efficacité économique et budgétaire de la reprise des appareils émiriens, mais également de leur possible modernisation, il convient de l’évaluer en considérant ce potentiel de réexportation au-delà de 2035, y compris vers certains pays européens non dotés de force aérienne, comme les pays baltes, Chypre, voire l’Ukraine.

Conclusion

De fait, si l’opportunité pour l’Armée de l’Air et de l’Espace d’acquérir tout ou partie de la flotte de Mirage 2000-9 émiriens a du sens, tant du point de vue opérationnel qu’économique, il est nécessaire de l’évaluer dans sa globalité, et notamment dans son calendrier.

Reste qu’à l’instar des NH90 Taipan et des Tigre australiens, il est certainement pertinent d’envisager sérieusement une telle hypothèse, qui pourrait effectivement permettre de renforcer le format de la chasse française à relativement court, sans devoir prendre des risques industriels inconsidérés.

On notera, à ce titre, que la reprise des Mirage 2000-9 avait représenté le point d’achoppement dans les négociations franco-émiriennes pour l’acquisition de Rafale au début des années 2010.

À cette époque, les autorités françaises, obnubilées qu’elles étaient par la réduction des dépenses de défense, avaient écarté le sujet, ce qui reporta la première commande de Rafale de plus de cinq ans. Aujourd’hui, il se pourrait bien que ce soit davantage la France qui soit en demande autour de ces appareils, alors même que la commande de Rafale a, elle, été passée sans condition.

F-35A, Su-75, FC-31.. : quel chasseur remplacera les F-16 des Emirats Arabes Unis ?

En septembre 2020, sur fond d’accord historique entre les Emirats Arabes Unis et Israël, le président américain, Donald Trump, annonçait l’acquisition par Abu Dabi de drones Reaper, mais également d’avions de guerre électronique EA-18G Growler et surtout de 50 chasseurs de nouvelle génération F-35A, une première au Moyen-Orient. En dépit du montant pharaonique de 23 Md$ que représentait cette commande, le Congrès se montra plus que circonspect à ce sujet. Et malgré les efforts du président Trump qui, jusqu’au dernier jour de son mandat, tenta de forcer la main des parlementaires US pour avaliser la commande, celle-ci fut immédiatement suspendue par Joe Biden à peine fut-il arrivé à la Maison Blanche. Pour la nouvelle administration US, les choix émiriens, notamment en terme de déploiement du réseau 5G attribué au chinois Huawei, posaient de réels problèmes, alors que le F-35 comme le Reaper et le Growler, étaient jusque là réservés aux alliés les plus proches de Washington, membres de l’OTAN ou d’une alliance stricte bilatérale (Singapour, Japon, Australie et Corée du Sud).

Face aux atermoiements de la Maison Blanche et du Congrès US, les autorités émiliennes perdirent patience, et annoncèrent, en décembre 2021, la commande de 80 chasseurs Rafale français auprès de Dassault Aviation pour 16 Md€. Cependant, les Rafale F4 qui seront livrés aux EAU, seront destinés à remplacer les 59 Mirage 2000 commandés entre 1983 et 1997, et livrés jusqu’à la fin des années 2000. Les F-35A, eux, devaient remplacer les quelques 78 F-16 C/D Block 61 commandés en 1998 et livrés à partir de 2004. Toutefois, quelques jours après l’officialisation de la commande à la France, Abu Dabi annonça la suspension des négociations avec Washington autour du super contrat comprenant les F-35, probablement excédés par les hésitations américaines. Depuis, deux autres acteurs se dont engouffrés dans cette opportunité, le russe Rostec avec son nouveau chasseur monomoteur Su-75 Checkmate, et le chinois Shenyang avec le FC-31 Gyrfalcon, qui sert de base au développement au futur « J-35 » (désignation non officielle) qui équipera les nouveaux porte-avions de l’Armée Populaire de Libération.

Les forces aériennes émiliennes alignent aujourd’hui 78 F-16 Block 61, qui est l’une des plus évolués en service, ne cédant qu’aux F-16 Block 70/72 en terme de modernité. Soyons franc, il est peut-être performant, mais il est surtout super moche …

Il faut dire qu’avec la commande de Rafale, mais également l’accélération de la recomposition géopolitique mondiale, Abu Dabi est aujourd’hui en position de force dans ses négociations. Non seulement l’Emirat a le temps de négocier au mieux de ses intérêts pendant encore plusieurs années sans devoir engager ses capacités défensives, mais il joue, désormais, un rôle politique et économique critique au Moyen-Orient et au delà, conférant à ce futur contrat une dimension géopolitique dépassant largement le seul cadre de la puissance aérienne. Et comme nous le verrons, chaque appareil, avec les contraintes et opportunités politiques, industrielles et technologiques lui étant liés, peut se prévaloir de points forts déterminants, et de points faibles significatifs.

Lockheed-Martin F-35A Lightning II

Selon les déclarations du Principal Deputy Assistant Secretary for the Bureau of Political-Military Affairs américain, Stanley Brown, en marge du salon IDEX 2023, les discussions entre les autorités américaines et émiriennes n’ont jamais cessé depuis la suspension des négociations autour du F-35 et du Reaper (le Growler ayant disparu du spectre). Toutefois, il estime également, comme le terme « discussion » et non « négociation » l’indique, qu’une telle hypothèse prendrait de plusieurs années à se concrétiser. En d’autres termes, si le F-35A demeure dans la course aux EAU, il n’est désormais plus ni le seul compétiteur, ni même nécessairement en tête de la compétition. Pourtant, l’avion de Lockheed-Martin a de nombreux atouts à faire valoir face à ses concurrents russes et chinois, en premier lieu desquels son parc installé et à venir, qui dépassera probablement les 3500 appareils d’ici au milieu de la prochaine décennie. En outre, le chasseur représentera la colonne vertébrale de l’US Air Force et du Marines Corps, ainsi que d’une majorité de forces aériennes occidentales, ce qui est une excellente garantie de pérennité et d’évolutivité. Enfin, l’appareil peut s’appuyer sur certaines caractéristiques très avancées, comme en terme de furtivité et de fusion de données, ainsi que sur un vaste panel de munitions de différents types, en faisant un appareil très polyvalent, parfaitement taillé, par exemple; pour éliminer la menace sol-air iranienne au besoin.

Le F-35A a de nombreux atouts à faire valoir. Mais les contraintes opérationnelles et politiques qui l’accompagnent peuvent dissuader Abu Dabi.

Pour autant, le Lightning 2 vient également avec son lot de contraintes, la première ayant déjà été expérimentée par Abu Dabi, à savoir l’omniprésence permanente des Etats-Unis dans tous les processus liés à l’utilisation de l’appareil, y compris les plus simples, comme le fait de prendre l’air. Dit autrement, acheter le F-35, c’est également donner un pouvoir considérable à Washington dans le contrôle des opérations militaires aériennes du pays, sauf à obtenir une très improbable dérogation accordée à ce jour uniquement à Jerusalem. Cela ne pose guère de problème pour la plupart des pays de l’OTAN et les alliés de premier rang de la zone Pacifique US, mais cela peut être un critère déterminant pour Abu Dabi, qui ambitionne de jouer un rôle plus important et plus autonome dans les années à venir sur l’échiquier international. D’autre part, l’appareil est à la fois cher, si pas à l’acquisition, en tout cas à la mise en oeuvre et maintenance, et complexe, avec des taux de disponibilité encore faibles en comparaison des appareils qu’il remplace. Enfin, les compensations industrielles et technologiques autour d’une potentielle acquisition de F-35A américains seront limitées, ou tout au moins probablement très inférieures à celles proposées par Moscou et Pékin, alors que les Emirats souhaitent activement developper leur propre base industrielle et technologique défense.

Rostec Su-75 Checkmate

Des 3 appareils en lice pour le remplacement des F-16 émiriens, le Su-75 Checkmate, proposé par le groupe aéronautique russe Rostec, est celui proposant les choix les plus contrastés. En premier lieu du fait que l’appareil n’existe pas encore, même s’il a été présenté pour la première fois lors et en grande pompe lors du salon moscovite MAKS-2021, sous forme de maquette grandeur nature. Pire, son développement n’est pour l’heure en rien garanti, puisque les forces aériennes russes n’ont toujours pas statué sur l’éventuelle acquisition du chasseur monomoteur furtif de 5ème génération développé par Sukhoi, même si la guerre en Ukraine semble faire bouger les lignes à ce sujet au Ministère de la défense russe, en particulier pour remplacer les Mig-29 et Su-25 largement sollicités mais également très exposés depuis le début du conflit. Enfin, les mauvaises performances des forces aériennes russes en Ukraine font peser un doute certain quant à l’efficacité réelle des successeurs du Mig-21 et Su-27 qui, eux, donnèrent satisfaction au combat.

Le Su-75 Checkmate fut la star du salon MAKS 2021. Depuis, son avenir demeure très incertain, même si les forces aériennes russes semblent davantage s’y intéresser depuis le début de la guerre en Ukraine.

Pour autant, le Checkmate russe ne manque pas d’arguments à faire valoir. D’une part, l’appareil promet effectivement d’être performant, tout au moins si l’on en croit les caractéristiques avancées par Rostec, y compris en terme de vitesse, de rayons d’action et de capacité d’emport, même s’il s’agit d’un monoreacteur. D’autre part, le chasseur russe promet d’être économique, bien davantage que le modèle américain et même que le modèle chinois concurrent, Rostec ayant visé à créer davantage l’héritier du Mig-21 que le concurrent du F-35A avec ce chasseur. Enfin, et c’est probablement là le point clé, l’industrie russe proposerait aux Emirats Arabes Unis un très important transfert de technologie et partage industriel pour la production du Checkmate, de l’ordre de 60% en faveur des EAU, ce qui permettrait effectivement à Abu Dabi de faire rapidement et efficacement monter en compétence ses propres capacités industrielles dans ce domaine, voire de proposer le Checkmate à l’exportation. Reste qu’à l’instar du S-400 ou du Su-35s, le Checkmate sera très probablement visé par la législation CAATSA américaine, rendant son acquisition très délicate par Abu Dabi, même en dépit du pont d’or proposé par Moscou.

Shenyang FC-31 Gyrfalcon

Le troisième compétiteur pour le remplacement des F-16 émiriens est également le plus discret sur la scène publique, mais probablement le plus offensif dans les faits. Le Shenyang FC-31 Gyrfalcon est un chasseur bimoteur furtif de 5ème génération développé initialement pour l’exportation. Les premiers prototypes ne donnant pas satisfaction au constructeur, l’appareil fut profondément modifié, au point de séduire les forces navales de l’Armée Populaire de Libération qui le préférèrent au J-20 pour équiper ses futurs porte-avions équipés de catapultes, aux cotés des J-15T plus lourds mais plus anciens. De fait, le FC-31, sans sa désignation version terrestre, est aujourd’hui un compétiteur très sérieux, même s’il ne pourra probablement jamais s’appuyer sur le même parc que le F-35. En outre, contrairement aux appareils russes, les chasseurs chinois mettent en oeuvre une électronique embarquée moderne, très proche en performances de celle mise en oeuvre sur les chasseurs occidentaux les plus évolués. Enfin, il est probable que la Chine proposera à Abu Dabi des conditions économiques, technologiques et industrielles attractives, un tel contrat pouvant représenter un considérable marche-pied pour les exportations chinoises en matière d’équipements de défense.

Le FC-31 est toujours en développement, même si le J-35 embarqué qui en est dérivé, suit désormais son propre agenda

En terme de performances, mais également de prix et de compensations industrielles et technologiques, le FC-31 se positionne donc probablement à mi-chemi du F-35A américain et du Su-75 russe. En revanche, d’un point de vue politique, le chasseur se démarque très nettement des deux autres appareils. En effet, les armements chinois ne sont pas encore visés par la législation CAATSA, la Chine n’ayant pas, à ce jour, commise d’action internationale susceptible d’en justifier l’application, comme ce fut le cas de l’annexion de la Crimée et surtout de l’intervention en Syrie pour la Russie lorsque la législation fut votée par le Congrès US. Pour autant, la Chine n’impose quasiment aucune contrainte d’emploi ou de contrainte politique évidente pour la vente de ses armements, contrairement aux Etats-Unis. Notons en outre que le régime Emirien, une Monarchie constitutionnelle mais non démocratique, est beaucoup plus proche dans sa structure si pas dans l’esprit, du régime chinois que des standards occidentaux, alors que Pékin ne se montre guère concerné par les questions intérieures ou par l’intervention au Yemen.

Conclusion

On le voit, les 3 compétiteurs en lice pour remplacer les F-16 des forces aériennes émiriennes, ont chacun de sérieux atouts compétitifs à faire valoir, d’autant que le positionnement proposé par chacun d’eux diffère sensiblement des deux autres. En l’absence de pouvoir effectivement connaitre les performances exactes du Su-75 et su FC-31, il n’est pas possible d’arbitrer objectivement le sujet, même s’il est probable que le chasseur américain se montrera plus efficace que ses deux compétiteurs au combat. En revanche, dans le paysage géopolitique dans lequel les chasseurs émiriens pourraient évoluer dans les années à venir, on peut, sans grand risque, admettre que les 3 appareils apporteraient des plus-values significatives, d’autant qu’ils pourront s’appuyer sur les 80 Rafale déjà commandés, qui évolueront d’ici là vers la 5ème génération. De fait, les aspects technologiques, industriels et surtout politiques, vont jouer un rôle déterminant dans l’arbitrage que va mener Abu Dabi à ce sujet.

Dès lors, c’est probablement avant tout selon ce spectre qu’il faudra analyser la future décision émiriennes, et en tirer les conséquences qui s’imposeront. Une chose est certaine, les Etats-Unis ont déjà permis, par leurs actions, à la France de leur souffleur la politesse dans ce domaine avec la vente des Rafale. A trop vouloir considérer que tous les pays feront preuve de la même docilité que les européens, japonais et australiens, ils risquent fort de paver la voie à la Chine et la Russie, et d’entamer de fait un mouvement de fond qui pourrait voir un basculement, si pas profond, en tout cas sensible, d’un Moyen-Orient qui s’éloignerait alors de la sphère d’influence occidentale, alors même que la dépendance européenne aux hydrocarbures de cette partie du monde est plus importante que jamais.

Face à l’OTAN, Vladimir Poutine annonce le renforcement de la triade nucléaire russe

Le 21 février 2022, après que le président Russe, Vladimir Poutine, ait annoncé la suspension du traité New Start, nous écrivions que cette décision préparait une future montée en puissance de la triade nucléaire russe, cette dernière étant aujourd’hui le seul atout restant dans les mains du chef du Kremlin, pour justifier du statut de super-puissance de la Russie sur la scène internationale, alors que ses forces conventionnelles ont été très sévèrement amoindries par une année de guerre en Ukraine.

Il n’aura fallu attendre que deux jour après cette annonce, et en dépit des commentaires sceptiques de certains journalistes à ce moment, pour que le dirigeant russe donne corps à cette hypothèse. En effet, s’exprimant dans le cadre de la journée des héros défenseurs de la mère patrie, un jour férié traditionnel en Russie depuis 1922 célébrant les militaires puis, au fil du temps, les forces de l’ordre, de sécurité et les pompiers, le président russe a annoncé le prochain renforcement de la triade nucléaire russe.

Pour y parvenir, Vladimir Poutine a présenté plusieurs mesures à venir, comme l’entrée en service prochaine de nouveaux missiles balistiques intercontinentaux, en l’occurence le RS-28 Sarmat, mais également la construction de nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, probablement de la classe Borei-A, et le renforcement des forces ariennes stratégiques, avec le Tu-160M et peut-être l’arrivée hypothétique du bombardier furtif PAK-DA.

Enfin, le développement et le déploiement des nouveaux missiles hypersoniques, qu’ils soient aéroportés comme le Kinzhal, ou à lancement naval ou sous-marins, comme le 3M22 Tzirkon, seront intensifiés. En revanche, le president a précisé que les procédures d’informations réciproques avec l’occident concernant les essais de vecteurs seront, elles, maintenues.

V.Poutine a annonce la construction de nouveaux sous-marins à propulsion nucléaire, probablement de la classe Borei-A, sans toutefois en préciser le nombre

Rappelons qu’en 2018, la loi de programmation militaire russe GPV 2018-2027, avait déjà acté le passage d’une flotte initiale de 10 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) à une flotte de 12 navires, soit autant que les Etats-Unis ne prévoient de construire de nouveaux SNLE de la classe Columbia.

Par cette annonce, le président russe laisse supposer que le format de la flotte stratégique russe ira donc au delà de ce nombre, ce qui ne manquera pas d’engendrer une réaction de la part de Washington qui pourrait, du fait de la suspension du traité New Start, décider de compenser non seulement la flotte russe en devenir, mais également la force nucléaire chinoise en pleine expansion et qui met en oeuvre, entre autre, une flotte aujourd’hui forte de 6 SNLE Type 09IV, pour revenir à une flotte stratégique entre 18 et 24 bâtiments, comme devait l’être initialement la classe Ohio pendant la guerre froide.

Par ailleurs, concernant le développement et le déploiement intensifiés d’armes hypersoniques évoqués dans ce discours, le président russe a probablement fait référence au développement en cours de deux nouveaux missiles hypersoniques dérivés des armes actuellement en service, à savoir le « mini-Kinzhal » et le « mini-Tzirkon », désignation employée il y a quelques temps par l’agence Tass pour faire référence à ces programmes.

Contrairement au Kinzhal, qui ne peut être mis en oeuvre que par un chasseur lourd MIG-31K spécialement modifié ou par le bombardier à long rayon d’action supersonique Tu-22M3 Backfire-C, ainsi qu’au missile 3M22 Tzirkon qui, lui, ne peut être mis en oeuvre qu’à partir d’une frégate ou d’un sous-marin, les versions « mini » pourront être mises en oeuvre par un chasseur classique, comme le Su-30SM et le Su-35s, et par le bombardier tactique Su-34, précisément du fait qu’ils auront été réduits en taille et allégés. En revanche, il est probable qu’ils auront des performances moindres, notamment en terme de portée mais également de charge militaire, donc de potentiel de destruction.

Le missile antinavire hypersonique 3M22 Tzirkon peut emporter à 1000 km une charge nucléaire de 200 kt

Ceci dit, selon les dires du chef du Kremlin, ces missiles, en version traditionnelle ou « mini », pourront donc être armés d’unee charge nucléaire, comme c’est le cas de plusieurs missiles à usage mixte russes comme le missile balistique à courte portée Iskander ou le missile de croisière Kalibr.

La difficulté, désormais, sera d’établir si, oui un non, un navire ou un aéronef armé de ce type de missile, transporte une charge conventionnelle ou une charge nucléaire, ce qui ne manquera pas de créer d’importantes tensions dans les rencontre entre les unités russes et leurs homologues occidentales.

On peut également craindre que des unités réputées conventionnelles, comme les sous-marins lance-missiles Antei et les nouveaux Iassen, pourront elles aussi emporter plusieurs missiles armés de charge nucléaire, tout comme les frégates et destroyers russes, comme c’était le cas lors de la guerre Froide.

On notera à ce titre que le président russe a également annoncé lors de cette allocution, la construction d’une nouvelle classe de croiseur, probablement la fameuse classe de super destroyers de la classe Lider pour remplacer les 2 croiseurs de la classe Slava restant après la destruction du Moskva.

Le fait que la construction de ces 3 grandes unités de surface fut faite lors d’un discours presque exclusivement consacré au renforcement de la triade nucléaire russe, laisse supposer qu’à l’instar des croiseurs Kirov dans les années 80, ces nouveaux bâtiments seront eux-aussi potentiellement armés de vecteurs nucléaires, en l’occurence des missiles 3M22 Tzirkon qui peuvent emporter une charge nucléaire de 200 kt.

Quoiqu’il en soit, le ton est désormais donné, et le bras de fer à venir entre l’OTAN et la Russie, se fera avant tout dans le domaine des armes nucléaires. On peut, à ce titre, se demander si des bombes gravitationnelles B61-Mod12 transportées dans le cadre de la dissuasion partagée de l’OTAN, par des chasseurs F-35 certes furtifs, constituent la réponse adéquate à des missiles hypersoniques à courte et moyenne portée transportant 100 à 200 kt chacun ?

Comment l’évolution de la doctrine de possession des équipements peut permettre d’étendre le format des armées ?

Alors que le format des armées restera inchangé lors de la prochaine LPM pour des raisons budgétaires, un nouveau modèle de possession des équipements de défense répondrait potentiellement aux défis à venir.

À la fin des années 60 et les prémices des systèmes électroniques embarqués, les matériels militaires connurent une croissance très rapide de leurs performances et capacités. Dans le même temps, leurs couts d’acquisition et de mise en œuvre connurent, eux aussi, une croissance dopée, dépassant de beaucoup l’augmentation des budgets militaires.

Pour tenter de maintenir les formats et surtout les capacités opérationnelles, militaires et industriels entreprirent de s’appuyer sur deux caractéristiques rendues possibles grâce aux apports de l’électronique et de l’informatique, à savoir la polyvalence des équipements, et leur évolutivité pour en étendre la durée de vie efficace dans les forces.

Un Rafale pour les remplacer tous

C’est ainsi que le Rafale français, conçu à partir du début des années 80, permit de remplacer, à lui seul, les huit modèles de chasseur en service au sein des armées françaises, l’avion étant à la fois un chasseur de supériorité aérienne comme le Mirage 2000C et le Crusader, un avion d’attaque comme le Jaguar, le F1CT, le 2000D et le Super Étendard, un avion de reconnaissance comme le F1CR et l’Étendard IVP, et un avion de frappe stratégique comme le Mirage 2000N.

En termes d’évolutivité, l’appareil de Dassault, qui continue d’engranger des commandes exports plus de 20 ans après son entrée en service, a connu pas moins de 5 standards itératifs à ce jour, du F1 de supériorité aérienne embarquée au F-3R multirôle polyvalent, et évoluera encore avec les prochains standards F4 et F5, amenant l’appareil au seuil de la 5ᵉ génération.

L’extension de la durée de vie des équipements, grâce à l’évolutivité, ainsi que de leur polyvalence, permit aux planificateurs militaires de répondre aux problématiques de format et de capacités sous contraintes budgétaires, par ailleurs renforcées par les fameux « bénéfices de la paix » suite à l’effondrement du bloc soviétique.

Les forces aériennes françaises, comme celles des Britanniques ou des Américains, connurent de profondes réductions de format, atteignant 65 % pour ces trois pays, et davantage pour des pays comme l’Allemagne oui la Belgique.

Toutefois, ce qui était une réponse à un problème immédiat, se transforma au fil du temps en paradigme encadrant non seulement les formats, mais également les politiques de possession des équipements. Ainsi, les avions de la génération du Rafale, comme le Typhoon européen ou le Gripen suédois, sont prévus pour rester en service au-delà de 2060, plus de 60 ans après être entrés en service.

Quant à leurs successeurs, comme le NGF du programme SCAF, le Tempest ou le NGAD, ils devront garder la ligne jusqu’en 2100, alors qu’ils entreront en service à partir de 2035 ou 2040. Il en va de même dans le domaine des blindés, et dans une moindre mesure, dans le domaine des navires de combat, tous étant désormais conçus pour une durée de vie opérationnelle étendue grâce à une évolutivité renforcée.

Le format des armées françaises est handicapé par les couts des nouveaux programmes comme SCAF
Le Next Generation Fighter du programme SCAF est conçu pour rester en service plus de 60 ans

Les limites de la doctrine de possession actuelle

Intuitivement, cette stratégie a du sens. Une évolution coutant beaucoup moins cher que d’acquérir, et donc de developper un nouvel appareil, plus on étend la durée de vie d’un équipement grâce à des évolutions successives, plus il devrait se révéler économique à mettre en œuvre.

C’est donc tout naturellement que les nouveaux programmes, comme SCAF ou MGCS, visent, eux aussi, à concevoir ce type d’équipement à longue durée de vie, et ce même si les couts de conception, de fabrication et de mise en œuvre sont plus importants pour répondre à ce paradigme.

Pourtant, alors qu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Roper, le Docteur Will Roper tailla en brèche ces idées reçues. Selon lui, limiter la durée de vie d’un avion de chasse dans les forces à 50% de sa durée de vie prévue, soit 15 ans, couterait au final moins cher par appareil et par an à l’USAF, permettant, à budget équivalent, de mettre en œuvre davantage d’appareils.

Cette déclaration est, de toute évidence, parfaitement contre-intuitive, et va à l’encontre des stratégies de possession des équipements militaires au cœur de la planification des grandes armées occidentales.

Pourtant, réduire la durée de vie d’un avion de combat comme le Rafale à 15 ans dans les forces françaises, permettrait effectivement d’économiser plus de 22% des couts de possession annuels des appareils, et de plus de 50% si la flotte globale était augmentée, quant à elle, de 50%. Voici comment…

Combien coute « un Rafale » ?

Dans le cas d’un appareil comme le Rafale, les couts de possession se décomposent comme suivent : 25 Md€ de développement initial, des couts d’acquisition de 100 m€ par appareil pour une flotte de 250 aéronefs, et 4 évolutions successives sur 30 ans composées d’un investissement technologique de 1.5 Md€ et d’une mise à niveau de 10 m€ par appareil. À cela s’ajoutent les couts de pièces détachées de 2 m€ par appareil et par an, sur 30 ans par appareils.

Au total, ce programme représente donc une enveloppe de 81 Md€ pour 250 aéronefs sur 30 ans. En tenant compte d’un retour budgétaire par défaut de 50% pour l’état (20% de TVA et 30% d’impôts et cotisations sociales directes, indirectes et induites), la flotte coute donc 1,35 Md€ par an, ou 5,4 m€ par appareil et par an.

Deux pays, la Grèce et la Croatie, se sont portés acquéreurs de 12 Rafale C/D d’occasion chacun, prélevés sur le parc de l’Armée de l’Air

La réduction de la durée de possession dans les armées

Prenons maintenant une seconde hypothèse, selon laquelle les 250 appareils ne sont conservés dans les forces que 15 ans, après quoi ils sont vendus sur la scène export d’occasion à 35% de leur prix d’acquisition.

Les couts de développement et d’acquisition restent, dans ce calcul, les mêmes, même si l’on peut argumenter que le développement sur un cycle plus court permettrait de réduire les couts de développement, et que la production des 250 appareils sur 15 ans permettrait de garantir à l’industriel une activité minimale de 16 appareils par an, au lieu de 8 sur 30 ans, alors que le seuil minimal pour maintenir une activité industriel est de 11 appareils par an.

Dit autrement, il y a toutes les chances que dans une telle hypothèse, les couts de développement seraient réduits, comme le seraient les couts de production. Toutefois, pour en faciliter la compréhension, nous garderons les mêmes paramètres que pour le cas classique.

Les appareils étant en service que 15 ans, une seule évolution est nécessaire, les autres étant de la responsabilité des acquéreurs d’occasion, comme ce fut le cas de la Grèce et de la Croatie, qui prirent à leur charge l’évolution des Rafale d’occasion vers le standard F3R. Enfin, les couts de maintenance sont identiques, mais sont ramenés sur 15 années.

Au total, donc, dans cette hypothèse, les 250 appareils seraient financés par une enveloppe de 61,5 Md€ sur 15 ans, donc pour un cout de 30,75 Md€ avec un retour budgétaire de 50%. De prime abord, cela n’apparait donc pas pertinent, puisque les appareils couteraient alors 8,2 m€ par appareil et par an.

Mais ce serait sans compter l’exportation des appareils à mi-vie. Ainsi, les 250 appareils exportés, à 35% de leur valeur, rapporteraient 8,75 Md€ aux finances publiques. Les évolutions, à la charge des clients, rapporteraient quant à elles, 2,5 Md€ pour 2 évolutions à 10 m€ par avion avec un retour budgétaire à 50%, et les couts de pièces détachées 3,75 Md€ à 50% de retour budgétaire.

En d’autres termes, les 30,75 Md€ de couts initiaux, seraient alors ramenés à 15,75 Md€, soit un cout de possession de flotte de 1,05 Md€ par an pour 250 appareils, et un cout de possession par appareil de 4,2 m€ par an.

De fait, ce modèle, sans prendre aucune valeur optimisée ou projection industrielle, représente une baisse des couts de possession de (5,4-4,2)/5,4 = 22% par rapport au modèle classique, alors même que les armées disposeraient en tout temps d’appareils de moins de 15 ans aux performances accrues.

En passant d’une cadence de production nationale de 250 appareils sur 30 ans, à une cadence de 375 appareils sur 15 ans, d’importantes économies d’échelles peuvent être dégagées pour réduire les couts de fabrication des appareils

Augmentation du format des armées

Le potentiel de ce modèle prend toutefois son plein sens en augmentant les formats. Prenons donc l’hypothèse d’un parc de 375 avions de combat, soit 300 pour l’Armée de l’Air, 70 pour l’aéronavale et 5 pour la DGA et la formation, et non de 250 comme précédemment, soit une hausse de 50%. Les couts de développement restent les mêmes, soit 25 Md€.

Les couts de production, en revanche, diminueraient significativement. En effet, 375 appareils produits sur 15 ans représentent un volume de livraison de 25 appareils par an, avec une garantie d’activité sur au moins une quinzaine d’années, et ce, sans devoir s’appuyer sur d’éventuels contrats export.

Une telle capacité de planification et d’engagement permettrait de réduire les couts de production de 20%. En effet, lorsque la commande Rafale fut revue à la baisse de 320 unités à 260 puis 225, et les délais allongés de 10 ans, les couts unitaires de chaque appareil ont augmenté de 25%.

Les couts de pièces détachées annuels demeurent, quant à eux, les mêmes, comme les couts d’évolution. Au total, l’enveloppe de production et de mise en œuvre des 375 appareils sur 15 ans représente 72 Md€, soit un cout réel de 36 Md€ avec un retour budgétaire de 50%.

Les recettes de revente d’occasion s’établissent, quant à eux, à 11,25 Md€ pour la revente même, à 5,625 Md€ pour les pièces et à 3,75 Md€ pour les évolutions, pour un retour budgétaire à 50%, pour un total de 20,625 Md€.

De fait, le cout annuel d’une flotte de 375 chasseurs, comparables au Rafale, couterait effectivement 15,375 Md€ soit 1,025 Md€ par an sur 15 ans, 24% moins cher qu’une flotte de 250 appareils (1,35 Md€) sur 30 ans. Le cout annuel par appareil est, quant à lui, ramené à 2,73 m€, 49,4% de moins que pour le cas de référence.

De fait, et de manière incontestable, un changement de paradigme autour de la possession des équipements militaires pour un pays produisant ses propres équipements, apporterait de considérables opportunités pour accroitre le format des forces sans devoir accroitre les couts pour les finances publiques, ce d’autant que le modèle synthétique présenté ici est loin d’être consolidé ni optimisé, et que de nombreuses opportunités se détachent dans ces domaines.

Changer de perspectives pour répondre aux défis

Ainsi, en changeant le rythme des productions industrielles, il est probable que les couts de développement seraient, eux aussi, réduits, puisque la contrainte de temps d’utilisation potentiel des équipements serait limitée. Aujourd’hui, un appareil comme le Rafale, qui sera produit sur une période minimale de 35 ans, et qui sera utilisé sur une durée équivalente, aura donc une durée de vie opérationnelle potentielle de 60 à 70 ans.

Dans le cas hypothétique d’une réduction à 15 ans, cette durée de vie serait réduite à 45 ans, ce qui réduirait, au dire du Docteur Roper, les couts et les délais de conception. En outre, les couts d’ingénierie de l’évolution seraient en grande partie mutualisables avec le développement de la nouvelle génération d’appareils.

Les conséquences liées à l’augmentation des cadences de production, et d’une planification à long terme solide, seront également plus que sensible sur les couts de production des équipements, donc des prix de vente.

Enfin, les clients exports occasion de cette offre ont, eux aussi, tout intérêt à entrer dans une dynamique comparable et à acquérir les appareils de nouvelle génération au bout de 15 ans, pour bénéficier des équipements les plus performants aux meilleurs couts de manière planifiée, avec une réduction du cout de possession de leurs appareils de plus de 35%.

Le programme FREMM prévoyait initialement la livraison de 17 frégates sur 10 ans, soit 1,7 frégate par an, ce qui permettait de réduire le prix de chaque navire sous la barre des 500 m€

Il est intéressant de constater que les performances de ce modèle ne se limitent pas au seul domaine des avions de combat. Ainsi, dans le domaine des frégates, passer d’une flotte de 15 frégates en 3 modèles (anti-aérienne, ASM lourde et ASM moyenne) sur 30 ans, à une flotte de 25 frégates de 3 modèles sur 15 ans, permettrait de passer d’un cout effectif annuel moyen par frégate de 25 m€ à un cout de 13,2 m€, et un cout de flotte de 367 m€ pour 15 navires, à 329 m€ pour 25 unités.

Là encore, les effets industriels seraient très sensibles, puisque cela permettrait à Naval Group de produire de manière constante 1,7 frégate par an, ce qui n’est autre que le rythme optimal de calcul employé initialement pour le programme FREMM, contre 0,5 frégate par an aujourd’hui, un rythme très insuffisant pour maintenir les compétences et faire progresser efficacement l’outil productif. Il en va de même dans le domaine des blindés lourds, une flotte de 1200 blindés lourds (MBT, VCI, Artillerie et Génie) produite et mise en œuvre sur 15 ans, coutant moins cher dans ce modèle, qu’une flotte de 300 MBT sur 30 ans.

Conclusion

On le voit, il existe bel et bien un intérêt réel à étudier une possible évolution de la doctrine employée depuis plusieurs décennies pour encadrer le développement des grands programmes militaires et leur possession dans les armées. Bien évidemment, ce modèle ne peut pas s’appliquer à tous les équipements.

Ainsi, les sous-marins et missiles appartenant à la dissuasion française ne pouvant, de toute évidence, pas être exportés au bout de 15 ans, pas plus qu’au bout de 30, ne peuvent pas être intégrés à ce modèle.

La question des navires à propulsion nucléaire, comme les sous-marins nucléaires d’attaque ou le porte-avions nucléaires, reste en revanche posée, puisque les lignes ont bougé à ce sujet ces dernières années.

Au contraire, pour de multiples programmes sous contrainte, comme les avions de chasse et de transport, les hélicoptères, les navires de combat, les blindés et systèmes d’artillerie ou de défense anti-aérienne, gros consommateurs de crédits, il s’avère plus que pertinent, d’autant que, comme ce fut le cas en Grèce avec le Rafale, la vente de matériel d’occasion, par ailleurs anticipée puisque respectant un agenda connu, peut engendrer l’acquisition d’équipements neufs complémentaires, boostant les exportations au-delà du seuil de soutenabilité budgétaire de 50%.

On notera enfin que ce modèle s’adapterait très bien à un modèle de financement par leasing d’une partie des équipements, puisque respectant par définition l’ensemble des contraintes imposées par Eurostat pour que le leasing ne soit pas considéré comme un crédit déguisé et intégré à la dette souveraine.

L’industrie de défense chinoise passe à l’offensive sur la scène export

En 2000, les exportations chinoises en matière d’armement représentaient péniblement plus de 300 m$. En 2009, elles dépassaient pour la première fois le milliard de $, puis 2 md$ en 2013. Aujourd’hui, la Chine se classe au quatrième rang des exportateurs d’armement dans le monde, avec plus de 5 md$ de chiffre d’affaire en 2021, derrière les Etats-Unis, la Russie et la France, mais devant l’Allemagne, l’Italie, la Grande-Bretagne, la Corée du Sud et Israël. Sur la période 2017-2021, selon l’institut SIPRI, Pékin s’est adjugé 4,6% des exportations mondiales, avec une évidente dynamique de croissance très importante. Au delà des clients traditionnels des industries de défense chinoises, comme le Pakistan, celles-ci ont également considérablement étendu leur assise internationale, en étant désormais très présentes en Afrique et en Asie, mais également au Moyen-Orient, en Amérique du Sud et même en Europe. A en juger par leur présence sur le salon salon IDEX 2023, qui se tient cette semaine à Abu Dabi, il faut s’attendre à ce que Pékin devienne rapidement, un acteur majeur et incontournable de cette scène internationale, voire un concurrent direct des Etats-Unis.

A l’instar de la Russie, la Chine propose le plus souvent des équipements dédiés à l’exportation, plutôt que des matériels identiques à ceux en service au sein de l’Armée populaire de Libération. A Abu Dabi, le stand chinois est l’un des plus imposants, avec plus de 500 références présentées, allant de la munition vagabonde à l’avion de chasse furtif FC-31, en passant par le char VT-4 et le canon automoteur, et se montre particulièrement opportunistes pour s’emparer de marchés prometteurs. Aujourd’hui, la plupart des pays du Golfe, des Emirats Arabes Unis à l’Iran, mettent en oeuvre des systèmes chinois, notamment des drones MALE Wing Loong acquis lorsque Washington refusa de livrer ses Reaper, et Pékin produit de nombreux efforts pour accroitre sa présence dans certains états clés, comme l’Arabie Saoudite, l’Egypte ou le Maroc.

Le char lourd VT-4 est un modèle exclusivement dédié à l’exportation dérivé du Type 96 et du Type 99A. Il est proposé sous la barre des 5 m$.

Il faut dire que les équipements chinois ont de quoi séduire aujourd’hui. Loin de l’image de manque de fiabilité et de performances médiocres qu’ils avaient il y a encore quelques années, et qui continue d’influencer la prise en compte du risque qu’ils représentent pour les exportations occidentales et notamment européennes, ceux-ci sont en effet désormais jugés performants, fiables et efficaces par leurs utilisateurs, pour un prix d’acquisition et de mise en oeuvre sensiblement plus faible que ce qui proposent les industries européennes. Ainsi, un char lourd VT-4 est proposé à moins de 5 m$ par unité, list price, soit moins de la moitié du prix d’un char occidental, pour des performances et des systèmes, si pas comparables, en tout cas proches. De même, l’avion d’entrainement et d’attaque L15 est proposé sous la barre des 15 m$ fly away condition, contre 25 m$ pour le M346 italien aux performances et capacités comparables. Il n’est guère étonnant, dans ce contexte, que ces équipements trouvent de plus en plus preneurs sur la scène internationale, alors que des systèmes bien plus modernes et performants, comme l’avion cargo Y-20, les frégates Type 054A ou les sous-marins Type 039B sont également proposés à des prix très attractifs.

Pour autant, la principale victime du succès croissant des exportations défense chinoises ces dernières années, n’est ni européen, ni américain. Le positionnement en terme de performances, de prix et de contraintes politiques, place en effet les matériels chinois en concurrence directe avec la Russie, notamment en Afrique et en Asie, à l’exception notable de certains pays potentiellement menacés par l’expansionniste chinois, comme c’est le cas de l’Inde ou du Vietnam. En effet, même les clients traditionnels de l’industrie de défense russe semblent désormais se tourner de plus en plus en plus souvent vers Pékin, il est vrai parfois aiguillonnés par une conséquence inattendue de la législation américaine CAATSA beaucoup plus rigide pour ce qui concerne les acquisitions de matériels lourds russes que chinois. C’est ainsi que Belgrade préféra se tourner vers le système anti-aérien à longue portée HQ-22 chinois pour remplacer ses S-175 soviétiques, plutôt que vers le S-400 ou le S-350 russe, précisément pour éviter des sanctions américaines qui auraient pu interférer avec sa volonté d’adhésion à l’Union Européenne.

La Serbie a préféré sur tourner vers le HQ-22 plutôt que vers le S400 russe pour sa défense anti-aérienne.

Reste qu’avec un rapport performances-prix attractif et des contraintes politiques pour le moins souples, il ne fait aucun doute que les équipements de défense chinois continueront à prendre d’importantes parts de marché sur la planète. Au delà du cas russe, et si les Etats-Unis pourront toujours s’appuyer sur un marché politiquement captif, il ne faudra guère longtemps pour que ces équipements viennent à se confronter aux matériels européens lors des compétitions et négociations internationales. Outre les aspects économiques et technologiques liés à l’impérieuse nécessité d’un marché export dynamique pour maintenir l’activité industrielle défense sur le vieux continent, les contrats d’équipements de défense s’accompagnent surtout d’une influence politique sensible et efficace vis-à-vis des pays acquéreurs. Faute d’anticiper efficacement la recomposition en cours du marché international des armements, l’Europe, comme la Russie, pourrait bien devenir la grande perdante de la montée en puissance chinoise dans les années à venir.

Le futur destroyer DDX italien aura une puissance de feu inégalée en Europe en 2030.

Le futur destroyer DDX de la Marine italienne, qui doit entrer en service à la fin de la décennie, promet de surpasser, par son tonnage et sa puissance de feu, toutes les grandes unités de surface combattantes en Europe et en Méditerranée. On en sait désormais un peu plus sur ce navire qui marquera peut-être le renouveau du croiseur dans les marines européennes.

En juillet 2019, l’État-major de la Marine italienne présentait un plan d’une grande ambition, pour en faire, à horizon 2035, la plus puissante force navale en Méditerranée.

Au-delà du porte-aéronef Trieste de 38.000 tonnes destiné à mettre en œuvre des chasseurs F-35B et du Cavour de 30.000 tonnes également dédié à cette fonction, le plan prévoyait qu’elle aligne à cette échéance trois grands navires d’assaut porte-hélicoptères de 20.000 tonnes qui remplaceront les 3 LHD de la classe San Giorgio.

Ceux-ci seront accompagnés de 10 frégates FREMM de la classe Bergamini, 7 frégates moyennes PPA de la classe Thaon di Revel, 8 corvettes de 3 000 tonnes issues du programme European Patrol Corvette, 4 Offshore Patrol Vessel de 1500 tonnes de la classe Comandanti, 10 navires de guerre des mines, ainsi que trois grands navires logistiques de la classe Vulcano et Etna.

En outre, elle disposera de 8 à 12 sous-marins à propulsion conventionnelle anaérobie Type 212, et de 4 destroyers, deux de la classe Horizon de 7 000 tonnes, déjà en service, identiques aux 2 frégates de défense anti-aérienne française de la classe Forbin, et surtout deux nouveaux destroyers lourds de plus de 10.000 tonnes qui remplaceront les deux destroyers anti-aériens Durand de la Penne.

La Marine italienne, première puissance navale européenne en 2030 ?

Force est de constater, aujourd’hui, qu’en dépit de l’instabilité politique du pays et des doutes qui émergèrent lors de la présentation de ce plan, Rome semble, en effet, déterminé à lui donner corps.

De fait, avec 2 porte-aéronefs, 3 grands navires d’assaut, 4 destroyers, 17 frégates, 8 corvettes et au moins 8 sous-marins, elle disposera d’une force navale sensiblement plus importante que la Royal Navy et la Marine nationale, qui pourtant doit défendre 3 façades maritimes (Méditerranée, Atlantique et Manche), et une zone économique exclusive 12 fois plus étendue, sans parler des territoires ultramarins.

Il est vrai que ces marines peuvent s’appuyer sur des technologies propres, comme les sous-marins à propulsion nucléaire ou des porte-avions sensiblement plus puissants.

La puissance colossale du nouveau destroyer DDX italien

Cependant, Rome est sur le point de rétablir l’équilibre, non seulement en Europe, mais également vis-à-vis de la Marine Russe, tout au moins dans le domaine des grands navires de surface. En effet, ses deux futurs grands destroyers, en cours de conception, promettent de disposer d’une puissance de feu tout simplement inégalée en Europe.

Destroyer DDX marine italienne
Le concept initial du DDX italien devait mettre en œuvre 64 missiles en silo, 16 missiles antinavires ainsi qu’une puissante artillerie navale composée d’un canon de 127 mm et de 3 canons de 76 mm.

Initialement, ces navires devaient déjà être remarquablement imposants et armés, avec un tonnage de 10.000 tonnes, 8 systèmes de silos verticaux SYLVER, 1 canon de 127 mm et 3 canons Strales de 76 mm, ainsi que 16 missiles antinavires à longue portée.

Mais il semble, aux dires de la presse spécialisée italienne, que ces caractéristiques, déjà plus qu’impressionnantes sur le théâtre européen, ont été revues à la hausse.

En effet, selon ces sources, les deux navires atteindront un tonnage en charge de 13.500 tonnes, presque deux fois celui des destroyers Horizon ou Type 45, aujourd’hui les plus puissants navires de surface en Europe.

12 SYLVER pour 96 missiles Aster 30, Aster Block 1NT et MdCN

Surtout, l’artillerie navale aurait été revue à la baisse, avec « seulement » un canon de 127 mm et d’un canon de 76 mm, pour permettre d’accueillir non plus 8, mais 12 systèmes SYLVER 50 et 70, soit une capacité d’emport de 96 missiles ensilotés, auxquels s’ajouteront les probables 16 missiles antinavires à longue portée initialement prévus.

Dit autrement, ces navires auront la puissance de feu de 3 frégates FREMM, une Alsace avec 32 missiles Aster 30 et 2 Aquitaines avec 16 Aster et 16 MdCN, le destroyer italien devant également emporter des SYLVER 70 à cet effet.

Ce type de navire représentera une profonde évolution au sein des flottes européennes, qui avaient renoncé aux très grandes unités de surface combattantes dans les années 70, le croiseur français Colbert de 11.300 tonnes, entré en service en 1959, étant la dernière unité de ce type à quitter le service sur le vieux continent en 1991.

Il surpasserait même les destroyers lourds américains de la classe Arleigh Burke Flight III, et même les super-destroyers chinois Type 055, dont on estime le tonnage en 11.000 et 13.000 tonnes.

Ils égaleraient ces navires, aujourd’hui les plus puissantes unités de surface, en termes de puissance de feu, avec 96 missiles en silo, pour probablement 112 missiles longs prêts à faire feu.

En outre, ils pourront mettre en œuvre le missile anti-balistique Aster Block 1NT, et le missile de croisière MdCN, en faisant une puissante unité d’interdiction aérienne et navale, mais aussi de projection de puissance vers la terre, et de protection anti-balistique.

Un croiseur plus qu’un destroyer lourd

Ainsi armés et équipés, les deux destroyers italiens pourront, sans le moindre doute, prétendre à la classification de croiseur, un navire capable de mener une action globale à la mer et de contrôler une flotte, bien davantage qu’à celle de destroyer, qui à la base est surtout un navire polyvalent destiné à l’escorte et l’appui.

Destroyer arleigh Burke Flight III construction
Les nouveaux destroyers américains Arleigh Burke Flight III auront une puissance de feu comparable aux DDX italiens

Au-delà des superlatifs qui ne manquent pas autour de ce programme, il convient d’en modérer la pertinence. En effet, si les destroyers lourds ou superlourds ont des atouts indéniables, ils ont également certains inconvénients.

Une puissance de feu remarquable et une évolutivité vers des armes à énergie dirigée

En termes d’avantages, ils disposent de toute évidence d’une très grande puissance de feu, qui plus est concentrée, en faisant un navire clé pour le contrôle des espaces navals ou pour obtenir une action politique, à l’instar d’un porte-avions par exemple.

Ils requièrent proportionnellement moins de personnels, rapportés à la puissance de feu disponible, que plusieurs frégates. Enfin, par leur tonnage et leur puissance énergétique, ils peuvent plus facilement absorber des dégâts, mais aussi évoluer pour mettre en œuvre de nouveaux équipements, comme de nouveaux radars, de nouveaux systèmes de traitement informatique.

Surtout, ils peuvent alimenter de nouveaux armements comme des armes à énergie dirigée ou des missiles de nouvelle génération, potentiellement hypersoniques.

Mais des couts de conception et de construction très élevés

En revanche, ils ne sont pas dénués de faiblesses et d’inconvénients. D’abord, ils coutent cher, et même très chers. Ainsi, un Burke Flight III américain est acquis pour plus de 2,5 Md$ par l’US Navy. Il est donc probable que ces destroyers italiens viendront flirter avec les 2 Md€ l’unité, soit le prix de 3 FREMM.

Par ailleurs, s’ils concentrent une importante puissance de feu, ils sont également une cible privilégiée pour un adversaire déterminé, avec des conséquences potentielles catastrophiques pour la flotte alliée. Rappelons ainsi que la perte du croiseur General Belgrano neutralisa entièrement la flotte argentine pendant la guerre des Malouines.

En outre, ils n’ont pas le don d’ubiquité, et contrôle de fait un espace naval et aérien plus étroit que trois frégates correctement disposées, d’autant que les grands destroyers font en règle générale de piètres bâtiments de lutte anti-sous-marine.

Toutefois, dans le cas de l’Italie, qui ne dispose ni de porte-avions lourds, ni de sous-marins à propulsion nucléaire, s’équiper de deux grands destroyers comme ces navires, est probablement une décision adaptée pour faire effectivement de la Marina Militare la plus puissante force navale en Méditerranée.

Ce d’autant que ces deux navires pourraient attirer l’attention de certaines marines en mal de puissance, qui pourraient considérer l’intérêt de se doter, elles aussi, de tels navires, par exemple, l’Égypte ou l’Indonésie, deux clients de Fincantieri.

FDI Naval Group
Il est probablement préférable pour la Marine nationale d’augmenter le nombre de frégates FDI plutôt que de se doter de 2 destroyers lourds.

La Marine nationale doit-elle suivre l’exemple italien ?

Alors, la Marine nationale devrait-elle, elle aussi, se doter de deux destroyers comparables ? C’est loin d’être évident !

En effet, au-delà de la réaction d’orgueil bien compréhensible, la Marine nationale, du fait de ses missions, mais surtout des spécificités de son activité, aurait certainement bien plus intérêt à acquérir, pour les 5 Md€ que couteront la conception et la construction des deux navires italiens, 5 nouvelles FDI pour 4 Md€.

Les 1 Md€ restants permettraient d’en accroitre l’armement en passant à 32 missiles en silo (contre 16 aujourd’hui) et en ajoutant un système d’autoprotection CIWS aux 10 navires.

Par ailleurs, quitte à concevoir un nouveau destroyer, il est probable que Naval Group, mais également Thales, MBDA et Nexter, pourraient proposer des concepts plus innovants et adaptés aux guerres navales futures, par exemple, en équipant le bâtiment d’une puissante capacité de frappe par essaim de drones, ou pour contrôler une importante flotte de navires de surface, sous-marins et aériens autonomes.

Il est, en effet, souvent tentant de convoiter ce qu’a le voisin, avant de s’apercevoir que cela ne répond pas à ses propres besoins…

Le président Lukashenko annonce la création d’une défense territoriale armée de 45.000 hommes

Suite à la réélection frauduleuse du président biélorusse Alexander Lukashenko en 2020, des manifestations massives et populaires amenèrent des centaines de milliers de biélorusses dans la rue pour protester contre ce nouveau déni de démocratie. Soutenu par la Russie qui y enverra militaires, forces de sécurité et propagandistes, ces manifestations seront très durement réprimées, faisant au moins 4 morts, 4000 blessés et plus de 30.000 arrestations. L’opposition biélorusse est soit arrêtée, soit contrainte à l’exile, et le régime durcit considérablement les répressions et les arrestations dans le pays, même pour des actes isolés et sans grande portée, comme porter les couleurs traditionnelles du drapeau biélorusse. Depuis, le président Lukashenko n’a cessé de donner des gages à son allié et protecteur russe, notamment en multipliant les déplacements à Moscou.

Ainsi, la Biélorussie servie de base de départ des forces russes pour l’une des 3 grandes offensives du début de l’opération spéciale militaire en fevrier 2022, en l’occurence l’assaut sur l’aérodrome d’Hostomel suivi de celui sur la capitale ukrainienne. En outre, nombre des missiles balistiques tirés en début de conflit le furent du territoire biélorusse. Toutefois, bien qu’ayant déplacer des troupes à la frontière de l’Ukraine et de la Pologne, Minsk n’entra jamais officiellement dans le conflit, et aucune troupe biélorusse n’a été déployée en Ukraine depuis le début du conflit. Pour autant, le president Lukashenko a a de nombreuses reprises manié la réthorique guerrière, le plus souvent pour justifier d’une répression encore plus féroce dans le pays, et lutter contre des supposés soutiens aux occidentaux. Contrairement à Vladimir Poutine, Alexander Lukashenko est en effet conscient qu’il n’a pas le soutien populaire, et qu’aujourd’hui, son régime ne tient que par la peur inspirée par la répression, et par le soutien de son allié russe.

La répression des manifestations débutées en juillet 2020 en Biélorussie a été des plus féroces, faisant au moins 4 morts et 4000 blessés.

Ces deux aspects sont cependant, d’une certaine manière, antinomiques. En effet, pour répondre aux attentes de Moscou et ainsi garantir le soutien de Poutine et de son armée, Lukashenko est appelé à peser davantage dans le rapport de force qui s’établit aujourd’hui entre l’Europe et la Russie. Pour autant, une mobilisation est à exclure pour Minsk, une intervention en Ukraine encore moins, les risques étant alors très importants qu’un soulèvement populaire vienne tout emporter, et avec lui Lukashenko. C’est peut-être pour tenter de résoudre cette équation difficile que le président biélorusse a annoncé, aujourd’hui, son intention de créer une nouvelle force défensive de type défense territoriale, forte de 45.000 hommes, armée et en charge de la protection des villes et du territoire biélorusse si celui-ci venait à être attaquée. Rappelons que les forces armées du pays n’excèdent pas les 50.000 hommes, qu’elles sont avant tout composées de conscrits, et qu’elles sont notoirement mal équipées et faiblement entrainées. Pour autant, cette annonce perçue comme une évolution de la posture biélorusse, n’est pas nouvelle, et s’avère être même sensiblement moins ambitieuse que celle réclamée par le ministre de la défense quelque jours plus tôt. L’hypothèse de devoir armer plusieurs dizaines de milliers de civils biélorusses a probablement de quoi inquiéter les autorités du pays.

Ainsi, la Garde Territoriale, ou Тэрытарыяльныя войскі en biélorusse (forces territoriales), a été créée au début des années 2000, pour permettre de réduire le format des armées dans un contexte de paix retrouvée. Initialement, celle-ci devait se composer de 120.000 hommes, mais les budgets n’ont jamais été libérés par Lukashenko pour en financer la formation et l’équipement. En 2016, le président biélorusse annonça une nouvelle foi qu’il allait mettre l’accent sur cette force, en acquérant les équipements et les infrastructures nécessaires à sa mise en oeuvre. Cependant, là encore, rien ne fut effectivement fait, et si quelques forces régionales existent bel et bien, elles ne disposent d’aucune formation militaire, et encore moins des équipements nécessaires pour défendre quoique ce soit. De fait, l’annonce faite par Lukashenko n’est qu’une nouvelle itération de ce qui fut déjà par deux fois annoncé sans jamais être suivi de faits, et ressemble davantage à un pis-aller pour faire patienter Moscou en espérant une conclusion prochaine de la guerre en Ukraine, qu’à une réelle intention politique.

D’autre part, cette annonce faite par le président Lukashenko, a été aiguillonnée par celle faite quelques jours plus tôt par Viktor Khrenin, le ministre de la défense du pays et proche soutien de la Russie. Selon lui, une force de défense territoriale de 150.000 hommes devait être formée et surtout armée dans les mois à venir, pour répondre aux besoins défensifs du pays (et probablement aux exigences de Moscou). Cependant, l’hypothèse de devoir armer 150.000 civils, dont une part non négligeable lui est évidemment hostile, a probablement fait reculer le président biélorusse, qui de toute évidence se méfie bien davantage des biélorusses eux-mêmes que de la menace supposée venant de l’OTAN ou de l’Ukraine. Et il est probable que le chiffre de 45.000 corresponde au nombre de volontaires « fiables », au sens du régime, pouvant être effectivement recrutés, en évitant le noyautage par d’éventuels protestataires qui se retrouveraient alors armés.

Quoiqu’il en soit, et en dépit des annonces, il est peu probable que le président biélorusse prenne le risque de déclencher une nouvelle vague de protestation dans le pays en s’engageant davantage dans le conflit ukrainien ou dans le bras de fer avec l’OTAN, et encore moins de former une puissante garde territoriale qui pourrait alors constituer l’outil de la chute de son régime. Car si ce chef d’état n’a jamais fait montre d’extraordinaires qualités pour developper son pays, il a toujours fait preuve d’un instinct d’auto-protection pour lui et son régime très performant. C’est sans le moindre doute à ce spectre qu’il convient d’analyser en priorité ses décisions et prises de position publiques.

Le Rafale se rapproche encore un peu plus de la Serbie

Si l’année 2023 a commencé pour le Rafale français sur le faux-depart colombien, les perspectives pour l’avion français, que ce soit sur le marché export comme sur le marché national, sont pour le moins projeteuses en ce début d’année. Ainsi, il y a quelques jours, la Marine indienne a officiellement annoncé qu’elle considérait que le Rafale M convenait mieux à ses besoins et à ses contraintes opérationnelles que son compétiteur, le F/A-18 E/F Super Hornet proposé par l’américain Boeing. Si d’autres facteurs, en particulier politiques, peuvent encore venir interférer avec ce contrat portant sur 26 appareils, les chances de voir ce dernier se concrétiser cette année sont désormais très importantes, alors qu’une visite officielle d’Emmanuel Macron en Inde est en préparation, et que d’autres sujets de coopération, notamment dans le domaine du nucléaire civil mais également des sous-marins, sont en discussion entre Paris et New Delhi.

Un autre contrat d’exportation du chasseur de Dassault Aviation pourrait lui aussi se concrétiser dans les semaines ou mois à venir. A l’occasion de sa visite au salon IDEX 2023 qui se tient cette semaine à Abou Dabi, le président serbe, Alexandar Vucic, a en effet indiqué que les négociations avec la Russie au sujet de l’acquisition potentielle de MIG-29 pour remplacer les appareils en service au sein des forces aériennes serbes, avaient été abandonnées, et qu’une demande formelle serait adressée à la France pour l’acquisition d’une douzaine de Rafale dans les jours à venir. Lors de précédentes déclarations autour de ce sujet, un montant global de 3 Md€ avait été évoqué pour ce contrat, ceci comprenant les appareils ainsi que les simulateurs, les pièces de rechange, les armements et les formations indispensables pour mettre en oeuvre ces appareils bien plus modernes que les MIG-29SM et les Soko J-11 actuellement en service. Pour cela, le président Vucic a indiqué qu’une enveloppe supplémentaire de 700 m$ serait ajoutée au budget de la défense du pays de 1,5 Md$ dès cette année, ce qui laisse supposer d’une conclusion rapide de l’accord.

Belgrade veut remplacer ses MIG-29SM dont la maintenance est devenue couteuse et complexe, aux dires des autorités serbes

Il s’agissait, pour le président Serbe historiquement proche de Vladimir Poutine, d’une décision d’autant plus difficile que la guerre en Ukraine a attisé les tensions comme les attentes de part et d’autre. Candidate à l’Union Européenne, la Serbie aurait en effet eu beaucoup de mal à justifier de l’acquisition de chasseurs russes, fussent-ils bien plus économiques que les chasseurs européens. Par ailleurs, il semble que l’industrie russe peinerait désormais à fournir ses clients exports en pièces de rechange, étant en grande partie consacrée au soutien des forces russes engagées en Ukraine. Enfin, il est probable que les performances de l’aviation russe dans le ciel ukrainien, même si elles se sont sensiblement améliorées ces dernières semaines, ont probablement jeté le doute sur l’efficacité des systèmes d’armes russes, et plus particulièrement de ses avions de combat. Non pas que le Mig-29 soit en soit un mauvais appareil, mais il ne vaut que par les systèmes et munitions qu’il embarque, et par sa capacité à évoluer dans un environnement contesté, deux domaines dans lesquels le chasseur léger russe n’a guère montré de qualités exceptionnelles depuis le 24 fevrier.

A ce sujet, l’un des points qui, semble-t-il, a cristallisé les négociations entre Belgrade et Paris depuis quelques mois, n’était autre que la livraison, conjointement aux Rafale probablement au standard F4.2, du missile air-air à longue portée Meteor, aujourd’hui considéré, à juste titre, comme l’un des tous meilleurs missiles air-air existants. Or, si beaucoup des systèmes du Rafale sont franco-français, ce n’est pas le cas du Meteor, qui est un missile co-développé avec la Suède, l’Allemagne et l’Espagne, tout comme le missile de croisière SCALP co-développé avec la Grande-Bretagne où il a la désignation de Storm Shadow. De fait, pour pouvoir livrer ces deux missiles piliers de la puissance opérationnelle du Rafale, il fallait au préalable que Stockholm, Berlin, Madrid et Londres donnent leur accord, ce qui est loin d’être acquis de prime abord.

Le missile Meteor est un des points clés de la négociation entre Belgrade et Paris

Quoiqu’il en soit, si Belgrade venait effectivement à concrétiser sa commande de Rafale cette année, il s’agirait d’un important succès pour Dassault. En effet, aucun chasseur français n’avait été choisi par 3 pays européens depuis le Mirage III/V qui avait été choisi par l’Espagne, la Suisse et la Belgique, alors que le Mirage F1 ne fut acheté que par l’Espagne et la Grèce, et le Mirage 2000 uniquement par Athènes. En outre, pour Paris, il s’agit de consolider son rôle dans les Balkans que l’on sait être sous tension, la Croatie ayant déjà choisi d’acquérir 12 Rafale F3R d’occasion pour moderniser ses forces aériennes, et les deux pays ayant par ailleurs acquis d’autres systèmes français, comme des hélicoptères H145M, de radars 3D Groundmaster ou des systèmes anti-aériens Mistral. Reste que le montant prévu pour le contrat serbe, 3 Md€, est très important pour un pays dont le PIB n’excède pas les 60 Md€ aujourd’hui, et les contraintes budgétaires peuvent de fait venir gripper les négociations, même si Belgrade peut s’appuyer sur une croissance très dynamique de plus de 7%. Tant que ce n’est pas signé ….

Pourquoi V.Poutine a-t-il annoncé la suspension du traité New Start sur la limitation des armes nucléaires ?

Après la crise des missiles de Cuba, américains comme soviétiques ont perçu le danger existentiel que représentait l’arsenal nucléaire démesuré détenu par les deux super-puissances, mais également des couts colossaux qu’engendraient cette course aux armements pour les deux pays. Il fallut toutefois presque 7 ans pour permettre aux deux pays d’entamer des discussions à ce sujet. Celles-ci seront conduites à Helsinki en Novembre 1969, pour donner au naissance le 26 Mai 1972 au premier traité de régulation des armements stratégiques, désigné Strategic Arms Limitation Talks, ou SALT. Celui-ci prévoyait de geler le nombre de missiles balistiques ICBM détenus par les deux camps à leur niveau à date de signature, ainsi que le nombre des nouveaux systèmes balistiques stratégiques SLBM lancés de sous-marins à un nombre ne pouvant excéder le nombre d’ICBM. La nature de cet accord entraina une augmentation importante des dotations en missile balistique des deux pays entre 69 et 72, mais également au développement de la technologie des vecteurs de rentrés multiples, ou MIRV, permettant d’embarquer plusieurs têtes nucléaires à trajectoire indépendante à bord d’un unique missile.

Un an plus tard, Washington et Moscou entamèrent les négociations d’un nouveau traité, SALT 2, qui sera signé en 1979, et qui marque le premier accord limitant effectivement le nombre de véhicules indépendants, et non de missiles, à un nombre de 2.250, et le nombre de missiles balistiques Mirvés à 1350. Là encore, des réponses techniques furent entreprises pour contourner les limitations imposées par SALT II, en particulier le développement des missiles de croisière à longue portée capables d’emporter une tête nucléaire. Du fait de sa faible vitesse, et en dépit de la puissance des armes nucléaires embarquées, ces missiles ne constituaient pas une arme de première frappe, et donc n’entraient pas dans le périmètre de l’accord. L’intervention soviétique en Afghanistan et la crise des euromissiles suspendirent les négociations de désarmement jusqu’à l’éclatement de bloc du Pacte de Varsovie. Ce nouveau traité, initié par Ronald Reagan, sera signé en 1991, et sera appliqué en 1994, et fut désigné START pour Strategic Arms Réduction Treaty. Il prévoyait la limitation du nombre total de vecteurs à 5000 unités, et le nombre de missiles balistiques stratégiques à 850 pouvant emporter un maximum de 2500 têtes, alors que le nombre de bombardiers stratégiques étaient pour la première fois pris en considération. En application de ce traité, les capacités nucléaires stratégiques russes étaient divisées par 3 et celles des Etats-Unis par 2, pour au final un nombre sensiblement équivalent de têtes nucléaires en service dans les deux pays.

Le développement des missiles de croisière fut accéléré par les contraintes imposées par le traité SALT II

START fut remplacé par le traité New START en 2010, après qu’un traité intermédiaire, le Strategic Offensive Réduction Treaty, ou SORT, lui fut superposé à partir de 2003. SORT prévoyait une réduction sensible du nombre de têtes nucléaires en service, pour être ramené à 2200 unités pour chaque pays, sans considération d’arme stratégique ou tactique. Il ne remplaçait pas START mais le complétait, en imposant des contraintes plus importantes. NEW Start, a été lui signé en 2010 et entra en service en 2011. Faisant une synthèse de START et SORT, il imposa de limiter le nombre de missiles et bombardiers à 800 dont 700 opérationnels, et le nombre de têtes en service à 1550. Les têtes nucléaires en réserve n’étaient pas considérées par ce traité, sachant que les délais pour construire et équiper des vecteurs stratégiques de ces têtes dépassaient de loin le périmètre prévisible d’un conflit nucléaire. En outre, de nombreuses procédures de contre-vérification réciproque furent mises en place, ainsi que des procédures concernant les exercices et tests des armements. D’autres accords, comme le traité sur la limitation des armes de portée intermédiaire signé en 1988 par Washington et Moscou à la sortie de la crise des Euromissile, ou le traité Open Skies signé un an plus tard, complétaient alors l’arsenal législatif international pour encadrer le risque d’une nouvelle course aux armements nucléaires. Malheureusement, depuis cette date, tous ces garde-fous ont été levés, d’abord en 2018 lorsque Donald Trump annonça la sortie des Etats-Unis du traité INF en pointant le développement du nouveau missile 9M29 Novator, une année plus tard par Vladimir Poutine mettant fin au traité Open Skies, et aujourd’hui, le president russe ayant annoncé la suspension de la Russie du traité NEW Start. Toutefois, bien que très inquiétante, la décision du leader russe n’est cependant pas surprenante.

Jusqu’au début de l’année dernière, le président russe était, tout au moins sur la place publique, en faveur d’un prolongement du traité NEW START. En effet, celui-ci était alors une imposante épine dans le pied de Washington pour contrer la montée en puissance de la dissuasion chinoise, Pékin comme Paris, Londres ou New Delhi, n’étant pas concernés par ce traité. Dans le même temps, et même si des efforts très importants étaient entrepris en Russie pour moderniser les capacités nucléaires du pays avec le développement du nouveau sous-marin balistique lanceur d’engins Borei et Borei-A, du missile balistique SLBM Bulava, du missile ICBM R-28 Sarmat et le bombardier stratégique Tu-160M, Vladimir Poutine pariait davantage sur les performances de ses forces conventionnelles pour rétablir le statut de super-puissance mondiale de la Russie. Toutefois, les mauvaises performances des armées russes en Ukraine, ont considérablement altéré l’image de celles-ci sur la scène internationale, alors que dans le même temps, les occidentaux, américains et européens en tête, se sont engagés dans un effort inédit depuis les années 80 pour redonner à leurs armées respectives des capacités opérationnelles conventionnelles avancées. En d’autres termes, d’ici quelques années, les forces conventionnelles russes ne pourront plus peser sur l’échiquier mondial au delà du poids réel du pays en matière d’économie et de démographie.

Les nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins Borei et Borei-A offrent des performances comparables aux meilleurs SNLE occidentaux comme les Ohio américains, les Triomphant français ou les Vanguard britanniques

En revanche, les forces nucléaires russes demeurent aujourd’hui très importantes, faisant jeu égale avec celles des Etats-Unis, et dépassant largement les capacités de pays pourtant bien plus importants économiquement et militairement parlant comme la Chine, l’Inde, la Grande-Bretagne ou la France. En outre, au delà du nombre équivalent de vecteurs et de têtes en service, les nouveaux systèmes d’armes stratégiques russes sont aujourd’hui largement à niveau des meilleurs systèmes occidentaux. Surtout, la Russie dispose encore de plus de 4500 têtes nucléaires en réserve, ces dernières n’étant pas considérées, comme dit précédemment, par les différents traités désormais caduques. En d’autres termes, en suspendant NEW Start, Moscou est en mesure de sortir ces têtes des réserves pour armer de nombreux vecteurs que l’on sait à capacité mixte, comme les missiles balistique à courte portée Iskander-M, les missiles de croisière Kalibr, ou les nouvelles armes hypersoniques Kinzhal et Tzirkon.

En procédant ainsi, il est probable que Vladimir Poutine entend compenser la faiblesse opérationnelle de ses forces conventionnelles, en les dotant, tout au moins potentiellement, de capacités de frappe nucléaire, changeant de fait la perception des occidentaux et de l’ensemble des acteurs mondiaux vis-à-vis de la Russie qui redevient, par son potentiel destructeur, une super puissance de fait. De nombreux autres risques vont émerger du fait de la suspension russe du traité New Start. En premier lieu, il sera beaucoup plus difficile aux dirigeants et militaires occidentaux de connaitre et comprendre la nature des essais et des tirs de munition effectués par la Russie, comme c’est notamment le cas aujourd’hui avec la Corée du Nord. Surtout, il sera impossible aux occidentaux, et par voie de conséquence à la communauté internationale, de suivre les armes nucléaires russes, avec le risque que certaines d’entre elles puissent être transférées à certains alliés clés, comme la Biélorussie, mais également comme l’Iran ou le Venezuela.

La Russie pourra désormais armer ses unités conventionnelles de capacités de frappe nucléaire

Dans tous les cas, et même si cette annonce était attendue par les experts du domaine, la suspension du traité New Start par la Russie constitue incontestablement une évolution majeure de la carte stratégique mondiale, avec à la clé, très probablement, une nouvelle course aux armements nucléaires sur l’ensemble de la planète, ce d’autant que les capacités stratégiques chinoises et nord-coréennes sont, elles aussi, dans une dynamique de croissance et de modernisation très importante. Il est probable que le président Macron avait ce scénario en tête lors de son discours de Munich, durant lequel il a pris soin de préciser que même si la France n’était pas tenue par les traités INF et New Start, elle en avait appliqué l’esprit, une référence au retrait très prématuré des missiles balistique nucléaire à courte portée Hades en 1997, équivalent à l’Iskander-M russe, quelques années seulement après être entrés en service. De toute évidence, il y a fort à parier que les années et décennies à venir ressembleront bien davantage aux années 50 et 60 qu’aux 3 décennies passées, avec une menace plus étendue avec la montée en puissance du théâtre Pacifique. Reconnaissons le, c’est bien peu rassurant …

Les Etats-Unis pourraient livrer des chars M1 Abrams à l’Ukraine bien plus vite que prévu

Le 24 janvier, Washington annonça l’envoi de 30 à 50 chars lourds M1 Abrams à l’Ukraine, en grande partie pour débloquer la situation en Europe au sujet des Leopard 2 allemands, Berlin refusant de s’engager à livrer ou autoriser la livraison de ses chars sans que les Etats-Unis n’aient auparavant faits la même annonce. Toutefois, il fut rapidement annoncé que les 31 chars qui seront livrés à l’Ukraine, ne seraient pas prélevés sur les stocks de l’US Army, comme c’est le cas des Leopard 2 allemands, portugais, finlandais ou polonais, mais feraient l’objet d’une fabrication spéciale, notamment pour éliminer certains composants jugés critiques s’ils venaient à tomber au mains des militaires russes. De fait, les Abrams américains ne devaient pas arriver en Ukraine avant 2024, ou à la fin de 2023 dans le meilleur des cas, sachant que d’autres pays, comme Taiwan et la Pologne, attendent eux aussi la livraison de leurs chars lourds M1A2.

Alors que Joe Biden termine sa visite surprise à Kyiv ou il a annoncé une nouvelle aide de 5 Md$ en matière d’équipements militaires à l’Ukraine, ainsi que le soutien indéfectible des Etats-Unis à la cause ukrainienne, les lignes ont semble-t-il bougé à la Maison Blanche à ce sujet. En effet, selon les confidences faites par Stanley Brown, le Principal Deputy Assistant Secretary for the Bureau of Political-Military Affairs, au site d’informations défense américain breakingdefense.com, il est désormais envisagé d’envoyer en Ukraine des Abrams non pas fabriqués spécialement, mais prélevés sur les stocks de l’US Army, ce qui permettrait de livrer les chars beaucoup plus rapidement, d’autant que celle-ci emploient encore plusieurs modèles d’Abrams, et pas uniquement la dernière et très confidentielle version M1A2 SEPv3, permettant de neutraliser une partie des inquiétudes des militaires et industriels américains à ce sujet.

L’US Army n’est certainement pas prête à transférer ses M1A2 en Ukraine, mais elle dispose de plus de 300 M1A1 transférés en 2020 par l’US Marines Corps (en illustration principale)

L’annonce sera probablement très bien accueillie à Kyiv. En effet, les armées ukrainiennes auraient perdu, de l’aveu de l’Etat-major, la moitié du millier de T-64M qui constituaient l’essentiel de son corps de bataille avant guère, ainsi qu’une grande partie de ses T-72 et de ceux livrés par ses alliés d’Europe de l’Est. Dans le même temps, l’aide européenne en matière de chars lourds, en dépit du psychodrame orchestré par Varsovie à ce sujet il y a un mois, promet d’être limitée à court ou moyen terme, et que l’essentiel du parc sera composé de Leopard 2A4 beaucoup plus anciens et moins performants que la quinzaine de A6 qui seront livrés par Berlin avec l’aide de Lisbonne. De fait, et en dépit de la résistance des forces ukrainiennes aujourd’hui encore face aux coups de boutoir russes répétés, le besoin de renforcer leurs capacités de défense mais également de manoeuvre, est désormais très important, et surtout très urgent. C’est probablement pour répondre à cette situation de toute évidence critique que Washington envisage aujourd’hui de livrer certains de ses propres Abrams.

La solution la plus évidente et efficace pour Washington serait probablement de prélever les Abrams sur les quelques 323 M1A1 transférés par l’US Marines Corps à l’US Army en 2020, en application de la réorganisation et au changement de doctrine engagées par le Général Berger en 2019. Moins évolués que les M1A2 de l’US Army, ces chars sont également plus légers, mais conservent une excellente puissance de feu et un important blindage, les mettant largement à niveau des meilleurs modèles russes comme le T90M. En outre, il est probable que l’US Army refusera de livrer ses M1A2, qu’ils soient en version SEPv2 ou v3, celle-ci ne disposant plus que d’un millier de ces blindés effectivement opérationnels, alors que les risques de devoir se déployer simultanément en Europe, dans le Pacifique et peut-être en Corée du Sud, ne cessent de croitre.

La livraison de Leopard 2 à l’Ukraine sera principalement composée de modèle A4 plus anciens et moins performants que le A6 envoyé par la Bundeswehr.

Reste à voir, désormais, si l’indiscrétion de Stanley Brown donnera effectivement les effets escomptés, mais également du nombre de chars qui seront effectivement envoyés en Ukraine le cas échéant par Washington. Comme dit précédemment, le potentiel efficace peut dépasser les 300 unités, ce qui aux cotés d’une centaine de Leopard 2, pourraient effectivement redonner aux forces ukrainiennes des capacités de résistance décuplées, ainsi que des opportunités de contre-attaque. En outre, un volume de cet ordre permettrait effectivement de résoudre le problème de standardisation des moyens ukrainiens, qui peuvent effectivement se permettre de mettre en oeuvre et de maintenir deux parcs importants de Leopard 2 A4 et d’Abrams M1A1, aux cotés de leurs propres T-64M et T-72, bien plus efficacement qu’une galaxie de modèles différents. Car au delà de l’armement des armées ukrainiennes, le prochain défi auxquels les occidentaux devront répondre, n’est autre que celui de la rationalisation des matériels employés par les armées ukrainiennes, de sorte à en accroitre sensiblement l’efficacité et la maintenabilité. C’est à cette seule condition que Kyiv pourra effectivement soutenir la pression croissante des forces russes à venir.