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La France peut-elle accroitre ses investissements de défense au delà des limites de la LPM 2024-2030 ?

A quelques jours de sa présentation officielle, le contenu de la futur Loi de Programmation Militaire française, qui encadrera les investissements de l’Etat dans ces armées pour les 7 années à venir, commence à être de plus en plus claire. Toutefois, au delà des quelques 400 Md€ d’investissements prévus sur les 7 années à venir, et des 13 Md€ de crédits exceptionnels également planifiés sur cette période, et bien que cette trajectoire représente une hausse de 100 Md€ vis-à-vis de la LPM précédente, de nombreuses voix s’élèvent depuis quelques jours pour en regretter les arbitrages, et parfois pour en critiquer le montant jugé, non sans raison il est vrai, comme insuffisant vis-à-vis des besoins des armées face à l’évolution rapide des menaces en Europe et dans le Monde. Si ces voix se rejoignent sur le constat, à savoir qu’il manque plusieurs de dizaines de milliards d’Euro à cette LPM pour répondre effectivement aux besoins des armées, et sans entrer dans le débat de savoir s’il faut plus de chars, plus de systèmes anti-aériens, plus de sous-marins ou plus de drones, il apparait cependant que personne ne se risque à donner ne serait-ce que des pistes pour permettre le financement de ces besoins critiques.

Pour rappel, si la prochaine LPM respecte une trajectoire de croissance linéaire du budget des armées afin d’atteindre les 413 Md€ prévus, les Armées disposeront, en 2030, d’un budget annuel de 68 Md€, représentant entre 2,25 et 2,3% du PIB du pays à cette date. Cet objectif représente une hausse de presque 55% du budget annuel sur la LPM, donc de l’ordre de 40% en euro constant, et de 112 % vis-à-vis budget de 2016. Il s’agira donc, sans le moindre doute, d’un effort considérable consenti par le gouvernement français, d’autant plus considérable que bien d’autres sujets pèsent sur l’opinion publique, qui s’inquiète davantage de l’évolution du service de santé ou de l’offre d’éducation, que de savoir si les armées françaises ont 200 ou 400 chars lourds. En d’autres termes, en dehors de la sphère relativement réduite des personnes sensibles aux questions de défense dans le pays, la question de la LPM et des Armées n’est pas une priorité pour beaucoup de français, et la hausse spectaculaire des investissements de défense ces 6 dernières années, comme celle de la période 2024-3030 à suivre, n’est pas en soit un sujet à haut potentiel de satisfaction politique. Notons également que les 413 Md€ prévus se rapprochent beaucoup plus des 420 Md€ réclamés par le Ministère des Armées, que des 370 Md€ proposés par le Ministère des Finances.

Pour autant, et en dépit de l’effort politique et budgétaire évident consenti par les autorités dans ce sujet, les points de faiblesse relevés par les nombreux commentateurs ces derniers jours, ne sont pas non plus dénués de sens. Ainsi, alors que la modernisation de la dissuasion française captera à elle seule prés de 100 Md€ sur cette nouvelle LPM, et que les couts de fonctionnement et la hausse des soldes en capteront 45% de plus, il ne restera guère de crédits pour moderniser les forces, et donc developper et acquérir les nouveaux systèmes, de même que pour espérer accroitre le format actuel des armées au delà des quelques 50.000 réservistes supplémentaires devant être recrutés. D’un point de vu synthétique, et sans entrer dans une longue démonstration, on peut estimer qu’il manquerait, sur cette LPM, quelques 100 Md€ de crédits supplémentaires, non pas sur une trajectoire progressive comme aujourd’hui prévu, mais pour réparer les dégâts liés au sous-investissement critique dans ce domaine de 2000 à 2020, ceci ayant engendrer un vieillissement sensible de l’âge moyen des équipements, la diminution des parcs, et donc des pertes de performances opérationnelles très sensibles. Sachant que budgétairement, une hausse supplémentaire est à exclure sauf à justifier de recettes supplémentaires, quelles peuvent-être les solutions qui permettraient à la France de financer cet effort immédiat ?

1- Réorientation de crédits sur de nouvelles recettes ou économies budgétaires

Parmi les solutions parfois évoquées pour permettre l’augmentation de l’effort de défense en France, la réorientation budgétaire, sur la base d’économies potentielles réalisées sur les dépenses publiques ou de nouvelles recettes, est incontestablement la plus fréquemment avancée. Il s’agirait, selon les cas, de couper des dépenses budgétaires jugées peu efficaces, et de générer des recettes ou des économies supplémentaires en luttant contre la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale. Cependant, il apparait que l’application de ces mesures est beaucoup plus difficile une fois passée les campagnes et promesses électorales, et plusieurs gouvernements s’y sont casser les dents, selon qu’ils étaient de droite en promettant la fin de fraude sociale, ou de gauche en sonnant l’hallali des exilés fiscaux. Au final, ces approches ne permettent pas de dégager, de manière certaine et prévisible, les ressources nécessaires pour financer durablement une hausse de crédits de défense, alors que les planifications sur recettes variables ont également montré leurs limites lors des quinquennats Sarkozy et Hollande. Sans préjuger de leur pertinence et applicabilité, ces mesures ne disposent pas d’une robustesse suffisante pour permettre de construire le budget des armées autours des résultats qui ne peuvent être, au mieux, qu’espérés.

2- Négocier l’exclusion des couts de dissuasion du déficit public

Bien plus prometteuse, la négociation d’une exclusion des investissements français dans la dissuasion nucléaire du déficit public au sens des critères du pacte de stabilité de la zone euro, a fait l’objet d’un article complet il y a quelques jours. Comme expliqué alors, il existe aujourd’hui un faisceau d’opportunités qui pourrait permettre à la France d’obtenir une telle concession de la part de ses partenaires européens, alors que la dissuasion française joue un rôle critique et unique pour la sécurité du lieu continent. On peut d’ailleurs penser que le président français Emmanuel Macron a un tel projet, sur la base des déclarations faites à ce sujet lors de son discours à la Conférence sur la Sécurité de Munich vendredi dernier. Une telle mesure permettrait à la France de ne plus décompter les investissements liés à la dissuasion, soit de l’ordre de 100 Md€ sur la prochaine LPM, de son déficit public vis-à-vis de l’objectif de 3% du pacte de stabilité, et donc d’investir ces 100 Md€ dans le renforcement des capacités conventionnelles des armées, précisément celles qui aujourd’hui engendrent le plus d’inquiétudes, répondant précisément au postulat préalablement établi ici. Elle permettrait d’amener le budget de la défense en 2030 autour de 80 Md€, soit 2,65% du PIB, au même niveau que le budget allemand s’il est porté à 2% du PIB comme annoncé.

Malheureusement, cette mesure, si elle présente les critères de robustesse et de performances requis pour la programmation militaire, a un immense point faible : elle n’est possible qu’avec l’accord des partenaires européens de la France au sein de la zone euro. Or, pour certains pays, y compris pour des partenaires proches comme l’Allemagne, une telle hypothèse est loin d’être acquise. En effet, pour de nombreux européens, la dissuasion du vieux continent ne peut, et ne doit dépendre que des Etats-Unis; la France et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne, n’étant pas jugées comme des partenaires suffisamment fiables à ce sujet. Au delà de ces aspects, d’autres considérations bien plus politiques pourraient venir interférer, comme la volonté de Berlin de s’imposer comme le Pivot défense en Europe, précisément en s’appuyant sur ses capacités d’investissements supérieures. La démarche mérite clairement d’être tentée, d’autant que d’autres pays européens sont en demande d’investissements accrus en matière de défense à l’échelle européenne, mais sa mise en oeuvre sera très probablement difficile.

3- Optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense

L’investissement dans les Armées et la Défense est le plus souvent présenté, et même parfois considéré politiquement parlant, comme un investissement économiquement inefficace, au sens ou, contrairement à des politiques de soutien économique, seul l’investissement est considéré et présenté, et nullement son efficacité économique et budgétaire. Pourtant, et cela coule pourtant de source, investir 100 Md€ dans les armées françaises, génèrera des recettes sociales et fiscales importantes pour l’état, ce d’autant que les mitaines comme l’industrie de défense, les deux principaux bénéficiaires de ces crédits, ont une exposition très faible aux deux facteurs détériorant l’efficacité des politiques publiques d’investissement, à savoir l’importation d’une part, et l’épargne de l’autre. En outre, les industries de défense françaises sont l’un des secteurs industriels les plus performants à l’exportation, avec une moyenne de 35% de son activité consacrée précisément aux exportations d’équipements de défense.

De fait, en considérant l’investissement supplémentaire dans les Armées comme un investissement à finalité économique, et non pas juste à des fins sécuritaires, il est possible d’en optimiser l’efficacité potentielle, voire même, à terme, d’atteindre une certaine forme d’équilibre entre les recettes et économies budgétaires générées directement ou indirectement par l’investissement, et les dépenses d’investissement supplémentaires requises. Il s’agit de l’approche mise en oeuvre par la Grande-Bretagne depuis 2019, celle-ci estimant notamment qu’un million de Livres Sterling investis dans l’industrie de défense britannique sécurisent 32 emplois annuels. Toutefois, cette solution, potentiellement performante, n’est pas dénuée de difficultés et de certaines faiblesses. Ainsi, le retour budgétaire lié à l’investissement industriel n’est effectif qu’au bout de plusieurs années, et n’est en rien linéaire, du fait de l’imprévisibilité des contrats d’exportation. En outre, de nombreux effets de seuils et de plafonds encadrent cette approche, notamment des limites de croissance industrielle liées aux contraintes de formation et de recrutement. Dit autrement, l’optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense représente sans conteste une piste majeure pour accroitre la soutenabilité de l’effort de défense, mais ne représente probablement pas la meilleure approche pour permettre une hausse rapide et sensible des crédits à court terme.

4- Utilisation de solutions de Leasing

Le leasing des équipements militaires est un sujet complexe, par ailleurs très encadré par les instances européennes précisément pour qu’il ne soit pas employé pour masquer des crédits qui viendraient alourdir le décompte du déficit public et de la dette souveraine. En outre, le cadre législatif encadrant le financement des équipements de défense, à l’échelle européenne, est très contraignant, et ne permet pas de mettre en oeuvre des solutions simples avec refinancement auprès de la BCE, comme c’est le cas pour les autres activités de crédits ou de Leasing. Enfin, la réalité opérationnelle avec de réels risques d’attrition mais également des besoins de modernisation à mi-vie des équipements, oblige à recourir à des contrats de leasing spécifiques, très différents de ceux employés par exemple dans l’aviation civile. Toutefois, une fois toutes ces contraintes levées ou contournées, les bénéfices du Leasing des équipements de défense sont considérables, permettant aux armées de lancer de vaste programmes d’équipements sans alourdir la dette, avec une croissance des couts linéaire et parfaitement maitrisable.

De fait, le leasing représente, par sa nature, la parfaite mesure complémentaire de de l’optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense présentée précédemment, puisqu’il permet d’accroitre rapidement et de manière maitrisée les volumes d’investissement, tout en laissant à l’efficacité budgétaire le temps d’atteindre son plein potentiel, pour en neutraliser le surcout. Toutefois, comme dit précédemment, sa mise en oeuvre est loin d’être évidente. Surtout, elle suppose d’importants changement de paradigmes tant de la part des militaires que des industriels et des politiques, pour adapter le modèle d’équipement des armées à son mécanisme. Malheureusement, ces 3 acteurs majeurs se caractérisent par une très importante inertie et une grande résistance au changement, non sans raison d’ailleurs, les précédentes tentatives dans ce domaine ayant fait choux blanc, comme dans le cas des sociétés de projets sous François Hollande. Quoiqu’il en soit, en s’appuyant sur les enseignements de ces projets précédents, ainsi que sur la complémentarité avec le principe d’optimisation budgétaire de l’investissement de défense, il est désormais possible de concevoir un projet applicable et très efficace pour répondre à la problématique actuelle des armées françaises.

Conclusion

On le voit, s’il est relativement aisé de pointer les déficiences de la prochaine Loi de Programmation Militaire, il est beaucoup plus difficile de developper des solutions qui permettraient de financer les programmes et besoins manquants. De toute évidence, aucune des solutions envisageables n’est simple à mettre à oeuvre, l’une d’elle, la réorientation de crédits, étant même inadaptée à un tel exercice. Cependant, des pistes existent bel et bien pour permettre aux armées d’accroitre leur potentiel de financement, pour peu que l’on accepte de produire les efforts nécessaires pour sortir de la zone de confort traditionnelle de cet exercice hérité de l’époque du général de Gaulle, alors que la France avait une croissance au delà de 5%, et qu’il aimait à répondre sur les questions budgétaires « Monsieur le Ministre des Finances pourvoira à ces besoins ». Il est illusoire d’espérer répondre aux problèmes d’aujourd’hui avec les solutions de 1965, comme il est probable qu’en l’absence d’une solution innovante en matière de financement de défense, la France devra renoncer à de nombreux aspects de sa défense globale.

C’est le bon moment pour sortir les investissements de dissuasion du déficit budgétaire

La France investit, chaque année, entre 5 et 7 Md€ pour financer la plus importante composante de sa défense, à savoir sa dissuasion nucléaire. S’appuyant sur 4 sous-marins lanceurs d’engins de la classe le Triomphant, chacun d’eux armé de 16 missiles balistiques intercontinentaux M45 et M51, ainsi que sur deux escadrons de chasseurs Rafale armés de missiles nucléaires supersoniques ASMPA, la dissuasion française est conçue pour tenir en respect n’importe quel adversaire qui viendrait menacer le pays ou ses intérêts stratégiques, fut-il lui-même équipé d’une force de dissuasion. Dans les années à venir, avec le développement des nouveaux sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3ème génération qui remplaceront les navires de la classe le Triomphant à partir de la fin de la prochaine décennie, celui du remplaçant du missile ASMPA ainsi que la modernisation des forces de soutien à la mise en oeuvre, le cout de la dissuasion française est appelé à sensiblement croitre, pour s’établir entre 8 et 10 Md€ par an sur la prochaine Loi de Programmation Militaire.

Si la dissuasion française constitue le pilier principal de la défense nationale ainsi qu’une composante critique de celle des pays européens alliés de la France dans le cadre de l’Union Européenne ou de l’OTAN, elle représente également un poids budgétaire des plus significatifs, venant handicaper le financement d’autres programmes de la sphère conventionnelle. Cela nuit de fait aux performances des armées françaises mais également aux capacités d’innovation et donc d’exportation de son industrie de défense. Dans le même temps, la France est, au même titre que ses partenaires européens de la zone euro, soumise au pacte de stabilité budgétaire, et se doit de ramener son déficit budgétaire sous la barre des 3% de PIB. A plusieurs reprises ces dernières années, des voix se sont élevées en France et ailleurs, pour tenter de sortir les investissements de défense du décompte du déficit public, celui-ci venant handicaper les pays qui fournissent un important effort dans ce domaine au bénéfice de l’ensemble de l’alliance, alors qu’il favorise ceux qui investissent sensiblement moins dans ce domaine, et qui s’appuient de fait sur la capacité de défense collective pour équilibrer leurs dépenses publiques.

L’Armée de l’Air et de l’Espace met en oeuvre deux escadrons nucléaires équipés de Rafale et de missiles nucléaires supersoniques ASMPA

Mais une faille vient d’apparaitre dans l’intransigeance des Européens, notamment celle des pays les plus fermes sur les équilibres budgétaires. En effet, suite à l’agression russe contre l’Ukraine, les postures de défense et d’investissement dans ce domaine, ont été entièrement remises en question, y compris dans le domaine budgétaire. Ainsi, il y a deux jours, la première ministre Estonienne, la très déterminée Kaja Kallas, a annoncé qu’elle entendait proposer à ses partenaires européens, la mise en oeuvre d’une procédure de co-investissement et de co-développement comparable à celle mise en place lors de la crise Covid, pour financer la production et l’acquisition de munitions, notamment d’artillerie, afin de renforcer rapidement les stocks des armées européennes et de soutenir efficacement les armées ukrainiennes très en tension dans ce domaine. D’autres pays, comme la Pologne mais également l’Italie, ont quant à eux mis en oeuvre des stratégies d’investissement inspirées de celles héritées de la crise Covid et s’appuyant sur les financements européens pour financer la modernisation de leurs armées. Dans ce contexte, il est peut-être pertinent, pour la France, de demander la sortie des investissements liés à la dissuasion nucléaire du calcul des déficits budgétaires dans le cadre du pacte de stabilité.

Il faut dire qu’au delà de la fenêtre d’opportunités politiques qui se présente aujourd’hui, la France a de réels arguments à faire valoir à ce sujet. Pour les membres de l’OTAN, la réponse à la menace nucléaire est avant tout neutralisée par les Etats-Unis et par le principe de la dissuasion partagée permettant de mettre en oeuvre des armes nucléaires gravitationnelles B-61 à partir de chasseurs bombardiers européens. Or, sans devoir se détourner de l’alliance avec les Etats-Unis, ces derniers ont montré, il n’y a pas si longtemps de cela, qu’ils pouvaient envisager la notion d’alliance et de dissuasion partagée de manière volatile, alors que l’hypothèse de revoir Donald Trump à la Maison Blanche, ou un membre de son clan Républicain radical, est loin d’être de l’ordre l’impossible. Dans ce contexte, et même si la dissuasion française reste et demeure française, il ne faut aucun doute qu’elle représente, pour les européens eux-mêmes, un excellent point d’appui secondaire face à la versatilité potentielle outre atlantique. En outre, la France a une communion de destin avec ses voisins européens par nature bien plus forte que les Etats-Unis. Dit autrement, la dissuasion française est un excellent « Plan B » à faire valoir aux décideurs européens, mais également à leurs opinions publiques.

L’arrivée des drones sous-marins va accroitre la vulnérabilité potentielle des SNLE , obligeant à accroitre le nombre de navires à la Mer ou en alerte

Par ailleurs, sortir les investissements de dissuasion du calcul du déficit public français, au sens Mastrichien du terme, permettrait à la France d’accroitre sensiblement mais raisonnablement ses investissements dans ce domaine, pour renforcer ses capacités à dissuader même les plus radicaux des adversaires dotés. Ainsi, il serait possible de passer d’une flotte de 4 SNLE, permettant de maintenir un navire à la mer, et d’en avoir un en alerte à 24h en posture constante, à 6 navires, dont deux à la mer, un en alerte 24h, un quatrième à l’entrainement avec une alerte à 7 jours, ainsi qu’un navire à l’entrainement et un navire en maintenance/ modernisation. Passer de 4 à 6 SNLE permettrait de considérablement accroitre l’efficacité de la posture de dissuasion française, en réduisant le risque d’avoir ses unités neutralisées ou simplement détectées, alors même que l’arrivée massive des drones de surveillance sous-marins va rendre la menace beaucoup plus importante dans les années à venir. De la même manière, ajouter un escadron de chasse de dissuasion, accroitrait non seulement les capacités de ripostes françaises, mais également celles dont elle dispose pour « montrer sa determination », par exemple en répartissant ses appareils sur plusieurs bases, y compris des bases alliées.

Un regain d’investissements en matière de dissuasion permettrait enfin de doter à nouveau l’Armée de Terre de capacités de frappe mixte nucléaires et conventionnelles, en développant un nouveau missile balistique à courte portée à capacité nucléaire. Une telle capacité permettait en effet de doter les armées d’une capacité parfaitement visible et donc perceptible par l’adversaire de systèmes balistiques très performants, probablement dotés d’un planeur hypersoniques pour éviter les défenses antimissiles adverses, et ainsi répondre de manière symétrique au déploiement de capacités similaires par un adversaire. Dans le même temps, un tel missile pourrait également être doté de charges conventionnelles, afin de détruire au besoin des capacités critiques de l’adversaire comme des centres de commandement renforcés ou des stockages de munitions ou de carburant, là encore en miroir de ce que peuvent aujourd’hui faire les russes avec le missile Kinzhal ou le missile Iskander, ou les chinois avec le DF-21 ou le DF-17.

Le développement d’un missile balistique de nouvelle génération à courte portée permettrait de contenir la menace et la force politique que représente le déploiement de systèmes comme l’Iskander russe ou le DF-17 chinois

Au delà de la dimension purement liée à la dissuasion, encapsuler ces investissements dans une bulle budgétaire autonome, permettrait à la France de flécher les investissements initialement prévus à cette fin vers d’autres sujets, permettant d’augmenter sensiblement les capacités des armées françaises dans le domaine conventionnel. Ainsi, sur la seule Loi de Programmation à venir, la dissuasion va capter à elle seule 80 à 90 Md€ sur les 410 Md€ prévus pour l’effort de défense. Libérer ces financements permettrait de financer de nombreux programmes écartés aujourd’hui pour des raisons budgétaires, et ce au bénéfice des 3 armées. De fait, celles-ci sortiraient grandement renforcées d’une telle décision, là encore au profit non seulement de la France mais de ses alliés européens, en disposant de capacités de projection de forces et de mobilisation considérablement accrues pour venir protéger les frontières européennes. Ces investissements supplémentaires permettraient également de mieux dimensionner les industries de défense françaises, pour répondre aux besoins qui se dessinent dans les années à venir.

Enfin, et c’est loin d’être négligeable, la sanctuarisation budgétaire de la dissuasion française, serait un effort minime à l’échelle de l’Union Européenne et de la zone Euro, surtout rapportée aux bénéfices sécuritaires qu’une telle décision engendreraient pour le vieux continent et l’ensemble de l’UE. 12 Md€ représentent en effet moins de 0,1% du PIB de la zone euro, et seulement 3,2% du déficit annuel cumulé de cette zone sur la base d’un déficit global à 3% comme avant la crise Covid. Dit autrement, il s’agit d’un effort budgétaire que l’on peut considérer comme négligeable, ce d’autant que les surinvestissements auxquels il donnerait lieu dans le domaine de la défense, réduiraient son cout global en générant un surplus de recettes sociales et fiscale en France. Une fois pris en compte ces paramètres, et sur des hypothèses très conservatrices d’un retour budgétaire de 50%, le cout effectif sur la zone euro d’une telle procédure serait de 0,05% du PIB, avec une hausse maximale du déficit de la zone de seulement 1,6%. Rappelons, afin de donner un point de référence, que la crise Covid avait généré, pour sa part, une hausse des déficits de plus de 240%.

En accroissant ses investissements dans le domaine conventionnelle, la France pourrait renforcer son soutien direct aux pays d’Europe de l’Est comme les Pays Baltes ou la Roumanie, ainsi que du pourtour Méditerranée comme la Grèce ou Chypre.

On le voit, il existe une fenêtre d’opportunités aujourd’hui pour que Paris puisse négocier avec Bruxelles et ses partenaires européens, l’exclusion des investissements consentis dans le domaine de la dissuasion nucléaire du décompte européen du déficit public. La France dispose, dans ce domaine, de très nombreux arguments à faire valoir, non seulement vis-à-vis des dirigeants européens, mais également de leurs opinions publiques, surtout si, dans le même temps, des efforts particuliers sont annoncés en soutien de l’effort de défense ukrainien ainsi que de la situation sécuritaire des états les plus exposés. Il est plus que probable que pour certains pays, et certains gouvernants, l’idée de voir la France s’imposer dans ce domaine ne serait pas accueillie avec enthousiasme. Toutefois, la présente situation sécuritaire devrait permettre d’atténuer ces réticences, tout au moins sur la place publique. Considérant les enjeux, il serait sans le moindre doute absurde de se priver d’une telle conjonction de besoins et d’opportunités pour avancer dans ce domaine.

Après le Rafale et le Caesar, le Scorpene de Naval Group pourrait être la star des exportations françaises de défense en 2023

En matière d’exportation d’équipements de défense français, il est commun de faire référence à certains domaines privilégiés, comme celui des avions de combat avec l’immense succès de la famille des avions de chasse Mirage, des hélicoptères Alouette, Dauphin et Super Puma, ou encore des véhicules blindés comme l’AMX-13 ou le VAB.

Ces dernières années, le chasseur Rafale de Dassault Aviation, aujourd’hui le chasseur européen de sa génération le plus exporté, et le canon CAESAR de Nexter, devenu l’un des piliers de la défense européenne et qui démontre chaque jour sa grande efficacité en Ukraine, ont fait la une des médias en matière d’exportation d’équipements de défense. Il existe pourtant un autre domaine d’excellence de l’industrie de défense français, celui des sous-marins.

Ainsi, à partir de 1958, les sous-marins de la classe Daphné ont été exportés à 15 exemplaires pour les marines Portugaise, Sud-africaine, espagnole et pakistanaise, alors que son successeur, l’Agosta, a été exporté à 9 exemplaires par les marines pakistanaises et espagnoles, tous toujours en service.

En dépit de l’épisode australien au sujet des 12 sous-marins de la classe Attack, et son annulation en 2021 au profit d’un modèle à propulsion nucléaire conçu dans le cadre de l’alliance Aukus, Naval Group demeure un acteur majeur dans le domaine des sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle sur la scène internationale.

En effet, le successeur de l’Agosta, le Scorpene, a été exporté à 14 exemplaires auprès de 4 Marines dans le monde à ce jour : la Marine chilienne pour deux exemplaires entrés en service en 2005 et 2006, la Marine malaisienne pour deux navires entrés en service en 2009, la Marine indienne pour 6 submersibles entrés en service entre 2017 et 2023, et le Brésil pour 4 sous-marins qui doivent entrer en service d’ici 2026.

De fait, le Scorpene aujourd’hui est incontestablement un grand succès pour Naval Group, en ayant presque égalé le record d’exportation de la Daphné, alors même que contrairement aux deux précédents modèles, celui-ci n’a ni été acquis ni mis en oeuvre par la Marine nationale, qui est passée à une flotte sous-marine entièrement nucléaire à la fin des années 90 avec le retrait des derniers Agosta français.

Avant le Scorpène, le sous-marin Daphné avait le record des exportations françaises
La Daphné a été tant un grand succès technologique que le premier succès à l’exportation des constructions navales françaises en matière de sous-marins de l’aprés-guerre

Malgré son succès, Naval Group demeure aujourd’hui parfois perçu comme un outsider dans les grandes compétitions internationales, face aux deux géants du domaine, l’allemand TKMS et ses 61 Type 209 exportés entre 1971 et 2021 auprès de 13 marines, suivis du Type 214 exporté à 24 exemplaires pour 4 Marines à partir de 2007; et le Russe Rubin avec la classe 877/636.3 Kilo exportée à presque 40 exemplaires dans 8 marines.

En outre, comme dit précédemment, l’épisode de l’annulation du super contrat SEA1000 pour la construction de 12 sous-marins conventionnels océaniques Shortfin Barracuda dérivés du sous-marin à propulsion nucléaire Suffren, a sévèrement atteint l’image du constructeur naval français dans les opinions publiques, y compris en France. Mais les choses pourraient rapidement évoluer en 2023, alors que 3, peut-être 4 Marines pourraient acquérir le Scorpene, au point de pouvoir dépasser les exportations du Type 214 allemand !

Après avoir commandé, en 2019, 4 corvettes de type Gowind 2500 auprès de la Naval Group, Bucarest a en effet signé, en juillet dernier, un Mémorandum of Understanding ou MoU, pour acquérir deux sous-marins de type Scorpene auprès de la France. La Roumanie semble d’ailleurs assez déterminée pour faire rapidement aboutir les négociations autour de ce sujet, les autorités du pays ayant ouvertement demandé, en décembre dernier, à Paris d’accélérer dans ce domaine.

Il est vrai que la construction des 4 corvettes Gowind, attribuée en 2019 à Naval Group, est toujours bloquée du fait de recours successifs déposés par les autres compétiteurs de cette compétition, le néerlandais Damen et l’italien Fincantieri, et surtout par un profond désaccord entre l’industriel français et le chantier naval roumain devant construire les bâtiments, sans que le sujet ait été arbitré à ce jour.

On peut penser que le renforcement sensible des forces françaises déployées dans le pays ces derniers mois dans le cadre de l’OTAN, mais également les tensions régionales en Moldavie et en Ukraine, joueront en faveur d’une conclusion rapide de ces deux dossiers, d’autant que les 4 corvettes de la classe Teltal I/II et le sous-marin Kilo de la marine roumaine que doivent remplacer ces navires, sont soit totalement obsolètes, soit inactifs, la privant de moyens critiques pour sécuriser ses côtes en Mer Noire.

le Delfinul, sous-marin de type project 877 Kilo, est le seul sous-marin de la marine roumaine, mais il n’est plus en capacité de prendre la mer.

Les Philippines ont engagé des discussions avec Paris et Naval Group au sujet de la possible acquisition de sous-marins de la classe Scorpène dès 2019. Toutefois, entre l’instabilité politique du pays, et les effets de la crise Covid, ces discussions ont été suspendues en 2021, ceci ayant permis au sud-coréen DSME de positionner son sous-marin Dosan Aah Changho dans la compétition. Il semblait même, à cette date, que la messe était dite en faveur de Séoul.

Toutefois, en septembre dernier, il est apparu qu’il n’en été rien, et que Naval Group et les autorités philippines avaient repris leurs discussions au sujet du Scorpène. Il est vrai que Manille fait face à deux difficultés majeures dans ce domaine.

La première est que sa Marine n’a jamais mis en oeuvre de sous-marin, et qu’au delà de l’acquisition et la construction du ou des navires, il sera donc nécessaire d’assurer un important effort de formation et d’accompagnement pour lui permettre d’employer au mieux ses nouveaux navires.

Dans le même temps, les Philippines se retrouvent désormais exposées dans le cadre de l’extension des capacités navales chinoises et du bras de fer sino-américain autour du second cercle d’iles qui entoure l’accès de la Chine à l’Ocean Pacifique.

De fait, il existe désormais un caractère d’urgence sensible, qui pourrait permettre d’accélérer les discussions au cours de l’année 2023, tout en favorisant Naval Group qui dispose d’une grande expérience dans l’ensemble des domaines, y compris au delà de la construction des navires eux-mêmes.

La troisième opérateur potentiel du Scorpène à venir n’est autre que l’Indonésie. En février 2022, la ministre des Armées, Florence Parly s’était en effet rendue à Jakarta pour signer plusieurs contrats, dont la première tranche d’une commande de 42 avions Rafale, un MoU pour la fourniture d’un satellite militaire, ainsi qu’un troisième, pour la construction de 2 sous-marins Scorpène pour la Marine indonésienne.

Celle-ci est en effet engagée dans un vaste effort de modernisation, après avoir commandé 2 frégates Arrowhead 140 auprès du britannique Babcock, et de 6 frégates FREMM auprès de l’italien Fincantieri. Dans le domaine sous-marin, elle a commandé en 2013, 3 premiers sous-marins de la classe Nagapasa co-developpés par le sud-coréen DSME et l’indonésien PT PAL, basée sur la classe Jong Bogo sud-coréenne, elle-même dérivée du Type 209 allemand.

En 2019, 3 nouveaux navires de ce type ont été commandés. A noter que le MoU signé par Paris et Jakarta portait précisément sur une collaboration entre Naval Group et PT Pal, le chantier naval qui aura construit 4 des 6 Nagapasa.

Bien que partisante d’une ligne souple et négociée face à Pékin, la Chine étant le premier partenaire commercial et investisseur de l’Indonésie, Jakarta devra probablement, comme Bucarest et Manille, avancer rapidement dans ces discussions pour faire face au regain de tensions régionales en Mer de Chine méridionale et dans le pacifique occidental.

La marine indonésienne met en oeuvre 3 sous-marins de la classe Nagapasa de conception sud-coréenne dérivés du Type 209 allemand, et a commandé en 2019 3 nouveaux exemplaires construits par PT PAL.

Le dernier client potentiel du Scorpène qui pourrait donner lieu à une commande de sous-marins en 2023, n’est autre que l’Inde. Avec 6 navires, New Delhi est déjà le plus important opérateur de cette classe. En outre, en février 2022, les autorités indiennes et Naval Group ont annoncé la signature d’un accord pour équiper ces navires du nouveau système de propulsion anaérobie AIP développé par la DRDO, l’agence d’innovation de défense du pays, permettant d’accroitre leur autonomie en plongée de manière substantielle.

Dans le même temps, de nombreux échos font état de discussions avancées entre Paris et New Delhi au sujet de possibles transferts de technologies majeurs dans le cadre du développement du programme de sous-marins nucléaires d’attaque indiens, alors que Naval Group a fait savoir être parfaitement ouvert à de tels transferts si New Delhi venait à commander de nouveaux Scorpène.

Enfin, alors que le programme P75 ayant donné naissance à la classe Kalvari basée sur le Scorpène français touche à sa fin, le programme P75i, devant initialement porter sur 6 sous-marins équipés d’une propulsion AIP éprouvée, rencontre de nombreuses difficultés.

Il est désormais très possible que l’Inde lève l’option lui permettant de produire des Scorpène supplémentaires tant pour exploiter l’outil industriel déjà en place tout en équipant les nouveaux navires de la propulsion AIP développée par la DRDO, qu’afin de concentrer ses moyens sur le développement des 6 premiers SNA indiens réclamés avec insistance par l’Indian Navy. (Depuis la rédaction de cet article, New Delhi a annoncé la commande de 3 sous-marins Scorpène supplémentaires à l’occasion de la visite du PM Modi à Paris le 14 juillet 2023)

De fait, aujourd’hui, le potentiel export des sous-marins de type Scorpène sur l’année 2023 représente entre 6 et 12 sous-marins, de quoi lui permettre, potentiellement, de surpasser le Type 214 sur la scène internationale, même si ce dernier n’a pas non plus dit son dernier mot, étant notamment considéré comme le favori de la compétition P75i indienne.

Alors que les tensions internationales ne cessent de croitre, il est possible que d’autres marines mondiales viennent, elles-aussi, s’intéresser au Scorpène qui demeure un sous-marin tout à la fois discret, performant, économique et taillé pour le combat, d’autant que Naval Group a démontré sa capacité à mettre en place des partenariats de construction locale efficaces dans de nombreux pays, tant pour les Scorpène que les corvettes Gowind.

Reste qu’en dépit de ses qualités, le Scorpène marquera le poids des années lors de la prochaine décennie, alors que de nouveaux navires comme l’A26 suédois ou le Type 212CD allemand arriveront. Au delà de la promotion du Shortfin Barracuda, un sous-marin bien plus imposant et plus onéreux destiné à des marines aux ambitions océaniques, il semble désormais nécessaire de préparer la succession du Scorpène, notamment au travers de très prometteurs concepts comme le SMX31.

Il sera alors peut-être nécessaire, pour lancer la dynamique, que la France commande elle même deux navires seule ou en co-production, comme ce fut le cas pour le Type 212 CD norvégiens, afin d’en démontrer les capacités et les performances du nouveau modèle, et ainsi capitaliser sur le succès du Scorpène.

Face au K2 et au KF51, le char EMBT de KNDS est-il la seule chance de sauver le programme MGCS franco-allemand ?

Dans un marché en forte demande, et face aux retards probables du programme MGCS, le char EMBT développé par Nexter au sein de KNDS pourrait apporter les réponses aux menaces qui pèsent sur le char franco-allemand du futur.

La tournée express entreprise par le président Volodymyr Zelensky en Europe qui vient de s’achever, n’a pas donné lieu à des annonces spectaculaires comme l’attendaient certains commentateurs, pas davantage, d’ailleurs, que sa visite à Washington il y a quelques semaines n’avaient donné lieu à des annonces immédiates.

Toutefois, et comme ce fut le cas aux États-Unis, il y a fort à parier que le chef d’État ukrainien et ses homologues britanniques, français et allemands, aient profité de ces tête-à-tête pour préparer la poursuite de l’aide militaire et économique européenne envers Kyiv.

Parmi les sujets abordés, la question de la fourniture de blindés et de systèmes d’artillerie a très probablement été au cœur des préoccupations des quatre chefs d’états, même si, comme nous l’avions déjà abordé précédemment, l’industrie européenne souffre aujourd’hui d’un déficit productif pour répondre à la demande générée directement ou indirectement par le conflit en Ukraine.

Dans ce domaine, deux industriels semblent vouloir prendre les devants, y compris face aux gouvernants européens. Le premier est le sud-coréen Hanwha Defense qui produit le char lourd K2 Black Panther, mais également le canon automoteur K9 Thunder et le véhicule de combat d’infanterie AS21 Redback. Les deux premiers systèmes ont déjà été choisis par la Pologne pour constituer, aux côtés de 300 lance-roquettes multiples K239, le corps de bataille polonais qui ne sera autre que la plus puissante force terrestre conventionnelle du vieux continent, avec 1250 chars dont 1000 K2, ainsi que 672 canons automoteurs K9.

En effet, après avoir séduit Varsovie, Hanwha Defense semble avoir jeté son dévolu sur Bucarest, en signant un partenariat de production avec la société d’état Romarm pour construire et exporter le Thunder et le Redback, sachant qu’un accord similaire a été conclu avec Varsovie au sujet du K2, du K9 et probablement du K239.

Le Leopard 2A7 (à gauche) et le K2 Black Panther (à droite) ont fait jeu égal lors des essais en Norvège, mais le char allemand s’est imposé sur des critères politiques et industriels

Suite à la visite du président ukrainien à Bruxelles, un autre industriel est sorti du bois pour dévoiler sa stratégie vis-à-vis du marché de blindés lourds en Europe. Il s’agit de l’allemand Rheinmetall qui, par la voix de son président Armin Papperger, a proposé au chef d’État une production de son nouveau char lourd KF51 Panther, l’une des stars du dernier salon Eurosatory 2022, ainsi que le véhicule de combat d’infanterie KF41 Lynx, pour armer ses forces face aux armées russes.

Pour cela, Armin Papperger a proposé à Kyiv de produire les nouveaux blindés en Allemagne et en Hongrie, qui est à ce jour le seul client export du KF41 Lynx et qui a négocié en 2020 la production locale de 172 de ces blindés, en plus des 46 unités produites en Allemagne.

L’hypothèse d’une production locale en Ukraine aurait été abordée, même si celle-ci ne pourrait avoir lieu qu’après le conflit, l’ensemble du territoire ukrainien étant sous la menace permanente des frappes russes à longue portée.

Il ne fait aucun doute que l’idée aura été trouvée plus que séduisante par Kyiv, le Panther étant un char très prometteur et largement supérieur, sur le papier tout du moins, à l’ensemble des modèles russes actuellement en service. Pour autant, cette offre de Rheinmetall est également une proposition déguisée à la Bundeswehr, qui viendrait directement menacer la poursuite du programme de char de nouvelle génération franco-allemand MGCS.

En effet, des rumeurs insistantes outre-Rhin font état d’une possible commande significative par l’Armée allemande de chars lourds modernes, tant pour compenser les chars qui pourraient être envoyés en Ukraine et qui seraient prélevés sur le parc de la Bundeswehr pour répondre à l’urgence opérationnelle, que pour renforcer le potentiel militaire du pays.

Pour l’heure, deux hypothèses seraient évaluées, le Leopard 2 de Krauss-Maffei Wegmann dans une version A7++ intégrant certaines évolutions jugées indispensables comme un système hard-kill nativement intégré, et le KF51 Panther de Rheinmetall.

Même si ce dernier n’existe aujourd’hui que sous la forme de prototype, la très efficace campagne de communication menée par l’industriel, notamment auprès des autorités militaires et politiques allemandes, en font un candidat très sérieux, ce en dépit des récents succès du Leopard 2A7+ sur la scène européenne.

Dans ce contexte, mettre en œuvre une ligne de production du KF51 Panther en Allemagne pour répondre aux besoins d’un client export, en l’occurrence l’Ukraine, le tout avec un caractère d’urgence, rendrait le char de Rheinmetall des plus attractifs pour la Bundeswehr, mais également pour le Bundestag.

Le Leopard 2A7+ est aujourd’hui le seul char lourd encore produit en Europe

Pour peu que les performances avérées au combat du Panther soient conformes aux annonces de Rheinmetall, il ne fait aucun doute que ce char apporterait une grande plus-value opérationnelle aux forces ukrainiennes.

Plus léger de presque 5 tonnes vis-à-vis du Leopard 2A7+, il est propulsé par un moteur de 1500 cv lui conférant un rapport puissance poids de 23 cv par tonne, donc une plus grande mobilité et une plus faible consommation.

En outre, son armement s’appuie sur un canon Rh-130 L/52 de 130 mm à âme lisse et à chargement automatique, ainsi qu’une tourelle lance-missiles pouvant mettre en œuvre des missiles antichars à longue portée SPIKE ou des munitions rôdeuses Hero-120, lui conférant une puissance de feu inégalée à ce jour en occident.

Enfin, le char est très bien protégé par un blindage composite, complété par une suite soft-kill / hard-kill intégrant notamment les systèmes StrikeShield et TAPS, pour une survivabiltié la encore inégalée par les chars actuels.

Associé à d’éventuels véhicules de combat d’infanterie KF41 Lynx, eux aussi performants et bien protégés, le K51 Panther pourrait effectivement avoir un effet très sensible sur la conduite des opérations en Ukraine, pour peu qu’il soit livré en nombre suffisant et sur des délais suffisamment courts.

Pour autant, cette proposition, si elle venait à être acceptée par Kyiv, viendrait non seulement menacer KMW et son Leopard 2A7++ en Allemagne comme sur la scène européenne et internationale, mais elle viendrait, sans le moindre doute, sonner le glas du programme de chars et de véhicules blindés lourds de nouvelle génération Main Ground Combat System, ou MGCS, lancé conjointement par Paris et Berlin en 2017.

Il n’est en effet inconnu de personne que Rheinmetall voit d’un très mauvais œil ce programme depuis son lancement, même si le Bundestag a imposé que l’industriel rejoigne le programme aux côtés du groupe KNDS rassemblant KMW et le français Nexter. Depuis, le groupe allemand n’a cessé de créer d’importants blocages, en réclamant des piliers critiques comme l’armement principal ou le blindage, qui devaient initialement revenir à Nexter.

En outre, Rheinmetall n’a jamais caché que son KF51 Panther pouvait représenter une alternative économique et rapide au programme MGCS, et a mené les opérations de séduction médiatiques et politiques pour s’assurer que le message soit parfaitement passé.

Le KF51 Panther de Rheinmetall est un char de génération intermédiaire plus évolué que les Leopard 2 allemands et Leclerc français

Dans ces conditions, l’avenir du programme MGCS, pourtant stratégique tant pour l’Armée de terre que pour les groupes Nexter et KMW, s’avère des plus menacés, d’autant plus que les initiatives qui pourraient entraver la poursuite des négociations entre Rheinmetall et Kyiv seraient incontestablement critiquées au sein de l’opinion publique allemande, et donc au sein du Bundestag, ce qui pourrait précipiter les décisions dans ce domaine.

Dit autrement, si Armin Papperger parvient à lancer une ligne de production pour son KF51 en Allemagne, la pression sur la Bundeswehr et les autorités politiques outre-Rhin, mais également l’émergence d’une réelle opportunité de se doter d’un char très moderne sans avoir en assumer les couts de développement ou les investissements industriels, sonneront très probablement le glas du programme MGCS, les besoins de la Bundeswehr en termes de délais venant à diverger des besoins de l’Armée de Terre de manière très sensible.

Alors, MGCS, et avec lui l’ambition de coopération industrielle et technologique défense franco-allemande, sont-ils condamnés ? Pas nécessairement !

En effet, KNDS dispose d’un dernier atout susceptible d’être joué, notamment par l’État français, à savoir le démonstrateur EMBT, présenté lui aussi dans sa nouvelle version lors du salon Eurosatory 2022.

Moins abouti que le Panther, puisque s’agissant d’un démonstrateur et non d’un prototype, l’EMBT a toutefois présenté des caractéristiques plus que séduisantes lors de sa présentation, le mettant largement à niveau de ce que promet le nouveau char de Rheinmetall.

Or, si la France venait à entreprendre des négociations avec KNDS pour la production de ce modèle, elle inverserait le rapport de force dans ce dossier, ainsi que les menaces autour du programme MGCS.

Ainsi, Berlin aurait le choix non pas entre le Panther et une ultime version du Leopard 2, mais entre deux chars de génération intermédiaire, l’un d’eux permettant une coproduction avec la France et la poursuite du programme MGCS, l’autre pas.

En outre, si l’Armée de terre et la Bundeswehr venaient à s’équiper conjointement de l’EMBT, les effets sur les délais requis autour du programme MGCS seraient symétriques, facilitant la collaboration ainsi que les négociations.

Enfin, si le programme EMBT venait à être lancé, il ne fait aucun doute que l’action conjointe de Paris et Nexter d’un côté, et de KMW et de Berlin de l’autre, permettrait de séduire d’autres opérateurs potentiels également en demande de modernisation de leur parc de chars, comme la Grèce, l’Espagne ou l’Italie.

Le char EMBT pourrait préserver le programme MGCS en donnant à la France le temps d'attendre
Le programme MGCS vise non seulement à produire un char lourd de nouvelle génération, mais également de nouveaux types de blindés lourds répondants aux besoins du champs de bataille au delà de 2040

Par ailleurs, et c’est loin d’être négligeable, une production conjointe et partagée de l’EMBT entre la France et l’Allemagne, permettrait de disposer de cadences de production plus importantes, et donc suffisantes pour libérer les ressources nécessaires pour soutenir l’Ukraine avec des chars actuellement en service comme le Leopard 2A6 en Allemagne, et le Leclerc en France.

Les capacités de remplacement des blindés prélevés sur le parc de l’Armée de terre et de la Bundeswehr seraient alors élevées et surtout rapides, ce qui permettrait potentiellement à Paris et Berlin de transférer d’importants volumes, cohérents avec la menace, de chars en Ukraine.

Quant à Rheinmetall, qui n’apprécierait probablement pas du tout une telle hypothèse, il pourra toujours proposer son Lynx à Kyiv, sachant que ni le Puma de KMW ni le VBCI ne Nexter ne sont de bons candidats aujourd’hui pour ce domaine.

Quoi qu’il en soit, une conclusion semble s’imposer : en l’absence de réponse conjointe de la part de KMW et Nexter au sein de KNDS, la dynamique lancée par Rheinmetall mais également par Hanwha Defense en Europe au sujet de la production de chars et de blindés lourds, risque non seulement de venir menacer le programme MGCS à relativement court terme, mais également de priver ces deux groupes historiques d’une grande partie de leurs parts de marché en Europe comme dans le Monde, alors que la demande semble s’accélérer bien plus rapidement que prévu par les programmes en cours.

En s’appuyant sur le démonstrateur EMBT, les deux groupes industriels, critiques pour les BITD françaises comme allemandes, pourraient effectivement apporter une réponse attractive et efficace à ces besoins émergents, mais également préserver l’initiative entreprise en 2017 ayant mené à leur rapprochement au sein de KNDS. En revanche, l’attentisme dans ce dossier, représenterait sans le moindre doute la posture la plus dangereuse à moyen comme à court terme.

Le nouveau char nord-coréen M2020 est-il un « fake » ?

La Corée du Nord a réalisé, ces dernières années, de nombreuses démonstrations de force, que ce soit au travers d’essais de nouveaux missiles balistiques et de croisière, mais également avec d’impressionnantes parades militaires pour célébrer le régime ou les forces armées. C’est au cours d’une de ces parades que le nouveau char de combat M2020 a été dévoilé pour la première fois en 2021.

Présenté par Pyongyang comme un char de nouvelle génération se voulant à mi chemin du M1A2 Abrams américain et du T-14 Armata russe, ce nouveau blindé arborait effectivement certaines des caractéristiques extérieures visibles de ces chars modernes, notamment un blindage à face plane laissant supposer un blindage composite, et des panneaux laissant supposer la présence d’un système de protection actif.

Ce char a été une nouvelle fois présenté lors de la parade du 8 février à Pyongyang, pour célébrer le 75ème anniversaire de la création de l’Armée Populaire de Corée du Nord.

Contrairement aux années précédentes, des photos relativement précises ont été dévoilées par l’agence de presse nord-coréenne, ce qui permit aux spécialistes du renseignement en source libre d’observer attentivement le nouveau blindé, et les dires de Pyongyang à son sujet.

Malheureusement pour les autorités nord-coréennes, selon ces spécialistes, le M2020 ne serait pas du tout un nouveau char, pas même un véritable char de combat. A vrai dire, il pourrait même n’être rien d’autre qu’un Fake destiné à impressionner l’opinion nord-coréenne, et avec elle les observateurs étrangers.

La trappe d’accès de la tourelle du M2020 semble ne pas être destinée à être manoeuvrer

En premier lieu, l’étude du train roulant du M2020 et de certains aspects extérieurs montre que le char serait basé sur le T-72 soviétique, un char qui a été acquis dans les années 80 et 90 auprès de Moscou, mais qui n’est pas produit en Corée du Nord, avec ou sans licence, ce qui laisse à penser qu’il s’agit de chars modifiés, et non d’équipements produits par l’industrie nord-coréenne.

Mais les découvertes des analystes ne s’arrêtent pas là. En effet, les nouveaux clichés ont permis de montrer que le nouveau blindage à face plane laissant penser à un blindage composite, serait en réalité des ajouts sur le blindage traditionnel en acier du T-72.

Ces ajouts sont à ce point douteux que les spécialistes estiment qu’il pourrait s’agir non pas d’un surblindage, mais d’un simple coffrage en plastique ou en alumium pour donner au char un nouvel aspect, sans apporter aucune plus-value de protection.

D’autres observations accréditent les réserves des spécialistes. Ainsi, la trappe d’accès principale à la tourelle du char semble ne pas être mobile, ce qui renforcerait l’hypothèse d’un char de parade uniquement destiné à donner le change en matière de communication, et non à combattre.

La présentation de faux armements n’est pas une exclusivité de Pyongyang. Ainsi, l’Iran a, à plusieurs reprises, présenté des blindés et des aéronefs maquillés pour laisser penser qu’ils pouvaient appartenir à une nouvelle génération.

C’est notamment le cas du chasseur léger HESA Saeqeh dérivé du F-5, et surtout du chasseur sensément de 5ème génération iranien IAIO Qaher-313, qui sans le moindre doute ne sera jamais autre chose qu’une maquette destinée à la propagande nationale. Les grandes puissances militaires savent également employer ce type d’opération destinée à leurrer leurs adversaires potentielles.

C’est ainsi que pendant les années 80, l’US Air Force, qui développait en secret le F-117 Nighthawk, avait laissé volontairement fuiter des informations erronées sur l’appareil laissant supposer qu’il était furtif grâce à une conception toute en courbe, l’exact opposé de l’appareil réel, allant jusqu’à le nommer F-19A Ghostrider pour accroitre la crédibilité de la désinformation.

Son apparition dans le célèbre roman « Tempête rouge » de Tom Clancy et Larry Bond, a accru la croyance populaire dans l’existence et l’aspect de cet appareil.

Le Lockheed F-19A Ghostrider n’a jamais existé, et n’était qu’une diversion pour protéger le F-117A Nighthawk de l’US Air Force

Reste que, dans le cas du M2020 nord-coréen, la ficèle était un peu grosse. Surtout, la présentation répétée du blindé lors de plusieurs parades, faisait croitre les risques qu’un ou plusieurs observateurs ne remarquent la supercherie.

Au final, cet épisode par ailleurs probablement pas nécessaire, va certainement jeter le doute sur la réalité des autres systèmes d’armes avancés présentés par Pyongyang, même si, dans le cas des missiles, les trajectoires observées par les radars sud-coréens et japonais attestent de performances bien réelles.

Le risque le plus important, du point de vue conventionnel, demeure toutefois inchangé, la Corée du Nord disposant toujours d’une armée, certes équipée de matériels obsolètes, mais en très grande quantité, et d’une cinquantaine de têtes nucléaires.

A l’instar de l’Iran, le rapport de force n’est gère appelé à évoluer dans les années à venir sur ce théâtre, sauf si, comme c’est le cas au sujet des Su-35se iraniens, Pyongyang venait à recevoir de nouveaux armements russes en compensation d’une aide en Ukraine.

Le Japon veut remplacer ses hélicoptères d’attaque et de reconnaissance par des drones

Les forces d’autodéfense nippones veulent remplacer par les drones leurs hélicoptères d’attaque Apache et Cobra et hélicoptères de reconnaissance OH-1 dans les années à venir.

Un an après le début du conflit, les enseignements de la guerre en Ukraine, première guerre de très haute intensité employant l’ensemble de la panoplie conventionnelle moderne depuis de nombreuses décennies, commencent à influencer les planifications militaires des grandes puissances mondiales.

C’est ainsi que le char lourd, considéré jusqu’il y a peu par beaucoup comme un héritage du passé désormais trop vulnérable face aux nouveaux missiles et munitions rôdeuses, est désormais au cœur des préoccupations capacitaires de nombreuses armées en Europe et au-delà.

Même en France, cette influence se fait sensiblement sentir sur la prochaine Loi de Programmation Militaire, qui doit notamment redonner aux forces aériennes des capacités de Suppression des Défenses aériennes de l’ennemi, ou SEAD pour l’acronyme anglais, alors même que cette hypothèse avait été vertement rejetée par le Ministère des Armées il y a tout juste un an de cela, en réponse à une demande d’un député de la Commission Défense, et qui prévoit de doter les armées d’un grand nombre de munitions rôdeuses, deux capacités qui se sont montrées essentielles en Ukraine.

Si de nombreux types d’équipement ont démontré leur efficacité lors de ce conflit, d’autres, en revanche, ont montré leur grande vulnérabilité, au point qu’ils ne jouent plus, désormais, de rôle sensible lors des engagements.

C’est spécialement le cas des hélicoptères de combat qui ont payé un très lourd tribut face aux systèmes antiaériens à courte portée d’infanterie MANPADS lors des premiers mois de la guerre.

Ainsi, selon le décompte documenté effectué par le site oryxspioenkop.com, les forces russes auraient perdu près d’un quart de leur parc de chasseurs de chars Ka-52 Alligator et Mi-28 depuis le début du conflit, tous entre le mois de février et le mois de juillet.

Depuis, ces appareils semblent beaucoup moins présents à proximité de la ligne d’engagement, là où, par exemple, les dernières pertes documentées de bombardiers tactiques Su-34, eux aussi largement éprouvés avec 18 appareils identifiés détruits sur 146, datent du début du mois de février 2023.

Les drones armés sont une réponse possible face à la vulnérabilité constatée des hélicoptères d'attaque et de reconnaissance en Ukraine.
31 hélicoptères d’attaque Ka-52 Alligator ont été identifiés comme abattus ou détruits au sol en Ukraine

Cette vulnérabilité des hélicoptères à proximité de la ligne d’engagement, ou au-dessus du territoire contrôlé par l’adversaire, parais être prise au sérieux pas plusieurs armées dans le monde.

Si les hélicoptères de manœuvre et de transport demeurent indispensables pour mener des déplacements tactiques, des évacuations sanitaires et pour assurer le flux logistique, comme ce fut le cas par exemple lors du siège de Mariopol, les hélicoptères de combat, ainsi que les appareils destinés à la reconnaissance tactique, pourraient être menacés dans les années à venir, au profit des drones de combat, drones légers et autres munitions vagabondes.

C’est en tout cas la direction vers laquelle les forces d’autodéfense nippones semblent se diriger, à en croire la nouvelle Stratégie de Défense Nationale publiée en fin d’année dernière.

Aujourd’hui, les forces d’autodéfense japonaises mettent en œuvre 52 hélicoptères de combat AH-1S Cobra et 12 AH-64 DJP Apache, ainsi que 37 hélicoptères de reconnaissances Kawasaki OH-1 sur les 112 commandés.

Ce sont précisément ces appareils qui seront, dans les années à venir, progressivement remplacés par des drones d’attaque et de reconnaissance de taille variable, ainsi que des drones de transport utilitaires pour assurer les flux logistiques et probablement les évacuations sanitaires.

En revanche, les hélicoptères de manœuvre comme les 40 UH-60J Black Hawk et les 53 hélicoptères de transport lourds CH-47J Chinook demeureront en service, pour assurer les transports de troupe et d’équipements que seuls ces appareils peuvent effectuer.

Le remplacement des hélicoptères moyens et légers par des drones permettra non seulement de neutraliser les risques pour les équipages, mais également d’alléger la pression sur les efforts de recrutement et de formation dans ce domaine, un sujet difficile auquel font face toutes les armées occidentales.

À ce titre, le nombre d’avions de patrouille maritime P1 sera aussi réduite au profit de drones de surveillance navale et de lutte anti-sous-marine, alors que les nouvelles frégates de la classe Mogami, avec un équipage de seulement 90 marins et officiers, contribueront, elles aussi, à faire diminuer cette pression RH vis-à-vis des destroyers légers et d’escorte qu’elles remplaceront.

Le programme Tigre III est menacé dans la prochaine LPM 2024-2030

Pour l’heure, la planification nippone n’a donné aucune précision quant aux modèles et types de drones et de systèmes automatisés qui seront employés pour remplacer les hélicoptères d’attaque, de reconnaissance et utilitaires, pas davantage qu’au sujet des drones de surveillance navale.

Pour autant, la vulnérabilité des hélicoptères de première ligne, semble avoir touché bien plus que le Japon. Ainsi, des rumeurs insistantes font état d’une possible annulation du programme Tigre III qui devait ressembler la France et l’Espagne, l’Allemagne ayant, paraît-il, décidé de tourner son regard vers l’AH-64E américain.

Outre Atlantique, cependant, le sujet reste d’actualité, avec le programme FARA (Futur Attack and Reconnaissance Aircraft) de l’US Army, destiné à remplacer les OH-58 de reconnaissance retirés du service en 2014, mais également une partie des hélicoptères d’attaque AH-64 Apache.

Les deux prototypes retenus pour ce programme, le Raider-X de Sikorsky et le Bell 360 Invictus, doivent effectuer leur premier vol cette année, pour peu que les turbines GE T901 soient effectivement disponibles.

Pour l’heure, rien n’indique que le programme américain puisse être menacé, mais il ne fait guère de doute que les enseignements de la guerre en Ukraine viendront s’inviter au sein de ces programmes dans les semaines ou mois à venir.

Pourquoi donner des avions de combat à l’Ukraine est plus compliqué qu’il n’y parait ?

Depuis quelques semaines, au lendemain même de l’accord donné par Washington et Berlin au sujet de la livraison de chars lourds, le président Zelensky et son gouvernement ont entrepris de faire pression sur leurs alliés occidentaux, pour obtenir un nouveau type d’équipements de défense, et non des moindres, puisqu’il s’agit d’avions de combat. Et de fait, depuis cette date, il ne se passe plus un jour sans que des articles de presse ou des déclarations officielles en provenance de Kyiv, ne réclament des F-16 aux Etats-Unis, des Typhoon et des Tornado aux britanniques et allemands, et des Rafale et des Mirage à la France, sans oublier les Gripen suédois. Comme c’est le cas depuis le début de ce conflit, la majorité des réactions à ces demandes, qu’elles soient en faveur de la livraison à l’Ukraine, ou pour s’y opposer, s’appuie avant tout sur une puissante composante émotionnelle. Pour répondre à cette question, il convient d’en analyser l’ensemble des aspects, de la réalité du besoin opérationnel ukrainien aux contraintes que de tels transferts pourraient engendrer sur l’effort de guerre ukrainien, mais également sur les capacités défensives des pays qui transféreraient ces appareils, sans écarter, bien évidemment, la possible réponse de Moscou à une telle initiative.

En premier lieu, force est de constater que les Armées ukrainiennes ont aujourd’hui un réel intérêt à disposer d’une puissance aérienne significative. En effet, il semble de plus en plus probable que les Armées russes ont profité de l’épisode Bakhmout délégué aux mercenaires de Wagner, pour reconstituer une puissante force militaire susceptible de mener des opérations offensives majeures dans les semaines ou mois à venir. Selon le renseignement ukrainien lui-même, les armées russes auraient rassemblé, entrainé et équipé 500.000 hommes issus des armées, de la mobilisation et de la conscription pour cette phase majeure à venir. Très éprouvées par les combat depuis une année, les armées ukrainiennes, quant à elles, ne disposent pas, aujourd’hui, des moyens nécessaires pour durcir suffisamment les quelques 800 km de front, sachant que les forces russes pourraient mener une attaque majeure avec un préavis relativement court à n’importe quel endroit de ce front.

Les forces armées russes ont semble-t-il recomposé et entrainés un corps de bataille de 500.000 hommes pour mener une seconde offensive majeure contre l’Ukraine

Dans ce contexte, on comprend l’urgence, désormais parfaitement perçue par les capitales occidentales, pour livrer le plus rapidement possible de nouveaux moyens d’artillerie, de défense anti-aérienne, et de nouveaux blindés lourds comme les chars et les véhicules de combat d’infanterie, pour durcir cette ligne, et disposer des réserves suffisantes pour renforcer rapidement les zones sous pression. Toutefois, eu égard à la longueur du front, on, comprend l’intérêt de disposer d’une force aérienne capable d’apporter à la demande, en tout point, et sur des délais très courts, le surplus de puissance de feu indispensable pour contrer les éventuelles offensives. De fait, et même s’il existe également très probablement un calcul politique de la part de Kyiv visant à accroitre l’implication de l’OTAN et notamment des grandes puissances économiques et nucléaires de l’Alliance dans le conflit, il est incontestable que la puissance aérienne apporterait une plus-value déterminante pour tenir la ligne. Encore faut-il qu’elle puisse être mise en oeuvre pour être d’une réelle efficacité, et qu’elle dispose des appareils adaptés à la mission. C’est évidemment là que le sujet se corse …

En effet, comme l’a noté le chef du Comité des forces armées du sénat, le sénateur démocrate de Rhodes Island jack Reed, le ciel au dessus du champs de bataille ukrainien est un environnement extrêmement contesté, et seul des appareils très modernes disposant de moyens d’auto-protection avancés et de munitions à longue distance, pourraient effectivement apporter une plus-value opérationnelle significative. Les autres, comme c’est le cas aujourd’hui des Mig-29 et Su-25 ukrainiens, mais également des Su-30, Su-34 et Su-25 russes, sont contraints d’opérer à très basse altitude, et font face à des risques démesurés pour espérer mener une mission dont le bénéfice potentiel est sans rapport avec les risques pris. De fait, pour répondre efficacement aux besoins ukrainiens, il serait nécessaire de transférer des appareils très évolués, comme le F-16 américain, le Rafale français, le Typhoon européen ou le JAS-39 suédois, dans leurs versions les plus aboutis, et avec les systèmes d’armes les plus modernes.

Le JAS-39 Gripen C est un appareil très polyvalent, performant et moderne, mais il n’est disponible qu’en petit nombre, au sein de forces aériennes sans capacités de reserve

A l’inverse, des appareils comme le Mirage 2000C souvent évoqué comme une alternative pour la France, le Tornado allemand, le Harrier britannique ou encore le F-16 C/D ou le F-18 Hornet américains, seraient très certainement bien trop vulnérables pour être efficaces, ce sans même parler du fait que le Mirage 2000C est un avion exclusivement dédié au combat aérien, qui ne peut aujourd’hui mettre en oeuvre que des missiles air-air à courte portée Magic II, et qui aurait donc un faible intérêt vis-à-vis d’autres systèmes anti-aériens, comme les batteries Patriot et Mamba. Même le très puissant A-10, également parfois désigné comme une solution pour renforcer la puissance de feu ukrainienne, serait très vulnérable, notamment face aux Su-35s armés de missiles à longue portée comme le R-77M1 ou à très longue portée comme le R-47M, sans parler des puissantes défenses anti-aériennes russes bien mieux organisées qu’elles ne pouvaient l’être en début de conflit. Si, mis en oeuvre dans le cadre de l’OTAN avec une puissance aérienne globale déployée en soutien, ces appareils ont encore une réelle efficacité potentielle, mis en oeuvre de manière isolée, comme c’est le cas en Ukraine, ils seraient des cibles relativement aisées pour la chasse et la défense anti-aérienne russes.

Au delà de la vulnérabilité en vol de ces appareils, ceux-ci seraient également une cible prioritaire pour Moscou dès lors qu’ils se poseront sur une base aérienne ukrainienne. En effet, si Moscou n’a que peu d’intérêt à détruire les quelques Mig-29 et Su-25 encore en service et ventilés sur les bases ukrainiennes, les contraintes de maintenance des appareils occidentaux, et du flux logistique nécessaire à leur mise en oeuvre, obligerait l’état-major ukrainien à concentrer ses nouveaux appareils sur un nombre restreint de bases, au moins pour assurer une maintenance par type d’aéronef. Ces bases seraient dès lors immédiatement la cible de frappes à longue distance russes, employant des missiles balistiques à courte portée, des missiles de croisière ou des drones à longue portée pour cela, tant pour priver Kyiv de ses moyens que pour employer de telles destructions dans la propagande très active mise en oeuvre par Moscou et ses relais en Europe et aux Etats-Unis. Il pourrait être envisagé de mettre en oeuvre ces appareils à partir de bases aériennes en Pologne, en République tchèque ou en Slovaquie. Mais ce serait un pari bien dangereux, en espérant que le Kremlin fasse preuve de la même retenue que celle montrée par Washington en empêchant le bombardement de la base aérienne le Kep à partir de laquelle opéraient les Mig-21 nord-vietnamiens, pour éviter de blesser ou tuer les conseillers soviétiques qui y été déployés, ou comme ce fut le cas lors de la guerre de Corée avec la base aérienne chinoise de Antung au nord du fleuve Yalu de laquelle opéraient les Mig-15 chinois.

Le couple formé par le chasseur lourd Su-35s et le missile à très longue portée R-37M s’est révélé être une réelle menace pour les appareils ukrainiens, y compris les avions de soutien aérien rapproche Su-25 évoluant à très basse altitude

La question de l’affaiblissement relatif des forces aériennes européennes ou américaines est également à prendre en considération, surtout si ces dernières venaient à transférer des appareils modernes à l’Ukraine. En effet, les forces aériennes européennes, qu’elles soient françaises, britanniques ou allemandes, n’ont pour ainsi dire aucune marge de manoeuvre en terme capacitaire leur permettant de se séparer d’un certain nombre de leur chasseur, et encore moins de leur stock extrêmement sous tensions de pièces détachées. Quant aux autres forces aériennes européennes, elles ne peuvent se défaire que d’appareils plus anciens, la plupart du temps des F-16 A/B/C/D, qui comme nous l’avons vu, s’avéreraient très vulnérables dans un tel environnement, tout comme les Mirage 2000C français ou les Gripen C/D suédois. Rappelons en effet qu’aujourd’hui, pour ces armées, la puissance aérienne constitue l’essentiel de la puissance mobilisable en cas de conflit, et s’en défaire, même partiellement, reviendrait à affaiblir sensiblement les capacités de défense critiques des pays, d’autant que les capacités de production industrielle de nouveaux aéronefs sont déjà sous tension.

Reste certaines questions très triviales mais ô combien significatives, comme le prix des appareils, de leur maintenance et leurs munitions, ainsi que les délais nécessaires à la formation des pilotes et personnels de maintenance, autant de données souvent ignorées des analyses présentées publiquement à ce sujet. Ainsi, un unique Typhoon de la Royal Air Force a couté aux contribuables britanniques autant que les 14 Challenger II qui seront envoyés en Ukraine. Quant à un unique Rafale C au standard F3R, il coute presque autant que les 12 canons Caesar, le radar Groundmaster et la batterie Mamba récemment sélectionnés par l’Ukraine. En outre, ces prix ne prennent pas en compte les couts de maintenance, et notamment les besoins de pièces détachées nécessaires pour pouvoir mettre en oeuvre efficacement un unique escadron de 12 à 15 appareils, ainsi que les munitions requises. Dit autrement, si l’Ukraine n’avait, à ce jour, jamais entrepris de moderniser ses forces aériennes, c’est précisément en raison des couts liés à la mise en oeuvre d’appareils modernes, excédant largement les moyens budgétaires du pays. Enfin, la formation des personnels indispensables à la mise en oeuvre efficace d’un escadron d’avions de combat modernes, se calcule en années, et non en mois, sachant que les pilotes et personnels de maintenance ukrainiens, tout expérimentés qu’ils soient au combat, n’ont aucune expérience sur des appareils de technologie comparable.

Contrairement au Mirage 2000-5F ici en mission en Estonie, le Mirage 2000C ne peut mettre en oeuvre le missile air-air MICA, le limitant au missile air-air à courte portée Magic 2 datant des années 80.

Toute la question, aujourd’hui, est de savoir si répondre aux demandes de Kyiv, que l’on sait justifiées d’un point de vue opérationnel, en matière d’avions de combat, est effectivement une décision pertinente ? Répondre par oui ou non est certes tentant, mais constituerait une sur-simplification du problème, basé là encore principalement sur des considérations émotionnelles, et non objectives. Il ne fait aucun doute qu’il sera indispensable, à moyen terme, de doter l’Ukraine d’une force aérienne suffisamment dimensionnée et efficace pour assurer les missions nécessaires. Toutefois, à court terme, il s’agirait probablement d’une utilisation inadéquate des moyens pouvant être mobilisés par l’occident en soutien des armées ukrainiennes. La question n’est probablement pas de savoir s’il faut envoyer 6 ou 12 Mirage 2000C en Ukraine, mais s’il n’est pas préférable, et plus rapide, d’y envoyer pour un cout effectif identique, 3 nouvelles batteries Mamba, ou 48 canons CAESAR supplémentaires. Cela n’empêche en rien d’effectivement entrainer les personnes ukrainiens pour être prêts, le moment venu, à mettre en oeuvre des avions de combat occidentaux. C’est d’ailleurs à cette conclusion qu’est parvenue le sénateur américain jack Reed …

La Chine expérimente un drone de combat à furtivité renforcée

Alors que les performances des défenses anti-aériennes et des systèmes de détection ne cessent de croitre, que ce soit du fait de l’augmentation de l’efficacité des senseurs, de celle des systèmes de traitement et d’analyse des données, ainsi que des performances des missiles eux-mêmes, la furtivité, qu’elle soit active par l’intermédiaire de systèmes de brouillage et de masquage, ou passive pour réduire la surface équivalente radar ou le rayonnement infrarouge d’un appareil, devient un enjeu des plus critiques pour les forces aériennes. En effet, avec les technologies hypersoniques, elle constitue la seule réponse possible à ce jour pour espérer pouvoir employer la puissance aérienne au dessus d’un espace contesté. Ces 30 dernières années, d’importants progrès ont été réalisés dans ce domaine, notamment aux Etats-Unis, pionniers en la matière avec le fameux F-117 Nighthawk qui démontra le potentiel de cette technologie lors de la première guerre du Golfe.

Depuis la technologie furtive passive a évolué, permettant à des appareils de combat polyvalents comme le F-22 Raptor et le F-35 Lightning II d’entrer en service, et s’est également démocratisée sur la planète, la Chine avec le J-20 et le futur J-35, et la Russie avec le Su-57, ayant également démontré des savoir-faire dans ce domaine, même si les caractéristiques de ces appareils en matière de furtivité continuent de faire débat. Toutefois, tous ces appareils souffrent de certaines limitations, leur furtivité étant la plupart du temps directionnelle et concentrée sur la zone avant, et se dégradant rapidement dès lors que l’appareil emporte des munitions, réservoirs supplémentaires ou poids sous voilure. Les zones mobiles des avions de combat, qui permettent de contrôler l’appareil, dégradent elles aussi cette furtivité, non seulement lorsqu’elles sont en mouvement en créant des zones de réflexion radar, mais également en créant des décrochements et des arêtes saillantes pour permettre le débattement des gouvernes.

Le modèle Aurora Flight du programme CRANE de la DARPA lors des essais en soufflerie

Pour palier ce problème, la DARPA, l’agence d’innovation technologique du Pentagone, a lancé le programme CRANE pour Control of Revolutionary Aircraft with Novel Effectors, qui vise à remplacer les gouvernes mobiles par des flux d’air sous pression reproduisant les effets aérodynamiques de celles-ci, sans en imposer les contraintes, notamment en terme de furtivité. Le programme est passé, en fin d’année dernière, en phase 2, afin de concevoir les technologies nécessaires à la conception d’un démonstrateur technologique. C’est la société Aurora Flight Sciences, filiale de Boeing, qui a été choisie pour cette mission, et probablement pour élaborer le démonstrateur de 3,5 tonnes prévu par la phase 3, dont le premier vol est attendu pour 2025. De fait, l’annonce faite par l’équipe du Centre de recherche et de développement de l’aérodynamique situé dans la province du Sichuan, dans un article publié le 19 janvier dans la revue à comité de lecture Acta Aeronautica et Astronautica Sinica, a probablement fait l’effet d’une bombe outre-atlantique. En effet, cette équipe aurait déjà fait volé un démonstrateur équipé de cette même technologie.

Il est vrai que cette équipe de recherche, et son directeur, le professeur Zhang Liu, ne sont pas des inconnus sur la scène internationale aéronautique. C’est notamment eux qui ont conçu le chasseur lourd furtif J-20, ainsi que différents modèles de missiles hypersoniques chinois comme le DF-17. L’illustration diffusée dans l’article montre un drone de forme relativement classique pour ce type d’appareil, sous la forme d’une aile volante dépourvue d’empennage, équipé d’une entrée d’air supérieure, comme il en existe déjà en Chine avec la famille des Sharp Sword et le GJ-11 présenté comme opérationnel en 2019. En revanche, les photos ne permettent pas de valider l’absence de gouverne, et le contrôle par flux d’air, comme avancé par les scientifiques et ingénieurs chinois. Un écorché également présenté permet toutefois de comprendre la méthode employée pour générer les flux d’air, en prélevant l’air comprimée sur le compresseur du réacteur, pour être envoyé, selon les besoins, au dessus ou en dessous d’une surface de contrôle fixe située de part et d’autre de l’aile, là ou se trouveraient logiquement les surface de contrôle, pour simuler les surpressions et dépressions qui résulteraient du déplacement des gouvernes, et ainsi obtenir l’effet mécanique souhaité pour contrôler l’appareil en vol.

L’illustration présentée par l’équipe du professeur Zhang Liu montre l’emprunt de gaz et leur usage pour contrôler l’appareil

D’un point de vue purement physique, cette approche est effectivement efficace, puisqu’elle permet de contrôler l’appareil tout en évitant l’usage de surfaces mobiles, et en gardant masquées toutes les pièces mécaniques qui pourraient dégrader la furtivité. Mais pour parvenir à l’appliquer, les ingénieurs chinois ont du réaliser plusieurs prouesses, pour capter un volume d’air sous pression suffisamment important pour contrôler l’appareil sans étouffer le turboréacteur d’une part, et pour refroidir le flux d’air suffisamment pour ne pas engendrer une usure rapide des mécanismes employés. Selon les affirmations chinoises, le drone aurait dejà fait au moins un premier vol, et aurait montré sa capacité à manoeuvrer de manière cohérente. Reste à voir comment et sous quels délais cette technologie destinée à faire voler un démonstrateur, pourra effectivement être employée pour contrôler des drones de combat destinés à être mis en oeuvre en environnement opérationnel.

Quoiqu’il en soit, et même s’il faut se montrer prudent quant aux affirmations chinoises qui ont déjà, par le passé, exagéré la portée de leurs avancées technologiques, il est désormais raisonnable de ne pas appuyer les raisonnements et les simulations qui envisageraient une confrontation avec la Chine, en partant d’un postula de supériorité technologique notable des forces occidentales pour compenser la probable supériorité numérique de l’Armée Populaire de Libération. De toute évidence, l’époque ou les militaires chinois se battaient avec des copies de mauvaise qualité de matériels soviétiques, est largement révolue, et la recherche chinoise, y compris dans le domaine des technologies de défense, est aujourd’hui au même niveau que celle des grandes puissances occidentales. Reste à espérer que le dynamisme évident de Pékin dans ce domaine, ne lui conférera pas, dans un avenir pas si éloigné, l’avantage technologique en plus de l’avantage numérique, sur la base de l’inertie et des contradictions dans l’effort industriel et technologique de défense occidental.

Fort de son succès opérationnel et commercial, peut-on décliner le principe du CAESAR ?

De tous les équipements militaires qui ont connu la célébrité en Ukraine, le système d’artillerie sur camion de 155 mm CAESAR, conçu et construit par le français Nexter, est incontestablement l’un de ceux qui a rencontré le plus important succès opérationnel. et qui a conforté son succès commercial de ce fait. Selon les informations ukrainiennes, les 18 Caesar envoyés par le France en Ukraine à partir du mois de Mai, auraient en effet détruit des centaines d’armements et de positions russes, de 180 types de matériels différents. Dans le même temps, il semble qu’un seul CAESAR aurait été détruit au combat, même si la plupart des systèmes doivent désormais passer en maintenance de régénération, du fait de leur utilisation intensive.

Quoiqu’il en soit, le CAESAR a montré la pertinence de son concept associant puissance de feu et mobilité, permettant aux systèmes d’avoir une efficacité et une survivabilité au moins aussi performantes, y compris en engagement de haute intensité, que les systèmes chenillés sous blindage comme le M109 américain, le Krab polonais ou le Pzh2000 allemand, des systèmes pourtant considérablement plus onéreux que ne l’est le CAESAR.

En outre, les caractéristiques propres au système permirent de developper des tactiques propres, comme les raids d’artillerie permettant de frapper dans la profondeur du dispositif adverse et de se retirer avant même que celui-ci puisse répliquer. Il n’est donc en rien surprenant que plusieurs systèmes inspirés du CAESAR ont été conçus par la plupart des grandes BITD mondiales, de la Chine aux Etats-Unis, de la Russie au Japon et Israel.

Fort de ce succès, on peut se demander si le concept ayant donné naissance au CAESAR, c’est-à-dire l’association d’un système d’artillerie automatisé à un véhicule sur roues très mobile, privilégiant cette mobilité à la protection passive comme le blindage, ne peut être décliné ou étendu à d’autres équipements, permettant de faire du CAESAR non plus un système, mais une réelle famille d’équipements d’artillerie pouvant mettre à profit non seulement certaines convergences technologiques, mais également doctrinales et logistiques. Il semble bien que Nexter, ainsi que l’ensemble de la BITD terre française, disposent en effet des compétences mais également des systèmes nécessaires à une telle déclinaison.

L’obusier léger de 105mm LG1 de Nexter est en service dans 7 forces armées dans le Monde, dont les forces canadiennes ici présentées

Ainsi, l’industriel français spécialisé dans les armements terrestres, dispose dans son catalogue d’un obusier léger de 105mm extrêmement performant, le LG1. D’une masse de seulement 1,6 tonnes, il permet de frapper des cibles jusqu’à 17 km, avec des obus spécialisés ou à propulsion additionnée. Son système de chargement permet en outre de soutenir une cadence de tir de 12 coups par minute, ce qui en fait une arme très appréciée des forces amenées à opérer en environnement difficile, comme les armées malaysiennes, indonésiennes, thaïlandaises et colombiennes, qui doivent pouvoir les employer dans la jungle.

Ce système d’artillerie pourrait, à l’instar du canon de 155 mm du CAESAR, prendre place à bord d’un véhicule sur roues, qu’il soit 6×6 ou même 4×4, puisque sa masse en tant compte de ses munitions et servants, reste inférieur à 2,5 tonnes. Un véhicule blindé 4X4 comme le Serval, et même des véhicules blindés légers à grande mobilité comme le Scarabée d’Arquus, pourraient ainsi être équipés du LG1, pour en faire un couple tout aussi redoutable que ne l’est le CAESAR aujourd’hui pour une version « commando » de l’artillerie automotrice.

On peut également imaginer de concevoir une version plus lourde du CAESAR, s’appuyant sur le camion 8×8 du modèle lourd acquis par le Danemark et la République, mais en l’équipant non pas d’un canon de 155mm, mais d’e’un canon plus lourd de 203 mm, de sorte à disposer d’une portée et d’une capacité de destruction accrue. Cette hypothèse ferait toutefois face à plusieurs difficultés, en premier lieu desquelles le fait qu’aucun armurier français n’a conçu de canon de 8 pouces (203mm) depuis les années 40.

En outre, cette munition, qui armait les obusiers lourds M110, n’est plus employée ni produite au sein de l’OTAN en dehors de la Grèce et de la Turquie, et n’a donc jamais fait l’objet de programmes d’extension de performances comme ce fut le cas du 155mm et 105mm terrestres, ou du 127mm et du 76mm naval. De fait, sans devoir être nécessairement exclue, cette hypothèse n’est probablement pas celle qui dispose, aujourd’hui, du potentiel le plus significatif.

Par sa grande mobilité et ses capacités d’emport, le prototype SCARABEE d’arqués pourrait représenter une plateforme très attrayante pour mettre en oeuvre l’obusier LG1 dans un déclinaison du CAESAR de 155 mm

Ce n’est pas le cas, en revanche, d’une éventuelle version anti-aérienne du CAESAR. Si l’artillerie anti-aérienne avait perdu de son attrait ces dernières décennies, cédant face aux performances des missiles sol-air et des munitions de précision air-sol permettant à un avion de combat de faire feu au delà de l’enveloppe de tir de celle-ci, l’arrivée de plus en plus évidente des drones, et notamment des munitions rôdeuses à très long rayon d’action, ainsi que des missiles de croisière, a ramené ces systèmes au devant de la scène, au point de faire du Guépard allemand l’un des équipements qui partage avec le CAESAR le podium des équipements les plus performants sur le théâtre ukrainien. Or, la logique qui présida à la conception du CAESAR, est transposable à une version anti-aérienne du système. En effet, comme pour la version actuelle, la mobilité constitue une protection face aux menaces, ici essentiellement aériennes, comparables voire plus efficace quelle peut l’être le blindage d’un système comme le Guépard.

En revanche, cette mobilité peut également représenter une plus-value déterminante pour protéger des sites ou des cibles potentielles de valeur, en permettant de redéployer rapidement et efficacement les systèmes pour faire face aux menaces, et donc de disposer d’une puissance de feu renforcée pour y faire face. Rappelons que les munitions rôdeuses comme les missiles de croisière ou les drones, sont le plus souvent détectés et identifiés avec un certain délais vis-à-vis des cibles potentielles, permettant à des systèmes très mobiles de se redéployer avant que la menace ne l’atteigne.

Dit autrement, un Caesar anti-aérien mettant en oeuvre une artillerie anti-aérienne de moyen calibre de 30 ou 40 mm ainsi qu’un système de détection et de conduite de tir, offrirait une puissance de feu et de destruction comparable à celle du Guépard, mais pourrait couvrir un périmètre défensif plus important, de sorte qu’un nombre plus faible de système suffirait à protéger efficacement la même cible potentielle. Notons que ce principe n’est en rien révolutionnaire, puisque le Pantsir russe s’appuie sur un modèle strictement similaire, en associant aux deux canons de 30mm des missiles anti-aériens à guidage sur faisceau (très économiques) de courte et moyenne portée.

Le Pantsir S1 russe s’appuie sur les mêmes paradigmes que le CAESAR, en particulier sur un camion porteur 8×8 comme la version lourde du système de Nexter

On le voit, il existe de réelles opportunités pour décliner efficacement le principe opérationnel et doctrinal du CAESAR, de sorte non seulement à renforcer les capacités opérationnelles des armées françaises, mais également d’enrichir le catalogue de la BITD sur la scène export. De ce point de vue, CAESAR deviendrait alors non seulement une famille de systèmes liés par une même ascendance et par des convergences logistiques et doctrinales, mais également une marque à fort potentiel d’identification et de rémanence, un enjeu de grande importance sur un marché concurrentiel, même dans le domaine de l’armement terrestre.

Autre intérêt, et non des moindres, il est probable que la promesse de développement d’une version légère de 105 mm du CAESAR sur un véhicule blindé léger, ou d’un système anti-aérien sur la même plateforme que le CAESAR, pourrait probablement susciter de l’intérêt y compris au delà de l’Etat-Major de l’Armée de Terre, si celui-ci devait être de trop contraint par le future LPM. Un intérêt qui pourrait suffire pour que le développement de ces équipements soit pris en charge par les industriels, et non par le budget des Armées ou la DGA.

L’Europe peut-elle mettre un terme à la guerre en Ukraine ?

La semaine dernière, une analyse publiée par le think tank Rand Corporation étudiait les risques liés à l’extension dans la durée du conflit ukrainien, ainsi que les solutions qui pouvaient être avancées par Washington pour les contenir. Comme la plupart des études publiées par la Rand, celle-ci était à la fois très pertinente, documentée et objective, dans le diagnostique comme dans les solutions préconisées. Toutefois, celle-ci partait d’un postula de base qui oblige à une certaine prudence quant à l’applicabilité des résultats présentés : en effet, cette étude n’étudiait le conflit en Ukraine que du point de vue de l’action de Washington et de ses conséquences sur les Etats-Unis. Et dès lors que l’on applique la même méthodologie du point de vue européen, les constats, mais également les risques et les solutions preconisables pour les maitriser, différent sensiblement.

En premier lieu, il convient de séparer ce qui est commun aux deux points de vue. Ainsi, le risque d’enlisement du conflit décrit dans l’analyse américaine demeure très important quel que soit le point de vue. Il est en effet en grande partie lié au changement de posture de Moscou dans la conduite de cette guerre, en étant passé au milieu de l’été d’une gestion tactique d’une opération spéciale militaire à une conduite stratégique d’un conflit critique mobilisant l’ensemble des ressources du pays, et à l’absence de contestation dans l’opinion publique russe. De même, les deux risques stratégiques décrits dans l’analyse de la Rand, à savoir le risque de franchissement du seuil nucléaire, et celui d’extension du conflit au delà des frontières ukrainiennes, avec une possible implication de l’OTAN, sont les mêmes, qu’on les observe de Washington ou de Paris, Rome ou Varsovie.

La Chine et le développement de son outil militaire représente aujourd’hui le principal sujet d’inquiétude du Pentagone, bien davantage que ne l’est la Russie et l’Ukraine

Toutefois, un troisième risque majeur concerne directement les Européens, et beaucoup moins les américains, au point qu’il n’apparait pas dans l’analyse de la Rand. En effet, l’une des menaces critiques sur l’avenir de l’Ukraine, et sur le renforcement considérablement de la menace russe sur les pays européens qu’une défaite ukrainienne entrainerait, n’est autre que la possibilité d’un retrait ou d’une diminution significative de l’aide militaire américaine accordée à Kyiv. Ce risque peut être la conséquence d’une alternance démocratique à Washington, par exemple si Donald Trump venait à remporter la présidentielle de 2024, ou résulter de l’apparition de nouveaux conflits ou risques de conflits venant menacer directement les intérêts américains bien davantage que la crise ukrainienne, comme par exemple en cas d’embrasement du Moyen-orient autour d’un conflit israélo-iranien, ou dans le Pacifique si Pyongyang venait à déclencher les hostilités avec la Corée du sud, ou si Pékin venait à engager une invasion de Taïwan. Alors que l’aide militaire US représente 70 à 80% de l’ensemble de l’aide militaire occidentale à Kyiv, la résistance ukrainienne face aux armées russes serait évidemment très menacée si cette aide américaine venait à se tarir.

En outre, les risques et menaces liés à une probable extension du conflit, ou encore vis-à-vis d’une éventuelle victoire militaire russe, seraient bien plus importants et sensibles pour l’ensemble des pays européens, en premier lieu desquels les pays frontaliers de la Russie, de la Biélorussie et de l’Ukraine, qui verraient la menace s’établir à ses frontières dans une dynamique de victoire. Paradoxalement, les risques liés à une concentration de moyens militaires en Europe des européens comme des américains, au détriment des autres théâtres, touchent quant à eux de manière égale les Etats-unis et les européens, qui dépendent tout autant, voire davantage, du pétrole et du gaz du moyen-orient et des usines et des semi-conducteurs asiatiques pour leur économie. Dit autrement, si la situation est dangereuse et sous contrainte pour les Etats-Unis, elle l’est encore bien davantage pour les Européens. Dans ce contexte, il est évident que les Européens devraient être au premier plan d’une éventuelle solution pour mettre fin à ce conflit le plus rapidement possible, partant du principe que son enlisement augmente mécaniquement et sensiblement les risques de franchissement du seuil nucléaire, d’extension du conflit à l’OTAN, ou de désengagement des Etats-Unis. A l’instar de l’approche proposée par la Rand pour contenir cette menace au travers d’un plan d’action en 5 étapes, il est également possible, pour les européens, de s’appuyer sur un plan similaire, mais répondant aux enjeux, contraintes et moyens européens.

les européens ont livrés ne nombreux équipements militaires à l’Ukraine, mais ces livraisons de représentent qu’un tiers à un quart des équipements US livrés à Kyiv

En premier lieu, il est indispensable que les Européens, et en particulier les grandes puissances européennes que sont l’Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, admettent que la gestion de cette crise est avant tout un problème européen, et qu’il revient aux européens d’y répondre. Il ne s’agit pas ici de sombrer dans une quelconque forme d’anti-américanisme, bien au contraire. Une telle prise de conscience serait très probablement très bien accueillie par Washington, qui pourrait dès lors, progressivement, concentrer ses efforts sur la confrontation avec la Chine, qui va nécessiter qu’elle y consacre tous ses moyens pour espérer obtenir des résultats positifs. C’est d’ailleurs en grande partie au travers de ce prisme que la Rand a étudié dans son rapport les risques que pose le soutien américain à l’Ukraine dans la durée. En outre, il est également indispensable que les Européens reconnaissent le caractère stratégique de la confrontation qui se joue aujourd’hui en Ukraine, tant du fait qu’elle est perçue et pilotée comme telle par Moscou, mais également du fait des risques qui résulteraient d’une défaite de Kyiv.

Une fois ces deux postulas posés, il devient évident que l’Europe devrait mettre en oeuvre, à court terme, les moyens budgétaires et industriels pour contenir et contrer les objectifs poursuivis par Moscou, afin de priver le Kremlin de perspectives espèrées à moyen ou long terme. Aujourd’hui, les autorités russes s’appuient en effet sur la production de matériels militaires de son industrie de défense mobilisée et largement soutenue, ainsi que sur ses réserves démographiques pour soutenir une guerre de longue durée, alors que dans le même temps, les moyens dont disposent américains et européens sont limités. En d’autres termes, en dépit des performances comparées des équipements militaires occidentaux envoyés en Ukraine, à moyen terme, la source finira par se tarir, et l’Ukraine sera alors dans l’impossibilité de résister à la déferlante russe, même si les russes devront payer un prix atrocement élevé pour y parvenir.

La Russie a considérablement accru la production de blindés ces derniers mois, afin de soutenir la stratégie à long terme choisie par le Kremlin pour piloter la guerre en Ukraine

Dès lors, pour réduire à néant les perspectives russes et donc la posture actuelle du Kremlin dans ce conflit, il est indispensable que les Européennes déploient, rapidement, des capacités industrielles de fabrication de matériels et d’équipements militaires lourds en miroir de celles déployées par la Russie. Pour cela, il est nécessaire que l’industrie de défense européenne soit en mesure de produire une moyenne de 400 chars lourds modernes par an, ainsi que 600 véhicules de combat d’infanterie et 150 systèmes d’artillerie mobiles et systèmes d’artillerie à longue portée, pour ne parler que des équipements lourds critiques. Une fois cette capacité déployée, les européens seront alors en capacité de transférer en Ukraine un flot d’équipements continu équivalent en nombre et supérieur en qualité, à ceux déversés par l’industrie de défense russe dans ce conflit. Dès lors, la perspective d’usure à moyen terme visée par le Kremlin, serait neutralisée, comme le serait les chances de succès de la Russie dans cette guerre.

Une fois la décision du déploiement de cette capacité industrielle majeure européenne prise, il sera également possible aux Européens de reconsidérer les capacités de transfert d’équipements militaires lourds à l’Ukraine à court terme, en particulier pour ce qui concerne les grandes puissances qui, aujourd’hui, sont contraintes par le maintenir de capacités minimales d’entrainement et d’intervention. Comme nous l’avions établi dans cet article, avec justesse considérant les équipements envoyés ou promis par la France à l’Ukraine, il est possible d’accepter une baisse temporaire de dotation sur une période de 2 à 3 ans sans venir menacer l’entrainement ni les moyens des armées, pour peu que les moyens industriels existent pour garantir le remplacement des équipements cédés. En procédant selon la même méthodologie, il serait alors possible d’envoyer en Ukraine, à court terme, des moyens lourds qui lui permettrait de contenir la prochaine offensive majeure en préparation, sachant que si celle-ci venait à percer les défenses ukrainiennes, les conséquences pourraient être considérables dans la conduite de cette guerre pour les européens.

la livraison de chars lourds européens à l’Ukraine repose en grande partie sur l’émergence d’une réelle solution de production de blindés alternative pour remplacer les chars transférés à Kyiv

Au delà des moyens disponibles, destinés à contenir les ambitions tactiques et stratégiques russes, il conviendrait, également, que les européens s’engagent dans un bras de fer indirect mais lisible avec la Russie. Pour cela, et comme le préconise la Rand dans son rapport, il est nécessaire que le plan de soutien aux armées ukrainiennes soit dimensionné dans sa durée comme dans son volume, pour répondre à la réalité de l’évolution de la menace russe. Surtout, il est nécessaire que ce plan soit rendu public, de sorte que Moscou ait pleinement conscience, y compris vis-à-vis de son opinion publique, de l’évolution du rapport de force que ce plan de soutien implique dans la durée. En d’autres termes, il s’agit ici d’inverser l’argument stratégique employé aujourd’hui par Moscou, au bénéfice de l’Ukraine, en privant la Russie non seulement de chances de succès à terme, mais en augmentant les risques de défaite. Au delà de l’aide initiale destinée à contrer la menace immédiate d’offensive majeure à venir d’ici la fin de l’hiver, ce plan devra en outre être progressif, de sorte à montrer que plus le conflit durera, plus le rapport de force sera défavorable à Moscou.

Enfin, il est indispensable pour espérer une conclusion rapide de ce conflit, de définir des objectifs de guerre européens, qui encadrent le soutien militaire accordé à l’Ukraine, tout en tenant compte des risques d’escalade, et notamment pour ce qui concerne le seuil nucléaire, loin d’être aussi insignifiant que certains veulent le croire dans la presse ou sur les plateaux télé, comme le montre très bien l’analyse de la Rand. Il est nécessaire de disposer d’informations solides pour définir ces objectifs, en particulier en ce qui concerne la perception russe vis-à-vis de certains territoires, de sorte à faire de la conclusion de cette guerre une victoire ukrainienne sans que la défaite russe soit à ce point importante qu’elle viendrait menacer la pérennité du régime, ce qui constituerait un risque majeur vis-à-vis du seuil nucléaire. En outre, si les objectifs visés permettent de préserver le régime, les chances sont sensiblement plus importantes que la Russie ne cède à la menace européenne reposant sur l’augmentation des capacités industrielles militaires, et mette fin au conflit de manière anticipée. Intuitivement, les frontières du 23 février 2022 semblent représenter un compromis acceptable, même si, comme dit précédemment, il est nécessaire de concevoir ces objectifs de guerre non sur des intuitions, mais sur des informations fiables.

Le retour aux frontières du 23 février 2022 représente peut-être l’objectif de guerre le plus pertinent pour les européens.

Cet article n’a évidemment pas l’ambition de se comparer ou se substituer à l’analyse d’un think tank comme la Rand, qui mobilise plusieurs chercheurs ayant un accès facilité à certaines informations sur une durée considérablement plus importante. Toutefois, il permet de montrer que d’une part, l’Europe, bien davantage que les Etats-Unis, est exposée aux risques liés à l’enlisement du conflit en Ukraine ou, pire, à une défaite ukrainienne, mais également qu’elle est en mesure, en mobilisant les 3 grandes puissances économiques pour donner l’impulsion nécessaire et contrôler les inévitables divergences politiques, de mettre en oeuvre une stratégie pouvant neutraliser les ambitions et la menace russe. Reste à voir si les européens, par nature plus portés sur l’individualisme national et sur les discussions sans fins, sauront prendre conscience de la situation, des moyens nécessaires et du calendrier très contraint pour qu’une telle stratégie soit efficace ? C’est bien évidemment possible, même si pour beaucoup, c’est avant tout idéaliste ….