A quelques jours de sa présentation officielle, le contenu de la futur Loi de Programmation Militaire française, qui encadrera les investissements de l’Etat dans ces armées pour les 7 années à venir, commence à être de plus en plus claire. Toutefois, au delà des quelques 400 Md€ d’investissements prévus sur les 7 années à venir, et des 13 Md€ de crédits exceptionnels également planifiés sur cette période, et bien que cette trajectoire représente une hausse de 100 Md€ vis-à-vis de la LPM précédente, de nombreuses voix s’élèvent depuis quelques jours pour en regretter les arbitrages, et parfois pour en critiquer le montant jugé, non sans raison il est vrai, comme insuffisant vis-à-vis des besoins des armées face à l’évolution rapide des menaces en Europe et dans le Monde. Si ces voix se rejoignent sur le constat, à savoir qu’il manque plusieurs de dizaines de milliards d’Euro à cette LPM pour répondre effectivement aux besoins des armées, et sans entrer dans le débat de savoir s’il faut plus de chars, plus de systèmes anti-aériens, plus de sous-marins ou plus de drones, il apparait cependant que personne ne se risque à donner ne serait-ce que des pistes pour permettre le financement de ces besoins critiques.
Pour rappel, si la prochaine LPM respecte une trajectoire de croissance linéaire du budget des armées afin d’atteindre les 413 Md€ prévus, les Armées disposeront, en 2030, d’un budget annuel de 68 Md€, représentant entre 2,25 et 2,3% du PIB du pays à cette date. Cet objectif représente une hausse de presque 55% du budget annuel sur la LPM, donc de l’ordre de 40% en euro constant, et de 112 % vis-à-vis budget de 2016. Il s’agira donc, sans le moindre doute, d’un effort considérable consenti par le gouvernement français, d’autant plus considérable que bien d’autres sujets pèsent sur l’opinion publique, qui s’inquiète davantage de l’évolution du service de santé ou de l’offre d’éducation, que de savoir si les armées françaises ont 200 ou 400 chars lourds. En d’autres termes, en dehors de la sphère relativement réduite des personnes sensibles aux questions de défense dans le pays, la question de la LPM et des Armées n’est pas une priorité pour beaucoup de français, et la hausse spectaculaire des investissements de défense ces 6 dernières années, comme celle de la période 2024-3030 à suivre, n’est pas en soit un sujet à haut potentiel de satisfaction politique. Notons également que les 413 Md€ prévus se rapprochent beaucoup plus des 420 Md€ réclamés par le Ministère des Armées, que des 370 Md€ proposés par le Ministère des Finances.

Pour autant, et en dépit de l’effort politique et budgétaire évident consenti par les autorités dans ce sujet, les points de faiblesse relevés par les nombreux commentateurs ces derniers jours, ne sont pas non plus dénués de sens. Ainsi, alors que la modernisation de la dissuasion française captera à elle seule prés de 100 Md€ sur cette nouvelle LPM, et que les couts de fonctionnement et la hausse des soldes en capteront 45% de plus, il ne restera guère de crédits pour moderniser les forces, et donc developper et acquérir les nouveaux systèmes, de même que pour espérer accroitre le format actuel des armées au delà des quelques 50.000 réservistes supplémentaires devant être recrutés. D’un point de vu synthétique, et sans entrer dans une longue démonstration, on peut estimer qu’il manquerait, sur cette LPM, quelques 100 Md€ de crédits supplémentaires, non pas sur une trajectoire progressive comme aujourd’hui prévu, mais pour réparer les dégâts liés au sous-investissement critique dans ce domaine de 2000 à 2020, ceci ayant engendrer un vieillissement sensible de l’âge moyen des équipements, la diminution des parcs, et donc des pertes de performances opérationnelles très sensibles. Sachant que budgétairement, une hausse supplémentaire est à exclure sauf à justifier de recettes supplémentaires, quelles peuvent-être les solutions qui permettraient à la France de financer cet effort immédiat ?
1- Réorientation de crédits sur de nouvelles recettes ou économies budgétaires
Parmi les solutions parfois évoquées pour permettre l’augmentation de l’effort de défense en France, la réorientation budgétaire, sur la base d’économies potentielles réalisées sur les dépenses publiques ou de nouvelles recettes, est incontestablement la plus fréquemment avancée. Il s’agirait, selon les cas, de couper des dépenses budgétaires jugées peu efficaces, et de générer des recettes ou des économies supplémentaires en luttant contre la fraude, qu’elle soit fiscale ou sociale. Cependant, il apparait que l’application de ces mesures est beaucoup plus difficile une fois passée les campagnes et promesses électorales, et plusieurs gouvernements s’y sont casser les dents, selon qu’ils étaient de droite en promettant la fin de fraude sociale, ou de gauche en sonnant l’hallali des exilés fiscaux. Au final, ces approches ne permettent pas de dégager, de manière certaine et prévisible, les ressources nécessaires pour financer durablement une hausse de crédits de défense, alors que les planifications sur recettes variables ont également montré leurs limites lors des quinquennats Sarkozy et Hollande. Sans préjuger de leur pertinence et applicabilité, ces mesures ne disposent pas d’une robustesse suffisante pour permettre de construire le budget des armées autours des résultats qui ne peuvent être, au mieux, qu’espérés.
2- Négocier l’exclusion des couts de dissuasion du déficit public
Bien plus prometteuse, la négociation d’une exclusion des investissements français dans la dissuasion nucléaire du déficit public au sens des critères du pacte de stabilité de la zone euro, a fait l’objet d’un article complet il y a quelques jours. Comme expliqué alors, il existe aujourd’hui un faisceau d’opportunités qui pourrait permettre à la France d’obtenir une telle concession de la part de ses partenaires européens, alors que la dissuasion française joue un rôle critique et unique pour la sécurité du lieu continent. On peut d’ailleurs penser que le président français Emmanuel Macron a un tel projet, sur la base des déclarations faites à ce sujet lors de son discours à la Conférence sur la Sécurité de Munich vendredi dernier. Une telle mesure permettrait à la France de ne plus décompter les investissements liés à la dissuasion, soit de l’ordre de 100 Md€ sur la prochaine LPM, de son déficit public vis-à-vis de l’objectif de 3% du pacte de stabilité, et donc d’investir ces 100 Md€ dans le renforcement des capacités conventionnelles des armées, précisément celles qui aujourd’hui engendrent le plus d’inquiétudes, répondant précisément au postulat préalablement établi ici. Elle permettrait d’amener le budget de la défense en 2030 autour de 80 Md€, soit 2,65% du PIB, au même niveau que le budget allemand s’il est porté à 2% du PIB comme annoncé.

Malheureusement, cette mesure, si elle présente les critères de robustesse et de performances requis pour la programmation militaire, a un immense point faible : elle n’est possible qu’avec l’accord des partenaires européens de la France au sein de la zone euro. Or, pour certains pays, y compris pour des partenaires proches comme l’Allemagne, une telle hypothèse est loin d’être acquise. En effet, pour de nombreux européens, la dissuasion du vieux continent ne peut, et ne doit dépendre que des Etats-Unis; la France et dans une moindre mesure la Grande-Bretagne, n’étant pas jugées comme des partenaires suffisamment fiables à ce sujet. Au delà de ces aspects, d’autres considérations bien plus politiques pourraient venir interférer, comme la volonté de Berlin de s’imposer comme le Pivot défense en Europe, précisément en s’appuyant sur ses capacités d’investissements supérieures. La démarche mérite clairement d’être tentée, d’autant que d’autres pays européens sont en demande d’investissements accrus en matière de défense à l’échelle européenne, mais sa mise en oeuvre sera très probablement difficile.
3- Optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense
L’investissement dans les Armées et la Défense est le plus souvent présenté, et même parfois considéré politiquement parlant, comme un investissement économiquement inefficace, au sens ou, contrairement à des politiques de soutien économique, seul l’investissement est considéré et présenté, et nullement son efficacité économique et budgétaire. Pourtant, et cela coule pourtant de source, investir 100 Md€ dans les armées françaises, génèrera des recettes sociales et fiscales importantes pour l’état, ce d’autant que les mitaines comme l’industrie de défense, les deux principaux bénéficiaires de ces crédits, ont une exposition très faible aux deux facteurs détériorant l’efficacité des politiques publiques d’investissement, à savoir l’importation d’une part, et l’épargne de l’autre. En outre, les industries de défense françaises sont l’un des secteurs industriels les plus performants à l’exportation, avec une moyenne de 35% de son activité consacrée précisément aux exportations d’équipements de défense.

De fait, en considérant l’investissement supplémentaire dans les Armées comme un investissement à finalité économique, et non pas juste à des fins sécuritaires, il est possible d’en optimiser l’efficacité potentielle, voire même, à terme, d’atteindre une certaine forme d’équilibre entre les recettes et économies budgétaires générées directement ou indirectement par l’investissement, et les dépenses d’investissement supplémentaires requises. Il s’agit de l’approche mise en oeuvre par la Grande-Bretagne depuis 2019, celle-ci estimant notamment qu’un million de Livres Sterling investis dans l’industrie de défense britannique sécurisent 32 emplois annuels. Toutefois, cette solution, potentiellement performante, n’est pas dénuée de difficultés et de certaines faiblesses. Ainsi, le retour budgétaire lié à l’investissement industriel n’est effectif qu’au bout de plusieurs années, et n’est en rien linéaire, du fait de l’imprévisibilité des contrats d’exportation. En outre, de nombreux effets de seuils et de plafonds encadrent cette approche, notamment des limites de croissance industrielle liées aux contraintes de formation et de recrutement. Dit autrement, l’optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense représente sans conteste une piste majeure pour accroitre la soutenabilité de l’effort de défense, mais ne représente probablement pas la meilleure approche pour permettre une hausse rapide et sensible des crédits à court terme.
4- Utilisation de solutions de Leasing
Le leasing des équipements militaires est un sujet complexe, par ailleurs très encadré par les instances européennes précisément pour qu’il ne soit pas employé pour masquer des crédits qui viendraient alourdir le décompte du déficit public et de la dette souveraine. En outre, le cadre législatif encadrant le financement des équipements de défense, à l’échelle européenne, est très contraignant, et ne permet pas de mettre en oeuvre des solutions simples avec refinancement auprès de la BCE, comme c’est le cas pour les autres activités de crédits ou de Leasing. Enfin, la réalité opérationnelle avec de réels risques d’attrition mais également des besoins de modernisation à mi-vie des équipements, oblige à recourir à des contrats de leasing spécifiques, très différents de ceux employés par exemple dans l’aviation civile. Toutefois, une fois toutes ces contraintes levées ou contournées, les bénéfices du Leasing des équipements de défense sont considérables, permettant aux armées de lancer de vaste programmes d’équipements sans alourdir la dette, avec une croissance des couts linéaire et parfaitement maitrisable.

De fait, le leasing représente, par sa nature, la parfaite mesure complémentaire de de l’optimisation de l’efficacité budgétaire de l’investissement de défense présentée précédemment, puisqu’il permet d’accroitre rapidement et de manière maitrisée les volumes d’investissement, tout en laissant à l’efficacité budgétaire le temps d’atteindre son plein potentiel, pour en neutraliser le surcout. Toutefois, comme dit précédemment, sa mise en oeuvre est loin d’être évidente. Surtout, elle suppose d’importants changement de paradigmes tant de la part des militaires que des industriels et des politiques, pour adapter le modèle d’équipement des armées à son mécanisme. Malheureusement, ces 3 acteurs majeurs se caractérisent par une très importante inertie et une grande résistance au changement, non sans raison d’ailleurs, les précédentes tentatives dans ce domaine ayant fait choux blanc, comme dans le cas des sociétés de projets sous François Hollande. Quoiqu’il en soit, en s’appuyant sur les enseignements de ces projets précédents, ainsi que sur la complémentarité avec le principe d’optimisation budgétaire de l’investissement de défense, il est désormais possible de concevoir un projet applicable et très efficace pour répondre à la problématique actuelle des armées françaises.
Conclusion
On le voit, s’il est relativement aisé de pointer les déficiences de la prochaine Loi de Programmation Militaire, il est beaucoup plus difficile de developper des solutions qui permettraient de financer les programmes et besoins manquants. De toute évidence, aucune des solutions envisageables n’est simple à mettre à oeuvre, l’une d’elle, la réorientation de crédits, étant même inadaptée à un tel exercice. Cependant, des pistes existent bel et bien pour permettre aux armées d’accroitre leur potentiel de financement, pour peu que l’on accepte de produire les efforts nécessaires pour sortir de la zone de confort traditionnelle de cet exercice hérité de l’époque du général de Gaulle, alors que la France avait une croissance au delà de 5%, et qu’il aimait à répondre sur les questions budgétaires « Monsieur le Ministre des Finances pourvoira à ces besoins ». Il est illusoire d’espérer répondre aux problèmes d’aujourd’hui avec les solutions de 1965, comme il est probable qu’en l’absence d’une solution innovante en matière de financement de défense, la France devra renoncer à de nombreux aspects de sa défense globale.



















