Lors du psychodrame au sujet des chars ukrainiens, plusieurs articles de presse pensaient voir, dans la position des Etats-Unis qui refusaient de transférer ses chars M1A2 Abrams vers Kyiv, une manoeuvre de Washington pour vendre aux européens le char lourd américain comme solution de remplacement des Leopard 2 instamment demandés par Kyiv avec le soutien très appuyé de Varsovie. Aujourd’hui, il apparait que cette manœuvre visait surtout à ramener les autorités ukrainiennes à de plus justes positions afin de privilégier une posture défensive vis-à-vis d’une très probable offensive massive russe à venir, mais également pour ouvrir un canal de communication avec Moscou pour une sortie de crise. Si Moscou a finalement rejeté l’option américaine, et que la maison Banche a annoncé l’envoi de M1A2 Abrams d’ici quelques mois en Ukraine, il apparait également que si tel fut la stratégie de Washington (ce qui est très improbable), elle n’est guère couronnée de succès.
La république Tchèque a envoyé ses T-72M1 en Ukraine des le mois d’Avril 2022, contre la promesse de Berlin de livrer 15 Leopard 2A4 en solution de remplacement et de transition
La décision tchèque de se tourner vers le char allemand est interessante à plus d’un titre. En premier lieu, elle montre que la perception largement répandue d’une perte d’influence durable et sensible de Berlin en Europe, en particulier sur les questions de défense, est loin d’être évidente. De toute évidence, ni la Norvège, un pays scandinave, ni la République Tchèque, un pays d’Europe de l’Est, ne porte rigueur à l’industrie de défense allemande pour les atermoiements de Berlin au sujet de la livraison de chars à l’Ukraine, d’autant que, comme nous l’avons à plusieurs reprises expliqué, la position allemande dans ce dossier était strictement identique à celle qui fut appliquée par l’ensemble des grands pays européens dans ce domaine depuis le début du conflit. En outre, la déferlante contre Olaf Scholz et l’Allemagne ayant suivi la posture d’attente allemande vis-à-vis d’une décision de Washington, ignorait le soutien très important qu’apporta l’Allemagne aux pays européens ayant livrés des équipements à Kyiv pour remplacer ces matériels par des matériels d’occasion offerts par Berlin. Force est de constater que pour lex autorités tchèques, ces aspects ont été pris en considération.
Le choix de Prague en faveur du Leopard 2A7+ montre également que les solutions alternatives, qu’il s’agisse du Abrams M1A2 américain ou du K2 sud-coréen, sont loin d’avoir un avantage concurrentiel significatif sur le pourtant réputé onéreux et complexe char allemand. Il est vrai que le Leopard 2A7+, déjà commandé par l’Allemagne, la Hongrie et la Norvège, a de sérieux arguments à faire valoir, que ce soit en terme de puissance de feu avec le nouveau canon Rheinmetall 120 mm L/55 de 55 calibre et une mitrailleuse de 7,62mm en tourelle téléopéré FLW 200, un blindage composite modulaire renforcé et une vétronique et un système de combat très avancé. En outre, il peut désormais accueillir le système hard-kill Trophy israélien,ou ADS allemand, pour en renoncer la survivabilité. Surtout, à l’instar de ses prédécesseurs, le Leopard 2A7+ pourra s’appuyer sur une offre de maintenance et d’évolution très efficace autour du programme Leoben, permettant aux utilisateurs de collaborer avec les industriels dans ce domaine.
Présenté pour la première fois en 2010 lors du salon Eurosatory, le Leopard 2A7+ offre de très nombreuses améliorations vis-à-vis des modèles précédents, tant en terme de puissance de feu que de protection et d’engagement coopératif.
Reste que la ligne de production et d’assemblage de KMW employée aujourd’hui pour produire les nouveaux Leopard 2 commandés par la Hongrie et la Norvège, est la même que celle employée pour moderniser et régénérer les Leopard 2A4, A6 et A7 déjà en service. En outre, elle n’est plus dimensionnée pour produire un grand nombre de blindés par échelle de temps. En d’autres termes, avec les 2 commandés norvégiennes et hongroises déjà actée, et la commande tchèque à venir, il est probable que la ligne KMW sera sous tension pour les 5 années à venir. Cela posera très probablement de sérieux problème à relativement court terme, puisque beaucoup de forces armées européennes et au delà, envisagent désormais de remplacer ou d’étendre leur flotte de chars lourds. Si l’Allemagne, et l’Europe plus généralement, veut empêcher que le parc de chars lourds du vieux continent se tourne vers le K2 ou le M1A2, il va rapidement devenir urgent de répondre aux besoins de production dans ce domaine, que ce soit en augmentant la capacité de production de Leopard 2A7+, ou, de manière plus efficace à moyen terme, en déployant une capacité de production conjointe franco-allemande autour e l’EMBT de KNDS.
Depuis quelques années, la course est lancée entre les grandes puissances aéronautiques pour developper un chasseur de nouvelle génération. Qu’il s’agisse du NGAD de l’US Air Force, du NGAD F/A-XX de l’US Navy, du SCAF franco-hispano-allemand, du FCAS italo-britannico-nippon, ou du programme encore secret chinois, ces appareils de 6ᵉ génération apporteront de nouvelles capacités créant une rupture franche avec les générations précédentes, bien davantage que celles censées définir la douteuse 5ᵉ génération.
Par leurs capacités d’engagement coopératif, de contrôle des drones, et par des performances sans commune mesure avec les appareils actuels, ces chasseurs permettront aux forces aériennes de conserver lors des décennies à venir des capacités d’action et de manœuvre suffisantes à l’exercice de la puissance aérienne, y compris dans les environnements non permissifs saturés de systèmes anti-aériens, eux aussi de nouvelle génération.
Toutefois, comme l’a démontré la guerre en Ukraine, la puissance aérienne ne peut pleinement s’exercer que si les avions de combat, aussi performants soient-ils, peuvent s’appuyer sur une flotte d’appareils de soutien offrant de nombreux services critiques, comme l’alerte aérienne avancée ( les fameux Awacs), le renseignement électronique ou encore les indispensables avions ravitailleurs.
Il est d’ailleurs probable que les difficultés rencontrées par les forces aériennes russes en Ukraine, en dépit d’une flotte de chasse largement supérieure en quantité comme en qualité à celle de leur adversaire, est en partie dû au faible nombre d’appareils de soutien mis en œuvre, la Russie ne disposant que d’une dizaine d’awacs Beriev A-50 opérationnels, et une quinzaine d’avions ravitailleurs Il-78, alors que peu de chasseurs et encore moins de pilotes sont effectivement qualifiés pour la délicate procédure de ravitaillement en vol.
Le Boeing KC-46 Pegasus a rencontré de nombreux problèmes de mise au point, entrainant d’importants délais et surcouts supplémentaires pour l’US Air Force et pour Boeing.
Des réponses ont été apportées, comme l’intégration à ces appareils de suite de guerre électronique et de lance leurres, et d’autres sont en cours de développement, comme le programme SHIELD qui prévoit de doter ces appareils lourds, imposants et donc peu manœuvrants, d’un système hard-kill laser pour détruire les missiles qui viendraient les engager.
Toutefois, si ces systèmes permettent et permettront d’accroitre la survivabilité des appareils, ils ne leur permettent pas, toutefois, de mener des actions discrètes, ni de s’approcher de la ligne d’engagement, deux handicaps majeurs pour la conduite des opérations militaires à l’avenir. Pour cela, et pour profiter pleinement des capacités offertes par les chasseurs de 6ème génération, une nouvelle génération d’appareils de soutien doit donc être conçue. C’est en tout cas ce à quoi veut se préparer l’US Air Force.
Celle-ci a, en effet, entrepris de moderniser sa flotte d’avions ravitailleurs, d’abord avec le programme KC-X qui vit le succès du Boeing KC-46 Pegasus en 2011, et qui porte sur 136 appareils pour remplacer les KC-135 Stratotanker les plus anciens, puis le programme KC-Y, qui comme le précédant, oppose aujourd’hui le Boeing KC-46 et l’A330 MRTT d’Airbus associé pour l’occasion à Lockheed Martin, pour 140 à 160 nouveaux appareils à livrer lors de la prochaine décennie.
La troisième tranche de modernisation, le programme KC-Z, différera cependant beaucoup des deux précédentes. En effet, les caractéristiques recherchées par l’US Air Force dans le cadre de ce programme, et l’appareil qui sera sélectionné dans le cadre du programme next-Generation air refueling system, NGAS, n’ont rien de commun avec celles des Pegasus et MRTT.
L’US Navy a fait le choix du drone ravaleur MQ-25 Stingray pour étendre l’endurance de ses avions de combat, y compris en environnement contesté
Selon l’appel à proposition publiée le 31 janvier, et qui attend des offres pour le 2 mars, le nouvel système devra s’appuyer sur des caractéristiques permettant précisément de répondre aux besoins et menaces liées à l’évolution de la guerre aérienne au-delà de 2040, date prévue d’entrée en service des premiers appareils de ce programme.
Ils devront notamment disposer d’importantes capacités d’engagement coopératif et de mise en œuvre de drones, sans exclure d’ailleurs que l’appareil principal soit lui-même un drone comme dans le cas du MQ-25 Stingray de l’US Navy. Il devra également disposer de capacités de défense multidomaines, que ce soit contre des menaces cinétiques (missiles, armes à énergie dirigée…) ou non cinétiques (guerre électronique, cyber). Enfin, il devra être en mesure d’être mis en œuvre à partir de terrains sommaires, ou du moins au-delà des longues pistes aujourd’hui employées par les tankers traditionnels.
Le cahier des charges de l’US Air Force est suffisamment ouvert pour permettre aux industriels de proposer des solutions variées, qu’elle soit, par exemple, basée sur un appareil mère alimentant des drones tactiques de ravitaillement ayant pour mission d’accompagner les NGAD, ou pour une solution « tout drone » basée sur le principe des drones gigognes.
En revanche, il ne fait aucun doute que le système de ravitaillement en vol, issu du programme KF-Z, n’aura plus guère à voir avec ceux des générations précédentes. Comme il est très probable qu’au-delà du programme NGAS, l’ensemble des appareils de soutien de l’US Air Force soit, lui aussi, appelé à évoluer sur les mêmes bases.
Ceci explique d’ailleurs probablement pourquoi l’état-major américain ne fait preuve d’aucun empressement particulier pour moderniser sa flotte d’Awacs et d’appareils de renseignement électronique, au-delà des pressions exercées par le Congrès, tant il aurait du sens que l’ensemble de la flotte d’avions de soutien puisse s’appuyer sur les mêmes paradigmes et capacités opérationnelles avancées que ceux qui seront développés dans le cadre du programme NGAS.
Alors que les Etats-majors, le ministère des Armées et l’Elysée peaufinent les derniers détails de la future Loi de Programmation Militaire qui couvrira la période 2024-2030, de nombreux échos plus ou moins officiels laissent supposer qu’en dépit d’un budget en très forte hausse, permettant d’atteindre un effort de défense à prés de 2,3% du PIB en 2030, de nombreux programmes de recherche et développement d’équipements de défense, ainsi que d’équipements des armées, devront être étalés voire purement et simplement ignorés, du fait des contraintes budgétaires. En effet, sous l’action conjointe d’un sous-investissement dramatique en matière de défense durant les 20 années ayant précédé la précédente LPM 2017-2025, et de la dégradation très rapide (du point de vue public et politique en tout cas) de la situation sécuritaire ces dernières années et derniers mois, les budgets seront concentrés pour répondre aux besoins les plus immédiats, et les programmes les plus critiques.
Du fait de l’organisation de sa base industrielle et technologique Défense, ou BITD, la France dépend considérablement de ses exportations de défense afin de conserver sa propre autonomie stratégique, la commande nationale, même en forte hausse, ne suffisant par à atteindre le seuil d’activité nécessaire pour maintenir et developper l’ensemble des savoir-faire technologiques et industriels nécessaires dans ce domaine. En concentrant ses efforts budgétaires vers ces programmes critiques, dont de nombreux n’ont qu’un très faible potentiel à l’exportation comme le porte-avions de nouvelle génération, les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3ème génération, ou encore le missile nucléaire aéroporté, et d’autres sur des domaines très concurrentiels, comme dans le domaine des drones, du cyber, ainsi que des blindés légers et des frégates, cette LPM peut conduire à un renforcement des armées mais également à un affaiblissement, à terme, de la BITD, du fait du manque de produits et d’équipements à forte attractivité en catalogue, comme c’est aujourd’hui le cas, par exemple, du CAESAR ou du Rafale.
Confirmé par le président E. Macron lors des voeux aux armées, le futur porte-avions de nouvelle génération n’a qu’unun très faible potentiel à l’exportation
On peut penser que la solution à un tel problème critique relève exclusivement de l’Etat, et qu’il lui revient de libérer davantage de crédits pour y répondre. Toutefois, ce serait ignorer la situation des finances publiques aujourd’hui, largement éprouvées par la crise Covid, et l’effort bien réel que celui-ci s’apprête à faire dans le cadre de la LPM. Tout comme on peut penser qu’il revient aux entreprises de défense d’assumer les coûts de la R&D pour les équipements à fort potentiel à l’exportation. Ce serait là aussi ignorer que l’exportation d’équipements de défense est très souvent lié à leur utilisation dans les armées nationales, et qu’elle revêt un très important volet politique, alors que les récentes initiatives de la BITD dans ce domaine ont rarement donné lieu à un soutien appuyé de l’Etat pour l’exportation pour ces équipements. Faut-il alors se résigner à voir l’autonomie stratégique et la puissance industrielle défense française se déliter dans les années à venir ? Pas nécessairement …
Pour répondre à ce problème, il convient avant tout de le poser précisément. Il s’agirait donc de developper des équipements de nouvelle génération, non financés dans le cadre de la Loi de programmation militaire, ayant un intérêt pour les armées françaises afin d’en mettre en valeur l’efficacité opérationnelle, et disposant d’un fort potentiel à l’exportation, soit par leur caractère innovant, soit par leur caractère exclusif (y compris en matière de prix ou de performances). On peut ainsi penser, sur la base des programmes déjà engagés, au sous-marin SMX3x de Naval Group destiné à prendre le relais des Scorpène, au char de combat E-MBT de KNDS, ou encore au drone de combat dérivé du Neuron et au grand drone sous-marin présenté par Naval Group. En outre, si le financement public est inaccessible en substance, et que les entreprises de défense n’ont pas capacité à l’autofinancement pour ces projets, il convient de concevoir un modèle mixte répondant aux contraintes de chacun.
Le concept SMX-31 de Naval Group est destiné à remplacer les sous-marins Scorpene à l’exportation aux cotés des sous-marins océaniques conventionnels Shortfin Barracuda, et éventuellement des SNA de la classe Suffren.
Il n’est pas question ici de proposer une approche de collecte de fonds, peu déterminante dans ce modèle, d’autant que de nouvelles solutions à la fois très innovantes et performantes, dédiées au financement de la R&D défense européenne et conçues pour s’adapter aux très nombreuses contraintes européennes et internationales dans ce domaine, seront prochainement présentées. On notera toutefois qu’en l’absence de capacités publiques de libération de crédits supplémentaires, ces fonds dédiés au financement de ces programmes, devront être d’origine privée, tout en garantissant le respect du caractère national et confidentiel de ces innovations technologiques. Nous prendrons donc comme hypothèse qu’il est possible de collecter les fonds suffisants pour soutenir une telle activité, si tant est que l’on puisse garantir la sécurité des fonds investis et ainsi qu’une efficacité financière suffisante pour être attrayante pour le public.
Au delà de l’investissement lui même, il s’agit de concevoir un modèle permettant de générer le retour budgétaire indispensable à l’investissement privé, comme c’est le cas aujourd’hui avec les HLM construits grâce aux fonds du Livret A, sachant qu’un unique acteur est dans l’impossibilité, seul, de prendre en charge ces coûts. La réponse, comme souvent, se trouve dans la formulation de la question. Ainsi, on peut aisément imaginer un modèle mixte associant d’une part un abonnement des industriels de défense eux-mêmes sur l’investissement de R&D, sachant qu’ils seront les principaux bénéficiaires des commandes qui résultent de ces investissements; mais également de l’Etat, qui pourrait y consacrer 25% à 30% du montant total en prenant en considération les recettes fiscales et une partie des recettes sociales qui seraient directement générées par l’investissement consenti et qui n’existerait pas en dehors de cette initiative, comme la TVA; les collectivités locales qui pourraient abonder à hauteur de 10 à 15% du fait des conséquences très positives de ces investissements sur l’économie locale et l’attractivité des territoires; et enfin les armées, qui loueraient les équipements produits à un tarif considérablement plus avantageux que si elles avaient du en faire l’acquisition.
L’acquisition de nouveaux chars lourds par l’Armée de terre n’est pas prévue avant 2040 et l’arrivée du MGCS. Toutefois l’EMBT de KNDS disposerait d’un important potentiel export s’il venait à être développé et proposé sur la scène internationale, d’autant plus s’il peut s’appuyer sur une commande nationale.
Au total, ce découpage doit permettre de refinancer l’intégralité des crédits investis par le ou les fonds chargés de la collecte initiale, et ainsi sécuriser l’investissement. La marge, quant à elle, sera prélevée sur le succès à l’exportation de ces nouveaux équipements, de sorte à créer un investissement sécurisé mais à efficacité variable, qui d’ailleurs peut être à ce point différencié que les épargnants et investisseurs institutionnels sollicités par ces fonds, pourraient savoir précisément à quelles fins et sur quels territoires les fonds seront investis, de sorte à en accroitre l’attractivité en particulier au niveau local. Quant aux armées, elles pourront disposer de nouveaux équipements à des couts annuels largement compatibles avec la marge de manoeuvre budgétaire prévue par la LPM à venir, même s’il s’agit de mettre en oeuvre un nombre significatif d’équipements. Dans tous les cas, si les armées venaient à souhaiter acquérir de manière plus conventionnelle ces équipements, elles pourraient le faire sans devoir assumer les couts de R&D, ce qui représente un intérêt loin d’être négligeable dans ce domaine.
Ce modèle présente de nombreux attraits, en premier lieu desquels le fait qu’il met à contribution et sur un pied d’égalité l’ensemble des acteurs pour lesquels ces investissements ont un intérêt industriel, financier, budgétaire et opérationnel direct, bien au delà des couts qu’ils auraient du assumer en prenant à leur charge ces développements. En d’autres termes, les coûts sont partagés en deçà des seuils de retours budgétaires garantis, de sorte que la prise de risque est minimale, y compris pour les épargnants sollicités. Et si l’équipement venait à rencontrer un important succès à l’exportation, comme on peut le supposer sans grand risque pour les équipements cités en exemple, les bénéfices seront largement au rendez-vous pour l’ensemble des acteurs. Enfin, ce modèle pourrait, à ce titre, aisément être mis en oeuvre et organisé par la Direction Générale de l’Armement, ou DGA, la plus à même de piloter et d’organiser la coopération entre ces différents acteurs, au bénéfice des armées, de la pérennité de la BITD et donc de l’autonomie stratégique du pays.
Depuis l’annonce conjointe faite par Stockholm et Helsinki au sujet d’une candidature des deux pays à l’OTAN dans une procédure se voulant urgente du fait de la guerre en Ukraine, Ankara et son président R.T Erdogan a de manière répétée, fait valoir son droit de véto au prétexte que les deux pays, et la Suède en particulier, accueillerait des « terroristes » du parti des travailleurs kurdes et de la mouvance Guleniste responsable, selon les autorités turques, de la tentative de coup d’état de 2016. Malgré les tentatives de négociations entre les 3 capitales, il est rapidement devenu évident que les exigences formulées par Ankara étaient inacceptable pour les deux pays scandinaves très attachés aux respects des droits de l’homme et à l’état de droit. De fait, aujourd’hui, tout indique que la Turquie n’autorisera pas l’adhésion de la Suède, et peut être également de la Finlande, à l’Alliance Atlantique, ce qui bloquerait l’ensemble du processus qui requiert l’unanimité des voix pour une extension de l’OTAN.
Dans le même temps, Ankara a envoyé au Etats-Unis, une demande d’exportation d’équipement de défense très importante, de l’ordre de 20 Md$, portant notamment sur l’acquisition de 40 F-16 Block 70 Viper et de 80 kit pour faire évoluer 80 de ses appareils vers ce standard. Il s’agit, pour Ankara, de moderniser ses forces aériennes, face à la Russie peut-être; à la Grèce et l’acquisition de 24 Rafale, la modernisation de 80 F-16 vers le standard Block 70 et bientôt de F-35, surement. Jusqu’à présent, bien qu’appartenant à l’OTAN, Ankara était dans l’impossibilité de commander des équipements militaires aux Etats-Unis suite aux sanctions promulguées par le Sénat suite à l’entrée en service du système S-400 acquis auprès de la Russie. Sans que ce ne soit jamais officiellement abordé, il existe bel et bien un lien entre cette demande turque pour moderniser ses forces, et la possible adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN.
La demande turque pour acquérir de nouveaux F-16 est intervenue après que la Grèce ait commencé à percevoir ses premiers Rafale F3R
C’est précisément de ce lien qu’un courrier signé du sénat américain, tant démocrates que républicain et envoyé à la Maison Blanche, vient de créer. Pour la sénatrice démocrate du New Hampshire Jeanne Shaheen, et son homologue républicain de Caroline du Nord Thom Tillis, le Congrès ne considérera la demande turque concernant la vente de chasseur F-16, qu’une foi le protocole d’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’OTAN effectivement signé par Ankara. Paradoxalement, certains sénateurs n’ont pas signé cette lettre, non pas parce qu’ils sont en faveur de la vente de F-16 à la Turquie, mais parce qu’ils appellent à un durcissement des sanctions envers Ankara, comme c’est le cas du sénateur du New Jersey Bob Menendez, qui avait souvent pris des positions très dures vis-à-vis de la Turquie par le passé, et le sénateur démocrate du Maryland Chris Van Hollen, qui lui appelle à des sanctions du fait de l’opposition d’Ankara à l’adhésion des deux pays scandinaves à l’alliance. Quoiqu’il en soit, ce courrier montre qu’au sein du sénat US, il existe une majorité claire contre l’autorisation d’exportation de nouveaux F-16 vers la Turquie, tout du moins tant que le pays s’opposera à l’adhésion à l’OTAN de ces deux pays. Notons que cela n’indique en rien qu’une fois cette adhésion acquise, le sénat autorisera l’exécution du contrat turc.
Comme à son habitude, le ministre de la défense turc, Hulusi Akar, a répondu à une possible opposition du sénat américaine à l’acquisition de nouveaux F-16, en avançant que la Turquie avait la possibilité d’acquérir d’autres chasseurs, comme le Typhoon britannique, le Rafale français et le Su-35 russe. Bien évidement, citer le Rafale n’a aucun sens, Paris n’ayant pas même accordé à Ankara la possibilité de co-developper un système sol-air conjoint basé sur le SAMP/T Mamba malgré l’insistance italienne. Le Typhoon serait également très peu probable, tant il est certain que les Etats-Unis feraient, le cas échéan, pression sur Londres, Rome et Berlin pour bloquer le sujet, voire emploieraient les législations extra-territoriales comme ITAR pour y parvenir. Reste évidemment le Su-35, appareil fréquemment avancé comme une alternative aux sanctions occidentales par Ankara, sans que jamais un tel accord n’ait été effectivement négocié entre Ankara et Moscou.
Le Su-35 russe a régulièrement été présenté par Ankara comme une alternative au refus des Etats-Unis de livrer de nouveaux F-16
Le fait est, il convient de s’interroger sur la nature même des relations entre l’OTAN, les Etats-Unis et la Turquie, non seulement au regard de cet épisode qui montre sans conteste que la Turquie poursuit son propre agenda, y compris en terme de défense, rompant avec l’idée fondatrice de l’alliance Atlantique, mais également du fait de ses actions passées, en Syrie, en Mer Egée, dans le Caucase et en Libye, souvent au détriment voire en menaçant directement les actions de ses alliés. Il ne fait aucune doute que les élections générales de Mai 2023, qui permettront de renouveler le Parlement mais également la présidence turque, seront observés avec attention mais également avec appréhension de la part de Washington et de beaucoup de ses alliés européens. De leurs résultats pourraient en effet dépendre l’avenir de l’Alliance ainsi que de l’ensemble des rapports de force en Méditerranée Orientale, dans le Caucase, en Mer Noire et au Moyen-Orient. En annonçant que le sénat bloquera la demande turque jusqu’à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Otan, prévue en juillet, il se met également en position d’attente vis-à-vis de ces élections, et de leurs résultats.
La Chine a confirmé l’installation du missile YJ-21, un missile antinavire hypersonique naval dérivé du DF-21D, à bord des destroyers lourds Type 055 de la Marine chinoise.
En matière de missiles hypersoniques, les médias traditionnels semblent ne considérer que les avancées enregistrées par la Russie, qu’il s’agisse du planeur hypersonique Avangard, du missile aéroporté Kinzhal, ou encore du missile antinavire 3M22 Tzirkon qui a défrayé la chronique il y a quelques semaines lorsque la frégate Admiral Gorshkov a entrepris un déploiement dans l’Océan Indien en passant non loin des côtes européennes.
Il en va de même du missile anti-navire hypersonique YJ-21 et de sa version aéro-larguée CJ-21, testés il y a presque une année à bord d’un destroyer lourd Type 55 ainsi que sous les ailes d’un bombardier lourd H-6N.
L’existence de ces deux missiles, dérivés du missile balistique DF-21D et coiffés d’un planeur hypersonique anti-navire, n’est pas nouvelle. Ils furent en effet observés en avril 2022, et leurs performances supposées, ainsi que les implications tactiques et stratégiques de leur entrée en service sur le théâtre indo-pacifique, avaient alors été analysées dans un article intitulé « Les nouveaux missiles anti-navires hypersoniques chinois YJ-21 et CJ-21 changent la donne dans le Pacifique« .
Cliché du mois d’avril 2022 montrant un bombardier H-6N transportant ce qui est supposé être le missile hypersonique antinavire CJ-21
Jusqu’à présent, la défense anti-aérienne et antibalistique des grands destroyers américains et alliés équipés du système AEGIS, reposait sur le missile SM-2 pour intercepter les avions de combat ainsi que les missiles de croisière, qu’ils soient anti-navires ou non, et éventuellement les missiles balistiques en phase terminale, ainsi que sur le missile exoatmosphérique SM-3 conçu pour intercepter des cibles balistiques en vol de transit grâce à un impacteur cinétique capable d’atteindre des cibles jusqu’au-delà de 150 km d’altitude.
Toutefois, ces deux missiles laissaient une zone de vulnérabilité, située entre les 25 km d’altitude maximale du SM-2, et les 60 km d’altitude minimale pour engager l’impacteur cinétique du SM-3. En outre, la manœuvrabilité et la vitesse des planeurs hypersoniques, comme ceux équipant les missiles YJ/CJ-21 ou 3M22 Tzirkon, rendent leur interception très difficile avec le SM-2, même dans sa version la plus évoluée.
Le SM-6, en revanche, a été précisément conçu pour répondre à un grand nombre de scénarios d’utilisation, en associant le booster du SM-3 pour le propulser au besoin à grande distance et/ou très haute altitude et une coiffe composée de l’autodirecteur radar du missile air-air AIM-120C et d’importantes capacités de manœuvre aérodynamique héritées du SM-2.
Il peut ainsi être employé contre des cibles aériennes très rapides et manœuvrantes jusqu’à une distance de 240 km et surtout une altitude de 35 km, bien au-delà des 25 km du RIM-66 SM-2.
Dans l’attente de l’entrée en service de munitions spécialement conçues pour répondre à la menace que représentent les missiles hypersoniques à trajectoire semi-balistique comme le DF-21D ou le Kinzhal, ou équipés de planeur hypersonique comme le YJ-21 et le Tzirkon, le SM-6 est donc la solution de prédilection de l’US Navy et de ses alliés, raison pour laquelle, en dépit de son prix de presque 4,5 m$ par missile, il a été commandé par les 4 grandes marines Pacifique du bloc occidental.
Reste que l’annonce faite sur le compte Weibo de la Strategic Support Force de l’Armée Populaire de Libération, concernant l’entrée en service du YJ-21 à bord des destroyers Type 055, marque une nouvelle étape dans le bras de fer que se livre Pékin et Washington dans le Pacifique, et notamment au sujet de Taïwan.
Il ne fait aucun doute que l’entrée au service du YJ-21 à bord des destroyers chinois, et du CJ-21 sous les ailes des bombardiers H-6N, confère aujourd’hui aux forces chinoises une plus-value opérationnelle des plus significatives pour tenir à distance d’éventuelles forces navales américaines envoyées pour protéger Taïwan d’une attaque chinoise.
En revanche, il ne fait guère de doute, non plus, que cet avantage ne sera que transitoire, avec l’arrivée massive du SM-6 puis de son remplaçant spécialisé à bord des destroyers US et alliés, des drones ravitailleurs MQ-25 à bord des porte-avions de l’US Navy pour étendre le périmètre défensif de ces derniers, ainsi que des missiles hypersoniques américains en cours de développement.
À l’instar de ses voisins, le budget militaire indien va connaitre une forte hausse, 13% selon les autorités du pays, sur l’année fiscale 2023-2024, pour répondre à l’évolution des menaces et des tensions avec la Chine et le Pakistan.
Si l’agression russe contre l’Ukraine a provoqué l’annonce de nombreuses augmentations des budgets défense des pays européens, d’autres théâtres dans le monde font, eux aussi, l’objet d’intenses tensions, amenant les gouvernants à accroitre sensiblement leurs efforts de défense respectifs.
C’est également le cas de l’Inde, qui doit simultanément garder sous contrôle la puissance militaire chinoise alors que New Delhi et Pékin se font face sur les plateaux himalayens, et dissuader Islamabad d’entamer un nouveau conflit indo-pakistanais alors que les armées pakistanaises se modernisent à marche forcée depuis une dizaine d’années, et qu’Islamabad et Pékin ont construit, ces 20 dernières années, des liens économiques, politiques et militaires solides, faisant peser une menace redoublée sur l’Inde.
Cette hausse permettra de consacrer 1,62 lakh crore (19 Md$) au financement de l’acquisition de nouveaux équipements et infrastructures, soit une hausse de 57% par rapport au budget 2019-2020, et 2,70 lakh crore pour les couts de fonctionnement hors salaires et R&D incluant le maintient en condition opérationnelle des matériels ainsi que l’acquisition de pièces de rechange.
Le budget de la DRDO, l’agence d’innovation de défense indienne, sera quant à lui augmenté de 9%, alors que le soutien aux industries de défense croitra quant à lui de 93%. Ces mesures permettront, selon Rajnath Singh, d’atteindre dans les années à venir, les 5 Md$ d’économies industrielles promises par le gouvernement dans le cadre du programme Make in India.
Le Rafale M est considéré comme le probable vainqueur de la compétition qui l’opposait au Super Hornet américain pour équiper le nouveau porte-avions indien
Il est vrai que les armées indiennes vont faire face, dans les années à venir, à des défis considérables, nécessitant une augmentation sensible des moyens mis à leur disposition.
Ainsi, pour la seule année à venir, la Marine Indienne devra faire l’acquisition des 26 chasseurs embarqués destinés à armer le nouveau porte-avions INS Vikrant entré en service en septembre de l’année dernière, et probablement arbitrer quant à la poursuite du programme de sous-marins P75 de la classe Kalvari ou celle du programme P75i, alors que plusieurs navires majeurs, comme les destroyers P15B classe Visakhapatnam ou les frégates P17A classe Nilgiri restent à construire, et que le développement de la nouvelle classe de destroyer Project 18 a été lancée.
Pour les forces aériennes, il sera indispensable de mener l’arbitrage complexe concernant le remplacement des Jaguar et Mirage 2000 qui doivent quitter le service à la fin de la décennie, mais également au sujet du renforcement et la modernisation de la flotte d’avion ravitailleur et de veille aérienne avancée.
Quant à l’armée de terre, elle doit financer, entre autres choses, la modernisation de ses forces blindées, notamment les chars T-90S Bishma commandés à Moscou en 2019 et les chars Arjun de facture nationale, ainsi que la commande prévue de 200 canons automoteurs K9 Vajra-T supplémentaires.
Il faut dire que New Delhi a de sérieuses menaces à ses frontières, en premier lieu desquelles son adversaire ancestral, le Pakistan. En dépit d’importantes difficultés socio-économiques, celui-ci est engagé dans un effort de modernisation de ses armées des plus significatif, s’appuyant sur le soutien accru de la Turquie, mais surtout de la Chine qui a fait d’Islamabad l’un de ses principaux alliés militaires et politiques dans la région.
Ainsi, après avoir largement soutenu le développement du chasseur léger JF-17 qui aujourd’hui remplace les chasseurs chinois les plus anciens des forces aériennes pakistanaises comme les J-7 et les J-9, Pékin a autorisé l’acquisition de 25 chasseurs J-10CE par son allié, pour remplacer en partie ses Mirage III et V arrivant en limite de potentiel.
Le J-10C chinois est un appareil de combat parfaitement moderne et performant, capable de tenir tête à la majorité des avions de combat indiens comme le Su-30MKI ou le Mirage 2000i
Il est vrai qu’au-delà des frictions territoriales avec l’Inde dans le Ladakh, Pékin dimensionne et prépare l’Armée Populaire de Libération avant tout pour tenir tête aux armées américaines et celles de leurs alliés occidentaux. Avec un PIB près de six fois plus important que son voisin, la Chine est donc non seulement en mesure de creuser l’écart capacitaire militaire avec l’Inde, mais également de soutenir, au besoin, le Pakistan et ses armées, de sorte à garder sous contrôle New Delhi en permanence.
Le char léger Type 15 a été conçu pour être déployé sur des théâtres difficiles inaccessibles aux chars lourds Type 096 ou Type 099/A
Dans ce contexte particulièrement tendu, qui plus est en tenant compte de l’affaiblissement notable de la Russie, allié traditionnel indéfectible de l’Inde sur la scène internationale, du fait des conséquences de la guerre en Ukraine, on comprend que New Delhi soit amenée à accroitre sensiblement son effort de défense, et à envisager des investissements importants pour moderniser ses forces.
On peut toutefois se demander si l’effort de défense indien est effectivement suffisamment dimensionné, du fait de la réalité de la menace bilatérale qui pèse sur le pays et même en prenant en considération le rôle modérateur que joue la dissuasion nucléaire pour ces 3 pays, alors que la Chine dépense, pour sa part, presque 3,5 fois plus dans ce domaine.
Par ailleurs, en dépit de l’intérêt évident à terme de la stratégie Make in India, on doit également s’interroger sur le risque que représentent les ambitions de New Delhi et du Président Modi dans ce domaine, alors que, de toute évidence, l’Inde n’a plus la possibilité à faire face à de quelconques retards comme ceux qui ont touché par exemple le programme Tejas, ni à des problèmes d’efficacité et de performances face à une mécanique chinoise parfaitement huilée dans ce domaine ?
A l’instar de la majorité des pays européens, la Norvège s’engagea à marche forcée dans l’exploitation du mirage des bénéfices de la paix à la fin des années 90, alors que son effort de défense passait, en 15 années de temps jusqu’à son plus bas en 2014, de 2,8% de son PIB à seulement 1,4% de celui-ci. Fort heureusement pour les armées norvégiennes, ces économies intervinrent après qu’un important effort de modernisation fut fait dans les années 90, avec l’acquisition de 74 F-16 A/B pour remplacer ses F-5 vieillissant, de 5 frégates de la classe Fridtjof Nansen (dont une a été perdue en 2019) pour remplacer les frégates de la classe Oslo, ainsi que de 54 chars lourds Leopard 2A4 épaulés d’une centaine de véhicules de combat d’infanterie CV90 et de 52 CV90 en configuration mortier. De fait, Oslo disposait au milieu des années 2000, d’une force armée parfaitement capable, moderne et dimensionnée pour un pays de seulement 5 millions d’habitants.
L’annexion de l’Ukraine, en 2014, a marqué la fin de cette période idéalisée pour les autorités norvégiennes, qui entamèrent un important effort pour ramener le budget au dessus de 7,5 Md$ aujourd’hui, plus de 2% du PIB du pays. Et un nouvel effort de modernisation des armées fut immédiatement entrepris, avec l’augmentation du volume de F-35A commandés par la Luftforsvaret, passant de 38 à 52 appareils, ainsi que la commande de 4 nouveaux sous-marins Type 212CD en coopération avec l’Allemagne, et le remplacement des quelques 55 canons automoteurs M109 encore en service à cette date, par 28 systèmes K9 Thunder sud-coréens, épaulés de pas moins de 14 systèmes K10 de soutien et de ravitaillement à ces canons automoteurs. Alors qu’Oslo envisageait jusqu’en 2017 de moderniser 38 de ses 52 chars lourds Leopard 2A4 PL, décision fut prise de les remplacer par un nouveau char, l’appel à concurrence ayant, quant à lui, été publié en octobre 2020 pour 54 chars lourds modernes ainsi que 18 systèmes en option.
Les armées norvégiennes alignent 38 Leopard 2A4NO sur les 52 acquis auprès de l’Allemagne en 2001.
Deux offres industrielles furent retenues par Olso pour cette compétition, le Leopard 2A7 de l’allemand Krauss-Maffei Wegmann, et le K2 Thunder du sud coréen Hyundai Rotem, et une campagne d’essais fut entreprise à partir de janvier 2022 pour évaluer les performances et les capacités de chacun des candidats, y compris en condition hivernale dans le rude climat norvégien. De toute évidence, la compétition fut très serrée. De l’aveu même des autorités norvégiennes, les deux chars ont rempli toutes les exigences des armées norvégiennes, et ont montré d’excellentes qualités lors des campagnes d’essais. Au final, c’est toutefois le Leopard 2A7 allemand qui a été sélectionné, et qui entrera en service à partir de 2026 pour remplacer les Leopard 2A4NO encore en service.
Dans leur communiqué de presse, les autorités norvégiennes ont précisé que la décision finale fut prise en tenant compte d’autres facteurs que l’évaluation technique, cette dernière étant insuffisamment discriminante. Ainsi, des paramètres comme les conditions de coopération politique et industrielle, les relations bilatérales entre les états, et les engagements et garanties fournies en terme de logistique et de service après-vente ont donc été déterminantes dans ce victoire, ce qui suppose, d’ailleurs, qu’en terme de prix et de délais, les deux blindés ont également fait jeu égal dans cette compétition. Il est interessant de noter dans ce dossier qu’Oslo a donc privilégié ici la proximité et la fiabilité politique allemande, alors que le pays n’appartient pas à l’Union Européenne, alors que la Pologne, pourtant voisine directe, s’est tournée vers les Etats-Unis et la Corée du sud pour moderniser son parc de chars lourds et de systèmes d’artillerie. L’exemple norvégien démontre donc que, contrairement à ce que l’on pouvait croire, le K2 sud-coréen est loin de disposer d’un avantage tarifaire déterminant vis-à-vis du Leopard 2, pourtant réputé onéreux.
Le K2 Black Panther sud-coréen a fait jeu égal avec le Leopard 2A7 allemand en terme de performance et de capacités, mais il n’a pas su s’imposer sur les autres sujets, comme le prix, les délais, et les offres de service et de coopération qui entourent le programme.
Reste qu’avec ces 54 Leopard 2A7 à venir, et plus probablement 72 une fois l’option levée, la Norvège disposera d’une des forces armées en Europe disposant de la plus forte densité de chars lourds par soldat (8000 militaires dans l’armée de terre dont 45% de conscrit), comme c’est déjà le cas pour les forces aériennes avec 52 F-35 pour 3700 militaires, et dans la Marine avec 4 sous-marins, 4 frégates et même un grand navire logistique, pour à peine plus de 4000 marins. Même rapporté à la population, 5,5 millions d’habitants, la Norvège dispose d’une densité de matériels 3 fois plus importante qu’un pays comme la France, et 4 fois plus importante que des pays comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne, alors qu’avec 1 militaire pour 220 habitants, et 1 réserviste pour 137 habitants, Oslo surclasse très nettement la France avec 1 militaire pour 330 habitants et 1 réserviste pour 650 habitants, et ce seulement une fois que la prochaine LPM aura atteint ses objectifs. A l’instar de ses voisins scandinaves suédois et finlandais, la Norvège montre que l’on peut être simultanément très riche, avec un PIB par habitant nominal et en parité de pouvoir d’achat au 7ème rang mondial, et prendre sa défense très au sérieux, même lorsque l’on appartient à l’OTAN. Une chose est certaine, l’exemple norvégien a de quoi faire réfléchir certains pays européens quant aux arguments qu’ils avancent pour expliquer la faiblesse de leurs armées et de leurs investissements de défense.
Sans être exhaustive, la future Loi de Programmation française met l’accent sur l’engagement de haute intensité, en comblant certaines lacunes critiques des armées.
Bien que tous les arbitrages n’aient pas encore été rendus, le contenu de la future Loi de Programmation Militaire qui couvrira la période 2024-2030 commence à être en partie connue, que ce soit au travers de certaines déclarations officielles du ministre des Armées Sébastien Lecornu, des chefs d’État-Major et même du président Emmanuel Macron. Ainsi, le budget global semble viser une enveloppe de 413 Md€ sur la période, soit un budget moyen annuel de 58 Md€, presque 32% de plus que le budget des armées de 2023 (44 Md€), et 66% de plus que le budget de 2017 (35 Md€).
Une fois intégrée dans une progression linéaire sur la durée de la loi de programmation militaire, cette enveloppe viserait à atteindre un effort de défense de 69 Md€ en 2030, soit entre 2,25 et 2,3% du PIB du pays à cette date. De fait, même en tenant compte de l’inflation (intégrée au PIB), le budget des armées aura cru de 25% sur la prochaine LPM, et de plus de 50% depuis 2017.
En outre, le budget croitrait, dans cette hypothèse, d’un peu plus de 3,6 Md€ par an, ce qui est, peu ou prou, proche du plafond efficace au-delà duquel l’évolution industrielle comme des capacités de recrutement des armées ne pourraient suivre. Notons au passage qu’une telle hausse représente en moyenne plus de 50.000 nouveaux emplois directs, indirects et induits créés chaque année, entre les armées, l’industrie de défense, la supply chain et l’ensemble des activités économiques connexes.
Au-delà des aspects purement macro-économiques et budgétaires, d’autres informations ont également filtré. Ainsi, la Réserve sera considérablement renforcée, avec le recrutement de 40.000 nouveaux réservistes sur la loi de programmation militaire, pour atteindre un format de 80 à 100.000 réservistes en 2030, un réserviste pour 2 militaires d’active. L’augmentation des forces sera, en revanche, mesurée et très sectorisée pour accroitre les capacités des armées en matière de renseignement et de guerre cyber.
Ces forces permettront aux armées de renforcer leur résilience et leur endurance, y compris dans une hypothèse de combat, et en particulier dans le domaine de l’engagement de haute intensité, jusque-là parent pauvre de l’effort de défense français, celui-ci privilégiant ces 20 dernières années les forces de projection capables de mener des opérations extérieures, notamment en Afrique et au Moyen-Orient. Non pas que ces forces, comme les unités parachutistes, d’infanterie de marine ou de montagne, soient inutiles en cas de conflit de haute intensité, mais elles ne permettent pas, à elles seules, de répondre aux besoins d’un tel type de conflit.
Emmanuel Macron a confirmé que le programme de porte-avions de nouvelle génération sera poursuivi au cours de la prochaine Loi de Programmation Militaire 2024-2030
Les informations concernant les programmes d’armement à venir commencent, elles aussi, à filtrer. Ainsi, le président Emmanuel Macron a confirmé la poursuite du programme de porte-avions de nouvelle génération lors des vœux aux armées, alors que, selon nos sources, celui-ci était menacé jusqu’à quelques jours avant l’annonce présidentielle. La transformation Rafale de la chasse française sera accélérée, même si les Mirage 2000D en cours de modernisation serviront au-delà de celle-ci jusqu’en 2034.
En outre, des efforts particuliers seront faits pour renforcer et étendre les capacités de renseignement des armées, ce qui suppose notamment la densification du réseau de satellite. Mais c’est bien dans le domaine de l’engagement de haute intensité que les efforts les plus importants seront faits. Ainsi, sur la loi de programmation militaire, les Rafale seront dotés de moyens de guerre électronique et de suppression des défenses anti-aériennes adverses désigné sous l’acronyme SEAD (Suppression of Enemy Air Defense) en anglais.
La défense aérienne sera également renforcée, avec l’acquisition de systèmes SAMP/T supplémentaires, mais également de systèmes à courte portée SHORAD MICA VL. Les frégates de la Marine nationale verront, elles aussi, leurs capacités renforcées, notamment en conférant au système lance-missile vertical SYLVER la capacité à mettre en œuvre différents types de missile.
L’Armée de terre a annoncé, pour sa part, qu’elle entendait acquérir sur la LPM plusieurs milliers de munitions vagabondes, mais aussi doter ses blindés, en premier lieu desquels les chars Leclerc, de systèmes de protection hard-Kill. Si ces capacités vous sont connues, c’est peut-être parce qu’elles ont toutes été identifiées comme indispensables dans plusieurs de nos articles, dont un listant précisément ces 5 capacités pour renforcer les capacités haute intensité des armées françaises, publié en 2021..
Armée de l’Air et de l’Espace : Capacités SEAD et SHORAD
Malheureusement, la réponse donnée alors par le ministère des Armées était un parfait exemple de langue de bois accompagnée d’une évidente mauvaise foi. En effet, même s’il est par nature discret, et protégé par un système SPECTRA reconnu pour sa performance, le Rafale ne dispose, à ce jour, ni de pod de brouillage et de guerre électronique permettant d’englober d’autres appareils dans une bulle de défense électronique, ni de munitions spécialisées dans l’élimination des systèmes anti-aériens adverses. Cette faiblesse avait d’ailleurs été au cœur de l’argumentaire US en faveur du Super Hornet en Inde, ce dernier pouvant être décliné en Growler de guerre électronique.
Très performant, le Rafale ne dispose toutefois pas de capacités dédiées à la suppression des défenses anti-aériennes de l’adversaire
La guerre en Ukraine a montré, pour sa part, à quel point les systèmes anti-aériens modernes, y compris ceux de facture russe mis en œuvre par les deux belligérants, sont désormais efficaces. De fait, depuis quelques mois, il apparait que les appareils russes, comme les Su-30SM et les Su-35s, emportent à chaque mission à proximité de la ligne d’engagement, un missile anti-radiation comme le Kh-31P, de sorte à engager et détruire un radar adverse, celui-ci venant à le suivre.
Une procédure similaire a été mise en œuvre coté ukrainien, en permettant aux Mig-29 d’employer le missile antiradar AGM-88 Harm, pour les mêmes raisons. Au-delà de ces missiles, les appareils russes emportent désormais systématiquement un ou plusieurs pods de brouillage supplémentaires, permettant par exemple de protéger d’autres appareils, comme des avions d’attaque comme le Su-25, mais également des hélicoptères de combat ou de transport, eux aussi très vulnérables aux systèmes anti-aériens.
On comprend donc pourquoi l’Armée de l’Air, et probablement l’aéronautique navale, ont obtenu gain de cause pour se doter de cette capacité au cours de la prochaine LPM, quitte à ridiculiser la réponse donnée par le ministère des Armées quelques mois plus tôt en commission.
La nécessité de doter les armées françaises, et en particulier les forces terrestres, d’un système de défense anti-aérienne et anti-missile à courte portée, ou SHORAD pour Short Range Air Defense, en complément des systèmes antiaériens d’infanterie MANPADS comme le Mistral, a été également développé à de nombreuses reprises sur ce site, à partir d’aout 2019.
Globalement, les forces françaises, comme d’ailleurs la plupart des forces armées européennes et même américaines, souffraient d’un important déficit en matière de défense anti-aérienne, notamment en comparaison de certaines autres armes, comme les forces russes ou chinoises, qui s’appuient sur une défense anti-aérienne multicouche dense et efficace.
Là encore, la guerre en Ukraine a montré l’indispensable complémentarité de ces systèmes, pour contrer tous les types de menaces, allant de l’avion de combat à l’hélicoptère d’attaque, en passant par le missile de croisière ou balistique. Les armées françaises sont équipées, jusqu’à présent, de systèmes efficaces, le SAMP/T Mamba à moyenne portée doté de capacités antibalistiques renforcées depuis l’arrivée du missile ASTER Block1NT, le système à courte portée CROTALE NG, et le missile anti-aérien à très courte portée Mistral 3.
Le MICA VL est beaucoup plus performant que le Crotale NG. En outre, comme le NASAMS norvégien, il permet d’employer des missiles air-air MICA ayant atteint la limite de leur potentiel de vol.
La prochaine LPM semble prendre à bras-le-corps ce problème. Ainsi, des systèmes Mamba supplémentaires seront commandés afin de permettre de densifier, au besoin, la défense à longue et moyenne portée, y compris autour des forces. Les systèmes à courte portée Crotale NG, quant à eux, seront remplacés par le système à courte portée MICA VL.
Si le Crotale montre son efficacité en Ukraine aujourd’hui encore, le MICA VL offre à la fois une portée plus étendue, de l’ordre de 15 à 20 km selon l’altitude, mais également des capacités d’interception très supérieures. En outre, contrairement au Crotale qui emploie un guidage sur faisceau, le MICA VL emploi un autodirecteur, lui permettant de tirer simultanément bien plus de missiles simultanément pour faire face à une attaque potentiellement saturante.
Reste que pour l’heure, on ignore si l’Armée de Terre recevra, elle aussi, des MICA VL ayant fonction de SHORAD, ce qui aurait du sens pour protéger ses forces, ou si ces systèmes seront exclusivement mis en œuvre par l’Armée de l’Air, ce qui permettrait probablement de faire des économies.
Marine Nationale : Extension des capacités du système SYLVER
La défense anti-aérienne et anti-missile à courte portée est également un sujet critique pour la Marine Nationale, même si dans le cas de navires, on parle de CIWS (Close In Weapon system) et non de SHORAD. Comme dans le cas de l’Armée de l’Air, les frégates de la Marine nationale mettent en œuvre un système très performant à moyenne et longue portée, le PAAMS, qui s’appuie sur les mêmes missiles Aster 15 et 30 que le Mamba terrestre.
Mais comme les forces terrestres, les marins ne disposent pas de systèmes à courte portée, ou CIWS. L’une des solutions, pour s’en doter à moindres frais, avait été abordé sur Meta-Défense de longue date, notamment pour son implication sur le potentiel à l’exportation des frégates françaises. Elle repose sur l’évolution du Système Lancement Vertical des missiles, ou SYLVER, qui équipe les frégates Horizon, Fremm et FDI ainsi que le porte-avions Charles de Gaulle.
En effet, à ce jour, chaque SYLVER ne permet de mettre en œuvre qu’un seul type de missile : l’Aster 15 pour le Sylver 43, l’Aster 15 ou 30 pour le Sylver 50 et le missile de croisière MdCN pour le Sylver 70 (70 représentant la profondeur du système, ici 7 mètres).
Le SYLVER permettra bientôt de mettre en oeuvre différents types de missiles à partir d’un même système
Ainsi, les frégates FREMM de la Marine nationale sont équipées de 2 Sylver 50, soit 16 cellules pour mettre en oeuvre des missiles anti-aériens Aster 15/30, ainsi que 2 Sylver 70 pour 16 missiles de croisière MdCN. Cette rigidité est évidemment un handicap, notamment vis-à-vis des VLS américains comme le Mk-41 qui permet d’embarquer plusieurs types de missiles à bord d’un VLS, mais également du point de vue opérationnel, puisque les frégates participent bien plus souvent à des missions d’escorte pour lesquelles 16 missiles antiaériens supplémentaires seraient les bienvenus, alors que 16 missiles de croisière n’ont que peu d’intérêt.
C’est précisément pour répondre à ce besoin que Naval Group et la Marine Nationale ont annoncé qu’ils travaillaient ensemble afin de connecter plus d’un système de contrôle par système Sylver, permettant de fait au système d’embarquer différents types de munitions au besoin. Cette capacité, qui sera déployée dans le cadre de la prochaine LPM sur les frégates françaises, renforcera de manière évidente l’efficacité des navires de la Marine nationale.
Armée de Terre : Munitions vagabondes et systèmes Hard-kill pour l’engagement de haute intensité
La Marine nationale et l’Armée de l’Air et de l’Espace verront donc leurs capacités opérationnelles sensiblement renforcées par les futures LPM pour répondre aux enjeux de l’engagement de haute intensité. Mais comme dit en introduction, c’est incontestablement l’Armée de Terre qui, aujourd’hui, a les besoins les plus critiques dans ce domaine.
Des informations non confirmées ont émergé à ce sujet, comme la possibilité pour elle de se doter de véhicules de combat d’infanterie chenillés CV90 suédois équipés de la même tourelle 40 CTAS que l’EBRC Jaguar, ce qui constituerait incontestablement un gain capacitaire majeur dans ce domaine. Pour l’heure, toutefois, deux capacités essentielles sont identifiées comme au cœur de la prochaine LPM : les munitions vagabondes, ainsi que les systèmes de protection Hard-Kill.
L’acquisition de munitions vagabondes Switchblade par l’Armée de terre a été évoquée comme solution d’attente à court terme
Les munitions vagabondes, également appelées munitions rôdeuses ou plus prosaïquement, drones suicides, existent depuis une vingtaine d’années. Mais c’est il y a seulement deux ans, à l’occasion de la seconde guerre du haut-Karabagh, que ces systèmes d’armes ont démontré leur grande efficacité opérationnelle, lorsque les munitions vagabondes de facture israélienne employées par les forces Azéris détruisirent les systèmes anti-aériens et les bunkers arméniens, sans que ces derniers puissent les intercepter ou simplement s’en protéger.
De fait, l’Armée de terre entend se doter, selon son chef d’État-major, de plusieurs milliers de munitions vagabondes au cours de la LPM 2024-2030, sans que l’on sache toutefois s’il ne s’agira que de munitions tactiques à courte portée, comme les Switchblade 300 et 600 américains déjà évoqués par l’État-major, ou si d’autres capacités d’autres modèles seront envisagés, qu’ils soient à plus longue portée, voire plus spécialisés en les dotant par exemple de charge militaire électromagnétique, à charge creuse ou autre (poudre de graphite), selon les objectifs recherchés, notamment pour venir renforcer les capacités de frappe lointaine également prévues par la prochaine LPM. En revanche, on ignore si ces systèmes seront achetés sur étagère, ou si la France envisage de développer une capacité industrielle dans ce domaine.
Il en va de même des systèmes de protection actifs de blindés de type Hard-Kill, qui existent, eux aussi, depuis une quinzaine d’années. Contrairement à un système de protection passif, comme le blindage ou les grilles anti-roquettes, les systèmes actifs, désignés par l’acronyme APS pour Active Protection System, emploient des capacités réactives en réponse à une menace. Ces systèmes sont de trois types : les systèmes soft-kill, comme les brouilleurs électromagnétiques, les leurres infrarouges et les pots fumigènes multispectraux, ont pour fonction de contrer la capacité de détection ou de visé de l’adversaire ou de sa munition.
Le blindage réactif, pour sa part, se compose de tuiles déposées sur le blindage passif du blindé, qui explosent une fois frappées par une munition, de sorte à réduire l’efficacité de la charge creuse qui équipe la plupart des roquettes et missiles antichars. Les systèmes hard-kill, enfin, visent à détecter et intercepter un obus, une roquette ou un missile lancé contre le blindé, en projetant vers cette menace une munition chargée de la détruire. Développés initialement en Union Soviétique à la fin des années 80, les systèmes hard-kill ont fait l’éclatante démonstration de leur efficacité à bord des blindés israéliens au début des années 2010.
Les APS Hard-Kill interceptent les roquettes, missiles et obus avant qu’ils n’atteignent leurs cibles.
Pour autant, jusqu’à la fin de la précédente décennie, la perception de la menace était telle qu’aucune grande armée occidentale, en dehors des Israéliens, ne s’intéressait vraiment aux systèmes hard-Kill, tout au moins jusqu’à l’apparition du T-14 Armata et de son système hard-kill soft-kill Afghanit. Face à l’urgence, les Etats-Unis, rapidement suivis des Britanniques et des Allemands, ont décidé ces dernières années d’équiper une partie de leurs chars lourds de systèmes israéliens Trophy ou Iron Fist, ainsi qu’une partie de leurs véhicules de combat d’infanterie, tout en entamant des travaux pour développer un système équivalent de facture nationale.
En France, malheureusement, si les généraux en deuxième section ne manquaient pas pour appeler à équiper les chars et les VBCI, a minima, de ce type de systèmes, ceux aux commandes évitaient soigneusement le sujet, sachant qu’il n’aurait pas un accueil chaleureux de la part du Ministère en application de la précédente LPM (comme pour le Rafale SEAD par exemple).
Avec l’entame des travaux sur la nouvelle LPM, toutefois, le sujet s’est imposé comme un impératif critique à relativement court terme, et il est désormais présenté par l’État-major de l’Armée de terre comme un enjeu critique pour répondre à la menace de haute intensité. Dans le même temps, au travers du programme Prometeus, Thales, Nexter et l’Armée de Terre avancent rapidement dans le développement d’un système de ce type, pour en équiper non seulement Leclerc et VBCI, mais également, au besoin, les EBRC Jaguar et les VBMR Griffon, même si ces derniers sont déjà au seuil d’efficacité en matière de masse par essieu.
Conclusion
Une chose est certaine, même s’il est toujours possible d’espérer davantage ou mieux en matière de programmation militaire, d’autant que les armées ont effectivement connu plus de 20 années de sous-investissements critiques avant 2017, les ayant aux limites de l’effondrement capacitaire global, la LPM en cours de préparation, répondra à de nombreux enjeux, en particulier pour renforcer sensiblement les capacités des armées françaises à s’engager dans un conflit de haute intensité.
Reste à voir si, dans son application, celle-ci répondra effectivement à cet enjeu, tout en préservant les autres capacités qui ont fait l’efficacité des armées françaises ces dernières décennies. Une chose est cependant certaine, si elle est appliquée comme évoquée en introduction, avec une progression linéaire du budget, cette LPM permettra non seulement de renforcer sensiblement les moyens opérationnels et la résilience des armées et de l’industrie de défense françaises, mais elle conférera, au-delà de 2030, un budget cohérent avec les besoins que l’on peut anticiper sur la prochaine décennie. Espérons donc que l’exécution de cette LPM à venir sera strictement respectée, comme ce fut le cas de la précédente.
La planification de construction navale de l’US Navy a été pour le moins chaotique ces 30 dernières années, au point que la plus puissante marine militaire de la planète fait aujourd’hui face à certaines défaillances capacitaires en devenir. C’est notamment le cas de la guerre des mines, cette mission étant à ce jour toujours assurée par 11 des 14 chasseurs de mines de la classe Avenger entrés en service entre 1987 et 1994. Alors que ces navires ont déjà atteint leur limite d’âge, l’US Navy est en effet dans l’impossibilité de les retirer du service tant qu’une capacité alternative ne sera pas entrée en service, selon une contrainte imposée par le Congrès. Cette capacité devait revenir aux corvettes Littoral Combat Ship des classes Freedom et Independence, sensées être équipées à partir de 2015, d’un module de mission de ce type.
Les LCS ont en effet été conçues autour de ce principe, permettant au navire d’emporter au besoin des modules standards permettant de les doter de différentes capacités. 3 modules étaient initialement prévus : le module lutte au dessus de la surface pour armer le navire de missiles antinavires, le module de lutte sous la surface pour en faire un bâtiment de lutte anti-sous-marine littoral, et le module de guerre des mines. Si le module de lutte au dessus de la surface, qui arme le LCS d’une tourelle de 30mm et de 24 missiles à courte portée Hellfire, a été livré en 2019, le module de lutte anti-sous-marine a, quant à lui, été annulé l’année dernière, les nouvelles frégates de la classe Constellation étant appelées à assurer cette mission. Le très attendu module de guerre des mines, ou MCM pour Mine Countermeasures, est quant à lui proche d’une entrée en service, selon les déclarations du Program Executive Office pour les petits navires de surface de l’US Navy, Sam Taylor, à l’occasion de la conférence annuelle de l’American Society of Naval Engineers.
Un MH-60 équipé du système de détection de mine aéroporté laser ALMDS
Ce module se compose de deux composantes distinctes. D’une part, la composante aéroportée s’articule autour de l’hélicoptère naval MH-60 et du drone MQ-8 Fire Scout, pour mettre en oeuvre le système de détection laser aéroporté des mines ALMDS, du système aéroporté de neutralisation des mines AMNS et du système d’analyse et reconnaissance du champs de bataille côtier, ou CBRA. la composante embarquée se compose, pour sa part, du robot sous-marin de guerre des mines Knifefish, du système anti-mines tracté UISS, et du sonar tracté AN/AQS-20C spécialisé dans la détection de mines sous-marines. Selon le contre-amiral Casey Moton, qui pilote le programme, l’ensemble des modules ont été testés, et même si certaines défaillances ont été révélées, les mesures correctives et la formation adaptée des équipages ont été entreprises pour permettre la mise en service prochaine du module MCM à bord des LCS de la classe Independence.
En effet, le module MCM n’équipera que les LCS de cette classe, les LCS de la classe Freedom étant destinée à recevoir le module de lutte au dessus de la surface. Cette approche annule de fait tout le bénéfice espérée autour des modules de mission, mais les nombreuses défaillances ayant frappé les deux modèles de LCS, et surtout les difficultés à mettre en oeuvre, au besoin, un équipage qualifié associé à un changement de module, ont fini de convaincre l’US Navy d’abandonner cette architecture certes innovante et ambitieuse, mais probablement trop idéalisée. Qui plus est, aujourd’hui, le besoin de l’US Navy en matière de navire de guerre des mines efficaces disposant d’un équipage correctement formé, est beaucoup plus sensible qu’il y a de ça quelques années.
En effet, avec le retour des guerres de haute intensité, mais également du fait de l’accélération du développement des systèmes autonomes sous-marins, le risque lié à la guerre des mines s’est considérablement accru ces dernières années, y comprit sur le littoral et à proximité des arsenaux alliés et même américains. En outre, les mines navales ont elles-aussi connu, ces dernières années, d’importantes évolutions, et de nombreux projets sont en cours de développement pour les doter de capacités innovantes, comme une autonomie de mouvement par biomimetisme, ou de classification des cibles de sorte à attaquer le navire le plus significatif. C’est la raison pour laquelle, au delà de l’US Navy, de nombreux programmes visant à doter les marines militaires de capacités de guerre des mines avancées, sont en cours.
Depuis le début de l’assaut russe sur l’Ukraine, les Etats-Unis ont déployé plus de 20.000 militaires supplémentaires en Europe, pour atteindre un total de 100.000 hommes et femmes des 4 armées US présents sur le sol Européen. Dans le même temps, la présence militaire américaine au Japon a été sensiblement durcie, avec le déploiement de nouveaux systèmes anti-aériens et de détection, ainsi que de nouveaux appareils de combat, alors que les tensions avec Pékin, notamment autour de la question taïwanaise, ne cessent de croitre. Il en sera de même en Corée du Sud. En effet, en visite à Séoul pour rencontrer son homologue Lee Jong-Sup, le secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin a déclaré que les Etats-Unis allaient accroitre le déploiement d’armements et de moyens dans le pays, pour répondre à l’augmentation de la menace de Pyongyang.
Rappelons que ces derniers mois, les armées nord-coréennes ont procédé à une très intense démonstration de force, en effectuant pas moins de 83 essais de missiles balistiques et de croisière de tout type, qu’ils soient tactiques à courte portée, stratégiques intercontinentaux ou stratégiques à changement de milieux. Dans le même temps, le pays poursuit un intense effort pour moderniser ses forces nucléaires et conventionnelles, avec l’arrivée de nouveaux modèles de chars de combat, de véhicules de combat d’infanterie ou d’artillerie et de lance-roquettes automotrices qui, mêmes s’ils n’égalent pas en qualité les modèles mis en oeuvre par son voisin du sud et par les forces américaines déployées en permanence dans la péninsule, n’en représentent pas moins une réelle menace du fait de leur nombre.
L’US Air Force va intensifier le déploiement de ses appareils en Corée du Sud, y compris des chasseurs furtifs F-22 Raptor
Pour répondre à cette évolution de la menace, Washington va donc accroitre la présence de moyens aériens, y compris des chasseurs furtifs F-22 et F-35, mais également navals et terrestres, ainsi que des capacités de défense anti-aérienne, antimissile et de riposte, de sorte à dissuader Pyongyang de tout aventurisme excessif. Toutefois, si Lloyd Austin a assuré son homologue du renforcement des forces US présentes en Corée du Sud, ainsi que des exercices entre forces US et sud-coréennes, il n’a pas fait état d’un possible déploiement de capacités nucléaires sur le sol sud-coréen comme réclamé par la Maison Bleue, même si le Secrétaire à la Défense US a une nouvelle fois réaffirmé que la riposte américaine à une attaque nucléaire nord-coréenne sur le sud serait rapide et massive.
A l’instar des pays européens et du Japon, la Corée du Sud fait reposer une partie de sa défense sur l’assurance d’un soutien ferme et important des Etats-Unis, d’autant que 28.500 militaires américains (Contre 100.000 en Europe et 55.000 au Japon) sont déployés en permanence dans le pays. Toutefois, du fait de la menace constante imposée par son voisin qui s’est doté de l’arme nucléaire en 2006, Séoul a poursuivi ces 40 dernières années une très ambitieuse politique de défense, y consacrant en moyenne plus de 2,5% de son PIB depuis 2000, là ou l’effort de défense nippon n’excéda jamais 1% et que celui des pays européens plafonnait à 1,5% en moyenne, avec d’importantes disparités cependant. Ainsi, le pays s’est doté d’une très puissante force armée, disposant d’importants moyens terrestres, aériens, navals et sous-marins, ainsi que d’une industrie de défense très dynamique approchant désormais de l’autonomie stratégique.
Les exercices communs entre les armées US et Sud-coréennes vont être intensifiées.
Cette puissance militaire, qui est encore appelée à évaluer positivement dans les années à venir, permet désormais au pays de mettre en oeuvre une doctrine susceptible de contrôler la menace nucléaire nord-coréenne, tout au moins tant qu’elle se maintient à son format actuel. Toutefois, si celle-ci venait à croitre, comme l’a annoncé le dictateur nord-coréen Kim Jung-un il y a quelques semaines, la doctrine « 3 axes » sud-coréenne atteindra ses limites, d’où le renforcement de la présence militaire américaine, ainsi que les pressions exercées par Séoul afin que les forces américaines déployées dans la péninsules se nucléarisent, ou qu’un accord comparable à celui mis en oeuvre au sein de l’OTAN concernant la dissuasion partagée soit également appliqué en Corée du Sud.
Reste que les armées américaines risquent fort d’atteindre rapidement leurs limites, si plusieurs théâtres venaient à se tendre simultanément, comme c’est le cas en Europe avec la guerre en Ukraine. Rappelons en effet, que les Etats-Unis sont garants de la sécurité européennes face à la Russie, mais également de celle du Japon et de la Corée du Sud face à la Corée du nord, la Chine et la Russie, et de plusieurs pays du Golfe face à l’Iran. En outre, Washington s’est déclaré comme soutien sécuritaire majeur concernant l’Ukraine et Taiwan, l’un étant déjà en guerre, l’autre directement menacé par les ambitions de Pékin à relativement court terme. Cette architecture de sécurité, mise en place après l’effondrement du bloc soviétique au plus grand bonheur du Département d’Etat qui y vit une parfaite occasion de renforcer l’influence US sur ces pays, ne fut pas conçue dans l’hypothèse de crises multiples simultanées, encore moins de conflits de haute intensité menés conjointement par des adversaires potentiels différents.
Essais d’un missile tactique balistique du 14 janvier 2022 – En 2022, La Coréen du Nord a procédé à 83 tirs de missiles balistiques.
Cette stratégie, qui fut abusivement manipulée par les Européens pour réduire leurs investissements de défense au delà du raisonnable pendant plus de 20 ans, représente désormais une menace globale potentielle pour l’ensemble du camp occidental, chaque adversaire potentiel sachant pertinemment que Washington sera dans l’incapacité de peser efficacement sur plus de deux théâtres simultanément. Au point que désormais, l’émergence d’une nouvelle crise, ou le simple durcissement de la crise en Ukraine, pourrait inciter Pékin, Pyongyang et Téhéran à passer à l’action, sans même qu’il soit nécessaire qu’ils se soient coordonnés ou qu’une alliance ait été formée. On comprend, dès lors, pourquoi chacun des alliés des Etats-Unis est aujourd’hui engagé dans une recapitalisation militaire massive et rapide, y compris pour les très pacifiques Allemagne et Japon, sachant qu’en dehors de la dimension stratégique, les Etats-Unis seront probablement dans l’obligation de diviser leurs forces au delà des plans établis si les crises venaient à se multiplier.