En 1947, à l’initiative d’Albert Einstein, l’Université de Chicago publia pour la première dans le Bulletin of the Atomic Scientist l’Horloge de la Fin du Monde, ou Doomsday Clock en anglais. Cette horloge représentait le temps qu’il restait à l’humanité, depuis son apparition, avant qu’un événement cataclysmique de type Guerre nucléaire ne vienne l’éradiquer. En 1947, l’horloge fut positionnée à 23h53, soit 7 minutes avant l’apocalypse. Cette valeur, calculée de manière empirique, servit de point de référence aux évaluations annuelles à venir, de sorte à présenter de manière simple et efficace l’augmentation ou la diminution du risque, selon le collège de scientifiques (dont une dizaine de prix Nobel) qui le publie chaque année. Ainsi, en 1953, après que les Etats-Unis et l’Union Soviétique aient procédé chacun au premier essais d’une arme thermonucléaire, l’horloge fut positionnée sur 23h57, et resta sur cette valeur pendant 7 ans jusqu’en 1960, lorsqu’elle fut ramenée à 23h53 puis à 23h48 en 1963 après que Washington et Moscou aient signé le traité sur l’interdiction des essais nucléaires atmosphériques.
Depuis, l’horloge n’a cessé d’évoluer, atteignant son point le plus haut, 23h57, en 1984 au plus fort de la crise des Euromissile, et son plus bas en 1991 à 23h43 après la dislocation de l’Union Soviétique et l’accord sur la réduction des armes stratégiques. Malheureusement, depuis, l’horloge n’a cessé d’être avancée, d’abord à 23h55 en 2007 après les essais nucléaires nord-coréens, puis à partir de 2010, alors qu’une nouvelle menace faisait son apparition, le Changement climatique. A partir de 2017, c’est autant le risque climatique que l’augmentation du risque de conflit nucléaire qui amenèrent les scientifiques américains à positionner l’horloge à son plus haut historique, 23h58, puis à augmenter ce chiffre par deux fois pour atteindre 23h58:20s en 2020. Cette année marque un nouveau plus haut historique, avec une horloge positionnée à 23h58:30, 1 min 30 avant la fin de l’humanité. En effet, deux nouveaux facteurs ont dégradé l’appréciation des scientifiques, les risques liés à la guerre en Ukraine d’une part, et la menace que représente désormais l’émergence probable de pathogènes nouveaux, potentiellement bien plus létaux que le Covid.
Le menace de guerre nucléaire est aujourd’hui à son plus haut historique du fait de la guerre en Ukraine qui oppose, indirectement, 4 des plus importantes puissances nucléaires mondiales
La guerre en Ukraine qui résulte de l’agression russe contre son voisin en février 2022, représente en effet le conflit le plus intense opposant indirectement plusieurs puissances nucléaires, la Russie d’un coté, et de l’autre les Etats-Unis ainsi que leurs alliés britanniques et français qui soutiennent de plus en plus directement Kyiv pour résister aux assauts menés par l’Armée russe. Il s’agit, de manière incontestable, de la plus importante crise militaro-stratégique depuis la fin de la seconde guerre mondiale, d’autant que celle-ci intervient au coeur de l’Europe, et non dans un obscure pays du sud-est asiatique. A ce titre, la sémantiques nucléaire a été exhibée des le début du conflit par Moscou, menaces auxquels américains, français et britanniques ont répondu par la fermeté. Depuis, la menace nucléaire, qu’il s’agisse d’une extension nucléaire du conflit comme évoqué dans l’étude de la Rand Corporation qui fit l’objet d’un article hier, ou d’un accident nucléaire par exemple autour de la centrale de Zaporojie, sont au plus haut, probablement au même niveau que lors de la crise des Euromissiles des années 80, considérée à juste titre par les historiens comme la période la plus critique de la guerre froide.
Mais la seule crise russo-ukrainienne n’aura pas suffit, à elle seule, à dégrader la position de l’horloge de la fin du monde à ce point. Deux autres facteurs aggravant ont été pris en compte par les scientifiques américains. D’une part, l’accélération du changement climatique et la faiblesse de la réponse des puissances mondiales pour prendre les mesures nécessaires pour en réduire les effets, engendre des menaces majeures pour la survie de l’humanité, tant du fait de ses effets sur le climat avec la multiplication prévisible des épisodes climatiques catastrophiques (sécheresse, inondation, submersion, ouragan..), qu’en déclenchant des tensions majeures entre les populations exposées à ces calamités, et qui feront face, elles aussi, à des menaces critiques (famine, migration, guerre). Cette menace n’est prise en compte par l’Horloge de la Fin du monde que depuis 2010, mais a été le principal facteur d’aggravation pris en compte par celle-ci lors de la décennie précédente, celle-ci étant passée en 10 ans de 23h54 à 23h58:20 essentiellement de ce fait.
Les conséquences du changement climatique menacent directement une majeure partie de la population mondiale
Un troisième facteur de risque majeur a fait son apparition pour l’évaluation de cette année 2023 à 23:58:30, son plus haut historique, celui de la menace que représente désormais l’apparition probable de nouveaux pathogènes. Comme l’a montré la crise Covid, un nouveau virus, une nouvelle bactérie ou un nouveau champignon (Regardez The Last Of US, c’est impératif !), peut désormais se répandre à très grande vitesse sur la planète, alors qu’il n’aura fallu que 1 mois entre les premiers cas de maladie respiratoire sévère à Wuhan, et son apparition en Europe et aux Etats-Unis. Fort heureusement, si l’on peut dire, le Covid-19 avait une létalité relativement faible, en particulier vis-à-vis des populations en bonne santé, ce qui permit de limiter l’hécatombe. Toutefois, l’apparition d’un autre pathogène, qui pourrait être cette foi bien plus dangereux, est désormais jugée probable par les infectiologues et épidémiologistes, d’autant que le changement climatique ainsi que la déforestation engendrent une augmentation très sensible des risques de contact avec ces nouveaux pathogènes, la plupart du temps confinés jusque là à des espèces animales.
Enfin, ces trois menaces ont un fort facteur d’interactions communes, de sorte qu’elles s’accentuent l’une l’autre. Ainsi, les guerres, comme les événements climatiques, peuvent engendrer de vaste mouvements de population, qui à leur tour accroissent les risques d’épidémie et de pandémie. De même, la raréfaction de certaines ressources, comme l’eau ou les terres arables, peut amener certains pays à vouloir s’emparer de telles ressources par la force chez l’un de ses voisins. Les déplacements de population, et l’afflux de réfugiés, agit également comme un facteur aggravant tout sur les ressources disponibles dans un pays, mais également dans la radicalisation de son opinion publique, ce qui accentue les risques de guerre. Enfin, une épidémie peut temporairement affaiblir la posture défensive d’un pays, créant une opportunité, ou tout au moins perçue comme telle, par son adversaire potentiel.
L’émergence de nouveaux pathogènes est désormais jugée très probable à court terme par les spécialistes du fait de l’augmentation des contacts entre la population humaine et le milieu sauvage.
Reste que l’Horloge de la fin du Monde, malgré son nom conçu pour attirer l’attention, n’est en rien un outil prophétique. C’est avant tout un outil destiné à orienter l’action politique américaine et internationale pour répondre à temps à ces menaces critiques, sachant que le temps restant ne représente pas un compte à rebours inéluctable, puisqu’il peut être, comme par le passé, déplacé positivement par les actions adéquates. Ainsi, les accords sur les armes nucléaires, qu’elles soient stratégiques ou de portée intermédiaire, comme la redéfinition de la carte géopolitique des tensions, ont permis de faire sensiblement reculer cette horloge, au delà même de sa position initiale de 1947. Encore faut-il que les dirigeants du monde, et en particulier des grandes puissances dotées de l’arme nucléaire qui, le plus souvent, sont également ceux qui disposent des plus importants moyens d’action sur la politique climatique mondiale et sur la gestion des pandémies, y prêtent l’attention nécessaire. Reconnaissons qu’aujourd’hui, rien n’est moins sûr …
LERITY, concepteur et fabricant, spécialiste reconnu dans le domaine des systèmes de vision innovants à haute technicité, lance en 2023 son « CAT EYE XLR », dernier né de la gamme « CAT EYE ». Système dédié à la surveillance jour/nuit de très longue portée, il associe une capacité très bas niveau de lumière (spectre visible étendu) à une fonction d’imagerie active. Doté d’un illuminateur laser de 200 W, il propose ainsi une capacité d’identification exceptionnelle, jusqu’à 20 km en pleine nuit.
CAT EYE XLR enregistre des scènes en temps réel, non seulement en nuit totale mais également en conditions météorologiques défavorables (pluie, neige, brouillard…) ; Unique sur le marché, ce système de vision est monté sur tourelle gyrostabilisée avec un télémètre laser de classe 1 (Eye-Safe). Il permet une surveillance en continu, à 360°, ainsi que l’acquisition et le suivi de cibles multiples.
CAT EYE XLR est déployable le long des côtes, dans des ports, sémaphores et vigies dans le cadre de la surveillance maritime. Il s’applique également aux frontières et assure des missions de protection d’infrastructures critiques (installations pétrolières et gazières, parcs nucléaires, complexes militaires ou gouvernementaux…). CAT EYE XLR assure de manière autonome : Détection, Reconnaissance & Identification.
CAT EYE XLR, conforme aux standards MIL-STD, bénéficie du soutien des forces françaises.
Pour en savoir plus : https://www.lerity-alcen.com/products/active-system/cat-eye-system-xl
Pour visionner notre vidéo sur CAT EYE XLR (en anglais) : https://www.youtube.com/watch?v=TTph0ALry9g
A propos de LERITY
Depuis 1981, LERITY (anciennement LHERITIER, PME française) développe, fabrique et commercialise des systèmes optroniques pour des applications de Défense et de Sécurité. L’entreprise s’est imposée comme une référence en matière d’innovation dans les bas niveaux de lumière sur le spectre visible, grâce au développement d’algorithmes d’amélioration d’image pour le traitement en temps réel d’images provenant des capteurs les plus avancés du marché.
Dans un entretien donné à la radio Europe1, le ministres des Armées, Sebastien Lecornu, a annoncé que la France allait envoyer 12 nouveaux systèmes d’artillerie CAESAR en Ukraine, alors que plusieurs dizaines de millions d’euro seront débloqués pour entretenir et rénover les systèmes CAESAR déjà en service au sein des armées de Kyiv, et qui ont été intensément employés depuis leur arrivée en avril 2022 (12 exemplaires), puis à la fin du mois de juin (6 exemplaires). Les nouveaux systèmes sont financés par le fonds de 200 m$ mis en place par Paris pour permettre aux armées ukrainiennes de commander des équipements de défense auprès des industriels français. Pour l’heure, le calendrier de l’envoi de ces systèmes n’a pas été révélé, ni la provenance exacte des matériels, s’ils sont directement produits par Nexter, ou s’ils seront prélevés sur le parc de l’Armée de terre avant d’être remplacés par des équipements neufs.Dans le même temps, la France va déployer 150 militaires français en Pologne afin de former 600 militaires ukrainiens par mois.
L’annonce de l’envoi des nouveaux CAESAR permettra probablement à Paris de sortir par le haut de la polémique qui enfle au sujet de la livraison de chars Leclerc, voire de Mirage 2000 à Kyiv. Comme nous l’avions abordé il y a quelques mois, l’envoi de chars Leclerc français en Ukraine serait une décision très dommageable, l’Armée de terre ne disposant que d’un nombre réduit de ces chars par ailleurs complexes à mettre en oeuvre et à maintenir, alors qu’aucune capacité industrielle pouvant permettre de remplacer ces blindés n’existe dans le pays. Dans le même temps, l’envoi d’avions de combat occidentaux, Mirage 2000 comme F-16, est pour l’heure jugée hors de question par Washington, probablement pour des questions de risque d’escalade de la part de Moscou, que ce soit en Ukraine par l’augmentation des frappes contre les cibles civiles, ou hors de ce théâtre, que ce soit par des actions clandestines ou par l’instrumentation de tensions comme en Iran.
Le Danemark a donné ses 19 systèmes CAESAR 8×8 à l’Ukraine, qui déposera donc de 48 systèmes CAESAR au total
La livraison de 12 CAESAR supplémentaire français permettra aux armées ukrainiennes de disposer d’un parc de 29 de ces canons autotractés 6×6 associant une importante mobilité, une portée supérieure à celle des systèmes russes et dotés d’une grande précision, alors que dans le même temps, le Danemark a annoncé céder ses 19 CAESAR 8×8 à Kyiv, et Stockholm l’envoi de systèmes Archer. Ces 3 systèmes d’artillerie partagent non seulement un calibre commun de 155 mm et une grande mobilité grâce aux camions porteurs 6×6 ou 8×8, mais également un tube de 52 calibres (52 fois le calibre de l’arme donc 8,06 mètres), leur conférant une allonge de 40 km avec des obus à portée optimisée, et de plus de 50 km avec des obus à poussée additionnée, 10 km de plus que le plus performant des systèmes russes, le 2S33 Msta-SM, ainsi qu’une précision supérieure avec des obus conventionnels, et la possibilité de mettre en oeuvre des obus avancés comme l’Excalibur à guidage GPS ou le Bonus franco-suédois anti-chars.
Le renforcement de la dotation des armées ukrainiennes en système d’artillerie très mobiles comme le CAESAR, l’Archer ou le Zuzana slovaque, leur conférera une capacité de riposte décisive pour contrer les probables offensives russes à venir à la fin de l’hiver. Grâce à leur configuration roues-canon, ces systèmes sont en effet capables de parcourir de très grandes distances en employant le réseau routier pour se redéployer rapidement et de manière autonome au besoin. Alors que la ligne de front entre les deux belligérants dépasse désormais les 800 km, sans tenir compte de possibles actions lancées de Biélorussie ou de la frontière russe (zone de Kharkiv), une telle capacité est donc décisive pour renforcer au besoin et de manière très efficace les capacités de riposte et de contre-batterie ukrainiennes.
Plus onéreux que le CAESAR 8×8, l’Archer suédois dispose toutefois d’un système de chargement automatique et d’un blindage renforcé. Il est toutefois plus lourd et moins mobile que le système français.
Combinés aux lance-roquettes multiples HIMARS américains, eux aussi très mobiles, ces systèmes permettront aux défenseurs ukrainiens de couvrir et renforcer à court terme l’ensemble de la ligne d’engagement, alors que les systèmes chenillés sous blindage, comme les Krab polonais, les Pzh2000 allemands, les M109 américains, les AS-90 britanniques et les 2S3 et 2S19 ukrainiens, pourront quant à eux constituer la capacité de riposte initiale déployée directement en soutien des unités de première ligne. Au besoin, ils pourront également apporter un surplus de puissance de feu pour mener une éventuelle contre-attaque d’opportunité, et ce sans venir affaiblir le dispositif défensif global du fait de cette capacité à se redéployer sur des délais courts sur l’ensemble du théâtre. Dans ces conditions, il n’y a strictement rien d’étonnant à ce que les autorités ukrainiennes privilégient l’acquisition de CAESAR supplémentaires, d’autant que les 18 exemplaires déjà engagés ont fait la démonstration de leur grande efficacité et survivabilité, un unique système ayant été perdu au combat selon les autorités françaises.
Alors que le conflit en Ukraine semble toujours loin de sa conclusion, un rapport du think tank Rand corporation pointe les menaces que font peser un conflit enlisé sur les intérêts US.
Créé en 1948 par l’avionneur américain Douglas, la Rand Corporation est aujourd’hui l’un des plus influents Think tank aux États-Unis, en particulier pour ce qui concerne les affaires militaires et internationales, d’autant que contrairement à d’autres importants think tank américains, elle n’est pas affiliée politiquement.
De fait, ses analyses sont le plus souvent évaluées avec une grande attention tant par les décideurs politiques américains que par le Pentagone. Depuis le début de la crise ukrainienne, la Rand a produit un grand nombre d’analyses souvent très pertinentes, et ce, à un rythme soutenu.
La dernière analyse, publiée le 27 janvier, mérite une attention toute particulière. En effet, au-delà des analyses tactiques, économiques et politiques, celle-ci étudie le risque d’enlisement ou d’extension du conflit ukrainien au travers d’une donnée particulière critique, à savoir les intérêts politiques, économiques et stratégiques des États-Unis.
Comme nous l’avons déjà abordé dans de précédents articles, le risque d’un enlisement du conflit, voire de son extension au-delà du théâtre ukrainien, ont sensiblement augmenté ces derniers mois, en particulier depuis que Moscou a entrepris de changer son approche de cette guerre, en passant d’une gestion purement tactique au début du conflit, avec des résultats très contestables, à une gestion stratégique s’appuyant sur les atouts objectifs du Kremlin, à savoir son industrie de défense et sa supériorité démographique.
L’analyse de la Rand, intitulée « Éviter une guerre longue – La politique US et la trajectoire du conflit russo-ukrainien« , mène en effet une étude méthodique de l’ensemble des risques et conséquences prévisibles liées à l’enlisement probable du conflit, alors que désormais, ni Moscou ni Kyiv ne semblent en mesure de s’imposer militairement et durablement sur son adversaire.
Selon la Rand Corp. le risque d’utilisation par la Russie d’armes nucléaires non stratégiques est loin d’être négligeable
En premier lieu, l’analyse étudie l’ensemble des paramètres consécutifs à un enlisement probable du conflit, avec les deux principaux risques majeurs que sont l’utilisation de l’arme nucléaire, loin d’être exclue par les analystes américains, et l’extension du conflit vers un affrontement entre l’OTAN et la Russie, là encore considéré comme bien plus plausible que généralement admis par les spécialistes s’exprimant dans les médias à ce sujet, même si un affrontement direct conventionnel entre la Russie et l’OTAN ne serait pas à l’avantage du premier.
Trois autres clés d’analyses sont également définies, à savoir la question du contrôle territoriale pour les deux belligérants, la question de l’extension du conflit dans la durée et, enfin, les différentes options pour que ce conflit prenne fin.
Suite à quoi, chacun de ces critères est étudié au regard de ses conséquences sur les intérêts américains. Sans paraphraser l’analyse qui est en accès libre, force est de constater que pour les États-Unis, les risques et contraintes découlant d’un enlisement de ce conflit, dépassent très largement les quelques bénéfices potentiels d’un conflit qui viendrait à durer, et ce, sur la presque totalité du spectre d’analyse.
Dit autrement, alors que les États-Unis doivent se préparer à une confrontation politique, économique et peut-être militaire avec la Chine, ils n’ont aucun intérêt à ce que le conflit russo-ukrainien ne dure, et encore moins à ce qu’il ne s’étende.
Selon cette même analyse, il n’est toutefois pas question non plus de céder à la Russie, en réduisant ou supprimant le soutien militaire à Kyiv, les conséquences d’une telle décision étant, elles aussi, au détriment de Washington et de ses alliées européens, en constituant une victoire incontestable pour Vladimir Poutine et le régime russe.
Pour répondre à ce défi, les auteurs de l’analyse préconisent plusieurs approches, la première d’entre elle étant un profond changement dans l’organisation du soutien militaire et stratégique à Kyiv. En effet, la méthodologie employée jusqu’ici par Washington et l’ensemble du bloc occidental, repose sur un soutien séquentiel, afin de répondre à court terme aux besoins exprimés par les armées ukrainiennes pour s’opposer aux armées russes.
Si cette approche a permis une progression incrémentale des moyens transférés en Ukraine, passant de simples missiles antichars et antiaériens en début du conflit, à désormais des chars lourds et des systèmes anti-aériens et d’artillerie de haute technologie, et ce, sans provoquer d’extension du conflit, elle atteint désormais ses limites.
La doctrine de soutien employée par Washington depuis le début du conflit a permis de passer de la livraison de missiles Javelin et Stinger à celle de chars lourds Abrams, de VCI Bradley et de systèmes anti-aériens Patriot sans déclencher d’escalade entre la Russie et l’OTAN. Elle représente toutefois désormais un handicap face à la nouvelle approche stratégique russe à moyen terme.
En effet, depuis la fin de l’été, Moscou s’est adapté à la réalité du soutien occidental à l’Ukraine, même s’il est très probable que celui-ci avait effectivement surpris les planificateurs russes au début de l’opération militaire spéciale déclenchée par le Kremlin.
C’est ainsi que la montée en puissance de son industrie de défense, mais également de ses armées au travers de mobilisations et d’appels à conscription successifs et largement moins permissifs que précédemment, permet désormais aux autorités russes d’envisager de surpasser en moyens, mais également en réactivité sur la durée les capacités de résistance des armées ukrainiennes, ainsi que le soutien que leur apportent les capitales occidentales.
De fait, aujourd’hui, Moscou considère très concrètement qu’une victoire est possible à moyen terme, victoire qui supposerait la prise de contrôle de l’ensemble du pays par la Russie et l’anéantissement des moyens de résistance militaires et politiques ukrainiens.
Pour espérer limiter concomitamment la durée du conflit et les risques d’extension, la Rand propose de transformer la nature même du soutien occidental, et en particulier américain, pour s’appuyer sur une perspective à moyen terme de montée en puissance des armées ukrainiennes au travers d’un plan de livraison de systèmes d’armes rationalisé et surtout rendu public, afin qu’il soit connu de Moscou.
Ce plan, naturellement, serait construit en miroir des capacités de production de l’industrie russe de défense, de sorte à priver le Kremlin de perspectives de victoire à moyen terme par la montée en puissance de ses armées. Il s’agit, somme toute, d’une stratégie similaire à celle présentée dans l’article « Comment la nouvelle stratégie industrielle russe redéfinit l’équation stratégique du conflit en Ukraine ? » publié le 6 janvier sur Méta-Defense, qui envisageait la même solution pour répondre à la même menace, transposée dans une vision européenne plutôt qu’américaine, pour prendre en compte le risque d’un désengagement US suite à un basculement électoral par exemple.
Pour la Rand, il est indispensable de neutraliser les espoirs de victoire russes liés à la montée en puissance de son outil industriel et du format de ses armées, en développant une planification publique des moyens occidentaux transférés à l’Ukraine susceptibles de neutraliser cette puissance militaire en devenir.
Pour autant, l’analyse de la Rand va au-delà de celle publiée sur notre site, et c’est bien normal. Ainsi, pour parvenir à une solution politique du conflit, seule alternative jugée viable par les auteurs, d’autres actions doivent être entreprises par les États-Unis et leurs alliés.
En premier lieu, il est indispensable que la sécurité de l’Ukraine soit fermement garantie par ces alliés après la fin du conflit, bien davantage que ne le prévoyait le mémorandum de Budapest.
Au-delà des accords et alliances formelles pouvant être signés, il s’agira également de conférer aux armées ukrainiennes les moyens de constituer une puissance militaire suffisamment dissuasive pour prévenir tout aventurisme ultérieur de la part de Moscou. Cela suppose donc que les livraisons de moyens de défense à Kyiv devront aller bien au-delà de la fin du conflit, tout comme les efforts de formation des personnels et le soutien budgétaire qui y sont attachés.
Paradoxalement, la Rand exclue d’intégrer l’Ukraine à l’OTAN, estimant que le pays devra conserver une posture neutre garantie par le traité de paix, pour espérer parvenir à un règlement politique de ce conflit.
Cette position est proche de celle soutenue par le Président français Emmanuel Macron et par le Chancelier allemand Olaf Scholz depuis le début du conflit, les deux dirigeants européens ayant été vivement critiqués tant par l’Ukraine que par les européens de l’est pour avoir exprimé de telles positions.
Selon la Rand, l’intégration de l’Ukraine à l’OTAN constituerait une menace perçue pour les dirigeants russes, incompatibles avec l’émergence d’une solution négociée, même si la situation militaire devenait une impasse de part et d’autre. Enfin, il sera nécessaire d’établir un cadre strict pour la levée des sanctions occidentales contre la Russie, une condition également jugée indispensable pour parvenir à un règlement politique du conflit.
La livraison des chars M1A2 Abrams promis par Joe Biden n’interviendra pas avant une année, les blindés américains devant être assemblés dépourvus de certaines caractéristiques confidentielles qui risqueraient de tomber aux mains des armées russes.
Toutefois, l’analyse de la Rand évite soigneusement un aspect critique autour de ce scénario, à savoir l’opposition tant des Ukrainiens que d’une partie des européens à une conclusion politique du conflit, qui par nature supposerait des abandons de territoires par l’Ukraine, même s’il ne s’agit que des territoires sous contrôle russe avant l’entame du conflit en février dernier.
Face aux exactions russes, à Boucha puis dans d’autres localités, et par des frappes stratégiques sur des infrastructures civiles, les positions des autorités ukrainiennes comme de l’opinion publique se sont clairement durcies, et renforcées sur les succès militaires de la fin de l’été 2022, laissant espérer une victoire ukrainienne.
Dès lors, aujourd’hui, en Ukraine comme dans une vaste majorité des opinions publiques d’Europe de l’Est, et dans une partie des opinions publiques européennes occidentales, une telle hypothèse est très difficile à envisager, même si elle représente, très probablement, la meilleure alternative politique et militaire à ce jour.
Si l’on estime que l’analyse de la Rand est pertinente, et elle l’est, la plus grande difficulté pour sa mise en levure sera donc avant tout de convaincre les autorités ukrainiennes, mais également polonaises, baltes ou encore finlandaises, que la destruction des armées russes et la victoire totale ukrainienne n’est pas une alternative crédible, du moins pas sans prendre des risques bien trop importants, et que la libération de l’ensemble du territoire ukrainien, en particulier de la Crimée et probablement d’une partie du Donbass, semble également hors de portée de ses capacités mitaines s’appuyant sur le soutien occidental, alors que les armées américaines, mais également européennes doivent simultanément se préparer à d’autres conflits potentiels tout aussi critiques.
La première étape d’une telle démarche, toutefois, repose bel et bien sur un effort de communication et de planification industrielle majeur, afin de neutraliser les espoirs de Moscou de prendre, à moyen terme, l’avantage militaire sur Kyiv. Cette aide devra avant tout se concentrer sur les moyens en miroir des forces russes, à savoir des blindés lourds, des moyens d’artillerie et de défense anti-aérienne, ainsi que des capacités de frappe tactique, et évitant les scénarios sans substance comme les avions de combat ou les sous-marins.
Pour l’heure, il n’est pas question, ni utile, d’envisager la livraison d’avions de combat occidentaux à l’Ukraine, en dehors des appareils de facture soviétique encore en service en Europe de l’Est. Toutefois, une fois le conflit terminé, la reconstitution des forces aériennes ukrainiennes devra être une priorité des européens comme des américains pour garantir la sécurité du pays.
Dans un second temps, il sera indispensable de faire pression sur les autorités ukrainiennes pour qu’elles acceptent d’adhérer à cet objectif de sortie de conflit politique à moyen terme, mais également de renoncer à jouer de l’opinion publique occidentale contre ses gouvernements pour faire fléchir ces derniers, quitte à s’appuyer sur certaines divisions en Europe.
Surtout, il faudra réussir à mettre en œuvre ces deux aspects ô combien délicats, sur un calendrier particulièrement court, avant que la campagne électorale de 2024 ne débute outre Atlantique, ce qui mettra hors-jeu la Maison-Blanche pendant plus de six mois, et qui pourrait bien accoucher d’un nouveau pensionnaire du bureau ovale.
Dans ce contexte, il serait probablement plus que bienvenu qu’une partie non négligeable de ce plan présenté par la Rand, notamment concernant la planification efficace du soutien militaire à l’Ukraine en parallèle de la montée en puissance des armées européennes, s’appuie précisément sur les grandes puissances européennes, permettant de réduire les risques tout en permettant à la diplomatie US de se concentrer sur la dimension la plus difficile, convaincre les dirigeants ukrainiens et leur opinion publique…
Alors que les premiers effets de la nouvelle stratégie russe se font ressentir, Kyiv pourrait être tenté de viser l’extension du conflit pour répondre à l’irrésistible montée en puissance des armées russes dans les mois à venir.
Que ce soit sur les réseaux sociaux comme sur les chaines d’information continue, les opinions publiques occidentales, notamment en Europe, ont été abreuvées depuis le milieu de l’été, et jusqu’il y a quelques semaines, de la certitude d’une victoire prochaine et rapide de l’Ukraine, s’appuyant sur les succès bien réels de ses armées jusqu’en octobre, et sur un soutien croissant des nations occidentales plus promptes au fil du temps à fournir de l’aide militaire à Kyiv.
Toutefois, dans le même temps, de profonds changements ont été opérés en Russie, changements qui aujourd’hui commencent à radicalement changer la physionomie de ce conflit. En effet, si durant les 6 premiers mois de combat, la stratégie russe s’appuyait sur un engagement tactique d’un corps expéditionnaire qu’elle pensait être dimensionné pour vaincre l’Ukraine, à partir du mois d’aout, les autorités russes entreprirent de basculer vers un conflit stratégique, s’appuyant non plus sur les forces déployées, mais sur l’ensemble des forces dans le pays.
Cette stratégie donna lieu à certaines décisions spectaculaires, comme une première mobilisation de 300.000 hommes et l’extension de la couverture de la conscription. Elle permit surtout de remobiliser et réorganiser les chaines industrielles, de sorte non seulement à palier l’absence de certains composants occidentaux en se tournant vers Pékin et Hong-Kong, mais également de produire à un rythme bien plus soutenu que précédemment certains équipements critiques comme les blindés lourds chenillés, les systèmes d’artillerie ou les missiles à longue portée.
Les conséquences de la nouvelle stratégie russe sur le conflit en Ukraine
L’usine Uralvagonzavod de Nijni taguil tourne désormais en 3×8 pour produire une cinquantaine de chars lourds T-90M, T-73B3M, T80BVM et de véhicules de combat d’infanterie BMP-2M et BMP-3 par mois.
En effet, alors que la Russie est désormais organisée pour encaisser les pertes et les chocs, les moyens à disposition de l’Ukraine sont, quant à eux, on ne peut plus incertains dans la durée. D’une part, en l’absence de capacités de production industrielle à haute capacité, les pays européens ne pourront transférer qu’un nombre limité de blindés et de chars vers l’Ukraine, et au-delà d’un certain seuil que l’on peut penser autour de 400 chars lourds modernes, ce soutien se tarira de lui-même.
En outre, en Europe, mais surtout aux Etats-Unis, les échéances électorales à venir représentent autant de menaces directes au soutien à l’Ukraine, d’autant qu’en accroissant la pression sur les gouvernements pour obtenir davantage de soutien, Kyiv alimente le discours de nombreux partis politiques radicaux plus enclins à la neutralité, voire à une complaisance dissimulée vis-à-vis de Moscou et de Vladimir Poutine. Enfin, l’Ukraine ne dispose pas des ressources humaines suffisantes pour durer indéfiniment face à la Russie, celle-ci venant à effectivement mobiliser l’ensemble de sa population dans cet effort.
Le fait est, cette situation n’a probablement pas échappé à Volodymyr Zelenski comme à son état-major, tous ayant fait la démonstration de leurs capacités à évaluer finement la situation, d’autant qu’ils sont, dans ce domaine, largement soutenus par le renseignement US qui disposent d’une vision très précise des évolutions en cours en Russie, et de leurs conséquences.
Vers une stratégie d’extension du conflit ?
L’Ukraine n’ayant pas la capacité à soutenir un engagement stratégique par elle-même, et ne pouvant s’appuyer de manière certaine sur le soutien occidental dans la durée, bien au contraire, les options de l’exécutif ukrainien sont pour le moins réduites, sauf à s’appuyer sur un atout de taille, le capital de soutien et de sympathie créé au sein d’une grande part de l’opinion publique, en particulier en Europe, dans le but de provoquer une extension du conflit vers ces pays, et donc vers l’OTAN, seule alternative permettant la survie de l’Ukraine face à la stratégie russe aujourd’hui.
Les Leopard 2 qui seront envoyés en Ukraine permettront de durcir un temps la ligne défensive ukrainienne, mais pas de mener une offensive.
Le fait est, l’analyse de la communication ukrainienne de ces dernières semaines, au spectre de cette hypothèse, prend soudain beaucoup de sens. C’est ainsi que l’on a pu observer un glissement sémantique certain, tant de la part de Zelenski que de celle d’officiels européens, laissant supposer qu’une réelle coalition militaire contre la Russie serait à l’œuvre.
Surtout, les exigences croissantes en matière d’équipements, parfois bien au-delà du raisonnable comme lorsqu’il est question de « 200 F-16 », et l’emballement que cela créé sur les réseaux sociaux et les chaines d’information, risquent davantage d’engendrer une extension du conflit, notamment du fait de la réponse russe, que d’apporter un quelconque avantage opérationnel suffisant pour inverser la dynamique stratégique en cours. Rappelons que la Russie dispose de près de 700 chasseurs intercepteurs Su-35, Su-27, Su-30 et Mig-31, d’un grand nombre de systèmes anti-aériens à longue portée et d’une centaine de bombardiers lourds, susceptibles au besoin d’éliminer toutes les bases aériennes sur le sol ukrainien par des frappes saturantes qu’aucun système anti-aérien ne peut contrer.
Et si ces appareils venaient à être mis en œuvre à partir de bases aériennes européennes, précisément pour prévenir ce type de scénario, il ne fait aucun doute que les forces russes frapperont de la même manière, entrainant de fait l’extension du conflit. Quant à l’hypothèse de sous-marins avancée récemment, elle est encore plus absurde, les détroits étant fermés aux navires militaires, et la formation d’un équipage efficace et d’une capacité de maintien en condition opérationnelle s’étalant sur plusieurs années.
Dit autrement, la demande de F-16 formulée par Kyiv à peine celle de chars lourds validée, n’a que très peu de chance d’apporter une plus-value opérationnelle notable, quel que soit le nombre d’appareils envoyés, sauf à ce que ces appareils soient effectivement mis en œuvre par l’OTAN, avec l’ensemble des systèmes de soutien et de communication qui encadrent la guerre aérienne occidentale.
De la même manière, les missiles à longue portée réclamés par Kyiv, au-delà des systèmes d’artillerie en cours d’instruction capables de frapper dans la bande de 200 km autour du front, ne permettraient pas d’apporter une plus-value stratégique déterminante susceptible d’inverser le rapport de force en devenir, sauf à aller directement frapper les infrastructures industrielles russes, comme l’usine Uralvagonzavod de Nijni Taguil, à presque 3000 km des frontières ukrainiennes.
En revanche, la décision de livrer l’un ou l’autre de ces systèmes, peu après celle de livrer des chars lourds, accroit le risque d’extension du conflit, notamment au travers de mesure de rétorsion indirecte russes, comme des sabotages, ou des assassinats ciblés, voire à activer des crises parallèles, comme avec l’Iran, dans le Caucase ou les Balkans.
En confiant la reprise de Bakhmout a Wagner, l’état-major russe a pu préserver une partie de ses forces pour les reconstituer et les reéquiper.
Pour autant, il existe bel et bien une solution qui permettrait effectivement d’éviter l’extension du conflit, tout en neutralisant le basculement stratégique russe. Pour cela, il faudrait, comme nous l’avions déjà abordé, que certains pays européens, en particulier les trois principales économies du vieux continent, Allemagne, Grande-Bretagne et France, entreprennent un effort industriel en miroir de celui entrepris en Russie.
Comment contrôler le risque d’extension du conflit russo-ukrainien ?
Ainsi, il serait nécessaire de rapidement s’engager dans la production de quelque 300 à 400 nouveaux chars par an, ainsi que 400 à 500 véhicules de combat d’infanterie et une centaine de systèmes d’artillerie mobile et lance-roquettes. En procédant ainsi, non seulement Paris, Londres et Berlin pourraient effectivement soutenir dans la durée l’effort de défense ukrainien en transférant l’ensemble des parcs Leclerc, Challenger 2 et Leopard 2 de ces 3 pays (750 chars lourds au total), ainsi que de nombreux VCI Marder, CVR et VBCI et de systèmes d’artillerie CAESAR, Pzh2000 et AS-90 pour les remplacer par les nouveaux systèmes produits, mais une telle capacité industrielle pourrait également permettre à d’autres pays européens de faire de même.
Au-delà du stock hérité, il sera toujours possible de livrer à l’Ukraine des équipements neufs ou très récents, pour neutraliser la production russe. Notons que cet effort ne concerne principalement que les blindés, la production d’avions de combat, hélicoptères et navires de guerre en Europe excédant déjà celle de la Russie.
La mise en œuvre d’un telle stratégie, et même sa simple annonce, portera un coup critique aux ambitions russes, qui ne pourront, dès lors, plus s’appuyer que sur leur avantage démographique pour espérer l’emporter en Ukraine, avantage largement neutralisé par l’avantage technologique des équipements occidentaux comme sur les compétences des armées ukrainiennes, même s’il serait hasardeux de trop s’appuyer sur ce type de certitude pour redéfinir le rapport de force.
De plus, en dimensionnant typiquement la production industrielle européenne vis-à-vis de celle en Russie, et en répartissant cette production entre plusieurs pays, le risque de basculement électoral, ou celui lié à un engagement secondaire des Etats-Unis, seraient sensiblement réduits.
En d’autres termes, toute la stratégie à moyen terme sur laquelle s’appuie aujourd’hui Moscou pour l’emporter en Ukraine, se verrait neutralisée par un investissement annuel de 10 Md€ par an partagé entre ces trois pays, soit moins que ne coutent aujourd’hui les conséquences de cette guerre, tout en sortant ce conflit d’une dimension purement tactique coté ukrainien.
l’EMBT serait un excellent candidat pour constituer le modèle de char lourd conjoint entre la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, alors que le KF-41 armé d’une tourelle 40CTAS serait un parfait candidat pour le véhicule de combat l’infanterie
Conclusion
De toute évidence, des solutions existent pour sortir de la spirale mortifère de l’extension du conflit déclenchée, volontairement ou par désespoir, par Kyiv face à la nouvelle stratégie russe à moyen terme pour s’emparer du pays. Pour cela, il est indispensable qu’une « Europe Puissance » émerge rapidement, au-delà des structures politiques existantes aujourd’hui comme l’OTAN ou l’UE, pour répondre au défi stratégique russe par l’intermédiaire d’une action collective des trois grandes puissances économiques et garantes de la sécurité du vieux continent.
Pour qu’une telle solution soit efficace, elle doit intervenir rapidement, tant en termes d’annonce que de mise en œuvre, et présenter un front uni et solide entre les trois chancelleries, raison pour laquelle il est préférable de ne pas l’étendre à d’autres partenaires européens, tant l’ajout de participants accroit mécaniquement l’instabilité du mécanisme.
Elle permettrait cependant simultanément de priver Moscou de perspectives, et de redonner à Kyiv un point d’appui solide pour espérer faire plier la détermination russe à l’échelle stratégique, tout en engageant des actions militaires tactiques pour libérer le territoire lui-même. N’est-ce pas là une parfaitement application de la maxime « gagner la guerre avant la guerre » employée par le chef d’état-major français, le général Burkhardt, pour présenter le futur de la doctrine française ?
Après la très prolifique classe Type 054A, la Marine Chinoise va bientôt recevoir sa première frégate Type 054B de lutte anti-sous-marine, pour renforcer ses capacités d’escortes en haute mer.
En outre, les nouvelles classes de navires de surface combattants apparues ces dernières années, comme les destroyers lourds Type 055, les destroyers anti-aériens Type 052DL, les navires d’assaut Type 071 ou encore les porte-hélicoptères d’assaut Type 075, n’ont guère à envier aux meilleurs navires américains, japonais, sud-coréens ou australiens en service.
L’une des plus importantes avancées de la Marine chinoise, aura été l’admission au service d’une trentaine de frégates de lutte anti-sous-marines Type 054A en à peine plus de 10 ans entre 2008 et 2019.
Longues de 134 mètres pour un maitre-bau de 16 mètres, les frégates de la classe Jiangkai II selon la classification OTAN, sont en effet des navires spécialisés dans la lutte anti-sous-marine côtière et hauturière, et disposent pour cela de 3 sonars différents : un sonar de coque très efficace par faible profondeur, un sonar H/SJG-206 remorqué passif d’écoute basse fréquence, et un sonar remorqué à profondeur variable H/SJD-311 capable de passer sous la thermocline, cette couche sous-marine caractérisée par un rapide changement de température et de salinité, qui bloque les émissions sonores dans un sens comme dans l’autre.
Le navire dispose également d’un hélicoptère Z-9 dérivé du Dauphin français pour assurer les missions de repérage de cible et de lutte anti-sous-marine, ainsi qu’une panoplie de missiles composée de 8 missiles anti-navires de croisière supersoniques YJ-83, ainsi que de 32 cellules recevant des missiles anti-aériens HQ-16 dérivés du système Buk russe, et des missiles anti-sous-marins Yu-8 inspirés de l’ASROC américain.
À l’instar du destroyer Type 052D dans le domaine anti-aérien, la frégate Type 054A confère à la Marine chinoises des capacités de combat en haute mer dont elle était dépourvue jusqu’il y a peu.
Ce cliché Pléiade du 21/01 montrant la nouvelle frégate en construction a été dévoilé par Tom Shugart sur Twitter
Toutefois, depuis plusieurs semaines, les spécialistes qui scrutent attentivement les clichés satellites de ce chantier naval, avaient observé l’apparition de nouvelles tranches en construction ne correspondant ni à la frégate Type 054A, ni au destroyer Type 052D, ce qui laissait supposer qu’une nouvelle classe de navire de surface combattant était en cours de conception.
Le doute a été levé la semaine dernière, lorsqu’un cliché satellite du 21 janvier révéla la construction d’un nouveau navire de 147 mètres de long, et de 18 mètres de large dans l’une des cales de Hudong, révélant donc la construction d’une nouvelle classe de frégate dans ce chantier naval.
Plus longue et surtout sensiblement plus large de 2 m que les Type 054A actuelles, cette nouvelle frégate devrait, logiquement, avoir également un déplacement sensiblement plus imposant, de l’ordre de 6 000 tonnes en charge, contre 4 000 précédemment, soit celui d’une FREMM de la Marine Nationale.
Ce surplus de largueur lui permettra probablement d’emporter un armement plus conséquent, et notamment les systèmes de lancement verticaux universels qui équipent les destroyers Type 055 et 052DL, ce dernier faisant, lui aussi, 18 mètres de large, ce qui permettra de mettre en œuvre des missiles plus avancés comme le missile anti-aérien à longue portée HHQ-9.
Surtout, ce changement de dimensions permettra très probablement à la nouvelle frégate d’accueillir le nouvel hélicoptère naval Z-20S, inspiré du MH-20 Seahawk américain et dont le diamètre du rotor atteint 16 mètres, offre des performances très supérieures à celles du Z-9, deux fois plus léger, mais également plus compact avec un diamètre de rotor de seulement 12 mètres.
Avec un maitre-bau de 18 mètres, la nouvelle frégate chinoise pourra probablement accueillir le nouvel hélicoptère naval Z-20s qui équipe déjà les destroyers Type 052DL et Type 055
Pour l’heure, il n’existe aucune indication quant à la future classification de cette nouvelle classe. En 2019, l’APL avait communiqué sur l’arrivée prochaine d’une nouvelle classe de frégate désignée Type 054B, qui devait être destinée à renforcer les capacités des 054A déjà en service. Toutefois, avec l’apparition de la crise Covid, toute référence à ce programme disparut aussi bien des communications officielles que des organes de propagandes chinois.
La caractéristique principale de cette frégate Type 054B devait être une propulsion électrique intégrale, comme celle employée sur les destroyers britanniques de la classe Daring Type 045. Il faudra désormais attendre et observer pour en découvrir davantage sur cette nouvelle classe, ses capacités et ses systèmes embarqués.
Toutefois, cette observation satellite montre que le dynamisme de ces dernières années en matière de construction et d’innovation navales de la part de la Chine est loin de ralentir, alors que pas moins de 4 nouvelles classes majeures avaient déjà été lancées ces 3 dernières années (Destroyer Type 055, destroyer Type 052DL, LHD Type 075 et porte-avions Type 003).
Depuis sa première apparition sur les champs de bataille durant la première Guerre Mondiale, le char de combat a fait l’objet tout à la fois d’une extrême fascination pour certains, et d’une totale dénégation pour d’autres. Au fil des conflits, et de l’apparition de nouveaux systèmes d’armes, comme le missile antichar ou plus récemment la munition vagabonde, la fin de la suprématie du char dans le combat terrestre a de nombreuses fois été prophétisée, à l’instar d’autres armements majeurs comme les porte-avions ou les avions de combat.
Cependant, force est de constater aujourd’hui, alors que les tensions géopolitiques ne cessent de croitre, que le marché du char se porte bien, avec plus de 4000 chars lourds vendus à l’exportation pour ces seules trois dernières années, en Égypte, Inde, Pakistan, Pologne, Hongrie ou à Taïwan pour ne citer que les principaux contrats.
Dans le même temps, une nouvelle génération de ces blindés lourds a vu le jour, la plupart du temps sur la base de modèles issus de la fin de la guerre froide dotés de nouveaux systèmes de détection, de protection et une puissance de feu accrue, faisant de ces véhicules l’outil indispensable à toute action terrestre d’envergure de moyenne à haute intensité.
Dans cet article de synthèse en trois parties, nous allons présenter les plus emblématiques des chars de combat modernes, ceux-là mêmes qui pourraient potentiellement supporter l’essentiel des affrontements dans les 15 prochaines années sur la planète, afin d’en comprendre les atouts, mais également les faiblesses, et le rôle déterminant qu’ils sont appelés à jouer durant cette période.
Allemagne : Leopard 2A7+
Le Leopard 2, développé dans les années 70 par la firme allemande Krauss-Maffei Wegmann, est en bien des domaines le char de tous les records dans ce panel. Non seulement fut-il le premier à entrer en service en 1979, mais c’est également le modèle le plus exporté et l’un des plus lourds jamais construits, avec, pour la version A7, une masse au combat dépassant les 65 tonnes.
C’est aussi l’un des chars qui a su le mieux et le plus efficacement évoluer au travers de pas moins de 16 versions, passant de la version initiale de 1979 équipée d’un canon de 105 mm et d’une électronique analogique succincte, à la version ultime A7+ dotée du canon L/55 à âme lisse de Rheinmetall, et d’une électronique et Vetronique embarquée de dernière génération, ainsi que d’une tourelle automatisée FLW200 en lieu et place de l’antique mitrailleuse MG3 initiale.
Long de près de 11 mètres pour une hauteur de 3 mètres et une largeur de 3,70 m, le Leopard 2A7+ est propulsé par un moteur V12 bi turbo-diesel MTU MB 873 Ka-501 de 1480 cv, lui conférant un rapport puissance/poids de 22,8 cv par tonne.
Le blindé peut ainsi atteindre la vitesse maximale de 68 km/h sur route, et franchir des obstacles verticaux de plus de 1,1 m. Son canon L/55 est, quant à lui, considéré comme l’un des plus efficaces du moment, capable de pénétrer 540 mm d’acier à 1000 mètres avec un obus flèche à uranium appauvri M829 et même 560 mm avec l’obus à pénétrateur au tungstène franco-allemand DM43.
Au-delà de ses qualités opérationnelles indéniables, le succès du Leopard 2 allemand s’explique en grande partie par les efforts conjoints de KMW et Rheinmetall pour en permanence faire évoluer le blindé qui aura connu pas moins de 16 versions différentes au fil de ses 40 années de service.
Le Leopard 2 est également très bien protégé, avec un blindage composite alliant micro-céramique, titane et tungstène, sur lequel prennent place des briques de blindage réactif, lui conférant un équivalent blindage de 620 mm d’acier en secteur frontal, et même de 1000 mm pour la tourelle. Ceci explique pourquoi, malgré ses 40 années révolues, il continue de s’exporter sur la scène internationale, la Hongrie ayant annoncé l’acquisition de 44 Leopard 2A7+ et de 12 Leopard 2A4 d’occasion en décembre 2018.
Pour autant, le Leopard 2 n’est pas exempt de certaines faiblesses. En premier lieu, son efficacité au combat n’a jamais été démontrée jusqu’ici, puisque la seule utilisation de Leopard 2A4 enregistrée, lors de l’offensive turque contre les forces kurdes en décembre 2016, s’est soldée par la destruction de plusieurs d’entre eux par des missiles antichars de facture russe Fagot et Kornet, et par la capture de deux exemplaires par l’État Islamique. Cependant, beaucoup de spécialistes mirent en cause la mauvaise tactique turque dans cette opération, et notamment l’absence de soutien d’infanterie, pour expliquer ces pertes.
En second lieu, déplacer une telle masse requiert une importante quantité de carburant, et en dépit des 1.160 litres de ses réservoirs, le Leopard 2 peine à dépasser les 200 km en tout terrain (et en ligne droite…). De fait, le char est avant tout destiné à de lourdes, mais courtes offensives, et à des postures défensives bien préparées, par ailleurs la doctrine de prédilection de la Bundeswehr.
Enfin, en dépit, et surement en raison des nombreuses évolutions qu’à subit le blindé, le char atteint désormais ses limites, notamment en termes de mobilité, les ajouts, par exemple le système de protection actif Trophy, se faisant immanquablement au détriment de celle-ci.
Reste que le Leopard 2A7+ est incontestablement l’un des meilleurs chars de combat jamais conçu, et s’avère être un redoutable adversaire dans des postures défensives ou pour des offensives intenses. L’annonce de son arrivée prochaine en Ukraine, alors qu’une dizaine de pays occidentaux ont abondé à la décision allemande de fournir 14 Leopard 2A6 à Kyiv, marquera incontestablement un baptême du feu très observé de ce char considéré depuis plusieurs décennies comme une référence.
Chine : Type 99A
Lorsque l’on parle des progrès réalisés par l’industrie de défense chinoise ces dernières années, l’attention se porte naturellement vers le domaine aéronautique avec des avions comme le J-20 ou le Y-20, le domaine naval avec les croiseurs Type 055 ou les porte-hélicoptères Type 075, ou dans le domaine des missiles comme le DF41 ou le DF26.
Pourtant, la production de blindés est l’un des domaines les plus dynamiques de cette industrie et les innovations ne cessent d’être présentées, comme le char léger Type 15 conçu spécialement pour évoluer sur les haut-plateaux tibétains.
Et si une part importante du parc de chars de combat de l’APL est encore composé de modèles comme le Type 96, un char moyen de 45 tonnes entré en service en 1997 et dont plus de 3000 exemplaires sont en service, Pékin s’est également doté un char lourd, le Type 99, conçu pour soutenir la comparaison avec les Abrams américains.
Le premier Type 99 est entré en service en 2001, mais il fallut atteindre 2011 pour que la version aboutie de ce char, le Type 99A, rejoigne l’inventaire de l’APL. Ce blindé de 55 tonnes et de 11 mètres de long n’a, en effet, guère à envier à ses homologues occidentaux.
Le Type 99A chinois reprend certains aspects des chars occidentaux modernes comme la tourelle anguleuse liée au blindage céramique composite utilisé, mais également certains aspects traditionnels des chars russes, comme le train de roulement par exemple. Il n’en demeure pas moins, sur le papier au moins, un char parfaitement à niveau de ses homologues occidentaux.
L’armement du Type 99A se compose d’un canon principal de 125 mm à âme lisse ZPT-98 à alimentation automatique capable de tirer jusqu’à huit coups à la minute, permettant à l’équipage de n’être composé que de trois membres, comme pour le Leclerc français. Équipé de la munition flèche DTW-125 TYPE II, ce canon serait capable de percer 700 mm de blindage acier à 1000 m, et 600 mm à 2000 m.
En outre, le canon peut également tirer, comme les chars russes, des missiles antichars d’une portée de 5 km. L’armement secondaire se compose, quant à lui, d’une mitrailleuse coaxiale de 7,62 mm, ainsi que d’une mitrailleuse de 12,7 mm en tourelle manuelle.
Le Type 99A dispose en outre d’une vétronique et d’une électronique de bord très avancée, avec un système de surveillance et détection infrarouge à 360°, une conduite de tir numérique et une interface de combat coopératif, de communication et de positionnement avec un système de carte numérique.
La protection du char, enfin, est assurée par un blindage composite avec sur blindage actif comparable au système ERA russe. Sans que cela soit confirmé par des observations, il semblerait que les Type 99A disposent également d’un système de protection Soft-Kill Hard-Kill, à l’instar du nouveau Type 15. Au final, la protection du Type 99A est considérée comme étant équivalente à celle de l’Abrams M1A2, pourtant 10 tonnes plus lourd.
Contrairement aux armées occidentales, Pékin a fait le choix de se doter d’une force blindée composée de chars légers (ici le Type 15), de chars moyens Type 96 et de chars lourds Type 99/A
Cette faible masse est justement l’un des grands atouts du Type 99A. Propulsé par un moteur turbo-diesel HP150 de 1500 cv, il obtient un rapport puissance/poids de 27 cv par tonne, sensiblement supérieure à celui de l’Abrams ou du Leopard 2. Si sa vitesse de pointe sur route atteint les 76 km/h, c’est surtout sa vitesse en tout terrain de plus de 50 km/h, et son autonomie de 600 km qui lui confère un avantage de taille, notamment en allégeant l’empreinte logistique du blindé en manœuvre.
De fait, le Type 99A peut être aussi bien déployé sur les haut-plateaux himalayens face à l’Inde, que sur des théâtres subtropicaux dans l’hypothèse d’une action dans le Pacifique, avec des atouts notables vis-à-vis de son homologue américain le M1A2 Abrams.
Toutefois, il est important de garder à l’esprit que l’ensemble de ces données sont transmises par le constructeur et les autorités chinoises elles-mêmes, et qu’elles n’ont jamais pu être à proprement parler corroborées d’une manière ou d’une autre. Le char n’étant pas pour l’heure proposé à l’exportation, puisque le VT4 exporté par Pékin est lui dérivé du Type 96, seul l’avenir et d’éventuels engagements pourront déterminer la réelle efficacité du Type 99A.
Israel : Merkava IVM
À l’issue de la guerre du Kippour de 1973, les armées israéliennes prirent conscience de la nécessité de concevoir rapidement un nouveau char lourd adapté à leurs besoins spécifiques pour remplacer les Centurion et M60 qui avaient payé un lourd tribu face au T-62 et aux nouveaux missiles antichars AT2 mis en œuvre par les armées égyptiennes et syriennes.
Le Merkava, entré en service en 1979, fut conçu sur la base de ce douloureux retour d’expérience, mais s’imposa rapidement comme un tank exceptionnel sur le champ de bataille. Au fil des années, le blindé évolua jusqu’à la version Mk IV entrée en service en 2004, et l’ultime version Mk IVM entrée en service en 2011.
Le nouveau char fit, lui aussi, rapidement la preuve de son efficacité, que ce soit lors des interventions de l’armée israélienne dans la bande de Gaza en 2010 et 2011, ou lors de l’opération Protective Edge de 2014, en n’enregistrant la perte d’aucun char malgré les très nombreux missiles et roquettes qui les ont visés.
En effet, l’une des avancées majeures du Mk IV réside dans son système de protection actif Trophy conçu par la société Rafael, un système conçu pour détecter et intercepter les roquettes et les missiles visant le char avant que celles-ci ne l’atteignent. Depuis, le Trophy a été choisi par plusieurs autres armées, y compris l’US Army et la Bundeswehr comme solution de transition pour protéger leurs chars Abrams et Leopard 2 dans l’attente d’une solution nationale.
A l’issue de la guerre du Kippour, l’Armée israélienne constata que la majorité des impacts de missiles et de roquettes qui avaient détruit ses chars était située sur la tourelle. La tourelle du Merkava, surbaissée et au blindage très incliné, en est la conséquence.
Mais le Trophy n’est pas la seule innovation du Merkava Mk IV. En effet, le char s’est vu doté d’une nouvelle Vetronique et du système de communication et de commandement BMS de la société ELBIT couplés à de nouveaux systèmes de détection et de visualisation, offrant à l’équipage une vision intégrale autour du blindé et d’excellentes capacités pour coordonner leurs forces, y comprit avec les drones.
Le char a également reçu un nouveau canon de 120 mm avec chargement semi-automatique, de nouvelles chenilles, ainsi qu’un système de cloaking partiel destiné à confondre les missiles à guidage infrarouge. Malgré l’ensemble de ces ajouts, la masse au combat du Mk IV ne s’éleva que de 1,5 tonne vis-à-vis du Mk III pour atteindre tout de même 65 tonnes.
On voit sur cette photo du Merkava Mk IVM les radars du système Trophy de part et d’autre de la tourelle. Au total, 4 radars assurent une couverture à 360° pour détecter toutes les menaces
En revanche, là ou le Mk III et les modèles précédant ne disposaient que d’un moteur 900 à 1200 cv, le Mk IV a reçu un nouveau moteur MTU883 turbo-diesel à refroidissement par eau de 1500 cv, lui conférant un rapport puissance/poids de 23 cv par tonne, contre 15 cv par tonne pour le Mk I.
Pour faire bonne mesure et conserver l’autonomie théorique de 500 km, le réservoir a quant à lui été porté de 1.100 à 1.400 litres. À noter que comme tous ses prédécesseurs, le Merkava Mk IVM peut emporter jusqu’à six fantassins sous blindage à l’arrière du blindé.
De manière étonnante, le Merkava ne s’est jamais exporté, en dépit de ses succès opérationnels indéniables, et de son prix attractif, puisque Tel Aviv proposait à la Colombie en 2014 d’acquérir entre 25 et 40 de ces chars pour seulement 4,5 m$ l’unité, à comparer aux 15 m$ des Leopard 2 et Abrams. Il n’en demeure pas moins vrai qu’il reste à ce jour l’un des tout meilleurs chars lourds du moment, et l’un des rares à avoir fait ses preuves au combat de manière aussi intense.
France : Leclerc MLU
En matière de blindés, la France a, depuis de nombreuses décennies, suivi une posture relativement originale pour un pays occidental. À l’instar de l’Union Soviétique, Paris privilégiait en effet des blindés plus légers, mais surtout beaucoup plus mobiles, face aux chars lourds américains, britanniques puis allemands. Déjà, avec l’AMX30, l’Armée de Terre s’était dotée d’un char d’à peine plus de 35 tonnes, alors que le M60 américain dépassait les 46 tonnes, et le Cheftain britannique les 55 tonnes.
Il en alla de même pour le Leclerc, entré en service en 2001, qui marquait 55 tonnes sur la balance là où le Leopard 2 affichait 63 tonnes et l’Abrams américain 65 tonnes. A sa sortie, le nouveau char Leclerc développé par le groupe GIAT (devenu Nexter) était considéré comme l’un des tout meilleurs chars du moment, voire le meilleur selon certain. Long de 10m61 pour une hauteur de 3m, il avait été conçu pour une mission, détruire les T80 soviétiques dans les plaines allemandes.
Et avec son canon stabilisé de 120 mm CN-120-26 à chargement automatique capable de faire feu en mouvement à une cadence de 12 coups par minute, son blindage composite de nouvelle génération, et son moteur diesel couplé à une turbine à gaz faisant office de turbo développant 1500 cv, il affichait un rapport puissance/poids de 27 cv par tonne, là où ses homologues américains, allemands ou britanniques de l’époque peinaient à atteindre les 23 ou 24 cv par tonne et à tirer plus de 6 coups par minutes en position statique.
Dans sa version AZUR dédié au combat urbain, le Leclerc est équipé d’un sur blindage réactif et de grilles de protection pour se protéger des roquettes antichars, ainsi que d’une mitrailleuse en tourelleau automatique permettant de traiter la menace d’infanterie sans exposer le chef de char.
De fait, le Leclerc était tout à la fois très bien armé, bien protégé et très mobile, avec une autonomie de 500 km en réservoir interne de 1200 litres. Il n’avait qu’un immense problème, son calendrier. En effet, le nouveau char français, sorti 20 ans après le Leopard 2 allemand, et surtout 10 ans après la chute du mur de Berlin, arriva sur le marché alors que celui-ci avait disparu, emporté par les bénéfices de la paix, et que de nombreux pays démantelaient purement et simplement leurs flottes de chars.
Même la France, qui devait initialement commander 1.500 chars en 1986, puis 650 en 1993, ramena sa commande à 406 chars en 2001, pour au final n’en conserver que 220 en service aujourd’hui. Les Émirats Arabes Unis, seul client à l’exportation du char français, acquirent pour leur part 388 blindés.
Les déboires du Leclerc ne s’arrêtèrent pas pour autant. En effet, contrairement aux Leopard 2 allemands, ou aux Abrams américains, le Leclerc évolua très peu depuis son entrée en service, si ce n’est pour recevoir le Kit AZUR (Action en Zone Urbaine) intégrant, notamment, un sur blindage réactif et une mitrailleuse en tourelleau automatique.
Dans le cadre de son effort de modernisation lié au programme SCORPION, l’Armée de Terre a annoncé, en 2019, qu’elle moderniserait, à partir de 2021, 200 de ses Leclerc, ceux-ci devant assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée des nouveaux chars lourds conçus conjointement avec l’Allemagne dans le cadre du programme MGCS au-delà de 2035.
Malheureusement, contrairement au Challenger 3 britannique, les Leclerc MLU (Mid-Life Update) ne verront qu’une partie de leurs obsolescences traitée, et ne recevront pas, par exemple, de système de protection active Hard-Kill pourtant aujourd’hui considéré comme essentiel à la survivabilité du blindé sur un champ de bataille de haute intensité.
En revanche, ils recevront les composants du système de commandement et de coopération SCORPION, leur permettant d’interagir au mieux avec les nouveaux EBRC Jaguar et VBMR griffon et Serval qui constituent la nouvelle gamme de blindés du segment Médian de l’Armée de Terre. Reste qu’au final, le Leclerc apparait aujourd’hui comme une réelle occasion gâchée pour la France de s’imposer, en ayant fait preuve plus d’anticipation et d’une plus grande détermination, sur le marché des chars de combat, avec une offre différenciée de ce que proposent les autres pays occidentaux, Allemagne et États-Unis en tête.
Fin de la première partie – La seconde partie présentera l’Abrams M1A2C américain, le Challenger 3 britannique et les T90M et T14 Armata russes.
Après que l’on a presque annoncé leur disparition programmée avec l’apparition de nouveaux systèmes d’arme, les chars lourds redeviennent un marqueur clé de la puissance militaire d’une force armée, et ce, sur l’ensemble des théâtres. Cet article est le second d’une série de trois destinée à présenter les principaux modèles de chars de combat modernes qui équipent ou équiperont les forces armées dans le monde.
Un premier article a présenté le Leopard 2 allemand, le Type 99A chinois, le Merkava Mk IV israélien et le Leclerc Français. Celui-ci présente le M1A2C Abrams américain, le Challenger 3 britannique et les T-90M et T-14 Armata russes. Un dernier article présentera l’Atlay turc, le K2 Black Panther sud-coréen, le Type 10 japonais et le C1 Ariete Italien.
Etats-Unis : chars lourds M1A2C Abrams
En 1972, à la sortie de la Guerre du Vietnam, les armées US étaient exsangues, handicapées par 10 années d’investissements sur un théâtre spécifique, et nombre de ses équipements terrestres comme aériens, ne proposaient plus de plus-value significative face à leurs équivalents soviétiques. C’était notamment le cas du char M60 Patton, dérivé du M48 et en service depuis 1960, mais qui, en bien des domaines, était surpassé par le T-64 soviétique, ainsi que par le nouveau T-72 qui entrera en service en 1973.
Pour y faire face, et non sans de grandes difficultés, l’US Army engagea un super programme qui sera désigné BIG 5, et qui donnera naissance à 6 des matériels les plus performants des années 80 : le Véhicule de combat d’Infanterie M2/M3 Bradley, le canon automoteur M108/109, le système anti-aérien Patriot, les hélicoptères AH-64 Apache et UH-60 Black Hawk, ainsi que le plus symbolique de tous, le char lourd M1 Abrams.
Rompant avec la doctrine de simplicité héritée du M4 Sherman, et perpétuée par le M48 et le M60, l’Abrams était tout à la fois un monstre roulant, un concentré de technologie, et disposait d’une puissance de feu égalée du seul Leopard 2 allemand à cette époque. Il fit la démonstration de cette puissance lors de la première guerre du golfe, en prenant un ascendant très net sur les T62 et T72 irakiens, détruisant la majorité des chars rencontrés pour des pertes minimes, en grande partie liées à des tirs venant d’autres Abrams ou de missiles HOT de M2 Bradley.
La première version du M1 Abrams était équipée d’un canon de 105 mm à l’instar de la majorité des chars de combat des années 60 et 70
Le char américain subit plusieurs phases de modernisation successives, la première en 1984 le dotant d’un canon de 105 mm plus long et plus performant, la seconde, en 1988, l’équipant du canon de 120 mm M256 dérivé du L44 de Rheinmetall qui équipait le Léopard 2, pour donner naissance au standard M1A1 (celui-là qui combattra lors de la Guerre du golfe).
Quelques années plus tard, la version M1A2 fit son apparition, consistant principalement dans une transformation du système électronique de bord pour une version entièrement numérique, incluant de nouvelles capacités de détection et de visualisation, l’intégration native du positionnement par GPS, et la mise en place d’un bus numérique. Cette structure permit au M1A2 d’évoluer rapidement, au travers de System Enhancement Package (SEP), correspondant en grande partie dans des évolutions logicielles et de systèmes.
La version M1A2 SEP2 s’est vue doté d’un tourelleau automatique pour mitrailleuse, de nouveaux écrans et de nouvelles interfaces. La dernière version, le M1A2 SEPv3, parfois désigné M1A2C, entrée en service à partir de 2017, a vu ses capacités réseaux et de communication grandement améliorés, sa production électrique sensiblement accrue, les capacités de son FLIR améliorées, et sa protection renforcée par l’ajout de nouvelles tuiles de blindage actif ARAT, et surtout la possibilité d’être équipé du système Hard-Kill Trophy commandé par l’US Army auprès de l’israélien Rafael.
Le M1A2SEPv2 équipé du système hard-kill Trophy lors des essais menés par l’US Army. Remarquez les radar du système Trophy de part et d’autre de la tourelle
Tous ces ajouts n’ont pas été faits sans contrepartie, le poids du char étant progressivement passé de 55 à 67 tonnes au fil des années, ajoutant d’importantes contraintes à la turbine à gaz Honeywell AGT 1500 de 1500 cv qui propulse le blindé. Son prix est également passé de 8,5 m$ (tarif corrigé de l’inflation) à plus de 15 m$ pour la version M1A2 SEPv3, en faisant l’un des chars les plus onéreux du moment. Mais la plus grande faiblesse de l’Abrams reste sa consommation pantagruélique, limitant son autonomie sur route à 400 km malgré un réservoir de 1900 litres, soit le double de la consommation d’un T90M ou d’un Leclerc.
En outre, le blindé est réputé complexe à entretenir, et nécessite une logistique lourde et parfaitement rodée pour être utilisé à son plein potentiel. En revanche, une fois ces conditions remplies, il demeure l’un des plus puissants chars de combat du moment, ceci expliquant ses récents succès commerciaux à Taïwan ou en Pologne, deux pays particulièrement exposés.
Royaume-Unis : char Challenger 3
Depuis le Cheftain entré en service à la fin des années 60, les armées britanniques ont toujours privilégié les chars de combat lourds, voire très lourds, même si leur mobilité devait en pâtir. Ainsi, le Cheftain ne disposait que d’un moteur de 720 cv pour déplacer ses 55 tonnes, et le Challenger 2, entré en service en 1998 et évolution radicale du Challenger 1 avec lequel il ne partage que 5% des pièces, ne disposait que d’un moteur de 1200 cv pour une masse au combat allant de 65 à plus de 70 tonnes.
Pour autant, les chars britanniques ont toujours été de redoutables adversaires sur le champ de bataille, notamment du fait d’un blindage composite très avancé Chobham puis Dorchester, et de leur grande puissance de feu.
En revanche, et comme leurs homologues européennes françaises ou allemandes, les armées britanniques ont vu leur parc de chars lourds se réduire comme peau de chagrin à partir de 2000, au point que lors des travaux préparatoires concernant le Livre Blanc 2021 sur La Défense, de nombreuses rumeurs circulèrent selon lesquelles les quelque 165 Challenger 2 qui arment aujourd’hui les 3 bataillons cuirassiers de la British Army, seraient purement et simplement supprimés.
Le Challenger 3 sera l’un des chars les mieux protégés pendant les 10 années durant lesquels il devra assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée de son remplaçant à partir de 2035
Finalement, il n’en fut rien, et Londres prit même le contre-pied de cette rumeur, en annonçant qu’elle se doterait d’un nouveau char, le Challenger 3, dont 148 exemplaires armeraient les unités de la British Army jusqu’au milieu des années 2030 et l’arrivée d’un char de nouvelle génération (on parle beaucoup du MGCS). Et si le Challenger 3 est effectivement une modernisation des Challenger 2 existants, les autorités britanniques n’ont pas hésité à mettre les investissements nécessaires pour amener le nouveau blindé aux meilleurs standards actuels, avec un investissement total de 800 m£, soit près de 50% de plus que les couts d’acquisition initiaux des 148 chars qui seront modernisés.
Contrairement au 200 Leclerc Scorpion de l’Armée de Terre qui, avec une enveloppe de 350 m€, ne verront qu’une partie de leurs obsolescences traitée, les Challenger 3 seront, à proprement parler, des chars entièrement revisités, et dotés de capacités très avancées, avec notamment une nouvelle tourelle numérisée et un nouveau canon L55 à chargement automatique fournis par Rheinmetall, un blindage renforcé incluant un système hard-kill Trophy de l’israélien Rafael en standard, et un nouveau moteur de 1500 cv pour déplacer les 74 tonnes du nouveau chars, ainsi qu’une nouvelle Vetronique et d’un nouveau système de visé numérique permettant au Challenger 3 de demeurer le redoutable Hunter Killer qu’il est, même face aux meilleurs chars adverses.
De fait, la combinaison de l’ensemble de ces modernisations permettra à la British Army de compenser en partie le faible nombre de chars lourds dont elle dispose, par des blindés d’une survivabilité avancée, capables de traiter des cibles à grande distance, et, qui plus, mieux à même d’évoluer en coalition notamment avec le nouveau canon L55 qui peut tirer tous les obus de l’OTAN, ce qui n’était pas le cas du canon rayon rayé L30A1 du Challenger 2.
En revanche, comme les Abrams et les Leopard 2, le Challenger 3 nécessitera une logistique très importante, son réservoir de 1600 litre ne lui offrant qu’une autonomie limitée en tout terrain. On note, à ce titre, qu’à l’instar du programme SCAF, les positions et attentes britanniques et allemandes dans le domaine des chars lourds semblent bien plus convergentes que ne le sont les positions françaises et allemandes. On comprend dès lors le rapprochement effectué par Berlin et Londres au sujet du programme MGCS.
Russie : char T-90M
Si le char moderne en devenir russe est le T-14 Armata, Moscou a également, comme ses homologues occidentaux, pris le parti de moderniser son parc de chars de combat hérité de la période soviétique et post-soviétique. C’est ainsi que furent développés les T-72B3 et B3M, et le T80 BVM, deux modèles en outre largement disponibles dans les stocks de blindés sous cocon de l’Armée russe. Mais face aux couts excessifs du T80, ainsi qu’à ses piètres performances opérationnelles, l’État-Major entrepris, dès la fin des années 80, de développer une nouvelle version d’un char simple et robuste dérivé du T-72, le T-90.
Pour autant, elle n’en commanda que 400 exemplaires, au standard T-90A, des chars qui ont longtemps formé le fer de lance de la force de frappe blindée de Moscou. En 2017, la société uralvagonzavod, qui produit également le T-14 Armata, présenta une nouvelle version du T-90, désignée T-90M Proryv-3 (percée 3), un char destiné à évoluer aux côtés du T-14 tout en étant plus économique et plus simple à mettre en œuvre.
Le T-90M constitue une version de transition entre les technologies employées sur les chars de génération précédente T72, T80 et T90A, et le T-14 Armata. Remarquez la mitrailleuse en tourelleau adaptée pour le combat urbain.
Pour cela, elle dota son nouveau char de nombreuses technologies empruntées au T-14, dont le canon à chargement automatique de 125 mm à âme lisse 2A82-1M plus long et plus puissant que le 2A46M-5 qui équipe les autres modèles russes, et capable de tirer des munitions plus performantes. Le système de visée et de conduite de tir du T-90M est également dérivé de celui de l’Armata, lui offrant des capacités de Hunter Killer avancée. Même le blindage fut revu, intégrant le sur-blindage réactif Relikt.
Il pourrait également être doté du système Hard-Kill Arena-M, moins performant, mais plus léger que l’Afghanit de l’Armata. Ces évolutions firent également croitre la masse au combat du T-90M, qui passa de 48 à 50 tonnes, tandis qu’il recevait un nouveau moteur de 1300 cv de sorte à maintenir un rapport puissance/poids de 26 cv par tonne.
Mais le plus grand atout du T-90M reste son prix, estimé à 3 m$ dans sa version destinée aux armées russes, soit 2 fois moins cher que le T-14 Armata, et plus de 4 fois moins cher que les Abrams ou Leopard 2 occidentaux. Ceci explique le succès de cette plate-forme sur la scène internationale, l’Inde ayant commandé 464 T-90MS Bishma supplémentaires en 2020, et l’Egypte 500 T90S la même année, en dépit des menaces liées à la législation CAATSA américaine.
En Russie, les 400 T90A en service sont progressivement transformés au standard T90M, mais, bien que cela relativement confus (probablement à dessein) dans la communication de Moscou, il semble que de nouveaux exemplaires aient également été produits par uralvagonzavod. Le T-90M a été engagé en Ukraine, et malgré des pertes documentées, il paraît s’être effectivement montré sensiblement plus performant que les T72 et T80 évoluant à ses côtés. Aujourd’hui, le char est à nouveau activement produit par Uralvagonzavod, de l’ordre de 15 à 20 nouveaux chars par mois.
Russie : char T-14 Armata
Présenté pour la première fois en public lors de la parade du 9 mai 2015, le T-14 Armata fit grand bruit dans les milieux de La Défense. Non seulement était-ce le premier nouveau char présenté depuis près de 25 ans, mais il présentait tous les attributs de ce qui pourrait constituer la prochaine génération de ce type de blindé. Depuis, en revanche, le programme a accumulé les retards, avec une entrée en service repoussée régulièrement d’une année depuis 2018, alors que les premiers exemplaires de pré-série à fin d’expérimentation n’ont été livrés que cette année aux armées russes.
Pour autant, et à l’instar du chasseur furtif Su-57, des sous-marins Iassen-M et Borei-A, des frégates Admiral Gorshkov et des missiles hypersoniques Kinzhal et Tzirkon, le T-14 Armata marque indubitablement le retour de la Russie aux premiers rangs des grandes nations technologiques militaires, si tant est qu’elle a jamais vraiment quitté ce podium.
La presentation officielle du T-14 Armata aux cotés de nombreux autres blindés de nouvelle génération (T-15, Kurganet-25, Boomerang) fut le moment fort de la parade célébrant le 70ème anniversaire de la victoire sur l’Allemagne Nazie le 9 Mai 2015
En bien des points, le T-14 s’éloigne de la conception traditionnelle des chars soviétiques et russes qui marquèrent la seconde guerre mondiale et la guerre froide avec des modèles comme le T-34, le T-54/55, le T-62/64, le T-72 et le T-80, des chars réputés simples, fiables et peu couteux, et dont la pérennité sur les champs de bataille (certains T-64 sont encore dans les unités de première ligne de nombreux pays) a démontré le bienfondé.
Mais pour tenir tête aux monstres blindés que sont les Abrams, Leopard 2 et Challenger de l’OTAN, Moscou décida de faire certaines concessions dans la conception du T-14. Ainsi, la technologie est omniprésente à l’intérieur du char, avec une tourelle entièrement robotisée armée d’un canon de 125 mm à âme lisse à chargement automatique, et l’équipage de trois hommes qui prend place dans une capsule de pilotage et de survie à l’avant du char équipée d’une vétronique très évoluée, et de nombreux systèmes de détection et de communication.
En outre, le char est remarquablement bien protégé, grâce à un blindage composite avancé expliquant ses formes anguleuses à l’instar des blindages occidentaux, et surtout au système Hard-Kill Afghanit, donné pour protéger de toutes les menaces qui viseraient le char.
Bien évidement, ces choix eurent de sérieuses contreparties. En premiers lieux desquelles, le poids, puisque le T-14 affiche 55 tonnes sur la balance, 5 tonnes de plus que le T-90M, et presque 10 tonnes de plus que le T-72B3, nécessitant un moteur turbo-diesel de 1200 cv avec capacité de surpuissance à 1500 cv en combat, ceci se faisant au détriment de la longévité du moteur.
En outre, son développement technologique aura été long et fastidieux, et ce, d’autant qu’il intervint principalement alors que la Russie faisait face aux conséquences des sanctions occidentales suite à l’annexion de la Crimée, et que les cours des hydrocarbures étaient au plus bas, réduisant d’autant les capacités budgétaires des armées russes. Enfin, le char est cher, selon les standards russes, puisque le T-14 de pré-série coute 500 millions de roubles à fabriquer, 5 m€ au change actuel, soit le double du T-90M et le triple du T-72B3M, même si le constructeur estime que la production en série qui débutera en 2022 permettra de réduire ces coûts.
La capsule de pilotage et de survie du T-14 Armata n’a que peu de rapport avec l’habitacle des chars de génération précédente
Selon la planification annoncée par Moscou, les Armées russes devraient aligner, d’ici à 2027, 500 T-14 Armata qui évolueront aux côtés de 400 T-90M et de plus de 2000 T72B3M et T80BVM modernisés, au sein des unités d’active russes. Si tant est que le T-14 soit effectivement produit à ce rythme, soit 60 à 70 exemplaires par an, et que la fiabilité du char est satisfaisante, l’arrivée de cette force de frappe constituera un nouveau défi pour les forces armées de l’OTAN, qui ne disposeront que de versions modernisées de leurs Abrams, Leopard 2, Leclerc, Challenger ou Ariete pour y faire face, qui plus est en quantité limitée.
Dans ce contexte, les Armata russes pourraient bien devenir le cauchemar des unités blindées de l’OTAN, au moins jusqu’à l’arrivée des chars de nouvelle génération comme le MGCS, ce qui n’arrivera pas avant 2035, et même au-delà selon toute probabilité. La production de T-14 est, à ce jour, limitée, on parle de 10 exemplaires effectivement livrés.
Toutefois, selon la communication russe (à prendre donc avec précaution), il semble que Moscou envisage de déployer ce char en Ukraine. Rien n’indique cependant qu’un effort particulier ait été entrepris pour produire davantage de T-14, l’effort industriel russe se portant, aujourd’hui, sur des modèles plus rapides à concevoir comme le T-72B3M, le T80BVM, le T90M et même le T62M, plutôt que sur le complexe et onéreux Armata.
Fin de la seconde partie. La troisième et dernière partie porte sur le char sud-coréen K2, l’Altay turc et le Type 10 japonais.
On le disait dépassé ou trop vulnérable, pourtant les chars de combat connaissent ces dernières années un regain d’intérêt remarquable de la part des grandes armées mondiales. Après avoir présenté les principaux chars occidentaux, russes et chinois dans les deux précédents articles, nous allons, dans cette ultime analyse, nous intéresser à des modèles moins connus, et pourtant performants et prometteurs, sur la scène opérationnelle comme dans le domaine de l’exportation.
Place aujourd’hui au K2 Black Panther sud-coréen, à l’Atlay turc, au Type 10 japonais et au BM Oplot ukrainien.
Corée du Sud : K2 Black Panther
Considéré par de nombreux spécialistes comme le char le plus moderne et le plus attractif du bloc occidental, le K2 Black Panther a pourtant eu un développement difficile, et certains de ses éléments, notamment sa transmission et son moteur, sont encore en cours de fiabilisation.
Le développement du K2 débuta en 1995 pour remplacer les chars M48 Patton obsolètes des forces armées sud-coréennes, et s’est appuyé sur un premier modèle de char de conception locale, le K1-88 développé sur une base de Chrysler XM1, modèle qui servit de base à la conception du M1 Abrams américain.
Il s’agit, avec le Type 10 japonais et de l’Altay turc, d’un des seuls modèles de char occidentaux qui ne soit pas une évolution d’un modèle plus ancien, comme dans le cas des Leopard 2A7 allemands ou Abrams M1A2C américains. Long de 10,8 mètres pour une masse au combat de 55 tonnes, le K2 est un char plutôt léger en comparaison de ses homologues européens ou américains.
Rapide, agile et bien protégé, le K2 Black Panther Sud-Coréen est considéré comme un char très équilibré et moderne, capable de soutenir tous les types d’engagement du moment.
Par sa facture récente, le K2 dispose de nombreuses technologies parfaitement modernes. En premier lieu, son blindage composite MIL-12560H lui confère une protection de base similaire à celle des autres chars lourds, bien que plus légère. En outre, il emporte une panoplie complète de systèmes défensifs complémentaires, allant des briques de blindage réactif aux systèmes soft-kill et hard-kill de facture locale, nativement intégré au blindé, et non ajouté comme pour les chars occidentaux.
Son armement est également parfaitement à niveau, avec un canon à âme lisse de 120 mm CN08 et un système de chargement automatique permettant de soutenir une cadence de tir de 10 coups par minute comparable à celle du Leclerc français, référence en la matière.
Outre les traditionnels obus flèche, à charge creuse ou brisant, le canon peut aussi tirer un missile désigné KSTAM d’une portée de 8 km, suivant une trajectoire parabolique avant de déployer un parachute afin de repérer sa cible avec un autodirecteur mixte infrarouge et radar, et venir la frapper par le dessus, à l’instar des obus BONUS franco-suédois.
L’équipage de 3 hommes dispose d’un système de détection et de visée des plus modernes, alliant les traditionnels systèmes vétronique infrarouge et le télémètre laser à un radar très haute fréquence, permettant au char d’accrocher des cibles jusqu’à près de 10 km, si tant est qu’une ligne de visée soit disponible.
À l’instar du Leclerc, le K2 peut ainsi faire feu avec une grande précision en déplacement, tout en conservant une cadence de tir élevée. Le système est conçu pour que le char puisse rester opérationnel avec un équipage de seulement deux personnels, contre 3 en dotation normale.
Ce défaut n’a semble-t-il pas été rédhibitoire sur la scène internationale, puisque la Pologne a commandé il y a quelques mois plus de 1000 de ces chars, aux côtés de canons automoteurs K9 et de lance-roquettes multiples K239, avec un important transfert industriel et de technologie.
Trois mois à peine après que la commande fut signée, les premiers K2 destinés aux forces polonaises étaient livrés, alors qu’un second lot arrivera en février à Varsovie. Le potentiel industriel sud-coréen, dans le contexte actuel suite à l’emballement des tensions après l’attaque russe sur l’Ukraine, constitue aujourd’hui, aux côtés des qualités incontestables du Black Panther, un atout remarquable pour ce modèle, y compris en Europe.
Japon : chars de combat Type 10
Par sa faible exposition internationale, et notamment son absence des compétitions internationales, la production japonaise de blindés est le plus souvent ignorée d’une grande partie du public. Pourtant, les entreprises nippones ont produit, au fil de ces dernières décennies, de nombreux modèles de blindés performants, y compris en matière de char de combat. Entré en service à partir de 2012, le char de combat Type est l’un d’eux, et le plus léger des chars de combat occidentaux.
Avec une masse au combat de moins de 48 tonnes, le Type 10 devait avant tout épauler les Type 90 déjà en service tout en étant 10 tonnes plus léger que ce dernier, et en offrant des performances opérationnelles supérieures.
Le pari a été réussi par Mitsubishi Heavy Industry qui développa le Type 10, et réussi à conférer au blindé une protection et une puissance de feu au moins aussi efficace que celles de son ainé, tout en le dotant d’une mobilité considérablement accrue grâce à un rapport puissance poids de 27,7 cv par tonne. Cette faible masse permet également au char de parcourir 650 km sur les seuls 880 litres de son réservoir interne, un record en la matière.
Par ses faibles dimensions, sa masse réduite et sa suspension adaptative, le Type 10 offre aux armées nippones un blindé parfaitement adapté à leur besoin ainsi qu’à leur géographie.
Le Type 10 met en œuvre un classique canon de 120 mm à âme lisse et à chargement automatique permettant de soutenir une importante cadence de tir même en mouvement, et pouvant tirer les principaux obus en service, y compris les obus flèche. En revanche, l’armement secondaire ne se compose que d’une mitrailleuse coaxiale de 7,62 mm et d’une mitrailleuse en tourelle de 12,7 mm actionnée par le chef de char.
Le blindage modulaire faisant appel à de nouveaux méta-matériaux et offrant une importante protection, le char ne dispose pas de système hard-kill. L’absence de ces deux systèmes le rend peu adapté pour des engagements urbains. En revanche, sa très grande mobilité en font un excellent blindé de cavalerie.
Le train propulsif et de roulement du Type 10 sont, quant à eux, en de nombreux points innovants. Ainsi, le moteur Diesel Mitsubishi 8VA, qui offre une puissance de 1200 cv, accepte de nombreux types de carburant, y compris les carburants aviation. La transmission s’appuie, quant à elle, sur un système hydromécanique pour distribuer la puissance au travers d’une boite de vitesse à 6 rapports, 3 pour la marche avant, et 3 pour la marche arrière.
La suspension oléopneumatique permet au char de contrôler son assiette et son tangage, offrant au char une grande souplesse dans la prise de couvert comme dans le franchissement d’obstacle. Eut égard au contexte particulier d’utilisation, et à la géographie nippone, le Type 10 semble, en bien des aspects, parfaitement adapté à sa mission.
Ukraine : T-84 BM Oplot
Basé sur le T-80UD alors construit par l’usine de Kharkiv, le T-84 résulte d’un effort de Kiev de prendre son indépendance vis-à-vis de l’industrie de défense russe suite à l’indépendance de l’Ukraine. Présenté pour la première fois en 1994, le T-84 est entré en service dans les armées ukrainiennes à partir de 1999. Le T-84 Oplot-M, également désigné BM Oplot, représente l’ultime version de char de combat de 9,1 mètres et de 51 tonnes au combat, et intègre de nombreuses modernisations vis-à-vis des modèles précédents.
Son armement se compose d’un canon de 125 mm à âme lisse KBA-3 capable de tirer aussi bien des obus flèche que des munitions à charge creuse ou brisantes, ainsi qu’un missile antichar à guidage laser équipé d’une charge creuse en tandem d’une portée de 5 km. Le canon est alimenté par un système de chargement automatique d’une capacité de 28 obus, alors que 18 obus supplémentaires sont positionnés dans un caisson sécurisé accessible par l’équipage.
Le T84 BM Oplot est le char le plus puissant de l’arsenal ukrainien
Les systèmes de visée et la vétronique qui équipent l’Oplot sont conventionnels, avec un système de visée avec voie infrarouge, mais présente la particularité de pouvoir être utilisés pour engager des cibles aériennes à courte portée avec la mitrailleuse lourde de 12,7 mm en tourelleau.
S’il ne dispose pas de système hard-kill, l’Oplot-M peut recevoir un surblindage réactif Duplet conçu pour contrer non seulement les munitions à charge creuse, mais également les obus flèche, et dispose la panoplie soft-kill complète du système Warta, intégrant des détecteurs de visée et de tir, des systèmes de brouillage, des leurres infrarouges et des lance-pots fumigène pour masquer sa présence aussi bien dans le spectre visible qu’infrarouge.
Il est propulsé par un moteur diesel KMBD 6TD2 à 6 cylindre de 1200 cv lui conférant un excellent rapport puissance poids de 26 Cv par tonne, et une bonne mobilité. Malgré son poids relativement faible, et un réservoir de 1300 litres, son autonomie reste cependant limitée à 500 km.
Ainsi armé, l’Oplot s’est montré parfaitement à niveau du T-90S lors de la compétition organisée par la Malaisie en 2003, bien que Kuala Lumpur lui ait préféré le PT-91M polonais au final. La Thaïlande, en revanche, s’est portée acquéreuse de 49 T-84 en 2011. Malgré ses performances, les armées ukrainiennes ne mettent en œuvre qu’une poignée d’Oplot, les contraintes budgétaires ayant amené Kyiv à privilégier la modernisation de modèles plus anciens comme le T72 et le T64.
Turquie : char lourd Altay
Depuis son accession au pouvoir au début des années 2000, R.T Erdogan avait engagé un important effort dans le domaine de la production de systèmes d’arme. 4 de ces systèmes devinrent les symboles de cet effort national : l’hélicoptère de combat T129 Atak, la corvette Ada, le drone MALE TB2 Bayraktar et le char lourd Altay, qui trônait fièrement à l’entrée du salon Eurosatory 2018.
Malheureusement, celui-ci fut la victime d’une conjoncture des plus défavorables ces dernières années. En premier lieu, si l’essentiel des systèmes était de facture nationale, en partie conçus avec l’aide de la Corée du Sud et de systèmes empruntés au K2 avec qui l’Altay a une filiation proche, le système propulsif du char devait être allemand.
Or, comme de nombreux autres capitales européennes, Berlin mit sous embargo les technologies de défense vers la Turquie suite à l’offensive dans le nord de la Syrie contre les forces kurdes en 2018, privant de char turc de son moteur et de sa transmission.
Quant au partenaire sud-coréen, il faisait lui aussi face à d’importants problèmes dans ce domaine, au point de devoir se retourner vers les solutions MTU et RENK pour son K2 Black Panther. De fait, depuis cet épisode, le programme Altay est fortement ralenti, pour ne pas dire à l’arrêt, dans l’attente d’une très improbable solution nationale, et plus probablement de progrès réalisés par la Corée du Sud dans ce domaine. Son entrée en service, initialement prévue pour 2018, est aujourd’hui prévue pour 2023.
Destiné à se confronter aux chars lourds occidentaux comme de facture russe, l’Altay ne parvient cependant pas, pour l’heure, à résoudre ses difficultés pour se doter d’un système propulsif puissant et fiable.
Pour autant, l’Altay se révèle être un modèle des plus prometteurs. Très inspiré du K2 sans en être un clone, il est beaucoup plus lourd que ce dernier, avec une masse au combat de 65 tonnes, et s’appuie sur un équipage à quatre membres, contre 3 pour le K2.
En effet, l’Altay a été conçu pour des engagements beaucoup plus rudes, et son blindage est sensiblement supérieur à celui de son aïeul, y compris par la présence d’un système hard-kill soft-kill AKKOR développé par Aselsan. Son armement se compose du classique canon de 120 mm à âme lisse à chargement semi-automatique, ceci expliquant la présence d’un quatrième membre d’équipage en position de chargeur.
De fait, l’Altay offre une cadence de tir inférieure à celle de nombre de ses concurrents, et comme tous les chars s’appuyant sur ce type de chargement, il ne peut tirer en cadence en mouvement (le rechargement étant très difficile). L’ensemble des systèmes vétronique et de visée sont, eux, de facture locale.
Bien que n’ayant pas fait ses preuves, ni au combat, ni même lors de compétitions, l’Altay a déjà obtenu un marché export, le Qatar, allié privilégié d’Ankara depuis plusieurs années, ayant annoncé en 2019 son intention de commander au moins 100 unités, la Turquie ayant, elle, prévu d’acquérir 250 unités dans un premier lot, et probablement davantage par la suite.
Toutefois, ses problèmes industriels semblent sur le point d’être résolu, après qu’un accord avec Séoul a permis à Ankara d’acquérir les groupes moto propulseurs et des transmissions qui équipent le K2. Reste que ceux-ci ont, par le passé, rencontré d’importants problèmes de fiabilité pour mouvoir les 55 tonnes du K2, et on peut penser que les Altay qui en seront équipés rencontreront des problèmes de performances et surtout de fiabilité.
Conclusion
Au-delà des 12 modèles de chars de combat modernes présentés au travers des 3 articles de synthèse, d’autres modèles auraient probablement mérité d’être détaillés, comme l’Ariette Italien, le PT91 polonais, le Type 96 chinois ou le M84 serbe.
Cela démontre que, loin d’être anecdotique ou en déclin, le marché des chars lourds reste particulièrement dynamique, et devrait même être appelé à croitre dans les années à venir.
En effet, de nouveaux programmes, en Europe comme aux États-Unis, et même en Russie, ont été annoncés en vue de concevoir la prochaine génération de chars de combat qui devra entrer en service à partir de 2035 ou 2040. De toute évidence, les chars modernes ne seront pas les derniers chars de combat à avoir été produits, tant s’en faut, la guerre en Ukraine ayant démontré, sans doute possible, le rôle toujours central des chars lourds sur le champ de bataille.
L’un des principaux axes retenus par le Pentagone pour garder l’ascendant opérationnel sur des adversaires potentiels disposants conjointement d’importants moyens militaires et technologiques, repose sur le recours à un grand nombre de systèmes autonomes, qu’ils soient ou non contrôlés par une ou plusieurs intelligences artificielles. Mais face au défi que représente la montée en puissance de la Chine, de ses industries et de ses 1,4 Milliards d’habitants, la doctrine définie en 2012 concernant l’utilisation des systèmes autonomes ne semble plus adaptée. C’est pourquoi une révision de celle-ci a été engagée depuis 2021 pour prendre en compte les évolutions technologiques comme celles de la menace. La nouvelle doctrine a été présentée cette semaine par Michael Horowitz, le directeur du Bureau de politique des capacités émergentes du Pentagone, et sous des aspects de simple révision, elle constitue un bouleversement sensible de la réalité de l’utilisation de ces systèmes d’armes appelés à devenir le pilier de l’action militaire américaine dans les décennies à venir.
Ces évolutions doctrinales portant sur un sujet hautement sensible et observé par les médias, peuvent apparaitre superficielles de prime abord, d’autant qu’elles s’appuient le plus souvent sur une évolution subtile du vocabulaire employé. Ainsi, dans la doctrine de 2012 encadrant l’utilisation de ces systèmes autonomes ou semi-autonomes, la notion d’intelligence artificielle n’apparaissait pas, alors que dans le nouveau document, celle-ci est intégrée au même niveau que les autres systèmes autonomes, et les systèmes reposant sur l’utilisation d’IA doivent donc respecter cette doctrine au même titre que les autres. Mais la plus importante évolution constatée est bien plus significative qu’une simple remise au clair technologique.
Les drones actuels, comme le MQ-9 Reaper, est en permanence sous le contrôle d’un pilote, même si certains aspects du vol sont automatisés.
En effet, en 2012, les systèmes autonomes ou semi-autonomes, comme les drones, devaient demeurer sous un contrôle humain pour ce qui concernait des actions précises, comme l’utilisation d’une arme létale, mais également pour déclencher le fonctionnement de certains équipements de surveillance. De fait, non seulement l’homme devait avoir la possibilité de prendre le contrôle de l’équipement autonome, mais ce dernier ne pouvait, par lui même, engager des actions majeures sans une action humaine directe. Cette approche répondait effectivement à la réalité technologique du moment, mais surtout à la réalité opérationnelle, les systèmes autonomes ou semi-autonomes étant suffisamment peu nombreux pour pouvoir attribuer une ressource humaine permanente à leur contrôle. Pour mettre en oeuvre des dizaines, voire des centaines de systèmes autonomes sur un théâtre, comme tel est l’objectif du Pentagone dans les années à venir, cette approche n’était, de toute évidence, plus possible.
De fait, la nouvelle doctrine a engagé un subtil glissement sémantique de cette notion de contrôle humaine des systèmes. Comme précédemment, le contrôle de tous les systèmes autonomes ou semi-autonomes doit pouvoir être repris par un opérateur humain à l’initiative du commandement, et ce quel que soit le contexte. En d’autres termes, le commandement doit pouvoir, à tout moment, transformer les ordres auxquels le système répond. En revanche, la décision humaine n’est plus requise pour exécuter une mission, y compris pour mener une frappe potentiellement létale. Le système peut donc prendre la décision d’employer certaines de ces capacités ou certains de systèmes, y compris pour mener des frappes, sans qu’il soit nécessaire qu’une décision humaine ne l’y autorise expressément, comme c’est le cas aujourd’hui. En effet, la doctrine transfère cette décision humaine d’un contexte en situation, à la décision du commandement d’employer ces systèmes, sachant qu’ils ont la possibilité de mener ces frappes.
La nouvelle doctrine US permettra d’augmenter considérablement le nombre de systèmes autonomes employés sans devoir y consacrer des ressources humaines démesurées.
D’un point de vue éthique, la notion de contrôle humain reste donc préservée, tout comme les notions de responsabilité et de traçabilité de la décision, deux des piliers qui encadrent l’utilisation des systèmes autonomes dans la doctrine US. Ce transfert d’échelon de décision s’appuie également sur les avancées technologiques réalisées ces dernières années, permettant de normer précisément le fonctionnement de ces systèmes autonomes, y compris lorsqu’ils s’appuient sur une IA. De fait, la décision de déployer un système autonome et de lui déléguer certaines décisions finales, s’inscrit dans la connaissance et la compréhension approfondie, par le commandement, du potentiel et du fonctionnement de l’équipement, et par le respect, par l’équipement, d’un modèle comportemental ou de prise de décision stricte. En revanche, cette nouvelle doctrine permettra, de toute évidence, de déployer un grand nombre de systèmes autonomes sans devoir y consacrer des ressources humaines et technologiques démesurées. Il est évident que cet aspect aura été l’objectif principal de cette révision doctrinale, permettant précisément aux forces américaines de compenser leur infériorité numérique potentielle par l’emploi d’un nombre croissant de systèmes autonomes, pouvant de fait agir comme le coefficient multiplicateur de force recherché pour faire face à la Chine.
Il ne fait guère de doute que cette nouvelle doctrine alimentera à nouveau les craintes d’une partie du public de voir apparaitre des « robots tueurs ». Force est de constater qu’effectivement, elle ouvre la voie potentiellement au développement de ce type d’équipements, y compris dans leurs versions les plus fantasmées. Toutefois, il semble illusoire d’espérer garder sous cloche un tel potentiel technologique militaire, qui plus est dans une période de tensions et de rivalités intenses entre super-puissances. Et si la peur des « robots tueurs » est suffisamment forte pour faire reculer les européens, grands spécialistes des débats exaltés sur le sujet depuis prés d’une décennie, leur potentiel opérationnel est désormais tel que les grandes puissances mondiales, comme les Etats-Unis, mais également la Chine, la Russie ou l’Inde, ne s’encombrent plus de telles considérations, comme elles ne se privent pas d’employer des armes à sous-munitions ou des mines antipersonnel.