jeudi, décembre 4, 2025
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Le système hard-kill Iron Fist ne protège les Bradley américains que dans 70% des cas

Lors des essais, le système hard-kill Iron Fist de l’israélien Elbit n’a pu protéger les Bradley de l’US Army qu’à 70% des cas.

Entrés en service au début des années 2010 pour protéger les chars Merkava et les véhicules de combat d’infanterie Namer des forces armées israéliennes, les systèmes de protection actifs hard-Kill Trophy et Iron Fist des Israéliens Raphaël et Elbit, se sont montrés d’une très grande efficacité lors des interventions armées dans les territoires occupés palestiniens, et interceptant des dizaines de roquettes antichars RPG, mais également de missiles Konkurs et Kornet tirés par le Hezbollah iranien. Le fait est, aucun blindé israélien ne fut perdu lors des opérations militaires du début des années 2010, du fait d’un tir de munition antichar.

Cette efficacité n’a pas échappé aux armées occidentales, en particulier de l’US Army, qui décida dès 2015 d’équiper une partie de ses chars lourds Abrams, de ses véhicules de combat d’infanterie Bradley et même de ses véhicules de transport de troupe blindés Stryker, de ces systèmes.

Toutefois, si le Namer et le Merkava Mk4 avaient été spécialement adaptés pour recevoir ces systèmes, l’intégration du Trophy sur le char M1A2, et plus encore du système hard-kill Iron Fist ne protège les Bradley américains que dans 70% des cas sur le Bradley, fut très complexe. Ainsi, lors des tests en 2018 des premiers Bradley équipés de l’Iron Fist, il apparut rapidement que la disposition des systèmes de détection et des systèmes d’interception, permettait de ne couvrir que 50% du périmètre vulnérable du blindé.

En d’autres termes, alors que l’intégration de l’Iron Fist coute plusieurs millions de dollars par unité, soit sensiblement le prix d’un Bradley, ce système n’était capable d’intercepter qu’un projectile antichar sur deux tirés contre lui. Ce faible résultat entraina une nouvelle phase d’étude pour tenter de positionner de manière plus efficace les radars assurant la détection des menaces, et des tourelleaux qui tirent les munitions d’interception.

L’ajout d’un APS Hard-kill, comme ici le Trophy au char M1A2, est un exercice complexe, onéreux et souvent peu efficace

Selon l’US Army, l’objectif a été atteint. En effet, les derniers essais menés en septembre 2022 ont montré que désormais, le système Iron Fist couvrait 70% du périmètre entourant le Bradley M2A4, grâce aux efforts conjoints de Elbit et de General Dynamics Ordnance and Tactical Systems qui assure la maitrise d’œuvre du programme. Ainsi, les détecteurs et effecteurs ont été déplacés sur le blindé, un nouveau système de contre-mesures électroniques a été installé alors que le logiciel du système a été profondément modifié pour donner naissance à une nouvelle version dénommée Iron Fist Light Decoupled.

Pour autant, les financements pour transformer une première brigade mécanisée, en dotant ses Bradley de l’Iron Fist, ne sont pas encore libérés par l’US Army, qui poursuit ses essais, notamment concernant l’adaptation du système Trophy Light sur l’APC Stryker. Et cela n’est guère surprenant.

En effet, l’intégration d’un APS (Active Protection System) à un blindé déjà en service, apparait comme un exercice des plus ardus, mais également des plus onéreux. Ainsi, le Trophy qui équipera les Abrams Américains, mais aussi les Leopard 2A7 allemands, ne coute qu’un peu plus de 1 m$ par unité. Son intégration, en revanche, coute plusieurs millions de $/€ par véhicule, sans que ce montant puisse être réduit pour une procédure qui se veut complexe et presque artisanale.

Le plus souvent, ce cout équivaut à plus de 50% du prix du blindé lui-même, au point qu’il est parfois préférable de concevoir une nouvelle tourelle, comme ce fut le cas du Merkava MkIV, pour intégrer nativement l’APS, plutôt que de tenter d’y intégrer le même APS aux forceps, ce d’autant que, comme le montre l’exemple du Bradley, cette intégration forcée se fait parfois au détriment de l’efficacité même du système.

Il peut être utile de redessiner une nouvelle tourelle pour intégrer nativement un APS, comme pour l’EMBT franco-allemand. Remarquez les radars du système trophy intégrés dans la tourelle, tous comme les effecteurs.

Dans le même temps, comme dit précédemment, l’emploi d’un APS, et en particulier d’un APS équipé d’un système Hard-Kill, peut accroitre considérablement la survivabilité d’un blindé au combat. Ainsi, il apparait que les T-90M russes engagés en Ukraine, ont une survivabilité sensiblement accrue face aux missiles ukrainiens que les autres chars mis en œuvre par les armées russes, du fait de l’efficacité de son APS, même si rien n’indique à ce jour que ces chars sont effectivement équipés du système hard-Kill Arena-M qu’il doit théoriquement mettre en œuvre.

Qui plus est, les nouveaux systèmes, comme l’évolution du Trophy israélien, ou l’ADS de Rheinmetall, ont démontré qu’ils étaient non seulement capables d’intercepter les missiles et roquettes tires contre le blindé, mais également les drones, munitions rôdeuses et missiles à trajectoire plongeante comme le Javelin, offrant une couverture très efficace contre une vaste panoplie de menaces.

De fait, entre les couts excessifs de leur intégration à un blindé existant et les effets négatifs de cette même intégration sur les performances du système, on peut s’interroger sur la pertinence des procédures engagées des deux cotés de l’Atlantique pour équiper une partie du parc de blindés lourds de ces systèmes. Dans ce contexte, il est peut-être préférable de développer une nouvelle génération de blindés, spécialement dessinée pour intégrer le plus efficacement possible ces systèmes, quitte à s’appuyer sur des plateformes existantes.

C’est notamment l’axe choisi par General Dynamics Land System avec la série X présentée lors du salon AUSA 2022, avec une nouvelle version du char Abrams s’appuyant sur les points forts du M1A2, mais dessinée pour intégrer les nouvelles évolutions technologiques cruciales que sont l’intégration native d’un APS hard Kill (le Trophy israélien) aux côtés d’une propulsion hybride électrique, d’une nouvelle vétronique et d’un système de chargement et une conduite de tir de nouvelle génération, permettant de ramener l’équipage à 3 membres.

Le Griffin III, l’un des favoris du programme OMFV, est nativement équipé de l’Iron Fist israélien

Reste à voir, désormais, quels seront les arbitrages de l’US Army dans ce domaine. En effet, en 2015, lorsque la décision fut prise d’équiper une brigade de Bradley du système Iron Fist à horizon 2025, les menaces étaient diffuses en matière d’engagement de haute intensité. Il apparait à présent que les risques sont importants de devoir engager bien davantage que ce format dans des conflits majeurs, là où précisément les APS seraient les plus efficaces.

Dans ce contexte, les couts de transformation des blindés existants en volume suffisant, par ailleurs destinés à être remplacés à moyen terme, comme le Bradley et l’Abrams, seraient à ce point important que leur remplacement pur et simple par des blindés de nouvelle génération intégrant, comme l’Abrams-X, ces systèmes, se pose naturellement, et de manière d’autant plus insistante que d’autres problématiques, concernant le dimensionnement de l’outil productif industriel, se posent parallèlement.

Dans ces conditions, il n’y aurait rien d’étonnant à ce que les Bradley équipés d’Iron Fist soient sacrifiés au profit d’une accélération / densification du programme OMFV qui doit justement remplacer ces véhicules dans les années à venir.

Le programme de canon à micro-ondes Epirus Leonidas de l’US Army franchit un nouveau cap

Dans le cadre du programme IPS-HPM, l’US Army a attribué une enveloppe de 66m$ au programme Epirus Leonidas pour le développement de son canon à micro-ondes.

Les drones suicides à longue portée comme les munitions rôdeuses ont été, incontestablement ces dernières années, l’une des révélations militaires technologiques les plus significatives.

Faciles et économiques à produire, dotés d’une grande capacité de destruction, d’une portée pouvant dépasser les 2000 km et d’une précision quasi-métriques, ces drones représentent une arme à capacité stratégique une fois produits en grande quantité, même pour un pays ne disposant pas de moyens très importants.

Et si le terme de « Game Changer » est souvent galvaudé et employé à tort et à travers en matière de système d’arme, il s’applique incontestablement à ces nouveaux drones légers, tant il est aujourd’hui difficile de s’en protéger, et qu’ils confèrent à leurs détenteurs des moyens d’action qui leur étaient, jusque là, hors de portée.

Par leur trajectoire de vol et leur vitesse relativement lentes, ces drones ne sont pas, fondamentalement, difficile à intercepter. Mais leur faible cout unitaire, de l’ordre de 20.000 $ pour le Shahed 136 iranien employé massivement par la Russie en Ukraine, permet de mener des attaques massives venant saturer les systèmes de défense conventionnels, ou exploiter leurs faiblesses.

Bien moins onéreux que les missiles anti-aériens qui aujourd’hui assurent l’essentiel de la défense occidentale, ils peuvent en outre rapidement saturer les capacités de ces systèmes, ou tout simplement vider leurs stocks de munitions.

Pour y faire face, les ukrainiens déploient désormais un nombre croissant de systèmes d’artillerie anti-aérienne, qu’ils soient guidés par radar comme le Guépard allemand, ou contrôler par des opérateurs, comme les nombreux canons Bofors et Oerlikon envoyés ces derniers mois par les occidentaux pour protéger les infrastructures critiques contre ces menaces.

D’une portée de 2500 km et transportant 40 kg d’explosif, le drone iranien Shahed 136 ne couterait, selon les estimations, que 20.000 $ à produire.

Au delà des canons antiaériens conventionnels, la plupart des grandes armées mondiales développent des armes à énergie dirigée pour répondre à cette menace. Les armées américaines ont, dans ce domaine, pris une avance importante, avec par exemple le système laser Helios qui équipe déjà quelques navires de l’US Navy, ou le système laser aéroporté SHIELD développé par l’US Air Force.

Mais c’est incontestablement l’US Army, au travers du programme Indirect Fire Protection Capability, qui est la plus dynamique dans ce domaine, avec le système laser Guardian de 50 Kw monté sur blindé Stryker en cours d’essais, le système laser lourd de 300 Kw Valkyrie IFPC-HEL pour traiter les cibles plus imposantes comme les missiles de croisière, et le canon à micro-ondes IPFS-HPM lourd.

Conjointement à ces systèmes, l’US Army vient d’attribuer à la société Epirus, un budget de 66 m$ pour developper des prototypes de son système anti-drones à impulsion électromagnétique dirigé Leonidas, spécialement conçu pour éliminer un grand nombre de drones légers d’une partie du ciel, tout en évitant les systèmes alliés évoluant à proximité.

Contrairement au canon à micro-onde du programme IPS-HPM également en développement, et reposant sur un projecteur à micro-onde parabolique classique, le système Leonidas s’appuie sur des émetteurs au nitrure de gallium, dans une approche qui n’est pas sans rappeler celle employée sur les radars équipés d’une antenne AESA.

De fait, le système se veut capable de concentrer bien davantage l’impulsion électromagnétique projetée, de sorte à en accroitre l’efficacité destructrice sur les conducteurs des drones visés, ainsi que la portée du système, mais également pour limiter la dispersion énergétique, à l’instar d’un laser pour le rayonnement lumineux.

Au demeurant, cette technologie permettrait au Leonidas d’être beaucoup plus précis et efficace que les armes à micro-onde actuelle, mais également plus compact et moins gourmand en énergie, ce qui en favoriserait l’utilisation en situation complexe, comme à proximité d’installation électronique alliée, mais également la mobilité, le système ne requièrent pas le conteneur standard du programme IPFS-HPM, le Leonidas étant monté sur une simple remorque à deux essieux ou sur un simple véhicule blindé Stryker.

comme l Epirus Leonidas, le système THOR de l'US Air Force s'appuie sur un canon à micro-ondes
Contrairement au Leonidas, le IPFS-HPM dérivé du programme THOR de l’US Air Force, repose sur un conteneur standard contenant la production énergétique et le système de guidage

Reste à voir, désormais, quelle sera l’efficacité réelle de ce système. Comme toutes les armes à énergie dirigée, le potentiel destructeur est lié à l’énergie absorbée par la cible, et dépendant donc de la puissance concentrée sur la cible et sur la durée d’exposition. Concernant un système à micro-onde, fut-il plus directif que le IPFS-HPM grâce à son antenne spécifique, cette puissance décroît avec la distance, et peut en partie être dissipée par des éléments externes, comme la saturation de l’atmosphère en molécules d’eau.

En outre, il est essentiel d’évaluer, pour ce type de systèmes, le rôle potentiel que peuvent représenter des blindages supplémentaires ajoutés aux drones, comme c’est le cas aujourd’hui en ce qui concerne certaines peintures réfléchissantes qui réduisent sensiblement l’absorption énergétique d’une cible exposée à un laser. Autant de paramètres qui seront testés par l’US Army une fois en possession des prototypes de Leonidas commandés.

Pour autant, à l’instar de l’immense majorité des nouveaux systèmes d’armes, les armes à énergie dirigée, qu’elles soient laser ou micro-onde, ne seront pas appelées à remplacer les systèmes plus conventionnels, comme les missiles et les canons anti-aériens, mais à les compléter, de sorte à disposer d’une panoplie efficace de capacités pour contrer l’ensemble des menaces aériennes existantes ou en devenir.

Comme souvent, ces armes offrent des avantages certains, comme l’absence de munition, mais engendrent de nouvelles contraintes, comme la nécessité de disposer d’une importante source d’énergie électrique. En outre, il faut s’attendre à ce que les armes visées par ces nouveaux systèmes, les drones ou les missiles, évoluent eux aussi pour mieux s’en prémunir.

Dès lors, s’il est indispensable de s’engager activement dans le développement d’armes à énergie dirigée, il semble également pertinent de developper et de s’équiper, simultanément, de certains systèmes plus conventionnels, comme l’artillerie anti-aérienne, de sorte a répondre à l’ensemble des menaces.

Les sous-marins Scorpene indiens bientôt équipés d’une propulsion anaérobie AIP

Le jour même de la livraison du 5ème et avant dernier sous-marin indien de la classe Kalvari, l’INS Vagir, à la Marine Indienne, le Laboratoire de Recherche sur les Matériaux Navals (NMRL), appartenant à l’agence indienne de l’armement DRDO, et le groupe naval français Naval Group, concepteur du sous-marin Scorpene sur lequel la classe Kalvari a été conçue, ont signé un accord cadre pour l’intégration d’un système de propulsion anaérobie (AIP pour Air Independant Propulsion) de facture locale à bord de l’INS Kalvari, premier bâtiment de la classe éponyme entré en service en 2017. L’accord, signé aujourd’hui à Mumbai, permettra d’intégrer la nouvelle propulsion indienne à bord du navire, sous le contrôle et avec la certification du groupe naval français.

De fait, le Kalvari sera le premier sous-marin de la famille Scorpene a être équipé d’une propulsion AIP. Celle-ci offrira au navire une autonomie en plongée sensiblement accrue, en améliorant donc la discrétion et l’efficacité au combat. Toutefois, les implications de cet accord, basé précisément sur une technologie développée en Inde et non importée, sont très importantes, et dépassent largement le programme P-75 auquel appartient le Kalvari. En effet, le succès de cette procédure permettra non seulement de transformer les 6 sous-marins de la classe vers ce type de propulsion, mais elle changera également les données du programme P-75i qui prévoit précisément la construction locale de 6 nouveaux sous-marins équipés d’une technologie AIP importée, et qui aujourd’hui est en difficulté du fait de ses couts et de contraintes trop importantes du cahier des charges établi par les autorités indiennes.

Le système AIP de NMRL qui équipera l’INS Kalvari sera certifié par Naval Group

En effet, la Base Industrielle et Technologique Défense Indienne serait de fait en mesure de produire ses propres sous-marins AIP, en s’appuyant sur l’organisation industrielle déjà déployée autour du programme P-75 pour produire les Scorpene, et sur la propulsion AIP du NMRL. En procédant ainsi, New Delhi exploiterait au mieux les investissements industriels consentis par les chantiers navals Mazagon Ltd pour le fabrication des Scorpène, tout en répondant conjointement aux attentes de la Marine indienne pour des sous-marins AIP, et à la politique Made-in-India du premier ministre Narendra Modi. En outre, non seulement les nouveaux sous-marins pourraient être produits plus rapidement que dans le cas d’une refonte industrielle, mais ils seront également moins onéreux pour la même raison. On comprend dès lors pourquoi l’hypothèse d’une levée de l’option de sous-marins supplémentaires Scorpène en lieu et place du programme P-75i prend de l’ampleur en Inde.

L’hypothèse de produire, à moindre frais, les 6 sous-marins du programme P-75i, sur la base du même modèle que ceux du programme P-75, fait en effet très probablement les affaires de l’Indian Navy. S’il est vrai que pour faire face à la modernisation des flottes sous-marins chinoises et pakistanaises, elles aussi équipées de sous-marins AIP, il lui est indispensable de se doter à court terme de sous-marins AIP modernes, le principal objectif visé par l’état-major naval indien porte sur la conception et la fabrication de 6 sous-marins nucléaires d’attaque. Or, Naval Group a précisément fait, à ce sujet, des propositions de transferts de technologie critiques autour de ce programme indien, si tant est que New Delhi venait à commander d’autres Scorpene, alors qu’en application des contraintes du programme P-75i, le groupe français aurait du se retirer de la compétition.

La prochaine visite d’Emmanuel Macron en Inde pour rencontrer Narendra Modi pourrait donner lieu à la signature de plusieurs contrats industriels de défense

De fait, aujourd’hui, tout semble se mettre en place pour que Paris et New Delhi puissent franchir une nouvelle étape dans les partenariats industriels et technologiques de défense entre les deux pays, alors que le président français est attendu dans les semaines ou mois à venir en visite officielle en Inde, pour y rencontrer son homologue, avec la commande potentielle de 26 Rafale M pour armer le nouveau porte-avions indien INS Vikrant et les partenariats potentiels dans le domaine des sous-marins AIP et à propulsion nucléaire, alors qu’une nouvelle commande de Rafale B/C reste possible et que New Delhi s’intéresse à l’avion ravitailleur A330 MRTT, pour renforcer les capacités des forces aériennes indiennes.

Les Etats-Unis veulent-ils empêcher l’Ukraine de passer à l’offensive ?

Article mis à jour à 22:00 suite à l’annonce par les Etats-unis de l’envoi de 30 à 50 M1A2 Abrams en Ukraine.

Depuis quelques semaines, la question de l’envoi de chars lourds occidentaux en Ukraine est devenue un sujet central, tant pour la presse que pour nombre de personnalités politiques occidentales. Sous l’impulsion des autorités polonaises, il semble que l’ensemble de ce problème se résumerait à la seule position allemande, qui refusait l’envoi de chars lourds Leopard 2 allemands ou acquis auprès de l’Allemagne, vers Kyiv. Pourtant, et comme nous l’avions déjà évoqué la semaine dernière, la position allemande n’était en rien différente de ce qu’elle a été depuis le début du conflit, à savoir qu’elle accepte de livrer une nouvelle catégorie d’équipements qu’après que les Etats-Unis aient fait de même. Quoiqu’en disent les polonais et avec eux, une bonne partie des commentateurs plus enclins à une réponse émotionnelle qu’à l’analyse, ce n’était pas tant la position allemande qui, dans ce dossier, avait changé, mais celle des Etats-Unis, lorsque ces derniers avaient refusé de livrer les chars Abrams M1, même en petite quantité, et ce durant plusieurs jours, alors que cela aurait permis de libérer la posture de Berlin.

Or, les explications avancées par les autorités américaines pour expliquer cette posture sont bien peu convaincantes, tout comme le sont les analyses concernant l’ambition de Washington de vendre massivement des Abrams d’occasion aux armées européennes pour remplacer les Leopard 2 qui auraient été livrés, alors que dans ce contexte, il est probable que la plupart d’entre elles se tourneront avant tout vers le K2 sud-coréen plus moderne, économique et performant, et surtout pouvant être livré bien plus rapidement que les Abrams américains. On notera à ce titre que ces mêmes arguments avancés par Washington pour justifier la non-livraison d’Abrams à Kyiv, à savoir la consommation et la maintenance excessive du char, peuvent agir comme repoussoir pour les armées européennes souhaitant remplacer les Leopard 2 potentiellement livrés.

Au coeur de tous les débats, les Leopard 2 allemands pourraient n’être qu’un paramètre secondaire dans le bras de fer que se livrent aujourd’hui Washington et Kyiv

Dans le même temps, lors de la conférence de Ramstein, le chef d’état-major américain, le général Milley, a quant à lui appelé les armées et autorités ukrainiennes à la prudence, en particulier pour ce qui concerne les ambitions avancées de reprendre l’offensive une fois les nouveaux chars occidentaux reçus. Et d’avancer que celles-ci ont subit ces dernières semaines des pertes trop importantes pour pouvoir reprendre une posture offensive, même en dépit des très nombreux armements promis à l’Ukraine lors de cette même réunion, ce alors que tout indique que le changement de stratégie entamé par la Russie depuis le milieux de l’été porte désormais ses fruits, en matière militaire comme industriel. De fait, en refusant la livraison de chars lourds Abrams et par transitivité, en gênant la dynamique européenne pour se substituer à ces chars, les Etats-Unis n’ont-ils pas essayer d’empêcher les autorités ukrainiennes de se lancer dans une nouvelle offensive, qu’ils jugeraient trop risquée à la vue des nouvelles données autour de ce conflit ?

Il est vrai que ces derniers mois, sous l’effet conjoint d’une excellente communication et de commentateurs plus émotifs que de raison, les autorités ukrainiennes se sont convaincues qu’elles pouvaient repousser les forces russes hors d’Ukraine cette année, si tant est qu’elles recevaient le soutien nécessaire des occidentaux, et notamment les 300 chars lourds réclamés. Cette confiance s’est notamment forgée sur les succès enregistrés en aout et septembre, après deux offensives ayant permis de dégager Kharkiv et de libérer Kherson. Toutefois, depuis, la situation a considérablement évolué, et pas en faveur des ukrainiens. Ainsi, les offensives menées cet été ont repoussé les forces russes jusqu’à des lignes de défense bien préparées, qu’il sera désormais difficile de franchir, sauf à disposer de forces importantes, et au prix de lourdes pertes. En outre, ces offensives, mais également l’acharnement constaté à défendre Bakhmout, ont considérablement affaibli les forces ukrainiennes, qui y ont perdu de nombreux hommes et matériels, au point que désormais, elles ont non seulement perdu l’initiative, mais ont également été obligées de passer en posture défensive, sans disposer des moyens pour inverser la tendance.

La bataille autour de Bakhmout a semble-t-il lourdement erroné les capacités militaires ukrainiennes, alors que la ville ne représente pas une position stratégique.

Dans la même temps, l’état-major russe et le ministère de tutelle, ont eux aussi procédé à de nombreuses évolutions sur cette même période. Alors que l’offensive initiale était de toute évidence conçue sur des doctrines proches de celles employées par les armées occidentales, les autorités militaires russes sont, depuis, revenues à une doctrine beaucoup plus conventionnelle, basée sur la masse au travers d’une première mobilisation pour contenir l’avancée ukrainienne, ainsi qu’une augmentation des forces de 50% au travers d’une extension de la conscription, mais également en réorganisant la production industrielle de sorte à produire désormais une cinquantaine de blindés lourds modernes par mois, et bientôt une centaine. En d’autres termes, les russes sont désormais en capacité d’absorber les pertes auxquelles ils sont exposés depuis le début du conflit, mais également de reconstituer des capacités de manoeuvre, là ou les ukrainiens arrivent en limite de potentiel, y compris en tenant compte de l’avantage qualitatif des matériels occidentaux.

De fait, si les forces armées ukrainiennes, sous forte impulsion politique, venaient à entreprendre une offensive de printemps, même en disposant des chars et VCI réclamés, il est probable qu’elles parviendraient un temps à repousser les forces russes. Mais du fait des pertes supplémentaires liées à une phase offensive, il est aussi probable que ce potentiel militaire s’érodera rapidement, sans qu’il puisse rapidement être reconstitué. Dans le même temps, les armées russes auront la possibilité de rapidement reconstituer des forces de manoeuvre pour exploiter la faiblesse ukrainienne. Dans ce scénario, l’offensive serait, de fait, la pire des options pour les armées ukrainiennes. C’est en quelque sorte ce qu’a expliqué le général Milley à Ramstein, mais également probablement ce qu’a expliqué le directeur de la CIA, William Burn, au président Zelensky, lors de sa visite à Kyiv la semaine dernière. Pour autant, ni les autorités ukrainiennes, ni leurs soutiens inconditionnels polonais, ne semblent disposés à écouter les arguments américains. Dans ce contexte, refuser de livrer les chars lourds attendus, a pu représenter une manoeuvre destinée à préserver les ukrainiens, y compris contre eux-mêmes. Et l’annonce faite aujourd’hui, pour livrer 30 à 50 Abrams américains, ceci ouvrant la voie à l’envoie de 14 Leopard 1A4 polonais, autant de 2A6 allemands, 8 2A4 norvégiens et 18 2A6 néerlandais, soit un total de 84 à 105 chars lourds, auxquels s’ajoutent les 14 Challenger 2 britanniques, constitue incontestablement une plus value défensive majeure, mais demeure une force offensive insuffisante, loin des 300 chars lourds réclamés par Kyiv.

Les usines d’armement russes ont retrouvé une capacité productive très importante depuis quelques mois, après que Moscou ait réorganisé la Supply Chain de composants, en grande partie vers la Chine.

En effet, si les armées ukrainiennes venaient plutôt à renforcer leurs positions défensives, de sorte à infliger un maximum de pertes aux forces russes à l’offensive, la situation pourrait être toute autre. Rappelons que c’est précisément cette stratégie qui fut employée avec succès par les armées ukrainiennes au début du conflit, ceci ayant permis de forcer les armées russe à se retirer du nord du pays, sans qu’elles aient du mener de coûteuses offensives. En outre, les véhicules de combat d’infanterie Bradley, Marder et VC90, ainsi que les systèmes d’artillerie Caesar, Archer, M109 et AS90 promis par les occidentaux lors de la conférence de Ramstein, renforcés des 100 à 120 chars lourds promis aujourd’hui, permettent précisément de constituer une défense dynamique extrêmement efficace pour contrer une éventuelle offensive russe à venir, et surtout pour infliger aux armées de Moscou des pertes à ce point importantes qu’elles devront, ensuite, se retirer au delà de la ligne d’engagement initiale pour reconstituer leurs forces. Dans le même temps, l’arrivée de 4 batteries anti-aérienne Patriot, et une batterie Mamba, permettra de limiter au maximum le pouvoir de nuisance des forces aériennes russes mais également des frappes de missiles, alors que l’arrivée de nouveaux canons anti-aériens permettra de contrer une partie de la menace de drones.

Le fait est, la situation stratégique autour de ce conflit a considérablement changé depuis un an. En effet, si l’on sait désormais que les armées russes sont effectivement incapables d’employer des doctrines avancées comme celles mises en oeuvre au sein de l’OTAN, on sait également que les pertes, même très importantes, subies par les forces russes, tout comme les évidentes exactions et frappes menées pr celles-ci contre les civils, ne sont nullement une menace pour le régime de Vladimir Poutine. De même, alors que les sanctions occidentales avaient effectivement fortement handicapé les capacités industrielles de défense russes au début du conflit, celles-ci se sont depuis entièrement réorganisées, y compris dans le domaine des semi-conducteurs désormais acquis auprès de la Chine et de Hong-Kong, et produisent aujourd’hui bien davantage d’équipements, en particulier dans le domaine des blindés, qu’avant le conflit. Dans ces conditions, l’équation stratégique est dorénavant en faveur de la Russie, et une offensive ukrainienne, par nature beaucoup plus couteuse en hommes et matériels qu’une posture défensive bien organisée, serait probablement la pire des options pour résister à Moscou.

La production de T-90M a sensiblement augmenté ces derniers mois, et ces chars sensiblement plus performants que les modèles précédant comme le T-72B3 et le T-80U, commencent à arriver en nombre sur le front ukrainien.

Reste à voir si ce constat, probablement au coeur des préoccupations du Pentagone comme de la CIA, aura effectivement été entendu par les dirigeants ukrainiens et européens, et surtout par leurs opinions publiques biberonnées depuis plusieurs mois à la certitude d’une victoire rapide de l’Ukraine. Plusieurs voix, et non des moindres, essaient pourtant de réinjecter de la rationalité dans ce débat, mais elles semblent, pour l’heure tout du moins, peu écoutés, ce d’autant que cette crise est également exploitée politiquement par certains dirigeants européens, souvent au détriment de leurs homologues. De fait, dans ce contexte pour le moins tendu, la décision américaine de retenir leurs Abrams, et de limiter l’envoi de chars européens vers Kyiv, a probablement constitué la seule alternative valable pour éviter un désastre militaire à relativement court terme, et pour espérer, à moyen terme, parvenir à atteindre une position de force dans d’éventuelles négociations avec Moscou. Sauf, évidemment, si les russes eux aussi venaient à refuser de passer à l’offensive …

Face à la Chine, les stocks de munitions de précision américains ne dureraient qu’une semaine

Une semaine ! C’est le temps qu’il faudra à l’US Navy et l’US Air Force pour épuiser ses stocks de munitions à longue portée de précision en cas de conflit entre les États-Unis et la Chine autour de l’ile de Taïwan.

C’est en substance le constat fait par le dernier rapport du think tank américain Center for Strategic and International Studies, ou CSIS, qui pointe également l’impossibilité pour l’industrie américaine telle qu’organisée aujourd’hui, pour répondre aux besoins d’une guerre de haute intensité contre une grande puissance, si le conflit devait venir à durer, comme c’est le cas en Ukraine face à la Russie.

Et de fait, le rapport présente une situation assez alarmante de la réalité des stocks de munitions des forces armées américaines, qu’il s’agisse des munitions armant les navires et avions de combat de l’US Navy et de l’US Air Force, mais également des stocks de munitions de l’US Army, largement entamés par le soutien accordé à l’Ukraine depuis un an, sans que, là encore, la BITD américaine puisse recomposer ces stocks dynamiquement.

Ce rapport, s’il n’est en rien une surprise pour les militaires américains qui ne cessent de tirer la sonnette d’alarme à ce sujet devant le Congrès depuis plusieurs années avec le retour potentiel des conflits de haute intensité, invite également à relativiser certains débats récents, comme l’épuisement maintes fois commenté des munitions de même type par les forces aériennes et navales russes en Ukraine, amenant ces dernières à s’appuyer soit sur des munitions non guidées comme des bombes gravitationnelles lisses, ou sur des missiles obsolètes.

Dans les faits, l’épuisement bien réel des munitions de précision russes depuis le début de ce conflit, ne diffère en rien de celui qui frapperait les États-Unis ainsi que leurs alliés de l’OTAN en cas de conflit de même ordre.

Il semble même que les industriels russes parviennent à produire relativement rapidement de nouveaux missiles comme le missile de croisière naval Kalibr, à un rythme de 10 à 20 unités par mois, ce qui, au demeurant, est peut-être supérieur aux capacités de production occidentales de munitions équivalentes comme le MdCN français ou le Tomahawk américain.

les stocks de munitions des armées US sont au plus bas
Il faut deux ans à Lockheed-Martin pour fabriquer le missile antinavire LRASM

Car si le rapport du CSIS invite les états-majors, mais également le Congrès et les industriels américains, à accroitre leurs capacités de production industrielle ainsi que les stocks de munitions pour faire face à un conflit potentiel majeur, il invite également à questionner la pertinence du modèle doctrinal employé par les armées occidentales, basé sur des systèmes d’armes très performants, mais également onéreux et surtout complexes, donc longs à produire.

Il convient ainsi de comparer les capacités de modernisation annoncées par Rheinmetall concernant les Leopard 1 et 2 potentiellement transférables en Ukraine, à un rythme moyen d’un ou deux blindés par semaine, et les 40 à 50 blindés produits ou reconditionnés et modernisés chaque mois par l’usine russe Uralvagonzavod aujourd’hui, alors que deux lignes de modernisation de chars T-62M en cours de construction en Russie, permettront de produire une cinquantaine de chars moyens supplémentaires chaque mois.

Il faut aujourd’hui 18 à 24 mois à Nexter pour fabriquer un canon CAESAR, mais également 24 mois à Lockheed-martin pour fabriquer le missile de croisière anti-navire Long Range Anti-Ship Missile LRASM. D’autre part, d’autres considérations industrielles doivent également être prises en compte, comme le dimensionnement ou la disponibilité de l’outil industriel, en particulier après 30 années d’investissements chaotiques, y compris outre Atlantique, n’ayant pas permis de préserver certaines chaines critiques.

À titre d’exemple, l’US Army est aujourd’hui dans l’incapacité de remplacer les quelque 160 obusiers M777 de 155mm transférés à l’Ukraine, car la chaîne d’assemblage a été démontée il y a quelques années, et qu’une commande cadre pluriannuelle est nécessaire pour la remettre en œuvre. Une situation qui n’est pas sans rappeler celle qui aujourd’hui handicape la livraison de chars lourds européens à l’Ukraine.

L’US Army n’est pas en mesure aujourd’hui de remplacer les 160 obusiers M777 de 155mm transférés en Ukraine, car la ligne d’assemblage a été démontée il y a quelques années.

Quoi qu’il en soit, les enseignements issus de la guerre en Ukraine, qu’il s’agisse de l’attrition ou de la consommation de munitions, doivent désormais donner lieu à une profonde réorganisation de la base industrielle et technologique défense américaine, selon le rapport du CSIS.

Il conviendrait, selon le rapport, de reconstituer les stocks de munitions, comme déjà engagé par l’US Army qui a effectué, dans le cadre de la loi de finance défense 2023, une commande massive de munitions de 155 mm, mais également d’envisager le redimensionnement des stocks stratégiques de matière première, afin de permettre un redimensionnement de l’outil industriel adapté aux besoins prévisibles en cas de conflit.

Le CSIC préconise en outre dans ce domaine une simplification drastique des procédures d’exportation des équipements militaires, notamment au travers du Foreign Miltiary Sales permettant une grande standardisation des matériels entre les armées américaines et alliées, ce pour accélérer et étendre la production industrielle US, et permettre de dimensionner celle-ci afin qu’elle puisse répondre aux besoins des armées américaines en cas de conflit.

On notera toutefois que si le dimensionnement s’appuie sur l’export en temps de paix pour répondre aux besoins en temps de guerre des armées US, cela suppose également que l’industrie US ne sera pas en capacité d’équiper ses alliés en cas de conflit…

La Chine dispose d’un potentiel industriel considérable qui représente un enjeux stratégique pour la BITD américaine et occidentale

Reste que si le problème de production d’armement pose problème face à la Russie, un pays de seulement 145 millions d’habitants, on imagine à quel point celui-ci apparait complexe face à la Chine et ses 1,4 Milliards d’habitants, Pékin étant en mesure, au besoin, de mobiliser une force industrielle considérable pour produire équipements et munitions pour compenser l’attrition dans l’hypothèse d’un engagement de haute intensité face aux États-Unis.

Toutefois, pour Pékin comme pour Washington, les contraintes pour la production d’équipements de défense portent sur de nombreux autres domaines au-delà de la masse productive et sur les infrastructures de production, notamment pour ce qui concerne l’accès aux matières premières et à l’énergie indispensable pour faire fonctionner de telles usines. Or, pour la Chine davantage que pour la Russie ou les États-Unis, ces aspects sont les plus contraignants, sauf à s’appuyer sur les ressources russes.

Pour répondre à une équation stratégique aussi défavorable, il est probable qu’il sera nécessaire, pour les occidentaux, de réviser la stratégie d’équipement de leurs armées, aux États-Unis comme en Europe, de sorte à pouvoir s’appuyer, au-delà des équipements de hautes technologies susceptibles d’apporter une plus-value opérationnelle immédiate, sur des équipements plus rustiques, et surtout plus économiques (en crédits comme en ressources) et rapides à produire, pour répondre à l’hypothèse d’un long et intense conflit.

Une telle approche semble effectivement indispensable pour espérer être en mesure de soutenir, le cas échéant, une compétition sur la durée avec un adversaire ayant, lui aussi, accès à une industrie de défense solide et productive, comme c’est le cas de la Russie et encore davantage de la Chine.

A-t-on assisté à un reversement stratégique lors de la réunion de Ramstein ?

Objet de tous les espoirs et de toutes les attentes de la part des Ukrainiens et de leurs soutiens les plus proches comme la Pologne ou les Pays Baltes, la réunion qui s’est tenue aujourd’hui sur la base aérienne américaine de Ramstein en Rhénanie-Palatinat, aura finalement produits très peu de résultats concrets en dehors des annonces qui avaient déjà été faites par ses différents participants. Et si les Etats-Unis ont annoncé l’envoi de 50 nouveaux VCI Bradley et de 80 véhicules de transport de troupe blindé Stryker, ils n’auront ni annoncé l’envoi tant attendu de chars lourds Abrams, ni même ne seront-ils parvenus à amener l’Allemagne à livrer ses chars Leopard 2, ou simplement à permettre aux pays européens en étant dotés, de le faire.

Si, comme on pouvait s’y attendre, toutes les critiques désormais fusent contre Berlin et le chancelier Olaf Scholz, force est de constater que la position allemande n’a pas dévié d’un iota depuis le début du conflit. En effet, Berlin a toujours et systématiquement attendu que Washington annonce la livraison d’un nouveau type de matériel, pour en faire de même. Ce fut le cas, au début du conflit, au sujet des armes antichars après l’annonce de l’envoi de Javelin américains, plus tard au sujet de transports de troupe blindés après l’annonce de l’expédition de M113, encore après concernant le transfert en Ukraine de batteries IRIS-T et de canons antiaériens Guépard après l’envoi de NASAMS américains, ou encore de canons automoteurs Pzh2000 après l’arrivée de M109 et de M777 américains en Ukraine. Même récemment, Berlin a attendu une annonce conjointe faite avec les Etats-Unis, pour confirmer l’envoi de 40 véhicules de combat d’infanterie Marder à Kyiv, aux cotés de 50 Bradley américains.

Comme Paris avec les Caesar, Berlin avait attendu l’envoi de systèmes d’artillerie américains M777 et M109 avant d’envoyer ses propres Pzh2000 en Ukraine.

De fait, que les autorités allemandes refusent de livrer des Leopard 2 à l’Ukraine, sans que les Etats-Unis n’aient annoncé la livraison de M1 Abrams, n’est en rien une surprise, et encore moins une reculade. Ce n’est que l’application stricte de la doctrine poursuivie depuis le début du conflit, et à laquelle l’immense majorité des autres pays soutien à l’Ukraine se sont également conformés, y compris la France et la Grande-bretagne, jusqu’à l’épisode des AMX-10RC et des Challenger 2. Toutefois, Paris comme Londres peuvent, au besoin, s’appuyer sur leur propre dissuasion pour faire face à d’éventuelles menaces russes, là ou l’Allemagne, elle, ne peut se reposer que sur l’OTAN et la couverture américaine. Ce qui est beaucoup plus surprenant, c’est le refus américain de livrer des Abrams pour engager la dynamique, et encore davantage les explications fournies par les officiels à ce sujet. En effet, les explications avancées par le chef d’état-major américain, le général Miley, ainsi que par le Secrétaire à la défense, Llyod Austin, à ce sujet sont bien peu convaincantes.

Ainsi, il est dit que l’Abrams serait « trop lourd » pour être aisément livré. Il est vrai que le M1A2 flirte avec les 65 tonnes. Mais les Bradley en chemin vers Kyiv atteignent, quant à eux, désormais les 35 tonnes, et les M109 livrés depuis plusieurs mois, dépassent quant à eux les 38 tonnes. En outre, ces masses concernent les blindés au combat, avec carburant, équipage et munition. En transit, ils sont sensiblement moins lourds. La question de la consommation de l’Abrams a également été avancée. Il s’agit, effectivement, d’un des grands points faibles du char américain, qui consomme jusqu’à 8 litres de carburant par kilomètre, soit le double de la consommation d’un Leopard 2. Toutefois, les attentes allemandes n’étaient pas que Washington en vienne à livrer 3 bataillons d’Abrams complets (165 chars), mais de donner l’impulsion suffisante pour que Berlin puisse accéder aux requêtes polonaises et finlandaises. En d’autres termes, une simple compagnie d’Abrams, soit 14 chars, auraient probablement largement satisfait le point de vue allemand, et aurait de fait débloqué la situation. Ces chars auraient par ailleurs pu être employés sur des positions défensives afin d’user moins de carburant, laissant aux Leopard 2 la charge de la manoeuvre, et aux T-72 et aux autres chars ukrainiens celle de l’exploitation de la percée. De fait, les arguments avancés par les officiels américains ne résistent guère à une analyse objective, même superficielle.

Les arguments avancés par les autorités américains pour expliquer le refus de livrer des chars Abrams, ne résistent guère longtemps à une analyse objective.

A cela se sont ajoutés deux éléments permettants de mieux comprendre le cadre dans lequel la décision américaine, et par voie de conséquence allemande, a été prise. D’une part, la liste des nouveaux matériels envoyés par Washington en Ukraine, porte sur des équipements particulièrement adaptée à une défense dynamique. C’est le cas des 50 Bradley supplémentaires qui seront renforcés les 50 CV90 promis par Stockholm, ou des 80 APC Stryker offrant une grande mobilité aux forces d’infanterie. L’artillerie est au coeur des préoccupations alliées, qui vont envoyer 19 Caesar 8×8 danois, 30 AS-90 britanniques ou encore un nombre indéterminés d’Archer suédois, et surtout un grand nombre de munitions américaines et alliés, des obus de 155 mm comme des roquettes pour les HIMARS et autres LRU/ GMLRS déjà livrés ou en livraison. Enfin, la défense anti-aérienne, antimissile et anti-drones ukrainienne sera considérablement renforcée avec 3 batteries Patriot supplémentaires fournies par les Etats-Unis, l’Allemagne et les Pays-bas, une batterie SAMP/T Mamba fournie par la France et l’Italie, et de nombreux canons antiaériens fournis par la Lituanie, la Finlande ou encore la Pologne.

Force est de constater que ces équipements sont avant tout adaptés pour résister à une offensive, même massive. Cédant, en l’absence de moyens de rupture, chars et équipements du génie, l’offensive, et même la contre-offensive, est à exclure, en dehors de quelques gains tactiques potentiels. Alors que les armées russes semblent se renforcer, avec notamment l’arrivée de plus en plus visible de chars T-90M ou de VCI BMP-2M ou BMP-3, laissant effectivement supposer d’une offensive en préparation, tout est fait, à ce jour, pour bloquer l’attaque russe et figer le front sur les lignes actuelles. Quant aux déclarations du général Milley lors de la conférence de presse de Ramstein, elles laissent, elles aussi, penser que tels sont, effectivement, les objectifs poursuivis par les américains. Selon le chef d’état-major, en effet, l’Ukraine aurait subi de lourdes pertes, au point qu’il lui est désormais difficile de mener une offensive stratégique. Et les troupes formées en Europe et aux Etats-Unis, semblent à peine suffire à absorber ces pertes dans l’optique de l’offensive russe à venir. Quant à la reconquête à venir du Donbass ou de la Crimée, l’officier général américain a jugé l’objectif très difficile à atteindre. En revanche, il a insisté sur le fait qu’un échec de l’offensive russe en préparation, pourrait créer les conditions d’une négociation permettant, éventuellement, de mettre fin au conflit.

La livraison de munitions de précision à longue portée GLSDB n’est toujours pas d’actualité dans le prochain lot d’équipements militaires américains promis à l’Ukraine

Dans ce discours, le général Millley, soutenu par Lloyd Austin, semble donc vouloir se diriger vers une solution négociée évitant une sur-escalade alliée, comme souhaité par Varsovie et d’autres en Europe. Rappelons également que le directeur de la CIA, Williams Burns, s’est rendu cette semaine à Kyiv pour y rencontrer Volodymyr Zelensky, chose qu’il n’avait faite qu’une fois auparavant, quelques jours avant le déclenchement de l’offensive russe, pour prévenir ce dernier des plans de Moscou, y compris de ceux visant à assassiner le président Ukrainien. Tout cela permet de supposer que les Etats-Unis disposeraient d’informations, que ce soit au sujet de l’offensive russe, au sujet de l’état d’esprit de Vladimir Poutine, voire au sujet de menaces sans rapport avec le conflit ukrainien en provenance d’un autre théâtre, suffisamment sérieuse pour temporiser l’aide fournie à l’Ukraine. Ceci expliquerait en outre la prudence certaine dans la réponse donnée aux demandes ukrainiennes en matière d’armements, et en particulier en matière de chars lourds. Et l’on peut supposer que si l’envoi de chars américains en Ukraine représenterait une telle menace qu’il faille l’écarter, même en petit nombre, il en serait de même pour les chars allemands, qu’ils soient ou non livrés par Berlin.

Le fait est, il semble évident, aujourd’hui, que les officiels américains ont fait preuve d’une grande retenue lors de la conférence de Ramstein. Entre la prudence affichée dans la livraison des équipements potentiellement offensifs, comme les chars lourds Abrams, les roquettes ATACMS ou les munitions guidées Ground-Launched Small Diameter Bomb (GLSDB), les doutes affichés quant à la possibilité pour Kyiv de mener une offensive stratégique pour reprendre la Crimée voire le Donbass, et l’ouverture faite pour une solution négociée une fois l’offensive russe à venir repoussée, tout indique que la stratégie comme les objectifs poursuivis par les Etats-Unis dans leur soutien à l’Ukraine ont sensiblement évolué ces derniers jours. En cela, la conférence de Ramstein, que certains voyaient comme le pivot de la future victoire finale ukrainienne, pourrait bien avoir été, au final, le point de départ d’un profond renversement stratégique occidental.

Face à l’arrivée potentielle de Su-35s et de S-400 en Iran, Israel formalise une commande de 25 F-15EX à Boeing

Les tensions entre Jerusalem et Téhéran sont, aujourd’hui, au coeur de l’instabilité structurelle du théâtre moyen-oriental. Celles-ci sont notamment le fait des affrontements récurrents entre les forces armées israéliennes et le Hezbollah chiite au Liban, comme de ceux avec les milices iraniennes en Syrie. Ces dernières années, toutefois, ces tensions ont connu un durcissement très sensible, autour des programmes de missiles balistiques, missiles de croisières et drones à longue portée développés par l’industrie de défense iranienne, conférant à ses armées des capacités de frappe effective contre le territoire israélien et notamment ses infrastructures critiques. Surtout, les avancées enregistrées par le programme nucléaire iranien, est désormais au coeur des préoccupations immédiates de Jerusalem, qui estime que Teheran ne serait plus qu’à quelques mois de disposer de suffisamment de matière fissible raffinée pour construire sa première bombe nucléaire.

De fait, depuis plus de deux ans maintenant, les forces aériennes s’entrainent à mener des raids à longue distance, de sorte à pouvoir, le cas échéant venir frapper les infrastructures nucléaires et les sites de missiles en Iran. Pour cela, l’Israelian Air Force s’est dotée de deux escadrons de chasseurs furtifs F-35i, soit une commande de 50 appareils, une version dérivée du chasseur F-35A de Lockheed-Martin équipée de systèmes israéliens, en complément des 25 F-15i, des 50 F-15A/B/C/D et de 6 escadrons de F-16 C/i. Face à la montée en puissance de la menace iranienne, Jerusalem avait annoncé, en 2020, son intention de commander un nouvel escadron de F-35i, mais également un escadron de nouveaux F-15, les premiers étant en charge d’éliminer les défenses anti-aériennes, les seconds de détruire les infrastructures et de couvrir les Lighting face à la chasse adverse, le cas échéant. Du fait de l’instabilité politique du pays, seule la commande de 25 F-35i fut effectivement formalisée. Le rapprochement de plus en plus flagrant de Téhéran et de Moscou, autour du conflit en Ukraine, et ses conséquences sur les acquisitions d’armes russes par l’Iran, semblent avoir convaincu Jerusalem, qui aurait formalisé, ces derniers jours, la commande de 25 F-15EX auprès de Boeing, ainsi que la conversion de ses F-15i vers ce standard (en dehors des commandes de vol électriques).

Israel a devellopé des réservoirs largables furtifs pour accroitre l’autonomie de ses F-35i sans altérer leur furtivité

En effet, au delà de l’arrivée prochaine de 24 à 30 Su-35s en Iran, les déclarations récentes de l’ambassadeur russe en Iran, semble indiquer que Téhéran pourrait recevoir également de la part de Moscou, d’autres systèmes d’armes, en particulier des systèmes anti-aériens S-400. Les forces aériennes israéliennes connaissent bien ce système, en service en Syrie pour protéger les infrastructures russes, et savent en évaluer les performances. Si de tels systèmes venaient à être déployés en Iran, aux cotés de chasseurs Su-35s autrement plus performants que les chasseurs en service au sein des forces aériennes iraniennes, les contraintes appliquées à une éventuelle flotte de bombardement, et surtout aux appareils de soutien comme les ravitailleurs et les avions d’alerte aérienne avancée sensés les accompagner, seraient de fait beaucoup plus importantes. C’est dans ce contexte que le couple F-35i et F-15EX prendrait tout son sens.

En effet, les ingénieurs israéliens ont développé, pour le F-35, des réservoirs largables qui ne dégraderaient pas la futilité de l’appareil, lui permettant le cas échéant, de pouvoir mener des frappes contre les défenses anti-aériennes iraniennes, même avec des avions de soutien positionnés en retrait. En revanche, ne pouvant transporter que des munitions en soute pour maintenir une furtivité suffisante, les F-35 israéliens manqueraient de puissance de feu pour traiter l’ensemble des cibles attribués à une telle mission. Le F-15EX, quant à lui, dispose à la fois d’une grande autonomie, et d’une capacité d’emport d’armement très importante, tant en matière de munitions air-sol qu’air-air. En outre, son électronique embarquée le rapproche d’un appareil de 5ème génération, et lui permet d’échanger des flux d’informations avec les autres appareils, lui conférant une excellente vision de la situation tactique. Il peut donc à la fois faire office de « camion à bombe » pour traiter les cibles terrestres, mais également d’avion de supériorité aérienne pour protéger les F-35i plus lents et plus exposés face à des appareils comme le Su-35s.

L’IAF connait bien le S-400 et ses performances, s’étant régulièrement confrontée aux batteries déployées par Moscou pour protéger ses bases en Syrie.

Quoiqu’il en soit, il semble bien que le Moyen-orient se dirige, une nouvelle fois, vers une importante période d’instabilité et de risques majeurs. Contrairement aux crises des années 60 et 70, cette crise en devenir risque, cette fois, d’opposer deux nations potentiellement dotées d’armes nucléaires et/ou de destruction massive, et de vecteurs pour les mettre en oeuvre. Qui plus est, cet affrontement qui se dessine entre Jerusalem et Téhéran, et l’augmentation des moyens de leurs armées qui en découle, vont probablement amener d’autres acteurs de ce théâtre, comme l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis, l’Irak voire l’Egypte, à eux aussi accroitre leurs moyens de défense, voire, comme l’avait déjà signifié le prince saoudien Mohammad Ben Salman, à s’équiper, eux aussi, d’armes stratégiques, alors que, dans le même temps, la dépendance au pétrole et au gaz moyen-oriental n’aura jamais été aussi important pour l’Europe depuis 30 ans. Ces tensions intenses ont été gardées sous contrôle par l’action coordonnée des grandes puissances mondiales jusqu’à présent. Mais avec la guerre en Ukraine, il semble désormais que Moscou ait tout intérêt à jouer les pyromanes sur ce théâtre stratégique.

Les blindés sud-coréens vont-ils s’imposer dans les armées européennes ?

Suite à une concertation approfondie avec la France et le groupe Nexter, les autorités danoises ont annoncé, le 19 janvier, qu’elles transféreraient l’intégralité de leur flotte de canons motorisés CAESAR, soit 19 systèmes 8×8 plus lourds et mieux blindés que les modèles en service au sein de l’Armée de Terre ainsi qu’en Ukraine, afin de renforcer les capacités défensives de Kyiv. Cette annonce, très bien accueillie à juste titre par les armées ukrainiennes, eu égard aux performances du système, s’inscrit dans une dynamique sans précédant des pays européens pour soutenir leur allié, la Suède ayant promis 50 véhicules de combat d’Infanterie CV90 et un nombre indéterminé de systèmes d’artillerie Archer (comparables au CAESAR), la Grande-Bretagne des chars lourds Challenger 2 et des canons automoteurs chenillés AS90, et la Pologne ayant promis à Kyiv un peloton de chars Leopard 2, tout comme la Finlande, ces annonces étant pour l’heure suspendues à l’autorisation de Berlin.

L’annonce faite par Copenhague, s’est toutefois accompagnée d’une précision. En effet, pour remplacer ses 19 canons Caesar qui eux-mêmes ont remplacés les canons automoteurs M109 au sein des forces armées danoises, celles-ci feront appel à une solution de remplacement susceptible d’être activée rapidement. Or, à ce jour, il n’existe que très peu de solutions de ce type en Europe : Le Caesar français dont le carnet de commande est déjà bien rempli, le Pzh2000 allemand, produit sur les mêmes lignes que celles qui assemblent les Puma et qui modernisent les Leopard 2 de la Bundeswehr et de ses alliés, elles-aussi sous tension, et l’Archer suédois, qui à ce jour n’a guère convaincu par ses performances. Quant au M109 américain, il demeure équipé d’un tube de 39 calibre, limitant ses performances et notamment sa portée efficace, de l’ordre de 25 km là où les systèmes européens, qui s’appuient sur un tube de 52 calibre, atteignent et dépassent les 40 km. Mais il existe une alternative à la fois disponible à relativement court terme, performante et même économique en comparaison des systèmes équivalents, le K9 Thunder sud-coréen.

Le Danemark a annoncé qu’il céderait ses 19 Caesar 8×8 à l’Ukraine, et qu’il chercherait une solution palliative à court terme pour reconstituer son artillerie

Armé d’un tube de 155mm de 52 calibre à chargement automatique, le K9 n’à guère à envier à ses homologues européens les plus performants, que ce soit en terme de portée, de précision ou de cadence de tir. En outre, il s’appuie sur un châssis chenillé propulsé par un moteur turbo-diesel de 1000 cv pour une masse au combat de 47 tonnes, lui conférant un rapport puissance-poids de 21 cv par tonne et donc une bonne mobilité, y compris en tout terrain. Le système d’artillerie est entièrement sous casemate blindée, protégeant de fait son équipage de 5 servants contre les munitions légères et éclats de shrapnels. Enfin, il dispose d’un système de localisation et de pointage avancé, d’un système de chargement semi-automatique alimenté à 48 coups, et d’un ensemble de véhicules de soutien permettant un rechargement intégral du magasin en seulement 4 minutes (12 obus par minutes) à l’aide du véhicule de soutien K10, lui aussi blindé et chenillé, transportant pour sa part 104 obus de 155 mm et 504 unités de poudre. Mais les deux plus importants arguments du K9 ne sont ni techniques, ni opérationnels.

En premier lieu, celui-ci peut s’appuyer sur l’efficacité de l’industrie de défense sud-coréenne. Celle-ci produit en effet chaque mois 12 de ces blindés, et peut donc s’engager sur des délais de livraison inaccessibles aux entreprises européennes. Ainsi, les 24 premiers K9A1 commandés par la Pologne à la fin du mois d’aout 2022, ont été livrés à Varsovie le 6 décembre, alors qu’ils avaient été produits au 19 Octobre par les usines sud-coréennes. En d’autres termes, la Corée du sud est en mesure de produire, en 3 mois de temps, autant voire davantage de systèmes que Nexter, Bofors ou Krauss-Maffei Wegmann en une année. Ce critère a été l’un des points les plus critiques dans la décision de Varsovie de commander 672 K9PL, même si une partie d’entre eux seront produits localement. De même, ces dernières semaines, la Finlande a commandé 38 nouveaux K9, en plus des 58 delà livrés, le 18 Novembre, après que l’Estonie ait elle même commandé en octobre 12 K9 supplémentaires en plus des 24 commandés auparavant, et que la Norvège ait commandé, en novembre, 4 K9 supplémentaires accompagnés de 8 K10 de soutien, portant son parc à 18 K9 et 14 K10.

Les armées sud-coréennes alignent 1200 canons automoteurs K-9 ainsi que 850 blindés de soutien d’artillerie K-10

Mais l’argument massue qui conditionne le succès du K9 sur la scène internationale, n’est autre que son prix. En effet, pour ses 672 K9PL commandés, Varsovie s’est engagée sur une enveloppe de 2,4 Md€, soit un prix unitaire de l’ordre de 3,5 m€. C’est 35% moins cher que le Caesar 6×6, et surtout plus de 75% moins cher que le Pzh2000, dont il est le principal concurrent puisqu’équipé de chenilles et d’un puissant blindage. En d’autres termes, pour le prix d’un unique Pzh2000, un client peut acquérir 4 K9, ou 3 K9 et un K10 de soutien. Ce prix, plus que compétitif, associé à la flexibilité sud-coréenne en matière de licence de production locale, ont convaincu de nombreux pays, y compris en dehors d’Europe, avec des commandes très importantes venues d’Inde (240 unités commandées après que le K9 ait largement surpassé le 2S19 Msta-s russe lors d’une campagne de test), de Turquie (350 systèmes commandés en 2001 et produits localement) ou l’Egypte après une compétition face au CAESAR français, au 2S35 Koalitsya-sv russe et au PLZ-45 chinois, pour 200 exemplaires produits localement avec un important volet de transfert technologique.

Le fait est, alors que les Caesar, Archer et Pzh2000 européens ont été conçus dans un environnement sous forte tension budgétaire, obligeant les industriels à developper des trésors d’ingéniosité pour maintenir une capacité de production minimale sans risque excessif, les industriels sud-coréens ont, pour leur part, pu s’appuyer sur une approche beaucoup plus conventionnelle et des volumes considérablement plus importants pour le K9 comme pour le char K2. Il n’est donc en rien surprenant que Séoul dispose aujourd’hui de capacités de production industrielle bien supérieures à celles ayant subsisté à 25 années de disette budgétaire en Europe, mais également que les blindés sud-coréens offrent un rapport performances-prix très difficile à battre pour les industriels européens, fussent ils aussi dominant que ne l’étaient KMW et Rheinmetall. Dit autrement, là ou Nexter et KMW ont du, pour subsister en l’absence de commandes publiques, évoluer vers une production minimal comparable à celle des voitures de luxe, Hanwha Defense a, pour sa part, pu maintenir une chaine de production de masse comparable à celle des grands constructeurs automobiles, ceci expliquant les délais et les prix proposés.

Hanwha Defense peut produire plus de 12 K-9 Thunder par mois

Dans ces conditions, et en l’absence d’un changement radical de paradigme des états européens, en particulier de l’Allemagne et le France, on peut s’attendre, dans les mois et années à venir, à un véritable déferlement de commandes de blindés sud-coréens de la part des armées européennes en mal de capacités adaptées à l’évolution de la menace. Pour autant, comme le montre très bien l’exemple israélien qui refuse obstinément d’autoriser la réexportation vers l’Ukraine d’équipements de défense vendus aux européens comme le missile antichar à longue portée Spike, s’équiper de matériels en provenance d’un partenaire ne partageant pas les mêmes « préoccupations opérationnelles » et le même destin stratégique, n’est pas sans poser problème. Séoul semble, dans ce domaine, beaucoup moins regardant que Jerusalem ou Bern, comme le montre l’envoie de canons automoteurs Krab polonais vers Kyiv, mais il n’en demeure pas moins vrais qu’il s’agit d’un risque bien réel, et d’un abandon de souveraineté, même s’il s’accompagne d’un transfert de technologie.

On peut, dès lors, s’interroger sur la pertinence du calendrier actuel du programme franco-allemand MGCS, qui prévoit de produire le remplaçant du Leopard 2 et du Leclerc pour la seconde moitié de la prochaine décennie, et encore davantage de le report sine die du programme CIFS destiné à remplacer les Caesar et Pzh2000. En effet, eu égard à l’émergence évident d’importants besoins à court terme pour les armées européennes dans ce domaine, surtout si un mouvement pour céder des Leopard 2 à Kyiv est effectivement engagé, il se pourrait bien que le MGCS ou le CIFS franco-allemands n’arrivent qu’après l’explosion des besoins européens, sur un marché parfaitement saturé pour au moins deux décennies.

Pire, ils pourraient arriver « après la bataille », c’est à dire au delà du pic de tension, avec toutes les conséquences et risques que cela implique, avec la Russie. Dans de précédents articles, nous avions étudié la pertinence de developper un Leclerc Mk2 ou de lancer la production du prototype E-MBT de KNDS à court terme . Il est incontestable que le développement d’un CIFS pour remplacer les Pzh2000 mais également les AuF1, ainsi que les lance-roquettes multiples français et allemands, aurait lui aussi beaucoup de sens s’il s’inscrit sur un calendrier raccourci. La planification stratégique, c’est également de s’assurer que les équipements produits arrivent sur un marché effectivement en demande, surtout lorsque l’exportation fait partie intégrante du modèle de soutenabilité budgétaire. L’exemple du char Leclerc fut, à ce titre, riche d’enseignements …

En Inde, le Rafale démontre de grandes capacités d’emport sur Ski-Jump

De récents clichés montrent que, lors des essais sur plate-forme à Goa, le Dassault Rafale M a démontré de grandes capacités d’emport sur ski-jump.

Depuis le début du mois de janvier 2022, Dassault Aviation et la Team Rafale participent à une vaste campagne de test visant à déterminer les performances de son chasseur, le Rafale M (pour Rafale Marine), à opérer à partir d’un porte-avions doté non pas de catapultes comme pour le PAN Charles de Gaulle de la Marine Nationale, mais d’un tremplin ou ski-jump, comme ceux qui équipent les deux porte-avions de la Marine Indienne, l’INS Vikramaditya déjà en service et l‘INS Vikrant, premier porte-avions de facture locale qui termine ses essais à la mer.

Si les équipes françaises affichaient une évidente sérénité quant aux résultats attendus lors de ces essais, il restait tout de même à l’appareil de démontrer non seulement sa capacité à prendre l’air à partir d’un tel tremplin, mais également de déterminer quelles seraient les capacités opérationnelles et les limitations consécutives à une telle procédure, notamment en matière de capacités d’emport de carburant et d’armements.

Comme à l’accoutumée, Dassault Aviation n’a guère été prolixe quant aux résultats enregistrés, se contentant de communiqués lapidaires signifiant que tout se passait comme prévu.

Mais une photo publiée sur les réseaux sociaux indiens, nous en apprend davantage quant aux performances de l’appareil dans cette configuration, laissant supposer que le Rafale serait proche d’être aussi à l’aise sur un tremplin qu’avec une catapulte.

En effet, cette photo montre le Rafale M dédié aux essais dans une configuration d’emport impressionnante, avec deux bidons subsoniques de 2000 litres, 2 missiles Mica EM à moyenne portée, deux missiles Mica IR d’autodéfense, et un missile anti-navire AM-39 Exocet sous le fuselage, soit une configuration tout à fait comparable à celle mise en œuvre par la Marine Nationale à partir du Charles de Gaulle pour les missions anti-navires.

Malgré un décollage par Ski-Jump, le Rafale évolue en configuration lourde
Le cliché publié sur les RS indien montre le Rafale M emportant un missile anti-navire AM39 Exocet, deux bidons de 2000 litres et 4 missiles MICA

Ce cliché, dont il n’y a aucune raison de douter qu’il fût pris après un décollage à partir du Ski-Jump de test de Goa, montre que le Rafale est capable d’emporter des charges lourdes, plus de 5,5 tonnes en chargements externes, et donc d’atteindre une masse maximale au décollage dans la configuration Ski jump entre 20 et 21 tonnes, soit une masse très proche de celle communément mise en œuvre à bord du porte-avions français.

Surtout, dans cette configuration, le Rafale dispose d’une allonge opérationnelle exceptionnelle de près de 1000 km, bien supérieure à celle par exemple atteignable par les J-15 mis en œuvre à partir des porte-avions de la marine chinoise.

En effet, si le J-15 a une masse maximale au décollage estimée à 27 tonnes, il a également une masse à vide de 17 tonnes, et doit dépenser considérablement plus d’énergie, et donc de carburant, pour prendre l’air et se maintenir en vol que le Rafale et ses 10,5 tonnes à vide.

En outre, le turboréacteur M88 du Rafale est réputé pour sa faible consommation, ce qui n’est pas le cas des turboréacteurs russes puis chinois qui propulsent les J-15 du Groupe Aéronaval de l’APL.

La configuration révélée par ce cliché laisse également supposer que même en configuration tremplin, le Rafale serait en mesure d’offrir des capacités proches de celles en configuration catapulte, permettant de l’employer aussi bien pour des missions de défense aérienne que de frappe à longue distance, de reconnaissance et même de nounou de sorte à permettre à un Rafale de ravitailler en vol un ou plusieurs autres appareils si besoin.

En d’autres termes, à l’exception probable des configurations super-lourdes à 3 bidons de 2000 litres plus un lourd chargement de bombes, le Rafale serait en mesure d’effectuer les mêmes missions, à quelques décimales près, à partir d’un tremplin qu’à partir d’un porte-avions équipé de catapultes, et même de sa version basée à terre, surclassant nettement les autres appareils susceptibles, eux aussi, d’être mis en œuvre sur ce type de porte-aéronefs, comme les MIG-29K et Su-33 russes, le J-15 chinois, le F-35B et très probablement le F/A-18 E/F Super Hornet.

Le J-15 peut décoller avec 10 tonnes de carburant et de munitions, mais il doit pour cela déplacer une masse supérieure de 35% à celle du Rafale dans la même configuration.

La démonstration en cours des performances du Rafale dans ce contexte d’utilisation pourrait bien ouvrir de nouvelles opportunités d’exportation pour l’appareil français, au-delà du contrat pour la Marine Indienne.

En effet, de nombreux pays ont entrepris ou envisagent de se doter d’un ou de plusieurs porte-aéronefs de ce type, sur fond de tensions internationales croissantes dans le monde. Jusqu’à présent, le seul appareil occidental considéré par les amirautés occidentales était le F-35B, et ce, d’autant que pour de plusieurs de ces pays, l’appareil américain équipe également les forces aériennes, comme c’est le cas de l’Italie, de la Corée du Sud et du Japon.

En revanche, nombre d’autres ne peuvent espérer pouvoir acquérir le chasseur de Lockheed-Martin de part, par exemple, une posture moins alignée que celle exigée par Washington pour obtenir l’autorisation d’acquérir le F-35.

Dans ce contexte, la qualification du Rafale M pour être mis en œuvre en version STOBAR, c’est-à-dire à partir de porte-avions dotés d’un tremplin et de brins d’arrêts, pourrait ouvrir de réelles opportunités pour se doter d’une aéronavale embarquée performante.

Reste à voir, désormais, jusqu’où pourra aller l’avion français lors de ces essais indiens, et si les performances affichées par l’appareil sauront remporter l’adhésion de l’Amirauté de New-Delhi.

Une chose est certaine, une fois encore, le Rafale a démontré qu’il demeure l’un des meilleurs appareils de combat du moment, et probablement l’un des mieux « né » de tous les appareils actuels, tant il continue de surprendre et de faire la preuve de ses innombrables qualités.

La Corée du Nord investira presque 16% de son PIB pour sa défense en 2023

Pour de nombreux pays occidentaux, en Europe comme en Asie, atteindre un effort de défense égal à 2% de son Produit Intérieur Brut constitue un objectif suffisant pour garantir sa sécurité, et même un objectif très ambitieux pour certains comme la Belgique qui peinent à atteindre un effort de défense de 1,5% du PIB. La perception est très différente dans d’autres pays, en fonction de la menace perçue ou des ambitions de ses dirigeants. Ainsi, les Etats-Unis consacrent 3,7% de leur production annuelle de richesse à leurs armées, et la Russie consacrera, en 2023, plus de 5% de son PIB à cet effort. La Corée du Sud, sous la menace de Pyongyang depuis plus de 70 ans, dépense pour sa part presque 2,8% de son PIB à cet effort, là ou Taiwan y consacre 2,5%. Certains pays, enfin, peuvent s’appuyer sur un PIB très important pour financer leurs armées de manière efficace sans y consacrer une part importante de leurs PIB, comme la Chine avec un effort de 1,7% pour un PIB de 17,800 Md$, ou le Japon avec 1% de son PIB de 5.000 Md$. Mais très rares sont les pays qui consacrent à leurs défense plus de 15% de leur PIB. C’est pourtant le cas de la Corée du Nord.

Avec une population de presque 26 millions d’habitants pour un PIB de seulement 18 Md$, la Corée du Nord est un des pays les plus pauvres de la planètes, avec un PIB par habitant de moins de 700$ par an, soit à peine 1,5% du PIB par habitant d’un pays comme la France. Même en prenant la conversion en parité de pouvoir d’achat, amenant le PIB nord-coréen à 40 Md$ et le PIB par habitant à 1300 $, celui-ci reste 206ème sur 230 dans le classement des pays de la planète. Ces données macroéconomiques catastrophiques n’empêchent pourtant pas le pays de disposer d’une très puissante armée, alignant plus de 5.000 chars de combat, autant de véhicules de combat d’infanterie et de transport de troupe blindés, ainsi que prés de 10.000 pièces d’artillerie. Surtout, il dispose aujourd’hui d’un stock nucléaire estimé à une cinquantaine de têtes, et de plusieurs centaines de missiles balistiques et de croisière de courte, moyenne et longue portée, en faisant une menace très importante pour ses voisins, et pour la Corée du Sud en particulier.

Le nouveau char de combat nord-coréen M2020, présenté (sans que cela ne soit démontré) comme l’équivalent du T-90M russe, a été présenté pour la première fois lors de la parade militaire d’octobre 2020

Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. En effet, pour soutenir les déclarations faites par le président Kim Jung-un il y a quelques semaines, promettant une croissance « exponentielle » des capacités de frappe nucléaire du pays, le parlement de Pyongyang a validé une hausse de 1,7% des dépenses de défense du pays pour 2023, amenant celles-ci à 15,9% de son PIB, soit autour de 4 Md$ selon les données macroéconomiques effectivement disponibles. Depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un en décembre 2011, le budget annuel nord-coréen consacré à la défense a été multiplié par 5, et l’effort de défense par prés de 2,5, ceci ayant permis les avancées spectaculaires constatées ces dernières années des moyens à disposition des armées nord-coréennes, en particulier dans le domaine des missiles, qu’ils soient balistiques, de croisière, anti-aériens ou anti-navires, mais également dans le domaine naval avec l’arrivée de nouveaux navires et sous-marins, et dans le domaine des armements terrestres avec de nouveaux blindés et systèmes d’artillerie. De toute évidence, aujourd’hui, l’ensemble du pays, et de son économie, s’est tourné vers le développement de ses capacités militaires.

On pourrait penser qu’un budget de défense de seulement 4 Md$ ne permettrait pas de developper un puissant outil militaire. Il est vrai qu’avec un budget équivalent ces 15 dernières années, la Belgique n’est parvenue qu’à maintenir et équiper une force armée de 25.000 hommes, à peine plus de 1000 véhicules blindés, 40 avions de combat et 2 frégates. Même transposé en parité de pouvoir d’achat, soit 8 Md$, cela n’équivaut qu’au budget consacré à la défense par la Suède, qui dispose certes d’une force armée remarquablement équipée et performante, mais qui est loin de représenter une menace capacitaire effective pour ses voisins. Le fait est, dans le cas de la Corée du Nord, même la parité de pouvoir d’achat n’est absolument pas représentative de la réalité du potentiel militaire du pays.

L’Industrie de défense nord-coréenne produit ses propres équipements, comm le systèmes lance-roquettes multiples KN-09 de 300 mm à guidage GLONASS et d’une portée de 200 km

Vivant en quasi-autarcie depuis la mise sous sanctions sévères des Nations Unies en 2006 suite à ses premiers essais nucléaires, la Corée du nord a en effet développé une industrie de défense presque entièrement autonome, capable de produire des équipements, certes sensiblement moins performants que leurs homologues occidentaux, russes ou chinois, mais également considérablement moins onéreux. Ainsi, sur la base du budget effectivement disponible aux armées, et de la production de blindés et autres équipements militaires entrés en service ces 20 dernières années en Corée du Nord, il apparait que les chars, véhicules de combat d’infanterie et autres systèmes d’artillerie, souvent dérivés de modèles soviétiques mais modernisés, ont un prix de revient particulièrement peu élevé, 3 à 5 fois moins chers que les modèles produits en Russie, et jusqu’à 20 fois moins chers que les modèles produits en Occidentaux. Ce coefficient de comparaison, que l’on peut de prime abord évaluer entre 10 et 15 vis-à-vis d’un pays occidental, explique dès lors comment un pays dont le PIB est équivalent à celui du Botswana, parvient à représenter un tel défi militaire pour l’occident.