S’exprimant la semaine dernière à l’occasion du symposium annuel de la Surface Navy Association, le Chef des Opérations Navales ou CNO, l’amiral Mike Gilday, a précisé la priorisation donnée aux grands programmes à venir, sur la période 2025-2040.
Ainsi, pour le CNO, le premier équipement majeur qui entrera en service, probablement au tout début de la prochaine décennie, sera le remplaçant du chasseur bombardier F/A-18 Super Hornet, désigné sous le code programme F/A-XX et issu du programme Next Génération Air Dominance ou NGAD version US Navy (et différent du NGAD de l’US Air Force).
Suite à quoi, entreront en service les destroyers DD(x) qui prendront le relais des destroyers Arleigh Burke Flight III sur les lignes de production des chantiers navals américains, et enfin, au-delà du milieu de la décennie 2030, les nouveaux sous-marins nucléaires d’attaque SSN(X), en lieu et place des SNA de la classe Virginia actuellement en production.
On sait bien peu de chose sur le programme NGAD de l’US Navy, le sujet étant marqué du sceau du secret par le Pentagone, y compris concernant sa dimension budgétaire depuis trois ans.
Au-delà de l’arrivée des drones ravitailleurs furtifs MQ-25 Stingray, qui doit atteindre la pleine capacité opérationnelle en 2025, et qui doivent permettre aux Super Hornet et F-35C Lighting II des groupes aériens embarqués américains d’étendre sensiblement leur autonomie et rayon d’action opérationnel, ce programme repose sur un nouveau chasseur bombardier présenté comme appartenant à la future 6ᵉ génération, comme le NGAD de l’US Air Force et les FCAS européens, ainsi que la flotte de drones de combat et autres Remote Carrier qui caractérisent cette nouvelle génération.
L’appareil au cœur de cette ambition, le programme F/A-XX, devrait quant à lui disposer des attributs de cette nouvelle génération, à savoir une furtivité passive et active étendue, un système de combat numérisée hautement coopératif ainsi que des performances améliorées, notamment en termes de rayon d’action et de capacité d’emport, vis-à-vis des appareils de génération précédente.

Ce nouvel appareil, ainsi que son environnement opérationnel et ses drones, permettront à l’US Navy de considérablement accroitre les performances et capacités de ses groupes aéronavals, ou Carrier Group, en étendant la portée efficace, mais également la discrétion, la densité et l’efficacité des moyens aériens déployés.
Cette configuration répond aux simulations autours d’un potentiel conflit autour de Taïwan avec l’Armée Populaire de Libération, chacune d’entre elles ayant montré que l’ensemble des bases aériennes américaines et alliées dans le pacifique occidental, à Guam comme au Japon, seront massivement frappées de manière préventive par les forces chinoises, les rendant inopérantes sur une durée importante.
Dans cette hypothèse, les Carrier Groups et les groupes aériens qui les arment, constitueront donc la principale force de riposte américaine à court terme pour contenir l’offensive chinoise. Ce scénario qui n’est pas sans rappeler celui qui fut à l’origine de la base narrative du livre « Tempête Rouge » de Larry Bond et Tom Clancy, publié en 1986, qui prit pour hypothèse la perte de l’Islande par l’OTAN dans un conflit face à l’Union Soviétique et le Pacte de Varsovie.
En outre, l’arrivée des nouveaux chasseurs F/A-XX permettra de sensiblement renforcer la bulle de protection autour du porte-avions, et ainsi le déploiement d’autres systèmes comme des frégates et avions de patrouille maritime, de sorte à neutraliser toutes les menaces ou capacité de localisation de l’adversaire, potentiellement employée pour déclencher des frappes à longue portée contre le porte-avions lui-même.
De fait, alors que l’US Navy et le Pentagone estimaient il n’y a de cela que quelques années qu’une réduction de la flotte de porte-avions lourds pouvait être envisagée, y compris pour n’envisager que 6 à 7 de ces navires à terme, celui-ci est redevenu en quelques années la pièce maitresse présente et à venir de la puissance militaire américaine, du fait du durcissement des tensions avec Pékin autour de Taïwan, mais également des tensions et crises parallèles face à la Russie, la Corée du Nord ou encore l’Iran.
Une conclusion qu’il conviendrait probablement de prendre en considération dans la planification militaire française, seul pays disposant des savoir-faire technologiques et militaires pour construire et mettre en œuvre de tels navires en dehors des États-Unis.
Au-delà du programme NGAD et du F/A-XX, l’US Navy entend également développer le destroyer DD(x) qui remplacera les unités de la classe Arleigh Burke les plus anciennes lors de la prochaine décennie.
Le développement de cette nouvelle classe de destroyer n’en est encore qu’à ses débuts, mais l’on sait déjà que le navire devrait être de l’ordre de 40% plus imposant que les Burke, soit un déplacement de 13.500 tonnes. Il devra mettre en œuvre la propulsion électrique intégrée développée pour les destroyers de la classe Zumwalt, le système de combat Aegis Baseline 10 ainsi que le nouveau radar SPY-6, de sorte à disposer de capacités anti-aériennes et anti-missiles balistiques avancées.
Les dimensions supérieures du navire permettront d’accueillir non seulement un grand nombre de missiles, mais permettront également d’accueillir les nouveaux systèmes d’armes en cours de conception, comme des armes à énergie dirigée, des drones à longue portée et des missiles hypersoniques.
Le navire sera également onéreux, le Congrès l’estimant à 3,4 Md$ aujourd’hui, soit 10% de plus que les Burke Flight III, mais offrira des capacités sensiblement accrues, au point que comme le Type 055 chinois, le DD(x) pourrait fort bien avoir davantage les attributs d’un croiseur que d’un destroyer.
Le programme SSN(X) de sous-marin nucléaire d’attaque à venir sera, lui aussi, plus imposant que les SNA de la classe Virginia, avec un déplacement en plongée se situant entre les 7800 tonnes des Virginia et les 9.100 tonnes des Sea Wolf.
Ils seront, selon les informations disponibles, plus performants que les Virginia, notamment en termes de vitesse et de plongée, et seront spécialisés, comme le Sea Wolf, dans la chasse aux sous-marins et aux unités navales adverses (on parle alors de Hunter Killer), davantage que dans la frappe vers la terre comme les Virginia.
Il est toutefois très probable qu’à l’instar des Virginia, ils seront dotés de tubes de lancement verticaux pouvant mettre en œuvre des missiles de croisière ou anti-navires, en particulier les nouveaux missiles hypersoniques en cours de développement pour l’US Navy.
Reste pour le CNO, au-delà des ambitions des programmes à venir, la priorité aujourd’hui pour l’US Navy est d’accroitre les capacités de production et de réparation de ses navires par l’industrie navale américaine.
Lui comme le secrétaire à la Navy, Carlos del Toro, ne cessent en effet de mettre la pression sur les chantiers navals américains, y compris publiquement, alors qu’ils doivent passer d’une production de 1,5 à 3 destroyers chaque année pour respecter la planification en cours, mais également de 1 à 2,7 sous-marins nucléaires d’attaque par an.
Dans le même temps, ils devront parallèlement produire les 6 porte-avions de la classe Ford restant à construire, les 9 LHA de la classe America, les 20 frégates de la classe Constellation ainsi que les 12 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de la classe Columbia sur cette même période, pour ne citer que les principales unités, et ce tout en maitrisant les dérapages en matière de couts et délais traditionnels de l’industrie américaine ces 30 dernières années.
Plus que les performances des nouveaux programmes de l’US Navy à venir, il ne fait guère de doute que ce sera ce volet industriel qui déterminera la réalité du rapport de force entre Washington, Pékin et Moscou dans les années à venir.


















