jeudi, décembre 4, 2025
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L’Amiral Gilday a probablement gagné son pari pour le dimensionnement de la flotte américaine

La planification à moyen et long terme de l’US Navy a été, ces 15 dernières années, un sujet pour le moins chaotique, avec la présentation de nombreux plans contradictoires selon que la Maison Blanche et le Congrès privilégiaient les économies budgétaires ou la reconstruction militaire. Ces hésitations et retours en arrière successifs, ainsi que des programmes hasardeux et excessivement onéreux comme LCS et les destroyers Zumwalt, ont entrainé une situation désormais difficile, alors que les capacités budgétaires et industrielles peineront à absorber en temps voulu le retrait planifié des nombreux bâtiments et aéronefs ayant atteint leurs limite d’âge. Au delà des arbitrages annuels complexes qui donnent, chaque année, lieu à un féroce bras de fer entre l’US Navy et le Congrès, notamment au sujet du retrait des navires inefficaces comme les corvettes LCS, le commandement de la Marine américaine devait proposer un nouveau plan pluriannuel pour le dimensionnement de la flotte. Ce qu’il fit en en Avril 2022. Mais plutôt que de proposer un unique plan qui donnerait lieu à un nouveau bras de fer avec le Congrès, entre les partisans d’une flotte massive et ceux d’investissements plus réduits, le Chef des Opérations Navals, l’amiral Gilday, opta pour une stratégie originale dans ce contexte.

En effet, l’US Navy présenta non pas 1 mais 3 options de planification, de sorte à permettre aux sénateurs et représentants américains de se projeter à moyen terme dans la réalité du devenir de la puissance navale américaine face aux investissements consentis. Ainsi, la troisième option, la plus ambitieuse, proposait de faire croitre les investissements consacrés à la construction navale de 4 Md$ par an, permettant d’atteindre en 2045, un format de 11 porte-avions nucléaires, 80 destroyers, 49 frégates et LCS, de 59 sous-marins nucléaires d’attaque, 59 navires amphibies, 50 navires logistiques et de 42 navires de soutiens, soit 363 navires. Les deux autres hypothèses, moins onéreuses, privilégiaient alternativement la flotte de surface ou la flotte sous-marine au détriment de l’autre, de sorte à n’atteindre que 332 navires en 2045. Toutefois, et comme nous l’avions écrit en avril, l’architecture des propositions faites au Congrès, semblaient s’appuyer sur une stratégie marketing bien connue, l’effet de domination asymétrique.

Ainsi présentée, en effet, les parlementaires américains devaient faire face non pas aux bénéfices liés à l’investissement, mais aux renoncements qu’engendreraient le choix d’une des deux premières hypothèses, soit dans le domaine de la flotte de surface, soit dans celui de la flotte sous-marine, faisant du surcout de la troisième hypothèse, par ailleurs plus ambitieuse que la simple synthèse des deux premiers scénarios, un cout acceptable à la vue des renoncements évités. De fait, la stratégie du CNO semblait bien reposer sur un pari audacieux basé sur une théorie marketing, davantage conçue pour vendre des voitures, téléviseurs et des montres, que pour présider à la destinée de la première force navale mondiale. Pour autant, ce pari a, de toute évidence, été couronné de succès, de l’avis même de l’Amiral Gilday.

En effet, à l’occasion du symposium annuel de la Surface Navy Association, celui-ci a donné des précisions sur la manière dont les parlementaires américains se sont emparés de ce dossier, et de sa structure non conventionnelle. Selon le CNO, ces derniers ont été « très déterminés dans leurs ambitions en matière de construction navale. Et ils ont été très clairs dans l’expression de leurs attentes ». Et de fait, le budget 2023 pour les armées US voté il y a quelques jours, intègre une augmentation de 4 Md$ des crédits consacrés à la construction navale, soit le montant attendu pour répondre à la trajectoire de la troisième hypothèse. En outre, les capacités de production de l’industrie navale militaire américaine ont fait l’objet d’une attention très particulière des sénateurs et représentants lors des entretiens autour de ce budget, et d’ambitieuses décisions ont été prises pour accroitre celles-ci, tant en matière de navires de surface que de sous-marins.

Reste que la dimension budgétaire ne constitue qu’un des volets critiques de l’ambitieux plan présenté par l’amiral Michael Gilday. En effet, et comme il l’a à plusieurs reprises répété, lui comme le Secrétaire à la Navy Carlos des Toro, le plus grand enjeux pour l’US Navy est de parvenir à transformer l’industrie navale américaine, tant pour accroitre les capacités de production que pour réduire les délais de construction ou de maintenance des bâtiments, des sujets qui, aujourd’hui, handicapent considérablement l’efficacité à la Mer des forces navales américaines. D’ailleurs, les parlementaires américains n’ont pas signé un chèque en blanc à la Marine américaine dans le cadre du budget 2023, en liant la poursuite de l’effort budgétaire pour la construction navale à d’importants progrès dans ces domaines, et ce dès cette année.

L’efficacité de la stratégie employée par le CNO pour amener le Congrès à soutenir les investissements souhaités, pourrait donner des idées à d’autres armées. Malheureusement, celle-ci ne peut fonctionner que dans le cas d’une discussion relativement ouverte autour de la planification défense des instances politiques, et notamment du parlement, mais également d’un intérêt important de l’opinion publique pour ces sujets, de sorte à faire pression sur les décisions prises. Or, en Europe, les décisions autours des questions de défense suscitent le plus souvent moins d’intérêt de la part de l’opinion ou des médias, et sont parfois, comme c’est le cas en France, prises principalement par l’exécutif en dehors de tout débat, alors que le parlement comme les chefs d’état-major n’ont souvent qu’un rôle mineur ou bien moindre qu’aux Etats-Unis sur ces questions. Ceci expliquent probablement, en partie, l’état des forces armées européennes aujourd’hui.

Face à la menace nord-coréenne, le président sud-coréen veut déployer l’arme nucléaire sur son sol

2022 aura été une année d’une extreme tension dans le monde. Mais si l’attention se porte beaucoup sur le conflit russo-ukrainien, d’autres conflits potentiels se sont rapidement développés au cours de cette année sur la planète. C’est le cas de l’ile de Taiwan, objet des ambitions du président chinois Xi Jinping, mais également du Golfe Persique avec la montée en puissance des capacités militaires iraniennes, ou encore du Caucase, avec les combats opposants forces arméniennes et azéris autours du Haut-Karabach.

Mais le théâtre le plus intense aujourd’hui, n’est autre que la péninsule coréenne, alors que la Corée du Nord a procédé à pas moins de 88 tirs de missile balistiques de différents modèles et portée cette année, le plus souvent autour ou à proximité des eaux territoriales sud-coréennes et japonaises.

Doté de l’arme nucléaire, Pyongyang a ainsi montré, de manière répétée, qu’il était en mesure de frapper son voisin, mais également le Japon, et laisser supposer qu’il pourrait, aux besoins, frapper des territoires américains avec ses missiles intercontinentaux. En outre, la nouvelle doctrine nord-coréenne présentée en décembre 2022 considère légitime l’utilisation des armes nucléaires tactiques, y compris en première intention.

De fait, contenir la menace nucléaire nord-coréenne est devenue l’obsession de la Maison Bleu, la résidence du président sud-coréen Yoon Suk Yeol et de son gouvernement, mais également de son allié américain. Le sujet a d’ailleurs au coeur des discussions avec Joe Biden, avec un renforcement prévu des moyens américains dédiés à contenir cette menace en Corée du Sud, et des exercices spécifiques autour de cette menace entre les armées US et sud-coréennes.

Dans le même temps, Séoul s’est doté d’une doctrine spécifique, dite doctrine 3 axes, pour contenir cette menace, articulée autour de frappes préventives pour éliminer les sites de lancement nord coréens dans le cas de frappes imminentes, de l’interception des vecteurs envoyés par Pyongyang qui auraient échappé aux frappes préventives, et enfin, l’élimination de l’ensemble des sites et infrastructures critiques nord-coréennes pour neutraliser le commandement et le soutien des armées.

Pour cela, les armées sud-coréennes développent des capacités de frappe multiples terrestres, navales et aériennes, ainsi que des capacités d’interception avancées pouvant contrer les missiles de Pyongyang, dans un effort sans précédant du pays pour sa propre défense.

les nouveaux destroyers KDXIII de la Marine sud-coréenne participent à la doctrine 3 axes, en mettant en oeuvre des missiles de croisière Hyunmoo III

Toutefois, bien que pertinente et, de toute évidence, dotée de moyens importants, la doctrine 3 axes souffre d’une faiblesse structurelle critique. En effet, elle ne peut fonctionner que si le nombre de têtes nucléaires et de vecteurs potentiels en service en Corée du Nord reste limité, de sorte à pouvoir non seulement les frapper voire les intercepter, mais surtout, pour être en mesure de les suivre avec une précision et un exhaustivité suffisante pour protéger le pays.

Aujourd’hui, selon les sources, la Corée du Nord disposerait effectivement de 20 à 50 têtes nucléaires, et d’une centaine de missiles balistiques capables de les transporter au besoin. Or, dans son discours de nouvelle année, le dictateur nord-coréen, Kim Jong-un, a précisément promis d’accroître « de manière exponentielle », le nombre de têtes nucléaires dans le pays. Est-ce en réponse aux annonces de son homologue nord-coréen ?

Quoi qu’il en soit, le président Yoon Suk Yeol a, de son coté, déclaré qu’il entendait accroitre les capacités défensives de la Corée du Sud, quitte à déployer des armes nucléaires dans le pays, voire à se doter d’armes nucléaires.

Rappelons en effet qu’aujourd’hui, la défense stratégique de la Corée du Sud est assurée par les accords de défense qu’ont signé Washington et Seoul suite à la guerre de Corée, et qui prévoit, notamment, une riposte nucléaire américaine si le pays était lui même visé par des frappes de destruction massive (nucléaire mais également chimique, biologique ou radiologique). En outre, les armées américaines maintiennent 28.500 militaires sur le sol sud-coréen, un nombre en baisse depuis 2000 alors qu’ils étaient 37.500, mais qui reste l’un des 3 déploiements les plus importants des forces US avec l’Allemagne et le Japon. Des frappes nucléaires nord-coréennes contre le sud entraineraient de fait nécessairement de lourdes pertes dans les rangs des militaires américains, et la riposte stratégique serait systématique.

L’US Army participe à la défense antibalistique de la Corée du Sud avec des batteries THAAD et Patriot PAC3

Si, comme l’annonce Kim Jong-un, le nombre de têtes nucléaires en service en Corée du Nord venait à augmenter, cela neutraliserait les capacités escomptées de la doctrine 3 axes, rendant impossible la suppression de l’ensemble des sites et vecteurs avant qu’ils ne puissent atteindre leurs cibles en Corée du Sud. En outre, du fait de l’organisation démographique du pays, de telles frappes feraient un nombre considérable de victimes, la ville de Séoul abritant, à elle seule, 20% de la population du pays avec 10 millions d’habitants, et 65% de la population étant concentrée dans les 20 plus grandes villes du pays. En outre, si la protection américaine est indéniable, elle n’est pas déployée, pour la dimension nucléaire, sur le sol de Corée du Sud, et le pays ne dispose pas, comme c’est le cas des membres de l’OTAN, d’une notion de dissuasion partagée à double-clés.

C’est donc probablement là l’objectif du président Yoon Suk Yeol, sachant que se doter de l’arme nucléaire constituerait une violation du traité de non-prolifération, la mise en oeuvre de nombreuses sanctions internationales, et très probablement le retrait des troupes et de la protection US, ce qui serait, au final, une catastrophe tant sécuritaire que politique et économique pour le pays. En évoquant la nécessité d’une capacité de riposte nucléaire sur le sol sud-coréen, et ce de manière légitime face à la menace nord-coréenne en devenir, le président sud-coréen ouvre donc, de manière indirecte, les discussions avec son homologue américain pour que les deux pays mettent en oeuvre une dissuasion partagée comparable à celle mise en oeuvre au sein de l’OTAN, d’autant que les forces aériennes sud-coréennes disposent déjà des F-35A et F-15K potentiellement qualifiables pour la mise en oeuvre de la bombe nucléaire B-61-M12 qui arrive en Europe.

Les forces aériennes sud-coréennes disposent de 40 F-35A (+20 en commande) pouvant transporter la bombe nucléaire B-61-M12

Reste à voir, désormais, quelle sera la réponse donnée par Washington à l’ouverture faite par le président sud-coréen. Jusqu’à présent, en dépit de plusieurs sollicitations en ce sens, la Maison Blanche n’a jamais répondu favorablement à de telles demandes. Toutefois, la Corée du Sud s’appuie sur une organisation militaire relativement proche de celle appliquée au sein de l’OTAN, notamment au travers d’un commandement intégré sous commandement américain, capable de prendre en main l’organisation de la défense du pays, et notamment des armées sud-coréennes, face à une agression majeure. Toutefois, en ouvrant la discussion, Washington risque fort de devoir répondre à d’autres requêtes similaires, notamment de la part de certains de ses proches alliés de la zone Pacifique comme le Japon et l’Australie. En outre, au delà de la menace nord-coréenne, la nucléarisation de la présence américaine en Corée du Sud, entrainera nécessairement une réponse forte de la Chine et de la Russie, toutes deux proches de la Corée du Nord, avec un risque évident de course aux armements, y compris en permettant à Pyongyang d’acquérir des matériels évolués russes et chinois, et de regain de tensions sur la Péninsule. D’une manière ou d’une autre, la négociation ainsi que l’éventuelle décision autour de ce sujet seront complexes et riches de conséquences.

La Marine indienne envisagerait d’activer l’option pour des sous-marins Scorpene de Naval Group supplémentaires

Lancé en 2014, le programme P75i indien visait à prendre la suite du programme du programme P75 attribué en 1997 au français Naval Group pour la construction de 6 sous-marins de la classe Kalvari basée sur le modèle Scorpene. Le nouveau programme devait permettre à l’Indian Navy de recevoir 6 nouveaux sous-marins, dotés cette fois d’une propulsion anaérobie, ou AIP pour Air Indépendant Propulsion, déjà employée sur les sous-marins allemands, suédois, chinois et sud-coréens, et offrant une autonomie de plongée étendue aux submersibles, pouvant atteindre 3 semaines, contre une semaine pour les batteries classiques. Depuis, le programme P75i a rencontré de nombreuses difficultés, en particulier liées aux exigences du cahier des charges indien qui impose que seuls les technologies déjà en service et opérationnelles peuvent être proposées. Ces contraintes ont amené 4 des 5 participants à la compétition à se retirer, l’espagnol Navantia, l’allemand TKMS, le russe Rubin et le français Naval Group, ne laissant que le sud-coréen DSME et son Dosan Anh Changho en compétition, une situation bien peu satisfaisante pour New Delhi qui entend profiter de ce contrat pour acquérir certaines technologies clés pour developper sa propre industrie navale.

Depuis plusieurs mois, la situation autour du programme est ainsi gelée, dans l’attente d’une modification du cahier des charges permettant à d’autres industriels de participer. Dans le même temps, la Marine Pakistanaise accroit sensiblement ses propres capacités sous-marins, avec notamment l’acquisition de 8 sous-marins AIP Type-039B auprès de Pékin, des navires réputés performants et discrets, largement supérieurs aux Kilo et Type 209 qui représentent l’essentiel de la flotte sous-marine indienne. Le programme P75 arrive quant à lui à son terme, alors que le 5ème des sous-marins l’INS Vagir, doit être admis en service d’ici quelques jours, et que le 6ème et dernier bâtiment, l’INS Vagsheer, a été lancé le 22 avril 2022, et que la Marine indienne semble très satisfaite des performances de ses nouveaux navires. Enfin, depuis le lancement du programme P75i, une nouvelle technologie de batterie, basées sur le couple Lithium-ion, a été employée avec succès sur le premier sous-marin japonais de la classe Taigei, le JS Tagei, offrant de nombreux avantages, y compris vis-vis de la technologie AIP, créant le doute à New Delhi quant à la pertinence du programme P75i.

le JS Taïgei des forces navales d’autodéfense japonaises, est le premier sous-marin équipé de batteries Lithium-ion

Pour répondre à ces contraintes, il semblerait, selon le site hindustantimes citant des sources proches du dossier, que l’Etat-major de l’Indian Navy envisage d’exécuter l’option de 3 navires supplémentaires de la classe Kalvari, accompagnés peut-être de 3 autres unités, en lieu et place du programme P75i. Une telle option permettrait en effet d’exploiter au mieux et dans des délais courts l’outil industriel des chantiers navals Mazagon et de toutes la supply chain organisée par Naval Group, pour répondre à la montée en puissance de la marine pakistanaise, le Scorpene étant parfaitement à niveau pour faire face aux Type 039B Pakistanais. Mais l’ambition de l’Indian Navy, dans cet arbitrage, va bien au delà du sujet des sous-marins à propulsion conventionnelle, qu’ils soient classiques, AIP ou équipés de batteries Lithium-ion. En effet, l’objectif visé est de se doter, le plus rapidement possible, d’une flotte de 6 à 8 sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire.

En mars 2021, déjà, la marine indienne avait très ouvertement marqué son intention de se doter, dans les délais les plus courts possibles, d’une flotte de SNA, quitte à devoir pour cela sacrifier son 3ème porte-avions. En effet, au delà d’une autonomie de plongée conditionnée uniquement par l’emport de vivres et la santé psychologique de l’équipage (en moyenne les missions à bord des sous-marins nucléaires occidentaux s’étalent sur 2 à 3 mois), ces navires sont beaucoup plus rapides, capables de parcourir jusqu’à 600 nautiques par jour en plongée à une vitesse de 25 noeuds, là ou les navires conventionnels doivent évoluer en plongée à une vitesse de croisière de 6 noeuds pour préserver leurs batteries. L’Inde ayant plus de 7000 km de côtes, de telles performances sont, de fait, stratégiques. En outre, le voisin chinois réalise d’importants progrès ces dernières années dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaires, et les SNLE Type 09IV et les SNA Type 09V à venir, sont généralement considérés comme offrant des performances proches de celles des navires occidentaux actuellement en service. Enfin, l’Inde se dotant d’une flotte de haute mer, avec des porte-avions, porte-hélicoptères d’assaut, frégates et destroyers, une flotte de SNA offrirait une capacité d’escorte et de renseignement bien plus efficace que des sous-marins à propulsion conventionnelle.

les 6 sous-marins de la classe Kalvari ont été lancés, le dernier en avril 2022

Or, au delà des aspects purement industriels et économiques par l’exploitation des capacités industrielles structurées existantes, avancés par l’Indian Navy, l’exécution d’une commande de sous-marins Scorpène supplémentaires, qui au passage pourraient fort bien être dotés de batteries Lithium-ion, Naval Group ayant développé ce savoir-faire, permettrait de lancer rapidement le programme de SNA indiens. La France et Naval Group sont en effet parmis les très rares partenaires pouvant potentiellement accompagner New Delhi dans le développement de ses propres sous-marins nucléaires d’attaque, d’autant que le groupe français est déjà engagé dans une prestation comparable au Brésil, là encore aux cotés de la construction de sous-marins Scorpene. Ainsi, au début du mois de décembre, Naval Group avait laissé entendre à ses partenaires qu’il serait possible de transférer à l’Inde la technologie du Pump-jet, une hélice carénée destinée à améliorer son efficacité à grande vitesse, mais surtout à atténuer les effets de cavitation particulièrement sonores, et donc peu discrète, lorsque les navires évoluent à vitesse élevée.

Or, cette technologie n’a d’intérêt que pour des navires disposant d’une réserve énergétique importante, qu’ils soient à propulsion nucléaire ou non, comme c’est le cas des SNLE le Triomphant et des SNA Suffren de la Marine Nationale, mais également des sous-marins conventionnels Barracuda proposés par Naval Group aux Pays-Bas, dotés précisément d’une puissance énergétique très importante avec un grand nombre de batteries Lithium-ion. Dans le cas de l’Inde, il s’agissait, pour Naval Group, de se déclarer ouvertement comme un partenaire potentiel pour developper le programme de SNA de l’Indian Navy, y compris en proposant des transferts de technologie critiques, les Pump-jet étant maitrisés par très peu de pays (Etats-unis, France, Royaume-Unis, Russie et Chine).

Les SNA de la classe Suffren, comme les SNLE de la classe Le Triomphant, sont équipés de Pump-jet, une technologie clé pour les sous-marins à propulsion nucléaire.

La fuite dans la presse indienne, au sujet des aspirations de l’Indian Navy, n’est dès lors probablement pas fortuite. En effet, le Rafale M de Dassault Aviation a déjà été désigné comme le choix préférentiel de la Marine Indienne face au Super-Hornet de Boeing, pour équiper le nouveau porte-avions INS Vikrant. L’annonce de la commande indienne de 26 de ces appareils devrait intervenir dans les mois prochains, peut-être à l’occasion de la visite d’Emmanuel Macron à New Delhi pour rencontrer son homologue Narendra Modi, annoncée pour intervenir « au début de l’année 2023 », et qui devrait permettre d’engager certaines coopérations stratégiques, notamment dans le domaine de l’énergie nucléaire. Dans de telles circonstances, il est probable que le sujet de l’option sur les Scorpene, mais également d’une collaboration avancée autour du programme de SNA indien, sera abordée par les deux chefs d’état, avec peut-être même à la clé, certaines annonces.

Leopard 2, Mamba, Patriot, Marder … Les européens accroissent massivement leur soutien militaire à l’Ukraine

Il règne depuis quelques jours dans les chancelleries européennes une ambiance de bataille décisive imminente. En effet, après des mois et des mois de tergiversations sur la nature offensive ou défensive de tel ou tel équipement, ou de multiples pas de trois pour justifier certaines décisions, il semble qu’une majorité des grandes capitales européennes se dirigent désormais vers un soutien massif de l’effort de défense ukrainien, sur des délais plus courts qu’à l’accoutumée. Le début d’année a ainsi été marqué par la décision française de livrer des véhicules de transport de troupes Bastion, et surtout de chars légers (ou engins blindés de reconnaissance pour ceux que cette qualification irrite) AMX-10RC, ouvrant la voie à la livraison de blindés à caractère offensif de première ligne de facture non soviétique, et ce alors même que les stocks restants en Europe de chars T-72 et de véhicules de combat d’infanterie BMP s’amenuisent et que la production industrielle russe est repartie sur des rythmes effrénés de 40 à 50 blindés lourds par mois.

De fait, au lendemain de l’annonce française, Berlin et Washington annonçaient conjointement la prochaine livraison de VCI Marder et Bradley à Kyiv, mais également de 2 batteries Patriot supplémentaires en plus de celle déjà promise par Joe Biden il y a quelques semaines. A ce titre, la formation des servants ukrainiens de ces batteries va débuter dès la semaine prochaine sur la base de Fort Still dans l’Oklahoma, afin que les batteries puissent être livrées et mises en oeuvre « le plus rapidement possible », au dire du Général de Brigade de l’US Air Force Patt Ryder qui encadre cette formation. Dans le même temps, une formation similaire sera entreprise par Paris et Rome afin de pouvoir fournir à Kyiv une batterie SAMP/T Mamba, ce qui permettra aux armées ukrainiennes de s’appuyer sur 4 systèmes anti-aériens à longue portée et anti-balistique dotés de très hautes performances d’ici quelques mois. Rappelons au passage que la formation Patriot au sein de l’US Army prend aujourd’hui 2 ans, même si celle-ci sera considérablement raccourcie à la vue de l’urgence opérationnelle, mais également du savoir faire des opérateurs sol-air ukrainiens qui ont su parfaitement employer leurs systèmes S-300, Buk et Tor pour interdire le ciel aux chasseurs russes, et qui ont également appris à mettre en oeuvre d’autres systèmes comme l’IRIS-T allemand et le Crotale -NG français en des délais records.

La France et l’Italie s’apprêteraient à former les personnels ukrainiens dans le but de mettre en oeuvre une batterie anti-aérienne et anti-missile SAMP/T Mamba

Mais la plus décisive des annonces faites ces derniers jours a été faite par le président polonais Andrzej Duda, à l’occasion d’une rencontre avec le président Ukrainien Volodymyr Zelensky et de son homologue lithuanien, le premier ministre Gitanas Nausèda, qui s’est tenue a Lviv aujourd’hui. En effet, le président Polonais a annoncé l’envoi prochain d’une compagnie de chars Leopard 2 polonais en Ukraine, dans le cadre d’une « coalition internationale de donateurs » pour soutenir l’effort de défense ukrainien. On ignore toutefois le cadre de cette coalition, et surtout si Berlin a effectivement donné son aval à Varsovie pour livrer ces blindés construits par Krauss-Maffei Wegmann, dont 250 exemplaires sont en service au sein des forces armées polonaises. Pour rappel, une compagnie de char représente le plus souvent 14 de ces blindés, même si ce nombre peut dans certains cas dépasser les 20 unités.

Comme nous l’avions écrit hier, la pression était très forte depuis quelques jours sur Berlin et le Chancelier Olaf Scholz afin que ce dernier autorise la re-exportation des blindés lourds de facture allemande vers l’Ukraine. Jusque là, Berlin avait systématiquement refusé de livrer des équipements létaux en zone de conflit, et la livraison de transport de troupes, puis de canons automoteurs ou encore de système anti-aériens avait déjà représenté une considérable rupture avec la position traditionnelle allemande dans ce domaine. Toutefois, la livraison de chars lourds comme le Leopard 1 ou 2, semblait jusque là représenter une ligne rouge que les autorités allemandes ne semblaient pas prêtes à franchir, pas tant pour ne pas risquer l’escalade militaire avec Moscou, que pour ne pas réveiller certains vieux démons historiques.

La Finlande a également annoncé qu’elle souhaitait livrer des Leopard 2 à l’Ukraine, mais ne procédera probablement jamais sans l’accord de Berlin.

Reste à savoir, désormais, dans quel cadre, et surtout dans quelle coalition internationale de donateurs l’annonce polonaise à été faite. En effet, en dehors d’un accord formel de Berlin en ce sens, la livraison de ces chars ne pourra se faire, et une telle annonce ne ferait alors qu’accroitre la défiance en Europe de l’Est et du Nord des opinions publiques envers l’Allemagne, bouc émissaire bien pratique pour de nombreux politiques pour focaliser les frustrations de leurs opinions publiques. Il faut se montrer d’autant plus prudent que le président polonais avait déjà, il y a quelques mois, tenté un coup de force de ce type au sujet des Mig-29 polonais, en annonçant leur livraison sur une base américaine en Allemagne pour expédition en Ukraine, alors qu’aucun accord en ce sens n’avait été donné ni par Washington, ni par Berlin. En l’absence d’accord, les développements d’une telle annonce publique seraient alors considérables, que la Pologne décide ou non de livrer ces blindés à Kyiv, avec a la clé une crise diplomatique majeure en Europe.

Si accord il y eut, en revanche, on peut s’attendre à ce que d’autres pays, dont la Finlande qui avait déjà déclaré être prête à abonder la livraison de Leopard 2 vers l’Ukraine, fassent de même. Dans ce contexte, il est probable que les armées ukrainiennes pourront recevoir, à relativement court terme d’ici quelques semaines et à quelques mois, plusieurs dizaines de Leopard 2, peut être épaulés par d’autres chars lourds comme les 10 Challenger 2 promis par Londres, ou les Leclerc en cours de discussion avec Paris. On remarquera qu’en donnant l’autorisation de livrer des équipements d’occasion à ses alliés, plutôt qu’en livrant ses chars prélevés sur les stocks nationaux, les autorités allemandes pourraient en effet se saisir d’une alternative intermédiaire permettant d’éviter le feu des critiques de la part de ses voisins, sans toutefois s’impliquer directement plus avant dans le conflit en Ukraine, au risque de donner de la matière à la propagande russe friande de symboles aussi basiques qu’artificiels, mais souvent efficaces sur une partie de la population, mais également de s’aliéner une opinion publique allemande majoritairement opposée à une telle décision. .

L’Armée Populaire de Libération chinoise développe également une doctrine All-Domain

Comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises, si l’attention médiatique et politique occidentale, y compris aux Etats-Unis, est aujourd’hui focalisée sur la Russie et la conflit en Ukraine, c’est bel et bien la Chine qui préoccupe avant tout les stratèges du Pentagone.

En effet, en dehors de ses capacités nucléaires, Moscou ne dispose désormais plus des capacités militaires, économiques et démographiques pour représenter une menace majeure pour Washington et l’OTAN, ce d’autant que ses armées ont lourdement souffert depuis le début du conflit, avec d’importantes pertes en hommes et matériels.

La Chine, de son coté, dispose d’une économique très dynamique, soutenue par des réserves financières considérables, ainsi que d’une population de 1,4 milliard d’individus dont 25 millions d’hommes de 20 à 40 ans surnuméraires, et désormais de capacités industrielles et technologiques venant tangenter celles des Etats-Unis.

Pour répondre à ce défi, le Pentagone a fait le pari de la technologie, en particulier pour compenser sa faiblesse en devenir en terme de masse, en s’appuyant sur des systèmes autonomes comme les drones aériens et navals, des systèmes cinétiques avancés comme les missiles hypersoniques, et des capacités supérieures dans les domaines plus traditionnels des armements terrestres, aériens et navals.

Surtout, les généraux américains ont développé une doctrine d’engagement coopératif avancé, désignée par l’acronyme JADC2 pour Joint All-Domaine Command and Control. Basée sur l’interconnexion de l’ensemble des systèmes de communication sous le contrôle d’une fusion de données et d’un recours massif à l’intelligence artificielle et des technologies de cloud computing, cette doctrine doit permettre de considérablement raccourcir les délais et étendre les capacités de ce que les stratèges américains désignent sous le terme de Kill Chains, en permettant à chaque système connecté d’avoir accès aux informations et moyens des autres systèmes disponibles sur le théâtre pour répondre à une menace ou saisir une opportunité dans des délais particulièrement courts, de l’ordre de quelques minutes, là ou il fallait quelques heures il y a de cela encore quelques années.

Les capacités Cyber ont été développés de manière massive par l’APL depuis 2015, et interviennent aussi bien pour protéger les systèmes d’information que pour priver l’adversaire de certains de ses moyens, conformément à la doctrine de l’APL qui vise davantage à neutraliser les capacités de l’adversaire qu’à les détruire.

Pour les forces américaines, la doctrine JADC2 doit permettre d’optimiser au maximum l’utilisation des moyens disponibles sur un théâtre d’opération, allant des satellites aux capacités Cyber en passant par les forces des 4 corps américains, de sorte à compenser le probable avantage numérique chinois le cas échéant. Toutefois, cette stratégie souffre, comme c’est également le cas du recours massif aux drones ou l’amélioration des capacités des systèmes d’arme ou de l’entrainement des forces, d’une faiblesse structurelle importante, qui plus contre laquelle les armées américaines sont démunies.

En effet, dans tous ces domaines, Pékin développe des capacités comparables de son coté, dans le but évident de neutraliser le coefficient multiplicateur opérationnel espéré par les américains. C’est ainsi que dans le dernier rapport sur la puissance militaire chinoise, publié par le Département de la Défense américain à destination du Congrès, a indiqué que l’APL serait engagée de son coté, dans le développement d’une doctrine comparable à la JADC2 américaine, désignée Multi-Domain Precision Warfare par Pékin.

Concrètement, cette doctrine calque ses ambitions sur celles du Pentagone, et vise à créer un environnement numérique unifié et piloté par des intelligences artificielles, afin de permettre un rapide échange de données pertinentes entre les différents acteurs d’un engagement appartenant aussi bien aux forces terrestres que navales, aériennes, cyber ou spatiales, et ainsi offrir une capacité d’engagement multi-domaines étendue sur des délais raccourcis. A l’instar de son industrie de défense, Pékin peut s’appuyer sur les capacités avancées dont s’est doté le pays en matière de développements numériques, de communication, d’intelligence artificielle et de systèmes hardwares pour mettre en oeuvre cette doctrine. Elle bénéficie, en outre, d’un avantage sur leurs homologues américains, alors que l’APL est engagée depuis une dizaine d’année dans un important effort de modernisation et de renouvellement des équipements majeurs, lui permettant notamment d’être moins exposée aux contraintes liées à l’intégration de systèmes plus anciens, comme c’est le cas outre-atlantique.

Le chasseur bombardier J-16 offre des capacités comparables à celles du F-15E Strike Eagle américain. Entré en service en 2015, les forces aériennes chinoises disposent aujourd’hui de plus de 250 de ces appareils.

La stratégie chinoise visant à calquer ses capacités militaires sur les armées américaines n’est pas nouvelle. Depuis une vingtaine d’années, l’APL a en effet évolué pour devenir une réplique capacitaire des forces américaines, au point que les forces elles-mêmes sont composées selon des schémas proches de ceux employés par l’US Army, l’US navy, l’US Air Force et l’US Marines Corps. La situation est similaire en terme d’équipements, le char Type-99A étant proche en performances de l’Abrams M1A2, le chasseur J-10C du F-16, le chasseur bombardier J-16 du F-15E, et le J-20 se voulant une réponse au F-22, alors que les destroyers Type 052D et 055 sont des alternatives aux Arleigh Burke de l’US Navy, et les porte-hélicoptères Type 075 aux LHD Wasp et LHA America. Même le nouveau porte-avions Fujian, bien que doté d’une propulsion classique, mettra en oeuvre un groupe aérien embarqué très proche de ceux à bords des Nimitz américains.

L’objectif visé par Pékin n’est pas tant ici de prendre l’ascendant technologique militaire sur les armées américaines et par transitivité, sur celles de leurs alliés qui exploitent pour la plupart les mêmes technologies et doctrines, que de priver ces derniers du coefficient multiplicateur opérationnel conféré par la technologie occidentale, comme ce fut le cas pendant la guerre froide. En procédant ainsi, contrairement à l’Union Soviétique, la Chine ne s’engage pas dans une course aux armements débridées qui pourrait éroder ses moyens économiques, mais parvient à neutraliser un à un, et même désormais de manière anticipée, l’ensemble des points d’appuis sur lesquels le Pentagone construit sa stratégie pour contenir la puissance militaire chinoise. Dès lors, Pékin entend non seulement prendre l’ascendant grâce à ses capacités industrielles et démographiques supérieures, mais également pousser Washington à poursuivre une course technologique éperdue pour espérer compenser ce désavantage, comme le firent les soviétiques en leurs temps, alors même que l’économie US est aujourd’hui bien moins dominante et solide qu’elle ne l’était dans les années 70 et 80.

Bien que plus léger de 10 tonnes que le M1A2 Abrams, le char lourd chinois Type 99A entré en service en 2007 dispose aujourd’hui de capacités offensives et défensives proches de celles du char américain.

Pour cela, au delà des moyens financiers dont disposent les autorités chinoises après trois décennies d’investissements parcimonieux et performants, y compris en matière de défense, celles-ci peuvent s’appuyer sur les performances économiques de sa propre industrie de défense, qui produit un équipement pour un prix très inférieur à celui appliqué par l’industrie US pour un matériel équivalent. Ainsi, à titre d’exemple, un destroyer Type 052D est certes plus léger et moins armé qu’un Arleigh Burke, mais il ne coute que 700 à 800 m$ aux armées chinoises, là un un Burke dépasse les 2,5 Md$. Et il est probable que les destroyers lourds Type 055, plus lourd et mieux armés que les Burke, sont également sensiblement moins chers que ces derniers. Si le rapport d’efficacité économique des matériels chinois n’est pas d’un facteur 20 comme avancé par le Major General américain Cameron Holt en juillet dernier, un facteur 3 à 4 est plus que probable, ceci expliquant comment l’APL parvient à rattraper les armées américaines avec un budget 2,7 fois moins important. On peut se demander, désormais, si l’industrie de défense américaine, son influence politique et économique, ainsi que son appétence marquée pour les profits pharaoniques, ne représente pas aujourd’hui la plus importante faiblesse des Etats-Unis sur le plan militaire, et par voie de conséquence de ses alliés qui en dépendent, face à la Chine et ses propres alliés ?

L’Allemagne sous pression pour accepter la livraison de chars Leopard 2 à l’Ukraine

« Pourquoi moi ? » C’est probablement une phrase que doit se dire le chancelier allemand Olaf Scholz, alors que la guerre en Ukraine a débuté quelques semaines à peine après qu’il a formé son gouvernement de coalition. En effet, au delà des conséquences difficiles du point de vue économique et énergétique de ce conflit, en particulier en Allemagne qui dépendait considérablement du gaz russe avant guerre, celui-fait l’objet, depuis le début du conflit, de nombreuses critiques et pressions au sujet de l’aide militaire fournie par Berlin à Kyiv. Et alors que l’Allemagne a déjà fait une certaine révolution conceptuelle en acceptant de livrer des armes légères, puis des blindés, des systèmes d’artillerie, des batteries anti-aériennes et désormais des véhicules de combat d’infanterie Marder, il semble que les attentes internationales vis-à-vis de Berlin ne cessent de croitre, alors que désormais, plusieurs pays font ouvertement pression sur Berlin pour amener les autorités allemandes à autoriser la livraison de chars lourds Leopard 2 aux forces armées ukrainiennes.

Ainsi, après le coup de communication du président français au sujet des « chars de combat légers » AMX-10RC qui seront livrés aux défenseurs ukrainiens, et le probable coup de pression de Joe Biden le jour suivant pour amener Berlin à accepter la livraison non anticipée de Marder, ce sont désormais d’autres pays européens qui se joignent au ballet pour briser la résistance historique des allemands qui refusent de voir des chars de facture nationale évoluer face aux armées russes en Ukraine, au risque de rappeler des heures sombres de l’histoire du pays que nombre d’allemands préféraient oublier. Il faut dire que malheureusement pour Berlin, la grande majorité des armées européennes disposant de chars lourds sont précisément équipés de chars Leopard 2 conçus par Krauss-Maffei Wegmann, et que la réexportation de ces blindés vers l’Ukraine nécessite de fait l’accord explicite des autorités allemandes.

La décision française de livrer des chars légers AMX-10RC à l’Ukraine a donné le départ d’une dynamique occidentale pour livrer des équipements blindés lourds aux armées de Kyiv

Le fait est, aujourd’hui, la Pologne mais également la Finlande, seraient prêtes à fournir aux armées ukrainiennes une partie de leurs chars Leopard 2. Les industriels allemands avaient, quant à eux, annoncé dès le mois de mars, qu’ils pouvaient au besoin livrer quelques dizaines de Leopard 1 après une phase de remise en état. Dans le même temps, Londres a laissé entendre que la Grande-Bretagne pourrait livrer une dizaine de chars lourds Challenger 2, équivalent britannique du Leopard 2, à Kyiv, dans une redite survitaminée de l’initiative française au sujet des AMX-10RC qui donna le départ de la dynamique actuelle pour livrer des blindés lourds occidentaux aux armées ukrainiennes.

Même quelques dizaines de chars lourds comme le Leopard 2, le Challenger 2, le Leclerc et l’Abrams, au delà du casse tête logistique extraordinaire que la livraison et la mise en oeuvre de ces chars lourds générerait pour les armées ukrainiennes, pourraient considérablement faire évoluer les options tactiques face aux armées russes, surtout si ces chars sont épaulés de véhicules de combat d’infanterie comme le Bradley et le Marder, ainsi que de chars légers comme l’AMX-10RC. En effet si, en petit nombres (moins d’une centaine d’unités), ces chars ne peuvent faire évoluer le rapport de forces stratégique, ils peuvent toutefois constituer une force de frappe d’une grande efficacité pour briser les lignes de défense russes dans l’hypothèse d’une offensive de printemps, laissant aux chars moins performants comme les T-72, PT-91 et T-64M en service au sein des armées ukrainiennes, le soin d’exploiter la rupture, de sorte à préserver la force de frappe pour des actions de rupture ultérieures.

Plus lourdement protégés, disposant de systèmes de détection et de visée bien plus performants, et de moyens de communication et de gestion du champs de bataille beaucoup plus modernes que leurs homologues russes, ces blindés pourraient en effet faire la différence lors d’actions ponctuelles et suffisantes pour ouvrir des espaces de manoeuvre aux forces blindés ukrainiens qui ont déjà montré, il y a quelques mois, leur capacité à exploiter ce type d’opportunités. En outre, en limitant l’utilisation de ces blindés à ce type de mission, les ukrainiens préserveraient leur potentiel offensif tout en simplifiant et allégeant les contraintes logistiques imposées par ces chars qui consomment plus de 120 litres de carburant à l’heure, et qui nécessitent une maintenance lourde et complexe.

Avec 250 Leopard 2 en service en Pologne et 240 en Finlande, ainsi que les quelques 800 chars Leopard 2 en service en Espagne, aux Pays-Bas, en Norvège, au Danemark, en Grèce et Suède, une autorisation de réexportation vers l’Ukraine donnée par Berlin pourrait engendrer une puissante dynamique pour transférer plusieurs dizaines, voire quelques centaines de ces chars sensiblement supérieurs aux meilleurs modèles russes comme le T-72B3M, le T80BVM et surtout le T90M. En outre, une telle impulsion amènerait probablement les Etats-Unis à livrer d’autres Bradley ainsi que des chars Abrams, la Grande-Bretagne des Challenger 2 et des blindés Warrior, l’Italie des C1 Ariete, des Centauro et des Freccia, et la France des Leclerc et des VBCI, de sorte à conférer à l’Ukraine les moyens de s’imposer au début du printemps. Et ce sans que l’Allemagne n’ait, quant à elle, besoin de livrer ses propres Leopard 2 (ou 1), et ainsi ne pas prêter le flanc à la propagande russe.

La livraison à l’Ukraine de Leopard 2 européens amènerait probablement les Etats-Unis à faire de même avec des chars M1A2 Abrams

On comprend, dès lors, à quel point la pression est importante sur les épaules des dirigeants allemands, pris entre le poids de la responsabilité allemande face à l’histoire passée, et celle du pays face à l’histoire qui s’écrit. Car bien au delà du conflit en Ukraine, la décision à venir d’Olaf Scholz dans ce dossier, conditionnera l’évolution de la politique étrangère et européenne de l’Allemagne, ainsi que son image et sa position dans le camps occidental, pour des années et des décennies. La question est de savoir si le chancelier allemand saura se défaire d’un passé qui n’existe désormais plus que dans la culpabilité ressentie par les allemands et dans le discours d’une extreme minorité d’européens ? D’une manière ou d’une autre, la décision sera difficile, et lourde de conséquences. Alors qu’Angela Merkel a dirigé le pays de 2005 à 2021 sans jamais devoir répondre à de tels dilemmes, il est probable qu’à la place d’Olaf Scholz, nous aussi, nous dirions « Pourquoi Moi ? « 

La Chine ne pourrait pas s’emparer de Taïwan militairement en 2026 selon les simulations

Dans l’hypothèse d’un conflit Chine vs Taïwan, l’Armée populaire de libération ne peut espérer un succès militaire en 2026, même en cas de blocus de Taïwan, selon les simulations menées par le CSIS.

Alors que l’attention des dirigeants et militaires européens focalise, bien logiquement, désormais sur la Russie et sur les conséquences directes et induites du conflit en Ukraine, les stratèges américains s’attachent avant tout à anticiper l’évolution du bras de fer politique et potentiellement militaire entre Washington et Pékin dans le Pacifique et l’Océan Indien.

Le principal sujet de friction entre les deux superpuissances mondiales n’est autre que l’ile de Taïwan, autonome depuis 1949 après que les forces nationalistes de Tchang Kaï-chek, défaites par les forces communistes de Mao Zedong, eurent quitté le continent pour installer sur l’ile un gouvernement autonome.

Si, durant les années 90 et 2000, la coopération entre Taipei et Pékin fut l’un des piliers de la révolution économique chinoise, au profit des deux protagonistes, jamais la Chine Populaire n’a abandonné ses ambitions de réunification, en faisant l’un des piliers des négociations avec les Etats-Unis au début des années 70 pour contrer la puissance soviétique.

Les tensions se sont sensiblement accrues sur le sujet avec l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping, qui fit dès son premier mandat de la reprise de Taïwan pour en faire une province de la République Populaire de Chine, un objectif stratégique, même s’il fallait, pour cela, en passer par une intervention armée.

Dans le même temps, les forces armées chinoises, soutenues par une industrie très dynamique et par une planification remarquable, ont connu une progression fulgurante, notamment par la construction à marche forcée d’une flotte de haute mer de premier rang, et d’une force aérienne tout aussi performante et dimensionnée.

Au point que les plus hauts gradés du Pentagone en charge de ce théâtre, ont ouvertement alerté du risque de conflit autour de Taïwan à courte échéance, les Etats-unis ayant assuré le pays de sa protection en cas d’agression militaire chinoise.

Selon les simulations de CSIS, les 26 frégates et corvettes des forces navales taïwanaises seraient éliminées par des frappes préventives chinoises en amont d’un assaut aéro-amphibie

C’est dans ce contexte que le think tank américain Center for Strategic and International Studies (CSIS) a mené une série de simulations pour évaluer quelles pourraient être les conséquences d’un assaut militaire amphibie et aéroporté des forces de l’Armée Populaire de Libération contre Taïwan en 2026, ainsi que celles d’une intervention américaine et japonaise pour venir en aide à leur allié.

La date de 2026 n’est pas anodine, puisque l’amiral Phil Davidson, alors commandant des forces américaines du Pacifique, avait déclaré en 2021 qu’une intervention militaire chinoise contre Taïwan pouvait intervenir avant 2027, année reprise, depuis, par l’US Navy et l’US Air Force comme date pivot d’un potentiel basculement de force dans le Pacifique.

En outre, le 3ᵉ mandat du président Xi Jinping prendra également fin en 2027, alors que ce dernier a fait modifier la constitution chinoise pour lui permettre de briguer un nouveau mandat au-delà des deux prévus.

Sans qu’elles soient effectivement surprenantes le moins du monde, ces simulations menées par le CSIS permettent toutefois de mieux comprendre les enjeux et la dynamique de ce théâtre.

Pour donner du poids à leurs conclusions, les chercheurs du Think tank américain ont joué pas moins de 24 parties de wargames simulant le conflit. Les résultats, tels qu’ils ont été publiés, mettent en avant un conflit majeur avec de très importantes pertes tant du côté américain, japonais, taïwanais que chinois, ainsi que l’impossibilité pour l’APL de s’emparer de l’ile militairement à cette date.

Ainsi, dans une telle hypothèse, les forces taïwanaises seraient très lourdement frappées dès l’entame du conflit, neutralisant l’ensemble de sa flotte de surface ainsi que l’immense majorité de ses forces aériennes. Les bases américaines de Guam et au Japon seraient, elles aussi, sévèrement frappées, de sorte à éroder les capacités de réponse américaines.

Toutefois, une fois débarquées ou aéroportées, les forces chinoises seraient lourdement frappées par la défense taïwanaise, alors que la réponse principalement navale et aérienne américano-nippone déclencherait probablement la plus importante bataille navale depuis Jutland.

Un conflit Chine vs Taïwan mobiliserait une grande partie de l'US Navy
Un conflit entre les Etats-Unis et la Chine entrainerait la perte de 2 porte-avions et de 10 à 20 grandes unités de surface de l’US Navy

Les pertes seraient, selon les simulations, très importantes de part et d’autres. Ainsi, les forces aériennes américaines et japonaises perdraient plusieurs centaines d’avions de combat, alors que l’US Navy et les forces navales d’autodéfense japonaises perdraient 2 porte-avions et de 10 à 20 grands navires de surface en trois semaines de combat.

De son côté, l’Armée Populaire de Libération perdrait l’essentiel de sa flotte de surface avec 138 navires de guerre, ainsi que plus de 150 avions de combat détruits. Les simulations anticipent 3.200 tués côté américain, presque autant que les 3.500 tués des forces taïwanaises, alors que la Chine pourrait enregistrer plus de 10.000 tués et prisonniers de guerre dans une telle aventure. Enfin, l’ile de Taïwan, et notamment son économie, serait dévastée.

De toute évidence, dans un tel scénario ayant pour échéance 2026, l’Armée Populaire de Libération n’aurait pas les moyens de prendre militairement Taïwan au travers d’un assaut aéro-amphibie massif. Une défaite, telle qu’elle a été anticipée par les simulations, viendrait probablement menacer le gouvernement chinois, la population chinoise étant, semble-t-il et comme le montre l’abandon de la stratégie 0-Covid, moins sous contrôle que ne peut l’être la population russe par exemple.

Cela n’est, à vrai dire, en rien une surprise. Comme nous l’avions déjà évoqué dans un précédent article, il était très improbable que les autorités chinoises entreprennent une initiative militaire de ce type avant 2034, lorsque la puissance navale et aérienne chinoise sera suffisante pour effectivement être en mesure de contenir l’US Navy et l’US Air Force.

Même à cette date, l’hypothèse la plus probable pour amener Taipei à se soumettre à Pékin, serait le recours à un blocus naval et aérien, de sorte non seulement à préserver les infrastructures et la population d’une province qu’il conviendra d’administrer par la suite, mais également afin d’éviter une confrontation avec la puissance militaire américaine.

la flotte chinoise perdrait plus de 130 navires, y compris une grande part de sa flotte amphibie, si elle venait à attaquer Taïwan en 2026, selon les simulations

En effet, ces simulations montrent surtout qu’un éventuel conflit entre la Chine et les Etats-Unis serait au détriment des deux superpuissances, qui y perdraient une grande partie de leur outil militaire, et donc de leur influence mondiale, alors qu’il faudra de nombreuses années, voire une ou deux décennies, aux deux armées pour se remettre d’une telle confrontation, et ce quel que soit le vainqueur.

En d’autres termes, les risques ici excèdent très nettement les bénéfices escomptés, tant sur la scène internationale qu’intérieure. Pour l’ensemble des belligérants potentiels, et ce, sans même considérer les risques d’extension du conflit, y compris vers l’usage d’armes stratégiques.

Les échecs russes en Ukraine appellent probablement les dirigeants chinois à plus de prudence dans leurs ambitions, même si les deux théâtres divergent en de nombreux aspects.

Cela dit, il convient également de relativiser l’efficacité de l’exercice mené par CSIS. En effet, si les wargames, et surtout les wargames stratégiques comme ceux employés ici, permettent de se forger une idée des rapports de force et des options stratégiques, ils souffrent aussi de nombreuses limitations.

C’est particulièrement le cas dans leur conception alors qu’il est souvent difficile de pondérer les résultats effectifs d’un combat stratégique, comme il est ardu de modéliser l’efficacité d’une force adverse relativement opaque comme peut l’être l’Armée Populaire de Libération.

Ainsi, en décembre 2021, une série de wargames joués dans le cadre de l’OTAN, avait montré que les forces russes de l’époque étaient en capacité de s’emparer de la Pologne et des pays Baltes en seulement quatre jours, et qu’il faudrait alors au moins six moins à l’OTAN pour libérer ces territoires.

De toute évidence, à la vue des performances des forces russes lancées contre l’Ukraine, celles-ci étaient largement surévaluées dans les simulations. Alors que la tendance naturelle était alors à la surévaluation des armées de Moscou, en partie par la communication en ce sens articulée par le Kremlin, elle est à l’inverse concernant l’Armée Populaire de Libération par la discrétion de Pékin à ce sujet sur la scène internationale et médiatique.

Taiwan aurait tout intérêt à privilégier ses défenses côtières, anti-aériennes et son artillerie pour contenir la menace chinoise, plutôt que de renforcer sa flotte ou ses forces aériennes.

En d’autres termes, les résultats obtenus par les simulations du CSIS, ne valent qu’au travers de la justesse des biais de conception ayant donné naissance à ces simulations, mais également de la pertinence de la projection des moyens dont disposeront les forces chinoises à cette date.

Rappelons à ce titre que la production d’avions de combat chinoise a été plus que multipliée par 2 entre 2021 et 2022, soit une centaine d’appareils supplémentaires comme le J-10C, le J-16 ou le J-20 chaque année.

Sur 5 années de temps, pour peu que le format des armées employé dans la simulation datait des projections employées en 2022, les moyens dont disposeront effectivement les forces chinoises pourraient être tout autres que ceux simulés.

De même, on peut penser, par les nouvelles infrastructures industrielles construites récemment, que la production chinoise de sous-marins va sensiblement croitre dans les années à venir, là encore peut-être au point de déstabiliser les modèles employés.

Reste que les simulations, en dépit de leurs limites, ont également des vertus certaines. En particulier, celles de montrer que le meilleur moyen d’éviter un conflit militaire majeur entre les Etats-Unis et la Chine, n’est autre que de maintenir une puissance militaire suffisante pour contester à Pékin ses espoirs de victoire pour s’emparer de Taïwan, et ce quelles que soient les stratégies employées (assaut aéro-amphibie, blocus naval, etc..).

Elles montrent, par ailleurs, que la stratégie taïwanaise, qui concentre ses acquisitions sur des équipements lourds comme des navires ou des avions de combat, n’est probablement pas la plus pertinente, l’ensemble de ces moyens étant destinés, en l’absence de profondeur stratégique, à être détruits dès les premières heures du conflit.

À l’inverse, la densification des défenses côtières et anti-aériennes, ainsi que des moyens terrestres pour contenir l’assaut de l’APL, offre de bien plus grandes plus-values opérationnelles, mais également dissuasives face à Pékin.

Après le SPIKE, le système anti-aérien israélien SPYDER s’apprête à déferler en Europe

En 2004, deux groupes industriels allemands de défense, Rheinmetall Defence Electronics GmbH et DIEHL Munitionssysteme GmbH, s’associèrent avec l’israélien RAFAEL Ltd afin de créer la co-entreprise EUROSPIKE Gmbh, destinée non seulement à fabriquer les nouveaux missiles antichars israéliens SPIKE commandés par la Bundeswehr afin de remplacer les missiles franco-allemands Milan et HOT, mais également pour proposer l’ensemble des missiles de la famille SPIKE aux armées Européennes. Le fait est, alors qu’Euromissile avait la main mise sur la presque totalité des armées européennes en matière de missiles anti-chars dans les années 80 et 90, privant au passage l’industrie US de précieuses parts de marché dans ce domaine, ce sont bien les missiles israéliens SPIKE qui, depuis 2004, ont fait main basse sur ces armées, ayant été choisi par 21 des 27 armées membres de l’OTAN, dont 19 armées européennes.

Une situation semblable semble désormais se dessiné, non pas dans le domaine des missiles antichars, mais dans celui des systèmes anti-aériens. En effet, la société Rafael a annoncé récemment être en négociation plus ou moins avancées avec par mois de 5 pays européens, la Belgique, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne et la Roumanie, pour acquérir le système anti-aérien à moyenne portée SPYDER, alors que la République Tchèque a déjà commandé 4 batteries en 2020 afin de remplacer ses systèmes SA-6 (2K12 Kub) hérités de l’époque soviétique. Une telle annonce ne manquera pas de faire réagir dans certains milieux européens, d’autant qu’il existe 3 systèmes équivalents au SPYDER et de facture européenne, l’IRIS-T SL allemand et le MICA VL (NG) français pour le SPYDER-SR, et le plus performant SAMP/T Mamba franco-italien pour le SPYDER-MR.

Comme le Mical VL français, l’Iris-t SL allemand est le concurrent direct du SPYDER-SR israélien

Il faut dire que le SPYDER ne manque pas d’attraits pour séduire. En premier lieu, il est modulaire et adaptable, avec une offre à courte portée basée sur le radar AESA EL/M-2106 et le missile Python 5 à guidage infrarouge, pour une bulle d’interception d’une portée de 20 km et à une altitude maximale de 9000 m, et une offre à moyenne portée basée sur le puissant radar AESA EL/M-2084 employé notamment par le système Iron Dome, et le missile Derby à guidage radar actif, d’une portée de 50 km à une altitude pouvant atteindre 16.000 mètres. Dans sa dernière évolution, le SPYDER-MR (médium range), offre également des capacités d’interception antibalistique à courte portée. Cette dernière capacité, mise en avant par Rafael, est toutefois plus marketing qu’opérationnelle, la bulle de protection antibalistique offerte par un missile ayant les performances du Derby étant particulièrement réduite, uniquement contre des missiles en phase décédante visant une cible précisément protégée par la batterie. Mais le plus attrayant des arguments de Rafael est ailleurs, tous comme les risques et contraintes y attenant.

En effet, le SPYDER, dans sa version SR (Short range) ou MR, est avant tout un système offrant un rapport performances-prix très attractif. Ainsi, les 4 batteries MR acquises par la Républiques Tchèque ont été vendues pour 520 m$, ceci incluant les équipements, les missiles et les services associés, notamment en matière d’entrainement. De fait, une batterie SPYDER-MR est proposée sous la barre des 125 m$, soit très en deçà des 160 m$ de l’Iris-T SL allemand, et les 190 m$ d’une batterie MICA VL, alors même que le missile DERBY offre des performances supérieures à celles du MICA VL ou de l’Iris-t, tous 3 s’appuyant sur des missiles air-air à moyenne portée. Alors que toutes les armées européennes sont engagées dans une modernisation à marche forcée, mais également à budget limité, les quelques dizaines de millions d’euro économisés par les état-majors en se tournant vers le système anti-aérien plutôt que vers les équivalents européens, pèsent probablement sensiblement dans la décision.

Le radar 3D AESA EL/M-2084 du système SPYDER-MR est également employé pour les systèmes Iron Dome, David Sling et en version navale avec l’ELM 2248 MF Star qui équipe les corvettes israéliennes mais également les destroyers frégates et le porte-avions Vikrant de la Marine Indienne.

Toutefois, se tourner vers jérusalem pour équiper ses armées n’est pas sans conséquence. Ainsi, depuis le début du conflit, les autorités israéliennes ont systématiquement refusé toutes les requêtes de re-exportations d’équipements soumis à licence vers l’Ukraine pour lutter contre l’envahisseur russe, ce malgré le fait que la société EuroSpike Gmbh qui leur a vendu les missiles soit allemande et retenue à 80 % par les deux industriels allemands. En effet, du fait d’une puissante diaspora russe, et surtout des relations complexes avec le voisin syrien soutenu par la Russie, Jerusalem n’a jamais voulu prendre parti dans le conflit en Ukraine. Dans le même temps, cela n’a jamais perturbé les autorités israéliennes de livrer massivement des systèmes Spike mais également des munitions vagabondes et des munitions guidées à l’Azerbaïdjan dans sa guerre contre l’Arménie. De toute évidence, Jerusalem a un agenda de politique internationale très éloigné de celui des pays européens, et les clients de son industrie de défense doivent en tenir compte, dans toute sa complexité.

Les négociations avancées par Rafael mettent également à mal la stratégie présentée par Berlin autour de son programme de défense anti-aérienne unifiée Sky Shield. En effet, tous les pays présentés par la société israélienne comme en négociation au sujet du système Spider, ainsi que la République Tchèque, ont signé la lettre d’intention autour du programme allemand, qui visait précisément à organiser cette défense autour de 3 systèmes : le missile antibalistique Arrow 3 israélien, le missile à longue portée américain Patriot et le système anti-aérien à moyenne portée IRIS-T SL, avec l’objectif évident de faire de ce dernier le standard européen en matière de défense antiaérienne et antimissile. De fait, la stratégie commerciale indirecte allemande risque fort de faire long feu, tout en amenant Berlin a affectivement acquérir les très onéreux systèmes antibalistique Arrow 3 pour protéger l’ensemble des participants à l’initiative.

Berlin entend s’appuyer sur le système antibalistique Arrow 3 israélien pour son système anti-aérien et antimissile européen Sky Shield.

Reste que le constat initial, à savoir que 5 pays européens, à la fois membre de l’UE et de l’OTAN, préférant se tourner vers des systèmes israéliens qu’européens, est des plus problématique. On peut naturellement pointer le manque « d’esprit européen » de ces pays, mais depuis l’épisode F-35, il est évident que de telles arguments ne sont guère pris en considération, et ne pèsent nullement face aux arguments budgétaires ou aux impératifs opérationnels de coopération avec les armées US. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui permettent aux industriels israéliens de proposer des équipements à ce point attractifs du point de vue tarifaire, alors même que les couts salariaux moyens en Israel comme en France sont identiques, à 43 k€/an, comme par exemple le rôle que jouent dans ce domaine les aides militaires et budgétaires américaines et allemandes vers israël, qui se chiffrent chaque année en Milliards de $. Quoiqu’il en soit, si les européens veulent effectivement soutenir leur propre industrie de défense, et leur propre autonomie stratégique, il semble désormais indispensable de mettre en oeuvre certaines protection économiques et techniques de sorte à éviter que des calculs à court termes ne viennent menacer la pérénité de ces savoir-faire industriels stratégiques dans le contexte sécuritaire qui se dessine.

L’Allemagne peinerait à trouver les 40 VCI Marder promis à l’Ukraine pour mars

Le 5 janvier, suite à l’annonce par la France de la livraison prochaine d’un nombre indéterminé d’AMX-10RC, Olaf Scholz, le chancelier allemand, annonçait conjointement à son homologue américain Joe Biden qui promit 50 véhicules de combat d’infanterie (VCI) Bradley, la livraison de 40 VCI Marder, un blindé chenillé de plus de 35 tonnes capable de transporter en première ligne 6 soldats en arme, et de soutenir leur engagement avec un canon de 20 mm, une mitrailleuse de 7,62mm et un lance-missile antichar MILAN. Alors que tout indique que les armées ukrainiennes entendent lancer, au début du printemps, une vaste offensive pour libérer le territoire encore sous contrôle russe, avant que les armées et l’industrie de l’adversaire puissent reprendre l’avantage numérique, il était donc nécessaire, pour Olaf Scholz comme pour Joe Biden et Emmanuel Macron, de promettre leurs nouveaux blindés pour le mois de mars.

Or, selon un article publié par le site d’information Spiegel, il semble bien que l’annonce faite par le chancelier allemand ait pris tout le monde au dépourvu outre Rhin. En effet, ni l’industrie, ni les armées, et pas même le Ministère de la Défense, n’avaient été consultés selon les journalistes allemands, par le Chancelier en amont de cette promesse, visiblement davantage obtenue par Joe Biden qu’anticipée par l’exécutif berlinois. Et aujourd’hui, les alternatives pour effectivement livrer les 40 Marder promis à Kyiv selon le calendrier prévu, sont loin d’être évidentes, et encore moins satisfaisantes, alors que la Bundeswehr comme les industriels allemands font déjà face à des contraintes des plus importantes pour maintenir les capacités défensives minimum du pays.

Destinés à remplacer les Marder, les VCI Puma rencontrent d’importants problèmes de fiabilité et de performances

Il est vrai que dès le début du conflit en Ukraine, Rheinmetall et KMW avaient annoncé qu’ils étaient en capacité de remettre en fonction un certain nombre de blindés comme des systèmes anti-aériens Guépard, des chars Leopard 1 et des VCI Marder, pour soutenir l’effort ukrainien face à l’agression russe. Toutefois, et ce fut parfaitement expliqué par les industriels, il était non seulement nécessaire pour cela d’obtenir l’aval des autorités allemandes, mais également d’obtenir les crédits et les délais nécessaires pour remettre en service ces blindés actuellement sous cocons. Et pour remettre en service une quarantaine de Marder en stock industriel, les délais sont plus importants que les quelques semaines anticipées par Berlin, si tant est que la commande et les crédits venant du Ministère de la Défense soient transmis dans des délais très courts, domaine dans lequel la bureaucratie allemande est loin d’exceller.

De fait, il sera nécessaire, pour répondre aux attentes de Kyiv, pour Berlin de prélever les 40 Marder sur l’inventaire des blindés opérationnels de la Bundeswehr. A ce jour, celle-ci aligne presque 400 Marder A5, mais seule la moitié de ce parc serait effectivement opérationnel. Dans le même temps, les VCI Puma, ceux-là qui doivent remplacer les Marder, rencontrent de très importants problèmes de fiabilité et de performances, au point que l’exécution du contrat portant sur la commande de 230 blindés supplémentaires en plus de 350 delà livrés, serait en suspend, conditionné à la résolution de ces défaillances. De fait, la Bundeswehr disposerait, si elle devait prélever 40 Marder de son propre parc, de moins de 200 véhicules de combat d’infanterie effectivement opérationnels et prêts au déploiement, tout du moins jusqu’à ce que les Marder prélevés sur les stocks industriels et remis en étant soient livrés. Dans le présent contexte de tensions extrêmes à l’Est, et alors que Berlin veut endosser le rôle de pilier de la défense européenne, une telle érosion des moyens de la Bundeswehr passerait mal autant auprès de l’Etat-Major que du Bundestag, nonobstant le véritable soutien apporté par Berlin à Kyiv depuis le début du conflit.

La décision française de livrer des AMX-10RC à l’Ukraine aura probablement mis une certaine forme de pression sur le chancelier allemand, mais c’est incontestablement Joe Biden qui semble avoir convaincu son homologue Olaf Scholz d’annoncer la livraison de Marder à Kyiv.

Les révélations faites par Der Spiegel, si elles venaient à être corroborées, montrent également que la décision d’Olaf Scholz n’était ni anticipée, et probablement pas préméditée, y compris par l’exécutif allemand, et que ce sont bien la décision française de livrer les AMX-10RC, mais surtout l’intervention de Joe Biden, qui convainquirent le chancelier allemand. Rappelons en effet que cette décision constitue une rupture très nette vis-à-vis des positions traditionnelles de l’Allemagne, qui jusqu’à ce conflit, n’avait jamais accepté de livrer à un belligérant, même en situation défensive légitime, autre que des équipements de protection ou de santé. Déjà, en livrant des systèmes anti-aériens Iris-T, Guepard et désormais Patriot, et surtout des canons automoteurs Pzh2000, Berlin avait pris des positions inédites dans de telles circonstances. Mais la livraison de véhicules de combat d’infanterie, un équipement de première ligne très offensif, était inenvisageable avant ce conflit, ou même il n’y a de cela que quelques semaines.

La décision d’Olaf Scholz est d’autant plus inédite que, si une majorité d’allemands est en faveur d’un soutien militaire de l’Ukraine, plus de la moitié de ceux-ci s’opposaient encore en Décembre à la livraison de « chars » à l’Ukraine. Le sondage mené par l’agence DPA portait certes précisément sur l’hypothèse d’une livraison de chars lourds Leopard 2, mais montrait que seuls 33% des sondés n’étaient pas hostiles à la livraison de ces chars, tandis que 22% étaient sans opinion, et 55% contre une telle hypothèse. Quoiqu’il en soit, entre une opinion publique relativement hostile d’une part, et des conditions de mise en oeuvre pour le moins chaotiques, il semble bien que l’annonce faite par Olaf Scholz pour satisfaire aux attentes de son allié américain, n’a pas fini de faire couler de l’encre outre-Rhin.

Après le moteur F-135, le F-35 va également changer de radar avec l’AN/APG-85

De manière synthétique, il est commun de dire qu’un avion de combat n’est autre que l’association d’une cellule, d’un moteur et d’un radar. Et les appareils ayant marqué leur époque, comme le F4 Phantom II, le Mirage III, le Mig-21, le F-15, le F-16 ou encore le Su-27, respectaient tous cette définition, en s’appuyant sur la parfaite complémentarité de ces 3 composants clés. Depuis une quinzaine d’années, le F-35 de Lockheed-Martin est, lui aussi, présenté comme l’appareil le plus marquant de sa génération, et s’est vu parer, à ce titre, de toutes les vertus. Pourtant, sous l’impulsion de l’US Air Force, il semble bien que deux de ces 3 composants clés, soient appelés à être remplacés dans les années à venir sur le fleuron de Lockheed-Martin.

Le remplacement du turboréacteur F-135 qui propulse les 3 modèles de F-35, la version A destinée aux forces aériennes classiques, la version B aux capacités de décollage et d’atterrissage vertical ou court pour opérer à partir des porte-aéronefs, et la version C opérant à partir des porte-avions dotés de catapultes, est envisagé depuis plusieurs années par l’US Air Force, qui attribua des 2016 des crédits de développement aux motoristes General Dynamics et Pratt&Whitney un contrat de 1 millard de dollar pour developper un nouveau turboréacteur à triple flux pour équiper son appareil. En effet, le F-135 s’avère aujourd’hui mal dimensionné pour les besoins opérationnels du F-35, avec une poussée insuffisante limitant les performances de l’appareil, une consommation excessive handicapant son autonomie, ou encore une maintenance particulièrement lourde réduisant la disponibilité de l’aéronef. En outre, le moteur est complexe a construire, et particulièrement onéreux.

la configuration monomoteur du F-35 a été imposée par la version B à décollage et atterrissage court ou vertical de l’appareil, obligeant le motoriste Pratt&Whitney à developper un turboréacteur très puissant pour soutenir les 30 tonnes max du F-35 au décollage.

Pour répondre à ces besoins, les deux motoristes américains ont entrepris de developer une nouvelle génération de turboréacteur, désignées Adaptive Engine Transition Program, ou AETP. Contrairement au F-135 qui emploie une technologie à double flux, les AETP s’appuient sur le modèle du turboréacteur à triple flux, permettant de réduire la consommation et d’augmenter la poussée du moteur, tout en réduisant, dans l’hypothèse, les contraintes sur les pièces mécaniques, et donc en en simplifiant la maintenance. Toutefois, le développement d’un tel moteur, en dépit des avancées obtenus par les motoristes US sur leurs prototypes, réclamerait des investissements encore très lourds de plusieurs milliards de $, alors que le remplacement des moteurs sur les cellules existantes engendrerait un investissement estimé à plus de 40 Md$. C’est la raison pour laquelle Pratt&Whitney a concomitamment développé une version « améliorée »‘ de son F-135, offrant certes des performances moindre que l’AETP, mais supérieures à celle du F-135 actuel, pour des surcouts moindres. L’arbitrage définitif sur le sujet doit être prochainement rendu par l’US Air Force qui, avec une flotte visée de plus de 1700 appareils, fait office de décideur unique dans ce domaine.

Le moteur n’est pas le seul composant du F-35 qui sera changé, ou profondément modifié selon les arbitrages à venir. En effet, le radar AN/APG-81, qui équipe aujourd’hui les 3 versions de l’appareil, et qui, selon la communication de Lockheed-Martin, était la pierre angulaire des performances du chasseur, s’apprêterait lui aussi à être remplacé par un nouveau modele, l’AN/APG-85, pour les appareils commandés dans le lot 17, et premiers appareils livrés directement au standard Block 4. Dérivé de l’AN/APG-77 qui équipe le F-22, l’APG-81 devait, initialement, équiper tous les F-35 neufs, et ce au moins jusqu’en 2035. On sait encore très peu de choses du l’APG-85, qui a été développé « sous les radars », et notamment sur les éventuelles plus-values vis-à-vis de son prédécesseur. Mais le block 4 représentant une évolution majeure de l’appareil, avec notamment une nouvelle suite optronique de détection, une nouvelle suite de guerre électronique et une fusion de données renforcée, il est probable que le radar disposera effectivement de capacités supérieures, en particulier dans le traitement des données.

l’AN/APG-81 qui équipe le F-35 est dérivé de l’AN/APG-77 du F-22. Remarquez l’antenne AESA composée de plus de émetteurs-recepteurs (Transmitter and Receiver Modules ou TRM) Gallium Nitride (GaN)

Reste que si le remplacement du radar ou du moteur d’un avion de combat n’est pas, en soit, une chose exceptionnelle, de telles évolutions aussi radicales sont rarement entreprises simultanément. Surtout, elles n’interviennent jamais alors que l’appareil n’a pas encore atteint sa plaine capacité opérationnelle, celle qui, justement, ne sera atteinte qu’à partir du standard Block 4 par le F-35. Le bouleversement engendré par le remplacement du moteur et du radar sur les flottes, sans que l’on sache d’ailleurs s’il sera possible de porter les appareils déjà livrés vers ces nouveaux standards, n’ira pas sans engendrer de très importants problèmes de maintenance, et des surcouts considérables, d’autant plus élevés pour les clients les plus précoces de l’appareil. Pour l’heure, ces questions sont encore éludées par le constructeur, mais il ne fait aucun doute qu’elles s’inviteront prochainement dans les débats nationaux des clients du chasseur de Lockheed-Martin, d’autant qu’il est probable qu’ils n’auront guère d’autres choix que de « suivre la dynamique » afin de conserver la meilleure interopérabilité et évolutivité de leur parc.