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La Russie peut-elle encore s’imposer militairement en Ukraine ?

« L’Opération Spéciale Militaire en Ukraine se déroule conformément au plan ». C’est ainsi que le général Igor Konachenkov, porte-parole du Ministère de La Défense russe, a présenté son briefing journalier hier, jeudi 10 mars, après 15 jours de guerre. Pourtant, de nombreuses informations contredisent radicalement cette déclaration, et il semble, au contraire, que cette opération militaire qui ne devait être qu’une formalité pour la surpuissante armée russe, se transforme en véritable bourbier pour Vladimir Poutine. Face à des pertes effroyables en homme comme en matériel, une progression difficile, des lignes distendues, une résistance ukrainienne bien plus performante et déterminée qu’envisagé ainsi qu’une réponse et une mobilisation occidentale qui surprit les Européens eux-mêmes, le Kremlin est désormais contraint de faire appel à ses dernières réserves mais également à des supplétifs tchétchènes et syriens pour tenter d’emporter une décision militaire de plus en plus éloignée, et à mobiliser à nouveau sa puissante propagande pour faire peser la menace de l’utilisation de frappes de destruction massive. Dans ces conditions, la Russie peut-elle encore espérer s’imposer militairement en Ukraine ?

Les chiffres avancés concernant les pertes russes sont fluctuants selon les sources, les ukrainiens annonçant plus de 12.000 morts sur la base des analyses de videos prises par des drones, là ou le Departement de La Défense américain est plus prudent annonçant 5.000 à 6.000 morts au combat au sein des armées russes. D’autres sources indirectes venant de services de renseignement européens estiment ces pertes au delà 7000 hommes. Même en s’appuyant sur une hypothèse basse de 4.000 tués, cela implique que prés de 20.000 militaires russes ont été mis hors de combat lors des deux premières semaines de combat, en tenant compte des blessés, des prisonniers, et des désertions. Or, un tel niveau de perte équivaut à 10% de l’ensemble des forces rassemblées autour de l’Ukraine en amont de l’invasion, et à plus de 15% de perte pour les unités combattantes engagées en Ukraine. Dans le même temps, les observateurs OSINT ont documenté la perte de plus de 1000 pièces d’équipement russes sur la même période, avec plus de 150 chars de combat et 400 véhicules blindés de combat d’infanterie et de transport de troupe russes détruits, abandonnés ou capturés soit, là encore, un taux d’attrition de plus de 15% vis-à-vis du déploiement initial constaté.

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Les forces russes ont déjà perdu prés de 200 chars lourds dans ce conflit (documentés), 1/6ème des forces déployées autour du pays avant l’offensive

Un tel niveau de perte pourrait éventuellement être acceptable pour Moscou, même s’il représente une attrition supérieure à celle enregistrée lors de l’intervention soviétique en Afghanistan pendant plus d’une année, si la décision militaire était proche. Mais tel n’est pas le cas, au contraire. Du fait de la stratégie mise en oeuvre par l’Etat-Major russe pour cette offensive, mais aussi de son calendrier, les forces russes sont en effet très dispersées sur le territoire ukrainien, et ne parviennent pas à rassembler des forces suffisantes pour mener des opérations décisives contre les points de fixation organisés autour des nombreuses villes ukrainiennes. Dès lors, la progression des forces russes est beaucoup plus lente et difficile que ne l’avait imaginé l’Etat-Major, même sur des axes principaux d’offensive comme au nord vers Kyiv, ou au nord-est autour de Kharkiv. Le front du Donbass est également figé, alors que la manoeuvre au sud fait désormais face à des problèmes de masse critique et de logistique pour mener ses offensives simultanées contre Marioupol, Zaporijia et vers Odessa, chaque offensive ayant besoin des forces des deux autres pour être décisive.

Ce problème de masse critique est accentué par les difficultés que rencontrent les forces russes pour tenir le terrain conquis, du fait de la résistance farouche des ukrainiens, y compris, et c’est probablement une grande surprise pour Moscou, dans les zones à forte densité russophone. De fait, les armées russes sont contraintes de mobiliser des forces pour contrôler la population dans ces zones sensées avoir été capturées, faute de quoi la résistance ukrainienne pourrait à nouveau se reconstituer dès les premiers signes de faiblesse du dispositif russe. Ainsi, les habitants de Kherson ont à plusieurs reprises manifesté leur hostilité vis-à-vis des forces russes présentes, certes de manière pacifique, mais ne laissant que peu de doute quant à l’évolution de la situation si celles-ci venaient à quitter la ville pour soutenir l’offensive sur Odessa par exemple.

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Manifestation ukrainienne à Kherson sous occupation russe

Au delà de la résistance des civils ukrainiens face à l’occupant, les armées ukrainiennes comme les brigades de défense territoriales, parviennent régulièrement à frapper les convois russes y compris à l’interieur même du dispositif sensé être sécurisé. Ainsi, la destruction du 6ème régiment de chars de la garde à l’est de Kyiv dont les videos ont fait le tour des reseaux sociaux et des chaines d’information continue, n’est pas intervenue le long de la ligne d’affrontement, mais à 20 km à l’interieur du dispositif russe, ceci expliquant peut-être en partie le relâchement constaté quant à la formation de deplacement des blindés russes, et la sidération évidente des militaires russes une fois les frappes ukrainiennes déclenchées.

Au delà de ces actions de guérilla lourde, les armées ukrainiennes parviennent également à mener avec succès certaines actions défensives et contre-offensives en exploitant efficacement leurs propres moyens, leur connaissance du terrain, et la détermination de ses soldats, non pas afin de stopper coute que coute la progression russe, ce qui serait voué à l’échec, mais pour infliger des pertes les plus lourdes possibles à l’adversaire pour chaque gain territorial. Cette stratégie, très efficace de toute évidence, avait été annoncée dès le début du conflit par le Président Zelensky, et constitue sans le moindre doute l’une des clés de la résistance ukrainienne aujourd’hui, ainsi que des difficultés tactiques mais surtout stratégiques que rencontre l’offensive russe.

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bien que déjà éprouvée et surpassée téchnologiquement et en puissance de feu, l’armée ukrainienne utilise de manière très efficace ses forces et le terrain dans une guerre d’attrition contre les forces russes.

Si l’Etat-major russe n’avait probablement pas prévu une guerre aussi longue et couteuse, il ne fait aucun doute que les services de renseignement du Kremlin n’avaient, pour leur part, pas davantage prévu les réactions de la communauté internationale occidentale qui en découlerait, et qui désormais frappent terriblement l’economie russe, au point de devenir, d’une certaine manière, un conflit dans le conflit. Outre les sanctions imposées par les gouvernements occidentaux qui ont déjà fait perdre 50% de sa valeur au rouble et banni la Russie des mécanismes de financement internationaux, un grand nombre de grandes entreprises emblématiques occidentales, d’Airbus à Apple, de Renault à Microsoft, et de LVMH à Mac Donald, ont suspendu leurs activités en Russie, créant une onde de choc socio-économique avec plus de 150.000 emplois détruits et une disruption profonde de la vie quotidienne dans le pays. En dépit des gesticulations du Kremlin, menaçant de saisir les actifs des sociétés occidentales ayant suspendu leurs activités, ce qui immanquablement porterait un coup fatal à long terme sur les investissements étrangers dans le pays, cette mobilisation occidentale impacte désormais de manière très visible la vie quotidienne des russes eux-mêmes, avec le risque de créer une érosion du soutien populaire à Vladimir Poutine et à l’intervention militaire, qui plus est lorsque les listes des militaires tués sans cercueils seront rendues publiques.

En outre, et en dépit d’une certaine cacophonie, le soutien occidental et européen à l’effort de défense ukrainien confère de réelles capacités d’engagement avancées aux défenseurs de Kyiv, Kharkiv et Marioupol. Ainsi, plus de 70.000 systèmes anti-chars et anti-aériens portables auraient été livrés aux forces ukrainiennes, le soutien militaire occidental àa incontestablement accru la puissance de feu mais aussi le volume des capacités défensives ukrainiennes, et entravé sévèrement les stratégies russes qui misaient sur une absence de réponse significative et coordonnée des défenses ukrainiens. On notera, ainsi, que désormais, les forces russes font un usage plus que parcimonieux de leurs forces d’aérocombat après avoir payé un lourd tribu face aux Stinger et Grom ukrainiens, entravant sensiblement leurs capacités de débordement des défenses ukrainiennes. Enfin, l’un des apports les plus significatifs récents des occidentaux à l’effort de défense ukrainien ne sont autre que les quelques 20.000 volontaires ayant rejoint ou étant en passe de le faire, la légion internationale ukrainienne, pour beaucoup d’anciens militaires ou membre des forces spéciales au sein des armées occidentales, et donc bien entrainés et aptes à employer les armements fournis par les européens et américains.

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Avec 13 hélicoptères perdus (documentés) et face à l’omniprésence de systèmes antiaériens portables, les forces d’aérocombat russes ne peuvent jouer de rôle décisif dans les combats dynamiques face aux défenseurs ukrainiens

De fait, même si les armées russes disposent encore d’une importante supériorité dans le domaine des moyens, avec notamment une impressionnante puissance de feu encore disponible, et une puissance aérienne faiblement entamée, les perspectives aujourd’hui pour l’opération spéciale militaire russe sont loin d’être aussi favorables que ne le laisse supposer le porte-parole du Ministère de La Défense. Selon de nombreuses observations, l’Etat-Major russe organiserait désormais le deplacement d’un certain nombre d’unités majeures gardées en reserve pour constituer un second échelon offensif, et remplacer les pertes enregistrées. Pour autant, Moscou avait mobilisé 115 à 120 de ses 168 bataillons de combat autour de l’Ukraine avant l’offensive, et surtout plus de 80% de ses bataillons professionnels dans cette première vague. De fait, les renforts attendus seront, selon toute hypothèse, constitués avant tout de réservistes, avec une baisse sensible des capacités opérationnelles effectives, alors même que les unités de première ligne professionnelles avaient déjà démontré de réelles lacunes dans certains domaines.

Le Kremlin a également annoncé le déploiement de forces supplétives, initialement 10.000 volontaires Tchétchènes qui se sont montré bien moins décisifs qu’espéré sur le champs de bataille, et désormais 16.000 « volontaires » syriens venus du Moyen-Orient, le terme de Mercenaire étant dans ce cas bien plus approprié. Pour autant, ces nouvelles troupes serviront très probablement d’abord et avant tout à réduire les pertes directes dans les unités russes en menant les assauts les plus dangereux, et ainsi masquer à l’opinion publique russe le cout humain de cette opération. Quant à l’efficacité réelle attendue de ces supplétifs syriens, elle est plus que discutable, le front syrien étant certes très violent, mais d’une toute autre dimension technologique que celui en Ukraine, et que l’on peut douter de la resilience effective sous le feu de ces troupes présentées par le Kremlin comme une réponse aux légions Internationales ukrainiennes.

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Extrait d’une video publiée par les services russes montrant les « volontaires » syriens devant rejoindre le front ukrainien.

De fait, si au début de l’opération, la majorité des experts militaires présentait la défaite ukrainienne comme inéluctable, il apparait que la situation est désormais beaucoup plus incertaine, et que même si les forces russes parvenaient à s’imposer militairement, ce serait au prix de très lourdes pertes humaines et materiels qui handicaperaient pour plus d’une décennie son retour sur la scène internationale. En outre, de telles pertes induiraient d’importants risques pour la pérennité du régime de Vladimir Poutine, même si aujourd’hui encore, une majorité de russes soutient activement son président et cette opération spéciale du fait du black out informationnel posé par le Kremlin sur les médias du pays. Il est même possible, désormais, d’imaginer que les ukrainiens puissent briser l’offensive russe dès lors que les pertes dépasseront les 35%, soit d’ici 2 à 3 semaines au rythme ou vont les choses, pour peu qu’elles parviennent à réduire ou combler leurs propres pertes, à recevoir de nouveaux équipements en flux continu venu d’Europe, et qu’elles parviennent effectivement à neutraliser la puissance aérienne russe. En outre, même en cas de défaite militaire, rien ne garantit désormais au Kremlin que les prises territoriales pourront être effectivement tenues dans la durée face à l’hostilité ukrainienne.

Dans ces conditions, les allégations portées par Moscou quant à une possible attaque chimique ou biologique ukrainienne contre ses forces ou contre des villes russes prennent naturellement une dimension des plus inquiétantes. Non pas qu’une telle hypothèse soit basée sur quoi que ce soit de concret, bien au contraire. Mais que ce type de narrative a déjà été employée par le Kremlin pour préparer sa propre opinion publique à répondre massivement lors d’une attaque montée de toute pièce par ses propres services secrets, permettant de justifier l’emploi d’armes de destruction massive contre des cibles ukrainiennes, dans le but faire perdre aux défenseurs ukrainiens toute volonté de se battre, et aux européens et occidentaux toute volonté de soutenir ce combat. Ainsi, en amont de l’intervention russe en Ukraine, de nombreuses opérations visant à justifier l’intervention avaient été entreprises par les services russes, mais leur efficacité avait été annulée par de pertinentes annonces préalables des services de renseignement US, et un travail rapide et efficace de la communauté OSINT pour en remonter l’argumentaire de manière indiscutable.

A l’instar des propos du général Thierry Burkhard, chef d’état-major des Armées françaises, la situation aujourd’hui en Ukraine entraine de nombreux risques, et renforce l’imprévisibilité des décisions que pourrait prendre le Kremlin pour y répondre. Et l’absence de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins à quai dans la base navale russe de Mourmansk, constatée par un cliché satellite hier, renforce sans le moindre doute ce caractère de risque, bien au delà des seules frontières ukrainiennes.

Comment la guerre en Ukraine va transformer la planification stratégique en Europe ?

Il y a tout juste 3 semaines, bien peu étaient ceux qui, en occident, estimaient que la Russie allait effectivement mener une guerre d’agression globale sur l’Ukraine. Pour beaucoup, le déploiement de force russe autour de l’Ukraine visait à faire plier le président Zelensky au sujet de son adhésion à l’OTAN et du statut des républiques sécessionnistes du Donbass. Pour les mieux informés, comme l’Etat-Major des Armées françaises, et comme nous l’avions abordé dans un article du 23 février, les risques militaires et politiques liés à une telle offensive ne compensaient pas les bénéfices potentiels, de sorte qu’une telle décision apparaissait irrationnelle et donc peu probable. Depuis le 24 février et le début de l’offensive russe, la situation géopolitique et sécuritaire en Europe, a radicalement évolué, mettant à plat de nombreuses certitudes et entrainant des changements de postures parfois radicaux comme lorsque l’Allemagne annonça une augmentation spectaculaire de son propre effort de défense.

Au delà de ces implications stratégiques déterminantes, ce conflit est également riche d’enseignement, quant à la nouvelle nature de la guerre moderne, et met en évidence certains aspects jusqu’ici perçus différemment ou de manière secondaire par les armées occidentales et ceux qui en déterminent la destiné. Dans cet article, nous étudierons plusieurs de ces enseignements touchant au coeur des capacités, des formats et du calendrier des armées européennes, et qui doivent désormais être pris en compte de sorte à répondre à la réalité opérationnelle constatée sur le champs de bataille.

1- La ré-evaluation de la menace conventionnelle russe

La plus grande surprise de ce début de conflit est incontestablement liée aux nombreuses défaillances touchant les armées russes. Il est vrai que la résistance ukrainienne a surpris, mais le manque d’efficacité des unités russes aura quant à lui une grande influence en Europe. En effet, même si ces défaillances ne mettent pas, de manière certaine, en péril le succès de l’offensive en cours, elles ont entrainé des pertes constatées supérieures en deux semaines d’engagement à celles enregistrées lors d’une année de guerre en Afghanistan lors de l’intervention soviétique de 1979 à 1989. En outre, la conflit étant encore loin d’une conclusion, il est probable que ces pertes russes continueront à s’accumuler et à détériorer durement l’outil militaire et les effectifs des armées russes, handicapant lourdement les capacités opérationnelles conventionnelles russes pour de longues années.

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Les pertes russes atteignent désormais les 6000 morts selon les estimations basses du DoD américains, laissant supposer que plus de 25.000 militaires russes ont été mis hors de combat depuis le début du conflit, soit prés de 15% des effectifs engagés sur le sol ukrainiens.

Or, ces dernières années, une grande majorité des décisions en matière de défense prises par les dirigeants européens supposaient une armée russe performante et menaçante, précisément dans le domaine conventionnelle, amenant les européens à se rapprocher des Etats-Unis perçus comme seuls capables de neutraliser cette menace. De toute évidence, les choses ont radicalement changé en 2 semaines. Non seulement les armées russes montrent une efficacité moindre, mais l’ensemble de l’outil de défense russe peine à soutenir une opération militaire face à un adversaire téchnologiquement surpassé, et ne disposant que d’une faible profondeur stratégique.

Ces constats entrainent deux conséquences majeures quant à la planification et le calendrier stratégique européen. En premier lieu, il semble désormais évident que les Européens, sous la forme d’une coalition, sont potentiellement capables aujourd’hui de contenir une offensive conventionnelle russe, même en dépit de leurs moyens érodés par 30 années de sous investissements, et ce sans devoir s’en remettre à la protection américaine. En outre, L’Europe dispose désormais d’une dizaine d’années minimum pour reconstruire et dimensionner leur propre outil de défense, y compris dans certains domaines technologiques critiques, les armées russes devant elles aussi mettre à profit ce délai pour reconstituer leurs forces avant de pouvoir retrouver une capacité opérationnelle suffisamment significative pour représenter une menace conventionnelle. Enfin, les Européens savent désormais qu’ils ne sont pas à l’abris d’une telle menace conventionnelle et/ou stratégique, y compris sur leur propre territoire, ceci expliquant les annonces en cascade de la part de la Finlande, des Pays-bas, de la Slovaquie ou encore de la Pologne, quant à l’augmentation de leur effort de défense. Quoi qu’il en soit, désormais, et quel que soit la conclusion du conflit en Ukraine, les Européens et la Russie seront engagés dans une course à la puissance militaire avec une échéance autour de 2030.

2- le retour de la posture stratégique

Lors d’une interview donnée après l’annexion de la Crimée par les forces spéciales russes en 2014, Vladimir Poutine avait déclaré qu’il était alors prêt à mettre en alerte ses forces stratégiques si les occidentaux avaient montré une quelconque volonté de l’empêcher d’atteindre ses objectifs. Cette alerte avait été négligée par nombre de spécialistes de la Russie, y compris les plus compétents, n’y voyant qu’une rodomontade du président russe. Au 5ème jour du conflit en Ukraine en 2022, et face à la determination des occidentaux à soutenir Kyiv et à frapper économiquement la Russie mais surtout le régime en place, Vladimir Poutine eut recours à cette même stratégie annoncée 8 ans plus tôt, en mettant en alerte renforcée ses forces stratégiques, et en procédant à plusieurs démonstrations de ses forces nucléaires, ramenant au premier plan la posture stratégique sur la scène internationale, presque 40 années après la dernière crise de ce type en Europe, lors de la crise des Euromissiles.

Le SNLE de la classe Borei de la Marine Russe met en oeuvre 16 missiles Boulava Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les autorités russes ont fait par deux fois la démonstration de leur puissance nucléaire par des exercices non planifiés depuis le début de l’année.

Ce choix de Vladimir Poutine va entrainer une profonde évolution de perception mais aussi de posture des Européens, comme des Etats-Unis. Une foi passé la stupéfaction initiale, les nations nucléaires occidentales, Etats-Unis, Grande-Bretagne et France, ont elles aussi renforcé leur posture stratégique, même si ce fut fait de manière bien plus discrète. Il est également probable que la dissuasion partagée au sein de l’OTAN fut, elle aussi, renforcée. De même, il ne fait désormais plus aucun doute que Berlin achètera des F-35A américains en lieu et place des F/A 18 E/F Super Hornet initialement prévus afin de transporter la nouvelle bombe nucléaire B-61Mod12 de l’OTAN, probablement en plus grand nombre que prévu jusqu’ici afin de remplacer ses Tornado. Il est également probable qu’en France comme en Grande-Bretagne, les Etats-majors se penchent désormais sur des capacités nucléaires complémentaires à celles actuellement en service à bord des SNLE Triomphant et Vanguard et des Rafale de l’Armée de l’Air et de la Marine Nationale. De toute évidence, la question nucléaire va faire un retour fracassant et accéléré dans la programmation militaire européenne dans les années à venir.

3- Les limites des frappes de missiles de croisière ou balistiques

De manière attendue, les forces russes ont fait un usage intensif de missiles balistiques conventionnels et de missiles de croisière lors des premiers jours du conflit, calquant en cela leur stratégie sur celle mise en oeuvre depuis la fin des années 80 par les Etats-Unis, et plus récemment par la France, la Grande-Bretagne et la Chine. Or, si ces frappes avaient montré une efficacité avérée lors des opérations contre l’Irak, elles n’ont pas porté de plus-value déterminante en Ukraine. Il est vrai que les missiles russes ont montré certaines défaillances en matière de précision, mais la démonstration fut également faite que ces frappes initiales, même massives, n’étaient pas en mesure de neutraliser les défenses anti-aériennes ni les aérodromes d’un adversaire imposant, et disposant en outre de systèmes anti-missiles pour réduire l’efficacité de ces frappes. Le manque d’efficacité des frappes russes se répercuta immédiatement sur l’efficacité de la campagne aérienne qui suivit, avec des pertes plus importantes dans les rangs russes, et surtout une maitrise très approximative du ciel ukrainien, alors même que les forces aériennes russes déployées autour du pays étaient 5 fois plus importantes, et beaucoup plus modernes, que la petite armée de l’air ukrainienne. En outre, le conflit ukrainien a montré le rôle déterminant des capacités anti-missiles, et notamment la protection que confère des systèmes comme le S-300P disposant par ailleurs de capacités anti-balistiques.

Iskander systeme Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les frappes de missiles balistiques Iskander et de missiles de croisière Kalibr russes n’ont pas entamé les capacités défensives ukrainiennes de manière significative.

Ces constats influenceront très probablement, à moyen terme, les doctrines occidentales, d’autant qu’elles reposent aujourd’hui pour beaucoup sur l’emploi massif de missiles de croisière lors de frappes initiales pour éroder les défenses de l’adversaire, y compris dans le domaine de la suppression des défenses anti-aériennes. On peut effectivement douter, à moyen terme, de l’efficacité de ce type de frappe basées sur des missiles de croisière, même furtifs et suivant des trajectoires rasantes, en particulier lorsqu’il s’agit de venir à bout des défenses anti-aériennes d’un adversaire lourdement armé. Dans ce domaine, l’évolution vers des systèmes hypersoniques d’une part, ou vers des attaques saturantes basées sur des essaims de Munitions vagabondes, constituent des pistes interessantes et complémentaires.

4- La puissance aérienne de plus en plus contestée

L’un des faits les plus marquants de la Guerre du Haut-Karabakh de 2020 fut incontestablement la neutralisation des forces aériennes des deux camps par les capacités anti-aériennes des deux belligérants. Il en va de même, mais à une échelle différente liée à la géographie et l’étendue du théâtre d’opération, concernant le conflit en Ukraine. Bien que les forces aériennes ukrainiennes aient été amoindries lors des premiers jours, les forces aériennes russes restent relativement peu présentes, en dépit de moyens importants déployés autour du pays. De fait, aujourd’hui, les défenses aériennes déployées par l’Ukraine et la Russie neutralisent en grande partie les capacités de frappe aérienne des deux camps, obligeant les forces aériennes russes à déployer des appareils en mission de suppression des défenses anti-aériennes, ou SEAD, en équipant Su-34 et Su-35 de missiles anti-radiations. En effet, même des appareils bien protégés contre les défenses sol-air, comme le Su-34 emportant une imposante suite de guerre électronique et des brouilleurs, ont montré leur vulnérabilité face aux S-300, Buk et Manpads ukrainiens.

Les forces aeriennes russes emploient lavion dattaque Su34 Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
En dépit d’un rapport de force de plus de 5 avions de combat russes contre 1 chasseur ukrainien, aucun des deux belligérants n’est aujourd’hui en mesure d’employer pleinement sa puissance aérienne en raison de l’omniprésence des défenses anti-aériennes.

Si pour les armées russes et les défenseurs ukrainiens, le rôle du soutien aérien est important sans être indispensable, notamment en raison d’importants moyens d’artillerie, il en va tout autrement pour les forces de l’OTAN, pour qui le soutien aérien constitue de 50 à 75% de la puissance de feu disponible. De fait, ce conflit montre de manière plus qu’évidente l’absolue nécessité de disposer, en Europe en particulier afin de faire face aux défenses antiaériennes multicouches russes, d’appareils et de munitions spécialisés dans la guerre électronique et la suppression des défenses anti-aériens adverses, condition indispensable pour exploiter pleinement la puissance aérienne occidentale, et donc compenser le déficit de puissance de feu au sol. En effet, aucun appareil occidental, ni le Rafale avec son Spectra, ni le Typhoon avec son Spartan, ni le F-35A et sa légendaire furtivité, ne peuvent se confronter tel quel à un réseau dense de défense anti-aérienne comme celui mis en oeuvre par les forces russes.

5- le rôle des drones

S’il est un équipement qui donne pleinement satisfaction aux forces ukrainiennes dans ce conflit, tout du moins sur la scène publique, c’est bien le drone de combat léger TB2 Bayraktar de facture turque. Les forces ukrainiennes mettent en effet en oeuvre avec succès une trentaine de ces drones armés pour frapper les lignes logistiques russes distendues, au nez et à la barbe des défenses anti-aériennes et de la chasse adverse. Il semble que, de part leur petite taille et leur faible vitesse, les TB2 parviennent à passer au travers du réseau de détection à longue et moyenne portée mis en place par les armées russes, et ainsi à s’insinuer dans leur dispositif pour éliminer des convois logistiques, des systèmes anti-aériens et même deux trains de carburant, denrée pourtant essentielle pour les armées russes alors que la moitié des blindés perdus en deux semaines de combat l’ont été suite à des pannes sèches. On observe désormais des escortes anti-aériennes actives mobiles autour des convois logistiques, mais seul le système TOR est effectivement capable de mener de telles missions, alors que la dispersion des offensives russes obligent à un train logistique particulièrement déstructuré, rendant difficile la protection de tous les convois. Il semble que les opérateurs ukrainiens parviennent à exploiter ces faiblesses pour optimiser l’efficacité de leurs Bayraktar, le drone turc étant devenu un symbole de la résistance du pays au même titre que le président Zelensky ou que le mythologique « Ghost of Kyiv ».

FCAS remote carriers mock up at Paris Air Show 2019 Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Le programme Remote Carrier intégré au programme SCAF représente une solution à moyen terme pour renforcer les armées européennes dans le domaine des drones de combat armés à faible cout unitaire.

Les enseignements autour du succès des TB2 en Ukraine sont doubles pour les armées européennes. En premier lieu, l’utilisation de drones armés économiques apparait désormais déterminante, y compris dans le domaine de l’engagement de haute intensité, et face à des défenses anti-aériennes denses. Cela ne signifie en rien qu’il serait nécessaire pour les forces françaises ou allemandes de se doter de TB2 ou d’un équivalent, mais qu’il est nécessaire de disposer de systèmes disposant de capacités comparables mais adaptés aux besoins spécifiques et aux doctrines européennes. Dans ce domaine, les Remote carrier, ces drones de combat aéroportés furtifs développés dans le cadre du programme SCAF, constituent probablement une approche des plus prometteuses, bien qu’il soit nécessaire de disposer de telles capacités à horizon 2030 et non 2040. Le developpement de munitions vagabondes et de capacités de drones armés mises en oeuvre par les forces navales et terrestres semble également désormais urgente.

Dans le même temps, il est désormais indispensable de pouvoir assurer la protection de tous les sites et convois militaires engagés en zone de haute intensité contre de telles menaces. De part la portée des armes mises en oeuvre par de tels drones, des défenses ayant une portée inférieures à 12 voire 14 km seraient vulnérables, les drones n’ayant qu’à rester hors de portée jusqu’à ce qu’une opportunité de frappe apparaisse. Or, tous les systèmes Shorad actuellement en developpement aux Etats-Unis, comme le M-SHORAD, et en Europe, comme le Skyranger 30, et qui doivent entrer en service dans les années à venir ont une portée très largement insuffisante face à de telles menaces, alors que les défenses anti-aériennes à longue portée peinent à traiter ces menaces également. La re-évaluation rapide des capacités effectives des armées européennes pour les années à venir est donc un sujet critique pour la planification militaire sur le vieux continent.

6- La vulnérabilité des blindés mise en évidence

Au bout de seulement deux semaines de combat, les armées russes ont perdu, de manière incontestable et documentée, plus de 400 chars et véhicules de combat d’infanterie, soit prés de 15% des capacités blindées déployées autour de l’Ukraine en amont de l’intervention. Si la moitié de ces pertes sont attribuables à des pannes sèches liées aux défaillances logistiques russes, la destruction de presque 60 chars lourds et 140 blindés de combat d’infanterie et de transport de troupe a été documentée, en majeure partie victimes de missiles et roquettes anti-chars d’infanterie. Parmi les chars détruits, on compte prés de 30 T-72B3 obr.2016, T-80BVM et T-90A, des blindés disposant pourtant d’un blindage réactif moderne Kontakt-5 sensé précisément les protéger contre les charges creuses des missiles et roquettes antichars. Le constat est d’ailleurs sensiblement le même coté ukrainien, avec une quinzaine de T-64BV documentés, eux aussi pourtant disposant d’un blindage réactif, et conforte celui fait lors de la guerre du Haut-Karabakh, durant laquelle les blindés lourds arméniens comme Azeris payèrent un lourd tribu.

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En dépit de protection active avancée, ce T-72B3 Obr-2016 russe a été détruit par un missile antichar ukrainien

En d’autres termes, même s’ils demeurent indispensables à la manoeuvre et par la puissance de feu portée, les blindés, y compris les blindés lourds, apparaissent désormais excessivement vulnérables sur un champs de bataille moderne de haute intensité, en particulier face aux missiles antichars modernes, et l’intégration de systèmes défensifs Hard-kill, comme le fameux Trophy israélien capable d’intercepter les missiles et roquettes visant le blindé, et Soft-kill qui empêchent la visée en brouillant ou leurrant les systèmes de guidage, apparaissent désormais aussi indispensables aux blindés de première ligne comme les chars et les véhicules de combat d’infanterie, que ne le sont l’armement et les capacités de communication, et ce bien davantage que ne peut l’être aujourd’hui un lourd blindage.

Mais la plus grande vulnérabilité des blindés mise en évidence par ce conflit n’est autre que leur extrême dépendance à une chaine logistique par nature vulnérable. En effet, la moitié des 150 chars lourds perdus par les forces russes (sources documentées) ont été abandonnés par leurs équipages suite à une panne de carburant, alors même que les T-72, T-80 et T-90 russes sont plus légers et moins gourmands en carburant que les chars lourds occidentaux, comme le M1 Abrams ou le Leopard 2, réputés pour être performants mais particulièrement gloutons de carburant. En outre, en dépit des larges chenilles qui équipent les chars russes, et de leur masse relativement réduite, les colonnes d’assaut russes sont cantonnées aux routes pavées, et ne peuvent s’aventurer en rase campagne au risque de rapidement s’embourber. La encore, les chars lourds occidentaux seraient encore plus handicapés sur un tel terrain.

De toute évidence, si le concept de char ou de véhicule de combat d’infanterie reste indispensable, le conflit en Ukraine montre qu’il est désormais indispensable de repenser en profondeur les paradigmes fondateurs hérités de la seconde guerre mondiale pour ces blindés, tant pour en assurer la survabilité que l’efficacité sur les champs de bataille à venir, sachant qu’avec la multiplication des missiles antichars à longue portée modernes, des munitions vagabondes et des obus d’artillerie intelligents, la menace sur ces blindés et leurs équipages ira croissante dans les années et décennies à venir.

7- Le rôle clé de la communication

S’il est un domaine dans lequel les défenseurs ukrainiens ont surpassé les russes dans ce conflit, c’est incontestablement celui de la communication. Entre la personnification de la résistance ukrainienne portée par un président Zelensky transcendant sa fonction, la mise en évidence des frappes russes contre les civils, le repentir des jeunes militaires russes prisonniers de guerre mais bien traités par les ukrainiens, et une mise en scène efficace de la résistance des ukrainiens y compris dans les villes capturées par les russes, la communication de guerre pilotée par Kyiv aura sans le moindre doute joué un rôle plus que déterminant dans la mobilisation européenne et internationale en soutien de l’Ukraine, ceci ayant sensiblement influencé la réponse des occidentaux à l’agression russe au travers de sanctions d’une portée sans équivalent, un soutien perfectible mais significatif à l’effort de guerre ukrainien, et même en attirant prés de 20.000 volontaires étrangers pour former la Légion Internationale. Pourtant réputées et même craintes en Occident, les capacités de communication et d’influence russes ont été dans ce domaine, littéralement balayées par la communication ukrainienne, ne laissant à Moscou que quelques canaux via les reseaux complotistes pour tenter d’influencer l’opinion publique occidentale.

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La communication ukrainienne, et en particulier celle menée par le Président Zelensky, joue un rôle stratégique dans la résilience et la résistance ukrainienne face à l’agression russe.

Les fondements, les moyens et la nature même de la communication de guerre ukrainienne devra, sans le moindre doute, faire l’objet d’une analyse détaillée dans les mois à venir, ainsi que d’une évaluation précise de ses effets sur la conduite de la résistance ukrainienne, tant du point de vue politique que sociologique, et ce d’autant que contrairement aux paradigmes employés avec succès ces dernières années par les régimes autoritaires, celle-ci s’est articulée autour de valeurs bien plus en adéquation avec celles prônées par les démocraties occidentales.

8- L’épuisement rapide des stocks et réserves

Depuis de nombreuses années, l’ensemble des Etats-majors des armées européennes ne cessent d’alerter sur les niveaux particulièrement bas des stocks de munitions, en particulier dans le domaine des armes de précision, mais aussi de pièces détachées et de consommables. Ainsi, à titre d’exemple en France, seule une centaine de missiles de croisière aéroportés SCALP sont modernisés, soit un stock pour 2 jours de guerre de haute intensité, alors qu’aucune commande complémentaire n’est pour l’heure envisagée. Si ces stocks étaient suffisants pour des engagements sporadiques de basse ou moyenne intensité, ils ne sont pas dimensionnés pour un engagement de haute intensité dans la durée.

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La France ne modernise que 100 de ses missiles de croisière furtifs aéroportés SCALP, soit une capacité équivalente à deux jours de combat de haute intensité.

Les armées russes font aujourd’hui l’experience de cette même faiblesse qui touche les armées occidentales. Ainsi, au bout d’une semaine de conflit, les forces aériennes de Moscou ont été contraintes de mettre en oeuvre des munitions air-sol non guidées aprés l’épuisement des stocks de munitions de précision, avec des conséquences notables sur l’efficacité du soutien aérien produit mais également sur les pertes enregistrées, les avions russes devant voler plus bas, et notamment sous la couche nuageuse, pour être en mesure de viser leurs cibles, ceci les exposant aux nombreux systèmes sol-air portables dont disposent les combattants ukrainiens.

Au delà de cette problématique déjà critique, la guerre en Ukraine a également montré, en Europe, l’absence de capacités d’absorption des armées. Ainsi, les armes antichars et anti-aériennes transférées en Ukraine par les pays européens ont été soit prélevées sur les stocks opérationnels des armées au détriment de leurs capacités de réponse immédiates alors que les risques d’élargissement du conflit sont loins d’être inexistants, soit prélevés sur des stocks d’équipement déclassés, offrant des capacités militaires moindres aux défenseurs ukrainiens. De fait, une réflexion avancée sur le dimensionnement des stocks et réserves des armées européennes, notamment pour ce qui concerne les munitions et les systèmes guidés, s’avère indispensable afin de conférer à ces forces une resilience au combat compatible avec les engagements de haute intensité, mais également avec les évolutions géostratégiques mondiales.

Conclusion

Le conflit en Ukraine a bouleversé en profondeur l’ensemble de la géopolitique européenne, et même mondiale. Ses conséquences et ses enseignements vont, eux aussi, engendrer d’importantes mutations tant dans la planification militaire des européens que dans son calendrier. A l’instar des prises de conscience radicales des dirigeants eux-mêmes, il apparait que, dans de nombreux domaine, il sera nécessaire de repenser et de mettre à jour certains paradigmes opérationnels et technologiques qui perdurent aujourd’hui, et semblent avoir dépasser leur date de péremption. Reste à voir désormais à quel point, au delà des postures et indignations immédiates, les européens parviendront à engager les mutations nécessaires pour être en mesure de tirer les leçons de ce conflit.

Cacophonie au sein de l’OTAN au sujet des Mig-29 polonais

Hier soir, nous publiions un article (pour éviter toute confusion, il a été supprimé et est accessible pour information en fin de cet article) concernant la décision annoncée de Varsovie de transférer ses avions de combat Mig-29 sur la base américaine de Rammstein en Allemagne, laissant supposer que les Etats-Unis assureraient la livraison de ces chasseurs aux forces aériennes ukrainiennes afin de soutenir l’effort de défense face à l’agression russe. Dans le même communiqué, les autorités polonaises annonçaient qu’elles remplaceraient les appareils offerts indirectement à l’Ukraine, en faisant l’acquisition d’avions de combat d’occasion dotés des mêmes capacités que celles de ses Mig-29, laissant supposer que les Etats-Unis avaient donné leur accord pour vendre des F-16 d’occasion à Varsovie. Le communiqué polonais se terminait en appelant les autres pays d’Europe de l’Est disposant eux-aussi de ce type d’appareils à faire de même, ne laissant guère de doute quant au soutien de Washington autour de cette opération.

Deux heures plus tard, le Département de La Défense américain, par la voix de l’Assistant au Secrétaire à la Defense américain John Kirby, apportait un démenti complet à ce qu’il qualifie de « proposition polonaise ». Selon lui, les Etats-Unis ne souhaitent pas recevoir les Mig-29 polonais ou autres sur la base de Rammstein, et ne disposent d’aucun parc d’appareils répondant aux attentes polonaises pouvant être cédé à court terme. De toute évidence, les autorités polonaises et américaines s’étaient mal, voire pas du tout coordonnées dans ce dossier, créant une cacophonie importante au sein de l’OTAN, alors même que celle-ci fait face à la plus grande crise sécuritaire ces 40 dernières années.

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La Pologne entendait recevoir en compensation de ses Mig-29 des appareils américains offrant des performances équivalentes, très probablement des F-16 Block52 similaires à ceux déjà en service au sein des forces aériennes polonaises

Un tel raté en matière de communication a probablement de multiples origines. On imagine mal, en effet, les polonais s’engager dans la divulgation d’un tel montage évolué et complexe passant par la base aérienne de Rammstein, et donc un interventionnisme américain bien plus important qu’il ne l’est depuis le début du conflit face à Vladimir Poutine, sans que le sujet n’ait été effectivement étudié et avalisé au plus haut niveau à Washington et à Bruxelles. Comme nous l’écrivions hier, une telle stratégie supposait un profond changement en matière d’implication de Washington dans cette crise, laissant supposer que les Etats-Unis disposaient d’informations quant à un changement de posture de la part de Vladimir Poutine, qu’il s’agissait de répondre aux ouvertures faites par Volodymyr Zelensky ou pour réduire les pertes importantes au sein de son armée engagée dans une offensive hors plan. De toute évidence, il n’en est rien.

En guise d’explication, ne souhaitant pas évoquer directement l’éventuel transfert des appareils polonais par les Etats-Unis vers l’Ukraine, le DoD américain a avancé le fait que les F-16 réclamés par Varsovie pour remplacer ses Mig-29 avaient déjà été promis à Taïpei pour faire face à la menace de Pékin. Or, cette explication est bien peu convaincante, dans la mesure où les F-16 commandés par Taïwan sont des appareils neufs, et non d’occasion comme évoqué par Varsovie. En outre, l’USAF doit retirer du service une trentaine de ses F-16 cette année, des appareils répondant précisément à l’expression de besoin polonaise afin de conserver un format de force aérienne constant dans l’attente de la livraison des F-35A commandés en 2020.

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l’épave d’un chasseur bombardier Su-34 russe abattu au dessus de l’Ukraine

Deux explications possibles émergent désormais concernant cette situation. La première, et la moins probable, serait que Varsovie aurait effectivement décidé de tenter de forcer la main à Washington en mettant sur la scène publique le sujet, peut-être afin de couper court aux pressions internationales poussant la Pologne à livrer directement ses appareils aux ukrainiens, au risque de se voir désigner par Moscou comme cobelligérant. La seconde hypothèse suppose que l’opération telle que décrite par Varsovie devait effectivement se dérouler, mais que pour une raison ou une autre, Washington a décidé au dernier moment de faire marche arrière, soit en raison d’un défaut de communication entre les services de renseignement, les armées et la Maison Blanche, soit pour répondre à une nouvelle information venue de Moscou.

D’une manière ou d’une autre, il apparait évident que les Etats-Unis et l’OTAN demeurent particulièrement précautionneux quant à leurs postures vis-à-vis de Vladimir Poutine, et au delà de ce rétropédalage intempestif, ces deux puissances militaires majeures et imbriquées, évitent en effet toute provocation face à la Russie. En effet, l’une des réponses les plus efficaces et rapides que pourraient apporter Washington et les Européens pour venir en aide aux Ukrainiens, serait de concentrer des forces militaires importantes aux frontières de la Russie et de la Biélorussie, de sorte à obliger le Kremlin à faire de mêmes, et ce alors que 60% des unités russes de ligne sont engagées en Ukraine. Ceci obligerait naturellement Moscou à réduire sa présence militaire en Ukraine, et donc à mettre un frein significatif à cette offensive.

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En dépit de pertes importantes, les armées russes conservent une puissance de feu et un potentiel opérationnel sensiblement supérieur à celui des défenseurs ukrainiens. Mais cette situation ne garantit plus la victoire espérée par le Kremlin.

Or, la réponse de l’OTAN à ses frontières a été plus que limitée, et aucun déploiement massif n’a été entamé aux abords de Kaliningrad ou dans les pays baltes et en Pologne, précisément là ou il deviendrait urgent pour Moscou de déployer des forces en miroir. Certes, les membres de l’OTAN veulent éviter l’escalade. Pour autant, l’alliance aurait toute légitimé pour renforcer plus que significativement sa présence à ses frontières orientales et ainsi sévèrement handicaper l’offensive russe en Ukraine, alors que Moscou aurait bien du mal à justifier d’une quelconque forme de provocation occidentale du fait de sa propre offensive. De fait, en s’empêchant de répondre de cette manière que l’on aurait désigné jusqu’à présent comme appropriée, l’OTAN montre qu’elle redoute vraiment de donner à Vladimir Poutine une quelconque justification pour potentiellement étendre le conflit.

De plus, les performances constatées des forces conventionnelles russes en Ukraine laissent supposer que les armées de Moscou souffrent aujourd’hui encore de certaines défaillances critiques, et que leur potentiel offensif conventionnel est sensiblement inférieur à celui envisagé jusqu’ici, qui plus est maintenant qu’il a été largement érodé par la résistance ukrainienne. De fait, les armées européennes, et les forces américaines déployées en Europe, apparaissent à ce jour suffisamment dimensionnées pour contenir une offensive conventionnelle russe, laissant, dans les faits, peu de marge de manoeuvre à Vladimir Poutine quant à un possible élargissement du conflit. L’ensemble de ces facteurs tendent à montrer que la menace portée par la Russie, et Vladimir Poutine, qu’elle soit en Ukraine ou en Europe, dépasse très largement le cadre purement conventionnel, et que les précautions plus qu’importantes prises par Washington et l’OTAN depuis le début de cette crise ont des fondements autrement plus dangereux pour la sécurité du vieux continent, et de la planète.


« MIG-29 Polonais : Les Etats-Unis s’engagent dans un bras de fer avec la Russie »

Article du 8 mars 2022

Si Varsovie avait annoncé, depuis plusieurs jours, son intention de soutenir l’effort de défense ukrainien en offrant à ses forces aériennes ses propres avions de chasse Mig-29, des appareils de facture soviétique modernisés au sein de l’OTAN mais comparables à ceux mis en oeuvre par Kyiv, plusieurs problèmes majeurs entravaient cet objectif. Ainsi, les autorités polonaises demandaient à Washington de remplacer les avions offerts par des appareils américains offrant des performances équivalentes, ce qui n’était pas sans poser d’importants problèmes à l’US Air Force qui n’avait pas prévu de se séparer de 30 ou 40 de ses F-16 à très court terme. Surtout, Moscou avait annoncé que si des avions de combat de l’OTAN venaient à franchir la frontière ukrainienne, même pilotés par des pilotes ukrainiens, leur pays d’origine serait immédiatement considéré comme cobelligérant, avec le risque d’une extension incontrôlée du conflit en Europe.

C’est aussi très probablement pour la même raison que, depuis l’entame de l’offensive russe en Ukraine, Washington était resté en retrait vis-à-vis de Moscou, laissant à ses alliés Européens l’initiative de contrôler l’extension du conflit. Mais les choses sont visiblement sur le point de changer très rapidement, puisque le Ministère de La Défense polonais vient d’annoncer qu’il allait « sans délais » transférer ses Mig-29 vers la base américaine de Rammstein en Allemagne, et qu’il recevrait en compensation des appareils d’occasion offrant des performances et des capacités équivalentes à celles des appareils offerts, et achetés directement aux Etats-Unis, très probablement des F-16 comparables à ceux déjà en service au sein des forces aériennes polonaises. Varsovie a par ailleurs appelé les autres pays européens opérant ce type d’appareil, en l’occurence la Bulgarie et la Slovaquie, à faire de même, de sorte à renforcer rapidement et de manière significative les capacités défensives ukrainiennes.

En procédant ainsi, Varsovie et Washington espèrent très probablement neutraliser la menace faite par Vladimir Poutine au 5ème jour du conflit. En effet, s’il peut être tentant pour Moscou de menacer la Pologne ou la Bulgarie de cobelligérance dans cette guerre, il s’agirait désormais de se confronter aux Etats-Unis et la première armée mondiale, qui plus est une puissance nucléaire équivalente à celle de la Russie. De toute évidence, Washington estime que le Kremlin ne s’engagera pas dans une telle escalade potentiellement dévastatrice pour l’ensemble de la planète, et qu’en prenant la responsabilité du transfert des appareils polonais vers l’Ukraine, les pays limitrophes de la Russie appartenant à l’OTAN ne seront pas directement menacés ou mis en cause par Moscou.

Reste qu’en agissant ainsi, Washington prend désormais une position centrale dans le bras de fer qui oppose la Russie à l’Occident, en rupture avec la posture suivie jusqu’à présent. Il est probable que les Etats-Unis disposent désormais d’informations permettant de s’engager dans une telle démarche sans risquer l’escalade entre super-puissances, et que le fait de rendre la procédure publique soit avant tout destiné à accroitre la pression sur le Kremlin pour s’engager dans une trajectoire de sortie de conflit. Il est vrai qu’au bout de 12 jours de combat, les armées russes ont enregistré des pertes importantes, évaluées à 12.000 morts, blessés et prisonniers par Kyiv, alors que Washington estime le nombre de soldats russes ayant perdu la vie entre 2000 et 4000 depuis le début des combats, soit des chiffres relativement cohérents avec ceux annoncés par les ukrainiens avec un ratio de 4 blessés par tué au combat. De manière objective et documentée, prés d’un millier de pièces d’équipements russes dont 150 chars de combat russes ont été détruits, abandonnés ou ont été capturés par les ukrainiens, soit plus de 10% des chars déployés autour de l’Ukraine avant l’entame du conflit.

Outre ces pertes importantes, l’offensive russe avance beaucoup moins rapidement qu’initialement prévue, laissant envisager un cout difficile à soutenir pour les armées russes afin d’atteindre les objectifs opérationnels visant très probablement à s’emparer de la partie orientale de l’Ukraine en faisant converger les offensives sud, est, nord et nord-ouest, selon une frontière allant de Kyiv a Dnipro pour ensuite suivre le fleuve Dniepr jusqu’à la Mer Noire, et peut être capturer l’ensemble de la cote sud jusqu’à la Moldavie. Considérant les pertes déjà enregistrées et la vitesse de progression des forces russes, il est fort possible que les pertes russes en fin d’opération dépasseront les 30.000 à 40.000 hommes et les 5000 pièces d’équipement, laissant l’armée exsangue et incapable de se relever avant de nombreuses années, pour un gain territoriale par ailleurs difficile à maintenir, eu égard à la résistance civile des ukrainiens eux-mêmes, y compris dans les régions russophones.

Dans le même temps, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé qu’il était prêt, dans le cadre d’une éventuelle négociation avec Moscou pour la fin du conflit, à renoncer officiellement à demander l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN et à négocier un statut particulier pour les régions de Crimée et du Donbass afin de normaliser les relations avec la Russie, tout en accélérant l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Avec de telles concessions, le président ukrainien offre de toute évidence une porte de sortie à Vladimir Poutine pour mettre fin à cette invasion à relativement court terme, alors que la menace de voir les Etats-Unis s’impliquer directement dans le soutien de Kyiv fait peser une menace encore plus grande quant à l’enlisement du conflit, avec le risque de pertes encore plus insoutenables pour les armées russes.

Reste à voir, désormais, quelle réponse apportera Moscou à l’annonce faite par Varsovie, même si dans le communiqué polonais, la destination finale des Mig-29 transférés sur la base de Rammstein n’est naturellement pas mentionnée. Pour l’heure, aucune réaction n’a été publiée par les organes officiels russes, comme l’agence Tass. En revanche, les ouvertures faites par le président Zelensky, comme le bras de fer politico-economique avec l’occident, en particulier sur les sujets énergétiques, sont largement mis en avant. Il est probable, dès lors, que dans les jours à venir, la situation évoluera sensiblement, sans que l’on sache précisément dans quelle direction ces évolutions iront.

Les 5 armes occidentales dont les forces Ukrainiennes ont le plus besoin aujourd’hui

Depuis 12 jours maintenant, les forces armées et la défense territoriale ukrainiennes parviennent à résister à l’offensive russe, en dépit d’un évident durcissement des règles d’engagement de l’adversaire, alors qu’il est évident qu’il n’aura aucune chance de victoire rapide ni d’obtenir le soutien ou même la neutralité de la population ukrainienne dans sa grande majorité. Engagées en amont du conflit par les Etats-Unis et certains pays européens, les livraisons d’armement aux forces ukrainiennes jouent désormais un rôle déterminant dans la capacité de celles-ci à maintenir la pression sur les unités participants à l’offensive russe, frappant efficacement les convois de ravitaillement et bloquant certaines offensives, dans une stratégie de ralentissement et d’attrition maximale contre l’adversaire. Toutefois, le changement de stratégie notable mis en oeuvre par les unités russes, faisant désormais un usage important de leur moyens aériens et d’artillerie y compris contre les zones résidentielles, met à mal les capacités de résistance ukrainienne, optimisées pour des engagements à courte distance.

Afin de donner aux combattants ukrainiens les moyens de contrer l’extraordinaire puissance de feu des unités de ligne russes, il semble indispensable d’engager la livraison de nouveaux systèmes d’arme adaptés à cette nouvelle réalité tactique, de sorte à permettre aux ukrainiens de soutenir l’engagement tout en érodant les capacités offensives adverses, et ainsi convaincre le Kremlin de la nécessité d’une solution négociée à ce conflit, sans pour autant donner prétexte à Vladimir Poutine pour designer les Européens et, plus largement, les occidentaux, comme cobelligérants, comme ce serait le cas si des avions de combat ou des blindés lourds européens, même mis en oeuvre par des équipages ukrainiens, venaient à franchir la frontière du pays. Dans cet article, nous présenterons 5 de ces armes indispensables aux Ukrainiens pour répondre à ce défi, sans fournir de prétexte aux autorités russes pour un potentiel élargissement du conflit.

1- Munitions Vagabondes et Missiles NLOS

Les derniers jours ont montré que les forces russes employaient désormais leur puissante artillerie pour venir à bout des défenses ukrainiennes, mais aussi pour tenter de briser le moral des civils, en menant des frappes à moyenne portée peu précises mais redoutablement meurtrières. Celles-ci sont en majorité conduites par des canons automoteurs 2S19 Msta-S de 152 mm et 2S3 Akatsiya de 122 mm et des lance-roquettes multiples BM-21 Grad. Ces systèmes ont une portée maximale allant de 18 km (Akatsiya) à 40 km pour le Grad, permettant de frapper les cibles ukrainiennes tout en restant hors de portée des capacités défensives ukrainiennes, même lorsque celles-ci tentent de mener des raids d’infanterie ou de forces spéciales. En l’absence de capacités de frappe aérienne exception faite des drones TB2 efficaces mais vulnérables contre des positions préparées, et avec une capacité de contre-batterie limitée, les forces ukrainiennes ont donc désormais un besoin critique de systèmes d’arme capables d’engagement à moyenne portée, entre 5 et 40 km de portée, pour être en mesure de neutraliser, ou tout au moins de faire reculer les batteries russes entourant les villes.

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Le canon automoteur 2S19 Msta-S a une portée de 25 km

L’occident dispose de deux systèmes de ce type, susceptibles de répondre précisément à ce besoin. Le premier est la Munition Vagabonde, qui fit l’éclatante démonstration de ses capacités pendant la guerre du Haut-Karabakh. Ces drones légers permettent en effet de prendre à partie des cibles éloignées de plusieurs kilomètres à plusieurs dizaines de kilomètres selon les modèles, combinant l’endurance du drone et sa capacité à rechercher et détecter des cibles, à une capacité de frappe et de destruction grâce à la charge militaire qui détruit la cible lorsque le drone frappe celle-ci, amenant certains à les designer de ‘drone kamikaze ». En outre, de part leur petite taille et leur vitesse réduite, les munitions vagabondes sont difficiles à détecter par les systèmes anti-aériens, et leur faible rayonnement infrarouge les rendent résilient aux missiles sol-air employant ce type de guidage. Qu’il s’agisse du Switchblade d’infanterie développé par les Etats-Unis, dont la portée et l’autonomie sont réduites, aux munitions vagabondes plus lourdes comme le Harop Israélien capable de frapper à plusieurs dizaines de kilomètres, ces systèmes offriraient aux forces ukrainiennes des capacités de frappe indirecte très utiles pour neutraliser la menace d’artillerie.

De la même manière, il existe désormais des missiles antichars à longue portée capables, eux-aussi, de mener des frappes indirectes. Il s’agit des missiles NLOS pour No Line of Sight, des armes ne nécessitant pas d’avoir une ligne de visée contre la cible pour faire feu, et donc de détruire une cible tout en restant sous le couvert. Deux systèmes sont actuellement en production en occident, le MMP français d’une portée de 6 km pouvant être mis en oeuvre par l’infanterie, et le Spike NLOS israélien d’une portée de 30 km mais nécessitant une mise ne oeuvre portée sur véhicule. Ces systèmes permettraient non seulement d’engager les unités d’artillerie à distance de sécurité, mais ils pourraient également servir à éliminer en priorité des systèmes anti-aériens protégeant les unités russes, de sorte à permettre l’emploi de drones armés comme le TB2 pour éliminer la batterie.

2- Drones légers de reconnaissance et dispositifs anti-drones

N’ayant pas la supériorité aérienne, et ne disposant désormais de presque plus aucun système aérien en état de fonctionner pour mener des reconnaissances, l’efficacité à moyenne portée des frappes ukrainiennes, qu’elles soient menées par des unités d’artillerie classiques ou par des systèmes d’arme comme les munitions vagabondes et les missiles NLOS, nécessite de disposer de moyens pour localiser les unités adverses. Le système de prédilection dans ce domaine est le drone léger de connaissance, permettant de repérer, identifier et localiser les unités adverses dans la profondeur immédiate de son dispositif, et donc de les engager avec les moyens adéquates disponibles. Les forces ukrainiennes disposaient déjà de drones de ce type, mais en nombre limité. Surtout, elles ne disposent absolument pas des réserves suffisantes pour équiper l’ensemble des nouvelles unités constituées, qu’il s’agisse de la Défense territoriales ou des légions internationales. Il existe donc un besoin critique dans ce domaine, permettant d’accroitre sensiblement l’efficacité des défenses ukrainiennes.

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les dispositifs anti-drones portables permettent de brouiller les signaux d’un drones légers à courte distance, rendant la cible inopérante.

A ces systèmes de reconnaissance s’ajoutent, naturellement, la capacité de s’en préserver, les forces russes disposant elles-aussi de ce type de drone. De fait, aux cotés des drones de reconnaissance légers que pourraient expédier les pays occidentaux, il est également indispensable de fournir aux armées ukrainiennes des systèmes permettant de lutter contre ceux-ci. Il existe aujourd’hui une offre importante dans ce domaine, en particulier des « fusils anti-drones » capables de brouiller les communications de ces drones légers à courte distance, et donc de le rendre inefficace, qui eux aussi apporteraient une plus-value non négligeable aux forces ukrainiennes et handicaperaient significativement les capacités de frappes à moyenne portée des forces russes. Toutefois, pour être significatif, il est nécessaire de fournir ce type d’équipement en grand nombre, de sorte à couvrir effectivement les périmètres défensifs des grandes villes assiégées et sous le feu russe, et ce d’autant qu’il semble que les unités russes ne disposent ou n’emploient pas de systèmes anti-drones, comme l’ont montré des videos prises par des drones ukrainiens en zone de combat, y compris à Marioupol.

3- Dispositifs de vision nocturne

Entre l’incorporation des volontaires locaux dans La Défense Territoriales, le retour de 80.000 à 100.000 volontaires ukrainiens venus de l’étranger, et l’arrivée annoncée de quelques 20.000 volontaires étrangers pour rejoindre la Légion Internationale, les forces ukrainiennes ont fondamentalement un avantage numérique important contre leurs opposants russes. Pour autant, elles ne disposent pas des réserves d »équipements nécessaires pour armer efficacement l’ensemble de ces volontaires, en particulier dans un domaine critique, la vision nocturne. Le combat de nuit est en effet devenu une composante essentielle de l’engagement de haute intensité, et les unités créées à la hâte en Ukraine ne peuvent rivaliser dans ce domaine avec les bataillons inter-armes de l’armée russe. Afin d’exploiter au mieux l’avantage défensif conféré par la supériorité numérique, il est donc indispensable d’équiper au plus vite les combattants ukrainiens de dispositifs de vision nocturne efficaces, d’autant que l’occident, et la France en particulier, dispose de capacités très supérieures à celles mises en oeuvre au sein des unités de combat russes.

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la vision nocturne est aujourd’hui une composante clé de l’engagement de haute intensité.

Au delà de l’aspect purement défensif, de tels dispositifs pourraient permettre à l’infanterie et aux forces spéciales ukrainiennes, qui ont montré d’exceptionnelles capacités pour se déplacer discrètement en dehors des axes tenus par les forces russes, d’intensifier leurs attaques contre les lignes logistiques russes, que l’on sait être aujourd’hui la plus grande faiblesse du dispositif déployé par Moscou. Ainsi, la capacité à frapper l’adversaire de nuit, et à se retirer avant qu’il ne lui soit possible de riposter, a toujours constitué une des tactiques fondamentales des guérillas modernes, entrainant difficultés logistiques et démoralisation chez l’adversaire.

4- Missiles sol-air à capacités étendues

Reste que l’offensive russe peut s’appuyer sur un atout de taille, sa propre puissance aérienne. Les défenses anti-aériennes ukrainiennes préservées lors des premières frappes, et composées de systèmes S-300 et Buk, maintiennent la pression sur les appareils de combat russes, obligeant ces derniers à évoluer à plus basse altitude de sorte à éviter ces menaces. La livraison massive de missiles portables Stinger américains et Grom polonais permit de faire peser une réelle menace contre ces appareils évoluant bas, mais se sont surtout montré efficaces contre les hélicoptères, du fait de leur portée et leur plafond limités. Dans ce domaine, la livraison de systèmes occidentaux plus performants permettrait très probablement de réduire significativement la menace que font peser les forces aériennes russes sur les grandes villes ukrainiennes.

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Le Mistral offre des performances supérieures à celles des manpad classiques, offrant des capacités défensives accrues pour La Défense des grandes villes ukrainiennes contre les bombardiers et les missiles de croisière russes.

Il n’est évidement pas envisageable de livrer des systèmes lourds comme le Patriot ou le Mamba, de même que tous les systèmes employant des radars occidentaux. Ceux-ci seraient en effet immédiatement identifiés comme tels par les systèmes russes, donnant à Moscou le prétexte de cobelligérance qu’il s’agit précisément d’éviter. En revanche, il existe bel et bien un système léger, basé sur une détention passive infrarouge, et offrant des performances sensiblement supérieures aux Stinger, Grom et Strela actuellement employés, le missile Mistral 3 de MBDA. D’une portée de 7 km contre 4,5 km pour le Stinger, avec un plafond d’interception au dessus de 6000 m, et un précision accrue grâce notamment à un autodirecteur résistant aux contre-mesures, le Mistral 3 permettrait de renforcer significativement les défenses anti-aériennes ukrainiennes dans les grandes villes, mais aussi d’accroitre les capacités de lutte anti-missile pour contrer les missiles de croisière subsoniques mis en oeuvre par les forces russes, pour peu qu’ils soient intégrés à la surveillance radar ukrainienne, le missile français étant particulièrement efficace dans ce domaine, notamment pour assurer la protection des navires de combat.

L’addition de Mistral 3 à la défense anti-aérienne ukrainienne des grandes villes permettrait donc de sensiblement renforcer la resilience de celles-ci contre les frappes aériennes russes, et ce d’autant qu’il apparait désormais que ces derniers sont déjà à cours de leurs munitions de précision stand-off, obligeant les appareils à survoler leur cible pour pouvoir les bombarder, qui plus est à relativement basse altitude pour avoir une précision suffisante.

5- Renseignement

La dernière arme déterminante pour les défenseurs ukrainiens est également celle qui est, selon toute probabilité, le mieux partagée par les forces occidentales avec leurs homologues ukrainiennes, le renseignement. Si les armées ukrainiennes disposent d’un important réseau de renseignement locale permettant de remonter de nombreuses informations de haute valeur militaire, leur exploitation ne peut se faire qu’en disposant d’une vision plus large du dispositif adverse, et de ses intentions. N’ayant ni satellite ni drones ou avions de renseignement à disposition, les forces ukrainiennes dépendent pleinement, dans ce domaine, des informations fournies par leurs alliés occidentaux, eux-mêmes déployant depuis le début de l’offensive russe un très important dispositif de surveillance aérienne le long des frontières du pays, et disposant de la plus importante galaxie de satellites de reconnaissance et de renseignement.

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Les forces aériennes européennes surveillent activement le conflit en Ukraine a l’aide d’avion de renseignent électronique, ici un Rivet Joint de la Royal Air Force, et de drones

Outre le renseignement tactique, il est également probable que les états-majors occidentaux assistent leurs homologues ukrainiens dans la prise de décision, notamment en évaluant les opportunités tactiques des opérations potentiellement mises en oeuvre par les unités ukrainiennes. Ainsi, le centre de simulation de l’US Marines Corps avait réalisé un wargame détaillé des premiers jours d’engagement, qui s’est avéré très proche de la réalité, et qui mit en évidence la dangerosité de certaines initiatives qu’auraient pu prendre les armées ukrainiennes. Dans la réalité, ces erreurs n’ont pas eu lieu, et l’on peut penser que l’information avait été clairement transmise par les services américains.

Conclusion

Il n’aura échappé à personne que les systèmes d’arme présentés ici comme indispensables à l’Ukraine ne correspondent pas aux demandes formulées par le président Zelensky, ce dernier réclamant des avions de combat et des systèmes lourds. Pour autant, en dépit de toute la légitimé et l’héroïsme dont fait preuve le président ukrainien, répondre à ses demandes présenterait, comme dans le cas de la No Fly Zone réclamée depuis 12 jours, des risques bien trop importants d’extension du conflit. Dans ces conditions, il est indispensable de répondre aux besoins tactiques exprimés par les autorités ukrainiennes tout en tenant compte à la fois de la réalité géopolitique, mais également des points forts constatés de la défense ukrainienne. On peut ainsi douter des capacités effectives des armées ukrainiennes, mêmes renforcés de materiels lourds venus d’Europe, à s’opposer aux forces russes dans un engagement conventionnel classique. En revanche, elles ont montré toute leur efficacité pour mettre en oeuvre une stratégie mixte alliant coups de force conventionnels et guérilla, et c’est probablement là qu’est la clé de l’efficacité et de la resilience de la défense ukrainienne aujourd’hui.

MiG 29 Bulgaria Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
La livraison de chasseurs comme le MIG 29 aux forces aériennes ukrainiennes constituerait très probable un prétexte pour le Kremlin pour désigner certains pays de l’OTAN comme cobelligérant.

Car si le présent conflit a montré certaines défaillances inattendues de la part des forces russes, et d’une certaine manière, a mené à re-évaluer la réalité de la menace conventionnelle russe sur l’occident à la lumière des difficultés rencontrées, il convient également de ne pas sombrer dans l’excès inverse, et de considérer que celles-ci sont inefficaces et ne représentent pas une menace mortelle pour l’Ukraine aujourd’hui, ou pour l’Europe demain. Il convient donc de faire preuve d’autant de determination que de prudence dans l’aide militaire fournie à l’Ukraine, l’objectif n’étant pas de permettre à Kyiv de vaincre Moscou quel qu’en soit le prix, mais bien d’amener le Kremlin à stopper son offensive et à s’assoir à la table des négociations sur des bases mutuellement acceptables, et non sur des paradigmes fantaisistes comme la denazification du pays. Des avancées interessantes semblent avoir percé ces dernières heures dans ce domaine, comme un possible remplacement UE vs OTAN dans la stratégie ukrainienne et des statuts particuliers concernant le Donbass et la Crimée, les pertes importantes des deux cotés amenant probablement chacun à plus de flexibilité. Reste que l’objectif principal doit rester le renforcement des capacités défensives ukrainiennes à court terme, et ces 5 catégories d’équipements, si elles venaient à rapidement atteindre les unités ukrainiennes, pourraient largement peser dans le rapport de force immédiat.

A-t-on surévalué les Armées russes ?

Depuis l’entame de l’offensive russe contre l’Ukraine, les armées du Kremlin sont observées avec attention par les spécialistes militaires. Il s’agit, en effet, du premier déploiement massif de ces armées depuis l’invasion de la Georgie en 2008, opération qui avait révélé de nombreuses défaillances sévères en leur sein. Or, comme en 2008, il apparait que les Armées russes font l’objet d’importantes difficultés, alors même que les réformes de 2008 et de 2012 étaient conçues spécifiquement pour les corriger et amener les armées russes à un standard opérationnel bien supérieur que celui constaté sur le terrain. Dans ces conditions, et eu égard aux observations faites sur le théâtre ukrainien, doit-on admettre que les armées russes avaient été sur-évaluées tant par l’Etat-Major russe que par les occidentaux ? Et si tel est le cas, quelles peuvent être les raisons de ces nombreuses défaillances constatées ?

L’effort de modernisation des armées russes depuis 2008

Au début des années 2010, les armées russes étaient considérées, dans le domaine conventionnelle, comme sensiblement inférieures en capacités comme du point de vue technologique vis-à-vis des standards occidentaux. A ce moment, seuls 35% des équipements en service étaient considérés comme modernes par l’Etat-Major russe, y compris dans certains domaines critiques comme la dissuasion ou les forces aériennes. Non seulement l’essentiel des materiels étaient hérités de l’époque soviétique et n’avait que peu été modernisé, mais les unités russes elles-mêmes souffraient d’importantes défaillances, et de capacités opérationnelles détériorées. Et si celles-ci avaient enregistré certains succès, comme en 2014 en Crimée, ou en 2015 dans le Donbass, elles montrèrent encore certaines limites dès lors qu’elles devaient se confronter à des capacités modernes, comme ce fut le cas en 2015 au début de l’opération en Syrie.

mi 35 Syria Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les opérations en Syrie ont permis aux forces armées russes d’expérimenter de nombreux équipements, et certaines défaillances ont été corrigées.

C’était précisément pour combler ces défaillances que l’Etat-Major et le ministère de La Défense russe, largement soutenu par le Kremlin, mirent en oeuvre plusieurs réformes ambitieuses, comme celle de 2008 puis celle de 2012. Non seulement celles-ci visaient à moderniser les équipements en service au sein des forces, avec l’arrivée de nouveaux équipements tant dans le domaine terrestre (chars T80BVM et T72B3), dans le domaine aérien avec les chasseurs bombardiers Su-34 et le chasseur de supériorité aérienne Su-35, ainsi que de nouveaux navires de combat avec de nouveaux sous-marins (Iassen-M, Improved Kilo) et de nouvelles corvettes et frégates ; mais également à donner aux armées une homogénéité comparable à celle observée dans les armées occidentales, en accélérant la professionnalisation des forces.

A l’étude des nombreux rapports publiés ces dernières années par les services russes, et la communication dithyrambiques relayée par les organes d’influence du pays, il semblait bel et bien que d’importants progrès avaient été réalisés, avec notamment la livraison de nombreux équipements « modernes » ayant permis d’atteindre à un taux affiché de 72% d’équipements modernes au sein des armées russes, soit un indicateur sensiblement identique à ceux des armées occidentales. En outre, par l’intermédiaire de nombreux exercices de grande importance, comme les exercices annuels Zapad, Vostok, Tzentr et Kavkaz, les mises en alertes répétées menées par le chef d’Etat-Major V. Gerasimov et le ministre de La Défense S. Choighou en personne, et certaines démonstrations de force réussies au fil des années, tout semblait indiquer que les forces armées russes en 2021 n’avaient plus rien en commun avec celles de 2008. Le conflit en Ukraine rebat ces certitudes en profondeur.

L’échec des réformes russes ?

Comme déjà abordé lors d’un précédent article, de nombreuses défaillances critiques touchent encore les armées russes, et entravent lourdement leur efficacité opérationnelle. Non seulement ont-elles gravement sous-estimé la résistance ukrainienne, mais il apparait que nombres des équipements modernisés en service s’avèrent toujours vulnérables, y compris face à des forces d’infanterie mobiles et armées d’équipements légers. En outre, en dépit d’un avantage numérique écrasant sur les forces ukrainiennes, les forces aériennes russes ne sont pas parvenues, après 11 jours de guerre, à neutraliser la défense anti-aérienne de l’adversaire, ni même à l’empêcher de mettre en oeuvre des capacités aériennes certes limitées et essentiellement basées sur le drone TB2, mais dévastatrices sur les lignes logistiques distendues du dispositif russe. Même dans le domaine cyber et de la guerre électronique, pourtant considéré comme le prés carré des armées de Moscou, l’efficacité russe est mise à mal, ou en tout cas ne semble pas être en mesure de fournir un avantage décisif contre l’adversaire.

Zapad troupes russes Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Chaque année, les forces russes organisent un exercice majeur rassemblant plusieurs dizaines de milliers à plusieurs centaines de milliers de militaires.

Mais les plus importantes défaillances constatées à ce jour au sein de l’offensive menée par la Russie concernent non pas les materiels, mais bien les armées elles-mêmes, et surtout leurs soldats. Ainsi, il apparait de part les nombreuses déclarations convergentes de prisonniers de guerre russes capturés par les forces ukrainiennes, que beaucoup d’entre eux sont en réalité de simples conscrits ayant signé un contrat d’engagement quelques jours avant le début des opérations, et n’ayant en rien la formation et l’expérience que l’on attend de militaires professionnels. Rappelons que constitutionnellement, les conscrits russes n’ont pas le droit d’être déployés en zone de combat. En outre, l’analyse de nombreuses embuscades menées avec succès par les unités ukrainiennes contre les lignes logistiques russes, mais également les échecs de certaines opérations majeures comme la prise de l’aérodrome de Hostomel au début du conflit et des quelques contre-offensives ukrainiennes menées avec succès depuis, montre que la planification et le commandement russe apparaissent défaillants, y compris pour ce qui concerne certaines unités réputées d’élite.

En de nombreux aspects, la crainte qu’inspirait il y a encore quelques semaines les armées russes en Europe a été largement érodée depuis le début de l’offensive russe. Si rien ne garantit encore aujourd’hui une victoire militaire ukrainienne, bien au contraire, il apparait que nombre de ces défaillances constatées lors de cet engagement sont sensiblement les mêmes que celles qui handicapaient les armées russes dans les années 90 et 2000, mais également les armées soviétiques dans les années 80. La première d’entre elle est de toute évidence l’immense disparité en terme de formation, mais également de motivation et d’expérience, entre les miltaires et même entre les unités formant le corps expéditionnaire russe. Comme à l’époque soviétique, certains travers critiques ont été mis à jour lors de cet engagement, comme des unités envoyées avec des munitions, des vivres et du carburant pour seulement quelques heures à quelques jours d’engagement, des officiers commandant de l’arrière et laissant aux jeunes et inexpérimentés officiers la charge de la manoeuvre, ou encore des équipements défaillants.

Des causes connues mais non solutionnées

Ainsi, des photos prises sur des T72B3 russes capturés ont montré que certaines briques du blindage réactif Relikt étaient remplies de papier, et non d’explosif pour contrer les charges creuses des missiles et roquettes antichars. De même, les grillages de protection anti-javelin observés sur de nombreux chars russes n’ont montré aucune efficacité contre ces missiles à trajectoire plongeante. Des photos prises dans les postes de tirs des batteries S-400 déployées aux abords de la frontière ukrainienne montraient que ceux-ci ne disposaient pas de missiles 40N6E, ceux-là même qui permettent d’atteindre des cibles à 400 km, mais uniquement de quelques missiles 48N6 d’une portée de 250 km, le reste de la batterie étant composée de missiles à plus courte et moyenne portée. Toujours dans le domaine anti-aérien, il apparait que seuls les systèmes TOR sont capables d’assurer une couverture anti-aérienne d’escorte aux convois logistiques russes, les Pantsir S1 et autres Sosna et Tunguska n’étant toujours pas capables, comme annoncé, d’effectuer une escorte mobile.

Un TOR M2 escortant un convoi logistique russe en Ukraine

Des erreurs tactiques flagrantes ont également été constatées, comme le déploiement d’une corvette en vue de la ville d’Odessa, alors que l’adversaire dispose, si pas de missiles anti-navires, de systèmes lance-roquettes Grad largement suffisant pour ce type de mission. De même, il semble que les forces aériennes russes n’ont entamé qu’il y a peu leurs missions de destruction des défenses anti-aériennes, en armant des Su-34 et Su-35 de missiles anti-radiation Kh-31, alors que la défense anti-aérienne ukrainienne restait active. Les lourdes pertes enregistrées ces dernières jours, avec la destruction confirmée de 3 chasseurs bombardiers lourds Su-34, résulte de cette négligence, en obligeant les avions russes à évoluer à basse altitude sous la couverture des S-300 et Buk ukrainiens, et les mettant ainsi à portée des nombreux missiles anti-aériens d’infanterie dont disposent en nombre les forces ukrainiennes.

L’ensemble de ces défaillances, qu’elles soient d’origine humaine ou technique, trouvent leur origine dans un manque évident de formation des militaires et en particulier des officiers, une chaine de commandement probablement trop lourde et peu efficace, et dans un mal bien connu des armées russes, une corruption endémique ayant amené des handicapes techniques critiques. En d’autres termes, il semble bien que les grandes réformes menées depuis 2008 ne sont parvenues qu’à résoudre une partie des problèmes qui touchaient les armées russes, et que celles-ci sont, aujourd’hui encore, bien loin d’égaler les performances des unités professionnelles des armées occidentales, en particulier celles des grandes armées européennes britanniques, françaises ou italiennes. En outre, cela démontre, comme nous nous y attendions, que les armées russes n’ont que peu de réserves opérationnelles pour soutenir un engagement long, et que hormis quelques unités d’active encore disponibles dans les districts Centre et Est, le replacement des pertes ne pourra se faire qu’avec des unités de reserve mal équipées et encore plus mal entrainées. En d’autres termes, plus la guerre durera, plus l’outil militaire du Kremlin sera éprouvé à long terme, et moins la menace rémanente russe sera importante pour les européens.

Quelles conséquences de ces observations ?

Ces observations donnent également de précieuses indications sur les besoins effectifs des armées ukrainiennes pour contrer l’offensive russe. En effet, une foi admis que la fourniture de materiels lourds, comme des chasseurs ou des blindés, risquerait de provoquer l’ire et Moscou et d’entrainer l’Europe vers une très dangereuse escalade stratégique, il apparait que les armées ukrainiennes pourraient largement profiter des défaillances constatées concernant les forces russes pour rendre l’opération impossible à soutenir dans la durée. Ainsi, au delà des missiles et roquettes antichars et des systèmes anti-aériens déjà fournis par les occidentaux, celles-ci feraient très probablement un excellent usage de missiles antichars sans ligne de visée, ou NLOS (No Line of Sight) comme le MMP français ou le Spike NLOS israélo-allemand, permettant de frapper à distance les convois logistiques russes. Au delà des drones TB2 déjà en service et visiblement efficace, elles bénéficieraient également à mettre en oeuvre des drones légers de reconnaissance, et de munitions vagabondes légères comme le Switchblade, tout en disposant de systèmes antidrones légers pour priver les russes de cet outil.

SPikeattack Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les missiles antichars à longue portée comme le SPIKE NLOS ou le MMP apporteraient une importante plus-value opérationnelle aux unités d’infanterie ukrainiennes.

D’autre part, il apparait de plus en plus évident que les forces aériennes russes ont d’ores et déjà consommé une grande partie de leur stock de munitions guidées, et qu’elles mettent en pauvre désormais en priorité des bombes non guidées. Outre le manque de précision de ces armes, surtout lorsque larguées à moyenne et grande vitesse pour éviter les systèmes anti-aériens portables, celles-ci obligent les avions porteurs à évoluer à la presque verticale des cibles. Dans ces conditions, si les grandes villes ukrainiennes venaient à disposer de systèmes anti-aériens à moyenne portée, comme le NASAM ou le Sky Sabre, les possibilités de bombardement de l’aviation russe contre les villes ukrainiennes seraient très limitées.

Conclusion

De fait, les défaillances nombreuses et répétées constatées depuis le début des combats concernant les armées russes représentent des handicapes potentiellement très sévères pour la poursuite des opérations, d’autant que les forces armées ukrainiennes, probablement aiguillées par le renseignement occidental, exploitent au mieux leurs propres moyens et capacités pour frapper durement les lignes logistiques et entraver la liberté d’action russe. Il apparait également, de manière évidente, que les armées russes, en dépit de leur immense puissance de feu, sont loins l’être aussi performantes qu’anticipé il y a encore quelques semaines, et qu’elles souffrent en de nombreux domaines des mêmes faiblesses que celles qui entravaient leur action en Tchétchénie et en Georgie.

Qui plus est, plus la guerre durera, plus celles-ci souffriront d’une dépréciation rapide de leurs capacités opérationnelles, au point qu’il est possible d’envisager que la victoire militaire russe soit désormais, si toujours possible, en tout cas compromise, alors que leur capacité à tenir le terrain au delà d’une hypothétique victoire apparait maintenant très improbable. La question aujourd’hui est donc de savoir à quel point Vladimir Poutine, mais également Choigou et Gerasimov, avaient conscience de ces faiblesses critiques en amont du déclenchement des opérations, ou s’ils découvrent eux aussi ces défaillances alors qu’elles se révèlent, et comment cet amer constat pourra influencer le pilotage des opérations, comme des négociations à venir.

La France va-t-elle aligner son effort de défense sur l’Allemagne ?

Parmi les profonds bouleversements géopolitiques engendrés par l’offensive russe en Ukraine, l’annonce faite dimanche 27 février par le chancelier allemand Olaf Scholz face au Bundestag au sujet de l’augmentation massive de l’effort de défense allemand, est incontestablement celui qui aura le plus de conséquences en Europe à moyen et long terme. Rompant avec 30 années de sous investissements chroniques de la Bundeswehr ayant amené le Chef d’Etat-Major allemand à mettre publiquement en garde Berlin quant aux capacités opérationnelles détériorées de ses armées dès le premier jour du conflit en Ukraine, Berlin a annoncé un plan visant à moderniser à court terme les armées allemandes avec une enveloppe immédiate de 100 Md€, épaulée par l’augmentation de l’effort de défense lui même « au delà de 2% », soit plus de 70 Md€ en 2021, contre un budget actuel de 53 Md€ aujourd’hui, soit une hausse de plus de 40%.

Cette annonce a déjà entrainé d’importantes réactions en Europe, plusieurs pays comme les Pays-Bas et la Finlande ayant annoncé depuis leur intention d’augmenter eux aussi significativement leur effort de défense, et il est probable qu’à relativement court terme, tous les pays européens, y compris les plus rétifs comme la Belgique, auront eux aussi atteint un effort de défense égal ou supérieur à 2% de leur propre PIB, soit l’objectif voulu par l’OTAN depuis 2014. La France, quant à elle, a déjà atteint la barre des 2% cette année, avec un budget défense de 48 Md€, dont 42 Md€ sont consacrés aux armées (le reste étant principalement capté par le paiement des pensions et des retraites des militaires). Faut-il, dès lors, s’attendre à ce que, de part son PIB très supérieur à celui de la France, l’Allemagne se détache en Europe en matière de capacités militaires ? C’est très peu probable …

Puma IFV Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Le VCI Puma de la BundesWehr

En effet, depuis l’entame du réarmement de l’Allemagne fédérale en 1954 et son intégration dans l’OTAN, Paris et Bonn, puis Berlin, prirent toujours garde à conserver des dépenses de défense équilibrées, de sorte à ne pas exhumer certaines rivalités continentales. Dans les années 60, alors que la France quittait le commandement intégré de l’OTAN et développait sa propre dissuasion nucléaire, cet équilibre fut maintenu, les deux se partageant la puissance militaire en Europe, à la France la dissuasion et la projection de force, à l’Allemagne la puissance terrestre et aérienne. Et de fait, sur toute la période de la fin de la guerre froide, si les deux budgets de défense restèrent équilibrés, les armées allemandes disposaient de beaucoup plus de chars et d’avions de combat que la France, alors que les armées françaises mettaient en oeuvre une dissuasion plus que significative, et des forces d’assaut et de projection de force bien plus importantes, avec notamment deux porte-avions.

De fait, quand Olaf Scholz a annoncé le nouvel effort de défense allemand le 27 Février, il ne fait aucun doute que de dernier s’était précisément entendu auparavant avec ses partenaires américains, britanniques, européens et surtout français, d’une part pour éviter toute réaction de surprise et d’inquiétude, d’autre par pour coordonner les réponses de chacun. En temps normal, Paris aurait très probablement annoncé un effort de défense du même ordre que celui de Berlin, et ce au même moment, de sorte à maintenir les équilibres et éviter que la situation ne soit exploitée politiquement dans les deux pays. Si le président français n’en a rien fait, en dehors d’une rapide allusion à une augmentation de l’effort de défense national lors du discours télévisé sur la situation en Ukraine du 2 mars, c’est en effet avant tout lié au contexte particulier de la France aujourd’hui, alors que la campagne électorale présidentielle est engagée. Dans ce contexte, l’annonce par le président sortant, par ailleurs non officiellement déclaré comme candidat à cette date, d’une augmentation massive et rapide des dépenses de défense aurait sans le moindre doute provoqué une tollé politique généralisé. Il revient désormais aux candidats de détailler leurs propres réponses à ces enjeux stratégiques et critiques.

Sholz Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Le chancelier Olaf Scholz devant le Bundestag le 27 février 2022

En outre, il apparait que les dirigeants européens, dans leur immense majorité, se coordonnent efficacement dans le traitement de cette crise. Ainsi, l’annonce allemande est un message d’une grande portée politique et géopolitique en Russie, l’Allemagne pouvant potentiellement se doter à elle seule d’une puissance militaire plus que respectable en Europe entrainant une évolution rapide des rapports de force militaires et géopolitiques en Europe, ce d’autant que ces annonces sont reprises par d’autres capitales européennes. En restant en retrait dans ce domaine, Paris tente probablement de conserver une posture plus neutre vis-à-vis du Kremlin de sorte à ne pas presenter un mur géopolitique occidental à Moscou, et ainsi maintenir une possibilité de dialogue dans l’espoir, bien faible il est vrai à la vue de la réponse faite par Vladimir Poutine à Emmanuel Macron aujourd’hui, d’une désescalade.

En revanche, il est probable que le président sortant, une fois déclaré, présentera, comme beaucoup d’autres candidats, un programme politique défense alignant l’effort de défense de la France sur les dépenses allemandes, de sorte à maintenir l’équilibre salutaire qui préserva l’unité européenne depuis 70 ans. En outre, il est également plus que probable que les questions de financement et de déficits budgétaires possibles liés à ce sur-investissement ont d’ores et déjà été négociées avec Berlin et avec Bruxelles, peut-être sous la forme d’un nouveau plan d’investissement européen comparable à celui mis en oeuvre pour atténuer les effets de la crise Covid, ou par des montages budgétaires innovants permettant de sortir un temps les investissements défense du calcul de la dette souveraine dans le cadre européen. Une chose est certaine, si Berlin a pu faire cette annonce, c’est que Paris sera également en capacité de le faire, et que donc les obstacles budgétaires ont été levés.

SCAF 2 Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
on peut s’attendre à une accélération prochaine des programmes en coopération, comme SCAF et MGCS

On peut raisonnablement anticiper que ce bouleversement inédit des dépenses de défense en Europe aura des conséquences très importantes non seulement sur les investissements, mais également sur la nature et la structure des armées de chaque pays, ainsi que sur les programmes d’acquisition et de développement annoncés ou à venir. Ainsi, amener les Armées françaises et allemandes à disposer de 70 à 75 Md€ par an, n’ira pas sans poser d’importants enjeux en terme de format des forces, alors que les deux pays font face à de sérieuses limitations sociales en matière de recrutement des militaires sous contrat. Ainsi, pour Berlin, il serait déraisonnable de penser que la Bundeswehr puisse voir ses effectifs augmenter de 40 ou 50%. Non seulement serait-ce très long difficile à réaliser, mais cela priverait l’economie allemande de 60.000 jeunes qui sont aujourd’hui indispensables sur le marché du travail pour répondre à la demande, ainsi que pour équilibrer le modèle social du pays avec une population en vieillissement rapide. Bien que moins sensible en France, ce même problème reste posé, surtout si l’objectif est de maintenir l’homogénéité et l’efficacité des unités militaires françaises.

On peut donc s’attendre, en France comme en Allemagne, à ce qu’une importante force militaire de reserve soit créée, comparable à l’US National Guard américaine ou à la Rosfgardia russe, seule alternative raisonnable pour gagner efficacement de la masse dans ces pays. Il est même possible, dans le présent contexte, d’imaginer que les dirigeants européens se soient entendus pour donner une dimension purement européenne à cette initiative, de sorte à créer, de fait, les fondements de l’Armée Européenne souhaitée par Emmanuel Macron et Angela Merkel dès 2017. De même, il plus que probable que les programmes européens, comme ceux portés par la Coopération Permanente Structurée, ou les programmes multinationaux européens comme SCAF et MGCS, connaissent un puissant coup d’accélérateur, de sorte à faire peser sur Moscou une course aux armements que la Russie n’est pas, économiquement, en capacité de soutenir.

LEurope de la Defense ne manque pas de symboles mais de materialite. Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Le contexte géopolitique et sécuritaire aujourd’hui est favorable pour l’émergence d’une armée « européenne », bien que sa forme exacte reste à définir.

Reste que beaucoup de ces aspects vont évidement dépendre du résultat des urnes françaises les 10 et 24 avril, ceci expliquant les réserves actuelles de l’exécutif français, mais aussi le faible niveau de détails donnés par Berlin concernant la ventilation exacte de ses dépenses à venir dans ce domaine. Par ailleurs, il est possible que le programme défense que présentera Emmanuel Macron une fois sa candidature officialisée donnera des indications importantes quant aux accords effectivement négociés à l’échelle Européenne dans ce dossier. Une chose est certaine, contrairement aux années précédentes, la Défense sera un enjeu si pas central, en tout cas important, de cette campagne présidentielle.

Les 5 défaillances critiques des forces russes en Ukraine

Dire qu’au 7ème jour de la guerre russo-ukrainienne, les opérations ne se sont pas déroulées comme escompté par l’Etat-Major russe, tient évidement de l’euphémisme, au point que désormais, Moscou restructure ses offensives pour respecter une stratégie bien plus classique basée sur l’extraordinaire puissance de feu de l’artillerie et de l’aviation de bombardement russes. Pour autant, ces premiers jours de combat permirent, au travers de nombreuses observations largement analysées par la communauté OSINT, d’identifier plusieurs défaillances critiques touchant les forces russes engagées dans cette opération. De manière surprenante, certaines de ces défaillances touchent précisément des domaines réputés d’excellence de l’armée russe, et interrogent de fait sur la réalité de l’efficacité militaire conventionnelle des armées de Moscou tel qu’anticipé en amont de ce conflit.

La précision des frappes de missile

A l’instar de la doctrine américaine et désormais occidentale, les forces russes entamèrent le conflit par une pluie de missiles de croisière et de missiles balistiques à courte portée contre les infrastructures critiques pour La Défense ukrainienne. Pendant un temps, cette frappe initiale été interprétée comme effective, et il semblait qu’elle avait effectivement neutraliser les bases aériennes, défenses anti-aériennes et dépôts de carburant et de munitions de l’armée ukrainienne. Très rapidement, il devint cependant clair qu’en dépit de ces frappes massives, il est aujourd’hui question de 450 missiles balistiques et de croisières tirés par les forces russes et biélorusses contre des cibles ukrainiennes depuis l’entame du conflit, des problèmes d’efficacité avaient touché ces frappes, l’aviation de chasse comme La Défense anti-aérienne à longue portée ukrainienne ayant conservé de toute évidence des capacités de riposte.

frappes missiles ukraine Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Clichés satellites de la base aérienne de Chuhuiv après les frappes russes. Remarquez la piste dénuée d’impact.

La publication d’une photo satellite de la base aérienne ukrainienne de Chuhuiv au sud de Kharkiv après les frappes, montra par exemple des impacts d’une précision très discutable. Ainsi, si des dépôts de carburant ont bien été détruits, les taxiways et la piste principale restaient intactes, permettant effectivement aux avions de combat et drones ukrainiens de prendre l’air et d’atterrir, et donc de soutenir la résistance face à l’attaque russe. Ce manque de précision flagrant contraste avec celle constatée concernant les frappes occidentales récentes, contre les installations chimiques syriennes en 2018 par exemple, mais également par d’autres nations réputées moins avancées téchnologiquement, comme les frappes de missiles balistiques iraniens sur les bases irakiennes d’Al Asad et d’Idlib qui surprirent par leur précision, au point que l’hypothèse d’une assistance technologique russe fut évoquée.

Ce manque d’efficacité et de précision des frappes initiales russes jouèrent un rôle déterminant dans la capacité des forces aériennes et anti-aériennes ukrainiennes à entraver les mouvements aériens et l’appui rapproché que devaient fournir les avions de combat et les hélicoptères russes aux forces d’assaut, et engendrèrent des pertes reportées, mais pour l’essentiel non confirmées, comme par exemple celle de 2 avions de transport Il-76 sensés mener un assaut aéroporté au sud de Kyiv, handicapant grandement les chances de succès du plan d’assaut initial des forces russes.

La Défense anti-aérienne à courte portée

Avec un parc théorique de 2000 systèmes anti-aériens automoteurs à courte et moyenne portée, les forces terrestres russes étaient réputées comme étant les mieux équipées dans ce domaine sur la planète, y compris face aux Etats-Unis. Si une grande partie de ces systèmes étaient supposée ancienne voire obsolète, plus de 250 Tunguska à très courte portée, 300 systèmes TOR à courte portée, 500 Buk-M et les quelques 400 systèmes S-300 armant les brigades anti-aériennes russes, aidés des 25 régiments des forces aériennes armés de S-400 à très longue portée protégés par plus de 200 systèmes de protection rapprochée Pantsir, devaient logiquement être en mesure de créer une bulle impénétrable aux avions et drones ukrainiens.

TOR M2U Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les systèmes TOR-M1/2 russes ont été modernisés pour répondre à la menace des drones

Pourtant, dès le second jour des combats, les forces aériennes ukrainiennes parvinrent à mener des attaques meurtrières contre les colonnes russes, même si elles payèrent un lourd tribu à ces assauts. Surtout, les drones MALE (Medium Altitude Long Endurance) léger TB2 Bayraktar acquis par Kyiv l’année dernière auprés de la Turquie, ont été en mesure de frapper à plusieurs reprises les unités russes, et notamment les colonnes logistiques, fournissant, comme dans le cas de la guerre du Haut-Karabakh, des images précises ne laissant aucun doute quant à la véracité des déclarations ukrainiennes. Or, si les TB2 avaient déjà posés de sérieux problèmes aux défenses anti-aériennes russes en Syrie et en Libye, et aux systèmes de facture soviétique arméniens, l’industrie russe avait annoncé avoir déployé des mises à jour et modifications sur ses systèmes pour précisément contrer ce type de menace. Aujourd’hui, pourtant, les TB2 ukrainiens continuent de faire peser une menace réelle et sensible sur la chaine logistique russe déjà sérieusement mise à mal, et même si certaines pertes ont été documentées, l’efficacité opérationnelle comme economique de ces systèmes joue un rôle majeur dans la résistance ukrainienne.

TB2 Ukraine Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
les TB2 Bayracktar ukrainiens frappent durement les convois logistiques russes dans le pays

A ce titre, il est possible que l’extension incontrôlée des axes de progression des armées russes en territoire ukrainien, avec 8 axes d’attaque différents identifiés à ce jour, joue un rôle important dans cette défaillance, en ne permettant pas de mettre un système anti-aérien mobile en protection de chaque convoi logistique. Pour autant, la doctrine russe supposait précisément une couverture globale dans ce domaine, alliant les performances complémentaires des systèmes à courte, moyenne et longue portée précisément pour permettre de répondre à tous les scénarios. De fait, il semble bien que les systèmes anti-aériens en service dans les armées russes rencontrent de réels problèmes pour achever cette defense anti-aérienne multi-couche tant vantée, que ce soit à cause de difficultés technologiques ou d’un théâtre d’intervention trop étendu pour les forces engagées, plus probablement des deux à la fois.

La guerre électronique et cyber

Quelle surprise de constater qu’au 7ème jour de guerre, les combattants ukrainiens, les civils et les autorités du pays, sont toujours capables de communiquer librement utilisant le réseau de téléphone mobile et internet, et même de mettre en oeuvre des drones civils pour mener des reconnaissance et même diriger des frappes, y compris au dessus de la ville très contestée de Marioupol. Et si les sites gouvernementaux ukrainiens avaient bel et bien subi des attaques cyber en amont du conflit, c’était hier au tour des sites et comptes officiels russes de se retrouver piratés ou hors service par des attaques cyber dont on peu difficilement attribuer la paternité, puisqu’au delà des forces cyber ukrainiennes, de nombreux groupes de hackers occidentaux s’en prennent désormais à la présence numérique russe.

Un drone léger ukrainien au dessus de la ville de Mariopol

Jusqu’à aujourd’hui, les capacités des forces russes et de leurs équipes non officielles étaient un véritable sujet d’inquiétude en occident, non sans raison il est vrai après certains piratages en Europe comme aux Etats-Unis. De même, les capacités de guerre électronique des armées russes étaient un important sujet de préoccupation pour les forces occidentales, au point qu’elles entreprirent de s’entrainer activement dans un environnement de guerre électronique intense privant de communication et de géolocalisation les forces comme leurs équipements et armements. Or, ce sont précisément toutes ces capacités qui aujourd’hui font défaut sur les fronts russes, laissant aux ukrainiens d’importantes capacités de communication et de reconnaissance. Pire encore, il est apparu qu’une grande partie des unités russes n’étaient équipées que de radio classiques, non cryptées, permettant aux militaires ukrainiens de les écouter, mais aussi à certains radio-amateurs de brouiller leurs transmissions, ceci faisant peser un immense doute quant à la préparation opérationnelle effective de celles-ci.

La logistique

En amont de l’intervention militaires russes en Ukraine, de nombreux experts estimaient celle-ci très improbable. Pour eux, les capacités logistiques des armées russes étaient bien trop insuffisantes pour mener une offensive massive en Ukraine venue du Donbass, avec un train logistique trop étiré pour être soutenu. S’ils se trompèrent sur l’intervention, les faits semblent leur donner raison pour ce qui concerne les difficultés logistiques des armées russes pour soutenir cette offensive. En effet, sur les 450 équipements russes identifiés comme hors combat par la communauté OSINT, seuls 185 ont été identifiés détruits, et 8 endommagés, alors que 111 ont été abandonnés, et 140 capturés, le plus souvent après avoir été abandonnés par leurs équipages une fois en panne de carburant. Ces pertes documentées représentent 10% des materiels assemblés autour de l’Ukraine par la Russie en amont de l’offensive, et ne constituent qu’une vision très partielle des pertes réelles, si l’on se base sur la même démarche entreprise lors de la guerre du haut-Karabakh, qui identifia plus de 50% des materiels détruits ou abandonnés uniquement après le conflit.

Un systeme anti-aérien TOR russe abandonné par son équipage et récupéré par les ukrainiens

De fait, les unités russes font face à un très important problème dans ce domaine, d’autant que leurs lignes sont très étirées avec les 8 axes de progression repartis sur plus de 80.000 km2 à ce jour. En outre, et contrairement à ce que l’état-major anticipait, ce train logistique doit évoluer en zone hostile, avec des civils prêts à entraver leur progression, des unités de La Défense territoriale ukrainienne menant des opérations de guérilla, et sous la menace des drones TB2 et des quelques avions de combat restant aux forces aériennes ukrainiennes. Dès lors, depuis deux jours, les videos et photos montrant des convois logistiques des armées russes détruits par des frappes ukrainiennes se multiplient, rendant la mission logistique encore plus délicate, et exposant encore davantage les unités au combat à des problèmes de carburant et de munitions, et même de vivres semble-t-il.

Le commandement

Mais la plus grande défaillance constatée ces 7 derniers jours concernant les armées russes est également la plus surprenante et la plus problématique, puisqu’elle concerne le commandement lui même. Il est évident que celui-ci a gravement failli à évaluer la résistance des armées et des ukrainiens eux-mêmes, ceci ayant joué un rôle central quant à l’échec de la première phase de l’offensive russe. Mais les défaillances du commandement russe ne semblent pas se limiter à cela, à en juger par les témoignages de nombreux prisonniers de guerre russes, toujours soumis à caution il est vrai. Pour autant, certains signes ne trompent pas quant à ce type de défaillance, sur le terrain comme dans la préparation. Ainsi, l’immense majorité des véhicules blindés abandonnés par les équipages russes en panne de carburant n’a pas été sabotée, laissant parfois des blindés de haute valeur, comme le lance-flamme termobarique TOS ou des chars T90A ou T80BVM, aux mains des ukrainiens, qui n’hésitent naturellement pas à venir récupérer ces armements précieux, parfois disposant encore de leur armement. Certains rapports, à confirmer, font également état d’unités russes qui se rendraient aux forces ukrainiennes pour ne pas combattre.

TOS captiured Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Lance-flamme thermobarique TOR abandonné par son équipage en rase campagne ukrainienne

Car la plus grande défaillance du commandement russe dans cette opération n’est autre que le domaine dans le domaine de la communication, tant vis à vis de ses propres forces qu’à destination des opinions publiques. Ainsi, les médias russes sous soumis à un black out très sévère concernant l’opération militaire en Ukraine, ne faisant état que de combats dans le Donbass, et muselant fermement toutes les tentatives indépendantes d’aborder le sujet médiatiquement en dehors de la communication officielle. Le problème est, semble-t-il, de même nature vis-à-vis des militaires engagés dans cette opération, beaucoup témoignant n’avoir eu qu’une vision très superficielle des opérations en cours, ce d’autant que les officiers supérieurs et généraux commandants les unités resteraient, quant à eux, très éloignés des zones d’engagement, laissant aux officiers subalternes et sous-officiers la responsabilité de la conduite tactique des opérations.

https://twitter.com/Volodymyr_Zelen/status/1499009261179117568?s=20&t=HhP3pumsXvgBGdgKbCW0HQ
les témoignages des prisonniers de guerre russes révèlent d’importantes déficiences du commandement russe

Ces défaillances du commandement russe sont, par nature comme en expression, comparables à celles qui frappaient les forces soviétiques pendant la Guerre froide, tout comme le manque flagrant d’homogénéité, de motivation et d’entrainement d’une partie significatives des troupes engagées. Or, toute la communication du ministère de La Défense et de l’Etat-Major russe depuis l’arrivée de Sergeï Choïgou et de Valery Gerasimov en 2012, pointait précisément les importants efforts déployés pour transformer les armées russes afin de résoudre ces défaillances encore constatées lors de l’intervention en Georgie en 2008, et afin de conférer à l’ensemble des unités russes un niveau de préparation opérationnel homogène et adapté aux engagements de haute intensité, ce qui n’était pas sans inquiéter en occident. Et s’il est vrai que la professionnalisation des armées russes n’est, aujourd’hui, qu’à mi chemin d’une efficacité optimum comparable à celle des unités américaines, britanniques ou françaises, il apparait évident que la réalité constatée concernant de nombreuses unités est encore loin des objectifs à atteindre.

Conclusion

Si par leur immense puissance de feu, et leurs importants moyens, les armées russes demeurent une puissance militaire de premier rang qu’il convient de ne surtout pas sous-estimer, la première semaine de la guerre russo-ukrainienne aura sévèrement altéré son aura de force opérationnelle de très haute qualité qu’elles s’étaient forgées par certaines opérations hardies comme la capture de la Crimée ou l’intervention en Syrie. Comme en 2008 à la suite de l’assaut sur la Georgie, elles révèlent de sérieuses défaillances opérationnelles, touchant parfois des domaines dans lesquels elles étaient considérées comme très performantes jusqu’à présent. Il ne fait aucun doute que les Etats-Majors dans le Monde, et plus particulièrement en Europe, analysent précisément l’ensemble de ces éléments, de sorte à être ne mesure d’en exploiter les faiblesses si besoin.

Une fois ce constat fait, on est naturellement en droit de se demander si la poursuite de l’opération en Ukraine ne s’avère pas bien plus risquée qu’envisagée initialement, même admis l’erreur stratégique initiale de l’Etat-Major russe. Et de se demander à quel point le Kremlin dispose effectivement d’une vision réaliste de l’opération en cours, et des faiblesses mises en avant par cette guerre concernant ses armées. Car s’il ne fait aucun doute que l’Etat-Major et le Ministère des Armées avaient et ont une vision claire de ces défaillances et des risques qu’elles font peser sur la poursuite des opérations, rien ne garantit que Vladimir Poutine, pour sa part, en ait été informé, que ce soit par crainte ou à dessein. Une chose est certaine, ces défaillances critiques menacent effectivement de manière très sérieuse le succès de l’opération militaire russe en Ukraine, comme elles détériorent déjà l’image des armées et de l’armement russes dans le monde.

Face à la résistance ukrainienne, les armées Russes changent de stratégie

Alors que l’offensive russe marque la pas devant Kyiv et Kharkiv, et que les villes données comme aux mains des russes, comme Kherson et Berdyansk, continuent de résister malgré une situation très détériorée pour les défenseurs ukrainiens, les armées russes ont, semble-t-il, changé radicalement de stratégie pour venir à bout de la résistance ukrainienne. Renonçant aux opérations spéciales et à l’utilisation intensive des forces aéroportées, les forces russes s’engagent, selon de nombreux rapports, dans une doctrine bien plus conventionnelle, avec des attaques massives menées par des bataillons inter-armes appuyés d’un important soutien d’artillerie et de l’aviation tactique, laissant craindre une hausse très rapide des pertes civiles sur tous les fronts.

La stratégie initiale mise en oeuvre par les armées russes a été, de toute évidence, un cuisant échec. Escomptant la sidération des forces ukrainiennes suite à la surprise tactique d’une attaque multi-fronts, et s’appuyant sur des opérations de forces spéciales et aéroportées pour décapiter les autorités du pays et par des frappes massives de missiles balistiques à courte portée et de missiles de croisière, le plan russe espérait emporter la décision en quelques jours seulement, au point qu’un article de RIA Novosti annonçant la victoire totale des armées russes en Ukraine avait été rédigé le 19 février, 5 jours avant l’offensive elle-même. Malheureusement pour les militaires russes, et comme déjà évoqué, ce plan connu de nombreux revers, et même si les armées du front sud ont enregistré de réels succès en annonçant la prise de la ville comme Kherson au delà du Dniepr au troisième jour, et de Berdyansk à l’ouest de Marioupol au quatrième jour de guerre, les deux offensives principales au nord visant Kharkiv, et au nord-ouest visant la capitale Kyiv, furent stoppées, sans pouvoir être débloquées.

Russian column Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Vue aérienne d’une colonne de renforts russes se dirigeant vers Kyiv

Pour autant, les armées russes ne sont pas encore défaites, loin s’en faut. En premier lieu, elles n’ont engagé en Ukraine que la moitié des forces positionnées autour du pays ces derniers mois, et même si les forces engagées ont, semble-t-il, subi des pertes nombreuses aussi bien en terme de personnels que de materiels, l’armée russe dispose d’importantes réserves pour mener une seconde vague d’assaut, contre des défenses ukrainiennes déjà lourdement éprouvées. C’est ainsi que d’immenses convois de forces venus de Biélorussie ont été observés en direction de Kyiv, faisant craindre le siège de la capitale ukrainienne et donc d’importantes pertes civiles. Et ce d’autant que, de toute évidence, la seconde phase de l’opération militaire russe en Ukraine va s’appuyer sur une doctrine bien plus classique pour cette armée, faisant un usage massif de l’ensemble de la puissance de feu de son artillerie et de sa force aérienne pour briser la résistance ukrainiennes.

En effet, jusqu’à hier, les armées russes ne faisaient qu’un usage limité de ces deux atouts majeurs dont elle dispose. Ainsi, l’artillerie russe était particulièrement mesurée pendant les 5 premiers jours de combat, et évitait autant que possible de faire usage de toute sa puissance de feu de suppression ou de destruction. De même, l’appuie aérien russe consistait avant tout à des missions de soutien aérien rapproché menées par des Su-25 et des Mig-29, et à des missions de supériorité aérienne menées par des Su-27, Su-30 et Su-35. La flotte de bombardement, composée de bombardiers tactiques Su-25 et Su-34, et de bombardiers à long rayon d’action Tu-22M3, n’avait presque pas été observée jusqu’à hier. Or, de nombreux régiments équipés de ces appareils avaient été déployés à proximité des frontières ukrainiennes préalablement au conflit, et l’on peut anticiper que ces derniers soient désormais appelés à monter en puissance dans les heures à venir.

Su34 bombardement Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les forces aériennes russes n’avaient jusque la pas fait un usage extensif de leurs bombardiers tactiques Su-24 et Su-34

Enfin, les armées russes mettent depuis peu en avant des forces supplétives directement sur la ligne d’engagement, qu’il s’agisse de paramilitaires venus de Tchétchénie ou du Dagestan, de mercenaires Wagner comme, semble-t-il, de militaires biélorusses. Tout indique que pour l’état-major russe, il devenait urgent de réduire les pertes enregistrées de jeunes russes, comme il le fit en Syrie et en Libye en envoyant des mercenaires Wagner, en Georgie avec les unités paramilitaires cosaques, ou de manière plus lointaine, en Afghanistan qui vit proportionnellement bien plus de militaires venus des républiques soviétiques du Caucase ou des pays Baltes, que de Russie elle-même. A l’instar des bombardements d’artillerie et d’aviation, l’envoi de ces forces paramilitaires laisse craindre d’importantes pertes et exactions parmi les civils ukrainiens, et bien peu de prisonniers de guerre ukrainiens.

Pour autant, l’offensive russe reste très exposée, notamment concernant les lignes logistiques très distendues servant ses forces, et devant desservir plusieurs axes de pénétration simultanément. Ces dernières heures, plusieurs videos publiées sur les RS ukrainiens ont montré des convois logistiques russes détruits par des frappes de drones ou de fantassins ukrainiens. Ceci explique notamment le grand nombre de véhicules militaires russes identifiés comme abandonnés ou capturés par les spécialistes OSINT ces derniers jours, beaucoup ayant été simplement abandonnés par leurs équipages une fois en panne de carburant. En outre, comme l’ont montré plusieurs batailles célèbres de l’histoire, le recours à des frappes d’artillerie et d’aviation contre des villes retranchées tend à étendre la durée des conflits, et à complexifier une offensive terrestre ultérieure. Pour les défenseurs ukrainiens, quant à eux, la principale difficulté réside désormais dans leur capacité à ravitailler en vivres et munitions leurs défenseurs, surtout vers des villes assiégées et presque entièrement encerclées comme Marioupol ou Kharkiv.

902 Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
T-90A russe abandonné par son équipage sur une autoroute ukrainienne

En tout état de cause, il semble très difficile, dans le contexte actuel, de prédire la conclusion de cette guerre. Chacun des belligérants dispose de forces et d’atouts propres, la puissance de feu et la seconde vague russe, et la stratégie de défense urbaine et la mobilisation populaire ukrainienne, ainsi que de faiblesses avérées, logistiques des deux cotés, et une exposition croissante aux sanctions occidentales pour la Russie. Surtout, aujourd’hui, chacun fait face à des contraintes propres, notamment en terme de durée et de communication. Dans ce contexte, la détermination, l’ambition, mais surtout la célérité avec lesquels les alliés européens parviendront à soutenir les défenseurs ukrainiens, mais également à entraver la réponse russe, joueront très probablement un rôle déterminant dans la décision de ce conflit, ainsi que dans sa durée.

Comment la guerre russo-ukrainienne a retracé la carte géopolitique mondiale en quelques jours ?

Au delà de l’héroïque résistance des ukrainiens et de leur président face aux forces russes, et l’évident changement de stratégie dans le plan d’attaque du Kremlin revenant vers une stratégie plus conventionnelle mais également beaucoup plus violente vis-à-vis des populations civiles, la décision de Vladimir Poutine d’engager cette offensive contre l’Ukraine a provoqué, à l’échelle internationale, un raz de marée géopolitique d’une ampleur inédite depuis la chute du mur de Berlin. Car si les militaires russes ont gravement sous-estimés la capacité de résistance des militaires mais également des civils ukrainiens, le Kremlin a, quant à lui, profondément sous-estimer l’unité et la riposte dont feront preuves les occidentaux, et des européens en particuliers, transformant ce conflit qui devait initialement ne durer que quelques jours, en un bras de fer entre Russie et Européens d’une intensité comparable à celui de la crise des Euromissiles. Désormais, c’est le régime même de Vladimir Poutine qui est dans le viseur des européens, tellement déterminés qu’américains et chinois restent, pour l’heure, remarquablement discrets.

La prise de conscience brutale des européens

Jusqu’au début de l’offensive russe, bien peu de dirigeants européens envisageaient qu’une telle attaque massive puisse avoir lieu. Il est vrai qu’entre les campagnes d’influence très efficaces menées par les médias et la diplomatie russe vers de nombreux relais d’opinion et Think Tank, et le soutien apporté par Moscou direct ou indirect vers certains partis politiques et certains de leurs leaders, beaucoup de dirigeants et représentants élus européens préféraient détourner le regard face aux nombreux signes qui montraient, depuis 2012, la trajectoire suivie par la programmation militaire du pays, sa main mise de plus en plus ferme sur sa propre opinion publique, et la radicalisation de son discours sur la scène internationale. Conforté par la passivité des occidentaux et surtout des européens, Vladimir Poutine se forgea la certitude que ces derniers ne se mettraient jamais en travers de ses ambitions, quels que soient ses actions, alors que dans le même temps, les Etats-Unis ne pouvaient systématiquement se confronter à la Russie et la Chine.

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Pour mener l’opération militaire en Ukraine, le Kremlin a entrepris un plan de modernisation et d’investissement de ses forces armées entamé en 2012, visant à créer la plus importante force militaire moderne en Europe

Depuis l’entame de l’attaque russe sur l’Ukraine, et la surprise engendrée par une offensive globale visant des objectifs dépassant de loin le seul Donbass, une majorité de dirigeants européens, et plus généralement d’élus nationaux et européens, prirent soudainement conscience de leur erreur de jugement, entrainant une dynamique d’une determination croissante sur le vieux continent dépassant de loin les frontières de l’Union ou même de l’Otan. En quelques jours seulement, l’Europe s’est alors transformée en puissance politique, parvenant à mettre de coté l’ensemble des tensions qui les opposaient il y a encore quelques jours, et qui paraissent désormais bien insignifiantes face à la souffrance ukrainienne et les risques d’embrasement que font porter les postures du Kremlin. C’est ainsi qu’en moins d’une semaine, les Européens parvinrent à mettre en oeuvre un plan de sanctions économiques d’une grande determination ayant déjà entrainé de sévères répercutions sur l’economie russe, à s’engager dans un soutien actif à l’Ukraine, et même à répondre aux attentes du président Zelensky pour que son pays puisse rejoindre l’Union, proche d’un scénario du pire pour le Kremlin.

Soutien massif à l’Ukraine et réarmement rapide des européens

Au delà de ces postures politiques et économiques bien plus que symboliques mises en oeuvre par l’Union européenne, celle-ci s’est également transformée, en seulement quelques jours, en une puissance géopolitique majeure en devenir, en annonçant sa décision de soutenir militairement, aux cotés des aides fournies par les pays européens eux-mêmes, l’Ukraine dans son combat. Si cette volonté était portée de longue date par Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne et ancienne ministre de La Défense d’Angela Merkel, par Charles Michel, Président du Conseil Européen et ancien premier ministre belge, et qu’elle représentait l’objectif stratégique du président français, elle se heurtait au rejet de la majorité des autres capitales européennes, craignant un affaiblissement de l’OTAN. Aujourd’hui, cependant, c’est bien l’UE, et non l’OTAN, qui mène la charge contre le Kremlin, l’OTAN agissant de manière plus discrète mais tout aussi efficace, pour renforcer la posture défensive des pays européens eux-mêmes, montrant de fait que les deux instances pouvaient non seulement colaborer, mais qu’elles trouvaient dans cette articulation une complémentarité renforçant leur efficacité respective et commune.

Mig29 Bulgarie Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
l’Union européenne veut transférer en Ukraine des avions de combat prélevé sur les forces aériennes d’Europe de l’Est, qui mettent en oeuvre des appareils de même type que ceux classiquement employés par l’aviation ukrainienne

Mais c’est indubitablement le changement de posture de l’Allemagne qui donna le départ du basculement européen, par la voix du chancelier Olaf Sholtz dans un discours devant le Bundestag dimanche, annonça la reconstruction rapide des capacités militaires allemandes au travers d’un plan d’investissement intégrant une enveloppe exceptionnelle de 100 Md€ et un budget qui dépassera les 2% du PIB. Soudain, les européens comprirent qu’ils avaient la capacité économique et démographique pour construire une puissance militaire suffisante pour neutraliser les forces armées russes, d’autant qu’il est plus que probable, désormais, que Paris et Londres s’engageront eux aussi dans un programme similaire, ces 3 pays européens ayant toujours équilibrés leurs investissements de défense depuis la remilitarisation de l’Allemagne fédérale.

Les équilibres mondiaux transformés

De fait, l’équilibre des forces est appelé à très rapidement se transformer en Europe dans les années à venir. En effet, si les plus grandes économies du vieux continent s’engagent dans un programme de renforcement massif de leurs capacités de défense, avec des budgets annuels de 65 ou 70 Md€ pour l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne, Moscou sera rapidement dans l’incapacité de faire face à un tel déploiement de forces et de moyens, qui plus est avec une économie lourdement handicapée par les sanctions européennes, alors que l’élan donné par la décision allemande infusera sans le moindre doute vers d’autres pays européens encore plus circonspects dans leurs investissements dans ce domaine, comme la Belgique, l’Espagne ou l’Irlande. Qui plus est, en agissant ainsi, l’unité des européens sera renforcée, les européens de l’Est sentant que leurs alliés occidentaux ont effectivement pris la mesure de la menace contre laquelle ils ne cessaient d’alerter.

Sholz Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
L’annonce de Olaf Scholz d’un plan de 100 Md€ et d’un effort de défense supérieur à 2% du PIB pour moderniser et étendre les armées allemandes a été un des facteurs clés de la dynamique européenne en cours face à la Russie

Pour autant, l’Europe n’est pas le seul continent dont la géopolitique est en rapide transformation ces derniers jours. Il est particulièrement instructif de remarquer que Washington comme Pékin sont particulièrement discrets depuis l’entame des combats en Ukraine, et surtout depuis que la dynamique européenne s’est mise en oeuvre. En effet, pour les Etats-Unis, constater que les Européens prennent toutes leurs responsabilités pour faire face à Moscou, ouvre de nombreuses perspectives, puisqu’ils ne devront plus, à relativement court terme, assurer la protection simultanée du théâtre européen face à la Russie, et du théâtre indo-pacifique face à la Chine, permettant dès lors aux stratèges américains de concentrer leurs moyens dans cette dernière mission. Pour Pékin, ce basculement modifie profondément le rapport de forces anticipé à court et moyen termes, et obligent les autorités chinoises à reparametrer leurs propres stratégies dans le Pacifique.

En outre, la determination dont font preuves les Européens, pourtant jugés jusqu’ici comme le ventre mou du camps occidental, tant pour aider les défenseurs ukrainiens que pour recapitaliser leurs armées, et surtout pour mettre en oeuvre des sanctions qui vont certes frapper l’économie russe, mais qui handicaperont également leur propre économie, change profondément la perception chinoise en matière de riposte potentielle des occidentaux à, par exemple, une action militaire contre Taïwan. En effet, si les européens et les occidentaux acceptent de se priver du gaz, du pétrole et du blé russes, il est probable qu’ils pourront agir de même face aux exportations chinoises de produits manufacturés, pilier central de l’économie chinoise et donc de la stabilité politique et sociale du pays. Et les appels répétés de Pékin pour ‘ne pas entrer dans une nouvelle Guerre Froide » résultent probablement de la crainte de se voir associer de fait à la Russie, et de voir sa propre économie frapper par les sanctions occidentales.

Putin Xi Jinping Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
La posture de la Chine est aujourd’hui déterminante quant à l’évolution de la crise actuelle

L’ensemble des actions et décisions prises par les dirigeants occidentaux a rapidement mis Moscou au ban de nations contrôlant bien plus que 50% du PIB mondial. Qui plus est, la determination occidentale et européenne, touchant parfois à la radicalisation, pousse de nombreux pays traditionnellement neutres à rejoindre la dynamique, comme ce fut le cas hiers de la Suisse qui annonça appliquer dans leur intégralité les sanctions européennes contre la Russie, un événement rare qui touche directement la sphère politico-économique qui protège le régime russe. Dans ce domaine également, la position de Pékin sera déterminante. Alliée de fait de la Russie ces dernières années, la Chine Populaire voit l’initiative de Vladimir Poutine menacer ses propres ambitions, non seulement dans leur calendrier, mais potentiellement dans leur nature, ce qui pourrait venir à menacer la stabilité et la croissance du pays. En outre, un changement de posture de Pékin obligerait Moscou à désengager une partie significative des unités déployées en Ukraine et autour et venues du district Est, sonnant probablement la fin de l’offensive en Ukraine.

Les risques d’emballement de la crise

Pour autant, la présente situation est loin d’être confortable. En effet, plus la Russie et son économie seront frappées par les sanctions économiques et politiques mondiales, plus le régime de Vladimir Poutine sera menacé, une perspective bien peu satisfaisante lorsque l’on observe la dérive paranoïaque du président russe, se révélant notamment par la distance qu’il maintient avec la plupart de ses interlocuteurs, y compris les plus proches comme Lavrov, Choigou et Gerasimov, par crainte du Covid, ou l’existence d’un gouteur officiel pour se protéger des empoisonnements. Les mises en garde publiées sur les reseaux sociaux par certains proches de Vladimir Poutine, comme l’ancien président Dmitry Medvedev, révèlent quant à elles une réelle fébrilité de la part de premier cercle du président russe. Dans ce contexte, le choix de brandir publiquement la posture de dissuasion des forces russes, contribue incontestablement à cette tension dangereuse.

Mirage 2000 5 de lArmee de lAir deploye pour loperation Baltic Air Policing de lOTAN Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Deux Mirage 2000-5F effectuent un vol suite à un tango scramble le 21 août 2018 sur la base aérienne d’Ämari en Estonie.

En outre, au delà des hypothèses les plus pessimistes quant à la santé physique et mentale du président russe, les risques de voir les autorités russes tenter d’absorber une partie des pays européens dans le conflit ukrainien, de sorte à radicaliser la posture occidentale et donc chinoise, sont loins d’être négligeables. Les dirigeants occidentaux, et européens en particulier, doivent désormais composer avec une situation très instable, et avec un interlocuteur acculé dont on maitrise peu le schéma de pensé. Il est probable, à ce titre, que bien davantage qu’un abandon du conflit par le Kremlin, ou une victoire ukrainienne, les postures choisies par les Européens visent avant tout à créer un contexte permettant l’écartement du président russe du pouvoir. Pour autant, les risques de globalisation du conflit militaire sont loins d’être inenvisageables désormais.

Conclusion

On le comprend, tout indique que l’offensive contre l’Ukraine était, pour Vladimir Poutine, le mouvement de trop sur la scène internationale. Les conséquences à court, moyen et long terme de la réaction en chaine qu’il a déclenché, sont encore imprécises, si ce n’est que la carte géopolitique mondiale en sera profondément bouleversée, et qu’il est très peu probable que cela se fasse à la faveur de la Russie elle même. Le rôle de la Chine dans cette conclusion apparait désormais au coeur des trajectoires envisageables, tant sa posture peut influencer celle des dirigeants russes et de leurs soutiens, comme celle des occidentaux. A ce titre, cette crise dépasse de beaucoup les seules frontières russes et ukrainiennes, et doit être considérée pour ce qu’elle est, une crise majeure à l’échelle mondiale, susceptible de profondément transformer les relations internationales comme les rapports de force dans le Monde. Une chose est certaine, la période que l’on appellera désormais « Post Guerre-Froide », est incontestablement terminée.

Premiers enseignements de la guerre Russo-Ukrainienne

5 jours après l’entame de l’offensive russe contre l’Ukraine, il est désormais possible de mieux comprendre les stratégies mises en oeuvre par les différents protagonistes, et de tirer les premiers enseignements concernant les capacités opérationnelles des belligérants, et ainsi de mieux comprendre et anticipé les évolutions possibles de ce conflit comme des tensions en Europe.

Le plan d’invasion russe et la stratégie défensive ukrainienne

De toute évidence, la stratégie employée par les forces russes depuis le début du conflit répond à un plan d’invasion élaboré méticuleusement et de longue date. Les armées russes sont passées très prés d’obtenir une surprise opérationnelle totale en menant non pas une mais 4 offensives, là ou l’Etat-Major ukrainien s’attendait avant tout à une offensive visant le Donbass. De fait, et des le premier jour de combat, les unités d’assaut russes atteignirent les faubourg de Kharkiv au nord, et débordèrent les défenseurs ukrainiens dans le sud face à la Crimée. Mais l’offensive la plus déterminante était, quant à elle, menée directement contre Kyiv à partir du territoire biélorusse, ce à quoi les ukrainiens ne s’étaient pas activement préparés. Le plan russe s’appuyait sur une opération des forces spéciales pour s’emparer de l’aéroport Antonov de Hostomel à 20 km au nord de Kyiv, suivi d’un assaut aéroporté mené par les parachutistes des VDV ayant pour mission de pénétrer dans la Capitale ukrainienne et ainsi de décapiter le gouvernement avant que les défenseurs ukrainiens ne puissent réagir.

RUSSINA TROOPS Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
On remarque que les colonnes ukrainiennes comme russes restent le plus souvent sur les axes routiers, et évitent de s’engager dans les champs saturés d’eau en raison de la fonte des neiges

L’offensive russe s’appuyait également sur l’utilisation massive de missiles balistiques conventionnels et de missiles de croisière visant à détruire, dès les premières heures de l’engagement, les forces aériennes et anti-aériennes ukrainiennes, ainsi que les capacités de commandement et de communication des armées adverses, et de nombreux dépôts stratégiques de munitions et de carburant. Le plan russe prévoyait par ailleurs un usage modéré de l’artillerie et des capacités de bombardement tactique afin de de ne pas antagoniser les civils, estimant que la surprise stratégique, les frappes initiales, la supériorité aérienne et la décapitation des autorités civiles et militaires dans une action fulgurante se voulant décisive, suffirait à neutraliser la volonté de résistance des ukrainiens.

Coté ukrainien, la stratégie défensive fut organisée avant tout pour contenir un éventuel assaut depuis le Donbass, et une grande partie des moyens lourds des armées ukrainiennes avaient été déployés préventivement sur le front est. Pour autant, les autorités civiles et militaires du pays mirent en place des unités de reserve et assemblèrent et armèrent des unités de défense territoriale, dans le but d’assurer la protection des principales villes, y compris Kharkiv et Kyiv, mais également pour éventuellement frapper les échelons inférieurs et les convois logistiques des forces russes, une fois la force de combat principale passée. Anticipant des frappes préventives importantes, les militaires ukrainiens dispersèrent également leurs moyens aériens comme leur défense anti-aérienne, de sorte à accroitre la résilience aux premières frappes et de conserver des capacités de contestation de l’espace aérien face à la puissance aérienne russe.

Des défaillances importantes dans l’offensive russe

De fait, les stratèges russes tablaient sur une opération de très courte durée, et une décision rapide du conflit, comme ce fut le cas lors de l’intervention en Crimée en 2014, dans le Donbass en 2015 ou encore en Georgie en 2008. Conséquences de cela, il apparait qu’ils négligèrent de nombreux aspects déterminants dans la préparation opérationnelle de l’offensive, ceci s’étant transformer en importantes défaillances lors des engagements. Ainsi, il est rapidement apparu que la majorité des unités engagées l’était sous leur forme organique, et non sous la forme de Bataillon Inter-Arme, c’est à dire un bataillon/régiment renforcé de moyens complémentaires à l’engagement comme l’artillerie, la défense anti-aérienne, le génie etc.. Dès lors, la coordination inter-armes des unités russes lors de l’offensive se fait aujourd’hui essentiellement à l’échelle de la brigade, alors que les offensives tactiques sont, elles, menées à l’échelle du bataillon, détériorant sensiblement leurs capacités opérationnelles.

bataille antonov Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
l’offensive contre l’aérodrome Antonov était une opération clé de l’intervention militaire russe, mais elle échoua.

Cet aspect n’est qu’une des nombreuses défaillances constatées lors de ces premiers jours d’engagement, parmi lesquelles l’utilisation de radios tactiques non cryptées du commerce ou d’importantes défaillances logistiques obligeants de nombreux équipages à abandonner leurs blindés faute de carburant. En outre, une partie non négligeable des défenses anti-aériennes et de la chasse ukrainiennes, ainsi que de la flotte de drones de combat TB2, ne fut pas détruite comme espéré par les frappes initiales, et les aéronefs et colonnes de blindés russes payèrent un lourd tribu à l’absence de supériorité aérienne absolue de leurs forces aériennes. Confiant dans une victoire rapide, l’état-major russe ne lança pas non plus d’offensive massive contre les infrastructures de communication et internet du pays, permettant aux ukrainiens de communiquer efficacement notamment vers l’opinion publique européenne, ceci ayant joué un rôle déterminant dans la radicalisation de la réponse européenne et mondiale face à cette agression. Pire, il semble aujourd’hui que ce soit les principaux sites internet et comptes publics sur les réseaux sociaux des autorités russes qui soient la cible de pirates informatiques, ukrainiens ou alliés.

Surtout, l’offensive russe, qu’il s’agisse du front nord, nord-est, ou sud, n’est composée que d’un unique échelon, ceci affaiblissant considérablement les prises territoriales potentielles. Ainsi, la ville de Kherson, sur la route d’Odessa, fut capturée par les forces russes dès le 3ème jour d’offensive, mais en l’absence d’échelon d’appui, celle-ci retomba aux mains des défenseurs ukrainiens, partiellement au moins, une fois que les unités russes entamèrent leur mouvement vers Odessa. De même, cette erreur stratégique permit aux défenseurs ukrainiens, et notamment ceux appartenant à la Défense territoriale, de harceler depuis plusieurs jours les lignes de ravitaillement russes, ceci aggravant la pénurie de carburant et de munition. Enfin, il apparait de plus en plus clairement que les militaires russes engagés en Ukraine ne s’attendaient pas le moins du monde à intervenir dans un environnement à ce point hostile, qu’il s’agisse des défenseurs ukrainiens comme des civils, ceci influençant sensiblement le morale de ces forces.

Des défenseurs ukrainiens déterminés

Mais la plus importante erreur dans le domaine militaire de la planification russe fut incontestablement la mauvaise evaluation de la determination et de la combativité des ukrainiens eux-mêmes. Ainsi, Il est plus que probable que l’opération particulièrement hardie contre l’aérodrome d’Hostomel au nord de Kyiv visait à capturer le président ukrainien, ou tout au moins à le forcer à fuir vers l’ouest du pays, voire à l’étranger. En résistant à l’offensive, et en restant à Kyiv, le président Volodymyr Zelensky annihila un pan entier de la planification russe, et galvanisa la nation toute entière pour résister à l’agression, y compris sur les théâtres distants, comme à Mariopol, Kharkiv ou Kherson.

Kherson blinde Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
Les colonnes russes avaient atteint la ville de Kherson au delà du Dniepr des le second jour des combat, mais la ville est toujours contestée par les défenseurs ukrainiens

Au delà de la determination et de la combativité des forces ukrainiennes, il semble également que la planification russe ait sous-estimé les capacités opérationnelles effectives et la préparation opérationnelle de ces combattants. Si en 2014, les engagements entre les forces russes et ukrainiennes montrèrent que ces derniers étaient mal entrainés, mal équipés et mal commandés, les choses ont profondément évolué ces 7 dernières années, avec l’aide de formateurs occidentaux, mais surtout en s’appuyant sur les quelques 350.000 conscrits ukrainiens ayant connu l’experience du combat au fil des années dans le Donbass. A l’instar des forces de Djokar Doudaev en Tchétchénie, l’Ukraine peut désormais s’appuyer sur une réserve composée d’un nombre non négligeable de combattants expérimentés et aguerris, capables de tactiques créatives efficaces même en situation dégradée et face à un adversaire mieux équipé et plus puissamment armé.

L’ensemble de ces erreurs d’appréciation et de manque de préparation de l’offensive russe explique en grande partie la présente situation. Mais un dernier paramètre doit être pris en considération, le fait que, jusqu’à présent tout au moins, les forces armées russes faisait preuve d’une évidente retenue dans l’emploi de l’intégralité de leur puissance de feu, dans le but évident de ne pas martyriser la population civile ukrainienne. Toutefois, et comme l’a montré l’utilisation massive de lance-roquettes Grad cette nuit et aujourd’hui contre Kharkiv, face aux pertes importantes qui s’accumulent, et aux résultats déterminants qui se font attendre, on peut craindre que l’Etat-Major russe fasse preuve de beaucoup moins de considération pour la vie des civils ukrainiens dans les heures et jours à venir, même si le prix politique d’une telle décision sera très important sur la scène internationale.

Une réaction sans précédent des Européens

Car si l’Etat-Major russe a sous-évalué la réponse militaire des ukrainiens eux-mêmes, le Kremlin, de son coté, a totalement sous-évalué la réponse internationale, et en particulier celle des européens. Dans ce domaine, on peut difficilement blâmer les autorités russes, puisque tous les observateurs ont été surpris de l’unité, la determination et la fermeté dont ces derniers ont fait preuve face à la Russie, et en soutien à l’Ukraine. Si, initialement, seule une partie des pays européens soutint activement l’Ukraine et ses défenseurs face à la possible agression russe, c’est désormais à un front unis et déterminé que doit faire face le Kremlin, avec des changements de postures aussi radicaux que décisifs annoncées ces dernières 24 h. Ainsi, l’Allemagne, qui jusqu’ici tentait de préserver une relation privilégiée avec la Russie, annonça par la voix d’Olaf Scholz s’engager dans un réarmement massif, avec une enveloppe d’investissement immédiate de 100 Md€ pour reconstruire les armées allemandes, et un budget défense qui sera amené au delà de 2%, en rupture totale avec les positions de Berlin ces 30 dernières années. De même, la chancellerie allemande a annoncé qu’elle enverrait en Ukraine des lance-roquettes anti-chars et des missiles anti-aériens portables, tout en autorisant la re-exportation vers Kyiv de materiels vendus à d’autres pays européens, là encore en rupture avec la posture suivie il n’y a que quelques jours.

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Le risque de voir les armées russes faire un usage croissant de leur puissance de feu pour réduire La Défense ukrainienne en zone urbaine est désormais très élevé.

D’autres pays européens traditionnellement neutres se sont également engagés dans une démarche similaire, comme la Suède et la Finlande, alors que la Suisse a pour sa part annoncé qu’elle gèlerait les avoirs russes déposés dans ces banques, s’alignant ainsi sur les sanctions économiques annoncées par l’Union Europe, celles-ci comprenant notamment la déconnexion du système interbancaire SWIFT de certaines banques russes. Mais la décision la plus surprenante fut incontestablement l’annonce faite hier par la Commission Européenne d’une aide de 500 m€ à l’Ukraine, dont 450 m€ seront destinés à acquérir des systèmes d’armes et en particulier des avions de combat dont Kyiv a cruellement besoin pour compenser ses pertes. Considérant à quel point les européens eux-mêmes furent surpris d’une telle décision et d’une telle détermination de la part des instances européennes, on imagine comment cette décision dut surprendre le Kremlin, d’autant qu’il ne fait que peu de doute que celui-ci tablait sur une division des européens dans ce dossier.

Des mesures fébriles russes pour inverser la tendance

De fait, la situation est devenue rapidement plus que complexe pour les autorités militaires et civiles russes. En l’absence de décision militaire rapide, il fut donc indispensable de mettre en oeuvre des mesures de compensation à court terme. C’est notamment le cas avec l’arrivée de militaires biélorusses et de « volontaires Tchétchènes » sur le théâtre des opérations, ainsi que de mercenaires du groupes Wagner, ceci permettant de préserver en partie les troupes russes déjà largement éprouvées par des pertes bien plus importantes que prévues. Il est d’ailleurs probable que ces unités seront rapidement engagées directement dans les combats, pour soutenir l’offensive sans accroitre les pertes de soldats russes. Dans le même temps, comme dit précédemment, il semble que l’état-major russe ait décidé d’être moins précautionneux vis-à-vis des populations civiles. On a ainsi constaté l’arrivé dans le ciel ukrainien de bombardiers Su-34, jusqu’ici absent, armés de bombes gravitationnelles lisses et non guidées.

Tupolev Tu 160 Naumenko 1 Analyses Défense | Armes nucléaires | Aviation de chasse
La dissuasion russe s’appuie sur des missiles balistiques terrestres, des sous-marins nucléaires lanceurs d’engin et une composante aérienne de bombardiers à longue portée Tu-95 et Tu-160

Du point de vue politique, la réponse du Kremlin fut encore plus fébrile, lorsque le président Vladimir Poutine annonça qu’il demandait à son ministre de La Défense et au Chef d’Etat-Major de placer les unités de dissuasion russes à un échelon supérieur d’alerte. Il s’agit bien évidemment pour le chef de l’Etat de marquer sa propre détermination sur la scène internationale, et de faire valoir la puissance de son arsenal nucléaire alors que ses armées piétinent face à un adversaire sensé devoir être balayé en quelques jours. Pour autant, même si ces options devaient probablement avoir été intégrées à la planification de l’opération russe, le fait qu’elles soient dévoilées aussi vite aprés l’entame du conflit démontre les difficultés que rencontrent les armées russes sur le terrain, ainsi que la fébrilité du Kremlin face à la fermeté de la communauté internationale, et en particulier des européens eux-mêmes. Rappelons à ce titre que lors de la prise de la Crimée, Vladimir Poutine avait admis à posteriori qu’il était prévu, là encore, de mettre les unités de dissuasion en alerte si les européens avaient tenté de s’interposer.

Conclusion

Alors qu’au premier jour des combats, la situation de l’Ukraine semblait désespérée, et l’offensive russe promise à une victoire rapide et décisive, l’ensemble des paramètres entourant ce conflit a considérablement évolué en seulement 5 jours, y compris avec une évolution sans précédant de la posture stratégique des européens et des sanctions d’une grande fermeté contre la Russie. Reste que pour l’heure, les armées russes n’ont pas encore déployé l’ensemble de leur potentiel militaire, et que les front sud, est et nord pourraient bientôt faire jonction, ce qui mettrait les défenseurs ukrainiens dans une situation extrêmement difficile. Il s’est donc engagé une véritable course entre la Russie et l’Union Européenne dans ce conflit, la première cherchant à consolider sa main mise sur l’est ukrainien, les seconds apportant de nouveaux moyens aux combattants ukrainiens pour neutraliser la puissance russe.

Une chose est certaine, chaque jour de guerre supplémentaire sans victoire décisive affaiblit désormais les armées mais également le pouvoir russe, avec le risque d’un enlisement du conflit, des pertes de plus en plus difficiles à masquer à l’opinion publique, et des sanctions économiques de plus en plus dévastatrices. De fait, aujourd’hui, on peut craindre un durcissement très sévère du conflit de la part des armées russes, précisément pour emporter cette décision rapide et espérer briser la résistance et la combativité des ukrainiens. Toutefois, dans une telle hypothèse, il semble probable que les armées russes ne parviennent jamais à pacifier les territoires conquis militairement, créant un piège potentiellement mortel pour le Kremlin et son chef, mais également pour de nombreux ukrainiens. D’une manière ou d’une autre, il est désormais très possible que ce conflit soit appelé à durer.