Alors que l’offensive russe contre l’Ukraine a débuté depuis un peu plus de 36 heures, les informations concernant la conduite des opérations de la part des deux belligérants, mais également la réalité des combats relayée par la communauté OSINT et par les quelques journalistes qui restent sur place, permettent d’ores et déjà de tirer les premiers enseignements de cette guerre, mais aussi des capacités opérationnelles des deux armées.
Plus de 160 missiles balistiques et de croisières tirés en 24 heures
Si les forces russes mirent en oeuvre des missiles de croisière Kalibr tirés à partir de corvettes et de sous-marins positionnés en Mer Noire et en Mer Caspienne durant leur intervention en Syrie, c’est la première fois que celles-ci emploient spécifiquement une stratégie de suppression à longue portée comparable à celle traditionnellement mise en oeuvre par les Etats-Unis. Ainsi, les forces russes auraient lancé pas moins d’une centaine de missiles balistiques à courte portée Iskander lors de la première journée de combat, ainsi qu’une soixantaine de missiles de croisière de type Kalibr principalement lancés à partir des navires déployés en Mer Noire. Ces frappes permirent d’éliminer certains sites stratégiques, et d’affaiblir la défense ukrainienne et sa coordination.
Les bases aériennes ukrainiennes furent particulièrement visées par ces frappes, 11 d’entre elles ayant été neutralisées dans les premières heures de l’engagement. Les principales défenses aériennes du pays, en particulier les batteries de missiles S-300, furent également éliminées, sans que l’on puisse précisément déterminer si ce fut le fait de missiles balistiques ou de croisière, ou de frappes aériennes épaulées par des appareils de guerre électronique. De fait, les forces russes ont obtenu, en moins de 12 heures, la supériorité aérienne sur l’ensemble du territoire ukrainien, un avantage déterminant dans la poursuite des opérations. Pour autant, il semble que toutes les cibles initiales ukrainiennes n’aient pas été détruites.

Ainsi, certaines videos postées montrent aujourd’hui encore des missiles russes interceptés par la défense anti-aérienne ukrainienne. Plus étonnant encore, l’Ukraine est parvenue à lancer un missile balistique Toshka contre la base aérienne de Rostov, celui-ci ayant, semble-t-il, endommagé deux Su-30. Il semble que le missile ait réussi à pénétrer le bouclier anti-aérien et anti-missile déployé par les forces russes avec 35 brigades anti-aériennes entourant l’Ukraine. En outre, plusieurs appareils russes ont été abattus par les défenses anti-aériennes ukrainiennes, sans que l’on sache s’il s’agissait de missiles portables ou de dispositifs plus importants. Il semble également que plusieurs missiles de croisière auraient été interceptés aujourd’hui encore par la Défense antiaérienne ukrainienne autours de Kyiv, ce qui suppose qu’au moins une partie de ces défense aient survécues aux attaques russes.
Des fronts aux dynamiques très différentes
La dynamique globale de l’offensive russe apparait désormais clairement, aprés 36 heures de combat. 4 grands axes d’offensive émergent en effet, et présentent des dynamiques très différentes les uns des autres.
Le Front Est
Faisant face au Donbass, il s’agissait de l’axe le plus probable de l’offensive russe. Si de nombreuses attaques et bombardements ont effectivement été enregistrés, il s’agit du front sur lequel les forces russes ont le moins progressé. On ignore objectivement si ceci est le fait d’une résistance accrue des forces ukrainiennes, ou d’une poussée moindre de la part des russes eux-mêmes. Il est vrai que les forces ukrainiennes positionnées sur ce front anticipaient une offensive massive, et étaient particulièrement bien retranchées. Il est particulièrement interessant qu’en dépit de combats féroces, la ville côtière de Mariopol reste à cette heure aux mains des ukrainiens, alors qu’elle constitue une position stratégique pour le controle de la Mer d’Azov. Certaines informations récentes non recoupées indiqueraient qu’une opération amphibie d’ampleur aurait actuellement lieu pour précisément encercler cette ville et tenter de la reprendre.

Le Front Nord – Kharkov
La ville de Kharkov, deuxième agglomération du pays avec plus de 1,5 millions d’habitants, abrite également une majorité d’ukrainiens russophones. Située à proximité de la frontière russe, Kharkov fut la première grande ville à subir les assauts des armées russes après le début des hostilités. C’est également l’un des seuls endroits où les forces armées russes ont fait usage massivement de l’artillerie pour tenter de briser la résistance ukrainienne. Pourtant, pour l’heure, il semble que la ville soit toujours aux mains des forces ukrainiennes, et que les forces russes ne tentent pas de manoeuvre de contournement ou d’encerclement.
Le Front Sud – Crimée
L’offensive sur le front sud, menée par les unités présentes en Crimée, est semble-t-il celle qui a enregistré les plus grands gains territoriaux. En effet, en à peine 12 heures, les forces russes parvinrent à percer les défenses ukrainiennes et à faire mouvement vers le nord jusqu’au fleuve Dniepr. Une partie des forces a par la suite étendue les conquêtes territoriales à l’est au sud du Dniepr, peut-être afin de faire jonction avec les forces de l’offensive sur Mariopol. Une autre partie des forces a traversé le fleuve, dont les ponts n’avaient semble-t-il pas été détruits préventivement par les ukrainiens, pour mener une offensive vers la ville de Kershon tombée quelques heures plus tard. Désormais, cette offensive se déplace vers la ville de Mikolaïv, carrefour stratégique pour mener une offensive sur la grande ville portuaire d’Odessa.

Le Front Nord-Est – L’offensive vers Kyiv
Le front le plus stratégique est incontestablement aujourd’hui celui du Nord-est, faisant face aux unités russes déployées en Biélorussie. Relativement étroit, ce front concentre des unités d’élites russes, y compris des forces spéciales Spetnaz et des unités aéroportées des VDV, avec pour objectif de pénétrer le plus rapidement possible dans la capitale Kyiv, et décapiter le gouvernement ukrainien. Ce front est très spécifique, avec une percée russe atteignant les faubourgs de Kyiv, mais particulièrement étroite. Il semble cependant qu’en l’absence de supériorité aérienne, et de moyens disponibles, les forces ukrainiennes ne soient pas en capacité d’exploiter la faiblesse du dispositif russe distendu dans la région. Pour autant, les moyens russes présents aux portes de Kyiv sont encore limités, et la résistance des habitants et des unités des forces territoriales peut contre-carrer sensiblement cette offensive.
L’échec de l’opération des forces spéciales et aéroportées russes aux portes de Kyiv
L’offensive sur Kyiv a été précédée d’une opération des forces spéciales russes, ayant mené un raid de Spetnaz contre l’aéroport Antonov dans la ville d’Hostomel, à 15 km au nord-est de la capitale. Si initialement l’assaut fut un succès, la riposte des forces ukrainiennes entraina un retrait partiel des forces russes. Les combats se sont poursuivis pendant plus de 24 heures, et le statut exact de l’aéroport est encore incertain, les déclarations répétées des autorités ukrainiennes annonçant la reprise de l’aéroport étant régulièrement démenties par la suite. Toutefois, les forces russes n’ont pas été en mesure d’exploiter la capture initiale de l’aéroport, alors que des renseignements indiquaient qu’un assaut massif mené par 18 Il-76 transportant un bataillon d’assaut des forces aéroportées devait précisément employer cette piste, avant que celle-ci soit rendue impraticable par les combats.
Cette bataille dans la bataille joue un rôle tant stratégique que symbolique pour les défenseurs ukrainiens comme pour les assaillants russes. En effet, un succès de cette opération spéciale aurait probablement permis aux forces aéroportées russes de mener un raid surprise sur Kyiv pour capturer les bâtiments et les figures clés du gouvernement, y compris le président Zelensky, avant que les défenseurs ukrainiens n’aient pu réorganiser la défense de la ville. L’échec de cet assaut oblige désormais les forces russes à recourir à des unités plus conventionnelles, en employant des moyens plus lourds, et avec des risques plus élevés en terme d’attrition.
Les craintes russes face à une guerre d’attrition
Reste que, pour l’heure, la résistance des forces ukrainiennes a de quoi surprendre. Il est probable que la planification russe n’envisageait pas une progression aussi difficile notamment sur les fronts est et nord, même si elles peuvent afficher de réels succès opérationnels. Au delà de la progression parfois difficile des forces russes, et la résistance en suspend de Kyiv, il convient de remarquer certains aspects qui transparaissent dans le developpement de ce conflit. Ainsi, d’une certaine manière (en dehors du front de Kharkov), il semble que les forces armées russes tentent de ne pas employer leurs armes lourdes de manière extensive. Peut-être est-ce du à la volonté de préserver les ukrainiens eux-mêmes, ou plus probablement afin de réduire les pertes civiles difficilement acceptable par une partie de l’opinion publique russe. Il n’est pas exclu, cependant, que les munitions dont disposent en effet les unités russes sont limitées, ceci pouvant expliquer la relative parcimonie dont elles font preuves sur certains théâtres (probable que les Ukrainiens n’apprécient pas le terme « parcimonie » dans ce contexte, on les comprends)

Pour autant, au delà de cet aspect, il existe une évidente crainte de la part des autorités militaires et probablement civiles russes de voir le conflit s’étendre en durée, ceci expliquant la percée pourtant risquée vers Kyiv, et l’opération sur l’aéroport Antonov. Alors que le Ministère britannique de La Défense estime que les pertes russes se sont élevées à 450 hommes pour la journée d’hier, Les ukrainiens annoncent pour leur part 850 militaires tués, ainsi que 30 chars et 7 avions de combat détruits. Notons que pour l’heure, il reste très difficile d’évaluer précisément les pertes, surtout à court terme, même si de nombreux éléments graphiques attestent de pertes russes importantes. Or, si les pertes ukrainiennes sont évidemment élevées, la résilience des ukrainiens face à une agression non provoquée est évidemment bien plus importante que celle des russes dans une guerre qui est loin de faire l’unanimité dans le pays. A ce titre, la société civile russe commence à se mobiliser contre cette guerre, tant pour préserver les ukrainiens que les jeunes militaires russes, alors que les videos des pertes commencent à circuler sur les réseaux sociaux. Pour autant, une grande partie de la population russe reste influencée par la propagande d’état distribuée par les grandes chaines d’état.
Le rôle central des symboles et du président Zelensky
La guerre qui se déroule en Ukraine prend également une dimension croissante dans les médias, et en particulier sur les réseaux sociaux. Le pays semble bien résister à la puissance russe reconnue dans ce domaine, alors que ce dernier vient de limiter l’accès à Facebook à ses citoyens probablement pour éviter une trop grande exposition de son opinion publique à ces informations non-maitrisées. En particulier, Kyiv s’est employé depuis le début des hostilités à créer des symboles, et des héros, certains existants, comme les 13 défenseurs de l’ile Serpent, d’autres fantasmés, comme le pilote « Fantôme de Kyiv » qui aurait abattu 6 avions de combat russe au premier jour des combats.
Cependant, le plus important symbole aujourd’hui de la résistance ukrainienne n’est autre que le président ukrainien, Volodomyr Zelensky. Contesté depuis son élection, ce dernier s’est en effet révélé lors de cette crise, en démontrant un très grand sang-froid face aux menaces de Vladimir Poutine, et en maitrisant une excellente communication dynamique et volontaire depuis le début des combats, se mettant dans les pas de certains grands leaders historiques comme Winston Churchill. En outre, il reste aujourd’hui encore à Kyiv, montrant un grand courage face à la menace avérée sur sa sécurité, sachant qu’il est, incontestablement, la cible prioritaire des unités russes qui sont aux portes de la capitale ukrainienne. Reste que les symboles sont une arme à double tranchant, puisque si le président Ukrainien venait à être capturé ou tué, on peut craindre un effondrement de la résistance ukrainienne coordonnée.













