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Le conflit Russo-Ukrainien après 36 heures de combat

Alors que l’offensive russe contre l’Ukraine a débuté depuis un peu plus de 36 heures, les informations concernant la conduite des opérations de la part des deux belligérants, mais également la réalité des combats relayée par la communauté OSINT et par les quelques journalistes qui restent sur place, permettent d’ores et déjà de tirer les premiers enseignements de cette guerre, mais aussi des capacités opérationnelles des deux armées.

Plus de 160 missiles balistiques et de croisières tirés en 24 heures

Si les forces russes mirent en oeuvre des missiles de croisière Kalibr tirés à partir de corvettes et de sous-marins positionnés en Mer Noire et en Mer Caspienne durant leur intervention en Syrie, c’est la première fois que celles-ci emploient spécifiquement une stratégie de suppression à longue portée comparable à celle traditionnellement mise en oeuvre par les Etats-Unis. Ainsi, les forces russes auraient lancé pas moins d’une centaine de missiles balistiques à courte portée Iskander lors de la première journée de combat, ainsi qu’une soixantaine de missiles de croisière de type Kalibr principalement lancés à partir des navires déployés en Mer Noire. Ces frappes permirent d’éliminer certains sites stratégiques, et d’affaiblir la défense ukrainienne et sa coordination.

Les bases aériennes ukrainiennes furent particulièrement visées par ces frappes, 11 d’entre elles ayant été neutralisées dans les premières heures de l’engagement. Les principales défenses aériennes du pays, en particulier les batteries de missiles S-300, furent également éliminées, sans que l’on puisse précisément déterminer si ce fut le fait de missiles balistiques ou de croisière, ou de frappes aériennes épaulées par des appareils de guerre électronique. De fait, les forces russes ont obtenu, en moins de 12 heures, la supériorité aérienne sur l’ensemble du territoire ukrainien, un avantage déterminant dans la poursuite des opérations. Pour autant, il semble que toutes les cibles initiales ukrainiennes n’aient pas été détruites.

ukraine explosions Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
Bombardement de Kyiv par missile balistique

Ainsi, certaines videos postées montrent aujourd’hui encore des missiles russes interceptés par la défense anti-aérienne ukrainienne. Plus étonnant encore, l’Ukraine est parvenue à lancer un missile balistique Toshka contre la base aérienne de Rostov, celui-ci ayant, semble-t-il, endommagé deux Su-30. Il semble que le missile ait réussi à pénétrer le bouclier anti-aérien et anti-missile déployé par les forces russes avec 35 brigades anti-aériennes entourant l’Ukraine. En outre, plusieurs appareils russes ont été abattus par les défenses anti-aériennes ukrainiennes, sans que l’on sache s’il s’agissait de missiles portables ou de dispositifs plus importants. Il semble également que plusieurs missiles de croisière auraient été interceptés aujourd’hui encore par la Défense antiaérienne ukrainienne autours de Kyiv, ce qui suppose qu’au moins une partie de ces défense aient survécues aux attaques russes.

Des fronts aux dynamiques très différentes

La dynamique globale de l’offensive russe apparait désormais clairement, aprés 36 heures de combat. 4 grands axes d’offensive émergent en effet, et présentent des dynamiques très différentes les uns des autres.

Le Front Est
Faisant face au Donbass, il s’agissait de l’axe le plus probable de l’offensive russe. Si de nombreuses attaques et bombardements ont effectivement été enregistrés, il s’agit du front sur lequel les forces russes ont le moins progressé. On ignore objectivement si ceci est le fait d’une résistance accrue des forces ukrainiennes, ou d’une poussée moindre de la part des russes eux-mêmes. Il est vrai que les forces ukrainiennes positionnées sur ce front anticipaient une offensive massive, et étaient particulièrement bien retranchées. Il est particulièrement interessant qu’en dépit de combats féroces, la ville côtière de Mariopol reste à cette heure aux mains des ukrainiens, alors qu’elle constitue une position stratégique pour le controle de la Mer d’Azov. Certaines informations récentes non recoupées indiqueraient qu’une opération amphibie d’ampleur aurait actuellement lieu pour précisément encercler cette ville et tenter de la reprendre.

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plusieurs navires d’assaut porte-chars russes ont été déployés préalablement au début des combats en Mer Noire

Le Front Nord – Kharkov
La ville de Kharkov, deuxième agglomération du pays avec plus de 1,5 millions d’habitants, abrite également une majorité d’ukrainiens russophones. Située à proximité de la frontière russe, Kharkov fut la première grande ville à subir les assauts des armées russes après le début des hostilités. C’est également l’un des seuls endroits où les forces armées russes ont fait usage massivement de l’artillerie pour tenter de briser la résistance ukrainienne. Pourtant, pour l’heure, il semble que la ville soit toujours aux mains des forces ukrainiennes, et que les forces russes ne tentent pas de manoeuvre de contournement ou d’encerclement.

Le Front Sud – Crimée
L’offensive sur le front sud, menée par les unités présentes en Crimée, est semble-t-il celle qui a enregistré les plus grands gains territoriaux. En effet, en à peine 12 heures, les forces russes parvinrent à percer les défenses ukrainiennes et à faire mouvement vers le nord jusqu’au fleuve Dniepr. Une partie des forces a par la suite étendue les conquêtes territoriales à l’est au sud du Dniepr, peut-être afin de faire jonction avec les forces de l’offensive sur Mariopol. Une autre partie des forces a traversé le fleuve, dont les ponts n’avaient semble-t-il pas été détruits préventivement par les ukrainiens, pour mener une offensive vers la ville de Kershon tombée quelques heures plus tard. Désormais, cette offensive se déplace vers la ville de Mikolaïv, carrefour stratégique pour mener une offensive sur la grande ville portuaire d’Odessa.

RUSSINA TROOPS Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse

Le Front Nord-Est – L’offensive vers Kyiv
Le front le plus stratégique est incontestablement aujourd’hui celui du Nord-est, faisant face aux unités russes déployées en Biélorussie. Relativement étroit, ce front concentre des unités d’élites russes, y compris des forces spéciales Spetnaz et des unités aéroportées des VDV, avec pour objectif de pénétrer le plus rapidement possible dans la capitale Kyiv, et décapiter le gouvernement ukrainien. Ce front est très spécifique, avec une percée russe atteignant les faubourgs de Kyiv, mais particulièrement étroite. Il semble cependant qu’en l’absence de supériorité aérienne, et de moyens disponibles, les forces ukrainiennes ne soient pas en capacité d’exploiter la faiblesse du dispositif russe distendu dans la région. Pour autant, les moyens russes présents aux portes de Kyiv sont encore limités, et la résistance des habitants et des unités des forces territoriales peut contre-carrer sensiblement cette offensive.

L’échec de l’opération des forces spéciales et aéroportées russes aux portes de Kyiv

L’offensive sur Kyiv a été précédée d’une opération des forces spéciales russes, ayant mené un raid de Spetnaz contre l’aéroport Antonov dans la ville d’Hostomel, à 15 km au nord-est de la capitale. Si initialement l’assaut fut un succès, la riposte des forces ukrainiennes entraina un retrait partiel des forces russes. Les combats se sont poursuivis pendant plus de 24 heures, et le statut exact de l’aéroport est encore incertain, les déclarations répétées des autorités ukrainiennes annonçant la reprise de l’aéroport étant régulièrement démenties par la suite. Toutefois, les forces russes n’ont pas été en mesure d’exploiter la capture initiale de l’aéroport, alors que des renseignements indiquaient qu’un assaut massif mené par 18 Il-76 transportant un bataillon d’assaut des forces aéroportées devait précisément employer cette piste, avant que celle-ci soit rendue impraticable par les combats.

bataille antonov Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse

Cette bataille dans la bataille joue un rôle tant stratégique que symbolique pour les défenseurs ukrainiens comme pour les assaillants russes. En effet, un succès de cette opération spéciale aurait probablement permis aux forces aéroportées russes de mener un raid surprise sur Kyiv pour capturer les bâtiments et les figures clés du gouvernement, y compris le président Zelensky, avant que les défenseurs ukrainiens n’aient pu réorganiser la défense de la ville. L’échec de cet assaut oblige désormais les forces russes à recourir à des unités plus conventionnelles, en employant des moyens plus lourds, et avec des risques plus élevés en terme d’attrition.

Les craintes russes face à une guerre d’attrition

Reste que, pour l’heure, la résistance des forces ukrainiennes a de quoi surprendre. Il est probable que la planification russe n’envisageait pas une progression aussi difficile notamment sur les fronts est et nord, même si elles peuvent afficher de réels succès opérationnels. Au delà de la progression parfois difficile des forces russes, et la résistance en suspend de Kyiv, il convient de remarquer certains aspects qui transparaissent dans le developpement de ce conflit. Ainsi, d’une certaine manière (en dehors du front de Kharkov), il semble que les forces armées russes tentent de ne pas employer leurs armes lourdes de manière extensive. Peut-être est-ce du à la volonté de préserver les ukrainiens eux-mêmes, ou plus probablement afin de réduire les pertes civiles difficilement acceptable par une partie de l’opinion publique russe. Il n’est pas exclu, cependant, que les munitions dont disposent en effet les unités russes sont limitées, ceci pouvant expliquer la relative parcimonie dont elles font preuves sur certains théâtres (probable que les Ukrainiens n’apprécient pas le terme « parcimonie » dans ce contexte, on les comprends)

Ka52 Shoot down Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
Ka-52 abattu par la DCA ukrainienne.

Pour autant, au delà de cet aspect, il existe une évidente crainte de la part des autorités militaires et probablement civiles russes de voir le conflit s’étendre en durée, ceci expliquant la percée pourtant risquée vers Kyiv, et l’opération sur l’aéroport Antonov. Alors que le Ministère britannique de La Défense estime que les pertes russes se sont élevées à 450 hommes pour la journée d’hier, Les ukrainiens annoncent pour leur part 850 militaires tués, ainsi que 30 chars et 7 avions de combat détruits. Notons que pour l’heure, il reste très difficile d’évaluer précisément les pertes, surtout à court terme, même si de nombreux éléments graphiques attestent de pertes russes importantes. Or, si les pertes ukrainiennes sont évidemment élevées, la résilience des ukrainiens face à une agression non provoquée est évidemment bien plus importante que celle des russes dans une guerre qui est loin de faire l’unanimité dans le pays. A ce titre, la société civile russe commence à se mobiliser contre cette guerre, tant pour préserver les ukrainiens que les jeunes militaires russes, alors que les videos des pertes commencent à circuler sur les réseaux sociaux. Pour autant, une grande partie de la population russe reste influencée par la propagande d’état distribuée par les grandes chaines d’état.

Le rôle central des symboles et du président Zelensky

La guerre qui se déroule en Ukraine prend également une dimension croissante dans les médias, et en particulier sur les réseaux sociaux. Le pays semble bien résister à la puissance russe reconnue dans ce domaine, alors que ce dernier vient de limiter l’accès à Facebook à ses citoyens probablement pour éviter une trop grande exposition de son opinion publique à ces informations non-maitrisées. En particulier, Kyiv s’est employé depuis le début des hostilités à créer des symboles, et des héros, certains existants, comme les 13 défenseurs de l’ile Serpent, d’autres fantasmés, comme le pilote « Fantôme de Kyiv » qui aurait abattu 6 avions de combat russe au premier jour des combats.

Cependant, le plus important symbole aujourd’hui de la résistance ukrainienne n’est autre que le président ukrainien, Volodomyr Zelensky. Contesté depuis son élection, ce dernier s’est en effet révélé lors de cette crise, en démontrant un très grand sang-froid face aux menaces de Vladimir Poutine, et en maitrisant une excellente communication dynamique et volontaire depuis le début des combats, se mettant dans les pas de certains grands leaders historiques comme Winston Churchill. En outre, il reste aujourd’hui encore à Kyiv, montrant un grand courage face à la menace avérée sur sa sécurité, sachant qu’il est, incontestablement, la cible prioritaire des unités russes qui sont aux portes de la capitale ukrainienne. Reste que les symboles sont une arme à double tranchant, puisque si le président Ukrainien venait à être capturé ou tué, on peut craindre un effondrement de la résistance ukrainienne coordonnée.

Russie-Ukraine : le premier conflit de l’ère OSINT

Connaissez-vous le terme OSINT ? Il s’agit d’un acronyme en langue anglaise signifiant Open Source Intelligence, ou Renseignement sur Données Publiques en français. Cette méthodologie a été popularisée par le groupement Bellingcat créé en juillet 2014 par Eliot Higgins, qui s’engagea notamment dans l’analyse des données relatives à la destruction du vol de la Malaysian Airlines MH17 abattu le 17 juillet de la même année, démontrant l’implication de systèmes BUK russes dans la destruction de l’appareil. Plus tard, ce même groupe Bellingcat démontra l’implication d’agents du GRU, les services de renseignement militaires russes, dans l’empoisonnement de l’ancien agent russe Sergeï Skripal et de sa fille Elena en 2018. Depuis, cette méthodologie basée sur l’analyse scrupuleuse de toutes sources disponibles autour d’un événement donné pour en établir le contexte, la chronologie et les participants (donc les responsabilités), a inspiré de nombreux autres analystes très présents sur internet, notamment sur le réseau social Twitter.

La crise Russo-Ukrainienne fut, à ce titre, méthodiquement analysée par ces spécialistes qui jouèrent un rôle déterminant dans le déroulement de la guerre aujourd’hui. Ainsi, au delà des déclarations parfois mises en doute par l’opinion publique occidentale et surtout européenne émanant des services de renseignement américains et britanniques quant à la construction du dispositif militaire russe autour de l’Ukraine ces derniers mois, la communauté OSINT démontra avec forces détails la réalité de la chose, se basant sur l’analyse des innombrables videos publiées par les russes eux-mêmes sur les reseaux sociaux, montrant d’importants deplacement de troupes, mais aussi sur des clichés photos et radar pris par des satellites civils, permettant ainsi d’accrédité avec pertinence la réalité de ce déploiement de forces.

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La groupement Bellingcat a mis en évidence la responsabilité d’agents du GRU dans l’empoisonnement de Sergeï Srkipal et de sa fille au Novitchok. copyright bellincat

En outre, ces renseignements captés, analysés et mis à disposition par cette communauté OSINT permirent à d’autres spécialistes, ayant un profil plus opérationnel et militaire, d’analyser en détails la réalité de la menace d’intervention russe, alors que pour beaucoup, l’hypothèse d’une offensive russe sur l’Ukraine restait de l’ordre de la spéculation. Une fois le conflit engagé, cette même association entre spécialistes OSINT et analystes opérationnels permet désormais de suivre avec une certaine précision le déroulement de la guerre, la résistance ukrainienne, ainsi que d’éviter de tomber dans les pièges de la propagande de combat émanant aussi bien du camp russe qu’ukrainien. Pourtant, au delà de ces aspects déjà déterminants, la communiste OSINT a jouer un rôle encore plus stratégique dans ce conflit, en annihilant toute la narrative et les tentatives d’instrumentalisation et de manipulation des services russes pour justifier cette guerre.

En effet, en amont de l’intervention lancée le 24 février, les services de renseignement russes ne s’économisèrent pas pour tenter de créer une crise permettant aux autorités russes de présenter cette guerre comme justifiée. Ainsi, le 18 Février, les autorités des républiques autoproclamées de Donetsk et Luhansk annoncèrent, video à l’appui, que l’évacuation générale des non combattants avait été ordonnée face à l’imminence d’une attaque ukrainienne. L’analyse des méta-données des videos publiées montrèrent que celles-ci furent filmées 2 jours avant l’augmentation de l’intensité des combats, neutralisant l’argumentaire présenté. Le 18 février toujours, une video montrant un soit disant saboteur parlant polonais capturé et accusé d’avoir utilisé une bombe connectée à un bidon de chlorine, fut également analysée. En réalité, celle-ci avait été filmée le 8 Février, et profondément modifiée, notamment en matière de son, pour accréditer cette manipulation. Le 20 février, une video fut diffusée dans les médias russes montrant un civil amputé d’une jambe lors d’une attaque d’artillerie attribuée aux forces ukrainiennes. L’analyse de la video montra que la soit-disant victime portait en réalité une prothèse de jambe.

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Une video russe montrant une soit-disant victime des bombardements ukrainiens fut rapidement contredite par l’analyse OSINT qui montra que la personne portait en fait une prothèse de jambe

Dans les faits, toutes les tentatives menées par les autorités russes pour créer un incident justifiant l’entrée en guerre de ces armées furent immédiatement decrédibilisées de manière incontestable par la communauté OSINT, parfois dans des délais extrêmement courts. Les conséquences de cette neutralisation narrative fut que le Kremlin du baser toute sa justification d’intervention sur la dénonciation des dérives nazies des autorités ukrainiennes. Une explication bien peu convaincante, y compris vis-à-vis de l’opinion publique russe, sachant que les deux présidents du pays, comme deux de ces derniers premiers ministres, sont juifs ou d’ascendance juive, et dont le parti d’extreme-droite ultra-nationaliste n’est pas parvenu à rassembler plus de 2,7% aux dernières élections législatives.

Or, ce manque de crédibilité dans la justification de l’intervention russe en Ukraine joue aujourd’hui un rôle déterminant dans le soutien porté par l’opinion publique russe, et dans une moindre mesure à l’échelle internationale, à cette action militaire. Ainsi, alors que la prise de la Crimée avait unifié une grande partie des russes autour de son président en dépit des sanctions occidentales, d’importantes manifestations eurent lieux dés le premier jour de guerre pour demander l’arrêt de cette attaque à Moscou, Saint-Petersbourg et dans d’autres villes comme Novossibirsk, manifestations ayant entrainé l’arrestation de 1400 à 2000 russes par les autorités. Surtout, les réseaux sociaux russes sont le théâtre d’une intense protestation contre cette guerre, y compris contre la conduite opérationnelle menée par le Kremlin. Les informations concernant le déploiement de forces tchétchènes du dictateur Kadirov pour attaquer l’Ukraine ont par exemple déclenché un véritable tollé numérique.

T80 BVM Russe Detruit scaled Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
Les pertes russes, comme ici un T-80BVM, influenceront rapidement l’opinion publique du pays déjà hostile à cette guerre

De fait, l’action de la communauté OSINT a selon toute vraisemblance très sensiblement neutralisé l’efficacité de la propagande russe vis-à-vis de sa propre opinion publique, mettant le Kremlin dans une situation très difficile. On peut penser, dans ces conditions, que la conduite des opérations telle que menée aujourd’hui, évitant les centres urbains et visant spécifiquement à décapiter le gouvernement ukrainien tout en évitant, autant que possible, l’emploi de toute la puissance de feu de l’armée russe, et notamment de son artillerie et de sa force aérienne, est une conséquence de cette action. En outre, les pertes sérieuses subies par les forces russes dès le premier jour, également documentées par la communauté OSINT, vont probablement radicaliser le sentiment anti-guerre dans cette opinion publique. On peut à ce titre se demander si les timides ouvertures faites ce matin par la diplomatie russe en vue d’un cessez le feu et d’une réouverture des négociations, ne représentent pas une première conséquence de cette situation.

Avec le recul, il sera dès lors probablement pertinent d’analyser avec rigueur non seulement la méthodologie OSINT, mais également la manière dont celle-ci peut influencer les opinions publiques, parfois bien plus efficacement que ne le peuvent les communiqués officiels des services de renseignement civils ou militaires, de sorte à se doter d’un outil performant pour neutraliser la manipulation et la propagande adverse, voire pour soutenir la réalité des messages que l’on souhaite faire passer. A ce titre, les efforts déployés par la Russie pour tenter de discréditer le groupement Bellingcat depuis plusieurs années montrent incontestablement que cette réalité constitue une entrave considérable pour ces gouvernements autoritaires, et parfois même pour les gouvernements démocratiquement élus se perdant dans certaines considérations.

Webinaire Géopolitique « L’Iran et ses Enjeux »

Date : 17 mars 2022 de 9h00 à 19:00

Format : Webinaire

Inscription : theo.nencini@gmail.com

Introduction :

Avec la reprise des négociations sur le dossier nucléaire et face à la perspective de la succession de l’actuel Guide suprême, l’ayatollah Ali Khamenei, la République islamique d’Iran entre dans une phase délicate de son existence. Le régime en place à Téhéran se trouve dans une situation paradoxale de fragilité sur le plan intérieur et de force sur le plan extérieur. En interne, l’accaparement du pouvoir par l’aile conservatrice la plus dure confirme que le maintien au pouvoir du clergé chiite prime sur les demandes émanant d’une population en détresse, frappée de plein fouet par les sanctions internationales. A l’extérieur, la République islamique tire profit des reconfigurations régionales et capitalise sur sa valeur géostratégique. Au-delà du soutien à l’« axe de la résistance chiite » au Proche et Moyen-Orient, l’administration Raïssi semble tout miser sur la politique du « regard vers l’Est » : arrimer le développement du pays au projet chinois des Nouvelles routes de la soie et faire du renforcement des liens avec la Chine et son voisinage asiatique la pierre angulaire de la politique étrangère de l’Iran.
Organisée dans le cadre des activités doctorales de l’Institut Catholique de Paris, et avec le concours du Fonds de dotation Brousse dell’Aquila, cette journée d’étude entièrement consacrée à l’Iran sera l’occasion d’aborder en profondeur des sujets aussi variés que le durcissement du régime en préparation de l’« après-Khamenei», l’impact des sanctions internationales sur la vie des Iraniens, le défi des investissements étrangers, l’impact des recompositions régionales sur la posture stratégique de l’Iran, le recours aux outils de guerre asymétrique, la récente intégration dans l’Organisation de coopération de Shanghai (OCS)… et tout autre sujet permettant de
décrypter la situation géopolitique de l’Iran en 2022.

Télécharger le programme :

Quand la guerre cyber empiète sur la guerre biologique

L’un des enseignements les plus marquants de la crise Covid qui frappe depuis plus de deux ans le monde, n’est probablement pas la vulnérabilité des sociétés humaines à l’apparition d’un nouveau pathogène, sujet par ailleurs longuement documenté depuis de nombreuses années. En revanche, cette crise mit en évidence l’immense dépendance des sociétés occidentales à leur système de santé, et à l’adhésion des citoyens à ce système. Ainsi, ce ne fut jamais le taux d’incidence, pourtant l’alpha et l’oméga de l’épidémiologie, pas davantage que le nombre de décès, qui furent au coeur des décisions politiques en Europe et aux Etats-Unis pour endiguer les effets de la pandémie, mais bel et bien le taux d’occupation des lits d’hôpitaux, comme les taux de saturation des services d’urgence et de réanimation, qui furent les principaux indicateurs présidant à la décision politique, ces derniers ayant par ailleurs permis de mettre en oeuvre des stratégies régionalisées.

Afin de répondre aux couts croissants des politiques de santé publique dans les pays occidentaux, avec une population de plus en plus vieillissante et avec une dépendance croissante aux services de santé, ces derniers ont dans leur immense majorité appliqué des solutions basées sur des approches numériques, permettant d’optimiser la réponse médicale vis-à-vis d’un patient donné de sorte à éviter les redondances inutiles et accroitre la pertinence et l’efficacité de l’offre médicale. Au delà de cet aspect, dans de nombreux pays, y compris en France, les effets lors de crise Covid de campagnes médiatiques et sur les réseaux sociaux, en partie lancées et/ou relayées par des médias sous controle de puissance exterieures, furent à l’origine d’une résistance réelle d’une partie de la population envers les vaccins et les solutions proposées par les gouvernements, ceci ayant entrainé un nombre encore mal évalué, mais plus que significatif de sur-mortalité.

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L’Armée de l’air a contribué à l’effort interarmées en mettant à disposition des moyens de bio-confinement avec les C-130J

Dans les deux cas, il existe une interconnexion directe entre l’environnement numérique et les capacités de santé publique des pays occidentaux, avec à la clé des menaces bien réelles sur l’activité economique et la stabilité sociale des nations. C’est précisément au sujet de cette menace que 3 chercheurs américains ont tiré la sonnette d’alarme, mettant en avant des scénarios aussi catastrophiques que probables si un adversaire potentiel venaient à cibler par une action cyber le système de santé comme le lien entre ce système et l’opinion publique. Pour les scientifiques, le système de santé ne constitue rien d’autre aujourd’hui que l’une des plus grandes vulnérabilités des sociétés occidentales pour un adversaire déterminé et disposant de certains moyens. En outre, comme l’a montré la formidable augmentation des attaques cyber sur les systèmes d »information médicaux lors de la Crise Covid qui avaient triplés aux Etats-Unis, plus le système médical est sous tension, plus il est potentiellement exposé à ce type d’attaque.

Il faut dire que les systèmes de santé occidentaux, fortement numérisés, ne manquent pas de points de faiblesse. Très connectés, ils dépendent simultanément de services centraux nationaux, portant par exemple les dossiers médicaux ou les droits sociaux des patients, que d’un important réseau de sous-traitance tant dans le domaine purement médical que technique pour fonctionner. Cette interconnexion globale de systèmes polymorphes tend naturellement à en accroitre les vulnérabilités, comme le montrèrent les attaques qui, en 2020, exploitèrent une vulnérabilité du logiciel Solaris pour infiltrer un grand nombre de systèmes gouvernementaux et de grandes entreprises US, précisément en servant de point d’ancrage pour des attaques intérieures difficiles à détecter et identifier. De la même manière, une majorité de consultant en cyber-sécurité cherchent, lors de leurs audits, à pénétrer les systèmes de leurs clients en s’appuyant sur les systèmes périphériques, comme le réseau des imprimantes.

Or, les conséquences d’une attaque massive contre les systèmes d’information des services de santé d’un pays, auraient des conséquences considérables sur son fonctionnement économique et social comme sur sa population, donc sur la résilience nationale dans son ensemble, avec des effets très importants en matière de surmortalité, comparables à ceux liés à l’utilisation d’armes stratégiques. Au delà de la paralysie des systèmes de santé, et de la manipulation des opinions publiques préalablement citée, il serait également possible aux hackers en mission d’intervenir directement sur la Supply Chain de ces services, notamment ceux qui fabriquent et entretiennent les équipements médicaux, ou encore l’industrie pharmaceutique qui produit les traitements, y compris les plus classiques, conférant à ces vulnérabilités un caractère stratégique accru.

Hamas Cyber combattant la cagoule est pour la photo jimagine Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
le domaine cyber est une composante majeure dans la réponse du faible au fort. Ici, des hackers du Hamas palestiniens.

En outre, contrairement aux attaques stratégiques comme les frappes nucléaires, chimiques ou biologiques, et les attaques purement conventionnelles, il est très difficile de définir précisément l’origine d’une attaque cyber. Et même si certains faisceaux de preuve peuvent designer une origine géographique, ou un suspect principal en matière de groupe de hackers, il est presque impossible de faire le lien entre l’attaque et la décision politique, rendant toute riposte difficile, au risque de passer soit même pour l’agresseur, sauf à utiliser les mêmes moyens. C’est de part cette relative impunité que de nombreux pays, y compris les plus modestes comme l’Iran ou la Corée du Nord, ont développé d’importantes capacités de frappe cyber, avec le risque que ces pays utilisent ces moyens à l’occasion d’une crise quelconque, certains de ne pas franchir le seuil stratégique.

Une fois le constat fait, quelles solutions y apporter ? La plus évidente est de renforcer la resilience des systèmes mis en oeuvre dans ce domaine, en particulier les plus critiques, aussi bien par l’intermédiaire de moyens de protection contre les intrusions, des tests et audits fréquents et agressifs, qu’au travers de solution de reconstruction rapide de sorte à limiter dans le temps les effets d’une attaque qui aurait réussi à franchir ces défenses. Il est également nécessaire de developper une capacité de réponse du système médical en mode détérioré, de sorte à conférer aux équipes médicales les capacités de continuer à fournir le service même en l’absence du système d’information. Ces deux aspects sont bien connus des spécialistes de la sécurité numériques, sous le nom de Plan de Reprise d’activité, ou PRA, et de Plan de Continuité de l’Activité, ou PCA, deux des piliers de la cyberdéfense.

Au delà de ces aspects, il est également déterminant d’intégrer les agressions cyber potentielles au sein des doctrines de défense globale, y compris dans le domaine stratégique, tant la potentialité destructrice de ces menaces est importante. Cela suppose évidement de disposer de capacités avancées pour identifier l’origine des agressions, comme de disposer de moyens de riposte symétriques ou non, face à ces attaques, avec intégration potentielle dans les doctrines officielles de défense des pays et/ou des alliances. Que des réponses adaptées existent déjà en occident face à l’effondrement, provoqué ou non, des systèmes numériques sous-tendant le fonctionnement du système de santé, est un évidence. Pour autant, selon les chercheurs américains, celles-ci ne prennent en compte la réalité exacte de la menace, et sa potentialité destructrice sur la société. Nous voilà prévenu.

L’Union Européenne déploie une équipe cyber de réaction rapide pour protéger l’Ukraine

Il y a une dizaine de jours, plusieurs sites ministériels et les 3 plus importantes banques ukrainiennes furent visés par une attaque cyber massive de type déni d’accès, ou DDOS. Pendant prés de 24 heures, les capacités de communication et les services de ces structures furent ainsi paralysés par cette attaque dont l’origine a été attribuée à des groupes de hackers russes. Dans le cadre actuel de tensions extrêmes, la capacité pour les autorités ukrainiennes de maintenir des canaux de communication fonctionnels avec la population et de maintenir les services bancaires actifs pour la population, est aussi déterminante que les réponses militaires opérationnelles de ses forces armées afin de résister à une potentielle agression.

C’est dans ce contexte que l’Union européenne, au travers de la Coopération Permanente Structurée, ou PESCO, a annoncé le déploiement d’une équipe de cyber-spécialistes organisée en force de réaction rapide, afin d’assister les autorités ukrainiennes dans ce domaine critique. Cette équipe est composée d’une douzaine d’experts en cyber-sécurité appartenant au projet Cyber Rapid Response Team du PESCO. Elle sera dirigée par la Lituanie, avec l’aide de la Croatie, de l’Estonie, des Pays-Bas, de la Pologne et de la Roumanie, et déployée à la demande des autorités ukrainiennes. Elle se coordonnera avec les capacités de cyber-défense ukrainiennes, agissant dans plusieurs spectres afin de détecter, identifier et contrer les potentielles attaques cyber frappant les infrastructures critiques du pays.

china APL Information Warfare Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
La Chine a également structuré d’importantes capacités cyber offensives et défensives, même si proportionnellement, celles-ci sont moindre que celles de la Russie

Il est utile de noter que l’Ukraine bénéficie également dans ce domaine d’une assistance fournie par l’OTAN. Kyiv avait même fait acte de candidature pour participer au Cooperative Cyber Defence Centre of Excellence de l’Alliance, afin d’accroitre les capacités de coopération et de réponse entre l’alliance et le pays. Toutefois, la Hongrie s’étant opposée à cette requête en début d’année, la demande dut être rejetée, et les capacités de coopération avec l’Alliance Atlantique sont restées moindre dans ce domaine, provoquant l’ire de plusieurs pays européens et des autorités ukrainiennes elles-mêmes.

Les capacités offensives cyber des forces russes sont en effet remarquables. Dans son dernier rapport annuel, l’International Institute for Strategic Studies, ou IISS, a évalué que 33% des capacités cyber russes sont dédiées totalement ou partiellement à des opérations offensives, contre 18,2 % pour la Chine, et moins de 3% pour les Etats-Unis. Outre ces capacités opérationnelles reconnues, Moscou emploie également de nombreux sous-traitants plus ou moins officiels pour mener des opérations offensives Cyber visant à détériorer, stopper et même détruire les infrastructures numériques adverses, usant de tout le spectre les capacités offensives dans ce domaine, allant du déni d’accès à l’infiltration par Malware, et à l’Ingénierie sociale. Au delà des capacités offensives, les services cyber russes ont également d’excellentes capacités défensives, 80% de ses capacités étant totalement ou partiellement dédiées à cette mission, contre 29% des capacités américaines et moins de 10% des capacités cyber chinoises.

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En France, la Cyber-défense est confiée depuis janvier 2017 au Commandement de la Cyberdéfense

Comme la plupart des pays européens, la France s’est engagée tardivement dans la militarisation de La Défense cyber, longtemps de la responsabilité seule de l’ANSII. Toutefois, dans le cadre de la LPM 2019-2025, les capacités offensives et défensives dans ce domaine ont été considérablement accrues avec un budget de 1,6 Md€ / an et 1100 recrutements dans le cadre du Commandement de la Cyberdéfense créé en janvier 2017. La Grande-Bretagne, l’Allemagne et d’autres pays européens ont également sensiblement augmenté et structuré leurs réponses dans ce domaine critique. A l’échelle Européenne, c’est au sein du PESCO que la coopération s’organise, avec le programme Cyber Rapid Response Teams and Mutual Assistance in Cyber Seccurity, l’un des premiers projets inscrits dans la coopération européenne le 6 mars 2018, aux cotés du programme Cyber Threats and Incident Response Information Sharing Platform (CTISP) piloté par la Grèce lancé à la même date. Au total, 10 programmes ont été lancés dans le cadre du PESCO en matière de défense cyber et de C4ISR (Command, Control, Communications, Computers, Cyber-Defense and Combative Systems), soit 23% des programmes enregistrés.

La Russie peut-elle vraiment envahir l’Ukraine ?

Depuis plusieurs semaines, suite à une mobilisation de forces sans précédant de la part de Moscou aux frontières de l’Ukraine, les services occidentaux, en particuliers américains, et de nombreux spécialistes du sujet, estiment qu’une offensive massive des forces russes contre l’Ukraine est désormais possible, si pas probable. Et les dernières déclarations et actions de Vladimir Poutine, qui aprés avoir reconnu l’indépendance des deux républiques auto-proclamées de Donetsk et Luhansk, a déclaré que ses ambitions territoriales s’étendaient sur l’ensemble du Donbass, et non aux seules limites de ces deux entités, constituent en effet des menaces très significatives et des risques de dérive militaire extraordinaires dans cette région. Dans ces conditions, faut-il effectivement craindre une offensive massive des armées russes sur tout ou partie de l’Ukraine, et quelles seraient les conséquences d’une telle décision de la part du maitre du Kremlin ?

Avec 115 à 120 bataillons tactiques interarmes, 1.200 chars lourds, autant de systèmes d’artillerie automoteurs, 500 avions de combat et une quarante de navires de guerre déployés autour de l’Ukraine et en Mer Noire, la puissance militaire russe encerclant l’Ukraine est effectivement d’une puissance inégalée en Europe depuis la crise des Euromissile en 1983. De part l’extraordinaire puissance de feu disponible, les capacités propres des unités russes et la répartition géographique des moyens, Moscou dispose en effet d’une capacité offensive redoutable, potentiellement capable de prendre l’ascendant sur les capacités défensives actuelles de l’OTAN si nécessaire, ceci ayant par ailleurs mené l’Alliance à mettre en alerte sa propre force de réaction rapide articulée en ce moment autour de la Brigade franco-allemande, et les Etats-Unis à redéployer des forces aux frontières orientales . De fait, la menace sur l’Ukraine et son intégrité territoriale est incontestable.

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Une dizaine de bataillon inter-armes aéroportés sont russes sont déployés autour de l’Ukraine

Pour autant, si les défenseurs ukrainiens ne peuvent rivaliser avec ce dispositif offensif, ils ne sont pas désarmés. Ainsi, les forces armées ukrainiennes alignent 200.000 militaires et conscrits répartis dans une vingtaine de brigades de combat, dont quelques unes peuvent être considérées comme des unités d’élite. Elle dispose également de deux milliers de chars de combat, certes moins modernes que leurs homologues russes, et de 3000 blindés de combat de différents type, ainsi que d’un millier de systèmes d’artillerie automoteurs. Elle a en effet d’importantes déficiences en matière de défense aérienne et anti-missile, de guerre électronique, de renseignement et de communication, ainsi qu’une force aérienne obsolète et réduite, mais elle n’est en rien désarmée. Outre ses 200.000 hommes de ligne, elle dispose d’une capacité de réserve de 400.000 hommes, une partie de ces réserves (36.000 h) ayant d’ailleurs été rappelée sous les drapeaux par décret présidentiel aujourd’hui.

Par ailleurs, Kyiv mobilise depuis quelques mois une importante force de défense territoriale, des volontaires rapidement (et insuffisamment) formés, pour mener si besoin une guerre de type Partisans en cas d’offensive russe massive. A ce titre, 45% des ukrainiens se déclarent prêts à s’engager pour défendre leur pays, ou pour soutenir les forces combattantes face à une offensive russe. Dans ce contexte, les livraisons d’armes récentes venues d’occident ne pourront probablement pas jouer un rôle décisif pour stopper une offensive russe, d’autant que leurs utilisateurs potentiels n’auront pas eu le temps de correctement apprendre à les mettre en oeuvre, mais ils pourront accroitre sensiblement les capacités de nuisance de ces combats d’arrière garde menés potentiellement par des groupes de combat de la défenses territoriales.

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Les défenses ukrainiennes sont loin d’être négligeables, et bénéficient d’une géographie favorable pour retarder ou stopper une offensive russe.

De fait, une offensive massive des forces russes contre les défenses ukrainiennes serait tout sauf une formalité pour Moscou, même en se limitant à des prises territoriales limitées dans le Donbass. ou pour créer un corridor terrestre vers la Crimée, comme parfois évoqué. En effet, les armées Ukrainiennes ont eu le temps de se retrancher, en s’appuyant sur les spécificités géographiques du théâtre d’opération. Ainsi, les plaines ukrainiennes n’ont guère à voir avec le désert irakien, et disposent de très nombreuses villes et villages constituant autant de point de fixation pour la Défense ukrainienne, faisant craindre un possible enlisement de l’offensive russe, et donc une perte d’initiative. En outre, comme dit précédemment, les territoires « conquis » seront probablement largement contestés par la Défense Territoriale dans une guérilla particulièrement difficile à contrôler pour les réservistes russes en charge de cette mission.

Les forces russes cependant pourraient appliquer pour faire face à ce type de menace une stratégie basée sur son immense puissance de feu, son artillerie et ses moyens aériens, comme ce fut le cas lors de la seconde Guerre de Tchétchénie. Toutefois, cette solution serait extrêmement risquée politiquement. Rappelons en effet que 20% de la population Tchétchène perdit la vie lors des deux guerres, en grande partie victime des bombardements russes. Une telle solution créerait, en Ukraine, un massacre de grande ampleur, avec potentiellement plusieurs centaines de milliers, voire plusieurs millions de morts. Non seulement un tel génocide mobiliserait et radicaliserait les opinions publiques mondiales contre la Russie, mais même dans le pays, le régime s’exposerait à de très importantes vagues de protestation, 30% des russes ayant une ascendante ukrainienne. En outre, un tel déchaînement pourrait inciter les occidentaux à soutenir bien plus activement Kyiv, surtout si le conflit s’enlise, en livrant des armes plus performantes, et en mettant Moscou au ban des nations.

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Les unités de réserve russes seraient en charge en de la pacification des territoires conquis

Mais le plus important risque pour le Kremlin n’est autre que les pertes potentielles russes dans une telle hypothèse. Entre les capacités défensives non négligeables des armées ukrainiennes et les capacités de guérilla de groupes de défense territoriale, les pertes russes dans une telle hypothèse seraient loin d’être faibles, et pourraient aussi bien frapper les militaires sous contrat que les réservistes mobilisés pour cette opération, voire certains conscrits. Or, s’il est un fait intangible constaté lors de toutes les opérations militaires russes engagées ces 25 dernières années, c’est bien que le Kremlin évite au maximum les pertes militaires. Ainsi, lors de la guerre de Georgie en 2008; les armées russes n’eurent à déplorer que 68 victimes grâce à un rapport de force très favorable, et les pertes russes dans le Donbass et en Syrie ont pour leur immense majorité étaient maquées par l’emploi de mercenaires Wagner, qui y payèrent souvent un lourd tribu. Le fait est, si l’opinion publique russe est plutôt docile politiquement, elle est particulièrement réactive des que ses fils perdent la vie de manière visible, ceci ayant entrainé en partie la chute de l’Union Soviétique après la guerre d’Afghanistan, et la déroute russe lors de la première guerre de Tchétchénie.

En tant qu’apparatchik du KGB/FSB, et de connaisseur de l’histoire de son pays comme il aime à le rappeler, Vladimir Poutine ne peut ignorer ces deux derniers éléments, qui menaceraient bien plus surement son régime que les sanctions occidentales, et même qu’une Ukraine démocratique et occidentalisée ne pourrait le faire. Avec la prise des deux républiques du Donbass, et celle de la Crimée en 2014, Moscou s’est d’ores et déjà assuré de l’impossibilité pratique pour l’Ukraine de rejoindre l’OTAN, selon les critères définis en 2007 pour son extension requérant des candidats libres de toute dispute territoriale. En outre, cette crise aura fini de mettre au pas le régime de Loukachenko en Biélorussie, au point que ce dernier a lancé une procédure d’amendement de la constitution pour pouvoir accueillir des missiles nucléaires russes sur son sol. En outre, comme en Georgie en 2008, puis dans le Donbass en 2015, un arrêt soudain des hostilités déclaré unilatéralement par les autorités russes générerait très probablement un tel soulagement en Occident que les Sanctions appliquées contre la Russie suite à l’inclusion plus que probable de Luhansk et Donetsk à la fédération de Russie, ne dureront pas longtemps, pour un retour au statu-quo anté-crise.

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les armements livrés par l’Occident ces dernières semaines ne changeront pas profondément le rapport de force militaire, mais pourraient considérablement renforcer la puissance de feu des groupes de combat de La Défense Territoriale ukrainienne.

Dans ces conditions, les bénéfices potentiels résultant d’une offensive massive contre l’Ukraine ne compenseront en aucune manière les risques directs contre la Russie, mais surtout contre le régime de Vladimir Poutine. Or, comme l’a montré le changement radical de posture de Moscou en Syrie après qu’un F-16 turc ait abattu un Su-24 russe, la première caractéristique définissant Vladimir Poutine est incontestablement l’instinct de conservation, et la protection de son régime. On peut d’ailleurs penser que la présente crise avec l’Ukraine a été avant décidé afin de détourner l’opinion publique russe de la gestion catastrophique de la crise Covid par le Kremlin, la surmortalité russe ayant dépassé le million de morts ces deux dernières années.

Reste que l’on ne peut écarter l’hypothèse que Vladimir Poutine se serait, en quelques sortes, perdu dans une forme de délire paranoïaque teinté d’ambitions historiques, et qu’il se soit effectivement convaincu lui même qu’une annexion militaire de l’Ukraine soit une part de sa propre destinée. Dans ces conditions, au delà des innombrables victimes et des risques avérés sur son propre régime, il sera effectivement urgent de s’inquiéter de la trajectoire de la Russie et de son dirigeant, sachant que Moscou dispose aujourd’hui de 2000 têtes nucléaires et de 700 vecteurs stratégiques capables de frapper n’importe quelle cible sur la planète, pour peu qu’il en estime la nécessité. On ne peut, en effet, éliminer ce scénario à la vue de certaines déclarations récentes du président russe. Dans ces conditions, il ne restera guère que l’espoir de voir les russes eux-mêmes reprendre le controle de la situation, et faire preuve de la même détermination que le firent Vassili Arkhipov à bord du sous-marin B-19 lors de la crise des missiles de Cuba, et Stanislav Petrov qui par son sang-froid, évita une guerre Nucléaire en 1983.

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Le rapport qui fait mal à la Défense anti-missile US

Depuis les premiers travaux dans le domaine des systèmes d’interception de missiles balistiques, le Pentagone investit pas loin de 350 Md$ dans ce domaine spécifique destiné à protéger le sol américain, et dans moindre mesure, certains de ses alliés, contre des frappes de missiles balistiques potentiellement nucléaires. Depuis quelques années, le sujet s’est trouvé revitalisé par la résurgence des menaces stratégiques venues de Russie, de Chine mais aussi de Corée du Nord, disposant désormais de missiles balistiques certes intercontinentaux, mais aux capacités opérationnelles bien inférieures aux derniers modèles de missiles ICBM et SLBM russes et occidentaux. Pourtant, selon un rapport rendu public par la American Physical Society, une association regroupant de nombreux physiciens américains, les capacités actuelles de cette défense anti-missile US, et celles qui seront en service dans les 15 prochaines années, seraient dans l’incapacité de protéger le sol américain d’une attaque par missile balistique, y compris menée par la Corée du Nord et ses systèmes de génération antérieure.

Selon ce rapport, si des progrès ont été faits dans certains domaines, de nombreuses impasses subsistent pour apporter une défense effective contre les missiles balistiques intercontinentaux, en particulier en matière de densité des systèmes, des délais nécessaires pour la détection, l’identification et l’engagement des cibles, et la fenêtre effective d’intervention trop restreinte qui résulte de ces éléments pour mener une interception sure et efficace contre les menaces. Concrètement, si pendant les exercices, les simulations montrent effectivement une efficacité avérée des systèmes déployés, dans un cadre opérationnel ne permettant pas de lever les inconnues dans des délais comparables (a-t-on détecter un missile ou un lanceur spatial ? la chaine de commandement est-elle disponible ? les systèmes d’interception sont-ils placés au bon endroit ?), les capacités réelles et objectives d’interception seraient largement détériorées, y compris contre des systèmes d’arme relativement anciens ou datés téchnologiquement comme ceux mis en oeuvre par Pyongyang.

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Le 10 octobre 2020 à Pyongyang, les autorités nord-coréennes ont présenté un nouveau missile balistique intercontinental ICBM mobile sur un véhicule lourd à 11 essieux.

Dans ce même rapport, l’APS estime que les solutions actuellement développées par la Missile Defense Agency, comme les armes à énergie dirigée et les systèmes d’interception spatiaux du programme Space-based Interceptor’s ne seront pas opérationnels avant une bonne quinzaine d’années. En outre, concernant ce dernier programme, l’APS estime que la densité de systèmes spatiaux nécessaires pour simplement couvrir la menace nord-coréenne est incompatible avec des investissements soutenables par le Pentagone. En conclusion, le rapport interroge sur la pertinence des investissements US dans ce domaine, sachant que d’autres domaines sont obligés de réduire ou reporter leurs propres investissements critiques pour entrer dans les contraintes budgétaires du Pentagone.

Bien évidemment, suite à la publication de ce rapport, le Pentagone et notamment la Missile Defense Agency sont montés au créneaux pour en contester les conclusions et la méthodologie. Cette dernière met en avant les conclusions publiées dans son dernier rapport de 2021, estimant que la conjonction des moyens existant permet effectivement de répondre au plus grand nombre de scénario et de menace, y compris contre des systèmes plus évolués que les missiles nord-coréens. En outre, elle assure que la défense anti-missile US est opérationnelle 24h sur 24, 365 jours par an, balayant une partie de l’argumentaire développé par l’APS.

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Le programme GMD se compose de 44 missiles intercepteurs en silos repartis le long de la cote pacifique US de la Californie à l’Alaska.

En revanche, il est bien plus difficile de répondre aux réserves prises par l’APS concernant l’efficacité réelle des systèmes anti-balistiques actuellement en service, comme le Ground-based MidCourse Defense, ou GMD, formant le principal rideau défensif contre les menaces de type ICBM/SLBM sur le sol US, aux cotés des systèmes THAAD, AEGIS et Patriot limités à des menaces de plus courte portée. Force est de constater que sur les 19 essais d’interception du système GMD s’étend déroulés de 1999 à 2017, 9 furent des échecs, les derniers représentant les essais 15, 16 et 17 entre 2010 et 2013. Selon l’APS, de part sa conception, le GMD qui aura couté plus de 40 Md$ à lui seul, est en effet limité dans ses capacités d’interception, étant particulièrement sensible aux contre-mesures dont sont désormais équipés les ICBM modernes. A noter que le GMD et ses 44 intercepteurs seront complétés d’ici 2028 par 21 Next Generation Interceptors, ou NGI, conçus pour précisément corriger ces faiblesses face aux derniers modèles de missiles nord-coréens.

Concernant le système spatial d’interception Boost-phase Interceptors, prévu pour compléter la défense anti-missile US dans une quinzaine d’années, l’APS estime qu’il sera nécessaire de déployer et mobiliser 400 plate-formes orbitales d’interception pour répondre à la menace d’un unique missile ICBM nord-coréen, et de 4000 de ces plate-formes pour neutraliser effectivement un tir de 10 missiles. Rappelons qu’au delà de la Corée du Nord, la Chine déploie une force stratégique répartie dans plus de 400 silos durcis, et que la Russie dispose de 700 missiles de type ICBM et SLBM en service dans son arsenal, bien au delà des capacités d’interception mises en oeuvre par les Etats-Unis.

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Les missiles modernes comme le R-28 Sarmat russe dispose de contre-mesures conçues pour contrer les systèmes anti-balistiques comme le GMD et le NGI.

De fait, les réserves mises en avant par l’APS sont loin d’être dénuées de sens, car il semble bien que tous ces efforts et investissements ne seraient, dans les faits, que capables de contrer la menace émanant de Corée du Nord, et absolument pas ceux venus de Russie et de Chine, d’autant que ces deux pays disposent de missiles plus évolués que Pyongyang dans ce domaine. Et l’on peut s’interroger sur la pertinence de dépenser de telles sommes pour protéger les Etats-Unis d’une unique menace, sans savoir bien pourquoi celle-ci est traitée différemment de la menace chinoise et russe reposant sur les capacités de ripostes portées par les 12 sous-marins nucléaires lanceur d’engins de l’US Navy. Force est de constater, en effet, que ces dernières années, le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un ne s’est pas comporté bien différemment du chinois Xi Jinping ou du Russe Vladimir Poutine, et même dans certains domaines, de manières plus conciliantes notamment vis-à-vis de son voisin sud-coréen, que ne l’ont été la Chine face à Taiwan, ou la Russie face à l’Ukraine.

La France et l’Europe peuvent-ils relever le défi sécuritaire russe ?

Après des semaines et des mois de spéculation et de tentatives de médiation diplomatique, Vladimir Poutine a dévoilé une partie de son jeu hier lundi 21 février, au lendemain de la fin des jeux olympiques chinois, en reconnaissant l’indépendance des deux républiques autoproclamées du Donbass, et en déplaçant à peine quelques heures plus tard, une partie de ses unités dans cette région, sur la base de prétextes aussi contestables qu’artificiels. Pour autant, le déploiement de force exceptionnel mené par les armées russes autour de l’Ukraine dépasse de loin les besoins de cette seule dernière manoeuvre pour dissuader l’Ukraine de toute velléité de riposte, et les occidentaux d’apporter un soutien trop appuyé à Kyiv, laissant supposer que cette décision ne représenterait qu’une étape dans la stratégie russe. Le défi militaire posé par les 190.000 soldats russes déployés aux frontières de l’Ukraine redessine en effet intégralement la géopolitique européenne, et met les européens face au constat de leur impuissance face à un pays pourtant 4 fois moins peuplé et 12 fois moins riche qu’eux-mêmes.

Au delà des désillusions pour de nombreux dirigeants qui pensaient jusqu’il y a peu que Vladimir Poutine était un interlocuteur valable, les mouvements de troupe ayant permis l’entrée des forces russes dans le Donbass ayant été entamé il y a plusieurs jours, alors même que le Kremlin laissait encore espérer d’une possible solution diplomatique pendant qu’il appliquait méthodiquement son plan, il est désormais indispensable aux européens de réviser leur posture et doctrines de défense, y compris dans leur dépendance à la puissance militaire américaine, pour être en mesure de répondre au nouveau défi sécuritaire posé par Moscou. Dans ce domaine, la France peut, et doit, s’emparer du sujet et, par l’exemple et non la seule conviction, amener les européens à neutraliser la puissance militaire du Kremlin.

Quels besoins pour neutraliser la puissance militaire russe ?

Comme précédemment évoqué, le défi sécuritaire posé par Moscou n’est pas uniquement basé sur le rapport de force conventionnel en Europe. La fulgurance du déploiement russe autour de l’Ukraine, le recours, même indirect, à la menace nucléaire, l’état de préparation et de réaction des forces armées russes, et les nouvelles technologies et capacités de renforcement dont elles se doteront dans les années à venir, peuvent potentiellement entrainer un effondrement global de la posture défensive occidentale en Europe. Ainsi, là où l’OTAN vise une capacité de réponse à 3 mois équivalente à 40.000 hommes au sein d’une force de réaction rapide, les Armées russes ont su mobiliser et déployer presque 5 fois plus de soldat, mais également 1.200 chars, plus de 1000 pièces d’artillerie, 500 avions de chasse et 40 navires de combat sur un tel délais.

Batterie du systeme S400 mise en oeuvre par les forces russes composee de 2 lanceurs et dun radar Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
La Russie a déployer 35 brigades anti-aériennes aux frontières de l’Ukraine, une puissance de déni d’accès sans équivalent rassemblée à ce jour.

En outre, alors que les materiels employés par les armées russes étaient encore en grande majorité obsolètes il y a 10 ans, elles disposent désormais de plus de 70% de materiels modernes ou définis comme tels dans son arsenal, et de capacités opérationnelles conçues pour prendre l’ascendant sur les forces de l’OTAN, avec notamment 50 brigades anti-aériennes largement dotées de système à longue, moyenne et courte portée collaboratif, des capacités de guerre électroniques et cyber très avancées, et une excellente maitrise de la communication et de l’information, comme le montre les nombreux représentants politiques en Europe comme en France justifiants les actions russes. Au delà des capacités constatées aujourd’hui, l’effort porté par le ministre de La Défense Sergeï Choïghou et par le chef d’Etat-major A. Gerasimov, continuera à renforcer cette puissance militaire dans les années à venir, avec l’entrée en service de nouveaux équipements de haute technologie comme le char lourd T-14 Armata, le système d’artillerie Koalitsyia SV, le chasseur lourd Su-57 ou le système anti-missile S-500.

De fait, les Européens aujourd’hui se doivent de produire un important effort de sorte à permettre de répondre à l’ensemble de ces défis, ceci intégrant la capacité de mobiliser et déployer une force armée de 150.000 à 200.000 hommes dans un délais de 3 mois, d’aligner une puissance blindée au moins comparable à celle de la fédération de Russie, de s’assurer de la supériorité aérienne et la neutralisation des défenses anti-aériennes adverses, et de prendre la suprématie sur les mers, et ce sans devoir s’appuyer sur la puissance militaire conventionnelle US, qui aura, dans les années à venir, déjà fort à faire pour contenir la montée en puissance chinoise dans le Pacifique et l’Océan Indien. En outre, les Européens doivent être en capacité de relever le défi technologique russe à court et moyen terme, et non uniquement sur la base de programmes visant une entrée en service au delà de 2035 ou 2040. Enfin, même d’un point de vue stratégique, les européens doivent être en mesure de s’appuyer sur leurs deux piliers britanniques et français pour neutraliser la puissance russe dans ce domaine, sans nécessairement devoir l’égaler dans tous les domaines.

Quel rôle doit jouer la France dans cette montée en puissance ?

La France n’a pas ménagé ses efforts diplomatiques ces dernières années pour tenter de convaincre les européens de produire un effort suffisant visant à assurer leur propre défense. Toutefois, la montée en puissance rapide des armées russes, couplée à certaines postures et rapports de force au sein de l’Union européenne, eurent rapidement raison des ambitions françaises. Pour autant, le blâme n’est pas uniquement à faire porter aux européens. En effet, pour une majorité d’entre eux, les propos de la diplomatie française sonnaient creux, tant la puissance militaire française effective, en particulier dans le domaine de l’engagement de haute intensité, était insuffisante face à la promesse sécuritaire portée par les Etats-Unis. De fait, alors que les européens n’auront jamais été riches et nombreux qu’aujourd’hui, ils n’auront jamais été tant vulnérables face à la Russie, et dépendants de la protection américaine, et ce depuis la fin de la seconde Guerre Mondiale.

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Les Etats-Unis jouent aujourd’hui un rôle plus important dans La Défense de l’Europe qu’au plus fort de la guerre froide, alors que les armées européennes représentaient 60% de la puissance militaire de l’OTAN.

Pour autant, la France jouit d’une position unique dans l’Union Européenne, de part sa dissuasion nucléaire plus que performante d’une part, son siège de Membre Permanent du Conseil de Sécurité des nations unis d’autre part, les capacités et l’experience de ses armées et les performances et l’exhaustivité de son industrie de défense. Elle est donc légitime, si pas à diriger, tout au moins à entrainer l’Union européenne dans une stratégie défensive performante et adaptée. Pour cela, elle ne peut se limiter à tenter de convaincre ses partenaires par la seule conviction, mais par l’exemple, notamment en développant une puissance militaire suffisante pour changer le rapport de force sur le vieux continent face à Moscou. En d’autres termes, là ou les Armées françaises ont aujourd’hui pour objectif de mobiliser une division et 20.000 hommes à 6 mois, elles devront être en mesure de mobiliser un corps d’armée de 3 divisions et 60.000 hommes en 3 mois de temps, soutenus par les moyens nécessaires pour constituer le pilier d’une défense européenne nécessaire pour convaincre les européens de changer leurs propres paradigmes.

En effet, avec une telle puissance militaire, les Armées Françaises atteindraient une masse critique égale à 30% des forces armées déployables par la Russie, suffisantes pour profondément changer un rapport de force tactique voire stratégique en Europe. En outre, les armées françaises deviendraient ainsi attractives pour les forces européennes, puisque tout ajout de forces suffirait à rendre le rapport défensif défavorable pour la Russie. En d’autres termes, le Corps d’Armée français aura un volume et une masse suffisants pour attirer à lui les autres armées européennes, et atteindre ainsi le rapport de force voulu pour neutraliser la puissance militaire russe. En outre, et de manière indirecte, un tel effort fourni par la France entrainerait immanquablement une dynamique européenne dans le même sens, ni Berlin ni Londres n’ayant jamais toléré de voir en Europe une France surpuissante. En effet, paradoxalement, l’Allemagne et la Grande-Bretagne, ainsi que dans une moindre mesure l’Italie, sont bien plus sensibles à leur puissance perçue relative au sein de l’OTAN et de l’UE, que face à des menaces avérées venues de Russie, de Chine ou d’Iran.

Quelles solutions pour soutenir cet effort ?

Reste que passer de la puissance effective actuelle des armées européennes, à une capacité de mobilisation de force équivalente à 150.000 à 200.000 hommes, se confronte à un grand nombre de difficultés. Les armées européennes étant désormais, pour beaucoup, passées à une armée de métier, l’augmentation nécessaires des effectifs et formats pour atteindre un tel objectif se heurterait à d’importantes réalités en matière de recrutement, de formation, de pyramide des âges et des grades, d’équipements, d’infrastructures et, bien évidement budgétaires. Toutefois, les européens ne sont pas démunis face à de tels défis !

US National Guard Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
La puissance militaire des Etats-Unis en matière de conflit de haute intensité repose en grande partie sur la Garde Nationale US, composée de réservistes très entrainés et remarquablement équipés.

En premier lieu, les armées européennes disposent d’un important potentiel de croissance en matière de forces de réserve. Il est en effet possible de s’appuyer sur une force armée de réserve répondant au paradigme « Haute Intensité mais faible risque », bien plus adaptée que les unités professionnelles pour répondre aux présents enjeux, avec des couts effectifs finaux plus de moitié moindre vis-à-vis d’une unité professionnelle à capacité de déploiement et d’engagement équivalent. En d’autres termes, espérer répondre au défi sécuritaire russe uniquement sur la base de militaires professionnels engendrerait des surcouts difficilement supportables pour les finances publiques, alors que constituer une puissante force de réserve spécialisée dans ce domaine, comme la Garde Nationale américaine ou les BARS russes, aurait un cout final bien plus soutenable, tout en simplifiant les problématiques de recrutement et de profil de carrières.

En matière d’équipements, eu égard de la transformation profonde qu’aura engendré la nouvelle posture russe, il est envisageable pour l’Union européenne de mettre en oeuvre un programme de financement basé sur les mêmes mécanismes macro-économiques que le Plan de Relance Covid. Une telle initiative ne permettrait pas de soutenir le changement d’échelle et de format de La Défense européenne, mais serait en mesure de fournir l’impulsion budgétaire suffisante pour entamer celle-ci, de sorte à permettre aux Etats de percevoir les retours économiques nécessaires pour soutenir l’augmentation de l’effort de défense dans la durée sans creuser la dette souveraine déjà fortement sollicitée des nations européennes après les choses économiques successifs de ces 15 dernières années.

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Pour assurer un retour budgétaire optimum, les états européens devraient flécher leurs acquisition de materiels de défense vers des partenaires européens, et non américains.

Une autre solution serait de s’appuyer sur de nouveaux modèles de financement en matière d’équipement, reposant en grande partie sur le leasing des équipements. Si la solution fait encore débat quant à son adaptabilité aux besoins spécifiques des armées, elle permet en revanche de créer de l’investissement industriel, donc des retours budgétaires et sociaux, sans créer de dette souveraine, permettant aux Etat d’accroitre leur niveau d’investissement en terme d’équipements de manière considérable sans devoir augmenter leurs investissements budgétaires avec la même temporalité. Au final, les retours budgétaires générés, la croissance économique et l’inflation permettraient de neutraliser sur la durée les surcouts liés à ce mode particulier de financement, surtout s’ils s’appuient sur des produits d’épargne populaire fléchés spécifiquement vers cette finalité.

En revanche, il est indispensable, pour soutenir un tel effort sécuritaire, de flécher les investissements européens en matière d’équipements de défense, vers des équipements conçus et produits en Europe, de sorte à en atténuer les surcouts budgétaires à l’échelle de l’Union européenne. Il est d’ailleurs envisageable de mettre en oeuvre, dans ce domaine, des mécanismes d’équilibrage des recettes budgétaires générées par l’investissement européen, de sorte à atténuer les efforts des clients européens de l’industrie de défense européenne, surtout si ces derniers ne disposent pas eux-mêmes d’une industrie de défense, ou si des déséquilibres existent entre niveau d’investissement et de production. Non seulement un tel modèle permettrait d’effectivement renforcer l’attractivité des équipements européens, mais il favoriserait la non réplication arbitraire des infrastructures de production de sorte à dimensionner une industrie de défense européenne optimisée vis-à-vis de sa mission.

Conclusion

Les événements de ces derniers jours, comme ceux qui menacent de se produire dans les jours et semaines à venir, auront profondément bouleversés les stratégies sécuritaires européennes héritées des 30 années de la période post-guerre froide. Il est vain de se complaire dans la mise cause des dirigeants d’alors face à leur manque d’anticipation. En revanche, les défis économiques, technologiques et sociaux à relever pour les pays européens afin de faire face à ce nouveau contexte sont à la hauteur des immenses efforts fournis par les armées russes ces 20 dernières années pour atteindre un tel niveau opérationnel. Or, les européens n’ont pas, comme la Russie, le loisir de se reconstituer sur 20 années, et les réponses doivent émerger à court terme, afin de re-équilibrer le rapport de force plus que défavorable à partir de la seconde moitié de cette décennie, et non de la prochaine.

10th Mountain brigade Ukraine Actualités Défense | Artillerie | Aviation de chasse
les forces ukrainiennes portent aujourd’hui seules une grande part de la sécurité du vieux continent.

Pour autant, des solutions existent, tant pour répondre aux enjeux de format que d’investissement, à l’échelle nationale comme européenne. Il ne revient qu’aux dirigeants de sortir de la sclérose intellectuelle qui obscurcit leurs perspectives pour mettre en oeuvre de telles solutions efficaces et soutenables, sur un calendrier répondant aux réalités sécuritaires actuelles. Une chose est certaine, la pire des trajectoires pour les européens serait de s’enfermer dans la vision étriquée du statu quo, en s’appuyant sur une protection US de moins en moins perceptible du fait du défi chinois dans le Pacifique, et en se dissimulant derrière certaines « réalités économiques » bien pratiques pour justifier du manque de volontarisme et d’imagination des dirigeants européens. Il apparait également que la France a, dans ce dossier, un rôle prépondérant à jouer en prenant des initiatives qui inspireront les européens. Dans tous les cas, les réponses devront rompre avec le passé, y compris proche, et apporter des solutions nécessaires et suffisantes à court, moyen et long terme, faute de quoi la présente crise ukrainienne ne représentera que la première étape d’une crise bien plus grave en Europe.

12 porte-avions, 50 frégates : l’US Navy revient sur ses fondamentaux

Dire que la planification de l’US navy a été chaotique ces 30 dernières années tiendrait de l’euphémisme. Entre des programmes calamiteux et en surcout chronique comme les destroyers Zumwalt, les corvettes Littoral Combat Ship, ou les sous-marins Seawolf, des difficultés techniques importantes comme pour les porte-avions de la classe Ford, et des objectifs marqués par des considérations politiques et économiques, et non par des besoins opérationnels, les perspectives et options de la première force navale mondiale se sont irrémédiablement assombries, alors que dans le même temps, les puissances navales de ses principaux compétiteurs comme la Russie et surtout la Chine, se sont développées avec rigueur et emphase. Conséquence prévisible de cette situation dégradée, les tentatives pour mettre en oeuvre une nouvelle stratégie navale furent, ces dernières années, pour le moins confuses, voire contradictoires, entrainant une aggravation de la situation par manque de stratégie efficace.

Dernier revirement en date, l’US Navy a reculé, il y a deux semaines, sous les coups de boutoir du Congrès, son calendrier d’entrée en service de ses navires autonomes, afin de n’entamer la construction de cette flotte jugée indispensable pour contenir la puissance navale chinoise, qu’une fois l’ensemble des nouvelles technologies nécessaires parfaitement maitrisé et fiable, évitant ainsi de reproduire les erreurs faites avec les programmes Zumwalt et LCS. Pour autant, la Marine américaine restait incapable de produire une stratégie de construction navale répondant aux défis chinois et russes ces derniers mois. Il semble que, si la stratégie elle même ne sera pas présentée avant l’année prochaine, ses grandes lignes ont été effectivement arbitrées par l’Etat-Major de l’US Navy, et son chef d’Etat-major, le Chief of Naval Operations, l’Amiral Michael Gilday.

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Les 3 destroyers de la classe Zumwalt auront couté le prix de 25 frégates classe Constellation, pour une capacité opérationnelle encore discutable.

A l’occasion de la conférence West 2022 de San Diego, le CNO a en effet présenté le futur format de l’US Navy. Celui ci sera organisé autour de 12 porte-avions, 9 porte-hélicoptères d’assaut, 20 à 30 navires d’assaut de taille plus réduite, ainsi que 60 destroyers et 50 frégates pour la flotte de haute mer. La flotte sous-marine sera quant à elle composée de 12 SNLE classe Columbia pour la mission de dissuasion, et surtout de 70 sous-marins nucléaires d’attaque, soit la plus importante flotte de ce type jamais construite. Au total, en 2045, l’US Navy vise un format de 500 navires, dont 150 navires autonomes, conformément aux plans présentés il y a deux ans par Mark Esper.

Ce format est interessant à plus d’un titre. Ainsi, alors qu’il y a encore quelques mois, se posait la question de la réduction du nombre de porte-avions américains afin de libérer des ressources pour armer les navires de surface et sous-marins, l’arbitrage final respecte le format de 12 navires, soit deux de plus que le nombre de Nimitz produits. De toute évidence, la menace que font peser les missiles anti-navires hypersoniques russes et chinois sur les grands navires de l’US Navy, ne semble pas inquiéter plus que de raison l’Etat-major de l’US Navy. Il est vrai que dans ces domaines, d’importants efforts sont fournis des deux cotés de l’Atlantique pour être en mesure de contrer ce type de menace. La Flotte d’assaut reste, elle aussi, dans un format similaire à celui de l’US Navy à la sortie de la Guerre Froide, alors qu’elle était à l’apogée de sa puissance.

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Dérivées des FREMM italiennes, les frégates de la classe Constellation sont appelées à devenir la colonne vertébrale des escorteurs de l’US Navy

Si le nombre de croiseur et destroyer est appelé à diminuer, passant de 85 à 60 dans les années à venir, on remarque le retour en force d’une flotte de frégate de haute mer, probablement de la classe Constellation et dérivés. Avec 50 exemplaires visés, il s’agit d’un nombre de frégates sensiblement équivalent à celui du programme O.H Perry lors de la fin de la Guerre Froide. Plus performantes dans le domaine de la lutte anti-sous-marine, les frégates ont toutefois une puissance anti-aérienne moindre que celle des destroyers US. En revanche, elle ne nécessite qu’un équipage moitié moindre que ces derniers, offrant un navire parfaitement complémentaire dans sa mission d’escorter aux destroyers Arleigh Burke Flight III et à son successeur.

La diminution du nombre de navires de surface capables de frappes vers la terre, aujourd’hui les croiseurs Ticonderoga et destroyers A. Burke, sera compensée par l’augmentation du nombre de sous-marins nucléaires d’attaque, disposant désormais d’une importante capacité dans ce domaine, comme pour les Virginia Mk V. On constate à ce titre qu’il n’est nullement fait référence à un futur sous-marin nucléaire lance-missiles de croisière, de toute évidence l’US Navy n’entendant renouveler l’experience faite avec la conversion de 4 SNLE de la classe Ohio pour emporter chacun 154 missiles de croisière Tomahawk. Là encore, les 28 tomahawk en système de lancement vertical qui armeront les SNA classe Virginia Block V et VI semblent satisfaire l’US Navy quant à ce type de besoin, ce d’autant que les missiles de croisière sont appelés à être de plus en plus vulnérables aux défenses anti-aériennes modernes.

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Les SNA classe Virginia vont succéder aux SSGN Ohio et en partie aux unités de surface dans la mission de frappe vers la terre.

Enfin, la CNO a confirmé l’objectif de l’US Navy de se doter de 150 navires autonomes une fois cette technologie parfaitement maitrisée, condition nécessaire pour atteindre un format à 500 navires et faire ainsi jeu égal avec la Marine chinoise. En effet, selon les projections raisonnables concernant la puissance navale chinoise en 2045, celle-ci alignera 8 à 9 porte-avions dont 6 à 7 seront probablement à propulsion nucléaire, une dizaine de porte-hélicoptères et porte-drones d’assaut, une cinquantaine de navire d’assaut de différents type, soixante et quatre-vingts croiseurs et destroyers, autant voire davantage de frégates, soixante-dix à quatre-vingt dix sous-marins dont une vingtaine de SNA et une dizaine de SNLE, le tout en hypothèse basse.

Ce format permet donc effectivement de répondre au défi chinois, d’autant qu’en matière de technologies embarquées et de savoir-faire, l’US Navy continuera de surpasser l’APL pendant encore plusieurs années. En revanche, la question de son financement sera particulièrement complexe à résoudre, avec un planning de production d’une dizaine de navires dont 1 grand navire (porte-avions, porte-hélicoptères), 4 destroyers et frégates, et 2 à 3 sous-marins nucléaires par an, soit un rythme particulièrement soutenu pour l’industrie navale américaine et le budget du Pentagone. Toutefois, avec les développements constatés en Mer de Chine et alentours, ainsi qu’autour de la crise russo-ukrainienne, il est probable que les réticences budgétaires qui jusqu’ici handicapaient la modernisation de l’US Navy, s’effaceront à la Maison Blanche comme au Congrès dans les mois à venir.