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Un moteur américano-italien pour l’Eurodrone, une hérésie industrielle et technologique

Depuis plusieurs mois, le programme de drone Moyenne Altitude Longue Endurance, ou MALE, européen rassemblant la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, était à l’arrêt, dans l’attente du feu vert budgétaire de Madrid, et du choix final de sa solution de propulsion. Si l’Espagne a confirmé sa participation financière il y a quelques semaines, le choix annoncé par Airbus DS du moteur Catalyst, fabriqué en Italie par Avio Aero mais conçu aux Etats-Unis par General Electric, au détriment du moteur Ardiden 3TP du français Safran, a créé un profond mouvement de mécontentement au sein de l’industrie de défense française.

Le turbopropulseur Catalyst, d’une puissance de 850 à 1.600 cv et d’une masse de moins de 300 kg, joue dans la catégorie du fameux PT-6 de l’américain Pratt&Whitney qui s’impose sur ce segment depuis une trentaine d’années, tout en offrant des performances et des capacités avancées liées à sa conception moderne. Pour Airbus DS, le fait que le Catalyst soit en passe d’être certifié d’ici la fin d’année, et qu’il ait d’ores et déjà été choisi pour équiper le monomoteur Beechcraft Denali, a constitué un argument clé en matière de gestion des risques, alors que l’Ardiden 3TP de Safran, malgré son ascendance entièrement européenne, ne peut se targuer d’un tel état d’avancement. En outre, selon l’italien Avio Aero, le Catalyst serait 100% ITAR Free, ceci signifiant que l’ensemble de ses composants n’est pas soumis à la réglementation International Traffic in Arms Regulation, ou ITAR, qui permet potentiellement aux Etats-Unis de s’opposer, par exemple, à un contrat d’exportation. Malgré les arguments avancés par Airbus DS et Avio Aero, ce choix est hautement contestable, et ce bien au delà de la préférence nationale que l’on peut supposer pour un site d’information d’origine française.

BeechDenali Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
le Catalyst de GE a été

En premier lieu, la législation ITAR, et la liste des composants qu’elle contient, n’est en rien figée. Ainsi, lorsque la France avait voulu vendre de nouveaux Rafale à l’Egypte en 2018, Washington intégra à cette liste un composant utilisé par le missile de croisière SCALP de MBDA, empêchant l’exportation de missile jugé indispensable par Le Caire pour conclure le contrat. Il faudra attendre 3 ans, et un changement d’administration à la Maison Blanche, pour que le contrat entre Paris et Le Caire puisse être signé. En d’autres termes, la classification ITAR FREE n’a de valeur qu’à l’instant t, et ne préjuge en rien de sa réalité pour un programme qui n’entrera en service que d’ici 6 ou 7 années sauf à n’utiliser aucun composant américain, d’autant que les Etats-Unis n’hésitent pas à protéger activement certains aspects industriels de défense sur la scène internationale.

En second lieu, en ne choisissant pas le moteur de Safran, Airbus DS va à l’encontre d’un des aspects majeurs de l’investissement de défense en Europe, et en particulier en France, l’investissement à visé duale. En effet, pour des industriels comme Airbus, Thales, Safran ou Leonardo, les investissements des états européens dans les programmes de Recherche et de développement de Défense représentent un des rares moyens permettant aux européens de faire jeu égal avec les investissements pantagruéliques des Etats-Unis dans leur propre industrie, et ainsi de proposer des équipements à vocation duale, militaire mais également civile. C’est ainsi, notamment, que Sud Aviation devenue Eurocoptère puis Airbus Helicopters parvint à developper une gamme d’appareils et de savoir-faire à l’origine de son présent succès sur la scène internationale, sur la base d’appareils militaires commandés et financés par les armées françaises. En d’autres termes, en tournant le dos à Safran, Airbus DS limite les chances du seul motoriste aéronautique européen, Safran, de se positionner sur le marché des turbopropulseurs intermédiaires, aujourd’hui un marché aux mains presque exclusives des Etats-Unis, le PT-6 ayant été vendu à plus de 51.000 exemplaires.

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L’Ardiden TP3 de Safran est aujourd’hui la seule alternative européenne aux turbopropulseurs américains dans cette gamme de puissance.

De fait, l’arbitrage d’Airbus DS, même empaqueté dans des arguments acceptables de prime abord, n’est autre qu’une hérésie industrielle et technologique, et va à l’encontre de toute logique de coopération européenne performante. En poussant à l’extrême le raisonnement d’Airbus DS dans ce dossier, on pourrait décider de renoncer à developper le SCAF pour équiper les forces aériennes allemandes et françaises de F-35A, B et C assemblés en Italie, pour peu que les Etats-Unis s’engageaient à ne pas s’opposer aux exportations de ces appareils aujourd’hui, au prétexte que la prise de risque serait moindre, et que l’appareil est bel et bien assemblé en Europe. Dans ces conditions, et en l’absence de retombées industrielles et technologiques, il est probable que les armées françaises ont aujourd’hui plus intérêt à acquérir des drones MALE américains, moins chers et immédiatement disponibles, voire à collaborer avec les industriels US pour s’équiper des drones de nouvelle génération US qui arriveront précisément à la fin de la décennie, c’est à dire au moment ou l’Eurodrone doit entrer en service.

Le Socle Défense, la réponse aux contraintes françaises en matière de dépenses de Défense

En novembre 2018, suite à un article de Michel Cabirol pour le site economique La Tribune, le projet Socle Défense avait brièvement attiré une certaine attention médiatique et politique, au point de faire l’objet d’un sujet dans le 20h de France 2. Alors que la Revue Stratégique et la Loi de Programmation Militaire étaient en préparation, ce projet proposait de s’appuyer sur une nouvelle architecture de financement faisant appel à l’épargne et à un modèle de leasing des équipements de défense, permettant d’accroitre les investissements de défense au delà de 2,65% de PIB, seuil défini par le Socle Défense pour permettre à la France de faire face, à partir de 2022, aux menaces que représentaient alors la montée en puissance des armées russes et chinoises, et ainsi de jouer un rôle déterminant dans les crises militaires à venir, en Europe comme dans le Pacifique. Originalité majeure du projet, le recours à un modèle de leasing, tout en s’appuyant sur les bases de ce qui deviendra par la suite la doctrine economique Défense à Valorisation Positive, permettaient d’augmenter les dépenses de défense, en particulier en matière d’équipement, sans augmenter la pression fiscale et sociale et sans creuser la dette souveraine du pays, répondant ainsi aux principales objections avancées à un investissement plus massif dans la Défense nationale.

L’actualité récente, en Ukraine évidement, mais également dans le Pacifique, a montré que les analyses sécuritaires ayant formé la base du Socle Défense avaient été pertinentes, et les annonces partout en Europe concernant une augmentation rapide des budgets de défense pour contenir la menace russe tendent également à valider la réponse alors proposée. En France, toutefois, les annonces sont jusqu’ici pour le moins prudentes dans ce domaine, et pas uniquement en raison du contexte particulier lié à la campagne électorale présidentielle. En effet, en dépit d’un effort avéré ayant permis, aux cours des 5 dernières années, de ramener le budget des armées à un niveau d’équilibre permettant de moderniser progressivement celles-ci et de mettre fin à l’hémorragie capacitaire qui les touchaient, les capacités militaires et industrielles françaises restent sous-dimensionnées pour répondre au niveau de menace présent et à venir, alors que dans le même temps, les marges de manoeuvre budgétaires du pays ont été particulièrement érodées par les effets de la crise Covid et l’augmentation de la dette souveraine du pays. Dans ce contexte, même si de nombreux aspects ont évolué depuis 2017, les paradigmes présentés par le Socle Défense peuvent représenter une alternative pertinente pour répondre aux enjeux sécuritaires auxquels fait face le pays aujourd’hui sans nuire aux équilibres budgétaires et économiques du pays.

Des besoins accentués par la guerre en Ukraine

En à peine plus de 4 semaines de combat, la guerre en Ukraine a fait voler en éclat plusieurs des piliers conceptuels sur lesquels les armées françaises, et plus globalement européennes, sont construites. En effet, une armée composée à 70% de conscrits et de réservistes, en situation de faiblesse technologique relative, mais disposant d’un avantage numérique et d’un excellent moral, est parvenue à stopper la puissante armée russe est ses 120 bataillons professionnels, ce malgré une puissance de feu et un avantage technologique incontestable. Pour beaucoup d’officiers supérieurs et généraux occidentaux, il était impossible que l’Ukraine ne puisse résister plus que quelques jours, et même aujourd’hui sur les plateaux TV et lors d’interview dans la presse écrite, beaucoup refusent de croire que l’offensive russe pourrait venir à échouer. Le fait est, l’ensemble des paradigmes sur lesquels furent conçus la puissance militaire française sont mis à mal par le déroulé de cette guerre, qu’il s’agisse des limites de la puissance aérienne, de l’avantage supposé que représente la technologie sur le champs de bataille, ou encore du rôle de la masse, y compris face à des forces professionnelles et expérimentées.

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Les Armées russes ont subi de très lourdes pertes face aux défenseurs ukrainiens en dépit de leur avantage technologique et d’une professionnalisation supérieure de ses effectifs.

Il sera dès lors très probablement indispensable pour les armées française de reconsidérer leur format, tant en terme de personnels que de materiels, ce d’autant que les armées russes ont perdu, de manière documentée, une fois et demi le nombre de chars et de véhicules de combat d’infanterie dont dispose au total l’Armée de terre française en seulement 4 semaines de combat, et environ 50% des effectifs formant la Force Opérationnelle Terrestre. Même la composante de dissuasion française a été mise sous une pression extraordinaire, avec 3 des 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins à la mer simultanément, une posture que la Marine Nationale ne peut tenir sur la durée, pas plus qu’elle ne pourra maintenir son unique porte-avions en Méditerranée occidentale aux delà de quelques semaines, quelques mois au mieux. Or, la planification budgétaire telle que définie aujourd’hui et jusqu’en 2025, ne permettra nullement de répondre à ces besoins, même en tenant compte de la hausse planifiée du budget défense français de 3 Md€ par an au cours des deux années à venir.

En effet, viser un effort de défense de 2% du PIB, comme demandé par l’OTAN depuis 2014, n’est en rien suffisant pour la France. Ce seuil a été défini pour permettre aux pays de l’OTAN de fournir à l’alliance une force conventionnelle homogène et suffisante pour répondre à la menace russe telle que perçue à cette date. Or, contrairement aux autres pays européens hormis le Royaume-Unis, la France doit également financer une force de dissuasion autonome, celle-ci nécessitant un effort de défense équivalent à 0,5% de son PIB de manière linéarisé. En outre, elle dispose de la deuxième zone economique exclusive au monde, et 2,7 millions de français, l’équivalent de la population lituanienne, vivent dans les territoires ultra-marins français, nécessitant un effort supplémentaire de défense équivalent à 0,15% du PIB pour assurer cette mission spécifique qu’aucun autre pays européens ne partage. Au total, donc, le seuil minimal devant être visé par la France, afin de maintenir une dissuasion efficace, répondre aux besoins de défense ultra-marins, et de disposer d’une force militaire conventionnelle équivalente à celle de ses voisins européens au prorata de la puissance economique et démographique du pays, n’est pas de 2% du PIB, mais de 2,65% PIB.

Des contraintes plus fortes que jamais

Si la France et son économie ont plutôt bien traversé la crise Covid, cela s’est fait au détriment de la dette souveraine du pays, celle-ci atteignant désormais 115% du PIB national, et d’un déficit budgétaire très conséquent. Au delà des justifications apportées pour expliquer les arbitrages faits, il n’en demeure pas moins vrai que désormais, le pays voit ses marges de manoeuvre budgétaires très limitées, pour ne pas dire inexistantes, en dehors d’arbitrages menés à Bruxelles. En d’autres termes, et contrairement à l’Allemagne ou les Pays-Bas qui peuvent s’appuyer sur certaines flexibilité en matière d’endettement supplémentaire, la France ne peut, aujourd’hui, accroitre sensiblement son effort de défense sans contrevenir aux exigences européennes. En outre, la dynamique positive constatée à la sortie de la crise Covid, avec une croissance et une reprise de l’emploi très sensible dans le pays, sera sans le moindre doute handicapée par les conséquences de la crise Russe, en particulier concernant la hausse des prix de l’énergie, et plus globalement une inflation beaucoup plus forte que prévue. Or, si l’inflation est, du point de vue economique, un excellent moyen pour réduire le poids relatif d’une dette existante, elle constitue une entrave considérable pour les dettes à venir, et donc sur la capacité de la France à soutenir, par ce biais, un accroissement de son effort de défense.

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En 4 semaines de guerre, la Russie a perdu, de manière documentée, plus de 300 chars de combat, soit une fois et demi la dotation de toute l’armée française en terme de chars lourds Leclerc.

Au delà des contraintes purement budgétaires, la France, comme les Européens, doivent désormais faire face à une contrainte de temps particulièrement forte. En effet, l’assaut russe en Ukraine a montré qu’aujourd’hui le recours à la force militaire, y compris pour des états majeurs, n’est plus un tabou. Dans le même temps, la posture des occidentaux dans ce conflit peut renforcer la confiance de certains chefs d’état quant à la frilosité de ceux-ci à s’engager aux cotés de leurs alliés en cas de conflit, comme ce pourrait être le cas si Pékin venait à tenter de s’emparer militairement de Taïwan. De fait, les occidentaux en général, et la France en particulier, doivent désormais adapter leur outil militaire sur des délais particulièrement courts, tant pour être en mesure de répondre au défi posé par la Chine dans le Pacifique et l’Océan Indien d’ici 5 ans, que pour faire face à une armée russe qui aura pansé ses plaies et reconstitué ses forces suite à la campagne ukrainienne d’ici 8 à 10 ans. En d’autres termes, plus que jamais, 2030 apparait comme une contrainte échéance pour la sécurité en Europe et dans le Monde.

Une équation budgétaire impossible ?

De fait, pour répondre aux besoins tels qu’identifiés ici, la France devrait être en mesure de faire croitre ses dépenses de défense à 2,65% de son PIB dans les 3 ou 4 années à venir, soit 75 Md€ (en euro constants 2022), puis de maintenir cet effort à ce niveau avec la progression du PIB, de sorte à disposer, en 2030, des moyens nécessaires pour répondre aux enjeux sécuritaires à venir, soit une hausse des dépenses de 120 Md€ sur les 8 années à venir, et ce sans avoir recours à des hausses d’impôts, sans faire croitre les déficits publics ni accroitre la dette souveraine, et dans un contexte economique international probablement défavorable, limitant la croissance economique et donc les recettes supplémentaires pour l’Etat qui pourraient en résulter. Présentée ainsi, l’équation paraît impossible à résoudre, si ce n’est en alignant des recettes supplémentaires improbables, n’ayant de matérialité que dans les programmes politiques de certains candidats, mais qui s’évaporeront dès lors qu’ils seront confrontés à la réalité sociale et economique du pays. C’est pourtant précisément la promesse faite par le projet Socle Défense !

Le Socle Défense

Le Projet Socle Défense repose sur une architecture de services et de politiques publiques visant précisément à répondre à cette problématique, dans toute sa complexité. Celui-ci repose sur une entreprise financière dédiée au financement des équipements de défense, pour les armées françaises comme pour l’exportation, sous la forme de contrats de leasing respectant les contraintes imposées par Bruxelles pour que cet investissement ne soit pas, à proprement parler, un crédit déguisé, et donc intégré à la dette souveraine. Pour cela, les contrats de leasing des équipements de défense doivent respecter certaines obligations, comme un financement ne dépassant pas 75% de la valeur de l’équipement, une valeur résiduelle non nulle, et la possibilité pour le client de rompre le contrat à tout moment avec ou sans restitution, à l’instar des contrats de leasing largement usités aujourd’hui par les entreprises pour le matériel informatique ou les flottes de véhicules. Au delà de ces contraintes européennes, l’offre se doit également d’apporter des aspects spécifiques aux besoins des armées, comme la possibilité d’employer l’équipement en mission de combat (cela semble évident mais la majorité des contrats de leasing de materiels miltaires aujourd’hui l’interdit), une gestion spécifique de l’attrition transformant la valeur résiduelle à l’instant de la destruction en dette d’état, et la possibilité pour les armées de procéder à des modernisations des équipements dans le temps.

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Le Socle Défense permet également d’apporter des solutions de financement adaptées aux besoins d’autres pays européens, eux aussi sous contraintes fortes en matière d’investissement de défense, comme la Grèce.

Les fonds permettant de financer ces acquisitions seraient pour partie fournis par un produit d’épargne conçu spécifiquement pour cette fonction, et adapté aux fonctionnements spécifiques de ce type de modèle, ceci permettant d’éliminer les réticences du secteur bancaire et financier quant au soutien secondaire à cet investissement permettant, entre autre, de diminuer le cout de l’argent collecté et emprunté par la structure bancaire. Un tel produit d’épargne permettrait également d’accentuer l’inter-pénétration entre les armées, l’industrie de défense et la société civile, un besoin déterminant alors que des enjeux de recrutement importants émergeront immanquablement rapidement, pour répondre à l’augmentation des effectifs nécessaire. L’activité de la structure financière est, quant à elle, optimisée pour soutenir l’efficacité économique, sociale et budgétaire du projet, notamment en investissant non seulement dans les programmes d’équipement, mais également dans les programmes de R&D Défense, et en fournissant un service bancaire adapté aux besoins des entreprises de défense, qui peinent à trouver des partenaires bancaires depuis plusieurs années. Enfin, l’ensemble de l’écosystème ainsi généré doit être piloté par une action publique et une législation adaptée, notamment afin de transformer l’effort industriel et défense ainsi financé en outil d’aménagement du territoire, de formation et d’emploi, mais également pour favoriser les exportations d’équipement de défense, et la coopération intra-européenne.

Les avantages du Socle Défense

Au delà des avantages déjà cités sur la dette souveraine, le Socle Défense offre d’autres avantages structurels plus que significatifs, en particulier dans le présent contexte socio-économique et politique en France et en Europe. Plus spécifiquement, ces avantages sont aux nombres de 3 : La Défense à Valorisation positive, le tampon budgétaire et le Cycle Défense.

La Défense à Valorisation Positive a été maintes fois abordée dans nos articles. Il s’agit d’une analyse économique basée sur l’efficacité relative de l’effort de défense pour les finances publiques françaises, de sorte à définir les équilibres optimums et les seuils efficaces d’investissement dans ces domaines. D’un point de vue synthétique, cette approche montre que l’investissement industriel de défense en France génère un retour budgétaire pour l’Etat de 65% des sommes investies, tout en créant 25 emplois par million d’euro investis annuellement. En tenant compte des exportations, ces valeurs croissent à hauteur de 105% pour le retour budgétaire, et à 37 emplois par million d’euro investis par la France dans cette industrie. En outre, les 37 emplois ainsi créés, permettent à l’Etat d’économiser 500.000 euros par an de prestations sociales, amenant, conceptuellement, le retour budgétaire à 155%. Lorsque l’état investit dans ses dépenses de personnels civils et militaires pour les armées, le retour budgétaire est ramené à 50% et à 15 emplois par m€, alors que les investissements en matière d’infrastructures et de service génèrent un retour de 65% au budget de l’état, 100% en tenant compte des économies sociales.

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L’investissement de l’Etat dans l’industrie de défense offre un retour budgétaire et social très performant, du fait de la très faible exposition de cette industrie aux importations dans la Supply Chain.

De fait, en accroissant significativement l’investissement industriel de défense au travers du Socle Défense, l’Etat va générer un retour budgétaire immédiat de 65% des sommes investies, et de 100% à terme, alors même que lui n’aura à payer que de manière progressive l’empilement des annuités : 10% des sommes investies l’année 1, 17% l’année 2, 24% l’année 3 etc…C’est la notion de Tampon Budgétaire, comparable à celui fourni par de la dette souveraine, tout en n’étant pas, précisément, considéré comme de la dette souveraine. En d’autres termes, si l’Etat venait à accroitre ses investissements industriels de défense de 10 Md€ par an par l’intermédiaire du Socle Défense, il créerait 250.000 emplois dont 100.000 emplois industriels, et augmenterait ses recettes budgétaires de 6,5 Md€ tout en économisant 3,5 Md€ par an de prestations sociales. A terme, une fois la dynamique exportation lancée, ce seront 370.000 emplois et 10,5 Md€ de recettes supplémentaires pour l’Etat qui seront atteints, alors que les économies sociales atteindront 5 Md€ par an.

Le troisième avantage constitutif du Socle Défense repose sur la sortie de leasing, et les opportunités fournies par les exportations de materiels de défense d’occasion. En effet, sur la base d’une valeur résiduelle de 15%, les materiels pourraient être proposés à des tarifs particulièrement attractifs sur la scène internationale de l’occasion. Les Armées françaises pourraient évidement acquérir ces materiels à bas prix. Toutefois, en tenant compte des conséquences de La Défense à Valorisation Positive, il apparait qu’il serait économiquement, socialement et même du point de vue opérationnel, bien plus efficace de les proposer sur la scène export, selon un modèle appelé Cycle Défense. En effet, les couts de possession d’un équipement militaire tendent à croitre de manière non linéaire avec l’âge, notamment du fait des couts de modernisation et de maintien des capacités industrielles de maintenance pour des materiels n’étant plus produits. En outre, si les materiels venaient à être systématiquement remplacés par des materiels neufs au bout de 15 ou 18 ans selon la durée du leasing, il serait possible de créer une planification industrielle à la fois performante, optimisée et sécurisée, permettant de réduire les couts d’acquisition et de possession, et donc la performance des équipements sur la scène export.

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Les Gazelle de l’Alat coutent aujourd’hui presque aussi cher à entretenir chaque année qu’elles n’avaient couté à acquérir il y a 30 ans.

Rappelons également que, par exemple, un Rafale exporté rapporte 3 à 4 m€ à l’industrie aéronautique française chaque année, soit l’équivalent de son prix d’achat au bout de 20 années, ceci constituant un apport récurent important pour l’activité es industries défense françaises, donc pour l’emploi et les recettes budgétaires de l’Etat. Enfin, et c’est loin d’être négligeable, le Cycle Défense favorise des cycles générationnels plus courts concernant les équipements de défense, réduisant les risques et les surcouts des programmes industriels tout en fournissant des materiels plus performants, conformément à ce que Will Roper avait étudié alors qu’il dirigeait les acquisitions de l’US Air Force et présidait au programme NGAD. Associé à la Defense à Valorisation Positive et au Tampon Budgétaire, le Cycle Défense constitue, dans le cadre du Socle Défense, un formidable outil de planification et d’optimisation tant en matière de politique opérationnelle qu’industrielle.

Comment lever les réticences ?

A ce niveau de lecture, le lecteur que vous êtes doit arriver à une conclusion sous forme de question  » Si le Socle Défense offre de tels avantages, pourquoi n’a-t-il pas été retenu il y a 5 ans de cela ?« . Et en effet, des réticences importantes s’étaient dressées contre le programme lorsque celui-ci fut dévoilé. Au delà de ceux qui balayèrent les propositions dans les avoir étudiés de prés avec un « Si c’était possible cela ce saurait« , qui représentent malheureusement la majorité des oppositions, certaines furent plus structurées et pertinentes. En premier lieu, pour le Ministère des Armées, la question du cout budgétaire final posait problème. En effet, en passant par un produit d’épargne rémunéré, et une solution de leasing, les taux d’interêts effectifs proposés dépassaient ceux auxquels l’Etat français pouvait emprunter sur les marchés. En d’autres termes, pourquoi fallait il monter un programme de financement à 1,5% ou 2% là ou l’Etat pouvait emprunter à 0,5% ? Si cette opposition était, d’une certaine manière, parfaitement justifiée, elle était également biaisée. En effet, pour le MINARM, la trajectoire définie par le président Macron et qui sera effectivement mise en application lors de la LPM répondait aux besoins sécuritaires tels que perçus en 2017.

Un E2 C Hawkeye pret a etre catapulter sur le pont du Porte avions nucleaire francais Charles de Gaulle Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense

D’ailleurs, la Revue Stratégique de 2017 minimisait considérablement les risques de conflit majeur à moyen terme, et la Russie n’était pas considérée comme une menace potentielle nécessitant une réponse rapide. De fait, la nécessité ne s’imposait pas dans l’analyse du Minarm de 2017, contrairement à ce qui était avancé dans le programme. Au final, nous avions malheurseument raison, mais c’est un autre débat. En second lieu, du fait de ce paradigme sécuritaire, il n’y avait aucune urgence à augmenter les dépenses de défense au delà de ce que le Budget de l’Etat et le programme du président Macron ne le prévoyait, et donc, effectivement, aucun intérêt perçu à mettre en oeuvre une solution « complexe » pour permettre d’accroitre ces dépenses sans créer de dette souveraine. Enfin, et c’est humain, l’équipe dirigeante qui venait d’arriver au pouvoir n’avait nullement l’envie de considérer une autre stratégie budgétaire que celle définie lors de la campagne électorale.

Du point de vue des députés et sénateurs, l’accueil du Socle Défense ne fut guère meilleur. Outre les nouveaux parlementaires de la République En Marche qui n’avaient pas vraiment l’antériorité pour s’emparer d’un tel sujet, les plus âgés y voyaient une hérésie structurelle, puisque la propriété des équipements de défense devait, dans leur conception, être réservée à l’Etat, et à l’Etat seul. En d’autres termes, il y avait, dans ce projet, une menace perçue contre le pouvoir régalien lui-même, et l’indépendance des armées et de l’Etat dans sa politique de défense. Il s’agissait, en réalité, d’un jugement aussi superficiel que non pertinent, puisque d’une part la structure porteuse est elle même une structure en partenariat Public-Privé afin de respecter les contraintes européennes, mais que contractuellement, si la nue propriété des équipements est effectivement détenue par la société, celle-ci n’a aucune compétence pour en dicter l’utilisation potentielle à ses utilisateurs.

Le dernier point de reserve fut, quant à lui, relevé par les militaires eux-mêmes, en lien avec la nature même du contrat de leasing et de ses contraintes. En effet, celles-ci craignaient de voir des contraintes importantes liées au besoin d’assurance des équipements, comme elles doivent en souscrire par exemple pour les materiels loués actuellement (hélicoptères notamment), et par voie de conséquence, des surcouts importants concernant ces frais, et l’impossibilité d’engager les materiels en situation de combat. En outre, les miltaires craignaient de ne pouvoir faire évoluer les équipements dans la durée, là encore comme c’est aujourd’hui le cas pour les équipements loués, de sorte à ne pas perturber la validité des assurances. Ce point avait fait l’objet d’une attention particulière sur les clauses contractuelles de location, ayant permis de définir par exemple la transformation de la location en dette pour l’état à cout équivalent (mais intégré dans la dette souveraine) en cas d’attrition. En cas de guerre majeure et d’attrition importante, la structure bancaire pourrait à ce titre accroitre son appel à l’épargne pour financer cette attrition et son remplacement par des produits d’épargne de type bond de guerre.

Conclusion

On le voit, le Socle Défense apporte de nombreuses réponses aux enjeux et contraintes s’appliquant au pilotage de l’effort de défense en France, la plus significative étant de permettre d’augmenter très rapidement les dépenses défense tout en ayant une progression linéaire de l’effort de défense lui-même, et ce sans recourir à de la dette souveraine. Alors que désormais, le risque que représente la Russie, et par transitivité la Chine mais aussi l’Iran, est bien mieux perçue de l’opinion publique et de la classe politique, on se doit de se demander si, objectivement, il existe aujourd’hui un autre modèle permettant de résoudre l’impossible équation de l’augmentation de l’effort de défense imposée par la situation internationale, face aux fortes contraintes sur le budget de l’Etat et sa dette souveraine ? En d’autres termes, peut-on se satisfaire aujourd’hui de promesses de hausse de budget, quelle qu’en soit la source, sur des bases budgétaires contestables comme la lutte contre la corruption ou la fraude fiscale, alors que ce type de recettes exceptionnelles fut précisément à l’origine de grandes désillusions pour les armées dans les années 2010. A l’inverse, peut-on se satisfaire d’un programme n’affichant aucune ambition ni aucune solution autre que le respect de la trajectoire actuelle, alors même que notre voisin allemand, lui, va considérablement accroitre ses propres dépenses ?

Une chose est certaine, aujourd’hui, aucune solution viable et suffisante n’a été mise sur la table pour répondre à ceux enjeux sécuritaires par aucun des candidats à l’élection présidentielle. Les militaires, quant à eux, n’ont guère voix au chapitre, et surtout ont des problématiques à court terme bien pressantes à gérer, ne laissant que peu de latitude pour s’engager dans des modèles alternatifs. Quant aux industriels, un temps volontaristes pour aider à concevoir ce type de modèle, ils sont désormais en situation d’attente, refroidis par l’échec des sociétés de projet pour lesquels ils avaient été financièrement sollicités, et devant faire face à des tensions avec le Ministère des Armées et l’Elysée au sujet de certains programmes. En d’autres termes, en dépit de ses avantages, il n’existe aujourd’hui aucun bras de levier suffisamment puissant pour amener ces modèles de financement innovants sur le devant de la scène politique et médiatique, seule possibilité pour en faire un enjeu électoral et de gouvernance, et donc susciter l’intérêt des dirigeants, à moins que certaines personnes d’influence ne viennent effectivement à s’en saisir et à s’en faire le porte-voix…

Les forces ukrainiennes ont coulé un navire d’assaut russe dans le port de Berdyansk

Depuis quelques jours, les forces armées ukrainiennes remportent certains succès, en repoussant les armées russes à plus de 30 km de Kyiv à l’est de la ville au de la de Bovary, alors que les forces ukrainiennes ont entamé une manoeuvre pour tenter d’encercler, ou tout au moins de couper les lignes logistiques, des forces russes à l’ouest de la ville. D’autres contre offensives ukrainiennes dans le nord du pays, mais également dans le sud autour de la ville de Mykolaiev, obtiennent également certains résultats, sans pour autant se montrer décisives. Mais aujourd’hui, l’Ukraine a réussi une attaque qui, par son audace mais également sa dimension symbolique et ses conséquences opérationnelles, marquera profondément cette guerre. En effet, à 7:45 ce matin, un missile balistique ukrainien Tochka-U a frappé le port de Berdyansk, coulant l’un des plus imposants bâtiments de la Marine Russe positionné en Mer Noire, le navire d’assaut Orsk de presque 5000 tonnes de la classe Alligator, et endommageant deux autres transports de chars de 4.000 tonnes de la classe Ropoucha, forçant les deux bâtiments survivants à quitter le port.

A l’exception du croiseur Moskva de la classe Slava, les deux Landing Ship Tank, ou Navire de débarquement de chars de la classe Saratov, également désignés Projet 1171 Alligator, sont les deux plus imposants bâtiments de cette flotte, et s’ils sont entrés en service à la fin des années 60, ils continuent de représenter des outils d’importance pour la puissance navale russe dans la region, en assurant notamment d’importantes missions de soutien logistique. C’est précisément pour cela que le Orsk, comme les LST Caesar Kunikov et Novocherkassk, avaient rejoint le port de Berdyansk en Mer d’Azov récemment capturé par les forces russes en route pour Marioupol, les autorités russes ayant même pris la liberté de publier des photos sur les reseaux sociaux pour montrer l’arrivée de ces navires, et les opérations de déchargement, sans imaginer que les forces ukrainiennes pourraient les prendre pour cible à l’aide d’un missile balistique.

Tsezar Kunikov LST Ropucha Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
le LST Caesar Kunikov a été endommagé par la frappe ukrainienne, mais est parvenu à rejoindre à quitter le port de Berdyansk avec son sister-ship le Novocherkassk

Il est vrai que les ukrainiens ont probablement, avec cette frappe, bénéficié d’un alignement exceptionnel des planètes. En effet, le missile balistique Toshka-U qui aurait été utilisé dispose d’une portée de 180 km, alors que la bande de terre controlée par les forces russes dans le sud du pays le long de la cote de la mer d’Azov, s’étendent déjà sur plusieurs dizaines de kilomètres, et que la zone se situant entre les forces russes ayant mené l’offensive jusqu’à Zaporijjia à l’ouest, et la zone controlée par les armées de Donetsk à l’est, est à la foi relativement étroite et, on aurait pu le penser, particulièrement surveillée par les moyens aériens russes. Non seulement les forces ukrainiennes sont-elles parvenues à positionner leur Transporteur Érecteur Lanceur ou TEL du missile Tochka-U à portée de Berdyansk sans se faire repérer, mais le missile lui-même a eu une précision remarquable pour réussir à couler l’Orsk et à endommager les Caesar Kunikov et Novocherkassk en une seule frappe, sachant que le missile n’emporte qu’une charge militaire de 120 kg, et que sa précision n’est que de 90 mètres.

A noter que selon certaines sources, la précision des missiles Tochka-U ukrainien devait être améliorée avec l’arrivée des drones de combat turcs TB2 Bayraktar, mais rien n’indique qu’aujourd’hui un tel dispositif ait été employé, ni même que les armées ukrainiennes aient eut le temps de mettre en place cette technologie avant le début des combats. Enfin, on eut pu penser que les russes auraient déployé des moyens anti-aériens et anti-missiles pour protéger la manoeuvre navale évidement particulièrement vulnérable à Berdyansk, avec 3 de ses 6 navires d’assaut présent simultanément à quai et, de toute évidence, à portée des armes ukrainiennes. Force est de constater que soit ces unités n’avaient pas été déployées, soit ne sont-elles pas parvenues à repousser le missile balistique. Rappelons qu’en début de conflit, la base aérienne de Rostov sur le Don en Russie avait également été frappée par un missile Tochka-U ukrainien lancé depuis les territoires du Donbass controlés par l’armée ukrainienne, endommageant 2 avions de combat Su-30SM au sol, là encore sans opposition de la défense anti-missile russe et notamment de ses puissants systèmes S-400.

Tochka U Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Le missile balistique Tochka a été conçu à la fin des années 60, et peut emporter une charge militaire de 120 kg mais également une charge nucléaire tactique. Les missiles en service en Ukraine ne disposent que de charges conventionnelles.

Non seulement les ukrainiens sont-ils parvenus à frapper au coeur du dispositif logistique russe mais, en coulant l’Orsk, ils se sont arrogés une première mondiale, puisqu’il s’agit de la première fois qu’un missile balistique coule un navire de guerre dans l’histoire. Plus encore, Ils ont obligé les navires russes à quitter Berdyansk pour retrouver la protection de la Mer ou du port de Sevastopol, hors de portée des missiles ukrainiens. Ainsi, les ukrainiens sont parvenus désormais à faire planer sur la flotte russe une menace très contraignante, en particulier si elle venait à tenter une manoeuvre amphibie en zone contestée, comme à Odessa, et ce bien que l’Ukraine ne dispose, à ce jour, d’aucun système anti-navire de type défense côtière. En effet, contraire aux navires amphibies occidentaux comme les LHD de la classe Wasp de l’US Navy, ou les porte-hélicoptères d’assaut de la classe Mistral français, qui mènent leurs assauts amphibies depuis la mer en utilisant des barges, aéroglisseurs et des hélicoptères tout en restant à distance de sécurité, les LST russes, notamment les 3 Ropucha et l’Alligator restant en Mer Noire, doivent pour leur part plager, c’est à dire atteindre le trait de côte pour débarquer leurs forces amphibies, les rendant potentiellement très vulnérables à ce type de frappe, mais aussi à des frappes d’artillerie plus conventionnelles.

Reste à savoir quel sera la réponse de Moscou à une telle humiliation, l’Orsk étant le plus imposant navire de guerre coulé au combat dans le monde depuis le croiseur général Belgrano en 1982 lors de la guerre des Malouines, d’autant que désormais, la Marine Russe ne peut pas davantage que les forces aériennes et terrestres, se targuer d’une forme de controle absolu. A l’instar de l’utilisation de ses forces anti-aériennes pour protéger les missions de ses propres forces aériennes, ou de celle des systèmes d’artillerie dans des raids visant à décapiter ou sidérer les forces russes, cette opération basée sur un missile Toshka-U d’une génération antérieure à celle des Iskander-m employés par la Russie, démontre une efficacité remarquable des unités ukrainiennes mais également de leur commandement, alors même que ces forces ne sont professionnalisées qu’à hauteur de 35%, la moitié du taux de professionnalisation des armées russes, et qu’elles reposent avant tout sur des conscrits et réservistes, souvent considérés peu efficaces pour mener des opérations militaires modernes complexes par les stratèges modernes. Nul doute que dans ce domaine, comme dans de nombreux autres, cette guerre en Ukraine et la résistance extraordinaire menée par les Ukrainiens, amèneront à reconsidérer certains paradigmes au coeur des efforts de défense occidentaux, en particulier pour ce qui concerne la faible efficacité supposée des unités de réservistes.

L’Allemagne peut-elle devenir le pilier de la Défense européenne en devenir ?

L’agression russe contre l’Ukraine a fait voler en éclat de nombreuses certitudes en Europe concernant la réalité sécuritaire du vieux continent. Le pays qui est aujourd’hui le plus sévèrement touché par ces changements n’est autre que celui qui annonça dès le 27 février, 4 jours à peine après le début de l’offensive russe, le changement le plus radicale de sa propre politique, abandonnant 30 années de Soft-Power et d’OstPolitik pour des mesures spectaculaires afin de moderniser et renforcer ses forces armées, avec une enveloppe immédiate de 100 Md€ et un budget annuel qui sera amené au delà des 2% de PIB réclame par l’OTAN depuis 2014, contre 1,53% aujourd’hui. Si Berlin reste encore très dépendant économiquement parlant de Moscou, en particulier concernant son approvisionnement énergétique, ce basculement radical en matière d’effort de défense va profondément bouleverser la carte géopolitique en Europe, plaçant Berlin au sommet de la pyramide défense en Europe en matière d’investissements. Pour autant, l’Allemagne va-t-elle devenir le pilier de la nouvelle defense européenne qui se dessine, comme elle l’est déjà pour l’économie ?

Il faut dire qu’en matière de défense, l’Allemagne vient de loin. Même si ses dépenses annuelles dans ce domaine égalent et même dépassent en montant ceux de la France, les Armées allemandes ont souffert pendant prés de 30 années d’une politique défense à la limite de la démagogie, érodant considérablement ses capacités opérationnelles. Ainsi, en dépit d’une force aérienne de plus de 200 avions de combat Typhoon et Tornado, la Luftwaffe peine à aligner plus d’un escadron complet prêt au combat dans un délais de moins de 1 mois. Il en va de même de sa flotte de combat, ayant même enregistré il y a 4 ans une disponibilité nulle de ses 6 sous-marins Type 212, et de seulement un tiers de ses forces mécanisées, avec une disponibilité effective à peine égale à celle d’un bataillon pour un parc de chars leopard 2 de 359 exemplaires. De fait, au premier jour de la guerre en Ukraine, le chef d’état-major de la Bundeswehr, le Lieutenant General Alfons Mais, fit un constat sans appel « la Bundeswehr, que j’ai l’honneur de commander, reste aujourd’hui avec les mains presque vides, et des réponses très limitées aux besoins de l’alliance (atlantique) ».

Type212 allemagne Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
en juin 2018, moins d’un tiers des equipments majeurs des armées allemandes étaient effectivement opérationnels, et ses 6 sous-marins Type 212 étaient indisponibles.

Au cours des 30 années qui ont suivi la chute du Mur de Berlin et la réunification des deux Allemagnes, les armées allemandes sont devenues une formidable structure pour dépenser les crédits publics de manière inefficace, pour l’essentiel en raison d’une classe politique et d’une opinion publique déconnectées de leurs propres besoins de défense. Ainsi, les nouvelles frégates de la marine allemande sont à ce point faiblement armées que les navires français font offices d’arsenaux flottants en comparaison (sarcasme!), Berlin estimant jusqu’il y a quelques mois que leur fonction se limitera à des missions de faible intensité notamment en Méditerranée et le long des cotes africaines. De même, il est apparu lors de l’intervention européenne au dessus de la Syrie, que les Tornado allemands n’étaient plus capables de mener des opérations de nuit en raison d’un éclairage défectueux du cockpit. Sur la scène politico-publique, la question de savoir si les drones MALE devaient ou non être armés, et même si Berlin pouvait participer à un programme européen de drones potentiellement armés, fut un des grands sujets de la dernière campagne électorale. Enfin, du fait de son format réduit et de ses difficultés à recruter, la Bundeswehr est devenue l’armée occidentale dépensant chaque année le plus par militaire, en partie en raison d’un recours excessif à des sous-traitants privés à tous les échelons opérationnels. De fait, aujourd’hui, les Armées allemandes font effectivement face à d’immenses défis en matière de disponibilité et d’obsolescence de ses équipements, mais également en matière de format, et surtout de modèle structurel, pour espérer lui redonner des capacités militaires en cohérence avec le rang economique du pays en Europe et dans le Monde.

Pour y parvenir, l’Allemagne pourra s’appuyer sur 3 atouts. Le premier, et le plus improbable il y a encore quelques semaines, est incontestablement le retournement de l’opinion publique allemande dans ce domaine, qui en seulement quelques jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, a fait table rase de 5 décennies de pulsions pacifistes et anti-militaristes. Ainsi, en 2019, seuls 43% des allemands estimaient que le pays devait augmenter ses dépenses de défense pour atteindre les 2% de PIB réclamés par l’OTAN, alors qu’ils sont désormais 78% à soutenir les annonces faites par Olaf Scholz pour augmenter amener le budget de La Défense allemand au delà de 2%. Le second atout n’est autre que la très bonne tenue de l’economie allemande et de ses finances publiques, permettant effectivement aux autorités d’engager d’importantes réformes sans menacer la stabilité budgétaire et economique du pays, et surtout sans avoir à demander à Bruxelles certaines dérogations pour pouvoir dépasser le plafond européen en matière de déficit public. Enfin, le troisième atout est, quant à lui, conjoncturel. En effet, les lourdes pertes subies par les armées russes en Ukraine, et l’enlisement probable de celles-ci face aux défenses ukrainiennes, éloignent le caractère d’urgence qui pouvait exister en amont de cette guerre. Il faudra ainsi plusieurs années aux armées russes pour retrouver des capacités opérationnelles conventionnelles suffisantes pour venir à représenter une menace pour l’Europe Occidentale, offrant à Berlin un répit inespéré pour re-articuler et ré-organiser à la fois son effort de défense et ses armées.

Sholz Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
L’annonce du chancelier Scholz pour augmenter les moyens des armées allemandes fut un des moments marquant du début de la guerre russo-ukrainienne.

Le basculement allemand a, en outre, rapidement fait des émules en Europe, et de nombreux pays ont, eux aussi, annoncé des augmentations significatives de leurs propres efforts de defense. Ainsi, la Pologne, pourtant un des bons élèves de l’OTAN et client parmi les plus fidèle de l’industrie de défense US, amènera son effort de defense à 3% de son PIB, contre 2,1% aujourd’hui. La Roumanie, qui dépense 2% de son PIB pour sa défense, fera progresser son effort à 2,5%. L’Italie, qui comme l’Allemagne avait prévenu qu’elle n’atteindra les 2% en 2025, et qui ne defense que 1,4% aujourd’hui, prévoit d’y parvenir « le plus vite possible », tout comme les Pays-Bas et la Suède. Même la Belgique, l’un des pays les plus réfractaires à l’effort de défense, promet de faire passer ses investissements de défense à 1,54% de son PIB en 2030, contre 0,9% aujourd’hui. Au final, l’effort de défense européen, qui aujourd’hui n’atteint que 1,2% du PIB de l’UE, atteindra selon toute probabilité les 1,8% en 2030, soit une hausse de 50% comparable à celle promise par Berlin.

Pour autant, si ces trajectoires sont respectées, Berlin verra son poids relatif dans les dépenses de defense européennes passer de 22% aujourd’hui, à prés de 30% en 2030, de sorte à revendiquer de fait une position centrale dans l’organisation de La Défense européenne en devenir. Outre son budget qui dépassera les 75 Md€ par an en 2030, Berlin pourra également s’appuyer sur une posture euro-atlantique bien plus en adéquation avec les attentes des pays européens que la vision proposée par Paris depuis plusieurs années, et perçue à défaut comme pan-européenne et franco-centrée par nombre de chancelleries. Sa géographie au coeur de l’Europe, et sa proximité avec les frontières orientales de l’Union, joueront également en faveur de ce rôle. Enfin, en annonçant l’achat prochain de F-35A américains, Berlin rejoint le bloc européen des utilisateurs présents et à venir de cet appareil, là encore au plus grand plaisir d’autres pays européens déjà clients de l’avion de Lockheed-Martin, tout en maintenant sa position dans la posture de partage nucléaire de l’OTAN.

f 35 B 61 Mod12 Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Berlin a annoncé commander 35 F-35A pour assurer la mission de partage Nucléaire de l’OTAN et mettre en oeuvre la nouvelle bombe nucléaire US B-61Mod12.

De fait, Berlin semble avoir de nombreuses cartes en main pour s’imposer au coeur de la nouvelle défense européenne. Mais pour y parvenir, l’Allemagne va devoir faire face à des défis d’une grande ampleur, et de nombreuses difficultés. Pour réclamer ce statut, les armées allemandes vont en effet devoir être en mesure de transposer cette suprématie budgétaire en moyens opérationnels, et de se montrer être capables de déployer sur des délais courts des forces significatives et opérationnelles en soutien de ses voisins le cas échéant. Ce ne sont pas les milliard d’euro qui dissuaderont Moscou, mais bel et bien des blindés, des avions de combat, des navires et des hommes, ceci nécessitant une réorganisation en profondeur des armées allemandes pour y parvenir, et ce dans un relais relativement court alors que Moscou concentrera très probablement désormais ses moyens dans la reconstruction et la modernisation de ses armées. En outre, la classe politique et l’opinion publique allemande ont montré ces dernières années une versatilité conditionnée par l’actualité, sans pour autant anticiper les conséquences des arbitrages faits sous l’émotion du moment. L’abandon du programme nucléaire civil allemand suite à la catastrophe de Fukushima, qui créa l’immense dépendance du pays aux énergies fossiles russes, en est la parfaite illustration, tout comme les annonces non suivies d’effets suite à la chute de Kaboul.

D’autre part, les difficultés structurelles auxquelles font face aujourd’hui les armées allemandes ne vont pas se dissiper avec l’augmentation des budgets. Ainsi, celles-ci peinent à maintenir leurs effectifs actuels, alors même que les conditions proposées aux militaires allemandes sont les plus favorables de toute l’Union européenne, ce qui handicapera incontestablement la montée en puissance espérée, d’autant qu’il sera également probablement nécessaire de réduire la dépendance aux prestataires de service et pseudo-sociétés militaires privées qui, aujourd’hui, entravent lourdement la réalité opérationnelle allemande. Enfin, l’administration politique allemande a montré, ces dernières années, toute son inefficacité pour répondre à des besoins urgents, et la transformation radicale des armées ne pourra être effective qu’accompagnée d’une évolution toute aussi radicale de son pilotage politique et législatif, avec un lâcher-prise indispensable qu’il sera probablement très difficile à faire admettre aux députés allemands du Bundestag, habitués à une forme de micro-management au coeur des défaillances actuelles.

Leopard 2 A7 KMW 001 Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
La Bundeswehr dispose aujourd’hui de plus de 350 chars lourds Leopard 2, dont une trentaine pourront recevoir le système de protection actif israélien Trophy.

Enfin, dans ce paysage, deux pays européens disposant des forces armées les plus puissantes du vieux continent, sont restés particulièrement discrets sur ces questions depuis le début de la guerre en Ukraine. En effet, ni la Grande-Bretagne, ni la France n’ont pour l’heure annoncé de modification de leurs politiques de défense en réponse à l’attaque russe ou à l’annonce faite par l’Allemagne. Or, depuis 70 ans, ces 3 pays ont toujours maintenu une certaine forme d’équilibre en matière de dépenses de défense, et il est peu probable que Paris comme Londres ne laissent Berlin prendre une telle position dominante sur le vieux continent. Par ailleurs, ces deux pays, qui disposent tous deux d’une dissuasion nucléaire autonome et d’un Siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unis, mettent déjà en oeuvre une planification défense intégrant l’augmentation planifiée des moyens de manière progressive entamée depuis plusieurs années. Il est dès lors probable que Paris et Londres prendront le temps d’analyser les conséquences sécuritaires et opérationnelles de la guerre en Ukraine avant d’entamer une altération de leurs trajectoires actuelles, même si celle-ci est plus que probable à relativement court terme.

De toute évidence, l’Allemagne a donc de sérieux atouts pour s’imposer en Europe en matière de défense comme elle le fit du point de vue economique. Mais les défis à relever pour y parvenir, au delà de l’augmentation des dépenses, sont très importants, et Berlin va devoir entamer de profondes mutations pour transformer ces crédits supplémentaires en capacités militaires susceptibles de rassurer ses voisins. Par ailleurs, la France comme la Grande-Bretagne auront probablement, elles-aussi, l’ambition de profiter de la présente dynamique pour prendre une position centrale dans la nouvelle organisation de La Défense européenne qui se dessine, d’autant qu’avec de telles hausses de moyens, il est probable que d’ici une décennie, la protection US sera beaucoup moins perçue comme le ciment de celle-ci, tout au moins au delà de l’aspect purement stratégique. La question est désormais de savoir à quel point la détermination affichée par les autorités allemandes aujourd’hui perdurera au delà de la présente immédiateté de la guerre, et si sa classe politique comme son opinion publique auront la volonté d’assumer les changements indispensables pour redonner aux armées allemandes des capacités militaires cohérentes avec un tel niveau d’investissement.

Face à la Marine chinoise, l’US Navy vise le rapport de force dissymétrique dans le Pacifique

Avec trois fois plus de grands navires de combat entrant en service dans la Marine chinoise chaque année, l’US Navy parie désormais sur un rapport de force dissymétrique basé sur son aéronavale et sa flotte sous-marine numériquement et technologiquement supérieures.

Deux nouveaux destroyers Type 052D pour la Marine chinoise

Il y a quelques jours, les chantiers navals de Dalian, dans le nord-est du pays, dans la province du Liaoning, lançaient simultanément 2 nouveaux destroyers Type 052D, les 27 et 28ᵉ unités de cette classe désignée au sein de l’OTAN sous le code Luyang III, alors que cinq autres coques ont été observées à divers niveaux de finition sur ce site.

Comme pour les années précédentes, il ne fait guère de doute que l’année 2023 verra l’arrivée de 7 à 9 nouveaux destroyers au sein de la Marine de l’Armée Populaire de Libération.

Longs de 157 mètres pour un déplacement de 7.500 tonnes, ces navires sont à la fois modernes et très bien armés, avec 64 silos verticaux accueillant des missiles surface-air à longue portée HHQ-9, des missiles de croisière YJ-18 et des missiles anti-sous-marins CY-5, ainsi qu’un canon de 130 mm, et deux systèmes d’auto-protection CIWS HQ-10 (équivalent au RAM américain) et Type 1130 (équivalent au Phalanx).

S’ils sont moins bien équipés et armés que les destroyers Arleigh Burke Flight IIa et Flight III en cours de fabrication outre-atlantique, ils sont toutefois produits plus de trois fois vite que ces derniers. De fait, d’ici à huit ans, la flotte chinoise alignera plus de grandes unités de surface combattantes que l’US Navy, et l’écart ne fera que se creuser au-delà.

L’US Navy veut augmenter la production de destroyer Arleigh Burke

Pour répondre à ce défi majeur, l’US Navy a pris plusieurs mesures afin de contester, le plus efficacement possible, l’évolution de ce rapport de force. Elle veut ainsi augmenter la production d’Arleigh Burke à 2,5 unités par an, et a commandé une vingtaine de frégates lourdes de la classe Constellation.

Surtout, l’US Navy a créé des liens encore plus très étroits avec les marines alliées de la zone Pacifique, comme le Japon, l’Australie, la Corée du Sud, ainsi qu’en ayant convaincu les européens d’intensifier leurs efforts et déploiements sur ce théâtre.

Toutefois, la décision la plus significative, pour anticiper ce rapport de force défavorable, ne repose pas sur l’extension de la flotte d’unités de surface combattantes, une trajectoire probablement vouée à l’échec eut égard au potentiel industriel, économique et démographique de Pékin. Elle repose, au contraire, sur la construction d’un rapport de force naval dissymétrique avec la Marine chinoise.

Ce refus de répondre au bras de fer chinois se retrouve dans la préparation du budget 2024 de l’US Navy, qui ne prévoit qu’un budget de 187 m$ pour le développement du programme DDG(x) devant entrer en production à la suite des destroyers Arleigh Burke Flight III au milieu de la prochaine décennie.

La marine chinoise admet au service une dizaine de nouveaux destroyers et frégates chaque année
Les deux Type 052 lancé en début de semaine à Dalian sont les 27 et 28ᵉ unités de la classe

La réponse dissymétrique en trois points de l’US Navy au défi chinois

Pour cela, Washington s’appuie sur trois capacités sur lesquelles l’US Navy conserve un avantage non seulement technologique, mais également numérique et opérationnel.

Constitution d’une vaste flotte de navires robotisés

La première d’entre elles n’en est encore qu’à ses balbutiements, et reposera sur la création d’une importante flotte de navires de surface et sous-marins autonomes, agissant au profit des navires de surface et des sous-marins américains pour en étendre les performances, les moyens de détection ainsi que la puissance de feu.

Pour l’heure, le développement de ces bâtiments autonomes demeure en phase expérimentale. Il est aussi probable que les premières unités vraiment opérationnelles n’entreront en service qu’à la fin de cette décennie, ou plus probablement au début de la suivante.

Étendre la flotte de sous-marins nucléaires d’attaque

À plus court terme, et comme le montre l’actualité récente avec les annonces faites en début de semaine au sujet de l’alliance Aukus, la flotte sous-marine américaine, mais aussi alliée, fait l’objet de toutes les attentions de l’amirauté US.

Ainsi, la production annuelle de sous-marins nucléaires d’attaque de la classe Virginia doit être portée à 3 bâtiments par an, pour atteindre une flotte de plus de 60 navires à l’horizon de 2035, contre 48 navires aujourd’hui.

À ce titre, pour le développement du programme SSN(x), successeur des Sea Wolf dont il reprendra la mission de Hunter-Killer (chasseur de sous-marin), et des premières séries de Virginia dépourvues de VLS, l’US Navy demande 545 m$ sur l’année budgétaire 2024, trois fois plus que pour le programme DDx.

Le retour du porte-avions comme pivot de l’action aéronavale

Le Pentagone semble surtout parier sur ses porte-avions et sa chasse embarquée pour conserver son avantage opérationnel sur l’APL. Ainsi, les acquisitions de porte-avions de la classe Ford sont maintenues pour remplacer les navires de la classe Nimitz, dont beaucoup d’unités ont déjà dépassé les 40 années de service.

Si l’acquisition de Super Hornet et de Growler prendra fin en 2024, l’US Navy entend commander 19 F-35C, la version embarquée sur porte-avions du chasseur de Lockheed, dont 4 pour le corps des Marines, ainsi que 15 F-35B à décollage vertical, là encore pour le corps des Marines, des appareils qui ont probablement retrouvé de l’intérêt aux yeux des deux armées après l’expérimentation, il y a quelques mois, de la transformation du LHA USS America en porte-avions léger, armé de 16 F-35B.

Enfin, trois nouveaux drones ravitailleurs MQ-25 seront commandés en 2024, alors que la planification prévoit un passage à 4 unités par an dès 2025. De manière intéressante, alors même qu’aucun programme visant à remplacer les avions d’entraînement et de qualification T-45 GoshHawk n’a été annoncé, la planification 2024 prévoit l’acquisition de 43 appareils d’entrainement désignés sous l’identification T-45TS.

F 35C US Navy scaled Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
L’US Navy et l’US Marines Corps veulent financer l’acquisition de 19 F-35C et 15 F-35B en 2024

Mais le signe le plus déterminant quant à la confiance de l’US Navy dans son aéronavale, pour s’imposer face à l’APL, n’est autre que le budget attribué en 2024 au programme NGAD (qui porte le même acronyme que le programme de l’US Air Force tout en étend différencié), d’un montant de 1,528 Md$, trois fois celui attribué au SSN(x), et presque 9 fois celui attribué au DDG(x).

C’est la première fois que les investissements dans ce programme qui doit permettre de développer le F/A-XX, successeur du Super Hornet pour entrer en service au début de la prochaine décennie, sont révélés publiquement. Ses ambitions sont proches de celles du NGAD de l’US Air Force, ou des SCAF/FCAS européens, à savoir de concevoir un chasseur de 6ᵉ génération capable d’évoluer au sein d’une flotte de drones, pour en étendre les capacités de détection et d’engagement.

Une stratégie adaptée et efficace face à la Marine chinoise, mais limitée dans le temps

En pariant sur sa flotte de sous-marins nucléaires d’attaque et de porte-avions, plutôt que sur ses frégates et destroyers, l’US Navy répond donc effectivement de manière dissymétrique à la montée en puissance de la Marine Chinoise, qui met l’accent, à ce jour, précisément sur sa flotte de surface.

Cet avantage perdurera probablement pendant plusieurs années, et même plusieurs décennies, les compétences de l’industrie navale et aéronautique chinoise, tant dans le domaine des sous-marins nucléaires que des porte-avions et de l’aviation embarquée, étant encore loin d’égaler celles de leurs homologues US.

Par ailleurs, l’APL est toujours en phase d’apprentissage pour employer les premiers SNA modernes Type 09IIIA de la classe Shang, qui n’ont rejoint le service qu’au milieu de la précédente décennie. Son premier porte-avions équipé de catapulte, le Fujian, n’a, quant à lui, pas encore entamé ses essais à la mer.

Type 093B SSN China Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Un nouveau type de sous-marin nucléaire d’attaque chinois, temporairement désigné Type 09IIIb, a été observé par satellite il y a quelques mois. On remarque le Pump-jet pour atténuer les bruits de cavitation de l’hélice.

Toutefois, cet avantage dissymétrique, visé par l’US Navy, ne vaudra probablement qu’un temps. Les ingénieurs chinois, comme les officiers de l’APL, ont démontré, ces dernières années, une importante capacité d’adaptation et d’apprentissage, y compris concernant les technologies les plus évoluées, et les doctrines les plus abouties.

Dans le même temps, on peut craindre, eu égard aux dernières évolutions des relations sino-russes, que Moscou consente à d’importants transferts de technologies dans le domaine sous-marin vers Pékin, contre un soutien plus marqué en Ukraine et face à l’OTAN. Ceci permettrait à l’industrie navale chinoise de rapidement combler son retard dans le domaine des sous-marins à propulsion nucléaire.

Enfin, cet avantage ne vaut qu’en haute-mer, lorsque les flottes s’opposent sans interférence, et sera considérablement diminué si l’engagement de l’APL par l’US Navy venait à se dérouler dans à périmètre proche des bases aériennes et des sites de missiles anti-navires de Pékin, comme ce serait le cas dans l’hypothèse d’une intervention contre Taïwan.

De fait, sans remettre en cause le bienfondé de la stratégie de l’US Navy, il convient d’en identifier les limites tant géographiques que temporelles, alors que la constitution d’une vaste flotte robotisée, mais également le resserrement des alliances dans le Pacifique, constituent très probablement les meilleures réponses à moyen terme pour contenir la montée en puissance navale chinoise.

Les enseignements en Ukraine contre-disent les paradigmes militaires hérités de la Guerre du Golfe

Bien peu, au soir du 24 février 2022, date du début de l’offensive russe en Ukraine, avaient imaginé qu’au bout de 3 semaines de guerre, les forces russes auraient si peu progressé dans le pays, au prix de pertes aussi importantes. Ainsi, un article subrepticement publié sur le dite du tabloïd pro-kremlin Komsokolskaja pravda hiers, faisait état de prés de 10.000 tués et de plus de 16.000 blessés au sein des armées russes selon son état-major, ceci ne tenant pas compte des pertes de ses supplétifs Wagner et tchétchènes. Même si de telles allégations peuvent prêter à caution, il faut reconnaitre que ce niveau de pertes humaines est cohérent avec celui des pertes matérielles constatées et documentées depuis le début de cette guerre. Comme nous l’avons étudié dans un article hier, une partie de cet échec relatif (et non définitif) des armées russes est à mettre au compte d’une mauvaise stratégie initiale lors des deux premières phases de cette opération militaire, la première visant à décapiter le pouvoir ukrainien, la seconde à faire exploser les défenses du pays, les deux ayant échoué.

Or, ces échecs, s’ils sont à mettre également au crédit de l’excellente stratégie et au courage des défenseurs ukrainiens, interrogent quant à certains paradigmes ayant valeur de dogme aussi bien au sein des armées russes qu’occidentales, et doivent dès lors nous interpeler sur la réalité de la puissance perçue des armées européennes et occidentales au regard du retour d’experience de ces 3 premières semaines de combat. Dans cet article, nous étudierons les plus importants paradigmes au coeur du modèle des armées occidentales et russes, taillés en brèche par cette guerre, et devant être, dès lors, profondément et rapidement re-évalués pour maintenir une posture défensive conventionnelle efficace en Europe et dans le Monde.

1- Le volume des forces supplante l’avantage technologique

Pendant de nombreuses décennies, toutes les académies militaires de la planète ont enseigné à leurs jeunes officiers la règle d’or d’une offensive réussie, à savoir de disposer de forces 3 fois plus importantes que celles du défenseur pour en venir à bout. Mais depuis la première guerre du Golfe en 1991, et l’écrasant succès de l’offensive coalisée sur les forces irakiennes qui disposaientt pourtant de presque autant d’hommes et de blindés que les forces à l’offensive, ce dogme fut altéré par une notion de « multiplicateur de forces » ou de puissance liée à un gradient technologique favorable à l’un ou à l’autre des adversaires. En d’autres termes, la technologie devenait conceptuellement une alternative valable et mesurable à la masse, ceci ayant engendré une course effrénée en occident pour toujours plus de technologies embarquées à bord des équipements militaires. Et si les campagnes en Afghanistan, en Irak et même au Mali montrèrent les limites de ce paradigme, celui-ci s’impose aujourd’hui comme le coeur de la programmation militaire moderne, y compris en Russie.

Russian column Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
les colonnes russes dans le nord du pays ont été méthodiquement frappées et harcelées par une infanterie ukrainienne très mobiles et capable d’employer des chemins de deplacement impraticables pour les unités mécanisées russes

En ne déployant « que » 200.000 hommes autour d’une Ukraine dont les forces armées alignaient également 200.000 combattants et étaient susceptibles de s’appuyer sur une reserve de plus de 400.000 hommes et femmes dont une partie avait connue l’experience du combat dans le Donbass au fil des dernières années, Moscou fit, de toute évidence, un pari identique à celui des Occidentaux, certain que son avantage en matière de technologie, comme celui conféré par ses forces professionnalisées, suffiraient à prendre l’avantage sur les défenseurs ukrainiens, et à emporter la décision aussi vite que ne le firent les armées coalisées en février 1991. De toute évidence, il s’agissait d’une grave erreur, et la présente situation en est la parfaite démonstration. En dépit de son avantage technologique incontestable sur les armées ukrainiennes, et d’unités présentées comme professionnalisées à 70%, les multiplicateurs de force étaient loin de compenser l’absence de masse, et exposèrent même gravement les capacités de l’armée russe à maintenir son effort dans la durée face aux pertes subies.

Pour autant, l’offensive russe n’a pas été totalement inefficace, et sa progression dans le sud du pays montre bien qu’à forces équivalentes, certains multiplicateurs de puissance peuvent effectivement conférer à l’assaillant un avantage significatif. La question est désormais de savoir pourquoi l’axe stratégique principal de l’offensive russe s’est enlisé dans le nord du pays, alors que l’axe secondaire, dans le sud, est parvenu à progresser sur plusieurs centaines de kilomètres, au point de parvenir à s’emparer de certaines grandes villes comme Kherson, et à encercler le port de Marioupol. On peut ainsi penser que la nature du terrain et les conditions météorologiques dans le sud de l’Ukraine ont offert des opportunités plus favorables à la progression russe, ou que le réseau routier était plus adapté pour une manoeuvre rapide. Pour autant, rien n’indique que l’important gradient technologique qui existait entre les armées russes et les défenseurs ukrainiens ait joué de manière décisive en faveur du premier, et ce quel que ce soit le théâtre d’opération, et que c’est bel et bien la masse de combattants ukrainiens, ainsi que leur capacité à s’adapter au terrain et aux technologies disponibles, qui firent voler en éclat les certitudes de l’Etat-Major russe, et avec elles les espoirs d’une victoire rapide comme pendant la Guerre du Golfe.

2- L’infanterie, reine des batailles

De manière extrêmement simplifiée, il est possible de représenter le rapport de force entre les différentes unités formant le coeur des armées modernes à l’image d’un jeu de Shifumi : l’artillerie permet de réduire l’infanterie, les chars par leur manoeuvre et leur puissance de feu peuvent submerger l’artillerie, et l’infanterie peut bloquer la progression des chars; tout en gardant à l’esprit que le pire ennemie de chacun reste une unité de même type. Pour autant, les 3 premières semaines de combat en Ukraine montrent que l’Infanterie conserve sans aucun conteste possible, son statut de reine des batailles. Ainsi, bien souvent, l’infanterie ukrainienne parvint à stopper les offensives russes, profitant en cela d’une stratégie de combat urbain mise en oeuvre par l’état-major ukrainien, parfaitement adaptée aux capacités de ses propres unités, mais aussi à leurs limites, celles-ci devant préserver autant que possible leurs propres capacités d’artillerie et de manoeuvre mécanisée pour exploiter les faiblesses du dispositif russe. Outre cette stratégie visant l’arrêt des colonnes russes sur des points de fixation urbains favorables au combat d’infanterie, les forces ukrainiennes ont également exploité au mieux la mobilité de leurs petites unités d’infanterie pouvant évoluer hors des grands axes routiers, de sorte à mener une tactique harcèlement des lignes logistiques russes, appliquant en cela une doctrine développée par l’OTAN précisément pour résister à un assaut mécanisé soviétique et plus tard russe, et ce depuis plusieurs décennies.

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l’Infanterie ukrainienne a montré le rôle déterminant que cette arme continue de jouer dans les conflits modernes, au point de supplanter dans certains cas le Char ou l’Artillerie au sommet de la pyramide de létalité des forces.

De part les performances des armes nouvelles portables, très efficaces tant dans le domaine anti-char qu’anti-aérien, et l’arrivée de nouvelles technologies s’appuyant sur les drones et les munitions vagabondes, les unités d’infanterie sont capables aujourd’hui de developper une très grande puissance de feu, y compris à moyenne portée, de jour comme de nuit, alors que les protections balistiques modernes leur confère une résistance au feu bien plus importante que par le passé. De fait, loin d’être la chair à canon des armées, les unités d’infanterie et d’infanterie spécialisée, comme les unités parachutistes ou les unités d’assaut amphibie, occupent désormais le sommet de la pyramide de létalité des unités militaires modernes, délogeant le char et l’artillerie de cette place privilégiée. Cet avantage n’est probablement que transitoire, d’autant que l’artillerie tend à accroitre ses capacités en terme de puissance de feu, de précision et de portée, et que les chars évoluent eux aussi vers plus de resilience, avec notamment l’arrivée de nouveau systèmes de protection comme les systèmes hard-Kill, des armes dotées d’une plus grande portée et d’une plus importante flexibilité, et des capacités de furtivité, comme le camouflage électro-optique, susceptible de réduire la durée d’exposition des chars en manoeuvre.

Pour autant, aujourd’hui, c’est bel et bien l’infanterie moderne qui offre le meilleur rapport performances militaires / prix dans le mix opérationnel, mais également la plus importante souplesse tactique, aussi bien du point de vue offensif que défensif. On peut s’interroger, à ce titre, s’il ne s’agit pas dans ce conflit, d’une des principales clés pour comprendre la resilience ukrainienne jusqu’à présent, et les faibles pertes matérielles documentées du coté ukrainien. Et comme nous l’avions évoqué précédemment, il est probable qu’aujourd’hui, les besoins des armées ukrainiennes pour continuer à éroder le potentiel militaire russe, reposent bien davantage sur des armes d’infanterie évoluées comme des missiles NLOS ou des munitions vagabondes, que sur des Mig-29 qui seraient immanquablement la cible prioritaire de l’aviation et de la défense anti-aérienne russe. Rappelons que pour le prix d’un Mig-29, l’occident pourrait fournir plusieurs dizaines de missiles antichars à longue portée et de munitions vagabondes qui feraient sans le moindre doute bien plus de dégâts au dispositif russe, même retranché, que ne peut l’espérer faire un tel chasseur. Là encore, il s’agit d’un enseignement à l’opposé de ceux hérités de la Guerre du Golfe de 1991.

3- Les limites de la puissance aérienne

Car si l’Infanterie a retrouvé ses lettres de noblesse dans ce conflit, la puissance aérienne, de son coté, ne cesse de montrer ses propres limites. En effet, et à l’instar de ce qui fut constaté lors du conflit du Haut-Karabakh, les forces aériennes russes, pas davantage que ce qui reste des forces aériennes ukrainiennes, ne pèsent aujourd’hui de manière déterminante dans ce conflit. Et pour cause, le densité des systèmes anti-aériens à l’interieur et autour de l’espace aérien ukrainien, interdit l’emploi massif de cette puissance aérienne, et oblige les appareils soit à voler à très basse altitude pour passer sous la couverture radar des systèmes à longue et moyenne portée S-400, S-300 et Buk qui verrouillent le ciel des deux cotés, soit à larguer leurs munitions à distance de sécurité. On remarquera à ce titre que les forces aériennes russes ont annoncé faire désormais usage du missile balistique hypersonique aéroporté Kinzhal pour frapper des cibles stratégiques dans l’ouest du pays, alors même que ces cibles ne requiert en rien de tels systèmes d’arme, laissant supposer que Moscou cherche avant tout à impressionner Kyiv et les Occidentaux par cet usage, ou que ses stocks de munitions de précision capables de frapper ces cibles distantes commencent à être particulièrement bas.

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la forte densité des défenses anti-aériennes russes et ukrainiennes empêchent les deux belligérants de faire usage de leur aviation de combat de façon déterminante.

Lors de la première guerre du Golfe en 1991, mais également lors des interventions occidentales plus récentes comme en Serbie ou en Libye, la puissance aérienne occidentale avait joué un rôle déterminant pour éroder les défenses de l’adversaire, faisant de l’arme aérienne le pivot de la puissance de feu occidentale. Cette certitude s’est imposée comme le dogme central des armées occidentales, au point que selon l’Etat-Major britannique, la force aérienne porte désormais 75% de la puissance de feu effective des armées occidentales. Or, en Ukraine comme en Azerbaïdjan, les défenses aériennes déployées sont parvenues à neutraliser presque intégralement l’emploi de cette force aérienne, y compris pour le pays qui a conçu ces systèmes anti-aériens, la Russie. Dans ces conditions, quels crédits doit on donner aux certitudes affichées selon lesquelles les forces aériennes américaines, britanniques ou françaises seraient en mesure d’entrer en premier et de s’emparer du ciel adverse, alors même qu’elles ne sont parvenues à le faire jusqu’ici que contre des défenses anti-aériennes équipées de materiels parfaitement connus hérités des années 60 et 70, comme les SA-3,5, 6 et 8, et à aucun moment contre des systèmes plus modernes comme les S-300, S-400 et autres Buk-M ?

4- Le rôle clé du moral

Si les planificateurs américains étaient parvenus à modéliser avec une certaine précision l’évolution de l’offensive russe en Ukraine sur les 3 premiers jours des combats, il est apparu qu’au delà, les résultats envisagés par ces simulations et ceux constatés sur le terrain vinrent à diverger de manière radicale. Ainsi, lors des simulations de l’US Marines Corps, si les premières offensives sur Kyiv et Kharkiv avaient effectivement été repoussées, les villes étaient tombées en quelques jours dans la tenaille des forces russes, disposant d’une puissance de feu et de moyens très supérieurs à ceux des défenseurs ukrainiens. Quant à la situation présente, avec des brigades ukrainiennes manoeuvrant à l’offensive pour couper les lignes logistiques russes à l’ouest de Kyiv ou au nord de Kherson, elle n’avait pas même été envisagée. Et pour cause : les simulations comme les doctrines occidentales ont depuis longtemps abandonné l’un des principes qui fut longtemps le plus déterminant lors des campagnes militaires, à savoir l’effet du moral sur la combativité, la resilience et donc l’efficacité des forces.

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Composées essentiellement de conscrits et de réservistes, l’efficacité des unités ukrainiennes dépend beaucoup du moral des combattants, heureusement très élevé.

Il est vrai que pour les armées occidentales, en grande partie professionnalisées de longue date et bien entrainées, ce facteur a une influence atténuée sur la conduite des opération, même s’il reste une variable d’importance. Pour les armées russes, composées certes de 70% de militaires sous contrat, mais dont la réalité de la professionnalisation est très récente et seulement partielle, ce facteur est en revanche déterminant, d’autant que le commandement russe a, comme à son habitude depuis l’époque soviétique, profondément négligé ce paramètre comme il le fit notamment lors des guerres de Tchétchénie, ce qui fut en grande partie à l’origine du désastre de Grozny. Pour les armées ukrainiennes, majoritairement composées de conscrits et de réservistes, et ses brigades de defense territoriales composées de volontaires, le facteur moral représente probablement l’un des paramètres les plus importants à prendre en considération pour évaluer l’efficacité attendue de ces unités au combat. En d’autres termes, c’est très probablement l’absence de modélisation du facteur moral qui explique les profondes divergences entre les simulations menées et la réalité constatée sur le terrain au delà de la phase d’entame de cette guerre.

Or, si comme écrit précédemment, la technologie ne peut se substituer à la masse, il semble évident que les pays occidentaux vont à nouveaux devoir densifier leurs forces, et recourir pour cela à des forces complémentaires composées majoritairement de réservistes, pour lesquels le facteur moral jouera un rôle bien plus important que pour les militaires professionnels, surtout si elles venaient à s’appuyer sur des unités intégralement composées de réservistes à l’image de la Garde Nationale américaine ou de la Hemvärnet suédoise. Là encore, il s’agira de modifier profondément les paradigmes hérités de la campagne dans le désert irakien en 1991, qui servit de mètre étalon pendant plusieurs décennies pour valider la pertinence des modélisations et simulations de defense.

Conclusion

On le voit, en de nombreux aspects, le déroulement de la présente guerre en Ukraine représente l’anti-thèse de celui de la guerre du Golfe en 1991. Or, celle-ci a longtemps été considérée comme la démonstration sans équivoque de la justesse et de la pertinence des doctrines miltaires occidentales, et plus précisément sur les doctrines développées aux Etats-Unis au début des années 70 sur la base des retours d’experience de la Guerre du Vietnam mais aussi des guerres israélo-arabes de 67 et 73. Depuis, ces doctrines ont été élevées au rang de dogmes inamovibles, ceci expliquant en partie les dérives technologistes à l’origine de plusieurs désastres budgétaires outre-atlantique (F-22, Zumwalt …) mais aussi la fébrilité certaine que l’on constate au Pentagone pour apporter une réponse appropriée à la montée en puissance russe et surtout chinoise ces dernières années. Or, il apparait aujourd’hui que ce sont peut-être précisément les influences occidentales sur les doctrines militaires et programmatiques russes qui ont conduit, pour partie, aux mauvais résultats opérationnels des armées russes en Ukraine : quel aurait été le destin de l’Ukraine si plutôt que d’aligner 120 bataillons professionnalisés à 70% à ses frontières, l’Etat-major russe avait aligné 300 bataillons composés à 70% de réservistes et de conscrits ? La question reste posée …

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La guerre en Ukraine démontre l’obsolescence de nombreux paradigmes et doctrines hérités de la Guerre du Golfe, aujourd’hui au coeur de la composition des armées occidentales et même russes.

Dans ces conditions, on peut se demander si certains des programmes de defense actuellement en developpement de part et d’autre de l’Atlantique, mais également les arbitrages hérités de la fin de la Guerre Froide comme des conséquences tirées de la première Guerre du Golfe, ne devraient pas être remis en cause au spectre des enseignements de cette guerre, qui n’est autre que la guerre la plus intense, la plus globale et la plus moderne depuis 1991, peut être même depuis la Guerre de Corée. De toute évidence, certains paradigmes et certaines certitudes au coeur de l’effort de defense occidental depuis 30 années sont désormais obsolètes, et doivent être profondément reconsidérées, au risque de doter les pays européens de capacités miltaires inadaptées à la conduite des opérations modernes. Que ce fut en 1871 ou en 1940, la France a malheureusement à plusieurs reprises commis l’erreur de s’engager dans la guerre de demain avec des doctrines et équipements se voulant modernes, mais hérités d’une conception doctrinale et opérationnelle obsolètes. Elle l’avait alors payé très cher.

La Russie bascule-t-elle vers une guerre d’usure en Ukraine ?

Depuis le début de son invasion de l’Ukraine, les armées russes se sont heurtées à de nombreuses difficultés, en partie liées à un manque évident de performance et d’efficacité de ses propres forces, mais également à l’exceptionnelle combativité et Intelligence tactique des ukrainiens eux-mêmes. De fait, en dépit d’un avantage très marqué en matière de puissance de feu, de technologie et de capacités aériennes, les 3 premières semaines de cette guerre en Ukraine furent marquées par une difficile avancée des armées russes dans le pays, et des pertes d’une intensité oubliée depuis la seconde guerre mondiale ou la guerre de Corée. Ainsi, en 24 jours de combat, les armées de Moscou ont perdu entre 20.000 et 35.000 hommes selon les estimations, dont 6 à 9000 tués, mais également plus de 750 véhicules blindés dont 260 chars lourds (documentés), une quinzaine d’avions de combat et plus du double d’hélicoptères, ainsi que plus de 500 véhicules logistiques, soit 20% du dispositif initialement déployé autour du pays, et prés de 10% des effectifs et materiels des armées russes elles-mêmes. Même son commandement a été durement touché, avec la perte confirmée de 5 généraux (plus un général Tchétchène) dont un Lieutenant Général, l’équivalent de nos généraux de division, ainsi que de prés de 3 dizaines de colonels et lieutenant-colonels, pour l’essentiel des chefs de corps.

Si désormais l’hypothèse d’une invasion globale de l’Ukraine, et de la mise en place d’un gouvernement de complaisance à la botte du Kremlin semble écartée, les autorités russes ont, semble-t-il engagé leurs armées dans une toute nouvelle stratégie, potentiellement bien plus difficile à contenir pour les défenseurs ukrainiens. Pour comprendre cette évolution, et les risques qui désormais pèsent sur l’Ukraine, peut-être de manière moins visible mais pour autant bien plus pressante, il est indispensable de revenir sur les 3 phases majeures qui, jusqu’ici, ont marqué cette guerre, et la stratégie du Kremlin pour soumettre l’Ukraine et sa population.

Phase 1 : l’échec de la stratégie de décapitation

Aux premières heures du conflit, le 24 février, la stratégie employée par les armées russes semblaient bel et bien d’une grande efficacité. Après avoir convaincu les ukrainiens que l’essentiel de la poussée russe viendrait des républiques indépendantes du Donbass en vue de s’emparer de l’ensemble des Oblast de Luhansk et de Donetsk, les forces russes ont mené trois attaques massives qui ont, d’une certaine manière, surpris l’Etat-major ukrainien : l’une au sud du pays venue de Crimée vers le Dniepr et la ville de Kherson, l’autre vers la ville russophone de Kharkiv, et la troisième vers Kyiv et le pouvoir ukrainien. Comme nous le savons désormais, l’objectif de cette stratégie était de double. D’une part, par la prise de villes massivement russophones comme Kharkiv et Kherson, les armées russes espéraient pouvoir légitimer sur la scène internationale comme nationale leur intervention, en montrant des scènes comparables à celles ayant suivi l’intervention en Crimée en 2014. En outre, par une action aéroportée complexe incluant la prise de l’aérodrome d’Hostomel au nord de Kyiv par les forces spéciales, puis par le déploiement d’une force aéroportée importante dans Kyiv via cet aéroport, Moscou voulait prendre le controle de l’ensemble des centres de pouvoir ukrainien, et probablement de ses représentants politiques, comme les membres de la Rada, le parlement ukrainien, le maire de Kyiv et le président Zelensky.

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L’offensive des forces spéciales russes sur l’aérodrome d’Hostomel au premier jour du conflit fut le point culminant de l’échec de la première phase de la stratégie russe visant à décapiter politiquement le pays.

Cette stratégie se révéla être une erreur monumentale, puisque non seulement les forces spéciales ukrainiennes parvinrent à repousser l’assaut russe sur l’aéroport d’Hostomel, annihilant les possibilités d’assaut aéroporté d’ampleur, mais les villes de Kharkiv et de Kherson n’accueillirent pas les forces russes avec enthousiasme, et opposèrent au contraire une très importante résistance, au point que 3 semaines après le début de l’opération, Kharkiv reste sous controle ukrainien, et Kherson, bien que tombée au mains des russes, continue d’être le théâtre d’une forte résistance civile de la part de ses habitants. Au final, hormis dans le sud du pays pour rejoindre le Dniepr, la première phase de l’offensive russe fut un échec retentissant, ce qui permit aux autorités ukrainiennes de galvaniser le moral et la resilience de toute la population, mais également de convaincre les occidentaux, européens en tête, que l’Ukraine ne tombera pas aussi facilement qu’anticipé, et qu’il était donc nécessaire et utile de mener une politique de sanction sévère contre la Russie et de soutien militaire vers l’agressé.

Phase 2 : l’enlisement de la stratégie de saturation

Face à cet échec flagrant, le Kremlin comme l’Etat-major russe eurent une réaction que l’on peut qualifier l’épidermique et d’orgueilleuse, et déclenchant une seconde phase du conflit basée sur une stratégie de saturation et de rupture. Son principe voulait qu’en multipliant les zones d’engagement et les points de confrontation, les armées russes parviendraient à identifier les faiblesses dans le dispositif défensif ukrainien, y compris autour de certaines grandes villes comme Kharkiv, Kyiv et Marioupol. En outre, puisque la population ukrainienne, en particulier russophone, n’accueillait pas les armées russes avec des fleurs, il n’y avait plus de raison particulière pour s’empêcher de les frapper directement. Cette stratégie donna lieu à de nombreuses offensives sur de nombreux axes, pouvant paraitre désordonnées et même parfois absurdes, les forces russes s’enfonçant dans certaines zones de moindre résistance sans pour autant avoir d’objectifs de valeur en ligne de mire. L’objectif sous-jacent durant cette phase était tout à la fois de tenter de provoquer l’effondrement global de la résistance militaire ukrainienne, mais également de pouvoir afficher certaines victoires, comme la prise des centrales nucléaires de Tchernobyl et de Zaporijjia , de la ville de Kherson et de l’encerclement de Marioupol, faute d’être parvenu à faire de même à Kyiv, Kharkiv et Odessa.

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Les pertes russes après 24 jours de guerre sont équivalente à la moitié des pertes enregistrées par l’Union Soviétique lors de la guerre d’Afghanistan.

Une fois encore, la stratégie russe fut loin d’être couronnée de succès. La multiplication des axes de progression augmenta sans raison le pression sur le dispositif logistique russe, offrant aux armées ukrainiennes plus mobiles et de toute évidence bien renseignées d’importantes opportunités pour mener des embuscades et des frappes ciblées, notamment contre les officiers russes, ceci expliquant l’exceptionnelle attrition dans ces domaines qu’ont subi les armées russes en seulement 3 semaines de guerre. En outre, les forces ukrainiennes ont, semble-t-il, laissé volontairement progresser le dispositif russe le long des routes du pays, seules voies praticables en plein dégel, tout en les bloquant en renforçant des points de fixation comme les villes de Mykolaiev vers Odessa, ou d’Irpin à l’ouest de Kyiv. De fait, en dehors de la zone au sud du Dniepr et de la bande côtière bordant la mer d’Azov, la progression russe après 20 jours d’effort aura été plus que limitée, et presque partout bloquée par la résistance des grandes et moyennes se trouvent sur leurs axes de progression. Enfin, comme l’avait annoncé le president Zelensky dès le second jour de la guerre, l’objectif principal des forces ukrainiennes n’a jamais été de bloquer la progression russe, mais de lui infliger des pertes insoutenables, domaine dans lequel elle a, de toute évidence, excellé.

De fait, au cours de la troisième semaine du conflit, nous avons assisté à une forme d’enlisement de l’offensive russe, handicapée par des forces trop dispersées, des lignes logistiques trop distendues et sous pression constante des ukrainiens, et par les effets des pertes importantes subies, y compris en matière de commandement. Depuis, l’offensive sur Kharkiv s’est transformée en affrontement d’artillerie, la tentative d’encerclement de Kyiv n’a pas progressé, l’avance russe vers le nord à partir de Zapoijjia n’a pas avancée, et même l’offensive vers Mikolaiev ouvrant la voie pour un assaut terrestre contre Odessa échoua. En deux semaines, le seul théâtre qui évolua positivement pour la Russie fut l’encerclement de Marioupol et la jonction faite avec le dispositif de la République de Donetsk, dans le Donbass, alors que l’ensemble du front Donbass continue de résister, même s’il est mis sous forte pression. En d’autres termes, après 20 jours d’une stratégie de saturation destinée à faire exploser la defense et les armées ukrainiennes, les armées russes n’ont que peu progressé, alors que la résistance ukrainienne demeure féroce.

Phase 3 : vers une guerre d’usure

Depuis 3 jours, cependant, il semble bien que l’Etat-Major russe ait une nouvelle fois changé de stratégie. D’une part, en de nombreux point de contact, il apparait que les unités du génie russes consolident les positions acquises, de sorte à renforcer les capacités défensives des unités déployées, et notamment des unités d’artillerie capables de frapper les villes des dispositifs ukrainiens alentours. D’autre part, alors que pendant deux semaines, les forces aériennes semblaient évoluer à minima, elles multiplient désormais les missions de suppression des défenses anti-aériennes ukrainiennes, et les frappes à longue distance, notamment contre les bases logistiques dans l’ouest du pays. Enfin, le Kremlin mobilise désormais ses alliés tchétchènes, ossetes, syriens, libyens ou venant du Donbass, pour renforcer ses armées et son dispositif, et ainsi réduire le poids des pertes sur ses propres armées, arrivé à un niveau inacceptable de 1000 hommes par jour sur la dernière semaine. Ce faisant, les armées russes pourront renforcer leurs propres lignes logistiques, voire les réduire là ou la progression n’est pas nécessaire, et concentrer leurs efforts de manière séquentielle, en commençant par faire tomber la ville de Marioupol. En outre, le printemps faisant, les axes de progression des blindés russes seront plus étendus, permettant de mettre en oeuvre des tactiques de contournement exploitant la mobilité blindée supérieure de son arsenal.

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Pourtant majoritairement russophone et tenue par les forces russes, la population de la ville de Kherson continue de défier les militaires russes.

Or, si jusqu’à présent, le temps était, pour ainsi dire, l’allié de Kyiv, du fait des lourdes pertes journalières enregistrées par les armées russes, cette nouvelle stratégie pourrait poser d’importants problèmes aux défenseurs ukrainiens. En effet, en agissant ainsi, le Kremlin peut espérer réduire ses propres pertes, tout en continuant à frapper les armées et la population ukrainiennes, inversant la dynamique actuelle. En effet, au delà du calvaire que vivent les civils ukrainiens, les armées ukrainiennes, si elles disposent d’une reserve importante d’hommes et de femmes pour compenser ses pertes, ne disposent que de très peu de solution pour reconstituer ses pertes matérielles, en particulier concernant ses materiels lourds. Comme l’a montré le psychodrame transatlantique au sujet des Mig-29 polonais, bien peu en Europe et, plus généralement, en Occident, envisagent de pouvoir, le cas échéant, transférer des materiels lourds comme des systèmes anti-aériens et anti-missiles, des blindés ou des aéronefs, aux défenseurs ukrainiens, au risque de créer une extension du conflit, et ce alors même que Moscou ne se gêne guère pour pousser la Biélorussie à s’engager militairement en Ukraine, et importe par charter complet des mercenaires syriens et libyens pour compenser ses propres pertes.

De fait, même si les pertes venaient à s’équilibrer désormais entre les forces russes et ukrainiennes, cette situation serait défavorable dans la durée pour Kyiv si aucune solution de soutien venue de l’étranger ne venait à émerger. En outre, les autorités ukrainiennes vont devoir faire face à d’autres difficultés d’importance, en matière de gestion des flux alimentaires et de médicaments pour sa propre population, ou plus prosaïquement pour récolter ses propres taxes et donc payer ses fonctionnaires et ses militaires, dans un pays en situation de guerre de longue durée. Cette troisième phase stratégique entreprise par Moscou pourrait, dès lors, être bien plus difficile à négocier par Kyiv, en dépit de la combativité dont son peuple et ses élites ont fait preuve jusqu’à présent, au point de risquer, à terme, une érosion lente de ses capacités militaires et de son territoire, sous une pression constante mais de moindre intensité des forces russes.

Conclusion

L’extraordinaire résistance des ukrainiens durant les premières semaines de cette guerre est à mettre aussi bien sur la combativité et l’intelligence tactique et stratégique des ukrainiens, que sur les mauvaises stratégies et la tenue au combat inférieure aux attentes des unités russes. Toutefois, si les armées de Moscou venaient effectivement, comme il semble que cela soit le cas, à mettre en oeuvre une stratégie plus posée avec des objectifs à plus long terme, visant à éroder les défenses ukrainiennes, il est très probable que la situation de Kyiv dans ce conflit ira en se détériorant avec le temps. Pour y remédier, il est désormais indispensable que les pays occidentaux, et européens en particulier, accentuent leur soutien à l’Ukraine, en renforçant et en étendant les sanctions contre l’économie russe, mais aussi en livrant des systèmes d’armes capables de compenser l’attrition des armées ukrainiennes, voire d’apporter des capacités adaptées à des engagements à moyenne portée, comme des munitions vagabondes, des drones de combat, des systèmes d’artillerie et de contre-batterie, des missiles antichars longue portée NLOS et des systèmes anti-aériens à moyenne ou longue portée. Faute de quoi, la résistance ukrainienne sera lentement mais surement rabotée par le dispositif russe, d’autant plus vite que les armées ukrainiennes peineront à aligner des capacités suffisantes pour y faire face.

L’US Marine Corps va embarquer 20 F-35B sur un porte-hélicoptères pour en faire un « Lightning-Carrier »

L’arrivée du F-35B, la version à décollage et atterrissage verticale ou court du Lighting II, offre de toutes nouvelles perspectives en matière de porte-avions légers et/ou dépourvus de catapultes. Bien plus performants et polyvalents que les AV-8 Harrier II qu’ils remplacent, les F-35B confèrent en outre au groupe aérien embarqué à bord de ces navires la capacité de mener des missions avancées, qu’il s’agisse d’interdiction du ciel ou de frappes vers la terre ou contre des cibles navales, même en l’absence d’aéronefs de soutien comme le l’EA-18G Growler de guerre électronique ou l’E-2C/D Hawkeye de veille aérienne. De fait, un porte-aéronefs armé de 18 à 20 Lighting II offre, de prime abord, des capacités opérationnelles sans aucune mesure avec celles dont disposaient ces mêmes navires armés de Harrier, même s’ils ne peuvent rivaliser avec le groupe aérien global et homogène d’un porte-avions équipé de catapultes comme les Nimitz américains ou le Charles de Gaulle français. Il avance cependant un argument de poids, un cout d’acquisition et d’exploitation sans commune mesure avec ces grands navires.

Si plusieurs marines occidentales ont entrepris de concevoir des porte-avions adaptés à cet aéronef et ses besoins, comme la Grande-Bretagne avec la classe Queen Elizabeth II, ou au Japon avec la classe Izumo, l’US Marines Corps prévoyait jusqu’ici d’employer ses F-35B à l’identique de ses Harrier 2, à savoir en embarquant 8 à 10 appareils à bord de ses LHA de la classe America, aux cotés d’une dizaine d’hélicoptères lourds MV-22 et CH-53, et d’hélicoptères de combat Super Cobra, de sorte à soutenir la manoeuvre de ses troupes en manoeuvre amphibie. Mais alors que la situation internationale évoluait rapidement, que la puissance navale chinoise croissait et qu’il devenait évident que l’US Navy et l’US Marines Corps allaient devoir couvrir plusieurs zones de conflits potentiels simultanément, l’idée d’employer les LHA classe America sous la forme d’un porte-avions légers commença à émerger au Pentagone en dépit de nombreuses réserves et oppositions, d’autant que les résultats obtenus par les porte-avions HMS Queen Elizabeth II et HMS Prince of Wales de la Royal Navy, chacun embarquant 18 F-35B pour moitié fournis par les escadrons de l’US Marines Corps, démontrèrent le potentiel de ce modèle.

USS america F35 e1647873953888 Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Le pont des LHA American comme la disposition des ascenseurs n’ont pas été conçus pour une utilisation de type porte-avions, avec un grand nombre de rotations aériennes. Remarquez les deux spots d’atterrissage noircis de part et d’autre de l’ascenseur bâbord.

De fait, au début du mois d’Avril 2022, l’USMC va expérimenter dans le détail de concept, en embarquant simultanément 20 F-35B à bord de l’USS Tripoli, seconde unité de la classe America entrée en service en février 2020, pour transformer ce porte-hélicoptère d’assaut de 257 mètres et de 45.000 tonnes en porte-avions léger, communément désigné sous le terme « Lightning Carrier » ou Porte-Lightning par le Pentagone. L’objectif de cet essai sera de valider le concept et l’efficacité du navire et de son groupe aérien embarqué, ainsi que d’analyser toutes les difficultés auxquelles l’équipage, les pilotes et les personnels de maintenance devront faire face pour efficacement mettre en oeuvre autant d’aéronefs sur un navire qui n’a pas été dessiné initialement pour cette mission. Ainsi, pour l’heure, seuls deux spots d’atterrissage ont été positionnés au milieu et à l’arrière du pont du navire pour accueillir les F-35B et les contraintes liées au dégagement de chaleur de son réacteur en phase d’atterrissage vertical. En outre, le pont des America est relativement étroit réduisant les possibilités de deplacement des aéronefs à son bord, alors qu’il existe aucun ascenseur sur la partie avant du bâtiment. De fait, l’US Marines Corps veut valider par ces essais le potentiel réel de son bâtiment ainsi configuré en matière de manoeuvre d’aviation et de nombre de sortie par jour, pour en déterminer la pertinence opérationnelle mais aussi ses limites.

Si l’expérimentation s’avère probante, l’US Marines Corps et l’US Navy auront alors la possibilité, si besoin, d’augmenter sensiblement le nombre de porte-avions à la mer simultanément, les 12 porte-avions lourds des classes Nimitz et Ford pouvant être épaulés par certains des 11 LHA classe América devant être livrés, de sorte à positionner les navires les plus puissamment armés dans les zones les plus intenses, et confier aux LHA les missions en zone de moindre intensité. Qui plus est, l’US Marines Corps disposerait alors d’une capacité opérationnelle renforcée pour soutenir ses manoeuvres amphibies si besoin, en alignant potentiellement un escadron de chasse à plein potentiel en couverture de ses forces, et ce même en l’absence d’un porte-avions lourd. Enfin, une telle solution offrirait à l’US Navy une plus grande souplesse opérationnelle, en particulier face à la montée en puissance navale et aéronavale chinoise, sans devoir accroitre ses couts et surtout son format, que l’on sait être un enjeu majeur de la planification US.

HMS Queen Elizabeth F35B Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Contrairement aux LHA America, les porte-avions britanniques de la classe HMS Queen Elizabeth II ont été conçus pour cette fonction, et permettent de soutenir une densité opérationnelle bien plus importante.

Pour autant, tout ne sera pas simple pour les Marines américains. D’une part, il est probable que les LHA devront subir certaines modifications potentiellement importantes, afin d’en exploiter le potentiel opérationnel, qu’il s’agisse du nombre de sorties aériennes par jour, du deplacement des aéronefs sur le pont d’envol et de leur maintenance. Il est ainsi probable que le nombre de spot de récupération devra être augmenté pour fluidifier les rotations, alors qu’un pont plus large, ou un ski-jump, offriraient eux-aussi des gains appréciables. D’autre part, si les 2 premiers navires de la classe America, l’USS America et l’USS Tripoli, sont conçus comme des porte-aéronefs et porte-hélicoptères, les 9 autres navires à suivre seront, quant à eux, équipés d’un radier pour les manoeuvres amphibies, ce qui réduira sensiblement l’espace disponible pour le hangar aviation. Toute la question sera alors de savoir combien d’appareils pourront effectivement être mise en oeuvre à bord de ces navires, et si ce nombre sera suffisant pour répondre aux exigences de la mission de porte-avions, et non de navire amphibie disposant d’une capacité aérienne.

De fait, les retours d’experience qui émergeront de l’expérimentation qui sera menée par l’USMC et l’US Navy le mois prochain pourraient effectivement avoir des conséquences importantes sur le devenir de ces deux forces, ainsi que sur la capacité des Etats-Unis à maintenir une capacité aéronavale majeure globale sur la planète. Avec la montée en puissance chinoise, et l’arrivée en son sein de plusieurs nouveaux porte-avions, y compris à propulsion nucléaire, d’ici 2035, il est en effet probable que l’US Navy devra accroitre sa présence, et en particulier celle de ses porte-avions, dans le Pacifique et dans l’Océan Indien. Si l’expérimentation venait à être concluante, les Etats-Unis pourraient alors déployer l’essentiel de leur flotte de porte-avions nucléaires dans cette zone, en particulier en période de tension, tout en maintenant une forte présence aéronavale en Méditerranée et en Atlantique par l’intermédiaire de ses LHA, des navires probablement suffisants pour contrer la menace russe aux cotés des navires européens. En agissant ainsi, les Etats-Unis pourraient contenir la menace chinoise de manière plus efficace, limitant de fait les risques sur ces théâtres.

Drone Helicopter carrier Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
L’arrivée des drones de combat navalisés pourrait rapidement amener à l’émergence d’une nouvelle classe de porte-aéronefs conçus pour exploiter au mieux ce type de moyen, comme ici une image d’artiste de ce que pourrait être l’hypothétique classe Type 076 chinoise.

Reste que l’expérimentation US, si elle s’appuie sur un aéronef performant mais onéreux, aurait très certainement bénéficié d’aller au bout du raisonnement du porte-avions léger, et donc de tester simultanément la mise en oeuvre de drones moyens pour compléter la panoplie opérationnelle offensive et défensive du navire. Ainsi, la Royal Navy prévoit désormais d’équiper ses deux porte-avions de catapultes et de brins d’arrêt, non pas pour lancer ou récupérer ses F-35B, mais pour mettre en oeuvre des drones de combat embarqués devant assurer les missions de soutien comme la veille radar, la surveillance ISR (surveillance électronique), le ravitaillement en vol et même les frappes en zone contestée. Au final, on peut se demander si cette expérimentation n’aboutira pas, à moyen terme, à la conception d’une véritable classe de porte-avions et porte-drones léger, permettant d’articuler simultanément des avions de combat pilotés F-35B/C et des drones de combat navalisés, tout en restant dans une enveloppe budgétaire et opérationnelle bien inférieure à celle des porte-avions lourds comme les nouveaux Ford à 12 Md$ l’unité. Il est bon de se rappeler, à ce titre, qu’au plus fort de sa puissance, à la fin de la seconde Guerre Mondiale, l’US navy alignait une vingtaine de porte-avions lourds de la classe Wasp, ains que plus de soixante-dix porte-avions d’escorte, ces derniers ayant assuré des missions clés en matière d’escorte de convoi et de soutien aux actions amphibies.

Avec 3 SNLE à la mer, la Posture de dissuasion française au plus haut depuis 1983

Il est des signes qui ne trompent pas concernant le niveau de tension qui existe entre l’Occident et la Russie, sur fond d’agression russe en Ukraine. Ainsi, à peine quelques jours jours après le lancement de ce qui est présenté par Moscou comme une « Opération Spéciale Militaire », et qui de toute évidence tourne au cauchemar pour les armées russes, le Kremlin avait annoncé la mise en alerte renforcée de ses forces de dissuasion. Si sur le moment, les puissances nucléaires occidentales n’avaient pas publiquement relevé la menace pour ne pas aggraver la situation, elles n’en ont pas moins tirer leurs propres conclusions. Ainsi, on apprend aujourd’hui que la France a déployé à la mer 3 de ses 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, les navires clé de la dissuasion française, chacun emportant 16 missiles intercontinentaux M51 capables de transporter 6 à 10 têtes nucléaires de 100 Kt, un niveau de dissuasion jamais atteint depuis la crise des euromissiles en 1983, souvent considérée comme l’un des deux points culminants de la Guerre Froide avec la crise des missiles de Cuba en 1962.

En temps de paix, la Marine nationale déploie en permanence un unique SNLE à la mer pour garantir la securité de la France. Un second navire du même type est maintenu en alerte et doit être capable de prendre la mer en 24 heures en cas de crise. Le troisième navire assure lui une alerte à 30 jours, et son équipage est à l’entrainement. Le dernier bâtiment, enfin, est en maintenance programmée. Aux cotés des SNLE de la Force Océanique Stratégique, ou FOST, deux escadrons de l’Armée de l’Air et de l’Espace, le 1/4 Gascogne et le 2/4 Lafayette équipés de Rafale B spécialement adaptés à la mission nucléaire, assurent la composante aérienne de la dissuasion, avec capacité de frapper une cible à plusieurs milliers de kilomètres avec leurs missiles supersoniques ASMPA. Enfin, l’aéronavale française dispose également de la capacité de mettre en oeuvre ce même missile à partir de certains Rafale M embarqués à bord du porte-avions Charles de Gaulle. Aujourd’hui, de toute évidence, l’ensemble de ces capacités de dissuasion française sont en alerte, même si l’on ignore si effectivement, des missiles ASMPA ont été embarqués ou pas à bord du Charles de Gaulle aujourd’hui en mission en Méditerranée.

M51 3 test Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Chaque SNLE français de la classe le Triomphant emporte 16 missiles SLBM M51 d’une portée de 10.000 km capable d’emporter 6 à 10 véhicules de rentrée atmosphérique autonome emportant une charge nucléaire de 100 Kt.

Cette révélation intervient alors que l’intervention militaire russe en Ukraine continue de rencontrer une très vive résistance de la part des défenseurs ukrainiens, et que sur plusieurs lignes de contact, il semble même que l’initiative ait changé de camps. Ainsi, les forces armées ukrainiennes sont parvenues, ces derniers jours, à mener quelques actions d’éclat, comme la destruction de plus d’une dizaine d’hélicoptères des forces aériennes russes sur la base aérienne de Kherson, ou encore la libération du maire de Melitopol des mains des forces russes. Surtout, les pertes russes continuent de s’accumuler au delà de ce que ne peut soutenir le dispositif militaire déployé. Ainsi, selon le renseignement US, ce sont désormais plus de 7000 militaires russes qui auraient perdu la vie depuis le 24 février en Ukraine, soit un total de pertes que l’on peut estimer à plus de 25.000 hommes en tenant compte des blessés, des prisonniers (l’Ukraine annonce plus de 1.000 prisonniers de guerre), et des désertions.

Au delà des soldats, les officiers supérieurs et généraux russes paient également un très lourd tribu à cette guerre. Si à l’entame des combats, des rapports indiquaient que les chefs de corps se tenaient en général en retrait des engagements, ce n’est de toute évidence plus le cas, les forces russes ayant déjà reconnu la perte d’au moins 4 généraux et de plus d’une dizaine de colonel, et chaque jour allonge cette douloureuse liste pour les armées russes. Les pertes en matière de matériel sont elles aussi effroyables, avec prés de 250 chars perdus, soit prés de 10% du parc théorique des armées russes, ainsi que prés de 400 blindés de transport de troupe et de combat d’infanterie, plus de 100 systèmes d’artillerie ou encore plus de 30 systèmes anti-aériens, et ce uniquement pour ce qui concerne les pertes documentées et donc indiscutables. Les armées russes ont également prés de 500 camions logistiques, alors même que cette aspect est aujourd’hui le plus critique pour la poursuite de l’opération. Rappelons que si la Russie annonce disposer de 13.000 chars, seuls 3.000 d’entre eux sont effectivement opérationnels, le reste étant composé de chars parqués et non entretenus depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, et ne pouvant en aucun cas rejoindre le combat sans un passage long et couteux par une usine de modernisation.

T72B3 obr2016 Ukraine Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Les forces russes ont perdu plus de 58 T-73B2 Obr.2016, l’un des 3 chars les plus modernes en service , soit 10% de son parc théorique concernant ce modèle (550 exemplaires)

Or, la situation pourrait bien se compliquer encore davantage dans un avenir relativement proche pour les forces russes. En effet, les Etats-Unis ont annoncé l’envoi prochain de plus de 800 m$ de materiels militaires, y compris 9000 systèmes anti-chars dont 2000 Javelin, un millier de missiles antiaériens Stinger et surtout ce qui est présenté comme des drones légers, mais qui pourrait bien être des munitions vagabondes Switchblade 300, celles ci offrant des capacités d’engagement à plus longue distance aux défenseurs ukrainiens, notamment pour mener des embuscades contre les convois russes. En outre, avec un front plus stabilisé, les forces ukrainiennes parviennent désormais à mettre en place des tactiques de contre-batterie efficaces pour neutraliser l’artillerie russe, employant pour cela ses radars de contre-batterie, tout ceci contribuant à priver les forces russes de ses multiplicateurs de puissance traditionnels. Enfin, Washington étudie désormais la possibilité de livrer à Kyiv des moyens plus lourds mais toujours défensifs, en l’occurence des systèmes antiaériens comme le S-300 prélevés sur les inventaires de certaines armées de l’OTAN comme la Slovaquie et la Grèce, pour renforcer la défense anti-aérienne et surtout anti-missile avec des systèmes connus des militaires ukrainiens.

Pour tenter de conserver l’avantage, Moscou fait désormais appel à ses réserves, rapatriant des unités déployées dans l’est du pays, ou encore en Ossétie ou en Arménie, pour compenser les pertes enregistrées. En outre, le Kremlin fait désormais appel à des supplétifs venus de Tchétchénie ou de Syrie pour compenser et surtout réduire les pertes russes en combat urbain, sans que l’on puisse objectivement évaluer le volume et l’efficacité de ces mesures, et sans que l’on puisse envisager que ces nouvelles troupes puissent effectivement faire la différence sur le terrain, en dehors de faire durer le conflit et ses destructions. Rappelons qu’aujourd’hui, les armées ukrainiennes ont effectivement rappelées 250.000 réservistes pour renforcer leurs 200.000 hommes et femmes formant initialement ses effectifs, et que les défenses territoriales rassemblent plusieurs dizaines de milliers de civils en arme pour résister aux attaques russes. Dés lors, le rapport de force en Ukraine dépasse les 2 contre 1 en faveur des ukrainiens, pourtant en position défensive, rendant très improbable désormais un succès militaire global des armées russes dans le pays.

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La munition vagabonde Switchblade 300 ne pèse que 2,5 kg et peut tenir l’air 15 minutes jusqu’à 10 km de son point de lancement. Elle emporte une charge explosive légère efficace contre l’infanterie ou les véhicules non blindés, mais peut également servir à endommager les systèmes de detection/visualisation des véhicules plus lourdement blindés. Une version plus lourde, le Switchblade 600, existe également, mais son poids de plus de 25 kg oblige à la mettre en oeuvre à partir d’un véhicule.

Dans ces conditions, et face à un échec de plus en plus sensible de l’opération militaire spéciale russe en Ukraine, le pouvoir de Vladimir Poutine sortira, comme son armée, immanquablement très affaibli de ce conflit, ce d’autant que les pertes très lourdes subies par les militaires russes seront rendues publiques dans le pays. Cette vulnérabilité du pouvoir russe a d’ailleurs amené le president Vladimir Poutine à désigner, dans une intervention télévisée, les responsables selon lui de cet échec en devenir sans le nommer, à savoir les oligarques et la classe dirigeante russe, en particulier celle qui, selon lui, a été corrompue par l’occident et ses richesses. C’est probablement pour parer à un éventuel acte désespéré du président Russe que la posture d’alerte de la dissuasion française, comme probablement celle de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis, ont été renforcées à des niveaux sans équivalents depuis la fin de la Guerre Froide.

L’Allemagne va-t-elle se limiter à 35 F-35A pour sa Luftwaffe ?

Sans surprise, la chancellerie allemande a donc annoncé, dans le cadre de son programme de remonté en puissance de ses forces armées, l’acquisition de 35 avions de combat F-35A auprés de l’américain Lockheed-Martin pour assurer la mission de partage nucléaire de l’OTAN dont Berlin est l’un des 5 piliers avec Ankara, Amsterdam, Bruxelles et Rome, aux cotés de 15 appareils de guerre électronique et de suppression des défenses antiaériennes adverses Typhoon ECR du consortium européen Eurofighter rassemblant l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et la Grande-Bretagne, afin de remplacer les Tornado ECR qui assuraient cette mission jusqu’ici. Au delà de signer la fin de la production du F/A 18 E/F Super Hornet et du EA-18G Growler de Boeing, qui devaient initialement être commandés pour assurer ces même missions, cette décision attendue de Berlin, telle que formatée et présentée, induit de nombreuses questions sur l’avenir de la coopération européenne en matière de défense.

En premier lieu, et pour couper court à toute polémique inutile, il est important de rappeler que, dans ce dossier, Berlin n’avait au final que peu d’alternatives en dehors de commander effectivement des F-35A américains, seul appareil qualifié pour mettre en oeuvre la nouvelle bombe nucléaire B-61Mod12 américaine qui sera bientôt en service dans le cadre du partage nucléaire au sein de l’alliance. Le pari fait par Angela Merkel d’annoncer la commande de Super Hornet et de Growler, précisément pour ne pas commander de F-35A, a échoué puisque le Pentagone n’a pas intégré l’avion de Boeing dans son programme de qualification de cette munition. De fait, pour rester dans le club des nations intégrées au partage Nucléaire de l’OTAN, Berlin n’avait plus d’autre choix que d’abandonner le Super Hornet et de se tourner vers le F-35A. Se faisant, il devenait impensable d’acquérir et de mettre en œuvre une micro flotte de 15 EA-18G Growler pour remplacer les Tornado ECR de la Luftwaffe, et le choix d’une version spécialisée du Typhoon, par ailleurs proposée par Airbus DS il y a 3 ans, prend tout son sens. Enfin, à aucun moment le Rafale français n’a été considéré comme une alternative dans ce dossier, puisque le couple formé par le Rafale et le missile nucléaire ASMPA n’est pas intégré au partage nucléaire de l’OTAN, et que Berlin n’a aucun intérêt à acquérir des avions français de ce type alors qu’il peut acquérir des Typhoon produits par sa propre industrie.

EA18G Growler Us Navy Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Berlin avait initialement choisi le EA-18G Growler de Boeing comme remplaçant de ses Tornado ECR de guerre électronique

Au delà de constater la liste des nouveaux équipements de défense que Berlin s’apprête à commander, y compris les chasseurs américains, des hélicoptères lourds, des systèmes anti-aériens et de nouveaux véhicules de combat d’infanterie, le tout pour 48 Md€ soit la moitié de l’enveloppe de 100 Md€ annoncée pour cette transformation, il est surtout pertinent de remarquer ce qui n’y est pas, en l’occurence les quelques 60 Typhoon Tranche IV que la Luftwaffe devait commander pour remplacer ses Tornado IDS dédiés aux missions de frappes aériennes. Sur les quelques 90 Typhoon devant être commandés pour remplacer les Typhoon tranche I et les Tornado, seuls 27 l’ont effectivement été, et on pouvait raisonnablement s’attendre à ce que les appareils restants soient commandés à cette occasion. En outre, alors que la Luftwaffe va finalement recevoir 15 Typhoon ECR en lieu et place de Growler américain, l’enveloppe globale d’appareils potentiellement commandés aurait dépassé les 100 unités, suffisante pour espérer des optimisations industrielles et de prix plus compétitifs.

Le fait que cette commande n’ai pas été annoncée doit également être prise en considération dans le cadre des autres annonces faites par Olaf Scholz devant le Bundestag le 27 février 2022, durant laquelle il a entre autres choses, annoncé l’enveloppe de 100 Md€ pour la reconstruction des armées allemandes, et la hausse du budget allemand consacré à La Défense pour dépasser les 2% de PIB, soit au delà de 70 Md€ par an. Ainsi, le chancelier allemand avait précisé que ces moyens supplémentaires serviraient, entre autre, à financer les grands programmes européennes, citant le programme MGCS de char de combat et surtout le programme SCAF rassemblant Paris, Madrid et Berlin pour concevoir à horizon 2040 le remplaçant du Typhoon et du Rafale. Or, Berlin n’est pas sans savoir que l’arrivée du F-35A au sein de la Luftwaffe sera perçue par Paris comme une menace très significative quant à la poursuite du programme, et ce d’autant que cela lèvera très certainement les dernières réticences espagnoles quant à faire de même pour remplacer ses F/A 18 Hornet et surtout ses Harrier Matador embarqués à bord de son porte-aéronef.

Sholz Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Le 27 février, 23 jours après le début de l’offensive russe en Ukraine, Olaf Scholz a annoncé devant le Bundestag un effort historique de l’Allemagne pour sa défense

En outre, il est désormais de notoriété publique que le programme SCAF rencontre d’importants vents contraires depuis plusieurs mois. Ainsi, Airbus DS a accepté de faire marche arrière quant aux commandes de vol électrique qui équiperont le démonstrateur de l’appareil devant être construit lors de la phase 1B votée et financée depuis 9 mois mais à l’arrêt sur fond de désaccord avec Dassault Aviation, permettant au programme de redémarrer. Toutefois, les points de désaccords entre les deux géants aéronautiques européens, mais également entre Paris et Berlin, restent quant à eux très nombreux, et d’importants blocages sont à prévoir dans les années à venir si la situation restait en l’état. De fait, en ne commandant que 35 F-35A, l’Allemagne entend préserver la susceptibilité et surtout atténuer les inquiétudes de son partenaire européen, tout en débloquant temporairement le programme SCAF, de sorte à arrondir les angles avec Paris.

Pour autant, il semble évident qu’en n’annonçant pas la commande de Typhoon supplémentaires, Berlin se garde une porte de sortie pour se tourner vers une flotte bien plus importante de F-35A américains si, par exemple, les difficultés autour du programme SCAF venaient à perdurer voire à s’intensifier. A ce titre, certaines indiscrétions confidentielles venues du Pentagone ont fait état d’une négociation globale entre Washington et Berlin portant non pas sur 35 appareils, mais sur un total de 172 aéronefs, soit autant que de Typhoon devant être en service à la fin de la décennie. Une telle hypothèse serait par ailleurs cohérente avec le dimensionnement budgétaire en devenir de la Défense allemande, permettant en effet de mettre en oeuvre une flotte de chasse de 350 appareils, contre 240 aujourd’hui, alors que 100 Tornados (dont 24 ECR) et une trentaine de Typhoon doivent être remplacés d’ici la fin de la décennie. Rappelons à cet égard que la Luftwaffe n’a jamais mis en oeuvre un unique modèle d’appareil dans sa composante chasse, qu’il s’agisse du couple Tornado-Typhoon actuel, du F-4 Phantom II – Tornado des années 80 et 90, ou du couple F-104 – F-4 des années 70. Dans ce contexte, et sachant que le Typhoon reste un appareil initialement conçu pour la supériorité aérienne, le couple F-35A – Typhoon Block III/IV apparait, du point de vue de la Luftwaffe, parfaitement rationnel et en harmonie avec le double alignement OTAN/UE de Berlin.

Tornado biplace Actualités Défense | Contrats et Appels d'offre Défense | Coopération internationale technologique Défense
Airbus DS avait proposé une version de guerre électronique de son Typhoon à Berlin en 2019

On comprend dès lors que l’arrivée du F-35A au sein de la Luftwaffe est un exercice de haut vol pour Berlin, dans un contexte sécuritaire particulièrement tendu permettant des décisions historiques pour l’exécutif allemand, et ce d’autant qu’il est probable que, d’une manière ou d’une autre, d’autres commandes de cet appareil interviendront dans un avenir relativement proche, probablement autour de 2024 ou 2025, une fois que la phase 1B du programme sera terminée. Or, à cette date, soit le programme sera un échec de manière évidente, permettant à Berlin de commander d’autres F-35A en solution de remplacement et de se tourner vers d’autres partenariats comme le NGAD américain ou le Tempest britannique, soit il perdurera, mais Paris aura déjà trop investi pour s’opposer à l’arriver de nouveaux F-35 outre Rhin. D’une manière ou d’une autre, il est désormais plus que probable que la Luftwaffe mettra en oeuvre bien plus de 35 F-35A d’ici 2030.

En outre, même si le programme SCAF venait à perdurer, l’arrivée du F-35A en Allemagne et probablement en Espagne modifiera sensiblement sa conduite , et le rapport de force au sein de celui-ci. En effet, pour Paris, il est indispensable de disposer à horizon 2040 d’un remplaçant au Rafale, si les forces aériennes françaises veulent conserver une capacité d’entrée en premier et une certaine avance technologique en matière de guerre aérienne et aéronavale. Avec le F-35, ce calendrier sera bien moins impérieux pour Berlin et Madrid, disposant d’un appareil disposant d’attributs spécifiques évolués permettant d’assurer l’intérim jusqu’à l’arrivée du nouvel aéronef, même au delà de 2040. Dans ce contexte, la France sera évidemment en position de faiblesse, obligée de céder à plus d’exigences allemandes et espagnoles de sorte à respecter le calendrier opérationnel qui conditionne la sécurité du pays, y compris dans sa dimension stratégique.

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En dépit de ses qualités, le Rafale aura beaucoup de mal à se maintenir au sommet de la hiérarchie mondiale des avions de combat au delà de 2035/2040

D’une manière ou d’une autre, il apparait indispensable pour Paris de se mettre sur un pied d’égalité budgétaire mais également opérationnelle avec Berlin, condition nécessaire pour espérer mener à terme le programme SCAF qui tient à coeur de l’exécutif. Dans ce contexte, et comme la France n’achètera jamais de F-35 américains, il est désormais plus que pertinent de developper, aux cotés du SCAF, un second programme de chasseur monomoteur reprenant les attributs de la 5ème génération, potentiellement en partenariat avec d’autres nations européennes pour qui un chasseur monomoteur à haute performance mais économique aurait un grand intérêt comme la Grèce, le Portugal ou encore la Suède, représentant tout à la fois une alternative de choix pour accroitre en volume les forces aériennes françaises en remplaçant le mirage 2000, ainsi qu’une alternative technologique et opérationnelle au F-35 tant du point de vue politique que commercial, sur la scène européenne comme internationale.

Un tel programme permettrait également de donner aux industriels français comme Dassault Aviation, Thales et Safran, des perspectives suffisantes pour maintenir et developper leurs compétences au delà du partage industriel autour du seul programme SCAF, facilitant de fait les négociations avec Berlin et Madrid concernant le SCAF. Reste à voir si les élites politiques françaises sauront faire preuve de suffisamment de discernement pour appréhender cette nouvelle réalité avec objectivité, et y apporter les réponses adéquates pour permettre à la France, sa défense et son industrie de maintenir son rang, sa posture et son efficacité en Europe comme sur le reste de la planète.