Le repositionnement en cours des forces russes ayant quitté le nord de l’Ukraine, laisse anticiper un prochain effort massif des armées de Moscou dans le Donbass, afin de sécuriser la prise des deux Oblast de Luhansk et Donetsk, ainsi que les cotes ukrainiennes bordant la mer d’Azov au sud du Dniepr. Malgré de très importantes pertes, les russes ayant perdu plus de 450 chars et 800 véhicules blindés depuis le début du conflit de manière documentée, et probablement davantage, les forces russes disposent encore d’importantes réserves, d’autant que leur artillerie a été relativement préservée avec « seulement » 4% de pertes vis-à-vis de l’inventaire théorique (contre 17% des chars et 9% des véhicules de combat d’Infanterie), et une puissance aérienne importante par ailleurs disposant du plein potentiel de la défense anti-aérienne déployée le long de frontière russo-ukrainienne. Pour y faire face, les armées ukrainiennes ont déployé plus de 40.000 militaires dans cette region, parmi les plus aguerries et expérimentées dont elles disposent, et de nouveaux renforts sont en cours de redéploiement en provenance des fronts nords.
Si les armées ukrainiennes ont démontré leur grande efficacité opérationnelle, une offensive massive des forces russes dans le Donbass sera très complexe à contrer, ne pouvant ni s’appuyer sur les importants points de fixation que représentent les grandes villes en dehors de Dniepro et Zapoijjha sur le Dniepr. En outre, si l’infanterie ukrainienne s’est montrée redoutable, l’artillerie dont dispose les armées de Kyiv est largement moins nombreuse que celle alignée par Moscou, d’autant que la puissance aérienne russe pourra davantage déployer sa puissance sur un tel théâtre. Enfin, à moins d’accepter de reculer pour étendre les lignes de communication et logistiques russes de sorte à appliquer la même stratégie qu’autour de Kyiv, les opportunités de mener une campagne de harcèlement des lignes russes sera beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre dans cette region. En d’autres termes, et en dépit des qualités incontestables dont ont fait preuve les armées ukrainiennes, la bataille du Donbass qui se dessine, et qui pourrait bien s’avérer décisive pour l’avenir de l’Ukraine, sera des plus difficiles.
L’Artillerie russe a été bien moins affaiblie depuis le début des combats en Ukraine que les chars ou l’infanterie.
La meilleure des solutions, pour rétablir le rapport de forces et neutraliser l’avantage que procure la puissance de feu et l’aviation russe, serait naturellement de livrer rapidement aux forces ukrainiennes des moyens lourds, tanks, artillerie, véhicules de combat d’infanterie et défenses anti-aériennes à longue portée, materiels par ailleurs réclamés à corps et à crie par Kyiv depuis plusieurs semaines. Toutefois, européens comme américains semblent toujours peu enclin à franchir un tel pas, craignant de provoquer Moscou dans une extension du conflit, et ce même si les armées russes n’ont plus, désormais, capacités à mener une offensive conventionnelle contre l’OTAN ni même contre les membres de l’UE non membres de l’alliance. Des efforts sont semble-t-il menés en ce sens par les Etats-Unis et certaines pays d’Europe de l’Est, les seuls à disposer des mêmes materiels que les armées ukrainiennes susceptibles d’être rapidement pris en main et mis en oeuvre par ces forces, mais il semble peu probable qu’ils puissent aboutir avant le déclenchement de l’offensive à venir, sachant que pour Moscou, il est politiquement indispensable d’afficher une victoire avant les célébrations du 9 Mai.
D’autres pays semblent plus volontaires que les Européens dans ce domaine. Ainsi, la Grande-Bretagne à livrer des systèmes anti-aériens Starsteak à courte portée aux armées ukrainiennes, et étudierait la possibilité de livrer des véhicules blindés. Plus évolué et plus lourd que les missiles antiaériens épaulés comme le Stinger et la Grom, le Starsteak aurait d’ailleurs déjà fait ses premiers victimes selon certains analystes, en l’occurence un hélicoptère de combat Mi-28 et un chasseur Su-35, grâce à des performances et une portée supérieures aux autres systèmes, et une bien meilleure résistance aux contre-mesures. Les Etats-Unis, de leur coté, ont déjà livré des munitions vagabondes d’infanterie Switchblade 300, permettant de frapper des forces d’infanterie ou des véhicules non blindés jusqu’à une dizaine de kilomètre. Mais pour faire face au déferlement de puissance de feu qui s’annonce, une munition vagabonde plus puissante et plus lourde était nécessaire. C’est la raison pour laquelle Washington vient d’annoncer la livraison de Switchblade 600 aux armées de Kyiv.
Leger, le Switchblade 300 n’a pas la capacité de détruire un véhicule blindé, sa charge militaire étant comparable à celle d’une grenade de 40 mm.
Développé par AeroVironment, le Switchblade 600 est une munition vagabonde bien plus lourde que le modèle 300, affichant sur la balance 52 kg contre 5,5 kg, nécessitant un véhicule de transport et un affut lourd pour être mis en oeuvre. Pour autant, les performances du Switchblade 600 sont sans commune mesure avec son petit cousin, avec une autonomie en vol de 40 min, une portée de 40 km, et une charge militaire identique à celle qui équipe le missile antichar Javelin. Equipé d’une liaison de données numériques, la portée du Switchblade 600 peut même atteindre les 90 km, en faisant un redoutable chasseur de blindé, de systèmes d’artillerie et anti-aériens à moyenne portée pour les armées ukrainiennes, et peut de fait constituer une excellente alternative pour affaiblir et neutraliser la puissance de feu russe, d’autant que, comme les autres drones, le Switchblade sera probablement difficile à détecter et intercepter par la defense anti-aérienne adverse. Fait interessant, le prix unitaire du Switchblade 600 serait inférieur à celui du missile Javelin, soit moins de 100.000$ par drone.
Reste que pour se montrer déterminant, les armées ukrainiennes devraient disposer d’un grand nombre de ces munitions vagabondes. Or, rien n’indique que les Etats-Unis disposeraient d’importants stocks de ce type de munition, celui-ci étant aujourd’hui avant tout utilisé à des fins d’expérimentation, alors qu’aucun matériel en service ni aucune armée ne mettent en oeuvre ce drone de manière opérationnelle. De fait, il est probable que le nombre de Switchblade 600 qui seront expédiés dans les délais requis aux forces ukrainiennes soit des plus réduits, limitant son utilisation à la destruction de cibles à très haute valeur, comme les postes de commandement par exemple, et probablement pas de façon suffisamment significative pour influencer le déroulement des opérations. En outre, même dans cette hypothèse, et contrairement aux alentours de Kyiv, les forces ukrainiennes ne disposeront probablement pas de la même qualité de renseignements venus de l’OTAN, alors que le Donbass est beaucoup plus éloigné des zones de patrouille potentielles des avions et drones de renseignement de l’Alliance, rendant la localisation ce type de cible plus difficile, et réduisant de fait l’influence potentielle de cette munition dans cette bataille.
L’Europe est une terre de paradoxe. Alors que durant les 10 dernières années, les dirigeants européens avaient ignoré la montée en puissance des armées russes et la construction d’une puissance militaire aux portes de l’Europe appuyée sur le puissant allié chinois, et capable, tel qu’on le pensait il y a encore quelques semaines, de prendre l’ascendant sur les forces de l’OTAN présentes en Europe, le déclenchement de l’invasion de l’Ukraine par les armées russes, et les mauvaises performances flagrantes de ces dernières face à un adversaire sensé être largement inférieur, a engendré une vague d’annonces en faveur de l’effort de défense au sein de toute l’Union européenne. Après la presentation du spectaculaire effort de defense allemand s’appuyant sur une enveloppe initiale de 100 Md€ et la hausse du budget de la Défense à 75 Md€, soit plus de 2% du PIB, et des annonces du même ordre de la part des pays Baltes, d’Europe de l’Est, des pays nordiques et même du Benelux, c’est désormais au tour de l’Italie de s’engager dans un ambitieux plan pour accroitre son effort de défense et atteindre en 2028 les 2% de PIB.
Si Rome atteindra l’objectif fixé en 2014 par l’OTAN avec 3 années de retard, puisque l’engagement pris alors visait un effort de defense supérieur ou égal à 2% pour l’ensemble des membres de l’Alliance en 2025, il ne s’agit pas moins d’un changement radical de posture pour l’Italie, qui aujourd’hui ne dépense que 26 Md€ pour ses armées chaque année, soit 1,4% de son PIB, et que le pays avait averti qu’il ne viserait pour 2025 qu’un effort de défense de 1,5 % de son PIB il y a encore quelques mois. Il est vrai que le pays faisait face à l’opposition du parti 5 étoiles, membre de la coalition de gouvernement, pour accroitre les dépenses de Défense, avec la menace pour Mario Draghi de voir cette même coalition voler en éclat, et risquer un nouvel épisode d’instabilité politique. Mais depuis le 24 février, un profond changement est intervenu au sein de l’opinion publique italienne, jusqu’il y a peu très permissive vis-à-vis des éléments de langage venus du Kremlin, et désormais ce sont 61% des italiens qui sont en faveur d’une hausse des dépenses de défense, libérant l’action du gouvernement même dans le cadre ce la présente coalition.
L’Italie a commandé 60 F-35A et B pour équiper ses forces aériennes et aéronavales.
En tenant compte de la hausse prévisible du PIB italien d’ici 2028, les armées italiennes verront donc leur budget augmenter de presque 40% en valeur absolue en seulement 6 ans, pour flirter avec les 40 Md€ par an, leur offrant de nouvelles perspectives opérationnelles et industrielles. Déjà, le pays consacrait un important budget de 6,7 Md€ par an pour les acquisitions de materiels, soit presque autant que la France dont le budget Défense est pourtant 50% plus élevé. La hausse à venir permettra sans le moindre doute à Rome de soutenir encore plus activement son industrie de défense, à hauteur de 10 Md€ par an si la hausse des crédits d’équipements respecte le ratio actuel, et ainsi financer les ambitieux programmes déjà annoncés, comme la construction d’une classe de destroyer lourd, le developpement d’un nouvel hélicoptère de combat ou la participation au programme Tempest britannique et aux programmes FVL d’hélicoptères de nouvelle génération américains.
Avec 165.000 militaires d’active, les armées italiennes ont une représentativité moyenne en Europe vis-à-vis de sa population, avec 2,7 militaires pour 1000 habitants contre 3,1 en France et 2,2 en Allemagne. Ces dernières années, la Marine italienne avait eu les faveurs budgétaires de Rome, avec l’entrée en service et la commande de nombreux navires dont les frégates Bergamini et Thaon di Revel, les navires logistiques Volcano, le porte-aéronefs Trieste et 4 sous-marins Type 212 NFS, et la conception d’une nouvelle classe de Destroyers lourds. Les forces aériennes ont pour leur part perçues les derniers des 95 Typhoon commandés, ainsi que les premiers des 60 F-35A/B assemblés dans le pays, et ont commandé 8 nouveaux appareils de renseignement électronique.. Les forces terrestres, moins bien loties, ont reçu les 300 premiers véhicules de combat d’infanterie 8×8 Freccia, et vont recevoir les premiers des 120 chars légers Centauro II commandés. Pour autant, les armées italiennes emploient encore de nombreux materiels jugés obsolètes, comme le vehicle de transport de troupe blindé M113, et manquent, comme la plupart des armées européennes, de masse pour soutenir un engagement de haute intensité.
Reste à voir désormais, comme pour l’Allemagne, comment sera ventilée cette nouvelle manne budgétaire pour les armées italiennes. La tentation sera grande, pour Rome, de concentrer ces crédits supplémentaires vers sa propre industrie, et non vers l’augmentation des effectifs bien plus délicate à mettre en oeuvre, et au retour budgétaire bien moins performant. Pour autant, à Rome comme à Berlin, les clés de l’efficacité opérationnelle repose précisément sur l’augmentation de la masse, indispensable ne serait-ce que pour mettre en oeuvre les nouveaux materiels et navires commandés ces dernières années de manière efficace. L’avenir nous dira si l’Italie veut effectivement prendre un rôle croissant dans la Défense européenne, ou si l’objectif ne sera, dans les faits, que de soutenir son industrie et ses exportations, tout en donnant le change de manière superficielle au sein de l’OTAN et de l’UE.
Les relations entre l’Europe, et en particulier la France, et la Turquie, ont été pour le moins tumultueuses ces dernières années. Entre l’intervention turque dans le nord de la Syrie contre les alliés Kurdes de la France et des Etats-Unis, le soutien militaire apporté par Ankara au régime de Tripoli en Libye, et les tensions en Méditerranée Orientale, en Mer Egée et autour de Chypre, les points de friction entre Ankara et Paris n’ont pas manqué, et les relations entre les deux pays, comme entre les deux chefs d’Etat, étaient devenues très difficiles. Dans le même temps, la décision turque d’acquérir le système anti-aérien à longue portée russe S-400, en rupture avec la stratégie et l’interopérabilité de l’OTAN, avait provoqué l’ire de Washington, entrainant l’exclusion de la Turquie du programme F-35 et même de sévères sanctions sur les exportations d’armes américaines vers Ankara. Même la demande turque visant à acquérir des kits de modernisation ainsi que de nouveaux appareils pour moderniser sa flotte de F-16 fut refusée par le Congrès américain, alors que les sanctions européennes entrainaient l’arrêt de plusieurs programmes clés de l’industrie de défense, comme le char Altai.
Toutefois, si l’attitude du Président Erdogan avec son homologue Russe Vladimir Poutine a souvent été ambiguë, le soutien d’Ankara à l’Ukraine et à son effort de défense a très probablement été le plus volontaire du camps occidental, au point de créer en retour des tensions, feutrées mais sensibles, avec Moscou. Depuis le début du conflit, ce soutien s’est encore accru, avec la livraison de drones TB2 Bayraktar devenus l’icône de la résistance en Ukraine, et en allant même jusqu’à fermer les détroits à la marine Russe, empêchant les transferts de navires de ou vers la Mer Noire. En outre, l’implication turque dans la posture défensive de l’OTAN a été, depuis le 24 février, exempt de tout reproche, alors que le Président Erdogan a joué autant que possible la carte de médiateur pour tenter de trouver une issue à cette guerre. Est-ce un changement de posture de la part du président turc, ou l’expression d’une perception plus complexe qu’il n’y parait de la position de la Turquie au sein de l’alliance et du bloc occidental sur ce théâtre ? C’est encore difficile à déterminer, mais il est incontestable que le visage présenté par Ankara depuis le début du conflit peut amener les occidentaux à réviser leurs jugements.
Les drones MALE legers TB2 Bayraktar fabriqués par la Turquie remportent d’importants succès en Ukraine face aux forces russes, faisant de drone l’un des symboles de la résistance ukrainienne
La première annonce spectaculaire dans ce domaine eut lieu la semaine dernière, lorsque la Turquie, la Grèce et la France, les 3 pays en tension il y a tout juste quelques mois, annonçaient une initiative commune visant à tenter d’évacuer la population civile de la ville martyre de Marioupol dans le Donbass. Si l’initiative a, de toute évidence, fait long feu, elle marquait toutefois un changement de posture radical de Paris, Athènes et Ankara, au point d’envisager des actions commune sur la scène internationale en situation de crise. Dès lors, les déclarations du Président Erdogan faites à la Presse en fin de semaine dernière au sujet d’une possible reprise des négociations avec Rome et Paris au sujet de la possible acquisition de systèmes anti-aériens et anti-missiles SAMP/T, doivent être considérées avec la plus grande attention, d’autant que les autorités italiennes ont confirmé la reprise des pour-parlers à ce sujet. Selon R.T Erdogan, les contacts ont déjà été pris avec l’Italie et la France à ce sujet, et pourraient avancer une fois passées les élections présidentielles françaises, conscient qu’aucune annonce à ce sujet ne pourra être faite avant que le prochain président français ne soit élu.
Lancé au début des années 1990, le programme Aster rassemblait la France et l’Italie afin de developper un successeur aux missiles anti-aériens Hawks et SM1 qui équipaient les unités de defense antiaérienne et les navires des deux pays. En 2002, le premier tir d’un missile Aster 15 à partir du système PAAMS (Principal Air to Air Missile System) du porte-avions français Charles de Gaulle était réalisé. 3 ans plus tard, l’Armée de l’Air française enregistrait le premier tir d’un missile Aster à partir de la version terrestre du système, le SAMP/T (Sol-Air Moyenne Portée / Terre). Depuis, le missile Aster équipe la majorité des frégates de premier rang françaises et italiennes, mais également les destroyers anti-aériens Type 45 Daring de la Royal Navy, ainsi que plusieurs navires des marines saoudiennes, qatari, égyptienne, marocaine, algérienne et singapourienne. La version terrestre, quant à elle, équipe les armées françaises et italiennes, et assurent des missions de défense anti-aérienne et anti-missile.
Le système PAAMS équipe les frégates FREMM de la classe Aquitaine, Alsace et Bergamini, ainsi que les frégates anti-ariennes Horizon et les porte-avions Cavour et Charles de Gaulle des marines françaises et italiennes
Le SAMP/T offre aujourd’hui, avec ses missiles Aster 15 et Aster 30, une défense anti-aérienne globale à 360°, et peut intercepter des avions jusqu’à 120 km et des missiles de croisière jusqu’à 30 km. De part son extreme manœuvrabilité, sa grande précision et sa vitesse de Mach 4,5, l’Aster 30 est considéré plus efficace que le SM2 américain, et peut intercepter des missiles balistiques à courte portée. Une nouvelle version du missile, désignée Block 1NT, a été conçue spécifiquement pour la mission anti-balistique, avec une capacité d’interception de missiles à moyenne portée, alors qu’une troisième version, désignée Block 2, est considérée par Paris et Rome pour contrer les missiles hypersoniques et les missiles à trajectoires semi-balistique dans le cadre du programme européen TWISTER. Dans le même temps, le système SAMP/T sera également modernisé vers le standard SAMP/T NG, en remplaçant notamment le radar Arabel qui équipe aujourd’hui les batteries par le nouveau GF300, version terrestre plus puissante du radar AESA Sea Fire 500 de Thales qui équipera les nouvelles Frégates de Défense et d’Intervention de la Marine Nationale et de la Marine Hellénique.
Se tourner vers le système franco-italien représente de nombreux intérêts pour Ankara. En premier lieu, il permettrait aux armées turques de compléter et moderniser la Défense anti-aérienne sur le segment intermédiaire, entre le S-400 russe et les systèmes HISAR-A et Hisar-O à courte portée de facture locale. En outre, les discussions initialement entamées entre le consortium EUROSAM et la Turquie prévoyait un volet de transfert de technologies et d’accompagnement pour le developpement de l’HISAR-U à moyenne portée. Enfin, et c’est loin d’être exclu, le SAMP/T, dans sa version NG, pourrait représenter une alternative au S-400 turcs déjà en service, mais qui pourraient voir leur avenir au sein des forces armées turques compromis, entre la volonté (et la nécessité) d’Ankara de normaliser ses relations avec ses alliés occidentaux, et les relations plus houleuses avec Moscou en raison du soutien appuyé à l’Ukraine.
Le système anti-aérien HISAR-O+ est entré en production pour équiper les armées turques, offrant une defense à moyenne portée de 25 km contre les aéronefs et les hélicoptères
Reste à voir, désormais, à quel point ces négociations, mais également le changement de posture affiché par Ankara, sont solides et pérennes dans le temps. Ce ne serait, en effet, pas la première fois que de telles négociations auraient été lancées simplement pour temporiser. On peut penser que face au visage dévoilé par Moscou ces dernières semaines, les autorités turques évalueront à l’avenir différemment l’opportunité de se tourner vers la Russie, ou vers la Chine, et ce d’autant que l’économie turque continue de souffrir avec une inflation galopante à 61% en mars 2022, et un taux de chômage frôlant les 25% pour les moins de 30 ans, qui représentent près de la moitié de la population dans le pays. Dans ces conditions, la normalisation des relations avec l’Union Européenne et les Etats-Unis pourrait largement améliorer la situation, et une coopération avec la France en matière de Défense constituerait, sans le moindre doute, un symbole de poids sur la scène internationale.
S’il est un domaine dans lequel le savoir-faire français de défense est universellement reconnu, c’est bien la lutte anti-sous-marine. Qu’il s’agisse de ses frégates, de ses sous-marins, ou de ses avions de patrouille maritime, la Marine nationale a très souvent fait la démonstration d’une technicité et de capacités avancées, surpassant même celles des pourtant très efficaces alliés américains et britanniques. Ainsi, à plusieurs reprises ces dernières années, les nouvelles frégates françaises de la classe Aquitaine ont remporté la compétition « Hook’em » organisée par l’US Navy, récompensant le ou les meilleurs équipages de l’OTAN dans le domaine de la lutte anti-sous-marine.
Si la Marine Nationale récolte les honneurs dans ce domaine, c’est en partie en raison d’un savoir-faire opérationnel et d’un entrainement très exigeant de ses équipages, mais également grâce à des materiels particulièrement performants et optimisés pour cette mission. Ainsi, si la FREMM française classe Aquitaine n’a ni la vitesse ni le deplacement de sa cousine italienne, elle dispose en revanche d’une discrétion acoustique bien supérieure, notamment grâce à l’utilisation d’hélices à pas fixe optimisées pour cette mission. Mais c’est bien dans le domaine des Sonar qu’il faut chercher les meilleurs arguments de cette excellence opérationnelle, et notamment dans le sonar tracté à profondeur variable CAPTAS-4 qui équipe les nouvelles frégates françaises, mais également les navires italiens, espagnols ou encore britanniques. Et la liste des clients du CAPTAS va encore détendre avec la plus prestigieuse des références dans ce domaine, puisque selon le Contre-Amiral Casey Moton, qui supervise la construction des nouvelles frégates ce la classe USS Constellation pour l’US Navy (et qui sont dérivées des FREMM italiennes), le sonar de Thales a été sélectionné précisément pour équiper ces navires.
Les frégates de la classe Constellation auront pour mission l’escorte ASM des grandes unités navales, prenant la suite de célèbres frégates américaines comme les Knox ou les O.H Perry.
Contrairement à sonar de coque, le sonar tracté à profondeur variable est, comme son nom l’indique, tracté derrière la frégate à l’aide d’un long câble, et peut faire varier sa profondeur d’évolution. Cela lui permet non seulement d’être exempt de sons parasites générés par le navire à la mer, mais également de pouvoir passer, si besoin, sous la thermocline, une couche en profondeur où la température et la salinité de l’eau de mer varie brusquement. Or, cette thermocline agit comme un écran acoustique pour la propagation des sons, et les sous-marins peuvent en profiter pour évoluer à proximité des sonars adverses sans se faire détecter (mais sans pouvoir les détecter non plus). Grâce au sonar à profondeur variable, la frégate est ainsi capable d’aller écouter sous la thermocline, et donc de détecter les sous-marins qui y évoluent, mais également de positionner celui-ci à la profondeur optimale pour une détection acoustique étendue.
Pour l’US navy, le CAPTAS-4 constitue la meilleure alternative du moment, et la moins risquée, dans l’attente d’une éventuelle solution de facture nationale qui devait initialement équiper l’ensemble de la classe. Le Sonar sera connecté et mis en oeuvre par le système de combat sous la mer SQQ-89. Pour l’heure, il n’est officiellement question que d’équiper les deux premières unités de la classe, le FFG-62 USS Constellation qui doit entrer en service en 2026, et le FFG-63 Congres qui doit suivre l’année suivante. Mais il est probable que plusieurs autres unités, voire l’intégralité de la classe, reçoivent le même sonar. Au total, l’US Navy prévoit de commander au moins 10 frégates Constellation, alors que le programme FFG(x) porte sur une flotte de 20 frégates. A noter que comme les frégates de la classe Aquitaine, et contrairement aux Bergamini italiennes dont elles sont pourtant issues, les Constellation mettront elles aussi en oeuvre une hélice à pas fixe, précisément pour une meilleure discrétion acoustique.
L’US Navy estime que les modifications nécessaires pour corriger le défaut de fabrication du système propulsif des LCS Freedom déjà livrées étaient trop onéreuses pour le bénéfice opérationnel qu’apportent ces navires.
Ces navires constitueront la principale composante de la nouvelle capacité de lutte anti-sous-marine de surface de l’US Navy. En effet, bien que disposant d’une suite sonar, les destroyers Alriegh Burke ne sont pas conçus ni optimisés pour cette mission. En outre, lors de la même conférence, le Contre-amiral Moton a confirmé l’abandon du module de lutte anti-sous-marine qui devait équiper les corvettes de la classe LCS, alors que 15 de ces navires devaient initialement être spécialisés dans cette mission, les 15 autres devant eux recevoir un module de Guerre des Mines pour remplacer les chasseurs de mines de la classe Avenger. Cette annonce intervient alors que l’US Navy a annoncé, dans le cadre de la prestation du budget 2023, son intention de retirer du service les 10 premières unités de la classe Freedom, qui continue de rencontrer d’importants problèmes avec son système propulsif, dont le remplacement sur les navires déjà livrés couterait bien trop cher de l’avis de l’état-major naval américain.
Quoiqu’il en soit, et si les clauses contractuelles ne sont pas encore dévoilées, cette décision de l’US Navy en faveur du sonar CAPTAS-4 pour équiper ses principaux moyens de lutte anti-sous-marine, alors même que la menace sous-marine russe comme chinoise devient de plus en plus pressante, constitue un incontestable succès pour Thales et sa division de détection et de lutte sous la surface. Nul doute que cette annonce suscitera d’autres opportunités commerciales pour le groupe français, sachant que la lutte anti-sous-marine constitue à nouveau un enjeu majeur pour l’ensemble des marines mondiales. Par ricochet, cette annonce pourrait également mettre en valeur sur la scène internationale l’ensemble de la filière de lutte ASM française, y compris dans le domaine de la construction navale et des moyens aériens.
Depuis le début des combats en Ukraine le 24 février, les armées russes ont montré un visage qui surprit jusqu’aux plus circonspects des analystes quant à la réalité de sa puissance militaire : faible moral, mauvaise coordination des forces, stratégie très contestable, logistique défaillante, mauvais fonctionnement des armes de précision, les révélations se sont succédées pour expliquer les échecs répétés de l’offensive russe face à une résistance ukrainienne bien plus modeste, et disposant d’un budget défense annuel 10 fois inférieur à celui de Moscou. Les plus surprenantes de ces révélations concernent la vulnérabilité des forces russes aux attaques cyber, ainsi que leur mauvaise maitrise du spectre électro-magnétique, considérés jusqu’ici comme des domaines de prédilection de la Russie et de la fameuse et pourtant très mal nommée doctrine Gerasimov.
Il est vrai que ces dernières années, les démonstrations de force des unités russes, tant dans le domaine cyber qu’en matière de guerre électronique, laissaient supposer d’un avantage important de la Russie dans ce domaine, contre l’Ukraine mais également contre l’OTAN. Ainsi, dans le domaine de la guerre électronique, les forces russes démontrèrent lors d’exercices leur capacité à altérer la précision du signal GPS et à détériorer les capacités de communication des forces alliées, que ce soit à proximité des frontières russes ou de leurs zones de déploiement, comme en Syrie. Certaines rumeurs non confirmées ont d’ailleurs fait état d’un brouillage exercé par une corvette russe à proximité des frégates françaises lors de l’opération Hamilton en 2018, ceci étant avancé pour expliquer le mauvais fonctionnement de certains missiles de croisière MdCN. Dans le domaine Cyber, les groupes de hacker russes se sont taillés une réputation d’efficacité ces dernières années, parvenant à infiltrer plusieurs administrations occidentales, mais également les systèmes d’information de très grandes sociétés, et sont même désignés responsables du piratage des boites mails du camps Démocrate lors de l’élection de 2016.
L’hypothèse d’un brouillage exercé par une corvette russe à proximité des frégates françaises a été avancée pour expliquer la défaillance de certains missiles MdCN lors de l’opération Hamilton pour frapper les installations chimiques syriennes
Cette perception d’excellence de la Russie a été par ailleurs exacerbée par la faiblesse relative des armées et des services occidentaux dans ces deux domaines. En effet, focalisées sur les interventions exterieures en Afghanistan, Irak ou en Afrique Sub-Saharienne, les armées occidentales ont longtemps sous-investi dans ces deux domaines après la fin de la Guerre Froide, et furent contraintes de réagir plus que d’agir une fois confrontées aux capacités révélées de la Russie. De fait, en amont du conflit Ukrainien, et même lors des premiers jours de combat, la majorité des analystes s’attendaient à ce que les armées russes prennent possession de l’ensemble du spectre Electro-magnétique en Ukraine, et neutralisent les systèmes de communication et de géolocalisation employés par les défenseurs ukrainiens. Il n’en fut rien, et il devint même rapidement évident que dans ces domaines, les ukrainiens faisaient au moins jeu égal avec l’adversaire russe.
Ainsi, les ukrainiens sont parvenus, récemment, à pénétrer le signal de géolocalisation du système GLONASS, l’équivalent russe du GPS américain, de sorte à induire en erreur le deplacement de certaines unités adverses, et ainsi pouvoir les neutraliser plus facilement. C’est en tout cas ce qu’a révélé le groupe de hacker ukrainien CyberPan Ukraine, évoluant directement sous le commandement de l’Etat-major ukrainien, dans une interview donnée au site américain Defense One. Ce même groupe de hacker estime désormais pouvoir altérer la précision même de l’artillerie russe, en exploitant certaines failles découvertes dans le protocole GLONASS. Rappelons que dans la doctrine militaire russe, c’est l’artillerie, et non l’aviation tactique comme dans le cas de l’OTAN, qui produit la plus grande part de la puissance de feu, et que neutraliser sa précision, même partiellement, handicaperait très sévèrement l’efficacité opérationnelle des unités russes en Ukraine.
La destruction des antennes relais par les forces russes lors des premiers jours du conflit priva ces dernières de l’utilisation de leurs cryptophone ERA.
Une autre faiblesse majeure russe a été mise en évidence par le conflit ukrainien. En effet, les unités russes, et notamment les unités professionnelles d’élite qui ont été initialement engagées en Ukraine lors de la première phase de l’offensive, et qui subirent les plus importantes pertes, devaient employer le nouveau système de communication crypté ERA, entré en service il n’y a que quelques années. Conçu spécifiquement pour être efficace dans un environnement comme l’Ukraine, ERA s’appuie sur le réseau GSM et la 3G pour transmettre les messages vocaux et la data entre les unités russes. Malheureusement pour les forces russes, la première phase de l’opération militaire élimina une grande partie des antennes relais présentes dans le nord, l’Est et le sud du pays, privant les unités de leur réseau de communication crypté principal.
Outre cette erreur tactique révélatrice d’un défaut de coordination entre les unités et les forces engagées, il est apparu depuis que les autres systèmes de communication cryptés dont devaient disposer les forces russes, comme les systèmes R-187P1 Azart et R-168-5UN-2 répondant sur un cryptage logiciel des messages (comme les radios Contact de l’Armée de Terre), n’étaient eux aussi pas capables de crypter les échanges. Quelle ne fut pas la surprise des ukrainiens comme des systèmes de renseignement occidentaux évoluant aux frontières de l’Ukraine, lorsqu’ils parvinrent à intercepter une grande partie des échanges radios entre les unités russes, et en constatant que ceux-ci n’étaient, en réalité, pas cryptés. Depuis, selon le site russe Kommersant, une enquête pour corruption a été ouverte contre le fabriquant du R-187P1 Azart, avec des soupçons d’une collusion potentielle entre les industriels et de hauts gradés des armées russes autour de ce contrat d’une valeur de 6,7 Md de roubles, soit 670 M€.
Les forces ukrainiennes sont parvenues à capturer un système Krasukha-4 1RL257, le plus moderne des systèmes de brouillage et de guerre électronique en service au sein des armées russeS.
Et la situation pourrait bien encore empirer pour les armées russes. En effet, les Ukrainiens sont parvenus à récupérer plusieurs des équipements de pointe employés par les forces russes dans le domaine de la guerre électronique, comme c’est le cas du nouveau système de guerre électronique 1RL257 Krasukha-4 conçu pour brouiller les signaux radars et satellites, ou le système de renseignement électronique Torn(-MDM). Or, ces équipements, comme les systèmes anti-aériens ou les armes antichars, capturés par les ukrainiens, ne manqueront pas d’être transférés en Occident pour y être entièrement analysés, et ainsi concevoir les parades adaptées. De fait, non seulement les armées russes ont elles échoué à prendre l’avantage sur les défenses ukrainiennes dans le domaine cyber et de la guerre électronique, mais les avancées technologiques dont elles disposent aujourd’hui pourraient bien, à court terme, ne plus représenter un atout significatif face à l’OTAN.
Au final, force est de constater que dans ces domaines, comme dans bien d’autres, la guerre en Ukraine a démontré que les armées russes étaient bien loins de l’image que l’on pouvait avoir d’elle jusqu’ici. Il est d’ailleurs probable que cette même image faussée qui induisit les analystes occidentaux en erreur quant au potentiel militaire russe, a également altéré la perception de puissance de ses dirigeants, et en particulier de Vladimir Poutine. Les limogeages en série qui interviennent dans l’état-major russe depuis quelques jours, et la mise en cause de certains industriels, tendent à montrer que les défaillances qui touchent les armées russes aujourd’hui sont bien plus structurelles qu’il n’y parait, et qu’à l’exception de certains domaines il est vrai déterminant comme la flotte sous-marine et la dissuasion nucléaire, la puissance militaire du pays pourrait bien être bien moindre qu’anticipé.
Si la doctrine d’emploi des armes nucléaires dans les démocraties est un sujet hautement politique, force est de constater que depuis une cinquantaine d’années, celles-ci n’ont que peu évolué, que ce soit en France, en Grande-Bretagne comme aux Etats-Unis. Lors de la dernière campagne présidentielle américaine, le candidat Joe Biden avait promis d’intégrer une règle ferme quant à l’utilisation de ces armes s’il venait être élu, en renonçant à celles-ci sauf à être attaqué par d’autres armes nucléaires. Et comme ils furent nombreux avant lui, Joe Biden a finalement renoncé à mettre en oeuvre une telle doctrine, recollant à la doctrine très traditionnelle d’une utilisation des armes nucléaires uniquement si les intérêts vitaux des Etats-Unis ou de ses alliés venaient à être en grave péril, très proche de celle mise en oeuvre par la France et la Grand-Bretagne, mais aussi, tout du moins du point de vue des armes stratégiques, par la Russie.
La marche arrière de Joe Biden était non seulement prévisible, mais elle était attendue tant par le Pentagone que par l’écosystème stratégique américain et allié. En effet, s’engager à ne pas faire emploi « en premier » des armes nucléaires constitue un affaiblissement conceptuel considérable de la posture de dissuasion, ouvrant la voie à de nombreuses stratégies de contournement potentielles. En outre, elle constitue une importante augmentation du risque pour certains des pays alliés les plus menacés, comme par exemple les pays d’Europe de l’Est membre de l’OTAN, mais aussi la Corée du Sud et le Japon, pour qui la protection stratégique US constitue le pilier de protection de la souveraineté territoriale et de la posture de dissuasion face à Moscou, Pékin ou Pyongyang. En effet, dans une telle hypothèse, Washington s’interdirait strictement de faire usage d’armes nucléaires contre un adversaire, même si celui-ci avait envahi le territoire d’un allié des Etats-Unis, pour peu que ce dernier ne fasse pas usage d’armes nucléaires.
Les missiles Tomahawk équipent les destroyers Arleigh Burke. Qu’ils soient potentiellement armés d’une charge nucléaire aurait posé d’importants problèmes quant à l’accès de ces navires à certains ports alliés.
Pour autant, la nouvelle doctrine stratégique américaine qui sera bientôt présentée, prendra certaines distances avec celle mise en place par le précédent locataire du Bureau Ovale, Donald Trump. En particulier, le financement du programme visant à disposer d’une version du missile de croisière Tomahawk armée d’une charge nucléaire, l’un des programmes stratégiques clés de Donald Trump pour renforcer les capacités de frappe nucléaire de la Marine américaine, sera supprimé du budget 2023 du Pentagone. Selon de nombreux analystes, la plus-value offerte par de tels vecteurs nucléaires est relativement faible, d’autant que le Tomahawk est désormais très vulnérable aux défenses anti-aériennes modernes, et ne compensent pas les contraintes qui ne manqueraient pas d’émerger quant à l’accès des navires américaines dans les ports de nombre de ses alliés, et ce d’autant que l’US Air Force développe, de son coté, un missile de croisière furtif aéroporté capable de mener de telles frappes de manière bien plus efficace et moins contrainte.
En revanche, une autre mesure contestée prise par Donald Trump durant son mandat concernant les armes nucléaires américaines n’a, semble-t-il, pas été remise en question par le nouveau président. En 2020, en effet, un premier sous-marin nucléaire lanceur d’engins de la classe Ohio embarquait un missile trident armé de têtes nucléaires W76-2, des armes de « faible intensité » d’une puissance de seulement 5 kilotonnes, pouvant être employées potentiellement comme une arme nucléaire tactique, même si la notion d’arme nucléaire tactique n’est pas explicitement définie dans la doctrine américaine (contrairement à la doctrine russe). La volonté de Donald Trump était alors de disposer d’une capacité de réponse face aux nouveaux missiles russes Novator, celui-là même qui causa le retrait des Etats-Unis du traité INF. Mais à l’instar du retour des Tomahawk nucléaires, ces armes nucléaires de faible intensité ont suscité de nombreuses réserves et inquiétudes de part et d’autres de l’Atlantique, d’autant que les deux autres puissances nucléaires alliées des Etats-unis, la Grande-Bretagne et la France, ont renoncé à ce type d’armement depuis la fin de la Guerre Froide.
Les SNLE classe Ohio peuvent désormais mettre en oeuvre des missiles Trident II armés de têtes nucléaires de faible intensité W-76-2 d’une puissance de seulement 6 kilotonnes. Joe Biden n’est pas revenu sur cette mesure dans sa nouvelle doctrine de dissuasion.
On peut penser que les tensions stratégiques qui ont résultés de l’enlisement du conflit en Ukraine et du soutien appuyé et inattendu pour Moscou des Etats-Unis et des Européens, ainsi que les craintes qui ont suivi concernant la possible utilisation par Moscou d’armes nucléaires tactiques ou d’armes chimiques, ont peut-être amené le président américain et son administration à conserver cette composante offrant, d’une certaine manière, la possibilité d’une réponse graduée face à la menace russe en Europe, sans pour autant devoir franchir le seuil stratégique, et ce même si la frontière entre les deux domaines est extrêmement perméable et floue. Reste que, dans le présent contexte, on comprend la marche arrière de Joe Biden en terme de doctrine nucléaire, d’autant que dans le même temps, la Chine aussi renforce ses capacités de frappe nucléaire à marche forcée.
Depuis plusieurs mois, le député de l’Eure et membre de la commission Défense de l’Assemblée nationale Fabien Gouttefarde, se veut force de proposition quant aux évolutions à venir des programmes de défense français. Bien qu’appartenant à la Republique en Marche, il n’a pas hésité, par exemple, à plaider avec insistance pour que l’Armée de l’Air et de l’Espace, mais également la Marine Nationale, se dotent d’une version de guerre électronique et de suppression des défenses anti-aériennes adverses du Rafale, et ce malgré la fin de non recevoir, par ailleurs très critiquable, adressée par le Ministère des Armées à un de ses confrères de l’opposition, Jean-Christophe Lagarde, qui avait posé publiquement cette même question à l’Assemblée Nationale. Au delà de cette demande contre laquelle il est désormais difficile d’objecter avec la décision de Berlin de concevoir un Typhoon ECR précisément pour cette mission, et l’arrivée de 6 EA-18G Growler de l’US Navy en Allemagne pour renforcer la posture de l’OTAN dans ce domaine, le député français appelle également à engager le developpement d’autres programmes jugés urgents, comme un système de défense anti-aérienne mobile sur base Griffon, des drones de combat légers, des munitions vagabondes, ainsi qu’un septième sous-marin nucléaire d’attaque, tout en renforçant la resilience des armées françaises en re-implantant une capacité industrielle de production de munitions de petit calibre.
Mais l’une des mesures proposée par Fabien Gouttefarde il y a quelques mois, avait suscité des réactions pour le moins perplexes, voire hostiles dans les milieux spécialisés. En effet, pour le député français, il serait pertinent de transformer deux des Sous-marins Nucléaires Lanceurs d’Engins classe Triomphant de la Marine Nationale, ceux-là même qui assurent la composante sous-marine de la dissuasion française, en sous-marins nucléaires lance-missiles de croisière, à l’instar de ce que fit l’US Navy avec 4 de ses SNLE classe Ohio au début des années 2000, en remplaçant les 24 missiles balistiques intercontinentaux Trident II armant le navire par 154 missiles de croisière Tomahawk, de sorte à disposer d’une capacité de frappe conventionnelle de saturation susceptible de surpasser les défenses anti-aériennes les plus modernes du moment. Une telle hypothèse est interessante à plus d’un titre, mais se doit d’être étudiée et mise en oeuvre de manière précise et coordonnée, de sorte à effectivement apporter aux forces armées françaises une plus-value opérationnelle cohérente avec l’investissement nécessaire pour la conversion et la mise en oeuvre de ces deux navires.
Les SNA classe Suffren pourront mettre en oeuvre des missiles de croisière MdCN à changement de milieu, mais en quantité limitée par l’intermédiaire de ses tubes lance-torpilles, une solution inadaptée pour mener des frappes de saturation
En premier lieu, et comme le précise clairement le député, un tel programme ne peut être envisagé qu’accompagné d’une accélération du programme SNLE 3G devant prendre la succession des SNLE classe Triomphant d’ici 2035, de sorte à permettre aux deux premiers navires qui seront remplacés de disposer d’un potentiel de navigation suffisant d’au moins une dizaine d’années, cohérent avec l’investissement total estimé à 1 Md€ par la conversion et le re-armement des deux sous-marins. Il n’est en effet pas question d’affaiblir la posture de dissuasion française, par ailleurs déjà sous-dimensionnée, pour se doter de capacités conventionnelles certes utiles, mais au mieux complémentaires de celles existantes. Notons au passage que les performances des SNLE classe Triomphant, notamment en matière de discrétion acoustique, seront largement suffisantes pour un navire de type SSGN (sous-marin lance missile guidé à propulsion nucléaire) jusqu’en 2045, et même 2050, limite d’âge envisageable pour ces navires.
En second lieu, ce programme ne doit être considéré qu’aux cotés du programme de Rafale de Guerre Electronique, et en particulier de sa version dédiée à l’Aéronautique Navale. En effet, l’effet de saturation qu’apporterait le tir simultané de plusieurs dizaines de missiles de croisière furtifs MdCN et de son successeur franco-britannique FMC, vise avant tout à désorganiser la réponse anti-aérienne d’un adversaire potentiel et à le priver de certains moyens stratégiques, comme des radars, des postes de commandement ou des relais de communication, de sorte à permettre à l’aviation de combat d’opérer au dessus du théâtre d’opération. Au delà de la frappe initiale, toutefois, il est indispensable d’empêcher l’adversaire de reconstituer ses capacités, en particulier dans le domaine anti-aérien, raison pour laquelle un Rafale Marine de guerre électronique est indispensable, de sorte à s’emparer du spectre Electro-magnétique au dessus du champs de bataille et permettre ainsi aux autres avions de combat de mener leurs missions de frappe et d’interdiction. En d’autres termes, sans Rafale GE, les SSGN auraient un effet trop limité dans le temps, et sans SSGN, les Rafale GE pourraient ne pas suffire pour prendre l’avantage et la suprématie aérienne.
Les SSGN russes Iassen M mettent en oeuvre 32 à 40 missiles anti-navires ou de croisière dans des silos de lancement verticaux.
Du point de vue budgétaire, la conversion de ces deux navires peut effectivement s’avérer une opération interessante. Selon Fabien Gouttefarde, la conversion des deux SNLE français, et leur armement sur base de missiles de croisière MdCN, ne reviendraient qu’à 1 Md€, pour 10 années de capacités opérationnelles effectives par navire. De fait, et en dehors des couts d’équipage et de maintenance complémentaire, chaque navire ne couterait que 50 m€ par an, tout en offrant une capacité dissuasive conventionnelle des plus significative à la Marine nationale sur la période 2030-2045, soit le pic prévisionnel des tensions en Europe comme dans le Pacifique. Cette période de mise en oeuvre permettrait également à la Marine nationale et son Etat-Major d’expérimenter l’efficacité offerte par ce type de navires, comparables en fonction aux Virginia américains les plus récents, ou aux Iassen-M et aux futurs Laïka russes, dans le mix opérationnel naval français, de sorte à évaluer l’intérêt de concevoir une classe spécifique dédiée à cette mission, possiblement dérivée des SNLE-3G qui finiront alors d’être livrés.
Reste que, pour mettre en oeuvre un tel programme, comme pour les autres proposés par le député de l’Eure, une hausse sensible des capacités d’investissement des armées est indispensable à court terme, bien au-delà de ce que ne le permet la planification budgétaire de la présente Loi de Programmation Militaire, mais aussi, dans une certaine mesure, que ne le permettent les finances publiques françaises, déjà lourdement handicapées par les conséquences de la crise Covid et de la crise énergétique. En d’autres termes, sans solution de financement innovante et alternative au financement traditionnel de l’effort de défense, les meilleurs programmes du Monde ne pourront pas être développés en France en dehors des capacités strictement indispensables à la sécurité immédiate de la Nation, sauf à obtenir, une nouvelle fois, une flexibilité budgétaire importante de la part de Bruxelles, ce qui est très improbable. Dans ce domaine, le modèle Socle Défense, détaillé dans un article publié il y a quelques jours, apporterait sans le moindre doute la flexibilité et l’ambition budgétaire requises pour faire émerger de tels programmes, tout en compensant certaines faiblesses structurelles majeures des armées françaises mises en évidence par la Guerre en Ukraine.
Bien peu, même parmi les mieux informés, avaient imaginé qu’au bout de 5 semaines de combat, l’Operation Spéciale Militaire russe serait à ce point contenue par les défenseurs ukrainiens, et que les armées russes auraient souffert de pertes matérielles et humaines aussi importantes. Pourtant, aujourd’hui, en dépit de sa puissance de feu extraordinaire et de sa force aérienne, c’est bien l’armée russe qui passe en position défensive sur de nombreux fronts, et qui reculent même face à certaines contre-attaques ukrainiennes, notamment autour de Kyiv. Pour autant, cette perception donnée tant par les médias occidentaux que par la très performante communication de guerre ukrainienne, ne permet pas d’appréhender les difficultés réelles auxquelles font aujourd’hui face les armées ukrainiennes qui, si elles disposent de combattants désormais aguerris et en grand nombre, voit ses réserves de materiels lourds se réduire inexorablement, là ou les forces russes disposent de quantités d’équipement surnuméraires, et d’une Garde Nationale prête à combler les pertes humaines.
Dans ce contexte, on comprend pourquoi le Président Zelensky, en dépit des succès récents enregistrés par ses armées, continue de mener une intense activité diplomatique pour tenter de mettre fin au conflit par la négociation, quitte à accorder à la Russie des revendications jusque là exclues, comme le renoncement à l’adhésion à l’OTAN, la reconnaissance de la Crimée et la négociation d’un statut d’autonomie pour le Donbass. En chef d’état bien plus avisé comme nombre de commentateurs improvisés spécialistes de la chose sur les réseaux sociaux, y compris en Ukraine d’ailleurs, Zelensky sait qu’aujourd’hui, les armées russes peuvent appliquer une stratégie défensive contre laquelle il lui serait très difficile de lutter, et qui pourrait, à terme, couter à l’Ukraine son armée puis son indépendance. En d’autres termes, aujourd’hui, et de manière contre-intuitive, c’est bel et bien le Kremlin, et non Kyiv, qui est en position de force pour les négociations en cours. Pour autant, il existe une alternative au renoncement territorial ukrainien qui ne serait, à terme, que la reconnaissance d’une immense victoire stratégique pour Poutine, même au prix de plusieurs dizaines de milliers de ses soldats et de plusieurs milliers de véhicules de combat. En effet, si les Européens venaient à accroitre leur soutien militaire à l’Ukraine, le rapport de force, même dans une stratégie offensive, pourrait effectivement basculer en faveur des ukrainiens. Dans cet article, nous étudierons ces alternatives venues d’europe, mais également leurs risques en matière d’extension du conflit, ainsi que leurs conséquences sur la situation sécuritaire post-guerrière sur le vieux continent face à la Russie.
Les pertes ukrainiennes en terme de matériel lourd sous très probablement structurellement sous-estimées par la communauté OSINT, alors que le pays n’a pas capacité à reconstituer son inventaire, contrairement à la Russie
Alors que l’attention médiatique et politique s’est longtemps concentrée sur l’hypothèse d’une livraison de chasseurs Mig-29 polonais à l’Ukraine, il est aujourd’hui nécessaire de constater que dans le présent contexte opérationnel, il s’agit probablement d’un des équipements offrant le plus mauvais ratio bénéfices-risques pour l’Ukraine et les Européens. En effet, il est désormais évident que l’ensemble du ciel ukrainien est verrouillé par les défenses anti-aériennes des deux camps, et que l’aviation de chasse et d’assaut ne peut jouer qu’un rôle superficiel dans le déroulement des opérations militaires. Qui plus est, s’il s’agit de donner à l’Ukraine des capacités offensives, de nouveaux avions de combat auraient bien peu d’efficacité face au dispositif défensif que les russes n’auront pas manqué de mettre en place pour défendre leurs positions. En revanche, les armées ukrainiennes bénéficieraient largement d’un surcroit de puissance de feu, de mobilité et de protection, en recevant de nouveaux blindés venus d’Europe.
Rappelons que si les pertes documentées font aujourd’hui principalement état de materiels russes, cela ne préjuge en rien des pertes réelles ukrainiennes dans ce domaine, du fait que les soldats et la communication russe sont beaucoup plus parcimonieux de leurs publications sur la scène publique que les combattants et la population ukrainienne. En d’autres termes, sans remettre en question la réalité des pertes russes, on peut objectivement douter de la faiblesse relative des pertes ukrainiennes en terme de blindés ou de défense anti-aérienne par exemple telle que rapportée par les analystes OSINT, qui d’ailleurs alertent eux-mêmes sur ce biais d’analyse. En outre, comme dit précédemment, la Russie dispose d’une reserve de matériels bien plus importante que n’en dispose l’Ukraine, ainsi que d’un complexe militaro-industriel non impacté par les combats, même si il semblerait que les sanctions occidentales handicapent cette production. En d’autres termes, au jeu de l’attrition réciproque, la Russie a les reins beaucoup plus solides qu’une Ukraine isolée et combattant sur son propre sol. Et c’est précisément là que le soutien des européens peut s’avérer déterminant.
Aprés 5 semaines de guerre, les armées russes ont perdu entre 10 et 15% de leurs effectifs et materiels au sein des forces terrestres et aéroportées. Une partie importante de ces pertes touche des unités d’élite de l’armée russe.
En effet, les armées européennes disposent effectivement d’un vaste inventaire de blindés, y compris des modèles d’origine soviétique en service dans les pays de l’ex-Pacte de Varsovie, qui permettraient aux armées ukrainiens de compenser leurs pertes et donc de soutenir une posture opérationnelle plus offensive face aux armées russes. Ainsi, la Pologne aligne aujourd’hui plus de 380 chars T-72 et 280 PT91 dérivés de celui ci, ainsi que plus de 350 canons automoteurs 2S1, une centaine de lance-roquettes Grad et près de 800 véhicules de combat d’infanterie BWP-1 dérivés du BMP. La Hongrie dispose pour sa part de 160 chars T-72 dont 130 sont en reserve, ainsi que presque 400 APC BTR-80, alors que 150 T-72 et 300 véhicules de combat d’infanterie BMP sont en service dans les armées Tchèques et Slovaques. Au delà des véhicules blindés, ces mêmes armées alignent encore des systèmes antiaériens d’origine soviétique modernisés et susceptibles de maintenir le statu quo dans la guerre aérienne au dessus de l’Ukraine, en neutralisant la puissance militaire aérienne russe. Outre ces équipements d’origine soviétique, les armées européennes disposent de plusieurs centaines de chars sous cocon ou en réserve non opérationnelle, et d’autant de véhicules blindés et de systèmes d’artillerie. En d’autres termes, les capacités existent en Europe, pour renforcer les armées ukrainiennes et leur conférer la possibilité de transformer leur posture défensive et de guérilla en posture offensive, mettant Kyiv en position de force dans ses négociations avec Moscou.
Pour autant, il apparait depuis le début du conflit que les européens, y compris les plus déterminés d’entre eux comme les Polonais et les états baltes, hésitent à livrer des équipements lourds à l’Ukraine, en dépit des demandes incessantes du président Zelensky. Pour l’essentiel, ces réserves reposent sur deux considérations complémentaires : le risque d’extension du conflit, et le risque, dans une telle hypothèse, de devoir faire face aux armées russes à court terme. Force est de constater que, bien logiquement, si les européens sont prêts à soutenir Kyiv et accueillir les millions d’ukrainiens fuyant les combats, il en va tout autrement de risquer une extension du conflit entre la Russie et l’OTAN, avec ma menace d’assister à une guerre mondiale et l’utilisation d’armes nucléaires. Pour autant, cette crainte, très sensible au début du conflit, doit aujourd’hui être pondérée par les conséquences même du conflit Ukrainien. En effet, les armées russes ont perdu en 5 semaines entre 10 et 15% de leurs effectifs et de leur inventaire matériel, face à une armée jugée comme secondaire et incapable par le Kremlin. Qui plus est, ces pertes touchent principalement les unités d’élite des armées russes, comme les forces parachutistes très éprouvées dans ce conflit, et plusieurs des unités blindées de pointe du dispositif opérationnel russe, ceci expliquant pourquoi 60% des chars russes détruits sont des modèles récents et modernisés.
La Pologne aligne 380 chars T-72 et 280 PT-71 (ici en photo) dérivé de ce modèle, tous deux pouvant être mis en oeuvre par les équipages de blindés ukrainiens.
En d’autres termes, pour le Kremlin, non seulement existe-t-il désormais un réel doute quant à la puissance offensive réelle de ses armées, mais il est nécessaire de prendre en compte les effets des pertes enregistrées sur le potentiel militaire effectif restant. En outre, aprés avoir sans le moindre doute gravement sous-estimé la résistance ukrainienne,, les décideurs russes doivent désormais composer avec une confiance altérée dans les analyses fournies par leurs services de renseignement quant à la réalité de la résistance potentielle de ses adversaires, ici en l’occurence une OTAN mobilisée et renforcée de 90.000 soldats américains. Enfin, les renseignements occidentaux savent désormais que 75% de la puissance militaire opérationnelle russe est déployée en Ukraine ou alentour, et que son redéploiement face à l’OTAN prendrait non seulement un temps considérable, mais que cela affaiblirait au delà du supportable le dispositif en Ukraine face aux armées ukrainiennes. De fait, et d’un point de vue objectif, il est désormais très peu probable que Moscou ne s’engage dans une opération militaire conventionnelle contre un ou plusieurs pays de l’OTAN, comme on pouvait le craindre initialement, y compris si les européens venaient à accroitre leur soutien militaire à Kyiv.
Reste naturellement la question d’une réponse stratégique de Moscou dans une telle hypothèse. Mais celle-ci équivaudrait à une destruction mutuelle assurée, d’autant que Moscou sait désormais que ses manoeuvres pour tenter de fracturer l’unité européenne et le lien transatlantique ont lourdement échoué, l’OTAN et l’UE étant plus solidaire et unis que jamais. On remarquera à ce titre que même des pays qui étaient jusqu’ici en très forte tension, en l’occurence la France, la Grèce et la Turquie, coopèrent désormais activement y compris sur le volet militaire et diplomatique, au point de proposer une opération conjointe pour évacuer des civils de Marioupol, alors qu’il y a tout juste deux ans, les navires des deux camps se menaçaient de manière très concrète. De tels symboles n’ont certainement pas échappé au Kremlin, tout comme l’augmentation du niveau d’alerte des forces de dissuasion en France, en Grande-Bretagne et très probablement aux Etats-Unis.
Pour la France, la livraison de plusieurs centaines de missiles antichars NLOS MMP aux armées ukrainiennes handicaperait temporairement ses armées, mais réduirait plus durement, plus durablement et pour un cout bien plus important, les possibilités de nuisance de l’Armée Russe, et donc servirait à garantir la sécurité en Europe de manière efficace (et economique)
De fait, même si les armées européennes venaient à puiser dans leurs inventaires opérationnels pour soutenir les armées ukrainiennes, elles ne prendraient pas un risque important, d’autant qu’elles peuvent s’appuyer sur la protection de l’OTAN et de l’Union européenne. En outre, et c’est loin d’être négligeable, ces équipements potentiellement envoyés en Ukraine pourraient à leur tour sévèrement éroder les armées russes, au point de neutraliser pour de nombreuses années la menace potentielle russe en Europe. Rappelons à ce titre que chaque semaine depuis le début de ce conflit, les armées russes perdent en matériel terrestre l’équivalent d’une année entière de programmes de modernisation, pour se retrouver aujourd’hui dans une situation comparable à celle de 2017. Dès lors, en soutenant l’effort de guerre ukrainien, les européens s’achètent également un temps précieux pour transformer leurs propres armées, et être ainsi en mesure de faire face aux nouvelles menaces qui ne manqueront pas d’arriver, de Moscou mais aussi d’ailleurs, à partir de 2030.
Il apparait donc qu’un changement de posture dans le domaine de la livraison d’armes lourdes à l’Ukraine est envisageable pour les Européens, et ce sans risquer de déclencher l’apocalypse ni l’invasion. Pour autant, afin de limiter les risques, il conviendrait de planifier une telle action de manière conjointe à l’échelle de l’Union européenne ou de l’OTAN, de sorte à garantir la sécurité des pays qui se priveraient temporairement de certaines capacités défensives, tout en apportant des réponses industrielles rapides pour compenser ces déficits. En outre, il est probable que la mesure devrait être menée de manière discrète, sans annonce sur la place publique, dans le but de ménager la susceptibilité du Kremlin sur la scène internationale même s’il est probable que le secret absolue ne soit pas envisageable. Surtout, une telle action ne peut s’envisager que pour soutenir une action diplomatique de sorte à parvenir à une sortie de crise négociée rapide, afin de proposer à Moscou un porte de sortie acceptable mais plus favorable à Kyiv. Tout ceci prendra naturellement du temps si cela venait à être mis en oeuvre. Peut-être même est-ce déjà le cas, l’analyse faite ici n’ayant probablement pas échappé aux états-majors européens et américains. Une chose est cependant certaine, de l’avenir de l’Ukraine dépendra en grande partie l’avenir de la sécurité en Europe pour les décennies à venir, et cet avenir repose, en partie, dans les mains des européens eux-mêmes, et dans leur determination à soutenir le combat des ukrainiens.
Il est fréquent de lire à quel point les armées russes engagées en Ukraine reposent sur des équipements hérités de la période soviétique. Il est vrai que bien que modernisés, les T-72B3, T80BV, BMP-2 et autres Msta-S ont tous étés conçus dans les années 70 et 80, comme c’est le cas des avions de combat de la série Flanker ou des hélicoptères Mil et Kamov. Pour autant, force est de constater qu’en occident, la situation est en grande partie identique, y compris pour ce concerne la pointe de l’épée, à savoir l’US Army, qui continuent de s’appuyer sur les chars Abrams, les VCI Bradley, les canons automoteurs Paladin, les hélicoptères Black Hawk et Apache et les systèmes anti-aériens Patriot, soit les 5 piliers du super programme Big 5 du début des années 70. La situation est d’ailleurs similaire pour l’US Navy et ses destroyers Burke, ses porte-avions Nimitz et ses Super Hornet, et pour l’US Air Force, dont la force de combat repose encore en majorité sur des F-15, F-16 et même A-10 épaulés de E3 Sentry et de KC-135.
Même si tous ces équipements ont été largement modernisés à plusieurs reprises, au point que leurs performances n’ont plus beaucoup à voir avec les materiels initiaux, force est de constater qu’une majorité des programmes destinés précisément à remplacer ces équipements a rencontré d’innombrables difficultés, et fut finalement annulée ou donna lieu à des séries limitées. De l’hélicoptère tactique RH-66 aux destroyers lourds Zumwalt, du F-22 aux échecs successifs pour remplacer le Bradley, des LCS au Sea Wolf, de nombreux programmes ayant consommé des ressources considérables ont été avortés ou ne permirent pas de remplacer efficacement des materiels de génération antérieure obligés de jouer les prolongations. Surtout, au delà des ces échecs programmatiques, les armées américaines peinent, depuis de nombreuses années, à s’engager dans une réelle transformation lui permettant de sortir des doctrines héritées des années 70 et confirmées par les 2 guerres du Golfe, pour faire face à ce qui s’avére sans le moindre doute comme son plus grand compétiteur dans les années à venir, à savoir la Chine.
Les 3 destroyers de la classe Zumwalt auront couté 21 Md$, l’équivalent de 8 destroyers Arleigh Burke Flight III, sans apporter de plus-value opérationnelle sensible
Car là ou la programmation US est marquée, depuis trois décennies, par des annonces aussi spectaculaires que le sont les annulations de programmes qui suivaient, Pékin a, pour sa part, suivi une stratégie de montée en puissance d’une précision extreme. Si jusqu’au milieux des années 2010, cette capacité chinoise à transformer ses armées et son industrie de défense pour disposer d’une puissance militaire de premier plan parfaitement ancrée dans le 21ème siècle, n’était reconnue que des spécialistes du sujet, la chose est devenue rapidement parfaitement visible ces dernières années, alors que l’industrie militaire chinoise devenait capable de produire plus de navires de combat et autant d’avions que les Etats-Unis et leurs alliés de la zone Pacifique, et de disposer des personnels entrainés pour prendre en charge ces nouveaux équipements. Et si aujourd’hui encore, l’Armée Populaire de Libération s’équipe de materiels comparables à ceux en service au sein des armées occidentales, l’arrivée de systèmes d’arme de nouvelle génération, que ce soit en terme de blindés, d’avions de combat, de drones, de navires et de sous-marins, va rapidement accroitre la puissance relative de Pékin sur ce théâtre, et au delà.
Dans ce contexte, par ailleurs accentué par la présente guerre en Ukraine, les annonces concernant les évolutions de la planification américaine revêtent une importance essentielle pour la sécurité de la sphère occidentale, et les annonces préparatoires des armées US concernant le budget du Pentagone de 2023 montrent à quel point celles-ci souhaitent désormais s’engager rapidement dans une profonde évolution précisément pour relever le défi chinois. Déjà, le Budget 2022 mettait en évidence certains des axes jugés stratégiques par les Etat-majors des armées américaines, avec des demandes en rupture avec les attentes politiques du Congrès, qui joua un rôle de modérateur tout en poussant la Maison Blanche a augmenter de 5% ce budget de sorte à financer la majorité des programmes. Cette tendance constatée en 2022 est désormais largement visible dans les demandes du Pentagone et de ses armées pour le Budget 2023.
L’US Army prévoit de commander 504 chars légers MPF à partir du milieu de l’année 2022
L’US Army demande ainsi à réorienter le plus de crédits possibles vers le financement de son super-programme BIG-6, plus particulièrement vers 24 des 35 programmes qu’il contient, allant des systèmes anti-aériens à haute énergie au remplaçant des hélicoptères Black Hawk et Iroquois, en passant par le renouvellement des systèmes d’artillerie et la numérisation du champs de bataille pour mettre en oeuvre la fameuse doctrine Joint All–Domain Command and Control (JADC2) au coeur de la stratégie d’évolution du Pentagone. Pour ce faire, l’US Army est prête à faire des sacrifices importants, en demandant à ne moderniser que 22 chars Abrams (contre 90 en 2022) et seulement 102 Stryker, le tiers de ce qui fut financé en 2022. Dans le même temps, le programme de char léger Mobile Protected Firepower recevra une commande de 28 exemplaires de pré-série supplémentaires, tout comme le programme Armored Multi-Purpose Vehicles, remplaçant du vénérable M113, qui verra son parc augmenter de 72 exemplaires. La plus importante hausse de crédits est attribuée au programme Next-génération Squad Weapon destiné à remplacer les fusils d’assaut et mitrailleuse d’infanterie dans les unités, avec une commande annuelle passant de 12.200 unités en 2022 à 29.000 exemplaires en 2023.
L’US Navy et l’US Marines Corps sont, eux aussi, engagés dans une profonde transformation. Ainsi, la marine américaine prévoit de commander 8 nouveaux navires en 2023, dont deux destroyers Arleigh Burke Flight III, deux sous-marins nucléaire d’attaque Virginia et une frégate classe Constellation. Dans le même temps, elle prévoit de retirer du service 5 croiseurs classe Ticonderoga, deux sous-marins d’attaque classe Los Angeles, quatre navires d’assaut et 9 des Littoral Combat Ship de la classe Freedom, aprés avoir déjà retiré du service l’USS Freedom en 2022, tête de série de la classe, pour un total de 24 navires retirés du service en 2023. En outre, l‘US navy veut stopper, en 2023, les nouvelles commandes de navire d’assaut classe San Antonio, après la commande du 3ème navire d’un second lot qui devait compter 13 navires. L’ensemble de ces annonces vise à permettre à l’US Navy, comme pour l’US Army, de concentrer le maximum de crédit sur son évolution à moyen terme, alors qu’elle doit simultanément financer le renouvellement de la flotte de sous-marins nucléaires lanceurs d’engin et de la moitié de sa flotte de sous-marins nucléaires d’attaque, la construction des destroyers Burke Flight III et des frégates Constellation, des porte-avions nucléaires classe Ford et des LHA classe América, tout en renouvelant d’une partie de son parc aérien avec les F-35C, les P8-A Poseidon et les drones MQ-25 Stingray, et en finançant le developpement d’une nouvelle classe de destroyer, de sous-marins nucléaires d’attaque et du remplaçant du F/A 18 E/F Super Hornet.
L’US Navy veut renoncer à 10 de ses 15 LCS classe Freedom, la modification du système propulsif des navires déjà livrés étant jugé trop onéreuse. Elle a par ailleurs renoncé à developper le module de lutte anti-sous-marine qui devait équiper les navires.
Les demandes de l’US Air Force, enfin, sont dans l’alignement de celles de 2022. Ainsi, celle-ci veut réduire sa commande annuelle de F-35A à seulement 33 exemplaires, contre 48 demandés en 2022, tout en augmentant les commandes de F-15EX à 24 unités, afin de remplacer les F-15C/D les plus anciens en service dans le Pacifique. Il ne s’agit pas pour autant d’un abandon du programme F-35 selon le secretaire à l’Air Force Frank Kendall, qui reste déterminé à acquérir les 1.700 exemplaires prévus, mais d’une réorientation temporaire des investissements pour répondre à l’urgence, et surtout afin de réduire la livraison de F-35A Block III devant être portés au standard Block IV, le premier standard entièrement opérationnel de l’appareil. Notons au passage que les récentes commandes de l’appareil venues d’Allemagne, de Suisse, de Finlande et bientôt du Canada, permettent à l’US Air Force de réduire temporairement son empreinte dans ce programme sans mettre à mal le plan de charge industrielle, ce après avoir soutenu à bout de bras le programme pendant de nombreuses années en commandant des appareils imparfaits.
Comme l’US Navy, la programmation pour 2023 de l’US Air Force prévoit de retirer du service un grand nombre d’appareils jugés comme obsolètes ou impropres à des opérations militaires de haute intensité. C’est ainsi que 26 F-15, 66 F-16 et 21 A-10 devraient être retirés du service en 2023, aux cotés de 15 des 31 E3 Sentry, de 8 E-8C JSTARS ainsi que de 10 avions ravitailleurs KC-10 et 13 KC-135. De manière plus surprenante, 33 F-22 servant à la formation des pilotes et considérés inaptes au combat devraient, eux aussi, être mis sous cocon, alors que 100 drones MQ-9 Reaper seront, quant à eux, transférés à une autre agence nationale (probablement la CIA), pour les missions dites de basse intensité. Là encore, il s’agit pour l’US Air Force de forcer la main du conservatisme traditionnel du Congrès, opposé par exemple depuis des années au retrait du A-10, de sorte à permettre d’entamer une transformation en profondeur pour être en mesure de mener les futures guerres aériennes de haute intensité, en particulier face à la montée en puissance chinoise, tout en libérant des crédits et des ressources pour le developpement et l’entrée en service de nouveaux équipements, comme le bombardier stratégique B-21 Raider, le programme d’avions de combat NGAD et les drones de combat de nouvelle génération.
Par son importante capacité d’emport et son électronique embarquée très moderne, le F-15EX répond aux besoins de l’US Air Force sur le théâtre pacifique
De toute évidence, le Pentagone a décidé de gagner, dans le cadre du budget 2023, l’indispensable bras de fer qui l’oppose depuis de nombreuses années aux membres du Congrès, ceux là même qui refusèrent de mettre fin au programme LCS ou de retirer du service le A-10. Les stratèges américains estiment désormais qu’il est indispensable de passer par une phase de concentration/réduction des forces opérationnelles, avec le retrait de 24 navires et 250 avions en 2023 comme marqueur le plus visible, de sorte à se mettre en capacité de relever le défi chinois à venir. Il semble, dans ce domaine, que les premiers enseignements de la guerre en Ukraine aient également joué le rôle de déclencheur, en montrant que dans leur format actuel, les armées russes, et par transitivité les armées chinoises, ne sont pas en mesure de représenter une menace immédiate et/ou à court terme, ni pour l’OTAN, ni pour Taïwan et ses alliés de la zone Pacifique. Il s’agit donc de mettre à profit de temps restant pour engager les profonds bouleversements jugés nécessaires pour être prêts à relever le défis sino-russe au delà de 2030.
Reste à voir, désormais, comment la Maison Blanche et le Congrès réagiront à ces demandes. Contrairement aux militaires qui basent leurs demandes sur la perception de leurs besoins, l’exécutif et le législatif doivent également prendre en considération les conséquences industrielles et les implications sociales et électorales de telles décisions. Ainsi, l’arrêt de la ligne de production LCS aurait mis à mal les deux chantiers navals en charge de leur construction, menaçant potentiellement des dizaines de milliers d’emplois directs et induits, mais aussi les postes de certains élus locaux. De même, pour certains des membres les plus influents du Congrès, les arbitrages présentés par les forces armées US doivent être observés très méticuleusement, afin de ne pas réitérer les erreurs du passé comme pour les programmes Zumwalt, OMFV et même F-35, avec à la clé des dizaines de milliard de $ dépensés sans retour opérationnel concret. Pour la Maison Blanche, il s’agira également de limiter la hausse des budgets de défense pour financer cette transformation en profondeur, en particulier en évitant de tomber dans un piège capacitaire résultant d’un retrait excessif et précipité de nombreux équipements dans une situation de tension globale, nécessitant par la suite une hausse massive des budgets de défense pour compenser. Nul doute que les discussion au Capitole comme au Pentagone dans les semaines et mois à venir seront difficiles et même tendues, mais il semble désormais qu’il faille, pour les armées US, en passer par là pour être en mesure de relever le défi sécuritaire au delà de 2030.
Alors que Paris et Berlin ne cessent de clamer haut et fort leur volonté commune de coopérer dans le domaine des technologies de défense, de nombreux arbitrages menés par les autorités allemandes, avant et après le changement de gouvernement du mois de décembre, montre une situation bien plus complexe, et une rivalité permanente entre les deux plus grandes économies de la zone euro, en particulier dans le domaine de l’Armement.
De l’EuroSpike au P8 Poseidon, du F-35 à l’ESSM, de l’Apache à l’Arrow 3, les choix passés, présents et à venir des armées allemandes en matière d’équipements semblent, en effet, systématiquement exclure les alternatives venues de France, et plus globalement de ses partenaires européens, au profit de matériels US ou Israéliens de performances et de prix au mieux équivalents.
Au point que l’on peut désormais, et de manière très objective, s’interroger sur la pertinence pour la France de poursuivre cet effort visant à rapprocher les deux pays et leurs industries de défense au travers de projets communs.
Un article publié le 27 mars par le site allemand Bild.de, indique, en effet, que Berlin se serait rapproché de Jérusalem en vue d’acquérir le système anti-missile balistique Arrow 3 codéveloppé par IAI et Boeing au profit de l’Etats Hébreux afin de compléter la Défense anti-aérienne et anti-missile multicouche du pays composée en outre du David Sling à moyenne portée et de l’Iron Dome à courte portée.
Pour Berlin, il s’agit de répondre à relativement court terme à la menace que représentent à nouveau les missiles balistiques russes sur sa façade orientale et en provenance de Kaliningrad, en particulier les missiles balistiques à courte portée comme l’Iskander-M et le Toshka-U largement employés en Ukraine.
D’autres échos font états de discussion entre Berlin et Washington au sujet d’un autre système anti-balistique, le fameux THAAD mis en oeuvre par l’US Army. En revanche, à aucun moment Berlin semble n’avoir considéré la possibilité de se rapprocher de ses deux principaux partenaires commerciaux européens et voisins, la France et l’Italie, au sujet d’un autre système anti-balistique conçu par ces deux pays, l’Aster Block 1 NT, qui offre pourtant des capacités d’interception antibalistiques, tout en s’intégrant dans une architecture de défense anti-aérienne globale capable d’intercepter d’autres menaces comme les avions de combat, les hélicoptères et les missiles de croisière à l’aide de missile Aster 15 et Aster 30.
La France et l’Italie ont développé une version dédiée à l’interception de missiles balistiques à courte et moyenne portée, l’Aster Block 1 NT, et travaille sur la conception de l’Aster Block 2 conçu pour intercepter les missiles les plus modernes, dont les armes hypersoniques.
Sachant que l’Allemagne est également engagée dans la modernisation de ses capacités anti-aériennes à moyenne et longue portée, l’Aster européen répondrait parfaitement aux besoins de la Bundeswehr, et ce d’autant que le système a démontré sa très grande efficacité aussi bien sur terre que sur mer.
Pourtant, rien n’indique que l’hypothèse a ne serait-ce qu’été considérée par Berlin, comme ce fut souvent le cas ces dernières années. Ainsi, la Marine allemande a privilégié le choix de missiles anti-aériens de facture US, en l’occurrence l’ESSM, pour équiper ses nouvelles frégates, alors même que l’européen MBDA, en France comme en Grande-Bretagne, proposait des solutions au moins aussi performantes, comme le PAAMS sur base Aster, le Sea Viper sur base CAMM ou le Mica VL NG.
Précédemment, Berlin avait également tourné le dos à son partenaire traditionnel français dans le domaine des missiles antichars en privilégiant un partenariat avec l’israélien Rafael et ses missiles SPIKE aux missiles MMP et MAST-F de MBDA.
Pourtant, de la fin des années 60 à la fin des années 80, la coopération franco-allemande en matière de défense était parvenue à produire des équipements performants et efficaces, parmi lesquels l’avion de transport C-160 Transall, l’avion de patrouille maritime Atlantic, l’avion d’entrainement et d’attaque Alpha-jet, le système anti-aérien Roland ou encore les excellents missiles antichars HOT et Milan, ces derniers s’imposant comme un standard d’efficacité pendant plusieurs décennies dans la plupart des armées de la planète. En revanche, jamais les armées allemandes n’ont considéré l’acquisition de materiels français comme une alternative, l’inverse étant par ailleurs vrai, puisque la France ne s’est guère davantage tourné vers Berlin pour ses propres équipements à l’exception du fusil d’assaut HK-416 sélectionné pour remplacer les Famas nationaux, à la différence que la France est bien plus auto-suffisante en matière d’industrie de défense que l’Allemagne qui se tourne bien plus volontiers vers l’importation pour certains équipements, en particulier en provenance des Etats-Unis.
Le Milan développe par le consortium franco-allemand Eurosam a longtemps été la référence internationale en matière de missile antichar d’infanterie.
Reste que ces réserves allemandes vis-à-vis des armements français, ainsi que les nombreuses difficultés que rencontrent aujourd’hui les programmes devant être développés conjointement entre les deux pays, interrogent sur la pertinence de la stratégie poursuivie par les deux nations depuis 2017. Ainsi, sur les 5 programmes lancés conjointement par Emmanuel Macron nouvellement élu et Angela Merkel en 2017, seul le drone de combat à moyenne altitude et longue endurance Eurodrone semble être sorti de l’ornière récemment, non sans infliger un sévère camouflet à l’industrie française en choisissant un moteur de conception américaine produit en Italie plutôt que le turbopropulseur 100% européen Ardiden de Safran. Les autres programmes sont soit à l’arrêt (MAWS, CIFS), soit bloqués dans des oppositions industrielles et doctrinales (SCAF, MGCS), soit directement menacés par un arbitrage en faveur d’une solution US (Tigre 3).
En d’autres termes, et en dehors des programmes sous instance européenne via la coopération Structurée Permanente ou PESCO, la coopération franco-allemande en matière d’équipements de défense se rapproche aujourd’hui d’une situation d’échec, et l’inversion à venir du rapport de force budgétaire entre Paris et Berlin avec l’annonce d’un effort de défense allemand sans précédant suite à l’invasion russe en Ukraine, ne favorisera probablement pas l’émergence de consensus dans ce domaine. En outre, contrairement à la France qui devra developper en propre des solutions alternatives nationales en cas d’échec, l’Allemagne pourra se tourner rapidement vers des offres américaines, britanniques ou israéliennes dans des délais relativement courts, créant une perception très divergente quant à la nécessité de ces coopérations des deux cotés du Rhin, surtout maintenant que le budget de la Défense allemand va croitre considérablement.