L’épidémie de Coronavirus continue de frapper les forces aéronavales dans le monde, et plus particulièrement celles de l’OTAN. En effet, 3 des 9 porte-avions nucléaires actuellement en service, 8 porte-avions de l’US Navy et le porte-avions français Charles de Gaulle, ont constaté des cas de contamination au coronavirus Covid-19 à leur bord ces derniers jours. En deux semaines, c’est donc plus d’un tier de la puissance aéronavale occidentale qui se retrouvent handicapée plus ou moins gravement, du fait de l’épidémie.
Le navire le plus touché aujourd’hui reste, bien évidemment, l’USS Theodore Roosevelt, toujours amarré à Guam, avec plus de 400 cas diagnostiqués de coronavirus. Un marin infecté a d’ailleurs été découvert inconscient il y a quelques heures à son bord. En début de semaine, ce fut au tour du porte-avions nucléaire français Charles de Gaulle, en manoeuvre dans l’Atlantique Nord, de découvrir des cas de Coronavirus parmi son équipage. Le plus important navire de la Marine Nationale a depuis mis fin aux exercices et mis le cap vers son port d’attache de Toulon, alors que le nombre de marins contaminés atteint désormais les 50. Le second porte-avions nucléaire déployé en zone Pacifique, le Ronald Reagan, actuellement à quai au Japon, a également découvert une douzaine de cas de contamination à son bord. Un rapport avait également fait état de quelques cas de contamination à bord de l’USS Nimitz, mais selon un communiqué de l’US Navy, le cas suspect se serait révélé être un « faux-positif ».
L’épidémie de Coronavirus n’épargne évidemment pas les forces armées, et la majorité des pays, qu’ils soient ou non membres de l’OTAN, ont annoncé des cas de contamination dans leurs forces armées. Mais les porte-avions semblent être particulièrement vulnérable à cette menace. De part le nombre très important de personnels à son bord, les porte-avions augmentent naturellement les risques de voir un membre d’équipage embarquer tout en étant contaminé. En outre, l’exemple du Diamond Princess, ce navire de croisière qui vit plus de 700 de ses passagers contaminés par le virus au debut de l’épidémie, montre que les navires représentent d’excellentes plate-formes pour que l’épidémie se répande. La taille des coursives, la promiscuité du bord, et la présence de très nombreuses zones de posé des mains, en font un champs de manoeuvre parfaitement adapté au Covid-19, qui survie plusieurs heures à plusieurs jours sur le metal, le plastique ou les textiles. En outre, toute mesure de distanciation sociale est évidemment inapplicable à bord d’un navire de combat. Enfin, contrairement aux destroyers ou aux sous-marins, les mouvements de personnels à bord d’un porte-avions sont relativement fréquents.
Dès lors, en l’absence de mise en quarantaine stricte à bord du navire de l’équipage, et ce avant que l’épidémie ne vienne potentiellement toucher les lieux de residence ou les bases des militaires servant à leur bord, les porte-avions, plus que n’importe quelle unité militaire, se sont retrouvés particulièrement vulnérable au risque épidémique. En outre, dès lors que des cas ont été effectivement constatés dans l’équipage, le risque d’une contagion rapide, du fait même de la nature même de l’épidémie par coronavirus, dépasse très largement l’efficacité de n’importe quelle mesure conservatoire, basée sur l’isolement des cas avérés par exemple. Non seulement est-il impossible de remonter la chaine de contamination du fait qu’un cas sur deux de Covid-19 est asymptomatic et de la promiscuité du bord, mais, à moins de pouvoir tester dans des délais très courts l’ensemble de l’équipage et de pouvoir steriliser l’ensemble des compartiments du bord (plus de 3000 sur un Nimitz), il est impossible d’y mettre en place une stratégie de contention du virus. Enfin, et de manière beaucoup plus grave, l’hôpital embarqué à bord d’un porte-avions nucléaire, s’il est conçu pour traiter un grand nombre de blessures de guerre, n’est pas dimensionné pour faire face à une épidémie virale de ce type.
L’ensemble de ces points ont probablement été au coeur de la décision du commandant Crozier lorsqu’il envoya à plusieurs autorités la demande de débarquer son équipage pour contenir l’épidémie à bord de l’USS Theodore Roosevelt. Et le fait que le secretaire à La Défense, Mark Esper, ainsi que l’ancien secrétaire à la Navy du moment, Thomas Modly, aient commencé par se préoccuper de l’insubordination de l’officier supérieur plutôt que de trouver des solutions pour mettre en place une stratégie pour faire face à l’épidémie, laisse penser que le commandant du Roosevelt avait déjà dû faire face à plusieurs refus ou absence de réponses de la part de sa hiérarchie avant d’étendre sa cible de communication. Au final, aujourd’hui, le Roosevelt se voit privé de presque 10% de son equipage, et même si 97% de ses membres ont été testés à ce jour, il ne pourra pas retrouver le service actif avant une sterilisation intégrale du navire.
La décision de la Marine Nationale française de ramener le Charles de Gaulle à son port d’attache, alors même qu’il n’avait que quelques dizaines de cas identifiés, apparait dès lors comme étant probablement la meilleure, eu égard aux conditions opérationnelles qui règnent en Europe et dans l’Atlantique Nord. Conditions très différentes de celles auxquels doit faire face le Ronald Reagan, pour l’heure seul porte-avions lourd en zone Pacifique, alors même que la Chine met à nouveau un très grande pression sur Taiwan en multipliant les exercices aériens autours de l’Ile. Une situation que n’avait plus connu l’US Navy depuis la bataille de Santa Cruze qui vit le porte-avions USS Hornet (CV8) lourdement endommagé puis coulé, laissant le seul porte-avions USS Enterprise en service sur ce théâtre.
Une chose est certaine, alors que nombreux sont ceux qui s’interrogent sur le rôle à venir du porte-avions dans la guerre navale moderne, on constate que lorsque ceux-ci sont absents, les capacités militaires et dissuasives de l’occident se trouvent particulièrement amoindries. De quoi alimenter le débat à Washington sur la pertinence de reviser le nombre de navires de ce type, comme à Paris sur l’intérêt de disposer d’aux moins 2 porte-avions pour maintenir une posture opérationnelle suffisamment dissuasive en ces temps de tensions.


