Le secrétaire américain à l’US Navy par intérim, Thomas Modly, a présenté sa démission après l’emballement politico-médiatique qui a suivi le remplacement du capitaine B. Crozier à son poste de commandant du porte-avions nucléaire Théodore Roosevelt, à la suite de la publication d’un courrier envoyé à plusieurs autorités pour demander le débarquement de son équipage alors que les cas de contamination par le Covid-19 augmentait à son bord. Il est remplacé par l’actuel sous-secretaire à l’Armée, James McPherson, 15 jours à peine après que ce dernier avait été confirmé par le Congrès à ce poste.
Nous ne reviendrons pas sur les reactions politiques et médiatiques ayant entouré le remplacement du commandant Crozier, ni sur les malheureux propos tenus par Thomas Modly, certes alors qu’il pensait ne pas être enregistré, à ce propos. Quoiqu’il en soit, la nomination de James McPherson, la troisième en moins de 6 mois à ce poste, et les tensions générées par cette affaire au Pentagone et dans la Navy, interviennent probablement au pire moment pour les Etats-Unis, alors que le pays est très durement frappé par l’épidemie de Covid-19, que les conséquences sociales et économiques de cette crise sanitaire commencent à peine à se révéler, et que la Chine, de son coté, se relève avec aplomb de cette même crise qui l’avait frappé il y a seulement 4 mois.
Rappelons que l’US Navy est empêtrée, depuis plusieurs mois, dans un exercice impossible de planification, devant jongler entre les exigences présidentielles d’une flotte de 355 bâtiments en 2030, des moyens figés, et la pression opérationnelle que représente la montée en puissance de la Marine Chinoise ainsi que de la flotte sous-marine russe. Ardant défenseur des exigences présidentielles, Thomas Modly s’était ainsi opposé au plan initial présenté par l’US Navy, reposant sur la consolidation des moyens existants, et la modernisation de la flotte, plutôt que son extension, au point que pour l’heure, le plan à long terme de construction navale américain n’est toujours pas défini, pas même arbitré dans les grandes lignes.
En outre, alors que les griefs opposés au commandant Crozier étaient principalement d’avoir affaibli potentiellement les positions de l’US Navy et des Etats-Unis, en particulier face à ses adversaires comme la Chine ou l’Iran, la situation finale, quelques jours après, et bien pire. L’équipage de l’USS Theodore Roosevelt a été en partie débarqué à Guam pour répondre aux inquiétudes de propagation du virus, et le navire n’est naturellement plus opérationnel, en tout cas dans des délais courts. Un des deux porte-avions croisant au large de l’Iran aurait d’ailleurs vu ses ordres modifiés pour faire route vers le Pacifique Occidental, et soutenir l’USS Ronald Reagan et l’USS America dans cette zone sous tension. En outre, les commandants de bord de l’US Navy ne manqueront pas désormais de modérer leurs rapports envoyés vers Washington si des cas de Coronavirus venaient à se declarer à leur bord.
Surtout, il faudra nécessairement un certain temps pour que James McPherson enfile intégralement son nouveau costume de secrétaire à la Navy par Interim, et se mette à jour des différents dossiers. Ceci va créer un flottement plus ou moins long, que ce soit au niveau de la planification comme du pilotage opérationnel, alors même que l’US Navy a besoin d’un cadre solide pour travailler efficacement et trouver les solutions aux différents problèmes auxquels elle fait face. A ce titre, la durée très limitée des mandats des secrétaires et sous-secrétaires aux armées américains dans l’administration Trump commence à poser un problème en matière de candidats ayant l’experience, les compétences et la volonté pour remplir cette fonction.
Ainsi, le poste de secretaire à la Défense, position hautement stratégique dans une administration américaine, a connu pas moins de 5 nominations sous la présidence de Donald Trump, dont 4 depuis le 1er janvier 2019. Il n’y en eu que 3 sur les 2 mandats du président Obama, deux lors des deux mandats du président Georges W. Bush, et 3 lors des deux mandats du président Clinton. En outre, une grande partie des départs, comme celui du général Matis le 1er janvier 2019, du secretaire à la Navy Richard V. Spencer, ou encore du conseiller à la sécurité, le général mcMasters, ont donné lieu à de fortes tensions, que ce soit avec Mark Esper, l’actuel Secrétaire à la Défense, ou avec le président Trump lui-même, alors même que ces hommes jouissaient d’un réel soutien des militaires.
On peut se demander, dès lors, si ce n’est pas cette fragilité en matière de pilotage politique de la Défense, plutôt que la publication d’une lettre qui a fuité vers la presse ou l’immobilisation du porte-avions USS Théodore Roosevelt à Guam, qui représente la plus grande menace aujourd’hui sur la crédibilité des forces américaines au travers le Monde, et qu’il convient dès lors de corriger au plus vite. En Russie, le ministre de La Défense, Sergeï Choïgou, est à ce poste depuis 2012, tout comme son chef d’Etat-Major, le général Valéri Gerazimov. En Chine, le général Chang Wanquan assume le poste de ministre de La Défense et de Chef d’Etat-Major depuis 2013. Peut-être est-ce dans cette stabilité des instances politiques de Défense que se trouve, en fait, la clé de la performance…

