vendredi, décembre 5, 2025
Accueil Blog Page 272

Les programmes européens de défense sont-ils dans le bon tempo technologique ?

Alors que les 3 grandes puissances militaires mondiales, les Etats-Unis, la Chine et la Russie, semblent être entrées dans une nouvelle course technologique aux armements, les industries européennes restent engagées dans des programmes dont le calendrier semble décalé vis-à-vis du tempo technologique donné par ces super-puissances. Or, si la contre-programmation peut être un outil de conquête de marché efficace, elle peut également avoir des conséquences très dommageables dans certaines circonstances, pour la pérennité même de l’industrie de défense européenne. Dès lors, comment peut-on analyser la stratégie européenne, ses origines et ses effets prévisibles à moyen et long terme ?

Des programmes européens à contre-temps

Depuis le milieux des années 2010, il apparait que les 3 grandes puissances militaires américaines, chinoises et russes ont relancé une course en matière de technologie de défense. Elle se caractérise par la multiplication des contrats visant à moderniser les équipements des forces par des materiels plus modernes et souvent en rupture doctrinale avec ceux en service, ainsi que par des percées significatives dans des domaines technologiques entièrement nouveaux, susceptibles de modifier en profondeur l’action militaire. Dans le même temps, les européens, s’ils font preuve d’un regain d’initiative depuis quelques années, restent majoritairement attachés à des programmes plus conventionnels, et n’envisagent la rupture technologique que dans un calendrier beaucoup plus éloigné que les nations de référence.

Su 57 et S70 Okhotnik B Allemagne | Analyses Défense | Archives
En 2030, les forces aériennes russes aligneront plus d’une centaine de Su-57 et autant de drones de combat Okhotnik, aucun de ces materiels n’ayant d’équivalent dans l’industrie européenne

C’est la Chine, et surtout la Russie, qui ont lancé la course technologique actuelle. Coté russe, elle se caractérise par des programmes comme le Su-57 Felon, le char de combat T-14 Armata, ou encore le système anti-aérien S-500. D’autre part, le pays a développé une série de technologies de rupture lui conférant un avantage remarquable sur l’OTAN, notamment dans le domaine des armes hypersoniques, avec le missile balistique aéroporté Kinzhal, le missile anti-navire 3M22 Tzirkon, et encore le planeur atmosphérique Avangard. S’ajoutent à cela des programmes de modernisation des équipements actuellement en service, comme les chars T-72B3M ou T-90M, les avions Su-34 et Su-35, les sous-marins Anteï et Improved Kilo. L’objectif de l’ensemble de ces programmes est de conférer à la Russie, à l’horizon 2030, un avantage militaire technologique et numérique incontestable sur la composante européenne des forces de l’OTAN.

Les Etats-Unis ont pris la mesure des bouleversements en cours, et ont lancé, depuis 2015, une série de programmes visant à neutraliser au plus vite cette rupture technologique au bénéfice de ses adversaires potentiels. L’US Army a ainsi lancé le super programme BIG-6, visant à reproduire les succès du programme BIG-5 des années 70 qui vit l’apparition du véhicule de combat d’infanterie Bradley, de l’hélicoptère de manquer UH-60 Black Hawk ou encore du missile Patriot, et qui lui conféra l’ascendant technologique sur le champs de bataille pendant plus de 30 ans. L’US Air Force est engagée dans une evolution profonde de sa flotte, avec le programme F35A pour sa flotte de chasse, le KC-46 pour sa flotte de ravitailleurs, et le B-21 pour sa flotte de bombardiers strategiques. Comme pour l’US Army, l’objectif est d’atteindre un palier opérationnel pour 2030, de sorte à être en mesure de relever le challenge posé par la Russie et surtout la Chine. Handicapée par les conséquences de plusieurs programmes mal conçus et gourmands en crédits, comme les destroyers Zumwalt ou les corvettes LCS, l’US Navy apparait en retrait aujourd’hui, d’autant qu’elle ne parvient pas à résoudre la quadrature du cercle que représente sa planification. Mais elle a fait d’importants progrès en matière de navires autonomes, qu’ils soient de surface ou sous-marins, au point de représenter désormais pour beaucoup une solution privilégiée pour répondre au renforcement de la marine chinoise, et de ses capacités technologiques navales.

raider X sikorsky Allemagne | Analyses Défense | Archives
En 2030, l’US Army disposera d’hélicoptères de nouvelle génération issus des programmes FLRAA et FARA, comme ici le Raider-X de Sikorsky, finaliste de la competition FARA

L’Europe, quand à elle, n’a tout simplement aucun programme de rupture technologique en cours ayant une échéance opérationnelle antérieure à 2035, voir 2040. Le programme d’avion de combat de nouvelle génération SCAF franco-allemand n’entrera pas en service avant 2040, et le programme de char de nouvelle génération MGCS vise lui 2035 comme date d’entrée en service. Concernant les programmes d’hélicoptère, ils restent tous d’un classicisme déconcertant face aux programmes FARA ou FLRAA américains. Il n’existe pour l’heure aucun programme avancé relatif à des armes hypersoniques, ou des systèmes capables de contrer ces armes. De fait, jusqu’en 2035, dans le meilleur des cas, les armées et industries européennes aligneront des avions de combat de la génération du Rafale ou du Typhoon, des chars de combat de la génération du Leopard 2 ou du Leclerc, des hélicoptères de la génération du Tigre ou du NH90. Elle n’aura probablement aucun équipement de type canon électrique ou missile hypersonique, pas plus qu’une autre technologie identifiée comme pouvant potentiellement venir bouleverser le champs de bataille de 2030…

Les raisons de ce décrochage européen

Bien évidemment, ce décrochage temporel et technologique n’est pas la conséquence d’un unique facteur. Il résulte en fait de plusieurs décisions et appréciations des situations au fil des 30 dernières années. En premier lieu, c’est la doctrine des « Bénéfices de la Paix » qui est à mettre en cause. Après l’effondrement du bloc soviétique, les dirigeants européens ont entrepris une rapide diminution des moyens militaires dont ils disposaient, du fait de la disparition de l’adversaire qui avait justifié les dépenses de défense pendant plus de 50 ans. L’objectif était évidemment de diminuer les budgets des armées, ou tout du moins de ne plus les augmenter, ce qui fut parfaitement appliqué par les chancelleries européennes pendant plus de 25 ans. Les moyens limités dont disposaient alors les armées ne permirent pas de renouveler dans les temps les équipements, ni de corriger leurs obsolescences. De fait, depuis 2015 et la fin de cette doctrine quelque peu idéalisée, les armées européennes concentrent leurs moyens non pas pour preparer 2030, mais pour rattraper 2010.

Leopard 2 norvege Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le Leopard 2 restera jusqu’en 2035 l’unique char lourd européen en fabrication, les chaines des Leclercs français et des Challenger II britanniques ayant été démontées il y a plus de 20 ans.

Le second facteur aggravant qui engendra la situation actuelle est la nature des conflits auxquels les armées européennes participèrent entre 1995 et 2015. A l’exception notable de l’intervention de l’OTAN au Kosovo, tous ces conflits, qu’il s’agisse de l’intervention en Afghanistan, de l’Irak, de la Libye, du Mali, de la Côtes d’Ivoire et de la République centre-africaine, ont été de nature dissymétrique, avec un adversaire de type guérilla, et non un adversaire employant des armes lourdes et des technologies évoluées. Les armées se sont adaptées à cette mission, avec des materiels plus légers, très mobiles, capables de resister à des Engins Explosifs Improvisés. De fait, le remplacement des systèmes adaptés aux combats de haute intensité, comme dans le cas d’un conflit opposant la Russie à l’OTAN ou la Chine et les Etats-Unis, fut reporté au profit des besoins plus spécialisés et plus immédiats, d’autant que, dans le même temps, les moyens disponibles étaient limités.

Harbon Z9 chinois Allemagne | Analyses Défense | Archives
Alors que l’Europe appliquait les bénéfices de la Paix, la Chine développait son industrie militaire, avec le soutien des européens, comme ici ce Z-9 dérivé du Panther d’Airbus Helicopters

Enfin, outre le ralentissement du tempo technologique européen et la reduction des moyens comme des ambitions des européens, la demande en matière d’exportation s’est, elle aussi, contractée pendant prés de deux décennies, même si, ponctuellement, les acquisitions chinoises permirent de compenser en partie cette faible activité. Les industries de défense évoluèrent alors pour s’adapter à ce marché mondial beaucoup plus ténu, qui plus est avec l’apparition de nouveaux acteurs, concomitant à la diminution des commandes nationales. Elles se retrouvent aujourd’hui, dans un format réduit ne permettant plus de mener des travaux et des développements en dehors d’une commande préalable. Elle ont parallèlement perdu une grande partie de l’intérêt qu’elles suscitaient politiquement par leur rôle moindre en manière de pilotage technologique au niveau national. En d’autres termes, de pro-actives, les industries de défense européennes sont désormais devenues réactives, alors que dans le même temps, les industries russes et chinoises ont suivi la trajectoire inverse.

Une menace pour la perenité de l’industrie de défense européenne

Les conséquences de l’ensemble de ces facteurs menacent désormais non seulement les performances mais l’existence même de l’industrie de défense européenne à moyen et long terme. En effet, et comme nous l’avons abordé précédemment, elle se retrouve dans un tempo technologique différent de celui des 3 grandes puissances militaires, qui pourtant définit la réalité du marché de l’armement mondial, ainsi que celle du champs de bataille. Certes, elles continuent aujourd’hui de produire et de vendre des équipements performants, mais au delà des technologies qui font le standard de défense actuel, elles risquent fort de ne pas pouvoir s’aligner dans les temps concernant la prochaine génération de materiels militaires.

Tempest graphic 800x445 1 Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le programme Tempest britannique, comme le SCAF franco-allemand, prévoit l’entrée en service des premiers appareils au delà de 2035, pour peu qu’aucune difficulté ne viennent entraver les développements.

Ainsi, jusqu’en 2035, la France et l’Allemagne ne pourront proposer sur le marché des avions de combat que le Rafale et le Typhoon, dans leurs évolutions respectives. Les deux appareils se verront confronter non seulement au F-35, mais également au Su-57 russe et aux appareils chinois qui se positionnent sur le marché, l’un avec une offre technologique plus avancée, surtout accompagné du S-70 Okhotnik B, l’autre avec une offre tarifaire alléchante, et la puissance commerciale et politique chinoise qui n’aura alors rien à envier à celle des Etats-Unis. En d’autres termes, les chances de voir un appareil européen remporter une competition à l’exportation entre 2025 et 2040, jusqu’à l’entrée en service du SCAF, sont très faibles. Pendant ce temps, les avions américains, russes et chinois auront phagocyté le marché, en bloquant autant que possible le marché pour les avions européens, de sorte qu’exception faite du remplacement des Typhoon et des Rafales, le marché adressable pour SCAF sera extrêmement limité. Il en va de même concernant le MGCS, qui devra faire face aux Armata russes qui auront probablement déjà faits leurs preuves, les VT4 chinois et potentiellement leurs successeurs, ainsi qu’aux remplaçants de l’Abrams et du Bradley.

Parade T14 9 mai 2015 Allemagne | Analyses Défense | Archives
En 2030, les forces russes disposeront, selon toute probabilité, d’un millier de chars lourds T14 Armata, épaulés par quelques 2500 versions modernisées des T72, T80 et T90.

Outre le marché adressable, les européens ne pourront pas s’appuyer sur l’experience accumulée par ses concurrents, tant du point de vue industriel que militaire, du fait de l’existence de ces programmes décalés. Ainsi, les Etats-Unis, la Russie et la Chine accumulent déjà l’experience liée à l’utilisation d’avions de combat ou de drones furtifs, de missiles hypersoniques, de systèmes d’arme à énergie dirigée ou de blindés de nouvelle génération. Cette experience viendra à manquer aux européens quand il s’agira de promouvoir ou de faire évoluer leurs propres systèmes d’armes, de sorte que le retard accumulé perdurera dans le temps, voire ira en s’épaississant.

Comment remedier à cette situation

La question triviale qui se pose aujourd’hui est de savoir s’il est possible de remédier à cette situation mortifère pour l’industrie de Défense européenne. Cette solution existe, et elle s’impose d’elle-même dès lors que l’on analyse les besoins présents et à venir tout en gardant à l’esprit les contraintes du calendrier imposées par les autres nations. D’une part, les armées européennes et les industriels ne peuvent faire l’économie de la modernisation en cours, tant pour remédier aux défaillances immédiates que pour acquérir les competences qui en découlent. D’autre part, les industries doivent coller au tempo technologique mondial et donc être en mesure de mettre en service, à horizon 2030, les équipements de nouvelles technologies imposées par les Etats-Unis, la Russie ou la Chine. Force est de constater que le délais entre ces deux étapes n’est pas suffisant pour justifier d’un remplacement des équipements.

La drone de combat Neuron lors dun vol dessais avec un Rafale 1 Allemagne | Analyses Défense | Archives
La France n’a pas su capitaliser sur le programme du démonstrateur Neuron pour se doter, avant les autres, d’un drone de combat furtif, et se positionner sur ce marché très prometteur.

Pour résoudre cette equation potentiellement insoluble, il suffit de renoncer à un paradigme présenté comme inamovible depuis une trentaine d’années, celui de la standardisation et des grandes séries, pour lui substituer un paradigme industriel basé sur des séries plus réduites, spécialisées, associées à un tuilage technologique assurant la progression des performances dans le temps. Pour y parvenir, il serait également nécessaire de revenir à une logique de programmes de démonstrateurs récurrents, assurant le developpement des briques technologiques qui seraient, par la suite, intégrées aux programmes d’armement eux mêmes, sans lier ces derniers aux développements technologiques, et donc sans en subir les conséquences en terme de surcouts ou de délais en cas d’impasse ou de difficultés.

Naturellement, cette approche nécessiterait des moyens supplémentaires, et notamment l’augmentation des crédits de développement et d’équipements des armées européennes. Mais, comme nous l’avons abordé à de très nombreuses reprises, ces moyens budgétaires généreraient rapidement des retours fiscaux et sociaux tels qu’ils compenseraient les surcouts. En outre, l’industrie européenne de défense retrouverait sa position de leader technologique dans le monde, au même titre que les 3 grandes puissances militaires, et l’augmentation simultanée de l’offre en matière de gamme de produits et de pertinence technologique accroitrait mécaniquement les performances de cette industrie en matière d’exportation. Du point de vue militaire, les armées européennes disposeraient de moyens permettant, même du point de vue des armements conventionnels et sans l’assistance des Etats-Unis, de dissuader n’importe quel adversaire d’un aventurisme militaire quelconque sur le continent, ou dans la zone d’influence européenne. Enfin, l’industrie européenne profiterait du rôle moteur en matière de developpement technologique joué par l’industrie de défense, comme ce fut le cas dans les années 60, 70 et 80, ce qui contribua à dessiner le paysage industriel, technologique et donc économique et social européen actuel.

Conclusion

La trajectoire actuelle de l’industrie de défense européenne est pour le moins inquiétante, et nécessiterait une reflexion approfondie pour peu que les autorités de chaque pays souhaitent effectivement préserver cette industrie et l’autonomie stratégique qui en découle. En 2015, le président du GIFAS, le Groupement des Industries Françaises de l’Aeronautique et du Spatial, Eric Trappier, par ailleurs PdG de Dassault Aviation, avait interpellé les autorités du pays pour réclamer un programme d’investissement global en matière de défense de 25 Md€, contre 10 Md€ aujourd’hui, et basculer vers une dynamique technologique basée sur la conception de démonstrateurs et la realisation de petites séries.

Atelier Rafale Allemagne | Analyses Défense | Archives
Sans changement de paradigmes, l’industrie européenne de défense risque de faire face à des difficultés pouvant menacer jusqu’à sa propre pérennité dans les deux décennies à venir.

Malheureusement, une fois le programme SCAF validé, sécurisant une partie de l’industrie aeronautique de défense française pour les 30 années à venir, cette volonté a tout simplement disparu, et ce même si le programme SCAF va à l’encontre même des paradigmes énoncés alors. Ce pari industriel est toutefois risqué, tant pour l’industrie européenne de défense que pour les armées européennes, pour les raisons que nous venons de détailler. Alors que l’Europe fait face aux conséquences de l’épidémie de Covid19 qui affecteront aussi bien le tissu industriel que les capacités budgétaires des états, il sera déterminant de porter un regard objectif et détaillé sur les risques qui pèsent sur la Défense européenne et son industrie, et les moyens d’y remédier.

Pékin déploie un porte-avions vers Taïwan alors que l’US Air Force dévoile ses capacités de frappe à longue distance

Ce weekend, le porte-avions chinois Liaoning et son escorte ont quitté les eaux chinoises pour se diriger vers les eaux du Pacifique, au large de la côte Est de Taïwan. En pleine épidémie de Covid-19, ce déploiement apparaît comme une démonstration de force pour Pékin qui entend bien maintenir la pression sur Taïwan. En réaction, les forces armées américaines ont également démontré la puissance de leurs moyens aériens dans la région, à défaut de pouvoir déployer un porte-avions pour contrer le Liaoning chinois.

Samedi soir, le porte-avions Liaoning accompagné d’une demi-douzaine de navires d’escorte a été repéré par le Japon dans le détroit de Miyako, entre les îles japonaises de Miyakojima et d’Okinawa situées à quelques centaines de kilomètres de Taïwan. Contrôlées par le Japon, qui y a récemment déployé des batteries de missiles, ces eaux restent ouvertes à la navigation en temps de paix. En empruntant ce passage, le Liaoning a ainsi contourné Taïwan par le Nord-Est, avant de virer au Sud. L’escorte du porte-avions est alors constituée de deux destroyers Type 052D et de deux frégates Type 054A, ainsi que d’un navire de ravitaillement et de soutien. A priori, au moins un ou deux sous-marins devraient également accompagner le groupe aéronaval.

Miyakojima Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le porte-avions chinois est passé entre l’île de Miyako et Okinawa pour contourner Taïwan.

Ainsi déployé entre la Mer de Chine méridionale et la Mer des Philippines, le Liaoning est désormais le seul porte-avions en activité dans le Pacifique. En effet, les deux porte-avions américains de la région sont aujourd’hui maintenus à quai en raison de l’épidémie de coronavirus qui touche leur équipage, l’USS Theodore Roosevelt à Guam et l’USS Ronald Reagan au Japon.

Déploiement du Liaoning : une manœuvre militaire et diplomatique

Pour Pékin, le déploiement du Liaoning en période de crise sanitaire mondiale n’a rien d’un hasard. Pour la marine populaire chinoise, il s’agit tout autant d’une manœuvre militaire que d’un exercice politique de diplomatie.

  • En déployant rapidement son unique porte-avions opérationnel et son escorte, Pékin rappelle que l’épidémie de Covid-19 n’a pas affaibli ses capacités militaires ni réduit son ambition stratégique dans la région. La Chine entend ainsi se démarquer d’autres pays de la région qui pourraient sacrifier leurs capacités militaires afin de lutter contre la crise sanitaire et économique actuelle.
  • Ce déploiement est également un message diplomatique fort adressé aux Etats-Unis et à Taïwan après la promulgation par Washington du TAIPEI Act visant à soutenir les alliances internationales de Taïwan face aux pressions chinoises. Dans la rhétorique habituelle de Pékin, Taïwan n’est qu’une province rebelle et ses eaux territoriales appartiennent à la République Populaire de Chine. En se déployant à distance de sécurité de Taïwan, la RPC rappelle ainsi qu’elle est prête à intervenir par la force en cas de déclaration d’indépendance unilatérale de Taipei.
  • De fait, un déploiement de porte-avions à l’Est de Taïwan contribue aux pressions exercées depuis plusieurs mois sur l’île rebelle. Jusqu’à présent, le gros des défenses antinavires taïwanaises étaient orientées vers l’Ouest et la menace continentale. Via ses porte-avions et ses bombardiers à longue distance capables de frapper par l’Est, Pékin entend forcer Taipei à diluer ses capacités de défenses limitées sur l’ensemble du pourtour de l’île.
chinese carrier e28098liaoning with escorts Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le Liaoning est le premier porte-avions chinois opérationnel. Le navire est équipé de chasseurs J-15. S’il ne dispose pas des capacités d’attaque en profondeur d’un porte-avions américain ou français, il reste un outil de contrôle maritime particulièrement puissant.

Globalement, le regain de tensions ces dernières années entre la Chine continentale et Taïwan s’explique à la fois par des facteurs politiques et diplomatiques. D’une part, Taïwan est gouvernée depuis 2016 par le parti souverainiste Minjindang, véritable épine dans le pied pour Pékin. Comme souvent, la Chine a entrepris d’exercer des pressions militaires sur Taïwan au moment des élections présidentielles. Ces élections ont justement renouvelé la présidente Tsai Ing-Wen du Minjindang au mois de janvier 2020.

D’autre part, le contexte mondial a fortement évolué depuis 2016. La passivité relative de la communauté internationale suite à l’annexion de la Crimée par la Russie a créé un précédent qui n’est pas passé inaperçu à Pékin, qui surveille de près l’inconstance de la diplomatie américaine depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche. Dans le même temps, le renforcement phénoménal des capacités militaires –notamment navale– de l’armée populaire de libération a conduit à un rééquilibrage militaire dans la région. Ainsi, les apparentes provocations de la Chine vis-à-vis de Taïwan pourraient avoir comme but premier de tester les réactions diplomatiques et militaires de Taipei et de ses alliés.

Réactions au déploiement du Liaoning

Ces dernières ne se sont pas faites attendre. Dès que le porte-avions a été repéré près de Miyako, Taïwan a fait appareillé des navires militaires et décollé des avions de patrouille et de surveillance maritime afin de tenir à l’œil les manœuvres chinoises. Les Etats-Unis, cependant, n’ont pas été en mesure d’intervenir sur le plan naval, étant donné que leurs deux porte-avions dans la région sont momentanément indisponibles.

elephant walk b 52 guam Allemagne | Analyses Défense | Archives
Alignement d’hélicoptères, de drones, de bombardiers et de ravitailleurs. Si la force exposée peut menacer le porte-avions Liaoning et son escorte, elle reste insuffisante pour exercer la moindre pression sur le territoire chinois lui-même.

Néanmoins, Washington a effectué une démonstration de force d’un autre genre, en veillant à ce que le message soit porté clairement à l’intention de Pékin. Le « show of force » a donc pris la forme d’un « Elephant Walk », une manœuvre de parade consistant à faire défiler sur une piste d’aviation l’ensemble de ses capacités militaires. Sur la base Andersen de l’île de Guam, l’USAF a ainsi aligné cinq bombardiers lourds B-52, six ravitailleurs KC-135 et un drone RQ-4 Global Hawk. A leurs côtés, un MQ-4 Triton et un hélicoptère MH-60 de l’US Navy étaient également présents.

En soi, cette force d’action est impressionnante et particulièrement complète. Les drones opérant à haute altitude et grande distance peuvent repérer et désigner les cibles navales au profit des B-52H amenés sur zone grâce aux ravitailleurs en vol. Armés de missiles anti-navires Harpoon ou de mines navales Quickstrike-ER, les B-52H de l’USAF sont à même de représenter une menace crédible pour le groupe aéronaval chinois.

Toutefois, Guam étant situé à plus de 2700km de Taïwan, un petit groupe de bombardiers lourd ne peut aucunement offrir la réactivité et la souplesse d’emploi d’un porte-avions. On peut néanmoins parier que l’US Navy, mais aussi les marines japonaises ou taïwanaises, auront également déployé des sous-marins afin de contrer toute volonté d’escalade de la part de Pékin. D’autant plus que le Liaoning et son escorte manquent encore d’expérience et ne forment pas un outil militaire pleinement adapté à un conflit de haute intensité.

B 52 in maritime roles Allemagne | Analyses Défense | Archives
Des B-52H sont déployés régulièrement sur la base de Guam. Capables d’embarquer des bombes et des missiles de croisières, ils constituent également des outils d’intervention navale lourds.

Conclusion

Les démonstrations de force de part et d’autres constituent avant tout un jeu d’échec diplomatique. En déployant le Liaoning vers Taïwan, la Chine reste sur sa ligne politique tout en renforçant la crédibilité d’une action militaire en cas de provocation de la part de Taipei ou Washington.

Pour le moment, la sécurité de Taïwan est assurée par la solidité des liens entre Taipei, Washington et Tokyo au sujet de l’interventionnisme chinoise dans la région. Mais si un seul de ces pays venait à se désengager de la région, rien n’empêcherait Pékin de pouvoir mettre la main sur Taïwan soit par le biais d’une invasion, soit en utilisation cette menace comme une épée de Damoclès sur la classe politique taïwanaise.

La Turquie multiplie les ouvertures pour revenir dans les bonnes grâces de Washington

Après une lune de miel avec Moscou de plus d’une année, Ankara multiplie désormais les initiatives et les declarations pour retrouver les bonnes grâces de Washington, et profiter de la présence de Donald Trump à la Maison Blanche pour normaliser à nouveau ses relations avec les Etats-Unis et l’OTAN. A l’occasion d’un seminaire en ligne organisé par l’Atlantic Council, le ministre turc des affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, a ainsi une nouvelle fois exprimé la volonté d’Ankara d’acquérir des systèmes anti-aériens Patriot auprés de Washington, ou des systèmes similaires compatibles avec les pré-requis de l’OTAN (il ne pourrait s’agir que du SAMP/T Mamba franco-italien).

Les tensions apparues depuis quelques mois avec Damas et Moscou en raison des affrontements entre les forces armées syriennes soutenues par l’aviation russe, et les forces paramilitaires islamistes soutenues par les armées turques, ont engendré une degradation sensible des relations entre la Russie et la Turquie, et l’isolement d’Ankara sur la scène internationale. Cet isolement est d’autant plus sensible que les autorités turques ont réussi à rallier l’ensemble des pays européens contre elles suite à l’épisode du chantage aux réfugiés entamé par Ankara en pleine crise du Covid19, et qui provoqua l’afflux de réfugiés vers les frontières grecques.

frontiere grece turquie tensions Allemagne | Analyses Défense | Archives
En incitant les réfugiés présents sur son territoire à se rendre à la frontière avec la Grèce, Ankara souhaitait faire pression sur les européens pour les amener à soutenir son initiative dans le nord de la Syrie face aux forces syriennes et la Russie. Mais ce fut un échec.

Le président turc, R.T Erdogan, n’a désormais plus guère de possibilités sur la scène internationale. La seule alternative restante, hormis un basculement vers Pékin toujours possible, est donc de profiter de l’isolement relatif de Donald Trump sur cette même scène internationale, ce dernier étant toujours en quête de succès rapides alors que la campagne présidentielle s’accélère désormais aux Etats-Unis. C’est précisément dans cette optique qu’Ankara multiplie les axes de négociations autour de sa défense anti-aérienne, principal point d’achoppement avec Washington depuis l’acquisition de 5 batteries de systèmes S400 russes livrés à l’été et l’automne 2019. Et le calendrier devient pressant, puisque rien ne garantit la victoire du président en exercice américain lors des prochaines élections présidentielles qui auront lieu à l’automne, et qu’en cas de victoire du démocrate Joe Biden, Ankara pourrait avoir beaucoup plus de difficultés à négocier des conditions favorables pour son retour en grâce.

Outre la possible acquisition de batteries de missiles anti-aériens et anti-missiles Patriot, Ankara souhaite également réintégrer le programme F35, pour lequel elle avait déboursé plus de 1,3 Md$, et qui constituait un pilier majeur de sa stratégie de modernisation de ses forces aériennes, ainsi que de la montée en puissance de son industrie aéronautique et de défense. Rappelons que l’exclusion du programme F35, alors qu’Ankara attendait la livraison des premiers des 100 appareils commandés, avait été la principale mesure coercitive annoncée par Donald Trump suite à la livraison des premiers éléments des batteries S400 russes.

F35A turquie Allemagne | Analyses Défense | Archives
La Turquie a commandé 100 F35 qui étaient destinés à remplacer les avions F4 Phantom encore en service dans ses forces aériennes

Les autorités turques savent avoir plusieurs atouts dans leur manche, malgré une situation économique et sociale déjà tendue et aggravée par la crise sanitaire du Covid19 qui touche également le pays. En premier lieu, un basculement d’alliance de la part d’Ankara constituerait non seulement un revers spectaculaire pour l’Alliance Atlantique et Washington, mais cela affaiblirait considérablement les positions occidentales en Méditerranée orientale, en mer noire et au Moyen-Orient. A ce titre, Ankara prit grand soin de répondre à toutes les sollicitations de l’OTAN, de sorte à ne pas prêter le flanc à ce type de critique, même si, parallèlement, elle oeuvrait souvent à affaiblir des pays européens eux-mêmes membres de l’OTAN.

En second lieux, le rôle que jouait la Turquie dans le programme F35, tant de part le rapport qualité-prix de son industrie aéronautique, et l’importance de sa commande globale d’appareils, la troisième plus importante après les Etats-Unis et le Japon, a eu des conséquences bien supérieures à celles auxquelles s’attendait la Maison Blanche lorsqu’elle décida d’exclure Ankara du programme. En effet, Lockheed semble toujours peiner à trouver des alternatives industrielles pour reprendre la fabrication des éléments jusqu’ici confiés à l’industrie turque, sans voir les prix s’envoler et mettre à mal les objectifs de reduction du prix d’acquisition des appareils. En outre, le Pentagone a dû se porter acquéreur des appareils turcs intégrés au planning de fabrication en 2019 pour ne pas nuire à la planification déjà handicapée par le report de la production de série à 2021.

s 400 turquie Allemagne | Analyses Défense | Archives
La Turquie a reçu l’ensemble des batteries de S400 commandées à la Russie en 2018. Mais ces dernières ne sont pas encore opérationnelles, et ne peuvent être intégrées aux dispositifs de défense aérienne de l’OTAN

Mais les autorités turques font également face à une contrainte forte qui risque de mettre à mal tous leurs efforts vers Washington et Donald Trump. En effet, ce dernier a clairement posé comme préalable à toute reprise des négociations le retrait des S400 turcs. Or, une telle concession apparait inconcevable pour le président Erdogan, tant il a basé son image et sa communication sur sa capacité à s’opposer aux pressions occidentales et à replacer la Turquie au coeur de l’échiquier géopolitique mondial. Quand à Donald Trump, il ne pourra pas faire marche arrière sur cette question, qui constituerait un précédant inacceptable pour l’OTAN, et qui réduirait l’efficacité et la portée symbolique des sanctions imposées à Ankara suite à l’acquisition des missiles russes.

Toutes les négociations vont donc, désormais, porter ce sur point précis, et sur une alternative mutuellement acceptable, mais difficile à concevoir. Comme à leur habitude, les autorités turques ont fait savoir qu’en l’absence de progrès coté américain, elles étaient prêtes à acquérir de nouveaux systèmes russes. Mais l’efficacité de ces declarations est désormais limitée, Ankara étant parvenue à fédérer contre elle dans l’OTAN la majorité des chancelleries, et qu’un rapprochement avec Moscou semble désormais difficile tant les positions en Syrie sont antagonistes entre les deux pays. Nous assistons, à ce titre, au parfait exemple des limites d’un discours intérieur ultra-nationaliste lorsqu’il entre en collision avec les contraintes de la politique internationale, basée sur le compromis.

1605 trump erdogan m 0 Allemagne | Analyses Défense | Archives
Donald Trump apparait aujourd’hui comme la meilleure carte à jouer pour le président Erdogan afin de sortir de son isolement actuel sur la scène internationale.

Quoiqu’il en soit, nous devrions assister, dans les semaines à venir, à l’intensification des declarations et des négociations entre la Turquie et les Etats-Unis, la fenêtre favorable à ces négociations diminuant rapidement. A partir du mois de juillet, la campagne électorale américaine concentrera l’essentiel de l’attention américaine, comme celle de son président, et il sera beaucoup plus difficile de parvenir à un compromis avant l’élection elle-même, au risque de voir émerger une nouvelle administration beaucoup moins favorable à de telles négociations. Et même si Donald Trump venait être réélu, rien ne garantit qu’il ait encore un quelconque intérêt pour ce sujet passées les élections.

Après le premier vol du F-15QA, le Qatar se prépare à décupler sa puissance aérienne

D’après le ministère de la défense qatari, le premier des trente-six F-15QA Advanced Eagle commandés auprès de Boeing en 2017 a effectué son premier vol le 13 avril à l’usine de Saint Louis, dans le Missouri. Les livraisons devraient débuter cette année et s’étendre jusqu’en 2023, où les F-15QA opèreront auprès des Rafale et des Eurofighter également commandés par la force aérienne de l’Emir du Qatar.

Le premier vol du F-15QA marque une nouvelle étape dans un programme qui a pris au fil des années un peu de retard. Initialement, il était prévu que les premiers appareils soient livrés au Qatar début 2020. Mais il apparaît aujourd’hui que la force aérienne qatarie ne pourra pas prendre livraison de ses premiers appareils avant quelques mois encore, le temps d’effectuer les derniers tests sur les premiers F-15QA.

F 15QA Allemagne | Analyses Défense | Archives
Lors de son premier vol, le F-15QA a effectué des manoeuvres sous fort facteur de charge. L’appareil étant dérivé du F-15SA bien connu, son développement devrait être assez rapide

En effet, même si la variante qatarie de l’Advanced Eagle est très proche des F-15SA déjà livrés à l’Arabie Saoudite, elle en diverge également sur certains points, notamment l’agencement du cockpit. En cela, le F-15QA devrait être représentatif de ce que sera le futur F-15EX acheté par l’US Air Force pour pallier aux retards du F-35 et remplacer ses plus anciens F-15C. Biplaces, les appareils saoudiens et qataris, avec les futurs avions de l’USAF, représentent la troisième génération de F-15E Strike Eagle.

Développé au cours des années 1980, le Strike Eagle est une version polyvalente du chasseur de supériorité aérienne F-15C. Doté de réservoirs conformes sur le côté du fuselage, de pods de navigation et de désignation laser ainsi que d’un nouveau cockpit biplace, le Strike Eagle est capable d’emporter une lourde charge de bombes guidées. Il s’est illustré au combat dès la Guerre du Golfe, puis dans les Balkans, en Irak et en Afghanistan, et il a été exporté en Israël et en Arabie Saoudite. Au début des années 2000, une seconde génération de Strike Eagle est développée pour l’exportation, avec une avionique et des calculateurs plus modernes, et des options pour des radars plus performants, des systèmes de guerre électronique renforcée ou encore des détecteurs infra-rouges IRST. Les F-15SG singapouriens et les F-15K sud-coréens font partie de cette seconde génération de Strike Eagle.

Enfin, après avoir proposé un Silent Eagle plus furtif, sans succès, Boeing a développé un Advanced Eagle modernisé bien plus en profondeur. Sur le plan de l’avionique, l’Advanced Eagle peut embarquer différents modèles de radars AESA, un cockpit articulé autour d’un écran tactile de grande dimension, un FLIR et des systèmes de guerre électronique améliorés. Mais cette troisième génération de Strike Eagle a surtout connu une amélioration de la cellule elle-même, même si les appareils sont extérieurement très semblable.

F 15QA Allemagne | Analyses Défense | Archives
Sur cette vue d’artiste, on constate une configuration d’armement sans doute plus réaliste que certaines des vues proposées par Boeing.

L’aile de l’avion a ainsi été entièrement revue et renforcée, sans modifier son aérodynamique. Les commandes de vol sont maintenant électroniques, et deux nouveaux points d’emport ont été ouverts sous voilure. De plus, les points d’emport existants ont reçu des lanceurs multiples permettant d’embarquer deux missiles air-air par lanceur, au lieu d’un seul sur les variantes précédentes.

Alors que les Saoudiens, déjà équipés de Strike Eagle d’ancienne génération, n’ont pas souhaité adopter toutes les modifications proposées par Boeing, les F-15QA devraient être réellement représentatifs de l’Advanced Eagle. Ils seront notamment équipés du large affichage tactile que l’USAF a adopté pour son F-35, son futur F-15EX mais aussi son nouvel avion d’entrainement T-7A Red Hawk.

Ainsi, les F-15QA seront en mesure d’emporter jusqu’à seize missiles air-air, voire vingt si des emports doubles sont utilisés pour les points d’emports de fuselage. En configuration d’assaut, les appareils pourront embarquer seize bombes légères, trois charges lourdes (bombes, missiles, réservoirs) ainsi que quatre missiles air-air et deux missiles anti-radar HARM/AARGM pour leur autodéfense. Enfin, le Qatar a obtenu l’autorisation d’intégrer le missile anti-navire AGM-84L Harpoon à ses Advanced Eagle.

F 15QA face Boeing Company Allemagne | Analyses Défense | Archives
Sous ce F-15QA, on distingue deux missiles anti-radar HARM/AARGM, quatre missiles air-air AMRAAM et Sidewinder, deux missiles de croisière SLAM-ER, huit bombes légères SDB, six bombes légères JDAM et un ensemble de pods de navigation, de détection et de désignation. Le point central reste libre pour l’emport d’un réservoir de carburant ou une munition lourde.

Les trente-six appareils commandés auprès de Boeing viendront donc rapidement compléter les trente-six Rafale commandés auprès de Dassault Aviation en 2015, et déjà en grande partie livrés au Qatar. Trente-six Rafale supplémentaires sont encore en option, et vingt-quatre Eurofighter Typhoon ont également été commandés, avec une livraison prévue vers 2022.

Pour rappel, la force aérienne de l’Emir du Qatar ne comptait encore l’année dernière qu’une douzaine de Mirage 2000-5 uniquement qualifiés pour la défense aérienne. La croissance de l’armée de l’air qatari est donc unique au monde, et traduit à la fois les inquiétudes de l’émirat au sujet de la sécurité régionale et les ambitions diplomatiques du pays. En effet, acheter autant d’avions différents auprès de six pays (le Typhoon est produit à la fois par le Royaume-Uni, l’Italie, l’Allemagne et l’Espagne) n’a pas vraiment de sens sur le plan opérationnel, d’autant plus que le F-15QA et le Rafale se situent globalement sur le même segment de marché.

Rafale Qatar Allemagne | Analyses Défense | Archives
Une vingtaine de Rafale ont déjà été livrés au Qatar. Si l’avion français est plus léger que le F-15QA et ne dispose pas d’une panoplie d’armement aussi étendue, il reste plus souple d’emploi et n’est pas soumis aux mêmes contraintes opérationnelles que les avions vendus par Washington.

Mais la multiplication des fournisseurs d’armement permet de sceller des alliances économiques et diplomatique. Pour le Qatar, en proie à un conflit diplomatique avec l’Arabie Saoudite et le reste des pays du Golfe, il est donc primordial de rester en bon terme avec les gouvernements européens et américains, notamment par le biais d’achat d’armements. D’ailleurs, Doha a également approché la Russie au sujet du Su-35, également pour des raisons diplomatiques bien plus que pour des raisons militaires.

Pendant longtemps, certains pays européens dont la France ont misé sur la « diplomatie du portefeuille » de certains pays du Golfe Persique afin de remplir les carnets de commandes des entreprises nationales. Néanmoins, une telle approche ne paye pas toujours sur le long terme, surtout si le pays fournisseur n’est pas prêt à aligner parfaitement sa diplomatie sur celle de son client. C’est notamment ce qui est arrivé à la France en Egypte ces derniers mois, suite à un désaccord au plus haut niveau gouvernemental.

Le premier porte-hélicoptères d’assaut chinois Type 075 victime d’un incendie

Le premier navire d’assaut porte-hélicoptères de 40.000 tonnes identifié par la Chine comme Type 075 a été victime d’un incendie touchant la partie arrière du hangar aviation selon les observations réalisées, alors qu’il était à quai aux chantiers navals CSSC Hudong-Zhonghua de Shanghai où le navire, lancé il y a tout juste 6 mois, recevait ses équipements en vu de sa livraison aux forces navales de l’Armée Populaire de Liberation pour entamer ses essais en mer d’ici la fin de l’année 2020.

Les cicatrices de cet incendie, qui n’a pour l’heure donné lieu à aucun communiqué officiel ni de la part des chantiers navals ni de l’APL, ont rapidement été masquée, notamment les dégâts de peinture et les marques de suie qui ont été recouvertes d’une nouvelle couche de peinture à peine 24 heures après le sinistre. On ignore donc les causes, mais également les conséquences sur le planification du navire, de ce sinistre. Il n’a été fait état d’aucune victime.

Type 075 fire results Allemagne | Analyses Défense | Archives
Les marques de l’incendie visibles ici ont été couverte par une nouvelle couche de peinture moins de 24 heures après le sinistre

Cet incendie intervient alors que les autorités chinoises mettent tout en oeuvre pour marquer leur différence avec les flottes occidentales, notamment concernant les conséquences de l’épidémie de Coronavirus en cours. Ainsi, le lancement du second navire de Type 075 doit intervenir dans les tous prochains jours, conformément à la planification antérieure à la crise sanitaire. En outre, depuis quelques jours, le groupe aéronaval chinois organisé autour du porte-avions Lioaning a entamé des manoeuvres en mer de Chine, manoeuvres très largement relayées dans la presse chinoise, alors que les deux portes-avions de l’US Navy dans le Pacifique, l’USS Roosevelt et l’USS Reagan sont handicapés par des cas Covid 19 à leur bord.

Long de 237 m pour 43 metres de large, les LHD (Landing Helicopter Dock) Type 075 peuvent mettre en oeuvre une trentaine d’hélicoptères, ainsi que deux aéroglisseurs type 0726A pour mener des opérations d’assaut amphibie ou aéroporté. Il peut transporter jusqu’à un bataillon (1.200 hommes) d’infanterie de Marine chinoise, et les 45 véhicules blindés qui les accompagnent, comme les chars légers Type 063A et les blindés amphibies ZBD 2000 . Il peut également s’intégrer à un dispositif aéronaval pour mener des opérations de lutte anti-navires, anti-sous-marines et d’attaque vers la terre, en variant la flotte d’hélicoptères embarqués. Il s’agit aujourd’hui du plus important navire de combat de surface de la Marine chinoise après les porte-avions Type 001 et Type 001A déjà en service.

ZBD 05 105 Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le Type 075 peut transporter plus d’une quarantaine de véhicules blindés comme ce ZBD 2000 d’assaut amphibie

L’APL a commandé officiellement 3 LHD Type 075, un par flotte, qui seront épaulés par les 8 navires d’assaut Type 071 déjà en service ou prochainement livrés. Il est toutefois très peu probable que le nombre de Type 075 reste à ce niveau, certains declarations laissant penser que l’APL envisagerait de disposer d’une dizaine de navires de ce type, soit un nombre équivalent à celui des LHA Type America prévus pour l’US Navy en remplacement des LHD Wasp.

Boeing relance la production de KC-46 et de P-8 après trois semaines d’arrêt

Le 25 mars dernier, Boeing annonçait qu’il cessait la production d’avions de ligne sur ses divers sites de production de la région de Puget Sound, vers Seattle. L’Etat de Washington a en effet été gravement touché par l’épidémie de Covid-19, imposant de fermer les principales entreprises de la région. Pour Boeing, cela impliquait de cesser la production d’avions civils, mais aussi des avions militaires qui en sont dérivés, comme le ravitailleur KC-46 Pegasus et l’avion de patrouille maritime P-8 Poseidon.

Après trois semaines de fermeture, la ligne du Pegasus à Everett et du Poseidon à Renton ont été relancées ce matin, avec des mesures sanitaires renforcées pour assurer la sécurité des employés. La relance des activités de défense a en effet été considérée comme une question de sécurité nationale, le gouvernement ayant demandé à ce que l’épidémie de coronavirus ne stoppe pas l’effort de défense des États-Unis. Fin mars, le responsable des acquisitions de l’USAF Will Roper avait en effet déclaré que la pause dans la production du KC-46 ne devrait pas dépasser un mois, sous peine de causer de sérieux problèmes logistiques à l’USAF sur le long terme.

P 8 Poseidon C 130 Bourget 2017 Allemagne | Analyses Défense | Archives
La reprise de production de P-8 et de KC-46 devrait réduire la pression logistique sur les forces américaines.

En effet, sur un total de 179 Pegasus commandés, seuls 33 ont été livrés pour le moment. Et tous présentent de graves défauts de conception, en cours de correction. Néanmoins, les nouveaux ravitailleurs sont indispensables pour permettre à l’USAF de maintenir son activité opérationnelle. Même si les Pegasus ne sont pas encore autorisés à réaliser des opérations de combat, ils sont utilisés intensivement pour les opérations de ravitaillement au-dessus du territoire américain. Ils servent alors pour les vols d’essais, les entrainements et les exercices, permettant de libérer les vieux KC-135 pour les missions de combat opérationnelles.

De son côté, l’US Navy semblait en mesure d’attendre un peu plus longtemps si l’arrêt des livraisons de Poseidon avait dû se prolonger. Néanmoins, le P-8 étant un véritable succès à l’exportation, il était important de reprendre l’assemblage afin de respecter les délais de livraison. Pour Boeing, c’est également une manière de faire tourner au ralenti sa chaîne d’assemblage de Boeing 737, qui souffre toujours de l’interdiction de vol du 737 MAX.

Le travail devant permettre de résoudre les problèmes du 737 MAX dans le domaine civil, mais aussi du KC-46 dans le secteur défense, aurait également repris chez Boeing, même si le télétravail reste appliqué autant que possible. Pour l’heure, cependant, la production d’hélicoptères H-47 Chinook, V-22 Osprey et MH-129 Grey Wolf en Pennsylvanie reste toujours à l’arrêt. Malgré un important soutien du gouvernement fédéral qui cherche à protéger le tissu industriel de défense américain, le retour à la normale semble donc encore loin pour Boeing.

Duel d’artillerie mortel entre les armées indiennes et pakistanaises

Le 10 avril, les forces armées indiennes ont déclenché un feu d’artillerie massif contre les forces pakistanaises leur faisant face dans la province de Dudhnial le long de la ligne de controle le long de la rivière Kishanganga bordant le Cachemire. Selon le communiqué de l’Etat-major indien, 15 militaires pakistanais et 8 terroristes auraient été neutralisés par cette attaque. Le communiqué pakistanais parle lui d’un mort et de cinq blessés graves. L’offensive indienne faisait suite à une attaque terroriste dans le Cachemire qui a eu lieu le 5 avril dans la region de Keran, et qui se solda par le mort de 5 membres des forces spéciales indiennes et des 5 terroristes pakistanais. Selon les informations indiennes, les 5 membres du commando terroriste s’étaient entrainés dans la région de Dudhnial.

Les affrontements entre les forces indiennes et les terroristes islamistes entrainés par le Pakistan ont connu une importante recrudescence dans le Cachemire ces dernières années, au point que les autorités indiennes durent mettre en place des mesures coercitives fortes dans la région. Les provinces du Cachemire et de Jammu sont les seules regions indiennes à majorité musulmane, et furent rattachées à l’Inde après la guerre indo-pakistanaise post-indépendance. Depuis, la région fait l’objet d’un conflit larvé entre les deux puissances nucléaires, conflit qui a fait plus de 70.000 morts depuis 1950. Selon les autorités indiennes, mais également selon un rapport du FBI américain de 2011, les services secrets Pakistanais, l’ISI, sont très largement impliqués dans ce soulèvement, et la majorité des combattants terroristes tués ou capturés par les indiens depuis 1987 sont de nationalité pakistanaise et viennent de la région du Punjab.

LoC Map Allemagne | Analyses Défense | Archives
Les provinces du Cachemire et de Jammu sont principalement bordées de Ligne de Contrôle de fait, et non de frontières reconnues internationalement

Le Cachemire et le Jammu restent aujourd’hui un sujet majeur de discorde entre New Delhi et Islamabad, même si le premier ministre Pakistanais a très officiellement tenu des propos fermes pour décourager le depart pour le Jihad dans le Cachemire de ses ressortissants en 2019. Reste que la Ligne de Contrôle, qui sépare l’Inde du Pakistan dans le Cachemire, est une des zones frontalières ressemblant le plus grand nombre de militaires et de systèmes d’arme dans le monde, ne cédant aujourd’hui qu’à la frontière entre les deux Corées. Outre les revendications territoriales antagonistes entre l’Inde et le Pakistan, il existe également, dans la même région, un conflit territorial entre l’Inde et la Chine concernant la région d’Aksai Chin sous controle chinois depuis la guerre sino-indienne de 1962, qui vit les forces chinoises et indiennes s’affronter, et qui se solda par l’annexion de fait de la province d’Aksai Chin par la République Populaire de Chine. En outre, en 1963, le Pakistan ceda à la Chine des territoires à l’est de la chaine himalayenne de Karakoram, accord territorial non reconnu par New Delhi.

De fait, aujourd’hui, le Cachemire reste une zone de très fortes tensions, ou les frontières internationales sont remplacées par des lignes de contrôle de fait entre 3 nations nucléaires. La situation est d’autant plus complexe que, malgré les divergences en matière de religion et les exactions et atteintes aux droits de l’homme rapportées par plusieurs ONG contre les forces militaires et paramilitaires indiennes déployées dans les provinces du Cachemire et de Jammu, la majorité de la population semble rester fidèle à New Delhi. Selon les estimations, l’Inde maintiendrait sur place entre 600.000 et 900.000 militaires et paramilitaires dans les deux provinces, faisant face à un nombre sensiblement équivalent de militaires pakistanais et chinois. Le rapprochement politique et stratégique entre Pékin et Islamabad entamé depuis les années 2000 et les tensions entre le Pakistan et l’Occident sous fond d’intervention en Afghanistan, fait peser une menace supplémentaire sur les forces indiennes présentent sur place, craignant de devoir se battre sur deux fronts simultanément.

Line of control Kashemir Allemagne | Analyses Défense | Archives
La Ligne de Contrôle de Fait qui sépare le Cachemire indien de la province pakistanaise du Asad Cachemire est une des zones affichant le plus grande densité de forces militaires dans le monde

On comprend pourquoi ces trois pays ont maintenu, dans les années 2000 et 2010, leurs dépenses militaires alors que, dans le même temps, la majorité des pays réduisaient celles-ci en application de la doctrine des « bénéfices de la Paix », doctrine qui, au final, s’avéra bien peu pertinente.

En attendant le T-7A Red Hawk, l’USAF devrait louer d’autres avions d’entrainement avancé

En septembre 2018, l’USAF a sélectionné l’offre de Boeing et Saab pour concevoir son nouvel avion d’entrainement avancé dans le cadre du programme T-X. Environ 350 T-7A Red Hawk sont prévus au total, ainsi qu’une cinquantaine de simulateurs. Cependant, le nouvel appareil ne devrait pas être opérationnel avant 2024. Or, d’ici là, l’US Air Force prévoit de modifier radicalement le programme d’entrainement de ses pilotes. Pour pouvoir tester ses nouveaux équipements et procédures, l’USAF devrait ainsi prochainement louer un petit nombre d’appareils aux capacités similaires à celles du T-7 Red Hawk. Ironiquement, ce sont donc les appareils qui ont perdu la compétition T-X qui sont aujourd’hui envisagés dans le cadre de ce programme de leasing désigné RFX.

Jusqu’à la fin du mois de mars, c’est le T-50 du Coréen KAI qui était envisagé dans le cadre d’un accord avec la société de service américaine Hillwood Aviation. Basée au Texas, cette société aurait acheté ou loué en Corée du Sud une flotte de quatre à huit T-50 Golden Eagle, pour ensuite livrer 3000 à 4500 heures de vol annuelles à l’USAF sur une durée de cinq ans. Pour rappel, le T-50A Golden Eagle proposé par Lockheed Martin et KAI était le principal concurrent du futur T-7A Red Hawk de Boeing/Saab dans le cadre de T-X.

T 50 Golden Eagle Allemagne | Analyses Défense | Archives
Dans le cadre de la compétition T-X, deux T-50 avaient été modifiés par Lockheed Martin selon les critères de l’USAF. L’avion pourrait finalement servir à développer le système d’entrainement dans lequel le T-7 de Boeing viendra évoluer.

Le 26 mars, cependant, le Air Combat Command de l’USAF a annoncé que le contrat qui devait initialement être passé avec Hillwood Aviation fera finalement l’objet d’un appel d’offre ouvert. Un ou plusieurs contractants pourront alors être sélectionnés afin de fournir des appareils capables de reproduire les performances et les systèmes embarqués du futur T-7 Red Hawk. Equipé d’un radar et du même moteur que le Red Hawk, le Golden Eagle coréen est bien évidemment très bien placé, que ce soit chez Hillwood Aviation ou d’autres contractants. C’est en effet le seul appareil moderne disposant à la fois d’un radar, d’un système d’entrainement simulé embarqué et de la vitesse demandée par le ACC pour RFX. Le M-346 de Leonardo pourrait cependant être adapté dans les délais spécifiés par l’USAF.

Le programme RFX est une démonstration menée sur cinq ans et visant à valider le nouveau système d’entrainement de l’USAF : Reforge CONOP. Au-delà d’un nouvel avion d’entrainement, T-X porte également sur la fourniture d’un environnement complet de simulateurs au sol et embarqués à bord des avions. A l’avenir, les pilotes termineront leur formation directement sur la base aérienne de leur première affectation, où ils voleront à bord de Red Hawk. Ces derniers pourront être reliés à distance à des simulateurs au sol, mais aussi à d’autres Red Hawk situés sur d’autres bases de l’USAF.

Pour tester les systèmes embarqués, l’interaction entre les avions ainsi que le transfert de données entre les systèmes de simulation au sol et en vol, l’ACC a donc besoin d’avions d’entrainement avancés représentatifs du T-7A. Ces appareils pourraient être désignés F/T-7X, indépendamment du modèle qui sera choisi par les sociétés de service.

La presse chinoise d’état évoque une « lutte possible » autour de l’île de Taiwan

Le site d’Etat chinois GlobalTimes.cn a publié aujourd’hui un article faisant état d’un nombre important d’exercices des forces aériennes de l’armée populaire de libération autour de l’ile de Taiwan. L’argument avancé dans l’article, citant des « experts » consultés sur le sujet, repose sur l’anticipation d’une lutte au sujet de l’ile. En effet, depuis la fin janvier, et malgré la crise liée à la Pandémie de Coronavirus Covid-19, les forces aériennes chinoises ont mené pas moins de 4 exercices aériens autour de l’ile indépendante depuis 1947.

Les exercices mettent en action des bombardiers à long rayon d’action H-6, des avions d’alerte aérienne avancée KJ-500, et des intercepteurs J-11, version locale du Su-27 russe et largement modernisée. La Chine ne disposant, pour l’heure, que de 3 avions ravitailleurs, aucun appareil de ce type n’a participé à ces manoeuvres. Outre les manoeuvres dans le détroit de Taiwan qui sépare l’ile du continent, les avions chinois ont désormais étendu leur périmètre d’action, en menant des exercices tout autour de l’ile.

J11B 01 Allemagne | Analyses Défense | Archives
Le J11 est l’intercepteur lourd standard de l’Armée Populaire de Libération

L’augmentation du nombre d’exercices est, en soit, un signe déjà inquiétant, les autorités chinoises, et notamment le président Xi Jinping, ayant a plusieurs reprises présenté le retour de l’ile dans le giron de la République Populaire de Chine comme une des principales priorités du pays. Le fait que la notion de « lutte » soit développé dans la presse chinoise d’état l’est encore encore davantage. Le sujet avait déjà été largement abordé dans la presse interne au pays, à destination de sa propre population, comme sur les chaines publiques chinoises. Mais GlobalTimes.cn est un média international, agissant à mi-chemin entre une agence de presse non officielle et un organe de propagande. Mais jusqu’ici, le site avait toujours fait usage de mots choisis beaucoup moins belliqueux pour se référer à la situation taïwanaise.

La crise du Coronavirus n’est probablement pas étrangère à ce regain de provocation. En effet, comme nous l’avons abordé aujourd’hui dans un autre article, l’US Navy a désormais ses deux porte-avions nucléaires présents sur le théâtre Pacifique occidental atteint par des cas de Covid19. Le Roosevelt est déjà hors de combat pour une durée indéterminée, et le Reagan a lui aussi fait été d’une douzaine de cas. Un troisième porte-avions aurait été dépêché en urgence du théâtre moyen-oriental pour venir renforcer les moyens américains présents sur place. Mais de fait, l’US Navy se voir amputer d’une part significative de ses capacités opérationnelles pour soutenir l’ile de Taiwan si celle-ci devait faire face à une campagne aérienne chinoise.

LPD type 071 de la marine chinoise Allemagne | Analyses Défense | Archives
L’APL ne dispose aujourd’hui que de 6 navires d’assaut lourds modernes Type 071, rendant une action contre Taiwan peu probable à court terme

Toutefois, il serait surprenant que le bellicisme chinois ne dépasse le stade de la provocation. Avec seulement 6 navires d’assaut Type 071 en service, et peut-être un LHD Type 075, la marine chinoise manquerait de capacités de projection de puissance pour s’opposer aux forces taïwanaises, surtout si celles ci venaient a être renforcées par des éléments de l’US Navy et de l’US Air Force. La situation sera toute différente d’ici 2027, lorsque l’APL alignera 8 TCD Type 071 et autant de LHD Type 075, et que son corps de Marines sera passé effectivement de 20.000 à 60.000 hommes.

Reste qu’en l’état, les provocations chinoises vont probablement s’accompagner d’une intense campagne de communication, aussi bien intérieure qu’internationale, ayant pour but de mobiliser le pays et faire douter ses adversaires, notamment Taiwan, de la determination occidentale et américaine à soutenir son indépendance.

Et si les Super Hornet allemands embarquaient un jour sur un porte-avions français

Il y a quelques semaines, des informations venues d’Allemagne semblaient indiquer que la Luftwaffe pourrait choisir de remplacer ses derniers chasseurs-bombardiers Panavia Tornado par une flotte mixte de 90 nouveaux Eurofighter Typhoon et 45 Super Hornet de l’Américain Boeing. Très vite, l’information a fait réagir les industriels et syndicats allemands, qui voient dans cet achat de Super Hornet un manque à gagner évidemment pour l’industrie aéronautique allemande. La nouvelle est d’autant plus inquiétante qu’un tel achat viendrait fragiliser l’investissement politique et industriel de l’Allemagne dans le programme européen SCAF, mené conjointement avec la France et l’Espagne, et destiné à donner naissance au NGF, un nouveau chasseur furtif européen.

Pour autant, s’il apparaît toujours dommage de voir un pays européen opté pour un équipement américain alors même que des produits européens – et nationaux – pourraient être disponibles, l’achat de Super Hornet par l’Allemagne pourrait être une chance pour l’Europe de la Défense. En effet, les Super Hornet et Growler (la version de guerre électronique du Super Hornet) que l’Allemagne pourrait acheter sont des avions navals parfaitement compatibles avec le porte-avions français Charles de Gaulle. Pourrait-on alors imaginer que l’acquisition de chasseurs américains serve à développer un début de capacité aéronavale européenne ?

Maquette du SCAF presentee par Dassault Aviation Allemagne | Analyses Défense | Archives
Une première maquette du NGF-SCAF avait été dévoilée à Euronaval 2018. Depuis lors, la forme générale de l’appareil a beaucoup évolué, mais le NGF devrait bien être compatible avec un déploiement sur porte-avions. Pour l’heure, cette capacité n’intéresse que la Marine française, même si le potentiel pour l’Allemagne et l’Espagne existe bel et bien.

La problématique du remplacement des Tornado

Pour le moment, rien ne semble encore décidé pour le remplacement des quelques 85 Tornado encore en ligne dans la Luftwaffe. L’Allemagne opère encore deux variantes de l’avion :

  • Environ 20 Tornado ECR servent à la reconnaissance, à la guerre électronique et à la suppression des défenses adverses (SEAD) par le biais de missiles antiradars HARM/AARGM.
  • Une soixantaine de Tornado IDS servent pour les missions de bombardement, d’interdiction et de soutien aérien. A priori, au moins la moitié de ces Tornado IDS seraient aptes à emporter la bombe nucléaire américaine B61, dans le cadre des missions OTAN de la Luftwaffe.

Cette double capacité SEAD/nucléaire rend le dossier du remplacement des Tornado particulièrement complexe. Pour Airbus Defence & Space, l’idéal serait de développer une nouvelle variante de l’Eurofighter Typhoon capable de réaliser les missions SEAD. Présenté en fin d’année dernière, cet Eurofighter ECR SEAD permettrait à Airbus DS de renforcer sa crédibilité au sein du programme européen SCAF, dont les capacités de guerre électronique devront être particulièrement avancées. Pour la mission nucléaire, la diplomatie allemande aurait alors eu en charge d’obtenir la qualification de la nouvelle bombe nucléaire B61-12 sur la flotte actuelle d’Eurofighter.

L’autre solution consiste à acheter sur étagère des avions américains. Le F-35 ayant été écarté politiquement pour ne pas faire d’ombre au SCAF, seul le Super Hornet restait en lice. S’il n’est pas qualifié B61-12 non plus, l’intégration de la bombe américaine sur le Super Hornet devrait prendre trois à cinq ans de moins que sous l’Eurofighter. Mieux encore : le F/A-18E/F Super Hornet a été dérivé en version SEAD, le EA-18 Growler, bien plus performant que le Tornado ECR.

Tornado allemand equipe du missile HARM Allemagne | Analyses Défense | Archives
Les Tornado ECR allemands disposent de capacités SEAD avancées, avec l’utilisation de missiles AGM-88E HARM/AARGM de dernière génération. Le positionnement géographique de l’Allemagne ne lui permet pas de renoncer à une telle capacité opérationnelle.

Au final, la Luftwaffe pourrait opter pour une solution intermédiaire : 90 Typhoon modernisés seraient commandés pour remplacer une trentaine de Typhoon d’ancienne génération et tous les Tornado IDS de bombardement conventionnel. Enfin, une trentaine de Super Hornet modifiés pour emporter la B61-12 viendraient remplacer les Tornado IDS aptes au bombardement nucléaire, tandis qu’une quinzaine de Growler viendraient remplacer la vingtaine de Tornado ECR encore en service.

Sur le papier, la solution Super Hornet / Growler permettrait de réaliser des économies d’investissement et de conserver la capacité nucléaire. Mais à quel prix ? En effet, même si des économies sont faites en ne développant pas de Eurofighter ECR, l’importation d’avions américains ne permet pas de faire tourner l’industrie locale. De plus, cela donne un accès direct aux avionneurs américains sur le marché allemand, à l’heure où le programme SCAF est encore loin d’être consolidé. Enfin, un choix américain est une porte ouverte pour un lobbying intense de la part de Lockheed Martin, Washington et l’OTAN en faveur d’un achat de F-35 plutôt que de Super Hornet.

Construire une aéronavale européenne avec des chasseurs allemands

Dans tous les cas de figure, un chasseur américain entrant en service en Allemagne vers 2030 est par définition une menace sur le programme SCAF attendu la décennie suivante. Au mieux, cela conduira la Luftwaffe à réduire la quantité d’avions commandés. Au pire, cela la conduira à réduire son soutien pour le futur avion européen, puisqu’une solution de repli américaine existe déjà en cas d’échec du SCAF. Une mauvaise nouvelle potentielle, donc, pour l’Europe de la Défense.

Argentine Navy Dassault Super Etendard jet on USS Ronald Reagan Allemagne | Analyses Défense | Archives
En 2004, des Super Etendard argentins se sont entrainés avec l’USS Ronald Reagan. L’Armada Argentina pourrait être un excellent modèle pour la construction d’une aéronavale européenne, puisqu’elle a déployé ses Super Etendard et S-2 Tracker à bord du porte-avions brésilien jusqu’au retrait opérationnel de ce dernier.

Cependant, il existe peut-être un moyen de transformer une mauvaise nouvelle en réel avantage pour la construction européenne d’une défense commune. En effet, les Super Hornet et Growler ayant été conçus pour opérer depuis des porte-avions, pourquoi ne pas imaginer l’embarquement de ces derniers à bord du porte-avions français Charles de Gaulle ? A défaut d’une consolidation de l’Europe de la Défense industrielle, cela pourrait conduire à renforcer les liens opérationnels entre les deux pays moteurs du programme SCAF. De plus, la Luftwaffe pourrait renforcer simultanément ses liens avec la Marine Nationale et l’US Navy, puisque rien n’empêcherait les appareils allemands d’interagir aussi avec les porte-avions américains. De quoi accroître sensiblement l’importance de la force aérienne allemande au sein des dispositifs de l’OTAN.

L’idée, en soit, n’est pas révolutionnaire. Dès 2018, il avait été évoqué la possibilité que la Belgique puisse se doter en partie de Rafale M navalisés si elle optait pour le chasseur français pour remplacer ses F-16. Bien que dépourvue de porte-avions, la force aérienne belge aurait alors pu embarquer à bord du porte-avions français, ou même d’un porte-avions américain, et ainsi renforcer sa position diplomatique au sein de l’OTAN et des coalitions européennes. Régulièrement, les Rafale et Hawkeye de la Marine Nationale française sont déployés à bord de porte-avions américains, et des Super Hornet de l’US Navy se rendent également occasionnellement à bord du Charles de Gaulle. Depuis le retrait de son propre porte-avions, la Marine Argentine s’est également entrainé à bord du porte-avions brésilien Sao Paulo, ou avec des porte-avions de l’US Navy. Enfin, on peut aussi évoquer le cas d’un pilote de F/A-18 Hornet Finlandais qui a été amené à opérer depuis le porte-avions USS Abraham Lincoln. Certes, les appontages ont été effectués avec un avion de l’US Marines Corps et non pas un Hornet de la force aérienne finlandaise.

L’expérience démontre ainsi que, pour peu que les pilotes aient été entrainés et qualifiés pour l’appontage, un Super Hornet pourrait opérer à partir de n’importe quel porte-avions américain ou français, peu importe la cocarde que l’appareil pourrait arborer. Bien entendu, cela demanderait un gigantesque soutien politique, et nécessiterait de régler certaines questions administratives et culturelles. Sachant que les pilotes allemands sont déjà entrainés aux Etats-Unis, et qu’il sera sans doute nécessaire de former les futurs pilotes de Super Hornet et de Growler auprès de l’US Navy, envisager leur qualification à l’appontage reste cependant parfaitement réaliste.

Holloman air force tornado Allemagne | Analyses Défense | Archives
Ce Tornado IDS allemand n’est pas basé en Allemagne mais aux USA, à Holloman Air Force Base, où se situe le German Air Force Flying Training Center. L’entraînement des pilotes de Super Hornet se déroulera probablement auprès de l’US Navy, permettant d’envisager un cursus de formation des pilotes incluant la qualification à l’appontage.

Super Hornet allemands et porte-avions français : une chance pour l’Europe de la Défense ?

Pour peu qu’au moins une partie des pilotes soient formés pour les opérations navales, deux solutions principales pourraient être envisagées pour l’embarquement de ces derniers à bord du Charles de Gaulle ou du/des futur(s) porte-avions français :

  • Une première option consisterait à effectuer des échanges réguliers et des embarquements ponctuels à bord du porte-avions français (ou d’un porte-avions américain) notamment dans le cadre d’exercices OTAN. Les pilotes allemands maintiendraient leur qualification au même rythme que les pilotes de la Marine Nationale, mais ne seraient pas déployés à bord du Charles de Gaulle de manière régulière.
  • Une autre option, qui pourrait intervenir dans un second temps, verrait des unités allemandes intégrer de manière organique le Groupe Aéronaval français. A l’instar de ce qui est envisagé avec les F-35B de l’USMC à bord des porte-avions britanniques, les avions de la Luftwaffe (ou de la Marinefliger ?) pourraient embarquer systématiquement à bord du Charles de Gaulle. Il pourrait s’agir par exemple de trois ou quatre Super Hornet et autant de Growler. Ces derniers fourniraient alors des capacités de reconnaissance électronique et de SEAD au porte-avions français en cas d’intervention sous l’égide de l’Union Européenne ou de l’OTAN. Bien entendu, rien n’obligerait les avions allemands à participer de manière active à des opérations militaires françaises, et les appareils pourraient même être débarqués si le Bundestag ne valide pas certaines zones de déploiement du Charles de Gaulle.

Pour l’Allemagne, une telle solution aurait l’avantage de renforcer la position diplomatique du pays, sans pour autant l’obliger à participer à des conflits que le pays n’approuverait pas. Sur le plan opérationnel, la Luftwaffe pourrait rapidement comprendre l’intérêt de disposer de capacités embarquées, ce qui pourrait renforcer le programme SCAF dont le chasseur NGF est prévu pour pouvoir opérer depuis des porte-avions. A tout le moins, cela permettrait sans doute aux autorités allemandes de comprendre pleinement l’intérêt d’une version navale du NGF, qu’il faudra de toute manière financer dans le cadre du SCAF.

Ike charles de gaulle CVN 69 Allemagne | Analyses Défense | Archives
Il y a encore quelques semaines, le Charles de Gaulle et l’USS Eisenhower s’entraînaient ensemble en Méditerranée. Des Rafale français ont apponté à bord du porte-avions américains, tandis que des Super Hornet de l’US Navy se rendaient sur le Charles de Gaulle. De tels échanges pourraient être généralisés aux Super Hornet de la Luftwaffe, pour peu que les décideurs politiques et militaires allemands y trouve un intérêt diplomatique et opérationnel.

Côté français, les Growler pourraient compenser le manque de moyens SEAD de l’Armée de l’Air et de la Marine Nationale, tout en permettant de réaliser l’importance d’une telle capacité pour le futur SCAF.

Dans tous les cas, une telle opération permettrait d’établir un socle symbolique solide sur lequel bâtir de nouvelles capacités opérationnelles européennes. En construisant un modèle opérationnel commun, la France et l’Allemagne pourraient alors trouver de nouvelles justifications au SCAF, et pas uniquement sur les plans économiques et industriels !

Un SCAF Naval élargi vers l’Espagne

Une telle initiative demanderait naturellement un énorme investissement politique et diplomatique. Au final, les enjeux opérationnels pourraient venir renforcer les enjeux industriels, et vice versa, permettant à terme de construire une Europe de la Défense non seulement industrielle mais également militaire et diplomatique. Dans ce cadre-là, rien n’empêcherait d’élargir une telle coopération à d’autres pays européens, et notamment l’Espagne, également intégrée au programme SCAF.

En effet, l’Ejército del Aire opère des F/A-18 Hornet depuis les années 1980. Même si le standard espagnol ne permet pas aux EF-18 d’opérer depuis des porte-avions, certains appareils acquis d’occasion auprès de l’US Navy ne demanderaient que des modifications marginales pour retrouver cette capacité. Il y aurait cependant plus de chance de voir Madrid consentir à de tels investissements, plus humains que financiers, si une coopération franco-allemande était déjà mise en place sur cette question.

Spanish air force F18 Hornet Allemagne | Analyses Défense | Archives
Les premiers EF-18 espagnols ne disposent pas de la barre de catapultage sur leur train d’atterrissage avant. Les avions achetés d’occasion à l’US Navy pourraient cependant être compatible avec des opérations sur un porte-avions, sous réserve de quelques modifications mineures.

La question mériterait sans doute d’être creusée. En effet, si l’Espagne envisage le SCAF pour le remplacement de ses Typhoon, comme l’Allemagne, les EF-18 Hornet de sa force aérienne et les AV-8B Harrier de son aéronavale devront être remplacés vers 2030. Et rien n’indique que Madrid aura les finances pour remplacer ces deux capacités. Selon l’appareil choisi pour remplacer les EF-18, il serait alors possible de proposer à Madrid une opération similaire à celle que nous évoquons pour l’Allemagne.

L’Espagne disposant encore d’avions de chasse embarqués, il serait tout à fait possible d’envisager un partenariat à long terme entre la Marine Nationale et l’Armada Española, que ce soit autour du NGF Naval dans le programme SCAF, ou des nouveaux porte-avions en cours de développement pour le remplacement du Charles de Gaulle. Mieux encore, des liens renforcés sur le plan opérationnel et sur la question des porte-avions permettraient à la France et à l’Espagne de continuer l’aventure SCAF même en cas de désistement politique de la part de Berlin.

Conclusion

L’hypothèse prospective que nous présentons dans cet article a très peu de chances de se réaliser. A Paris comme à Berlin, la construction de la défense européenne s’entend encore surtout à travers de programmes industriels communs, avec une certaine défiance de part et d’autre. Une vision plus large de la problématique, avec un fort soutien politique et diplomatique, pourrait cependant offrir des perspectives nouvelles à la fois à la diplomatie européenne et à son industrie de défense. Enfin, voir apparaître une nouvelle chasse embarquée en Europe resterait un symbole fort à l’heure où la Russie renforce ses positions en Europe de l’Est.

EA18G Growler Us Navy Allemagne | Analyses Défense | Archives
Embarquant des pods de brouillage et des missiles HARM/AARGM, le Growler est redoutable dans les missions SEAD. Sa présence à bord d’un porte-avions français offrirait de nouvelles capacités opérationnelles à la Marine Nationale