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Pourquoi la Russie fabrique-t-elle autant de drones d’attaque Geranium-2 ?

Sur les deux premières années du conflit en Ukraine, la Russie aurait lancé près de 8000 missiles balistiques, missiles de croisière et drones d’attaque à longue portée, contre les infrastructures civiles et militaires ukrainiennes. Parmi eux, 4637 étaient des drones d’attaque Geranium-2 (Герань-2) fabriqués en Russie, ou Shahed-136, le drone iranien qui en est à l’origine.

Si ces drones, d’une portée avoisinant 1500 km et armés d’une charge explosive de 40 kg, surprirent les défenses aériennes lors des premiers jours, celles-ci s’adaptèrent rapidement, et parvinrent à annoncer en quelques semaines, des taux d’interception très élevés, entre 80 et 90 %. Toutefois, au fil du temps, la pression posée par les Geranium-2 ne diminua pas, contrairement aux stocks de missiles et d’obus antiaériens ukrainiens.

De ce fait, aujourd’hui, bien que demeurant vulnérables par leurs faibles vitesse et altitude de croisière, ces drones atteignent un taux de frappes réussies se situant, selon les sources ukrainiennes, entre 15 et 25 %. Ce qui en fait une arme très efficace, eu égard à son prix et sa facilité de production, notamment pour attaquer les infrastructures civiles ukrainiennes, dans les domaines de l’énergie, du transport et de la communication.

Dès lors, lorsque les journalistes du Wall Street Journal, publient une enquête sur le site de Alabuga, dans le Tatarstan russe, et décrivent une production annuelle de drones Geranium 2, supérieure à 6000 exemplaires, plus de quatre fois supérieure à la densité moyenne de tirs de ces drones contre l’Ukraine en 2022 et 2023, les conséquences peuvent s’avérer très sombres pour Kyiv dans les mois à venir.

La production des drones d’attaque Geranium-2 à longue portée dépasserait les 6000 exemplaires par an

L’enquête du WSJ porte, avant tout, sur l’organisation de la production de ces drones d’attaque à Alabuga, faisant appel à une importante main d’œuvre d’étudiants africains, d’une part, et des composants venus de Chine, de l’autre. Elle montre, ainsi, que cette activité industrielle est pérennisée, ne souffrant d’aucune pénurie.

Fabrication drones d'attaque Geranium-2 alabuga
Le site industriel d’Alabuga fait massivement appel à des étudiants africains, pour produire les drones Geraniulm-2

Ce sont toutefois les chiffres de production présentés dans cette enquête, qui attirent le plus l’attention. En effet, selon les journalistes, le site industriel d’Alabuga prévoirait de produire 6 000 drones d’attaque en 2024, soit 60 % de plus que l’ensemble de la consommation de Geranium-2 et de Shahed 136, dont il est une évolution, sur les années 2022 et 2023.

Alors que ces drones ont déjà lourdement érodé les défenses aériennes ukrainiennes, avec un rythme moyen de 200 drones lancés contre l’Ukraine chaque mois, on imagine bien quels seraient les dégâts sur les infrastructures ukrainiennes, si 500 Geranium-2 étaient lancés chaque mois contre les villes ukrainiennes.

Ce d’autant que la situation pourrait être encore pire que présentée initialement par le WSJ. En effet, dans une mise à jour du 28 mai de l’article en question, il est précisé que, selon l’Institute for Science and International Security, un groupe de réflexion sur la défense basé à Washington D.C, le nombre de Geranium-2 produits en 2024, atteindrait déjà 4500 exemplaires, ce qui laisse supposer une production annuelle avoisinant les 9000 drones.

La Russie reconstitue, pour l’automne, un important stock de missiles et drones pour frapper l’Ukraine

Si l’hypothèse de voir les armées russes lancer 500 drones d’attaque, en plus d’une centaine de missiles balistiques et de croisière, chaque mois, sur l’Ukraine, est déjà du plus inquiétant, force est de constater que, sur les 6 premiers mois de l’année 2024, la densité des tirs russes, elle, n’a que peu évolué.

Lanceur drone Shahed-136
Système de lancement multiplie de drones d’attaque Shahed-136

D’ailleurs, l’efficacité accrue des frappes russes, ces derniers mois, est bien davantage la conséquence de l’épuisement des défenses aériennes ukrainiennes, que de l’accroissement du nombre de munitions lancées contre l’Ukraine. Fort de ces constats, une conclusion s’impose : les armées russes constituent un important stock de drones d’attaque Geranium-2, pour un usage ultérieur.

Dans ce contexte, l’hypothèse la plus probable, est que Moscou prévoit d’employer massivement, et simultanément, un grand nombre de ces drones, probablement épaulés par des tirs de missiles balistiques et de croisière, au potentiel destructeur très supérieur, dans un avenir plus ou moins proche, afin de saturer, voire détruire, les défenses aériennes ukrainiennes, et éliminer, simultanément, un grand nombre d’infrastructures critiques du pays.

Bien évidemment, l’attaque simultanée des infrastructures énergétiques, de transport et de communication, à l’arrivée des grands froids de l’hiver 2024, apparait comme l’alternative la plus évidente, pour provoquer un choc politique à Kyiv, que les assauts sur la ligne de front, ne parviennent pas à déclencher.

Le fait est, la perspective de voir plusieurs milliers de drones Geranium-2, lancés contre ces infrastructures ukrainiennes en quelques jours de temps seulement, avec une ou deux centaines de missiles lourds pour finir le travail, ne laisse que peu d’alternatives aux autorités ukrainiennes, pour maintenir le pays et son armée, sous contrôle, ce quelles que soient la qualité et la quantité de l’aide occidentale livrée d’ici à novembre 2024.

Quelles sont les solutions pour contenir la menace de frappes de saturation de drones russes contre les infrastructures ukrainiennes ?

En effet, les systèmes de défense aérienne que les occidentaux tentent, aujourd’hui, de livrer à l’Ukraine, sont conçus pour intercepter des avions de combat, voire des missiles de croisière, mais sont inadaptés pour lutter contre mille ou deux mille drones d’attaque dont le cout unitaire ne dépasse pas les 85 000 $ (hypothèse haute), et qui seraient produits à 500, voire 750 exemplaires par mois. Toutes les capacités de production occidentales de missiles surface-air, n’y suffiraient d’ailleurs pas.

Skyranger 30 Rheinmetall
Bien que très efficace, le Skyranger 30 de Rheinmetall ne peut protéger qu’un périmetre de 25 à 30 km2, et 6 à 7 km de front linéaires.

L’artillerie antiaérienne de petit et moyen calibre s’avèrerait, elle, bien mieux adaptée, théoriquement tout du moins. En effet, le prix des obus de 20 à 57 mm, voire des balles de mitrailleuses lourdes de 12,7 et 14,5 mm, est pour ainsi dire négligeable, face au prix des drones Geranium-2.

Toutefois, la portée de ces systèmes, de 1,5 à 5 km, selon les calibres, nécessiterait une densité de systèmes antiaériens extraordinairement élevée, pour se prémunir contre cette menace, qu’il s’agisse de défendre les sites potentiels, ou de créer une ligne de défense opaque pour les drones d’attaque.

Ainsi, un système comme le très performant Skyranger 30 de Rheinmetall, ne peut couvrir, dans le meilleur des cas, que 6 à 7 km linéaire de ligne à défendre, ou un périmètre de 20 à 25 km². De fait, pour opacifier efficacement les 2500 km de l’espace ukrainien s’étalant de la frontière biélorusse au Donbass puis à la frontière Moldave, il faudrait déployer 350 Skyranger 30 en ligne simple, et 700 exemplaires en ligne doublée, probablement indispensable. Là encore, cela dépasse de beaucoup, les capacités industrielles occidentales, sans parler des besoins de formation des personnels.

Reste la possibilité d’employer des systèmes de guerre électronique, pour faire dévier les drones de leurs routes et de leurs objectifs. Cette approche, probablement très efficace contre le Geranium-2, qui demeure un système relativement simple basé sur une navigation par satellite, représente cependant un pari risqué, dans la mesure où les drones russes évoluent pour contrer les systèmes adverses.

En outre, comme pour les systèmes d’artillerie, une telle solution requerrait un grand nombre de systèmes de brouillage évolués et adaptatifs, et surtout le personnel pour les mettre en œuvre, ce qui semble hors de portée, dans tous les domaines.

Une capacité de frappe stratégique basse intensité ukrainienne comme seule alternative face à la menace russe qui se dessine

On le voit, de toute évidence, il n’existe aucune solution applicable dans les délais, qui permettrait à l’Ukraine de se prémunir efficacement contre les probables frappes massives conventionnelles contre ses infrastructures critiques au début de l’hiver.

drone attaque ukrainien contre Alabuga
Les ukrainiens ont utilisé un ULM 3-axes reconvertis en drone d’attaque à longue portée, pour frapper le site d’Alabuga. Toutefois, cette approche n’est pas adaptée à une production intensive des systèmes d’attaque en vue de contenir la menace russe.

Au mieux, les armées ukrainiennes peuvent-elles concentrer leurs moyens pour protéger les infrastructures les plus indispensables, sans garantie de succès, considérant l’ampleur de la menace.

Paradoxalement, la meilleure solution, pour Kyiv, serait de se doter, en grande urgence, d’une capacité de frappe stratégique longue portée de faible intensité, comparable à celle que procure le Geranium-2 à Moscou, et de présenter l’utilisation de ce potentiel opérationnel, comme une riposte systématique de l’utilisation des drones et missiles russes, contre les infrastructures ukrainiennes civiles.

En effet, par sa nature, disposer d’une large flotte de drones d’attaque à longue portée, s’apparente, dans le discours entre états, à une posture stratégique, puisqu’elle en reprend les principales caractéristiques : une promesse de destruction massive des infrastructures, un caractère inévitable, et une grande mobilité en faisant une arme de seconde frappe.

Le défi, pour Kyiv, serait donc de parvenir à se doter, en quelques mois, d’une flotte de plusieurs centaines de ces drones d’attaque à longue portée, peu onéreux, pas vraiment complexes à fabriquer, mais hautement efficaces pour contenir la menace russe. Avec le soutien des occidentaux, susceptibles de fournir les composants à cadence soutenue, l’hypothèse est réaliste, bien que difficile.

écorché Shahed 136
Écorché SHAHED-136 Sources : Reconnaissance de l’armée ; Réseau d’intégration de données OE Jemal R. Brinson / THE WALL STREET JOURNAL

Surtout, elle représente, dans le moindre doute, la meilleure alternative pour l’Ukraine, afin de se doter d’une capacité destinée à contenir les frappes russes à visée stratégique, sans devoir employer les armes occidentales, qui demeurent un sujet sensible, pour frapper des infrastructures stratégiques russes en miroir.

On peut d’ailleurs se demander pourquoi, face à l’évidente efficacité opérationnelle des Geranium-2, mais également à celle des petits drones de surface ukrainiens employés pour frapper les navires russes, une telle procédure n’a pas été mise en œuvre depuis de nombreux mois, afin de doter l’Ukraine d’une capacité de frappe stratégique de basse intensité, pour neutraliser cette menace russe.

Drones, hybridation, modules de mission… : la conception des navires militaires de surface à l’aube d’un profond bouleversement

C’est bien connu, les marines militaires, occidentales comme mondiales, sont fortement empreintes de traditions, et même d’un certain conservatisme, même, peut-être surtout, en matière de conception des navires militaires. Il suffit, pour s’en convaincre, d’observer la composition des flottes militaires aujourd’hui, et de la comparer avec ce qu’elles étaient, il y a quarante ans de cela, au milieu des années 80, pour s’en convaincre.

Ainsi, la Marine nationale des années 80 alignait quinze escorteurs de haute mer (2 Suffren, 3 T-67, une C-69, 9 T-70), donc 4 destroyers antiaériens et 11 frégates de lutte anti-sous-marine, soit l’exacte composition théorique de la flotte de frégates de premier rang française en 2030 (2 Horizon, 6 FREMM Aquitaine, 2 Fremm Alsace et 5 FDI), cinquante ans plus tard.

Il en va de même des capacités amphibies, avec 2 TCD et le porte-hélicoptères Jeanne d’arc, contre 3 LHD Mistral aujourd’hui ; ou de la flotte d’escorteurs de second rang, même si les 26 avisos et avisos escorteurs des classes d’Estienne d’Orves et Commandant Rivière, n’ont été remplacés que par 5 FLF, 6 Floréal et 7 Patrouilleurs océaniques à venir, mais complétés par 6 Patrouilleurs Outre-Mer. Enfin, dans le domaine logistique, les quatre pétroliers ravitailleurs de la classe Durance, sont en cours de remplacement par 4 BRF classe Jacques Chevalier.

Dans les faits, en dehors du second porte-avions, et de seulement 6 grands bâtiments de guerre des mines, contre 10 chasseurs de mines Tripartites classe Eridan, et contrairement aux forces aériennes ou terrestres, qui ont subi des compressions radicales, la flotte de surface française des années 2030, sera très semblable, dans son organisation comme dans son architecture, à celle des années 80.

Les Marines mondiales innovent beaucoup technologiquement, mais peu dans les autres domaines

Il en va de même dans la plupart des grandes marines mondiales. Bien évidemment, les navires modernes ont des capacités largement étendues vis-à-vis des bâtiments qui naviguaient en 1985. Toutefois, il ne s’agit, là, la plupart du temps, que d’une évolution horizontale des moyens, liée aux progrès réalisés dans le domaine des senseurs, de la propulsion ou des systèmes d’armes. La composition de la flotte, et les missions des navires, elles, demeurent presque identiques.

frégate georges leygues Marine nationale
Etonnament, le format de la flotte de surface de la Marine nationale, n’aura que peu évolué entre 1985 et 2030, en dehors de la suppression du second porte-avions, et de 4 des 10 chasseurs de mines.

Plus surprenant encore, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, très peu d’innovations ont engendré certaines évolutions concernant les missions mêmes des navires. En fait, il n’y en a eu que trois, en plus de 80 ans : l’arrivée de la propulsion nucléaire, beaucoup plus sensible, d’ailleurs, pour la flotte sous-marine que de surface ; l’arrivée des missiles, sans qu’ils aient profondément bouleversé la structure et la spécialisation des unités ; et l’apparition, dans les années 70, des LHD.

Associant les capacités de porte-aéronefs ou porte-hélicoptères, à celle des navires d’assaut de type Transport de Chalands de Débarquement (TCD ou LPD en anglais), le LHD permettaient, en effet, de mener des opérations amphibies sous le couvert de l’horizon, en dissociant le flux amphibie destiné au transport des véhicules, du flux aériens, pour les hommes, les munitions et le sanitaire.

En dehors de cette nouvelle catégorie de navires, les destroyers, frégates, corvettes, porte-avions, chasseurs de mines et autres pétroliers ravitailleurs, qui forment l’ossature des flottes militaires aujourd’hui, demeurent très semblables, dans leur spécialisation et leurs doctrines d’utilisation, à ce qu’ils étaient dans les années 50. Mais cela pourrait bien changer dans les deux ou trois décennies à venir…

Intelligence artificielle et robotisation au cœur des évolutions à venir dans la conception des navires militaires de surface

En effet, ces dernières années, sous l’effet conjugué des progrès réalisés en matière d’automatisation, de robotisation et d’intelligence artificielle, de nouveaux navires, aux capacités radicalement différentes de celles des bâtiments existants, ont commencé à être présentés sous forme de concepts ou de maquettes lors des grands salons de l’armement naval, voire à être expérimentés, pour les programmes les plus avancés.

Ces évolutions radicales s’appuient sur certaines avancées technologiques, mais répondent surtout aux nouvelles contraintes auxquelles font face les marines modernes, que ce soit en termes de couts des équipements, de difficultés de recrutement, ainsi que des progrès réalisés en matière de systèmes de détection et de communication.

Frégate classe O.H Perry US navy
En 1975, une frégate classe O.h Perry coutait un peu plus de 100 m$ à l’US Navy, contre plus d’un MD$ (x10) pour une frégate classe Constellation aujourd’hui. entre temps, le budget du pentagone est passé de 235 à 880 Md$ (x3,7).

Ainsi, en 1975, une frégate de la classe O.H Perry coutait à l’US Navy à peine plus de 100 m$, et les destroyers de la classe Spruance, autour de 300 m$. Aujourd’hui, les futures frégates de la classe Constellation, coutent plus de 1 Md$, et les destroyers Arleigh Burke Flight III, presque 3 Md$, soit dix fois plus en dollars courants, et deux fois plus, compensés de l’inflation. Le budget de la défense US, lui, n’a été multiplié que par un facteur 3,5, depuis cette période.

Dans le même temps, toutes les marines mondiales, y compris les plus imposantes, peinent aujourd’hui à recruter et à fidéliser leurs effectifs. Il y a quelques mois, la Royal Navy annonçait, à ce sujet, qu’elle perdait ses marins trois fois plus vite qu’elle ne parvenait à en recruter de nouveaux.

Enfin, la croissance géométrique du nombre de satellites d’observation, et l’arrivée massive des drones aériens et sous-marins de reconnaissance, ont fait perdre aux marines militaires l’un de leurs principaux atouts, la discrétion, alors que les armes qui menacent leurs précieux et onéreux navires, s’avèrent de plus en plus performantes, et d’une portée toujours plus considérable.

C’est dans ce contexte que les progrès technologiques enregistrés, ces dernières années, ont été à l’origine de plusieurs évolutions concernant non seulement la conception des navires de combat, mais leurs utilisations et leurs doctrines d’emploi.

Trois domaines se détachent à ce sujet, et ont le potentiel d’engendrer des transformations profondes au sein des marines militaires mondiales : l’arrivée des drones, celle des modules de mission ainsi que l’hybridation des navires.

Comme dans l’ensemble des armées, les drones ont fait, ces dix dernières années, une arrivée fracassante au sein des marines militaires. Au-delà des drones de reconnaissance embarqués à bord de la plupart des unités de surface combattantes modernes et désormais largement répandus, des programmes bien plus ambitieux et onéreux, ont été lancés ces dernières années dans ce domaine.

Conception des navires militaires navires autonomes Sea hunter et Seahawk US navy
L’US Navy veut se doter, d’ici à 2045, d’une flotte de 130 à 150 grands navires autonomes, pour épauler ses unités de surface, et réduire l’écart numérique avec la marine chinoise.

Les navires autonomes ont, ainsi, fait l’objet d’une intense recherche dans plusieurs pays, particulièrement en Turquie, en Chine et, surtout, aux États-Unis. Ainsi, l’US Navy, prévoit de faire évoluer, aux côtés de ses frégates, destroyers et porte-avions, plus de 150 grands navires robotisés, d’ici à 2045, tant pour étendre les capacités d’engagement de ses unités navales, que pour gagner en volume face à la Marine chinoise, qui ne fait pas face aux mêmes difficultés pour accroitre son format en matière de ressources humaines.

L’idée des navires autonomes ne séduit pas que la Marine américaine, même si celle-ci est certainement celle qui investit le plus dans ce domaine, et qui fait montre de la plus grande ambition, en reproduisant, peu ou prou, le principe des loyal wingmen, qui accompagneront bientôt les avions de combat, aux navires autonomes qui accompagneront et étendront les capacités de ses destroyers et frégates.

Ainsi, de nombreuses marines, bien moins imposantes que l’US Navy, se sont pleinement engagées dans le développement de petites unités navales dronisées, qu’elles soient armées à destination de la protection des infrastructures, comme c’est le cas de la Turquie, ou des drones d’attaque emportant une puissante charge explosive, comme l’Ukraine. À ce titre, le succès des drones d’attaque navals ukrainiens, dans la neutralisation de la flotte russe de la mer Noire, a stimulé de nombreuses recherches et investissements dans le monde, pour en reproduire le principe, mais aussi pour pouvoir s’en prémunir.

L’exposition assumée au risque étant une des fonctions premières du drone, le domaine de la guerre des mines s’est, lui aussi, tourné vers leur utilisation, depuis plusieurs années, qu’il s’agisse de détecter et de détruire les mines navales.

drones du programme SLAM-F guerre des mines
La guerre des mines se robotise à grande vitesse, comme avec le SLAMF du programme MLCM de la Marine nationale.

De fait, non seulement les drones navals sont-ils appelés à devenir, dans les années à venir, des appendices opérationnels des navires de combat traditionnels, comme les destroyers et les frégates, ou comme les nouveaux navires de guerre des mines, mais ils pourront, également, être employés selon des modèles autonomes, avec une logique propre qui reste à imaginer, au-delà des simples missions suicides.

Enfin, une nouvelle catégorie de navire, liée à l’arrivée des drones, s’apprête à entrer en service. Les porte-drones, une évolution du porte-aéronefs légers ou du LHA, sont des navires à pont droit, assez proches, dans l’aspect, des porte-hélicoptères modernes. S’ils peuvent mettre en œuvre des hélicoptères, voire des avions pilotés ADAC/V, leur fonction première sera de lancer, et de récupérer, des drones aériens de combat, en soutien des unités navales et aériennes déployées.

Deux pays ont pris une certaine avance dans ce domaine. La Turquie, d’abord, avec le TCG Anadolu, un porte-aéronefs transformé pour mettre en œuvre des drones TB-3 et ANCA-2, après qu’Ankara a été exclu du programme F-35B. Mais c’est la Chine, avec le nouveau porte-drones Type 76, qui sera la première à mettre en œuvre le premier navire spécialement conçu pour ce type de mission, d’ici à 2 ou 3 ans. Depuis, plusieurs marines mondiales, dont celles du Portugal et des Pays-Bas, ont annoncé vouloir s’orienter dans cette direction.

Les modules de mission : la technologie a rattrapé l’ambition avortée des LCS américains

Si l’arrivée massive des drones, qu’ils soient navals ou aériens, est anticipée de longue date dans les marines mondiales, celle des modules de mission est beaucoup plus confidentielle. Ce d’autant que le principe a connu un faux départ pour le moins catastrophique.

De manière simplifiée, un module de mission est une capacité spécifique, rassemblée dans un conteneur intégrant l’ensemble des moyens nécessaires, pouvant être dynamiquement embarqué à bord d’un navire de combat, comme une frégate ou une corvette.

Freedom LCS Speed e1619780109946 Constructions Navales militaires | Analyses Défense | Assaut amphibie
Les LCS de la classe Freedom ne dispose que d’un aremment minimum, avec un canon de 76 mm, et un système atiaérien RAM. Le reste de leur potentiel opérationel devait provenir des modules de mission, finalement abandonnés.

Cette solution permet donc d’adapter les ressources d’un navire, aux besoins spécifiques d’une mission, en le dotant, au besoin, d’aptitudes antinavires ou anti-sous-marines supplémentaires, d’un système de guerre des mines, voire de moyens de guerre électronique ou cyber, sans qu’il soit nécessaire de tout intégrer dans une coque démesurée, donc onéreuse.

Théoriquement, l’approche est donc très séduisante, et était au cœur du programme Littoral Combat Ship, ou LCS, de l’US Navy. Ces navires ont été dotés d’un armement et d’un système de combat minimum, et devaient recevoir, au besoin, des modules de mission adaptés, pour remplir les missions d’escorte anti-sous-marine, de guerre des mines, de supériorité navale, et d’autres. Elles devaient, alors, répondre, le plus efficacement possible, à toute la panoplie de missions de l’US Navy en zone littorale, et ainsi remplacer, simultanément, les frégates O.H Perry et les chasseurs de mines Avenger.

Malheureusement pour les LCS, tout était dans le mot « théoriquement ». En effet, en 2015, cinq ans après que la construction des classes Freedom et Independance, avait débuté, l’US Navy jeta l’éponge au sujet des modules de mission, jugeant que les ambitions visées étaient inaccessibles pour les technologies du moment. De fait, le programme LCS fut ramené à 36 exemplaires, contre 52 visés initialement, et l’US Navy n’a désormais de cesse que de se séparer de ces navires, si ce n’est les 12 unités qui seront équipées du module de guerre des mines, de manière fixe, et non modulaire, pour remplacer les chasseurs de mines de la classe Avenger, trop anciens.

Après des débuts aussi hésitants, les modules de mission n’avaient plus les faveurs des marines occidentales, en pointe dans ce domaine. Toutefois, ces dernières années, les progrès technologiques faisant, et les pressions sur le format et les effectifs des marines devenant plus sensibles, le principe a refait son apparition sur les maquettes des industriels, comme dans le cahier des charges des marines elles-mêmes.

MRSS fearless recherche
Les modules de mission trouvent desormais leurs places dans de nombreuses études et propositions de la part des bureaux d’études, comme ici le concept Fearless britannique.

Reste que l’implémentation opérationnelle des modules de mission n’a, pour l’heure, pas été démontrée avec succès. Celle-ci s’avère, en effet, techniquement difficile, qu’il s’agisse de concevoir les modules eux-mêmes, mais aussi de les interconnecter dynamiquement au système de combat du navire. Leur mise en œuvre nécessite, par ailleurs, des compétences spécialisées, qui supposent d’adapter l’équipage à sa charge utile, ce qui va à l’encontre de la notion d’équipage constitué, un des fondements de l’organisation des marines occidentales.

Dans ce domaine, les progrès réalisés par l’intelligence artificielle, ces dernières années, de plus en plus susceptibles d’automatiser des traitements complexes, pour ne dépendre que d’arbitrages humains de haut niveau, tendra à réduire l’empreinte humaine des modules de mission, donc la soutenabilité de leur implémentation par les marines, elles-mêmes.

Ainsi, les modules de mission portent, en eux, un potentiel presque sans limites, dans l’adaptabilité du navire, à son environnement opérationnel et technologique. Toutefois, leur mise en œuvre va nécessiter de maitriser des technologies ardues, mais également de revoir l’architecture organique des marines elles-mêmes, au moins de manières limitées, de sorte à en exploiter le plein potentiel.

Hybridation des navires : une option pour se doter de nouvelles capacités

La troisième transformation, en devenir, des flottes de surface mondiale, n’est pas, en soi, la conséquence d’une évolution technologique majeure, comme c’est le cas des drones ou des modules de mission. En effet, l’hybridation des navires, si elle est facilitée par les évolutions technologiques, repose avant tout sur une adaptation doctrinale pour répondre aux besoins opérationnels, résultant sur la transformation des capacités d’un navire.

LHD classe Mistral
Les LHD de la classe Mistral français disposent à la fois des fonctions de porte-hélicoptères à pont droits, et d’un radier d’assaut amphibie, visible sur cette photo.

Le parfait exemple de ce type d’hybridation, par le passé, est le LHD, précédemment exposé. Face à la menace que représentait l’arrivée des missiles antinavires en batterie côtière, plus spécifiquement les SS-N-2 Styx soviétiques, l’US Navy et l’US Marines Corps hybridèrent, avec la classe Tarawa, le concept du porte-hélicoptères de la classe Iwo Jima, et celui des LPD, les transports de chalands de débarquement équipés de pont d’envol d’hélicoptères, dont les navires de la classe Ashland, qui participèrent à la guerre du pacifique de 1943 à 1945, étaient les précurseurs.

Le navire résultant de cette hybridation, le LHD, dispose à la fois d’un pont d’envol droit permettant la mise en œuvre d’hélicoptères et d’avions à décollage vertical, tel le Harrier et le F-35B, et d’un radier accueillant des barges de débarquement, ou des hydroglisseurs, pour l’assaut amphibie. Ce faisant, il peut mener des opérations amphibies sous la ligne d’horizon, donc hors de portée de détection des batteries côtières adverses, tout du moins en visée directe.

Ces dernières années, l’hybridation a retrouvé certains attraits auprès des marines mondiales. C’est ainsi que l’Italien Fincantieri a séduit le Qatar, en lui proposant un porte-hélicoptères léger hybridé avec un destroyer de lutte antiaérienne, et épaulés par des corvettes lourdement armées de missiles, mais dépourvues des senseurs nécessaires, avec le porte-hélicoptères Al Fulk et les corvettes de la classe Doha.

Qtar LHD Al Fulk
Le LHD de la classe Al Fulk de la Marine qatari, est aussi exemple de navire hybride, desiposant des capacités d’un porte-hélicoptères, et d’un système de détection de frégate antiaérienne, employé au profit des corvettes de la classe Doha et de leurs missiles Aster 30.

Il y a peu, la Royal Navy a présenté, dans le cadre du programme MRSS visant à renouveler ses capacités d’assaut amphibie, un hybride entre une frégate et un LPD, ayant le potentiel de mener des assauts aéro-amphibies limités tout en restant en appuie rapproché des unités débarquées, y compris en environnement contesté.

Les progrès réalisés dans le domaine des drones, des modules de mission, mais aussi de l’intelligence artificielle et de l’automatisation, pourraient ouvrir, dans les années à venir, des champs exploratoires particulièrement innovants en matière de conception navale militaire, et en particulier, dans celui de l’hybridation capacitaire, porteuse de solutions face aux enjeux et contraintes qui s’imposent aujourd’hui.

Conclusion

On le voit, l’ensemble des évolutions technologiques, mais aussi doctrinales, capacitaires et même le grand chamboulement géostratégique en cours dans le monde, ouvre la voie à de nouvelles approches structurantes pour les marines mondiales, pourtant peu enclines à ce type d’évolutions radicales.

Ainsi, trois grands domaines de progrès technologiques, l’intelligence artificielle, la robotisation et la communication, ouvrent la voie à trois grandes familles d’évolution concernant les flottes et navires de surface, avec l’arrivée massive des drones à tous les échelons du combat naval, allant jusqu’à concevoir des grands navires de combat robotisés et des porte-drones, mais aussi celle des modules de mission, susceptibles d’adapter la charge utile technologique d’un navire, donc son potentiel militaire, à la mission et à son environnement, et, enfin, par l’émergence d’une plus grande souplesse dans la conception des navires, elle-même, en particulier au travers de l’hybridation des capacités.

Type 76 chine
Le porte-drones Type 76, actuellement à l’assemblage en chine, sera le premier navire de ce type à naviguer.

De fait, si les marines mondiales, et plus spécialement occidentales, ont peu évolué depuis 1985, si ce n’est dans les performances des équipements embarqués, et qu’elles semblent même encore assez proches de celles qu’elles étaient, dans de nombreux domaines, à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, tout indique, aujourd’hui, qu’une nouvelle phase d’évolution majeure, peut-être comparable à celle qui marqua le passage de la marine à voile vers la marine à vapeur, serait à l’œuvre.

Ainsi, il est bien possible que les marines qui sillonneront la surface des océans, d’ici à une vingtaine, ou une trentaine d’années, n’auront plus beaucoup à voir, avec celles qui le font aujourd’hui, et depuis plusieurs décennies, avec des navires entièrement repensés et redessinés, et des doctrines radicalement différentes. Mais peut-être est-ce le lot de toutes les armées, qui subissent, elles aussi, de plein fouet la révolution technologique en cours ?

La Royal Navy va-t-elle concevoir le navire parfait pour la Marine nationale en zone indo-pacifique ?

Il y a quelques jours, le ministère de la Défense britannique annonçait le lancement du programme Multi-Role Support Ship, ou MRSS. Comme son nom ne l’indique pas, celui-ci prévoit de concevoir une nouvelle classe de navires d’assaut aéro-amphibie compacts, très bien armés, susceptibles de mener des opérations d’assaut à partir de la mer, de petite et moyenne amplitudes, seuls ou aux côtés d’une escorte.

Au travers de ce programme, Londres entend redonner, à la Royal Navy, des capacités de projection de puissance majeures, et surtout adaptées à la réalité, à venir, de la guerre amphibie, aux côtés d’autres efforts dans le domaine des navires logistiques, des escorteurs et des sous-marins.

L’un des bureaux d’études participant à ce programme, Steller Systems, a présenté, il y a quelques jours, sa vision de ce que pourrait être le programme MRSS, avec un modèle baptisé Fearless, du nom d’un des navires d’assaut clés de la reprise des Malouines, en 1982.

Particulièrement prometteur, ce modèle associe des capacités de combat naval, généralement embarquées à bord de destroyers ou de frégates, à des capacités d’assaut de type LPD.

Or, et quel que soit l’avenir de ce programme, alors que l’avenir du gouvernement Sunak, outre-Manche, semble plus que menacé, il apparait que ce concept, au-delà des besoins de la Royal Navy, serait également un atout de taille, mais pour la Marine nationale française, pour ses missions en zone indo-pacifique !

Le programme MRSS de destroyer d’assaut aéro-amphibie de la Royal Navy

Lancé officiellement, il n’y a que quelques jours de cela, le programme MRSS devait, initialement, être mené conjointement par la Grande-Bretagne, et les Pays-Bas. Cependant, rapidement, il est apparu que les deux Marines, avaient des attentes incompatibles.

Royal Navy MRSS
premiers visuels diffusés lors de l’annonce du programme de LPD commun par la Grande-bretagne et les Pays-bas. Rapidement, les besoins ont divergé, donnant naissance à deux programmes différents.

La Koninklijke Marine néerlandaise, attendait des navires de type LHD à pont droit, plus compacts que les Mistral français, mais relevant du même concept opérationnel, si ce n’est en augmentant, autant que possible, l’automatisation, pour parvenir à un équipage limité de 70 membres. Très faiblement armés, ces navires devront, en revanche, être systématiquement escortés, comme c’est le cas des Mistral.

La Royal Navy, de son côté, avait des ambitions radicalement différentes. Les six navires du programme MRSS, devront remplacer les deux LPD de la classe Albion, ainsi que les 3 RFA de la classe Bay, et le navire de soutien RFA Argus.

Surtout, ces navires seront conçus pour mener des opérations de projection de puissance réduites ou moyennes, par voie héliportée ou amphibie, parfois de manière autonome, et devront être en mesure d’apporter l’appui nécessaire aux forces déployées, en usant de ses propres capacités.

En d’autres termes, les MRSS, prévus pour entrer en service avant 2034, associeront les capacités d’assaut d’un LPD, un navire d’assaut aéro-amphibie disposant d’un pont aérien tronqué, et d’un radier, à un armement significatif, tant pour assurer sa propre protection, que pour soutenir les forces. Le terme de destroyer d’assaut aéro-amphibie, étant donné le tonnage du navire, qui dépassera, sans le moindre doute, les 10 000 tonnes, n’est donc certainement pas galvaudé.

Le modèle MRSS Fearless de Steller Systems

Le bureau d’étude britannique Steller Systems, a été le premier à présenter un concept, concernant le programme MRSS, à l’occasion du Combined Naval Event (CNE) 2024, qui s’est déroulé à Farnborough du 21 au 23 mai.

Steller Systems MRSS Fearless
rendu visuel du modèle Fearless mRSS de Steller Systems. remarquer les modules de mission, en amont du hangard aviation.

Baptisé MRSS Fearless, ce concept reprend, précisément, le concept de destroyer d’assaut aéro-amphibie. Long de 170 mètres pour un maitre bau de 27 mètres, le navire aura un déplacement avoisinant 15 000 tonnes, lui permettant d’accueillir, dans sa zone de transport et de transbordement, 800 mètres linéaires de véhicules et matériels.

Son radier atteint 20 mètres de long, pour une capacité de levage de 30 tonnes, suffisantes pour de nombreux modèles de navires de débarquement. Sa partie aviation, relativement limitée, permet de mettre en œuvre un hélicoptère moyen, type EW101 Merlin, à la fois, alors que deux hangars semblent permettre de transporter deux de ces appareils simultanément.

L’avant du navire n’a rien à envier aux frégates moyennes ou lourdes modernes, avec un canon de 127 mm ou 76 mm, ainsi que 4 systèmes VLS, pour 32 silos. Un second canon (76 mm ?), est déployé sur le roof du hangar aviation, alors que deux systèmes CIWS Phalanx flanquent le navire de part et d’autres, comme deux canons de 20 mm téléopérés.

Dans la mesure où rien n’indique que le navire emporte un radar 3D de grande puissance, on peut supposer que les silos serviront à des missiles à courte à moyenne portée antiaériens, comme l’ESSM ou le CAMM, les deux pouvant être embarqués par quatre dans un silo Mk41. De fait, le Fearless devrait pouvoir aligner un arsenal de 128 missiles antiaériens, sauf si une partie des silos était dédiée à des capacités de frappe vers la terre, ce qui n’est pas à exclure.

Fearless maquette Combined Naval Event 2024
Maquette du Fearless MRSS lors de la conférence CNE 24

La zone centrale du navire, semble avoir été conçue pour accueillir des modules de mission sous forme de conteneurs. Cet aspect est d’ailleurs confirmé dans le communiqué de presse diffusé par Steller Systems.

De manière intéressante, le Fearless est conçu autour une coque catamaran. Selon le bureau d’études, cette approche lui permettrait d’atteindre et maintenir une vitesse supérieure à 30 nœuds, tout en réduisant sa consommation de carburant, et en améliorant sa stabilité pour les manœuvres amphibies et de déploiement-récupération des drones navals.

Le destroyer d’assaut, un concept à contre-courant des flottes amphibies modernes

Il ne fait aucun doute que le Fearless, présenté par Steller Systems, mérite certainement encore beaucoup de travaux et d’études, avant de pouvoir, effectivement, se présenter comme une approche fiable. Toutefois, l’approche proposée dévoile des caractéristiques originales, en rupture avec la conception des grands navires d’assaut amphibie ces dernières années.

En effet, avec la diffusion des missiles antinavires, la tendance observée, avec l’arrivée des LHD, repose sur de grands navires à pont droit, destinés à opérer sous le couvert de l’horizon, en associant les capacités de transport des matériels lourds par les barges et aéroglisseurs, et le flux logistique et humain, par les hélicoptères.

Le Fearless, lui, est conçu pour s’approcher des cotes, de sorte à permettre des rotations amphibies courtes, et pour soutenir, le cas échéant, les forces débarquées, par son propre armement naval, notamment son artillerie (d’où la présence de deux canons ?).

Artwork Fearless mrss
Illustration de la manoeuvre amphibie du Fearless MRSS. Remarquez l’etroitesse du pont aviation, ne permettant de lancer qu’un appareil à la fois.

De fait, le navire dispose de dispositifs d’autodéfense, particulièrement contre les drones et les missiles, particulièrement denses, même si de courte portée. La vitesse du navire, et son architecture spécifique, font d’ailleurs penser qu’il est davantage conçu pour opérer coup de forces ou déploiement des commandos, que pour des assauts amphibies massifs.

Pour autant, cette approche brille par sa flexibilité. Ainsi, au-delà de la mission aéro-amphibie, le Fearless, par son armement, son aviation embarquée et ses modules de mission, pourrait être apte à mener un large éventail de missions offensives ou défensives, y compris les plus complexes, comme la guerre des mines, la lutte anti-sous-marine ou anti-navire, voire la frappe vers la terre.

Une réponse aux besoins de la Marine nationale dans la zone indo-pacifique ?

Cette flexibilité viendra, certainement, élargir le potentiel de réponse opérationnel de la Royal Navy, dans les années et décennies à venir. Mais cette approche, semble, également, particulièrement répondre aux besoins d’une autre marine européenne, dont les ambitions et obligations mondiales, se satisferaient assurément d’un bâtiment offrant ce type de capacités.

En effet, la Marine Nationale française doit assurer la protection de la plus grande zone économique exclusive de la planète, qui s’étend sur 11 millions de km². En outre, une grande partie de cette ZEE, mais aussi des populations et territoires ultramarins français, se situent dans la zone indo-pacifique, la plus distante de la métropole et du gros de la flotte française.

Jusqu’à présent, la protection de ces espaces et populations, était assuré par des patrouilleurs, assurant des missions de garde-côtes, et 6 frégates de surveillance, des navires de second rang, faiblement armés, mais disposant des moyens adaptés à la réalité des tensions internationales de 1992 à 2020.

classe floreal
Les Frégates de surveillance françaises de la classe Floreal devraient être remplacées par des corvettes Gowind d’ici à 2034.

Si, il y a quelques jours, Naval group a indiqué que les Floréal seront remplacés, dans les années à venir, par des corvettes Gowind, des navires bien mieux armés et aux capacités opérationnelles très supérieures aux Floréal, ces navires ne seront pas en mesure de résoudre l’ensemble des enjeux opérationnels qui se dessinent dans la Pacifique et l’Océan Indien.

En particulier, les corvettes n’auront pas la possibilité de jouer un rôle de navire d’appui, ou de déplacer des forces, voire d’organiser un réseau défensif, le cas échéant, ce qu’un destroyer d’assaut, proche du concept évoqué ici, permettrait de faire.

Ainsi, un destroyer d’assaut déployé autour de la Nouvelle-Calédonie et un, de la Réunion, viendraient sensiblement renforcer le potentiel dissuasif du dispositif opérationnel français déployé pour la protection de ces espaces ultra-marins dans le Pacifique et l’Océan indien, y compris face à des marines de premier rang, ce qui apparait, aujourd’hui, comme un impératif à caractère immédiat.

Dans le même temps, ils étendraient, de manière significative, les options opérationnelles de la Marine nationale, et plus largement, des armées françaises, sur ces territoires, tout en renforçant considérablement, la crédibilité régionale de la France.

Un modèle à fort potentiel à l’exportation

Bien évidemment, il ne serait pas question, ici, que la France se tourne vers un navire de conception britannique, et encore moins de tenter un nouveau programme en coopération avec Londres, étant donné les échecs successifs des programmes franco-britanniques dans le domaine naval, ces dernières décennies (Porte-avions, destroyers antiaériens…).

Toutefois, si la conception d’un tel navire, aura nécessairement un cout pour la Marine nationale, le modèle pourrait avoir, quant à lui, une grande attractivité, sur la scène internationale, surtout s’il parvient à maintenir ses couts de construction sous contrôle.

LHD Al Fulk Qatar Fincantieri
Le LHD compact Al Fulk de marine Qatari, représente une vision de ce que peut être un destroyer d’assaut, bien que limité dans de nombreux aspects.

En effet, de nombreuses marines n’ont pas les moyens de se doter simultanément de navires d’assaut de grande taille, comme les LHD, des capacités d’escortes requises, et de la flotte et des forces de débarquement, pour en exploiter le plein potentiel.

Ainsi, par sa polyvalence, son autonomie opérationnelle, et ses contraintes limitées, un destroyer amphibie proche de ce concept, répondrait aux besoins de nombreuses marines émergentes dans ce domaine, comme aux Émirats arabes unis et en Arabie Saoudite, au Moyen-Orient ; la Malaisie, les Philippines et la Nouvelle-Zélande, dans le Pacifique ; le Brésil, l’Argentine ou le Chili, en Amérique du Sud ; le Maroc et le Nigéria en Afrique, mais aussi la Pologne, les Pays baltes, la Croatie et certainement, la Grèce, en Europe, pour ne parler que des pays les plus accessibles pour Naval Group.

De fait, se positionner rapidement, sur ce marché qui ne manquera pas d’émerger, garantirait certainement des contrats significatifs pour la BITD française, largement suffisants pour compenser les investissements requis pour la conception et la construction des deux ou trois destroyers d’assaut nécessaires pour parfaire le dispositif naval français dans la zone indo-pacifique.

SHiELD, DE M-SHORAD … : les armées US font-elles marche arrière sur le laser à haute énergie ?

Il n’y a de cela que quelques mois encore, les armées américaines ne juraient que par les armes à énergie dirigée, et en particulier, par les applications du laser à haute énergie, en matière de lutte antidrone et C-RAM (Counter-Rocket/Artillery/Mortar).

Ces dernières semaines, toutefois, le ton a bien changé. En effet, coup sur coup, deux des programmes les plus emblématiques dans ce domaine, le programme SHiELD de l’US Air Force, et le programme DE M-SHORAD Gardian, de l’US Army, ont été attaqués de toutes parts, et voient désormais leur avenir fortement menacé.

Il est apparu, lors des essais, que les contraintes qu’engendrent ces types de systèmes, en particulier lorsqu’il s’agit de les embarquer à bord de blindés ou d’avions, sont si importantes, qu’elles viennent largement contrebalancer les plus-values espérées.

Le programme SHiELD de laser à haute énergie aéroporté de l’US Air Force abandonné

L’un des programmes les plus attendus, dans ce domaine, était le Self-Protect High-Energy Laser Demonstrator, ou SHiELD. Lancé en 2016 pour le compte de l’US Air Force, celui-ci devait permettre d’équiper les avions de combat et les avions de soutien, de lasers à haute énergie aéroportés, agissant pour protéger les aéronefs des missiles air-air et antiaériens, qui pourraient les menacer.

programme SHIELD Artwork
Un des artwork illustrant le programme SHIELD de l’US Air Force

Depuis son lancement, en dehors de quelques artworks et animations 3D, produites pour soutenir la communication autour du programme, celui-ci n’avait guère montré des signes évidents d’avancées majeures. Au mieux, il y a un an, Boeing avait pu procéder aux essais à vide de son pod de transport LPRD (Laser Pod Research & Development), censé accueillir le laser à haute énergie lui-même, à bord d’un F-15.

Toutefois, les deux autres composants du programme, le Laser Advancements for Next-generation Compact Environments (LANCE) et le SHiELD Turret Research in Aero Effects (STRAGE), à savoir le laser lui-même, et le système de visée et de tir, ont, quant à eux, rencontré de nombreux problèmes, semble-t-il, ayant amené l’US Air Force à, tout simplement, jeter l’éponge.

« Le programme SHiELD est terminé, et il n’y a pas de plans pour d’autres tests et évaluations« , a déclaré le Dr. Ted Ortiz qui dirige le programme au Laboratoire de recherche de la Force aérienne (AFRL), aux journalistes du site américain Military.com.

LPRD pod laser boeing
Boeing avait testé son pod LPRD à bord d’un F-15 il y a quelques mois. Toutefois, le POD n’emportait aucun système laser.

Cette annonce, sans équivoque, fait suite à une autre, faite quelques semaines plus tôt, concernant l’annulation du second programme de laser à haute énergie embarqué à bord d’un aéronef, en l’occurrence, le programme AHEL. Celui-ci devait permettre de remplacer le canon de 105 mm à bord des AC-130 Ghostrider d’appui aérien. L’US Air Force a cité des « défis techniques » pour justifier de l’abandon de ce programme.

Les militaires de l’US Army dubitatifs après les essais du DE M-SHORAD Gardian

L’US Air Force n’a pas été la seule à reconnaitre, ces dernières semaines, des difficultés majeures, concernant ses programmes de laser à haute énergie. Ainsi, l’un des programmes les plus emblématiques dans ce domaine, le système DE M-SHORAD de l’US Army, a tout sauf convaincu les militaires américains, lors de ses essais en zone opérationnelle.

Gardian DE M-SHORAD US Army
Le nombre de dissipateurs thermiques qui encadrent la caisse du DE M-SHORAD avait alerté de nombreux spécialistes quant à la fiabilité du système, mais aussi sa vulnérabilité infrarouge sur le champ de bataille.

En effet, plusieurs prototypes du Guardian, ont été déployés par l’US Army directement sur les théâtres d’opération, pour en étudier le fonctionnement, au plus près des conditions réelles d’utilisation, notamment en Afrique.

Or, ces essais ont révélé de nombreuses contraintes importantes. D’une part, le dégagement thermique des systèmes de refroidissement poserait certains problèmes lorsque employé en environnement extrême. Le système s’avèrerait aussi particulièrement fragile, et difficile à maintenir en condition opérationnelle, en dehors des infrastructures dédiées.

Enfin, il est apparu que les performances seraient moindres qu’espérées. Ainsi, le Chef d’état-major de l’armée, général. James Mingus, avait reconnu que même le système de 50 kw du Gardian, peinait à libérer 4 kw d’énergie par cm² à 10 km, le niveau d’énergie requis pour obtenir les effets thermiques désirés sur les drones.

En outre, le faisceau d’énergie tend à être très sensible aux conditions climatiques, à la nébulosité, ainsi qu’à la présence de particules et de poussière dans l’atmosphère, ce qui en réduit le potentiel, parfois de manière importante, en fonction des conditions.

Si, pour l’heure, l’US Army n’a pas annoncé l’arrêt du programme DE M-SHORAD, comme l’a fait l’US Air Force au sujet des programmes SHiELD et AHEL, tout porte à croire, dans les propos tenus, que la déception est importante, et que son avenir est plus que menacé.

Les difficultés et contraintes liées aux armes à énergie dirigée mobiles

Les annonces concomitantes, faites par l’US Air Force et l’US Army, font apparaitre de graves difficultés dans la mise en œuvre efficace, des armes à énergie dirigée, et plus particulièrement, de celles qui devaient être embarquées à bord de véhicules tactiques, comme les blindés ou les aéronefs.

Programme AHEL AC-130J Ghostrider
Le programme AHEL devait armer un AC-130J Ghostrider d’un laser à haute énergie.

Trois contraintes majeures ont ainsi émergé, lors des essais. La première, attendue, concerne la production d’énergie électrique, et son corollaire, le dégagement de chaleur engendré par les systèmes assurant cette fonction.

Ce second obstacle, par ailleurs largement interdépendant du premier, concerne la puissance nécessaire, pour obtenir les effets attendus pour être efficace. Ainsi, tout indique, désormais, qu’une puissance inférieure à 100 kw, aura des performances trop faibles pour se montrer un minimum efficace.

Deux difficultés se cumulent ici, à savoir le besoin de davantage de puissance, ainsi que les technologies actuelles permettant de faire converger les lasers à la distance voulue, pour concentrer l’énergie déployée, sur la zone la plus réduite possible, et ainsi atteindre l’effet thermique requis.

Le troisième obstacle, peut être le plus problématique, est justement apparu lors des essais, même s’il était, évidemment, anticipé par les spécialistes du sujet. En effet, la technologie laser à haute énergie est très complexe et sensible à de nombreux facteurs, notamment l’alignement précis de certains équipements dans le système.

En outre, elle requiert des environnements de maintenance particulièrement protégés, particulièrement pour empêcher que des poussières, voire de la condensation, vienne altérer son bon fonctionnement. Bien sûr, de telles conditions ne sont que difficilement compatibles avec l’utilisation et la maintenance opérationnelle, sur le champ de bataille.

Y a-t-il un problème de méthodologie dans la planification opérationnelle technologique américaine ?

Les revers enregistrés par les programmes AHEL, SHiELD et DE M-SHORAD, ces dernières semaines, ne marquent pas l’arrêt des efforts américains dans le domaine des armes à énergie dirigée. Ainsi, l’US Navy n’a pas renoncé, bien au contraire, à armer ses navires de lasers à haute énergie, voire de canons à micro-onde, pour assurer la défense rapprochée antidrone et antimissile, de ses grandes unités navales.

US Navy laser HELIOS
L’US Navy demeure engagée dans le developpement de laser à haute énergie pour la protection antidrone et CIWS de ses grandes unités navales de surface.

Il est vrai que les conditions d’utilisation, d’entretien, et même de production d’énergie, à bord des frégates et destroyers américains, sont sans commune mesure avec les contraintes rencontrées à bord d’un avion de combat, ou un véhicule blindé Stryker. De même, l’US Army, comme l’US Air Force, continuent de developper les systèmes de défense statiques, emporter en conteneurs, mettant en œuvre ces mêmes armes à énergie dirigée.

Pour autant, l’abandon de ces programmes, vient considérablement affaiblir la planification de l’US Army, en matière de défense aérienne rapprochée mobile, et celle des avions de l’US Air Force, notamment concernant les grands aéronefs de soutien, comme les avions ravitailleurs, de renseignement électronique, et de veille aérienne avancée, que l’on sait être la cible prioritaire des nouveaux missiles air-air à très longue portée, comme le R-37M russe, ou les PL-15 et PL-21 chinois.

Le plus étonnant, ici, est que l’US Army comme l’USAF, ont toutes deux misé presque exclusivement sur ces programmes pour des besoins opérationnels majeurs et déterminants, en dépit du manque évident de maturité technologique auxquels ils devaient faire face.

De fait, l’une comme l’autre se retrouvent, après leur abandon, sans solutions alternatives à court terme, pour prendre le relais de ces systèmes en échec, ce qui pourra constituer de réelles faiblesses opérationnelles, dans les 5 à 10 années à venir, si un conflit majeur venait à débuter.

Se pose donc, ici, une question de taille, concernant la méthodologie appliquée par les Armées américaines, par ailleurs souvent imitées par l’ensemble du bloc occidental. En effet, celles-ci tendent à lancer des programmes majeurs, du point de vue opérationnel, sur la base de technologies parfois très immatures, avec les conséquences que l’on constate aujourd’hui.

Programme laser à haute énergie chinois
La Chine aussi est engagée dans le developpement de systèmes d’armes à haute énergie, mais ne semble pas pressée de franchir le pas opérationnel, en deployant encore aujourd’hui de nombreux nouveaux systèmes canons-missiles pour la protection SHORAD.

A l’inverse, en Chine, comme en Russie, il semble que la production industrielle, comme la planification, est différenciée de la maturation des technologies de défense. En d’autres termes, les armées chinoises et russes, attendent qu’une technologie soit jugée mature et fiable, avant de parier l’avenir d’une composante tactique, sur cette technologie, quitte à devoir, par la suite, faire évoluer ces équipements pour y intégrer ces nouvelles technologies.

C’est ainsi que les avions de combat chinois actuels, avaient tous entamés leur carrière opérationnelle, avec des turbopropulseurs de conception russe, attendant que les modèles chinois se révèlent suffisamment performants et fiables, pour effectuer la transition. Cette approche a permis simultanément aux avionneurs chinois de developper, livrer, tester et améliorer, leurs aéronefs, et aux motoristes, de travailler sereinement pour atteindre les performances voulues.

De même, il ne fait aucun doute que les ingénieurs chinois travaillent activement dans le domaine des armes à énergie dirigée. Pourtant, cela n’a pas empêché l’Armée Populaire de Libération de faire évoluer, sans attendre, ses capacités antiaériennes et antidrones, pour répondre à la menace immédiate, dans l’attente de l’arrivée de ces systèmes, sans jamais créer de rupture capacitaire.

Conclusion

A ce sujet, les annonces concernant l’abandon des programmes AHEL et SHiELD, et les réserves importantes concernant le DE M-SHORAD Gardian, font échos, outre-atlantique, a d’autres annulations majeures, révélées ces derniers mois.

Programme ERCA US Army
L’abandon probable du DE M-SHORAD par l’US Army fait écho à l’abandon du super-canon ERCA il y a quelques semaines, et du programme d’hélicoptère de reconaissance et d’attaque FARA.

Ainsi, en février 2024, l’US Army annonçait l’annulation d’un des programmes phares de ces dernières années, l’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque FARA, jugeant que celui-ci serait trop vulnérable pour la réalité du champ de bataille à venir. Lors de cette annonce, il est apparu qu’aucune solution, intérimaire ou pas, n’existait pour remplacer le FARA dans ses missions, et qu’il fallait, donc, tout réinventer, avec un sérieux caractère d’urgence.

Un mois plus tard, c’était au tour du programme de super-canon M1299 ERCA, d’être abandonné par l’US Army. Là encore, les difficultés techniques, en particulier la fragilité du tube de 155 mm/ 58 calibres, qui devait permettre d’envoyer des obus conventionnels à plus de 70 km, qui sonnèrent le glas de ce programme sans aucune alternative, en dépit des incertitudes technologiques qui l’entouraient.

De fait, aujourd’hui, l’artillerie de l’US Army demeurera inférieure, en termes de capacités, à celles déployées en Allemagne, France, et Corée du Sud, mais aussi en Chine, et même en Russie, qui admettent tous au service des systèmes équipés de tubes de 52 calibres, atteignant 40 km de portée. Pire, elle devra certainement se tourner vers ses alliés, pour lui fournir les tubes nécessaires pour faire évoluer ses M109 dans les délais imposés par la pression opérationnelle.

On peut penser, dès lors, qu’il est désormais aussi indispensable qu’urgent, pour les armées américaines, de revoir en profondeur la méthodologie appliquée concernant le développement des nouveaux équipements, sur la base des nombreux échecs récents, afin de ne pas se retrouver en situation de faiblesse technologique, dans les années à venir, face à ses adversaires potentiels.

Quant aux armes à énergie dirigée, elles montrent, de toute évidence, leurs limites aujourd’hui, en particulier pour ce qui concerne les systèmes mobiles embarqués. Pour l’heure, l’artillerie antiaérienne traditionnelle demeure, très vraisemblablement, la solution la plus efficace, la moins onéreuse, et la plus accessible, pour la protection rapprochée en basses couches, que ce soit contre les drones, contre les missiles ou contre les obus et bombes. À bon entendeur…

En 2024, le succès des sous-marins de Naval Group pourrait exorciser le traumatisme australien une fois pour toutes

On pouvait craindre que le traumatisme, et l’atteinte à l’image, auraient lourdement handicapé Naval Group, pendant de nombreuses années, après l’annulation surprise du contrat australien par Melbourne en septembre 2021. Les succès mitigés des concrétisations de contrats exports, en 2022 et 2023, par l’industriel français, pouvaient donner du crédit à ces inquiétudes. L’année 2024, pourtant, a formidablement bien débuté pour le spécialiste français de la construction navale militaire.

Non seulement a-t-il entamé la construction du nouveau Porte-avions nucléaire de nouvelle génération de la Marine nationale, mais son carnet de commande est particulièrement bien rempli, avec les huit Frégates de Défense et d’Intervention françaises et grecques, les six grands bâtiments de guerre des mines, et les sept patrouilleurs hauturiers.

C’est toutefois dans le domaine de la construction de sous-marins que l’industriel français a spécialement brillé ce début d’année. Le site de Cherbourg, qui assemble les sous-marins en France, doit en effet livrer les 4 derniers SNA de la classe Suffren d’ici à 2031, à la Marine nationale, avant d’entamer le remplacement des 4 SNLE classe Triomphant, par les nouveaux SNLE 3G.

Surtout, après avoir obtenu de Jakarta la signature d’une commande pour deux sous-marins Scorpene Evolved dotés de batteries Lithium-ion, Naval Group s’est imposé dans la compétition néerlandaise, quelques semaines plus tard, pour quatre sous-marins Blacksword Barracuda.

Cette situation, déjà enviable, pourrait bien encore s’améliorer, dans les mois et années à venir. En effet, le français est engagé dans de nombreuses compétitions ou négociations à l’exportation, parfois de manière exclusive, susceptibles de se concrétiser dans les semaines ou mois à venir. Ce faisant, Naval group pourrait bien définitivement exorciser les derniers stigmates de l’épisode australien, pour entrer dans une période de succès commerciaux historique.

Peu après la signature, le 28 mars, de la commande des deux sous-marins Scorpene Evolved, pour la Marine indonésienne, Naval group a rapidement entrepris de préparer la construction des deux navires, qui sera effectuée sur le site de Surabaya City de PT PAL.

8 ans seulement pour construire localement et livrer les deux sous-marins indonésiens

Il faut dire que, contractuellement, l’industriel français, et son partenaire indonésien, se sont engagés à livrer les deux navires à la Marine indonésienne dans un délai de huit ans, après que le contrat sera entré en application.

Nagapasa class
La Marine indonésienne a été très critique concernant la classe Nagapasa developpée avec l’aide de la Corée du Sud.

Or, pour entamer ces constructions, ils devront d’abord adapter leur outil industriel, tout en déployant et organisant un réseau de sous-traitants locaux. Cette démarche s’avère particulièrement complexe, surtout lorsqu’il s’agit de donner au client final, la Marine indonésienne, les mêmes garanties d’efficacité et de bon fonctionnement concernant les navires, et leur maintenabilité, que s’ils avaient été assemblés à Cherbourg.

Fort heureusement, Naval Group n’en est pas à son coup d’essai dans ce domaine. Au contraire, l’industriel s’est fait, ces dix dernières années, une réputation de grande efficacité, lorsqu’il s’agit de transfert de technologies et de construction locale. D’abord en Inde, au point d’être gratifié du titre de meilleur industriel EOM par le ministère indien de la Défense il y a quelques années. Et, plus tard, au Brésil.

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Naval Group, et PT PAL, son partenaire, ont déjà entamé ces deux chantiers stratégiques, avec la commande d’un portique de levage de 6000 tonnes, et les premières étapes du recrutement, de la contractualisation et de la formation, des sous-traitants.

Si le contrat de près de 2 Md€ constitue une motivation de premier plan pour les deux industriels, la possibilité de transformer le duo de sous-marins, en équipe de volley, est également en ligne de mire.

L’industrie navale indienne sur les rangs pour accompagner PT PAL dans la construction des Scorpene indonésiens

L’Inde observe avec une grande attention l’évolution de ce contrat franco-indonésien. Sans être alliés, les deux pays ont toujours suivi des trajectoires politiques proches, ayant notamment été les piliers des non-alignés dans les années 50, sous l’impulsion de Soekarno et Jawaharlal Nehru.

Klavari class
Naval Group a été désigné comme le meilleur indsutriel OEM par le ministère de la défense indienne, concernant le programme P75

Depuis, New Delhi et Jakarta suivaient souvent des parcours parallèles, en matière d’équipements des armées, spécialement en équilibrant leurs acquisitions entre le bloc soviétique et occidental, durant la guerre froide.

Le programme de sous-marins Scorpene indonésiens, est suivi avec attention par New-Delhi, et surtout par les chantiers navals Mazagon. Dans l’attente de l’officialisation de la commande de 3 Scorpene supplémentaires, annoncée par Narendra Modi lors de sa visite officielle en France en juillet 2023, mais repoussée après les élections législatives indiennes, et en l’absence de progrès concernant le programme P75i, l’industriel fait effectivement face à un défaut d’activité, susceptible de menacer son outil industriel et l’ensemble de son réseau de sous-traitants durement mis en place avec Naval group.

La participation des indiens au programme indonésien, pourrait d’ailleurs représenter une opportunité pour Naval group. En effet, pour l’heure, les discussions franco-indiennes portent uniquement sur la construction locale de 3 Scorpene de la classe Kalvari supplémentaires, possiblement équipés à la construction, du dispositif AIP développé par l’industrie indienne.

Ainsi, la participation de l’industrie indienne permettrait à Naval group de promouvoir, de manière indirecte, la version Scorpene Evolved et ses batteries lithium-ion, qui représentent une alternative performante aux 3 Scorpene classe Kalvari, comme aux six sous-marins du programme P75i à venir, dont la propulsion AIP s’avère moins sensiblement moins efficace que celle du Scorpene Evolved.

Des discussions et compétitions prometteuses, mais complexes, pour les sous-marins de Naval Group

Les travaux préparatoires entourant le début de la construction des deux sous-marins Scorpene Evolved destinés à la Marine indonésienne, représentent, par ailleurs, une excellente opportunité pour tracer une image instantanée, de l’ensemble des programmes en cours, à venir ou en négociation, concernant les sous-marins de Naval Group, sur la scène internationale.

Programme SSN-AUKUS
L’annulation du programme de sous-marins de la classe Attak australiens, a été subi comme un véritable traumatisme par Naval Group et ses equipes.

Après le traumatisme qu’a constitué l’annulation unilatérale du contrat australien par Melbourne, pour se tourner vers l’alliance AUKUS, les SNA classe Virginia et le sous-marin nucléaire d’attaque SSN-AUKUS, Naval group a mis les bouchées doubles pour s’imposer dans les compétitions internationales, y compris en venant directement chasser sur le terrain de l’Allemagne, grand leader dans ce domaine depuis les années 80.

Toutefois, les négociations en cours s’avèrent toutes complexes, très disputées, et contraintes par de nombreux paramètres. Elles montrent, cependant, que Naval Group est particulièrement combattif, et que l’industriel s’est positionné sur un ensemble de marchés particulièrement prometteur.

Pays-Bas : Le mur parlementaire reste à passer pour confirmer les 4 Blacksword Barracuda

Après l’Indonésie, la confirmation du succès du Blacksword Barracuda, aux Pays-Bas, est sans conteste le dossier le plus attendu par Naval Group. Mi-mars 2024, le ministère néerlandais avait, en effet, annoncé la victoire de l’industriel français, concernant l’appel d’offres pour le remplacement des quatre sous-marins de la classe Walrus.

Alors que la préférence nationale semblait s’imposer en faveur de l’alliance Damen-Saab, c’est le Blacksword Barracuda français, une version plus compacte du Shortfin Barracuda sélectionné initialement par l’Australie, qui a été retenu par La Haye. Et pour cause : il est apparu, rapidement, que l’offre française était moins chère de 1,5 Md€, que celle de ses concurrents, soit 25 % du prix du programme, selon la presse spécialisée batave.

Blacksword Barracuda
Si Naval Group parvient à convaincre le parlement neeralndais, il bénéficiera d’un atout concurrentiel considerable sur TKMS et Kockums, dans les compétitions à venir.

Impossible, dans ces conditions, aux arbitres de l’appel d’offre, de faire jouer la préférence nationale. Toutefois, la victoire de Naval Group a été présentée avec d’importantes réserves par le ministère de la Défense, puisque qualifiée de « temporaire », tout au moins, jusqu’à la validation par le Parlement néerlandais.

Depuis, Damen comme TKMS, multiplient les déclarations dans la presse et les actions de lobbying auprès des parlementaires, pour mettre en cause l’honnêteté de l’offre française, estimant qu’il est impossible que l’industriel puisse produire des navires aussi performants avec un tel écart de prix.

Alors que la validation par le Parlement batave, désormais aux mains d’une coalition à majorité nationaliste, doit intervenir au début du mois de juin, il revient désormais à Naval group de justifier efficacement un tel écart de prix. S’il y parvient, il enregistrera, alors, la première commande européenne de sous-marins français, depuis les Agosta espagnols, à la fin des années 70.

Inde : la commande des 3 Scorpene de la classe Kalvari supplémentaires reportée après les élections indiennes

Le second dossier en courte finale, pour la division sous-marine de Naval group, concerne les 3 sous-marins de la classe Kalvari, dont al commande a été annoncée à l’occasion de la visite de Narendra Modi pour le 14 juillet 2023, parallèlement à 26 Rafale Marine.

Or, presque un an plus tard, aucun de ces contrats n’a été officialisé par New Delhi, en dépit de l’urgence, alors qu’en l’absence de Rafale M, le nouveau porte-avions Vikrant n’a tout simplement pas de groupe aérien embarqué.

Kalvari inde
La commande des 3 sous-marins Kalvari supplémentaires, annoncée en juillet 2023, a été reportée au delà des élections legislatives indiennes.

Surtout, comme évoqué précédemment, l’outil industriel construit par Mazagon Shipbuilding et Naval group, autour du programme P75 et des six Kalvari, est désormais menacé par le manque d’activité, alors que ni les trois Scorpene supplémentaires, ni les six nouveaux sous-marins AIP du programme P75i, n’ont été commandés.

Ne pouvant être conclues avant la fin de l’année 2023, les négociations pour les 3 Kalvari et les 26 Rafale M, ont été repoussées au-delà des élections législatives indiennes, qui doivent se tenir au début du mois de juin.

On peut toutefois s’attendre à ce que les six mois de délais supplémentaires dans les négociations, auront été mis à profit par la Marine indienne et Naval Group, en particulier pour ce qui concerne le Scorpene Evolved et ses batteries lithium-ion.

Bien plus performantes que les batteries classiques des Kalvari, ou que les systèmes AIP qui doivent équiper les six sous-marins du programme P75i, ces batteries peuvent, en effet, séduire la Marine Indienne, bien au-delà des trois sous-marins évoqués, avec un possible débordement sur le programme P75i, qui séduit de moins en moins à New Delhi.

Pologne : Naval Group peut croire en ses chances pour le programme Orka de 3 sous-marins

Lancé depuis une dizaine d’années, le programme polonais Orka, a connu de nombreuses évolutions. Ces dernières années, les chances de Naval Group semblaient compromises, face à la politique menée par le Parti conservateur polonais PiS au pouvoir, excluant autant que possible les équipements français ou allemands pour les contrats d’armement. L’arrivée de Donald Tursk et de la coalition pro-européenne de centre gauche, à la tête du gouvernement, change désormais la donne dans ce dossier.

Plusieurs offres ont été transmises à Varsovie concernant le programme Orka, qui porte sur la construction de trois sous-marins conventionnels à capacités océaniques, dont une offre allemande, une suédoise, une espagnole, une sud-coréenne et, bien évidemment, une offre française, qui pourrait bien s’imposer sans contestation, dans cette compétition.

MBDA MdCN Suffren
La France a fait de l’armement des sous-marins proposés à la Pologne, un argument particulièrement efficace.

Paris propose, en effet, outre un modèle de sous-marin performant équipé de batteries lithium-ion, un ensemble d’équipements et d’armements au fonctionnement éprouvé, comme la torpille lourde F21, le missile antinavire SM39, et surtout le missile de croisière MdCN. Il semblerait même que les autorités françaises ont approuvé une coproduction de ces missiles, ce qui permettrait, et tel est le but, de lever la limite internationale de portée maximale à 300 km, associée à l’exportation de missiles de croisière, ce qu’aucun autre industriel, pas même Hanwha Ocean, peut proposer.

On notera que si, jusqu’à présent, le modèle Scorpene, potentiellement Evolved, a toujours été présenté comme le support de l’offre française, on peut penser, aujourd’hui, que Naval Group a pu proposer à Varsovie le même Blacksword Barracuda que celui retenu par La Haye, peut-être avec l’objectif de faire émerger un club Blacksword entre les deux pays européens, pour en optimiser les couts de production et de maintenance.

Indonésie : 4 sous-marins supplémentaires à venir

Au-delà des deux Scorpene Evolved commandés il y a quelques mois par Jakarta, la Marine indonésienne entend se doter, dans les années à venir, de 4 sous-marins supplémentaires, pour atteindre une flotte de 12 submersibles.

Bien évidemment, Naval Group et le Scorpene Evolved, ont toutes les cartes en main, pour s’imposer dans cette compétition à venir. En effet, l’ensemble de l’outil industriel et du réseau de sous-traitance, aura été organisé autour de la production des Scorpene Evolved. Il serait donc beaucoup plus efficace et économique, de les réutiliser pour produire les quatre derniers sous-marins attendus par la Marine indonésienne, que de se tourner vers un autre modèle.

Scorpene Evolved
Si Naval Grou et PT Pal donne satisfaction concernant la construction des deux premiers Scorpene Evolved, il n’y aurait aucune raison objective pour Jakarta, de se tourner vers un autre modèle, pour les 4 sous-marins suivants.

Reste qu’après l’épisode des sous-marins sud-coréens de la classe Nagapasa, dérivés du Type 209 batch I de la classe Jang Bogo, et les nombreuses difficultés industrielles et défaillances techniques rencontrées, Jakarta a choisi de privilégier la sécurité, et de ne s’engager que sur deux navires.

À Naval Group, et son partenaire PT PAL, de faire leurs preuves, en livrant en temps, en heures, et avec la qualité attendue, les deux navires. Ce faisant, il serait très surprenant que les autorités indonésiennes décident de se tourner vers un autre modèle, pour les quatre sous-marins restants à produire.

Une dizaine de compétitions et discussions en cours, pour les sous-marins français

Au-delà de ces quatre dossiers, Naval Group est engagé dans des discussions plus ou moins exclusives et/ou avancées, pour la vente et la construction de sous-marins à l’exportation.

En Europe, les discussions avec la Roumanie, pour la construction de deux Scorpene, avaient rapidement avancé jusqu’en 2022, et la décision, par Bucarest, de donner la priorité à l’acquisition de chars, canons automoteurs, VCI et avions de combat américains et sud-coréens, pour faire face à l’évolution de la menace russe.

En Asie, la Malaisie avait annoncé, il y a un an, son intention de se doter de sous-marins supplémentaires, en plus des deux Scorpene précédemment acquis. Les Philippines, pour leur part, ont été activement courtisées par la France et l’Espagne, pour créer la première flotte sous-marine du pays. Ce projet est toutefois en balance avec d’autres arbitrages budgétaires militaires, notamment l’acquisition d’avions de combat, en particulier pour faire face à la pression croissante de la Marine chinoise en mer de Chine du Sud.

Scorpene Brésil
Naval Group veut faire du Brésil sa plate-forme industrielle et commerciale, pour s’imposer en Amérique du sud.

L’Amérique du Sud est également un continent prometteur. En effet, l’Argentine avait indiqué son intention de reconstituer une flotte sous-marine, après avoir mis en sommeil la sienne après le drame du Santa Fe. Comme pour les OPV Gowind, Naval Group était considéré comme le partenaire privilégié d’un tel programme. Cependant, la récente acquisition des F-16 Danois par Buenos Aires, aura probablement vidé les capacités d’investissements des armées argentines, pour plusieurs années.

En revanche, le Chili va devoir remplacer ses deux Type 209, alors que la Marine chilienne, premier opérateur historique du sous-marin français, ne tarie pas d’éloge à son sujet. De même, la Colombie va devoir, elle aussi, remplacer ses deux Type 209, ainsi que les deux Type 206 acquis d’occasion il y a une dizaine d’années.

Surtout, la coopération franco-brésilienne semble prête à franchir une nouvelle étape dans le domaine des sous-marins, qu’il s’agisse d’accroitre l’appuie de l’industrie navale française, dans le programme de sous-marin nucléaire d’attaque brésilien, mais aussi pour agir comme pivot industriel et commercial, de l’offre française dans le domaine des sous-marins.

L’Afrique du Nord, et le Moyen-Orient, complètent ce tour du monde des opportunités commerciales de Naval Group, en matière de sous-marins. D’abord, en méditerranée, avec le Maroc qui étudie la possibilité de se doter d’une flotte sous-marine, en particulier pour contenir la montée en puissance de son voisin algérien, qui peut s’appuyer sur le soutien de Moscou dans ce domaine.

Gowind 2500 Egypte
La Marine égyptienne met déjà en oeuvre 4 corvettes Gowind 2500 et 2 BPH classe Mistral de Naval group.

L’Égypte, pour sa part, aurait entamé les négociations avec Naval group pour se doter de six sous-marins océaniques Barracuda. Un tel contrat serait, bien évidemment, stratégique, tant pour Le Caire que pour l’industriel, mais les autorités égyptiennes ne disposeraient pas des capacités de financement nécessaires, avant plusieurs années.

Enfin, de récentes indiscrétions ont fait état de discussions entre la France et l’Arabie Saoudite, sur des sujets de coopérations militaires et industrielles étendues, allant du chasseur Rafale, à la création d’une flotte sous-marine saoudienne.

Conclusion

On le voit, les semaines à venir, vont de révéler déterminantes, pour Naval group, et particulièrement pour sa branche sous-marine. Si tout se passe comme prévu, il pourrait, en effet, obtenir la validation de la commande portant sur les trois sous-marins Kalvari supplémentaires indiens ou toute autre évolution autour de ce contrat, ainsi que celle du Parlement néerlandais, pour la commande des 4 Blacksword Barracuda.

Une validation, dans ce dossier, de la part de La Haye, pourrait ouvrir la porte d’une nouvelle période particulièrement faste pour la construction sous-marine française, en validant, sur la scène internationale, des prix de revient très inférieurs à ceux des concurrents européens, sans renoncement sur les performances.

On comprend, ainsi posé, que cet arbitrage parlementaire, pourrait s’avérer encore plus déterminant pour les autres industriels européens, TKMS et Saab-Kockums, qui pourraient en ressortir avec une étiquette de prix excessifs. Rien de surprenant, dans ces conditions, que les deux entreprises européennes, se montrent particulièrement agressives à ce sujet, craignant, très certainement, les conséquences d’un arbitrage défavorable sur leur image internationale.

Une victoire, pour Naval group, permettrait, en revanche, de définitivement tourner la page de l’échec australien, avec un potentiel commercial sans équivalent sur la scène internationale, pour convertir en succès, les nombreux dossiers ouverts par ses équipes de négociateurs.

La Royal Air Force devrait commander 27 F-35B supplémentaires cette année

La Royal Air Force met en œuvre, aujourd’hui, 33 avions de combat F-35B Lightning II, le chasseur à décollage et atterrissage vertical ou court qui arment ses deux porte-avions de la classe Queen Elizabeth, sur une commande de 48 appareils.

Initialement, Londres prévoyait d’acquérir une flotte totale de 138 chasseurs de ce type, tant pour armer ses porte-avions que pour remplacer ses Tornado, dans les missions d’attaque. Cet objectif a cependant connu de nombreuses variations, au fil des changements de gouvernements, sans que l’on sache, jusqu’à présent, quel sera effectivement le format de la flotte de F-35 dont disposera par la Royal Air Force.

Il semble que les choses ont évolué dans ce domaine. En effet, la commande de la seconde tranche de 27 F-35B, apparait proche de son officialisation, qui devrait intervenir d’ici à cet été, à en croire la réponse faite par le ministre d’État à l’approvisionnement en Défense, James Cartlidge, à une question posée par le président du Comité de la défense de la Chambre des communes, Jeremy Quin, à ce sujet.

La commande de la seconde tranche de 27 F-35B de la Royal Air Force formalisée cet été

« Les négociations entre le Royaume-Uni et le JPO concernant l’achat de « Tranche 2 » d’un autre avion F-35 se déroulent bien. Cette prochaine phase d’approvisionnement devrait achever le processus d’approbation interne lors de l’été 2024. Il réalisera notre ambition à long terme d’approfondir la capacité de projection de puissance activée par transporteur et portera la flotte britannique à 74 avions, ce qui nous permettra de créer un troisième escadron de première ligne d’ici à 2033. Le financement de cette prochaine phase a été clôturé dans le cadre d’une option ABC approuvée. » a, ainsi, répondu le ministre au parlementaire britannique.

F-35B Typhoon Royal Air Force
Arrivée des trois premiers F-35B de la Royal Air Force en Grande-Bretagne, escortés par deux eurofighter Typhoon.

Ceci indique que l’ensemble du processus permettant l’acquisition des 27 appareils de la Tranche 2, permettant la création d’un troisième escadron au sein de la RAF. La livraison des appareils est attendue pour la fin de la décennie, selon ce même courrier, alors que d’autres procédures sont en cours, notamment pour accroitre les capacités de formation sur l’appareil, et d’étendre son armement, en particulier concernant les missiles METEOR et SPEAR 3.

Cette commande était, de toute évidence, très attendue par la Royal Air Force. Celle-ci ne parvient pas, en effet, aujourd’hui, à respecter son contrat opérationnel, et semble convaincue qu’il en sera de même, une fois les 15 F-35B restant à livrer sur la première tranche, en sa possession.

Rappelons que les deux porte-avions britanniques sont conçus pour mettre en œuvre une trentaine de chasseurs embarqués, et qu’il leur est arrivé de naviguer simultanément. On comprend, dans ces conditions, qu’une flotte de seulement 48 chasseurs est très largement insuffisante, d’autant qu’une partie d’entre eux est employée pour la formation, et que le F-35B n’est pas réputé pour sa grande disponibilité.

Si les autorités britanniques ont récemment réaffirmé leur intention d’atteindre une flotte finale de 138 F-35 d’ici au milieu ou à la fin de la prochaine décennie, la nature des troisièmes et quatrièmes tranches, n’a toutefois pas encore été arbitrée, entre le F-35B capable d’opérer sur porte-avions, et le F-35A, conventionnel, mais sensiblement moins onéreux à l’achat comme à la mise en œuvre.

Priorité à la constitution rapide d’une flotte de drones embarqués et au programme Ark Royal

Si la trajectoire pour les dix années à venir, concernant la livraison des futurs F-35B de la Royal Air Force, semble sur le point de se concrétiser, la priorité du moment, pour la force aéronavale britannique, concerne l’intégration d’une flotte de drones aux deux porte-avions de la Royal Navy.

Royal Navy HMS Queen Elizabeth
Les deux porte-avions britanniques peuvent mettre en oeuvre jusqu’à 45 aéronefs dont une trentaine de chasseurs F-35B.

Ces drones seront de plusieurs types, et auront plusieurs fonctions, allant du drone MALE à grande envergure destiné à assurer l’alerte aérienne avancée, en lieu et place des hélicoptères AW101 Merlin AEW, aux drones de sureté aérienne, dont la fonction sera la reconnaissance et la désignation de cible, voire la lutte antinavire et anti-sous-marine, en passant, bien évidemment, par les incontournables Loyal Wingmen qui devront évoluer autour des F-35B. L’hypothèse d’un drone de ravitaillement en vol a également été évoquée.

Pour mettre en œuvre ces drones, les porte-avions britanniques pourraient être modifiés, notamment pour recevoir deux catapultes et des brins d’arrêt, permettant de lancer et recevoir ces drones, mais aussi, au besoin, les F/A-18 E/F et F-35C de l’US Navy et de l’US Marines Corps, ainsi que les Rafale M français.

Ce programme est désigné Ark Royal, le nom de baptême de trois illustres porte-avions britanniques, l’un, le 91, ayant coulé le Bismark, l’autre, le R09, aura été le dernier porte-avions de la Royal Navy doté de catapultes et brins d’arrêt, et le dernier, le R07, qui aura été le dernier porte-avions de la classe Invisible à quitter le service, en 2011.

Ceci en dit long sur l’ambition que ce programme revêt pour la Royal Navy, qui pourrait retrouver un porte-avions partiellement CATOBAR, presque 50 ans après que l’Ark Royal (R09) a quitté le service, en 1980.

La crise RH s’invite à tous les niveaux de la planification militaire britannique

L’ensemble des détails entourant le programme Ark Royal, a été donné dans une autre réponse du même James Cartlidge, à une autre question posée, cette fois, par le député conservateur Damien Moore.

Programme Ark Royal - Royal Navy
Le programme Ark Royal prevoit de doter les porte-avions britanniques de deux brins d’arret, de deux catapultes et d’un pont semi-oblique pour retrouver certaines capacités CATOBAR, et mettre en oeuvre différents modèles de drones de combat lourds.

Cette réponse pointe, en particulier, les besoins d’automatisation croissant à bord des porte-avions britanniques, revêtant, désormais, de l’impératif opérationnel. Ceci fut notamment détaillé, lors d’une présentation qui s’est tenue il y a quelques mois à Farnborough.

Le colonel Phil Kelly, qui dirige la flotte de transport et de patrouille maritime sein de la Direction du développement de la Royal Navy, avait, ainsi, particulièrement insisté sur les besoins d’automatisation à bord des navires et aéronefs britanniques. « Nous devons libérer les capacités des combattants pour les opérations critiques, en automatisant les tâches de routine/répétitives. » avait-il alors déclaré lors de cette conférence.

En effet, les difficultés que rencontre aujourd’hui la Royal Navy, mais aussi la Royal Air Force et la British Army, en matière de recrutement, comme de fidélisation des effectifs, ont engendré un cercle vicieux, alors que seul un départ sur trois est effectivement compensé par un nouveau recrutement.

Une nouvelle commande de F-35 britanniques se fera au détriment de la flotte de Tempest du programme GCAP

Reste que la détermination de la Royal Air Force, à se doter de son inventaire complet de F-35, qu’il s’agisse exclusivement de F-35B ADACV, ou d’une flotte mixte F-35A et F-35B, ne va certainement pas faire les affaires du programme GCAP, codéveloppé avec l’Italie et le Japon.

En effet, chacun de ces trois pays a annoncé vouloir acquérir une imposante flotte de F-35, notamment de F-35B, ce qui ne pourra se faire qu’au détriment du Tempest, le chasseur de 6ᵉ génération du programme GCAP.

Tempest programme GCAP
Le programme GCAP ne devrait pas porter sur plus de 350 à 400 Tempest pour les trois forces aériennes britanniques, italiennes et japonaises.

Ainsi, sur la base des flottes de chasse actuelles, qui ont peu de chances d’augmenter dans les années à venir, le nombre de Tempest qui pourrait être commandé par ces 3 pays, ne dépasse pas 400 appareils, plus probablement 350. En outre, pour l’Italie comme pour le Royaume-Uni, il s’agira avant tout de remplacer les Eurofighter Typhoon dans la mission de supériorité aérienne.

On peut penser, dès lors, que le Tempest, et même l’ensemble du programme GCAP, suit aujourd’hui une trajectoire sensiblement moins ambitieuse, en investissements comme en capacités opérationnelles, que celle visée par le programme SCAF qui rassemble l’Allemagne, la France, l’Espagne et la Belgique, bien plus polyvalent. Ceci explique, on peut le penser, le calendrier bien plus court du programme britannique, qui vise une entrée en service en 2035, contre 2040 pour le NGF.

Pour autant, même moins complexe et onéreux, la flotte adressable par le programme GCAP, s’avère réduite, pour un appareil aussi onéreux à concevoir, alors qu’une réduction du format des flottes de F-35 des trois pays participant au programme GCAP, permettrait, précisément, de contourner cet écueil.

Toutefois, il semble que le F-35, quoiqu’on puisse en dire, en France, exerce une réelle fascination auprès des forces aériennes occidentales aujourd’hui, prêtes à de nombreux sacrifices, pour s’en doter, ce en dépit des nombreux problèmes, retards et surcouts, qu’a connu le programme américain.

Ceci invite certainement à se montrer plus modéré dans le F-35-bashing qui séduit toujours autant en France, et qui devient, au fil du temps, de moins en moins fondé, tout du moins, à en croire l’appétence qu’il entraine, sans s’affaiblir, auprès des forces aériennes occidentales, depuis une dizaine d’années maintenant.

La baisse d’efficacité des armes occidentales en Ukraine est-elle inéluctable ?

Depuis le début du conflit ukrainien, la livraison des armes occidentales, venues des États-Unis ou d’Europe, a souvent fait la une de la presse mondiale. Qu’il s’agisse des drones turcs Bayraktar, des systèmes d’artillerie longue portée HIMARS américains ou Leopard 2 allemands, tous ont été présentés, lors de leur arrivée en Ukraine, comme des armes susceptibles d’influencer le déroulement, non de la bataille, mais de la guerre elle-même.

Si certains de ces équipements, notamment les systèmes d’artillerie européens Caesar, Pzh2000 et Archer, ont conservé leur aura d’efficacité, et leur supériorité opérationnelle face aux matériels russes, même après deux années de combat, beaucoup ont, toutefois, rapidement atteint leur plafond d’efficacité relative. C’est en particulier le cas des blindés occidentaux, certes plus efficaces que les modèles russes, mais pas de manière suffisamment significative, pour influencer les combats eux-mêmes.

D’autres équipements, au contraire, ont connu une courbe d’efficacité dite « en cloche », avec des performances opérationnelles remarquables lors de leur mise en œuvre initiale, suivies, au bout de quelques semaines à quelques mois, d’une courbe descendante très sensible, à mesure que les russes apprenaient à s’en prémunir.

Alors que l’occident arrive au bout de ses jokers technologiques susceptibles d’être envoyés en Ukraine, pour contenir la montée en puissance russe, existe-t-il des solutions pour lutter contre cette efficacité transitoire, afin de maintenir un ascendant opérationnel qui, s’il ne sera jamais un game-changer, permettra, cependant, de rééquilibrer le rapport de force, en faveur de Kyiv ?

Le TB2 Bayraktar, de drone providentiel à système inutilisable en quelques mois seulement

Avec le missile antichar Javelin américain, le drone TB2 Bayraktar aura été, de manière incontournable, l’un des héros technologiques ukrainiens du début du conflit. Dès les premiers jours de l’offensive russe contre l’Ukraine, alors qu’une colonne mécanisée considérable faisait route de la Biélorussie vers la capitale ukrainienne, le petit drone MALE turc joua, en effet, un rôle déterminant, pour contenir cette offensive.

TB2 Bayraktar ukraine
Les images des frappes de TB2 Bayraktar au debut du conflit ont largement marqué les esprits. Pourtant, la fenètre d’efficacité de ce drone male leger a été particulièrement courte.

Livré quelques mois avant le début du conflit, les TB2 Ukrainiens, armés de munitions légères de précision MAM-C, harcelèrent, en effet, l’ensemble de la colonne russe, éliminant très efficacement ses défenses aériennes, et surtout ses véhicules logistiques, notamment les camions de ravitaillement en carburant.

Ceci fit peser une immense pression sur la mobilité de la colonne qui, incapable de déborder en raison de la nature du terrain, se trouvait à l’arrêt, et à portée des raids d’artillerie ou de commandos ukrainiens. Le drone turc joua aussi un rôle majeur dans l’élimination du croiseur Moskva, en focalisant l’attention de la défense aérienne du navire, qui n’a pas vu arriver les missiles Neptune qui le visaient.

Ces succès opérationnels des mois de février, mars et avril 2022, firent la réputation du Bayraktar, qui a été commandé, depuis cette date, par une quinzaine de nouvelles forces armées, y compris par la Pologne et la Roumanie.

Cependant, dès le mois de mai 2022, cette efficacité opérationnelle, qui avait largement profité des images spectaculaires relayées sur les réseaux sociaux par l’Ukraine, s’étiola aussi rapidement que la flotte de TB2 ukrainiens. Les russes, en effet, ont rapidement appris à se protéger de cette menace, en déployant, et surtout en déplaçant, différemment, ses systèmes de défense aérienne.

Au point qu’à l’été 2022, après seulement cinq mois de guerre, les quelques TB2 survivants ukrainiens, n’étaient presque plus employés pour des missions d’attaque, et volaient uniquement au-delà des capacités d’interception de la DCA russe, à des fins de renseignement, réduisant presque à néant son potentiel opérationnel.

Scalp, Himars… L’efficacité des armes occidentales s’érode rapidement en Ukraine, à mesure qu’ils sont employés

la trajectoire d’érosion de l’efficacité du drone turc, n’est pas exceptionnelle, en Ukraine, bien au contraire. Plusieurs des équipements les plus mis en avant, médiatiquement, lors de leur livraison à Kyiv, ont suivi un parcours relativement similaire.

SCALP-ER Zelensky
Les missiles SCALP-ER continuent d’être efficacement employés par les ukrainiens, mais le taux d’interception a sensiblement augmenté au fil des mois.

Ainsi, lorsqu’ils sont arrivés en Ukraine, les premiers lance-roquettes multiple américains HIMARS, ont obtenu des résultats spectaculaires, notamment pour frapper les dépôts logistiques, postes de commandement, bases aériennes et zones de regroupement russes. Comme pour le TB2, cette efficacité s’est amoindrie avec les mois, alors que la défense aérienne russe apprenait à détecter et engager les roquettes M39, et que l’état-major déplaçait ses sites hors de portée du système ukrainien.

Les missiles de croisière franco-britannique SCALP-ER / StormShadow, eux aussi, ont vu leur efficacité décroitre avec le temps, bien que sur une trajectoire moins abrupte. Alors que lors des premiers mois d’utilisation, ils atteignaient un taux d’impact sur cible très élevé, celui-ci a depuis été réduit par l’utilisation combinée du brouillage et par des défenses aériennes mieux entrainées pour détecter et engager ce missile furtif à trajectoire rasante.

Même les très efficaces drones d’attaque navals ukrainiens, ont connu une efficacité en cloche, lorsque appliqué à un modèle donné. Ainsi, les Sea Baby du début, ne sont presque plus employés aujourd’hui, car, là encore, les militaires russes ont appris à s’en prémunir.

Toutefois, dans ce cas précis, les ukrainiens ont, eux aussi, fait évoluer les capacités de leurs drones navals, de sorte qu’ils sont parvenus, à mesure que d’autres modèles étaient mis en service, à contourner les nouvelles procédures et méthodes de protection mises en œuvre par la Flotte de la mer Noire.

Un RETEX russe plus efficace et rapide qu’escompté

Le fait est, il est apparu, au fil des mois et années de conflit, que les armées russes, toutes inefficaces qu’elles aient pu être au début de la guerre, pouvaient s’appuyer sur une procédure d’exploitation du retour d’expérience, ou RETEX, très efficace.

Pantsir russe
La DCA s’est adaptée au fil des mois pour améliorer son efficacité contre les missiles de croiisère et roquettes longue portée ukrainiennes.

Ce RETEX a pu être observé à de nombreux niveaux, que ce soit dans le domaine technique et technologique, avec, par exemple, l’apparition de nouveaux armements ou de nouveaux équipements conçus pour se prémunir des menaces, que du point de vue doctrinal, y compris en adaptant le modèle d’unité interarmes, à la réalité des unités russes et du renouvellement de son encadrement intermédiaire.

Ainsi, les systèmes de guerre électronique russes, initialement jugés, avec surprise, inférieurs à ce qui était attendu, sont aujourd’hui efficaces et performants, venant entraver le bon fonctionnement de nombreux systèmes.

Les bombes propulsées de Boeing GLSDB, dont l’arrivée en Ukraine en début d’année, avait engendré de nombreux espoirs, ont été retirées du service après quelques semaines seulement, car trop sensibles au brouillage russe.

Loin d’être anecdotique, l’érosion de l’efficacité de ces systèmes à longue portée, fait peser une menace croissante sur les capacités de Kyiv pour contenir l’évolution du rapport de force face à la Russie.

En effet, il ne reste guère plus de nouveaux systèmes, en occident, susceptibles d’être envoyés en Ukraine, pour compenser la supériorité numérique russe, tout au moins, dans ce domaine des frappes à longue portée, là où la Russie ne manque pas de moyens, d’une efficacité croissante.

Est-il possible de conserver l’ascendant technologique sur la Russie en Ukraine

Faute de nouveaux systèmes disponibles, il convient donc de s’interroger sur la manière dont il serait possible de garantir, aux systèmes livrés, l’ascendant technologique, ou tout au moins, de préserver suffisamment longtemps, pour mettre en œuvre des solutions de substitution, comme c’est le cas, aujourd’hui, avec les missiles ATACMS, pour prendre le relais des roquettes M39 classiques des HIMARS.

Accélérer les RETEX pour contrer les adaptations russes

La mesure la plus évidente, serait d’appliquer la même méthodologie que celle employée par les armées russes, mais aussi par les armées ukrainiennes, lorsque cela est possible. Il s’agirait, là, de mettre en œuvre des procédures de Retours d’Expérience adossées à de réelles capacités industrielles et technologiques, pour faire évoluer les équipements livrés.

MBDA usine
Les indsutriels occidentaux ont-ils des procédures de RETEX à cycle court en Ukraine ? On peut en douter …

Aujourd’hui, les armées et industriels occidentaux bénéficient déjà d’un grand volume d’informations en provenance d’Ukraine, concernant les performances et les comportements opérationnels de leurs équipements. Toutefois, il n’existe pas, en Europe, et pas davantage outre-atlantique, de mécanismes d’amélioration continue structurés pour suivre le tempo imposé par le RETEX russe.

Bien évidemment, de telles mesures sont plus simples à dire, qu’à faire, car elles supposent une présence accrue des militaires et industriels occidentaux en Ukraine, au plus près de l’expérience elle-même, mais également des budgets et de moyens humains dédiés, pour les mettre en œuvre, en occident.

Or, pour l’heure, l’urgence porte plus sur le financement de nouveaux moyens, et le maintient en condition opérationnelle de ceux déjà livrés, que d’entrer dans un réel modèle d’amélioration continue et de RETEX, comme ceux qui existent dans les armées occidentales elles-mêmes. C’est probablement là que se situe, aujourd’hui, une des clés du rapport de force en Ukraine.

Introduire la permutation des systèmes, plutôt que l’utilisation conjointe au fil des livraisons.

Une seconde mesure, pour améliorer l’efficacité de ces nouveaux équipements occidentaux livrés en Ukraine, serait de procéder par livraisons massives espacées dans le temps, et non par livraisons homéopathiques linéaires, comme c’est encore trop souvent le cas.

HIMARS Ulraine
Les HIMARS ont montré d’excellentes capacités en Ukraine pendant plusieurs mois. Faute de munitions, et avec l’adaptation de la réponse russe à cette menance, leur efficacité a diminué sensiblement depuis.

En effet, en procédant ainsi, l’efficacité réelle de ces nouveaux systèmes, tend à se réduire, à volume donné. Il s’agit, en fait, d’un principe proche de celui qui consiste à prendre des antibiotiques sous-dosés, pendant trop longtemps, engendrant l’adaptation des souches bactériennes, et l’émergence de souches résistantes.

En Ukraine, il se passe exactement la même chose, concernant les équipements de pointe occidentaux. Livrés et employés par petites quantités successives, ceux-ci donnent le temps et l’opportunité au RETEX russe de s’y adapter, venant en altérer l’efficacité dans le temps.

Ainsi, si l’efficacité d’un système est de 80 % à sa livraison initiale, et qu’elle descend à 40 % au bout d’une année, une livraison linéaire accordera une efficacité moyenne de 60 %, et surtout, une efficacité sous la barre des 50%, concernant 40% des systèmes livrés.

À l’inverse, si l’ensemble des systèmes sont livrés et employés sur deux mois seulement, puis suspendus pendant plusieurs mois pour être, par exemple, remplacés par un autre système différent, mais aux capacités similaires, la fenêtre d’adaptation du RETEX russe serait considérablement réduite.

Mieux encore, cette permutation des moyens, une pratique là encore empruntée à la pharmacologie, maintiendrait l’efficacité des 3 ou 4 systèmes complémentaires, sur une période de temps considérablement plus longue, que l’utilisation conjointe en petite quantité.

Ainsi, plutôt que d’utiliser conjointement ATACMS, SCALP/StormShadow, GLSDB et A2SM/JASSM-ER, il aurait certainement été préférable d’employer chacun de ces systèmes sur une durée de 6 semaines, toutes les 24 semaines, une permutation trop courte pour permettre aux russes de s’y adapter, et probablement pour concevoir des parades efficaces.

Conclusion

On le voit, ce que l’on prenait, en début du conflit, comme un paramètre valant dogme, la supériorité technologique et l’efficacité supérieure des équipements occidentaux envoyés en Ukraine, tend à s’étioler avec le temps. Pire encore, plus le temps passe, plus les mécanismes mis en œuvre par les armées russes, pour y faire face, s’avèrent efficaces, et les parades arrivent de plus en plus vite dans les armées déployées en Ukraine.

T-72B3 brouilleurs drones
Un T-72B3 équipé d’un système de brouillage contre les drones, en Ukraine.

Ceci n’obère assurément pas les capacités technologiques globales supérieures de l’occident sur la Russie, même épaulée de la Chine. Toutefois, il apparait que les procédures mises en place par Moscou, s’avèrent particulièrement efficaces, et ont sensiblement réduit l’écart technologique sensible qui prévalait en début de conflit.

Des alternatives peuvent être imaginées, pour palier cette trajectoire, comme l’adaptation des procédures de RETEX, pour faire évoluer les équipements occidentaux aussi vite, voire davantage, que ne peuvent le faire les ingénieurs russes, et l’évolution de l’utilisation des moyens, privilégiant la permutation cyclique, laissant, par ailleurs, au RETEX, le temps de s’adapter, tout en réduisant les options d’adaptation russes.

Cependant, il est probable que, faute d’une accélération rapide et massive du tempo technologique pour remplacer les équipements employés en Ukraine, par une nouvelle génération de moyens sur des bases technologiques renouvelées, on peut craindre qu’effectivement, l’ascendant technologique valant coefficient multiplicateur de forces, sur lequel la sécurité occidentale repose, tendra irrévocablement et rapidement à diminuer.

L’IA démultipliera l’efficacité des Oreilles d’or de la Marine nationale dès 2025.

Depuis un peu plus de deux ans, il ne se passe pas une journée sans que l’actualité défense mondiale traite de l’arrivée annoncée de l’Intelligence Artificielle dans les armées, et des avancées considérables qu’elle apportera pour la conduite des opérations militaires.

Toutefois, le plus souvent, il est question, dans ces sujets, des IA embarquées à bord de drones ou de robots, et son univers de fantasmes alimentés par la littérature de science-fiction et cyberpunk.

Pourtant, la plus grande plus-value qu’apportera, et parfois apporte déjà, l’IA, aux armées, ne concerne ni le contrôle d’un drone, ni la décision autonome de faire feu, mais la capacité à traiter d’immenses quantités de données, générées par la multitude de senseurs numérisés qui équipent, désormais, tous les équipements militaires, pour en extraire des données pertinentes, humainement exploitables.

Quatre grandes catégories de données sont ainsi visées par de nombreux programmes dans le monde : les données digitales pures, par exemple, celles qui circulent sur internet et les réseaux sociaux ; les données optiques et électrooptiques transmises par les satellites et les senseurs tactiques ; les données électromagnétiques émises par les radars et les systèmes de communication, et enfin, les données acoustiques, qui représentent l’alpha et l’oméga dans le domaine de la guerre sous-marine.

Un filtre de tamisage et d’identification acoustique par IA à bord des navires et sous-marins français dès 2025

L’analyse du spectre acoustique sous-marin est précisément la mission du centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique de la Marine nationale, ou CiRA. Créé en 1983, il forme les célèbres Oreilles d’Or et autres DeASM (Détecteur Anti-sous-marin), qui embarquent à bord des sous-marins, frégates et avions de patrouille maritime français, pour détecter et traquer les sous-marins comme les unités de surface adverses.

sonar sous-marin
La guerre sous-marine repose en majeure partie sur l’exploitation de données acquises passivement par les senseurs des sous-marins et navires, pour localiser l’adversaire, sans être, soit-même, détecté.

Et la mission n’est pas simple. En effet, le Monde du silence, tel que présenté par J.Y Cousteau, n’a de silence, que le nom. Au contraire, l’océan est en permanence l’objet d’une immense cacophonie : crevettes, cétacés, poissons, mouvement de roche et, bien sûr, activités humaines, génèrent, en moyenne, un bruit de fond avoisinant 40 à 50 dB en zone côtière, et 30 dB dans les profondeurs, soit le bruit d’un lave-linge moderne.

La difficulté est d’autant plus importante, qu’un sous-marin moderne, évoluant à vitesse silencieuse (de 6 à 14 nœuds, selon les modèles), ne génère pas davantage que 30 dB de rayonnement acoustique local, alors que le bruit de l’océan, lui, est uniforme.

Les oreilles d’or parviennent à réaliser cette prouesse, qui revient à détecter, localiser et déchiffrer une conversation à voix basse entre deux personnes en bout de piste à Roissy, pendant que les avions décollent, tout en étant positionné à plus de 100 mètres de là.

Bien évidemment, ils disposent, pour cela, de très puissants microphones, les sonars passifs, et d’outils performants pour filtrer et analyser les sons captés. Toutefois, ils doivent toujours balayer des montagnes de données acoustiques, pour détecter lesquelles peuvent être porteuses d’une information pertinente, avant de pouvoir en extraire des données tactiques utiles.

C’est précisément à ce sujet que le CiRA, et la start-up Preligens, entendent intervenir aujourd’hui, en faisant massivement appel à l’Intelligence Artificielle. Celle-ci permettra, en effet, de « tamiser » les données, c’est-à-dire d’élimer l’ensemble des données ne comportant pas d’information pertinente, de sorte à transmettre aux oreilles d’or, les pistes les prometteuses.

oreilles d'or marine nationale cira
La formation des oreilles d’or est l’une des missions du CiRA depuis 1983.

Ce faisant, le CiRA entend considérablement augmenter l’efficacité de la détection anti-sous-marine, tant en réduisant les délais de détection et d’identification, y compris directement à bord des navires au combat, qu’en améliorant et pré-traitant le signal, afin de donner aux opérateurs, les premières informations utiles, comme le type de navire, le nombre et la vitesse des hélices, et même le nombre de pales, ceci permettant, déjà, de se faire une idée assez précise, de la nature de la cible.

À titre d’exemple, le Chef du CiRA, Vincent Magnant, a indiqué que le « tamisage » de la zone au large de Toulon (le polygone de tir du Levant ?), prenait jusqu’ici 40 jours, à deux oreilles d’or, pour traiter l’ensemble des données générées en 12 heures par les senseurs déployés. L’utilisation des algorithmes, produits par Preligens, permet de réduire ce délai à cinq à six jours seulement, après que l’IA a pré-traité les données pendant six heures.

La fusion de données pour accroitre l’efficacité de la détection acoustique passive

Mais le CiRA n’entend pas se limiter à du traitement à posteriori des données. Ainsi, les algorithmes actuellement développés, et les catalogues de données sur lesquels ils se basent, seront déployés dès 2025, à bord de navires français, pour réaliser des analyses directes au plus près de la situation tactique.

Si l’expérience s’avère concluante, il y a fort à parier que cette capacité se généralisera à bord de tous les navires et aéronefs disposant de senseurs sonars, dans des délais particulièrement courts.

Au-delà de cette première phase, le CiRA vise à consolider les données générées, par la fusion d’autres sources de données, qu’elles soient en temps réel ou décalé, tout en respectant le postulat de base, à savoir, demeurer strictement passif. Il s’agirait, par exemple, des données émanant du spectre électromagnétique, des satellites de reconnaissance, voire, des informations publiées sur internet.

image satellite sevastopol
Ulterieurement, le CiRA entend consolider les données extraitent par les algorhtmes d’IA des senseurs acoustiques, par d’autres types de données, y compris les images transmises par les satellites de reconaissance.

Rappelons, à ce sujet, que lors d’un exercice récent de la Marine nationale, l’une de ses frégates a été coulée, de manière simulée, par un missile adverse lancé sur la position laissée par la fonction de géolocalisation, sur un réseau social, du smartphone d’un de ses marins.

L’ajout de nouvelles sources d’information, va nécessiter, bien évidemment, d’adapter les algorithmes de l’Intelligence artificielle, ainsi que de renforcer les capacités de traitement et le catalogue de données, à disposition des unités navales ou aériennes. On comprend, toutefois, le rôle décisif que vont jouer ces capacités dans le combat naval dans les années à venir, et la raison pour laquelle le CiRA déploie autant d’énergie dans ce domaine.

100 téraoctets de données acoustiques en 2030 pour le centre d’interprétation et de reconnaissance acoustique de la Marine

Il faut dire que, dans ce domaine, et au-delà des compétences algorithmiques de Preligens, le CiRA peut s’appuyer sur un atout considérable, sur la grande majorité des marines mondiales.

En effet, non seulement la Marine nationale dispose d’une flotte loin d’être négligeable, dont de nombreux navires sont équipés de sonars et autres hydrophones, ainsi que la Patmar la plus efficace et volumineuse du théâtre européen, mais les technologies sonars employées sont, elles aussi, de facture française. En outre, navires et aéronefs français sont déployés sur tous les océans.

Atlantique 2 Marinenationale e1616073012526 Constructions Navales militaires | Analyses Défense | Assaut amphibie
Ls avions de patrouille maritime comme l’Atlantique 2, disposent des mêmes types de senseurs et du même armement qu’une frégate de lutte anti-sous-marine : sonar actif, passif, radar, systèmes electro-optiques et torpilles, avec, en prime, une queue MAD.

On peut également penser qu’une partie des marines équipées de sonar de facture française, a accepté de partager, à posteriori, tout ou partie des données acoustiques enregistrées, avec Naval Group, et, par voie de conséquence, avec la Marine française, dans le cadre des accords commerciaux et de défense signés.

De fait, le CiRA a accès à des volumes de données très importants, et, qui plus est, complémentaires, permettant, précisément, d’enrichir le catalogue de données, qu’il s’agisse de tamiser les données acoustiques, ou d’assister à la détection, localisation et identification, des sources.

À ce titre, le CiRA a vu le volume de données à traiter, chaque année, passer de 1 à 10 téraoctets, entre 2020 et 2024. Il devrait aussi atteindre et dépasser les 100 téraoctets, en 2030, soit l’équivalent d’une quarantaine de symphonie n°5 de Beethoven au format mp3 générées chaque heure, toutes différentes.

La data au cœur de la plus-value opérationnelle dans les années à venir

ces travaux illustrent, par ailleurs, le rôle déterminant que va prendre l’intelligence artificielle dans la conduite des opérations militaires à l’avenir. Bien davantage que la possibilité de piloter drones et robots, celle-ci permettra surtout de traiter efficacement des volumes de donnés considérables générés par la multitude de capteurs déployés par les armées, mais aussi par d’autres sources, pour rendre l’information assimilable par ceux qui conduisent les opérations.

periscope
La confiance dans les données fournies par l’IA doit être suffisante, pour ne pas devoir hésiter lorsqu’il est necessaire de faire feu.

D’ailleurs, cette fonction doit se voir comme une fonction scalaire, au sens qu’elle s’échelonnera à tous les échelons du combat, partant du plus tactique qui soit, à bord d’un blindé, d’un avion de combat, et même au sein d’un groupe de combat d’infanterie, et remontant jusqu’au plus au niveau, et la décision ultime d’engager le feu nucléaire.

On comprend, aussi, toute la difficulté que représente, aujourd’hui, la mise en œuvre de ces systèmes, qui doivent garantir non seulement l’efficacité et la pertinence de l’information analysée transmise, mais également, sa traçabilité, de sorte à pouvoir, au fil du temps, en évaluer précisément les mécanismes et la fiabilité.

Ce n’est, en effet, pas au moment de lancer une torpille, pour couler un navire adverse, qu’il faudra s’interroger si les algorithmes ont correctement identifié un destroyer adverse, et non un navire de croisière Costa.

La Marine nationale privilégie la corvette Gowind de Naval Group pour remplacer les 6 frégates Floréal

Entrées en service entre 1992 et 1994, les 6 Frégates Floréal, désignées frégates de surveillance par la Marine nationale, assurent efficacement de nombreuses missions allant de la souveraineté à la lutte contre les narcotrafics, sur l’ensemble des 11 millions de km² de la Zone Économique Exclusive française.

Ces frégates légères de 93,5 m de long, pour un déplacement en charge de presque 3 000 tonnes, devront être remplacées au début de la prochaine décennie, après 30 années d’intense activité opérationnelle.

Si, jusqu’à présent, il semblait que ce remplacement devait être assuré par le programme European Patrol Corvette, Naval group a confirmé que l’hypothèse d’un choix de la corvette Gowind, pour cette mission, était désormais privilégié par la Marine nationale, et le ministère des Armées.

La corvette Gowind remplacera les frégates de surveillance classe Floréal de la Marine nationale

C’est en tout cas ce qu’a expliqué Stéphane Frémont, le vice-président export de Naval Group, au micro de Xavier Vavasseur pour Naval News, à l’occasion du salon DSA 2024 qui s’est tenu à Kuala Lumpur, en Malaisie, du 6 au 9 mai.

Selon le dirigeant français, c’est, en effet, le modèle de corvette Gowind qui a été retenu par la Marine nationale, pour remplacer les six frégates de surveillance de la classe Floréal. Le contrat devrait être négocié dans les années en venir.

frégate de surveillance Floréal
Les 6 frégates de surveillance de la classe Floréal, ont connu une activité particulièrement soutenue pour sécuriser, à elles seules, les 11 millions de km2 de la Zone économique Exclusive française.

Le type de Gowind n’a pas été précisé. Toutefois, on peut s’attendre, considérant les missions que devront remplir les navires, qu’il s’agira soit d’une Gowind 2500, une corvette de 102 mètres et 2500 tonnes, soit, de façon plus improbable, une version allongée qui se rapprocherait des Gowind de la classe Maharaja Lela, qui atteignent 111 mètres et 3100 tonnes.

Comme le précise Stéphane Frémont dans l’interview, les différences opérationnelles, notamment en termes d’armement et de senseurs, entre les Gowind 2500 et la classe Maharadja Tali, sont cependant mineures, les deux navires emportant le même mat intégré, le même système de combat, les mêmes senseurs et un armement identique.

Un navire efficace doté de capacités étendues, y compris en matière de lutte anti-sous-marine

Le choix de la Gowind pour remplacer les Floréal, est incontestablement une bonne nouvelle pour la Marine nationale. Si les 6 Floréal ont remarquablement rempli leurs missions depuis 1992, celles-ci avaient, en effet, été conçues pour des missions de faible intensité, et surtout de garde-côtes, ne disposant d’aucune capacité anti-sous-marine, et de moyens surface-air limités, avec deux Simbad armés de Mistral 3. En 2015, les missiles antinavires MM38 Exocet avaient même été débarqués, face à la perception de l’évolution des menaces du moment.

Depuis, évidemment, les tensions mondiales ont dessiné des besoins tout autres, en particulier pour les navires déployés dans le Pacifique, l’océan Indien et à proximité du golfe Persique.

C’est là que les Gowind peuvent apporter une plus-value considérable. En effet, les corvettes disposent d’une panoplie de capacités étendue, avec notamment 16 missiles MICA VL en cellules verticales pour la défense aérienne, 8 missiles antinavires MM40 Exocet de lutte antinavire, un canon de 76 mm, ainsi que deux tubes lance-torpilles triples pour torpilles anti-sous-marines Mu90.

Corvette Gowind Egypte
Les corvettes Gowind 2500, comme celles mises en oeuvre par la Marine égyptienne, disposent d’une panoplie compléte de systèmes de detection et systèmes d’arme, leur conférant des capacités proches de celles de nombreuses frégates.

Les senseurs du navire sont, eux aussi, très supérieurs à ceux des Floréal, avec un radar 3D Smart-S et un sonar Captas-2, lui conférant des capacités de détection et d’engagement comparables à celles de nombreuses frégates légères ou moyennes.

Enfin, le navire dispose d’un hangar aviation pour recevoir un hélicoptère pouvant atteindre 10 tonnes, comme le NH90 NFH Caïman, ou un hélicoptère moyen, comme le H-160M à venir, accompagné d’un drone de reconnaissance comme le S-100.

Notons toutefois que ceci constitue l’armement théorique de la Gowind 2500 ou de la Gowind 300, tel que mis en œuvre par la Marine égyptienne, par exemple. Il faut espérer, dans ce dossier, que la Marine nationale, et le ministère des Armées, ne tailleront pas dans les équipements et capacités de ses futures corvettes, à des fins d’économie, alors que l’ensemble de ces capacités aura certainement un rôle à jouer, sur la plupart des territoires ultramarins français, protégés par les Floréal aujourd’hui.

Un besoin qui dépasse le seul remplacement des frégates de surveillance pour la Marine nationale

Le choix de la Gowind, pour remplacer les frégates de surveillance, ouvre d’ailleurs une autre opportunité, pour la Marine nationale. Celle-ci devra, en effet, au même moment, s’atteler au remplacement des 5 Frégates légères Furtives de la classe la Fayette.

Pour l’heure, le statut des FLF est pour le moins floue. Jusqu’il y a peu, celles-ci étaient qualifiées de frégates de second rang, venant en support des 15 frégates de 1ᵉʳ rang (théoriques), formant la flotte d’escorteurs de la Marine nationale.

Frégate légère Furtive Surcouf Classe La Fayette
Les FLF de la classe La Fayette, comme ici le Surcouf, ont activement contribué à la protection des grandes unités navales françaises, en dépit d’un armement insuffisant.

Toutefois, en raison des atermoiements ayant entouré le programme FREMM, et la commande des 5 FDI, 3 de ces frégates ont été bombardées, assurément plus politiquement qu’opérationnellement parlant, frégates de premier rang intérimaires, après avoir reçu un sonar d’étrave, dans l’attente de la livraison des 5 FDI.

Pour autant, le besoin d’une flotte d’escorteurs de second rang, est plus important que jamais, alors que les Patrouilleurs Hauturiers à venir, par leurs spécificités et leur armement, ne pourront pas assurer de réelles missions d’escorte. En d’autres termes, pour retrouver son plein potentiel opérationnel, la Marine nationale aura besoins, parallèlement au remplacement des Floréal, d’engager le remplacement des FLF.

Or, pour ce type de mission, également, les Gowind 2500/3000 s’avèreraient adaptées, précisément en raison de leurs capacités opérationnelles étendues. Qui plus est, en étendant la flotte de Gowind avec homogénéité, la Marine nationale disposerait d’une grande souplesse opérationnelle, notamment pour assurer la permanence de la mission surveillance outre-mer, même lorsque les navires seront en maintenance programmée, ou pour palier d’éventuelles fortunes de mer.

Des leviers puissants pour Naval group pour s’imposer sur certains contrats exports en négociation

La commande de Gowind par la Marine nationale, qu’il s’agisse que de remplacer les 6 frégates de surveillance, ou, comme on peut l’espérer, pour remplacer de la même manière, les cinq frégates légères furtives, conférerait à Naval group, et l’ensemble de la branche navale de la BITD française, de puissants arguments, pour s’imposer dans certains contrats actuellement en discussion.

Rappelons, en effet, que la Grèce et l’Indonésie négocient, aujourd’hui, avec la France, la possibilité de commandes des Gowind 2500, mais aussi que Naval Group reste engagé dans la compétition roumaine, malgré l’échec des négociations initiales. Ces trois dossiers représentent, en effet, de 10 à 16 navires supplémentaires, avec, le plus souvent, des fabrications locales.

Construction Gowind Emirats arabes unis
Naval Group est engagé dans deux négociations avancées concernant la possible acquisition de corvettes Gowind 2500 avec l’Indonésie et la Grèce.

Or, la possibilité, pour la France, de confier à ses futurs clients, la construction d’une ou deux nouvelles Gowind, destinées à la Marine nationale, constituerait un argument considérable pour s’imposer et emporter la décision.

Rappelons que la construction locale représente autour de 40 % du prix total du navire. Il resterait donc, pour l’industrie navale française, 60 % de la valeur totale, produite en France, sur lesquelles le retour budgétaire, pour l’État, atteint 50 %. En d’autres termes, pour trois corvettes exportées, l’état récupère, en matière de retour budgétaire, l’équivalent du prix d’une corvette.

Il est donc tout à fait possible, et même pertinent, de proposer à Athènes, à Jakarta, et même à Bucarest, la commande d’une Gowind destinée à la Marine française, assemblée dans leurs chantiers navals respectifs, par lot de trois corvettes de même type, commandé auprès de Naval Group, si tant est qu’elles reprennent suffisamment d’équipements standardisés français. Ce sans même parler des éventuels crédits européens qui pourraient être sollicités, si au moins deux autres pays de l’UE, intégraient cette initiative.

Une commande globale plus importante, que pour la seule Marine nationale, permettrait aussi de faire évoluer, en partie, le modèle Gowind, notamment pour y intégrer certaines capacités nouvelles, par exemple, en matière d’armes à énergie dirigée, de guerre des drones, voire des capacités complémentaires, comme la mise en œuvre d’USV de guerre des mines, au travers de modules de mission.

Vers un semi-échec du programme European Patrol Corvette ?

Reste que cette confirmation, donnée par le vice-président de Naval Group, tend également à confirmer les difficultés rencontrées autour du programme European Patrol Corvette. Jusqu’il y a peu, le remplacement des Floréal, devait justement s’appuyer sur cette initiative, qui rassemble, outre la France, l’Italie, l’Espagne, la Grèce, le Danemark et la Norvège, dans le cadre de la Coopération Permanente Structurée de l’Union européenne, ou PESCO.

programme European Patrol Corvette
Le programme European Patrol Corvette, semble se tourner vers un pool de briques technologiques, et non vers la conception de classes de corvettes communes aux marines européennes.

Ainsi, la décision française de se tourner vers la Gowind, fait écho aux informations ayant filtré depuis quelques mois, selon lesquelles le programme EPC rencontrait effectivement des difficultés, et qu’il allait se transformer en pool de briques technologiques proposées à ses participants.

Dit autrement, les industriels et/ou les marines, ne sont pas parvenues à s’entendre, pour se partager la tâche, un problème que l’on sait, récurrent, dans ce type de coopération se voulant structurante pour la pérennité des industriels. Notons, cependant, que la transformation en pool de briques technologiques, précède bien souvent, dans ce type de programme, un abandon pur et simple.

Conclusion

Si la décision de la Marine nationale de se tourner vers la corvette Gowind, pour remplacer ses frégates de surveillance de la classe Floréal, marque, certainement, le début de la fin pour le programme EPC, elle constitue, en revanche, une excellente nouvelle, pour la Marine nationale, ainsi que pour l’industrie navale française.

Si tant est que la Marine française parvienne à équiper correctement ses nouvelles corvettes, celles-ci apporteront des capacités opérationnelles sans commune mesure pour la sécurisation des espaces ultramarins français, dans un monde qui voit les tensions croitre rapidement, y compris dans le domaine naval.

Frégate Languedoc
Avec seulement 15 escorteurs de premier rang, le format de la Marine nationale est insuffisant pour répondre aux évolutions des menaces. Le remplacement des FLF par des Gowind 2500, permettrait certainement de combler en grande partie cette faiblesse.

Cette décision est d’autant plus pertinente, qu’elle permettrait, par ailleurs, de remplacer conjointement les frégates légères furtives, pour redonner à la Marine nationale, les capacités d’escorte qui seront nécessaires pour répondre aux évolutions du contrat opérationnel à venir, tout en disposant d’une bien plus grande souplesse dans le déploiement de ses moyens sur les océans.

Enfin, elle ouvre des perspectives appréciables, pour concrétiser certaines négociations commerciales en cours, permettant de faire d’une pierre, deux coups, pour l’industrie navale française, mais aussi pour les finances publiques, qui bénéficieraient grandement des subsides ainsi générés.

Reste à voir si le ministère des Armées, la Marine nationale, ainsi que Naval group, sauront s’entendre pour saisir l’ensemble des opportunités qu’ouvre cette décision, et qui pourraient nécessiter des décisions et des annonces plus rapides, que ne le prévoit le présent calendrier.

La hausse des prix des équipements de défense peut-elle être maitrisée ?

Dès qu’il est fait référence à la hausse des prix des équipements de défense, il est commun de citer la célèbre loi d’Augustine, qui anticipait, dès 1970, une hausse bien plus rapide des prix des équipements de défense, face à celle des budgets défense avec, à terme, une diminution sensible des formats des armées.

Force est de constater que les faits, ces 30 dernières années, semblent donner raison à Norman Augustine, qui était directeur de Lockheed Martin lorsqu’il formula cette théorie. Ainsi, alors que le budget des armées françaises a plus que doublé depuis 1994, le format des grandes capacités militaires françaises a, lui, été divisé par deux, parfois davantage, passant de 900 à 200 chars de combat, de 600 à 225 avions de combat, ou encore de 2 porte-avions et 30 escorteurs de haute mer, à un unique PA, et seulement quinze escorteurs.

Cette concentration est en grande partie liée à la hausse des couts des équipements de défense, à l’achat, comme à la possession, très supérieure à l’inflation seule et aux hausses des budgets militaires. Il est donc essentiel de comprendre les causes pouvant expliquer ces hausses et, éventuellement, identifier les approches susceptibles de les contenir et limiter, au profit de la masse, désormais indispensable, pour faire face à la menace.

Le prix des équipements de défense occidentaux a presque triplé en 30 ans

Le fait est, en de nombreux aspects, les prix des équipements des armées ont considérablement augmenté, depuis les années 90 et la fin de la guerre froide. Et ce, dans l’ensemble de la sphère occidentale, et concernant l’ensemble des catégories d’équipements.

Rafale C Mirage 200D
Le Rafale remplace à lui seul, 8 modèles d’avion de chasse, au sein des forces aériennes et aéronavales françaises. Toutefois, le nombre d’appareil total a été divisé par 3 depuis 1990, alors que le prix unitaire par appareil, lui, a été multiplié par 3.

Ainsi, en France, l’avion de chasse standard en 1995, le Mirage 2000C, coutait à peine plus que 25 m€, avec un cout à l’heure de vol, inférieur à 3 000 €. Aujourd’hui, le Rafale coute autour de 100 m€ par appareil, et un cout à l’heure de vol supérieur à 10 000 €. De même, les cinq frégates légères furtives, acquises par la Marine nationale, avaient été achetées pour moins de 1 Md€, conception incluse, contre 4 Md€ pour les 5 frégates de defense et d’intervention à venir.

Certes, les capacités opérationnelles des FDI, comme celles du Rafale, sont très supérieures à celles de la FLF ou du Mirage 2000C RDI. Pourtant, même lorsqu’il s’agit du même équipement, les prix ont considérablement, en seulement vingt ans. Par exemple, le missile américain FIM-96 Singer coutait moins de 30 000 $ l’exemplaire en 1995. Il est aujourd’hui facturé plus de 400 000 $ à l’US Army, et aux clients américains du FMS.

Le F-16 Block 15, des années 90, était vendu de 25 à 30 m$ l’appareil. Le Block 70 Viper approche, dorénavant, les 80 m$. Même le missile Aster 15, initialement acheté pour armer le Charles de Gaulle en 1998, était alors facturé presque 40 % moins cher, qu’il ne l’est aujourd’hui. De même, le Leopard 2 ou l’Abrams américain étaient proposés à moins de 3 m$ en 1995. Ils dépassent, aujourd’hui, les 15 m$.

On comprend, dans ces conditions, comment ces hausses de prix, sont venues considérablement grever les formats et les budgets des armées. Le sujet est d’autant plus préoccupant, que ces hausses ne sont pas mondialement homogènes.

Ainsi, le T-90A russe était acheté entre 1 et 1,5 m$ par l’Armée russe dans les années 90, alors qu’il reste sous la barre des 3 m$ aujourd’hui. Autrement dit, là où un Leopard 2 coutait le prix de deux T-90 en 1995, il coute, aujourd’hui, le prix de 5 T-90M, un char pourtant très capable.

Quelles sont les causes de ces augmentations de tarifs des équipements de défense en occident ?

Pour répondre aux besoins des armées, la solution la plus évidente, par ailleurs largement employée, y compris au niveau parlementaire, est de réclamer une hausse des investissements consacrés à l’acquisition de ces équipements.

equipements de défense frégate FREMM
en passant de 17 à 8 exemplaires commandés, le prix du contrat FREMM pour la Marine nationale est passé de 8 Md€, à 8 Md€ …

Pourtant, il pourrait être utile de se pencher sur les causes de ces hausses de prix, ceci pouvant, éventuellement, faire émerger certaines pistes, précisément pour augmenter le format des armées, sans devoir en passer par une hausse massive des crédits.

Les conséquences de l’inflation

L’inflation peut apparaitre, dans ce domaine, comme un coupable désigné très commode. En effet, celle-ci est particulièrement ressentie au sein de l’opinion publique, de sorte qu’il est facile de lui faire porter la responsabilité de ces hausses.

Cependant, l’inflation cumulée, en France, de 1990 à 2020, n’atteint que 60 %, et 98 % aux États-Unis. Difficile, dans ces conditions, de lui attribuer la seule responsabilité du triplement du prix des avions de combat, ou du prix du Stinger multiplié par 16, sur la même période.

De manière intéressante, l’évolution du PIB est plus proche des hausses constatées, sans pour autant les égaler. Ainsi, la France a vu son PIB croitre de 108 % de 1990 à 2020, et les États-Unis, de 350 %, passant de 6 à 21 000 Md$. Pour autant, il est conceptuellement difficile de faire un lien entre la hausse du PIB et la hausse du prix des équipements de défense.

Quoi qu’il en soit, l’inflation étant une donnée macro-économique majeure, il n’est pas possible de l’influencer sensiblement, concernant les prix des équipements de défense. Il faut donc admettre ce paramètre, et étudier d’autres pistes.

La variabilité de l’engagement public

Le manque de constance, dans l’engagement pris par les différents états, vis-à-vis des industriels de défense, a, en revanche, plusieurs fois montré des effets considérables sur le prix final des équipements de défense.

Hélicoptère tigre HAD
Le prix unitaire de l’hélicoptère Tigre est apssé de 18 à 37 m€, lorsque la France et l’Allemagne ont divisé par trois leurs objectifs de commande.

Ainsi, la France devait, au début des années 90, commander 215 hélicoptères de combat Tigre, coproduits avec l’Allemagne. La fin de la guerre froide, et les bénéfices de la paix, amenèrent Paris à considérablement réduire ses objectifs dans ce domaine, passant à 67 exemplaires seulement.

Le prix unitaire, lui, est passé de 15 m€, à 37 m€, pour répercuter les effets de cette baisse de volume. À noter que l’Aviation Légère de l’Armée de Terre a dû conserver ses hélicoptères Gazelle pendant plus de 30 ans, engendrant des surcouts de maintenance très élevés, pour palier l’absence du remplacement d’une partie d’entre eux, par les Tigre.

L’exemple est encore plus sensible concernant les frégates FREMM. En 2008, la Marine nationale devait commander 17 frégates, produites de 2012 à 2022, à un rythme de 1,7 navire par an. Le prix par coque, proposé par DCNS (Naval Group), était alors de 450 m€. En plusieurs étapes, le nombre de FREMM françaises fut ramené à 8 exemplaires, produites, là encore, de 2012 à 2022, mais pour un prix unitaire dépassant les 800 m€.

En d’autres termes, la Marine nationale a dû débourser, pour ses 8 frégates, conception comprise, autour de 8 Md€, soit autant que ne le prévoyait le contrat initial, mais pour 17 navires. Pire, elle a dû commander, par la suite, 5 frégates FDI pour 4 Md€, pour atteindre le format de 15 frégates de premier rang, requis par le Livre blanc de la défense de 2013.

Au-delà des changements dans les contrats eux-mêmes, ces variations dans la fiabilité des engagements pris par les états occidentaux, vis-à-vis des industriels, ont amené ces derniers, à intégrer ce risque dans leurs cotations, donc dans le prix final.

Selon certaines sources, ce critère représenterait, aujourd’hui, jusqu’à 20 à 25 % du prix final d’un équipement de défense, surtout dans les pays ayant un cadre social strict, comme la France.

Polyvalence, évolutivité et sur-spécification des équipements modernes

Pour faire face à la hausse des couts des équipements de défense, les armées se tournèrent, dans les années 80, vers de nouveaux paradigmes, permettant de faire autant et aussi longtemps, avec moins d’équipements.

Rafale B ASMPA
Si le Rafale peut effectuer les 4 principales missions de l’Armée de l’Air et de l’Espace, il ne peut, en revanche, être à trois endroits à la fois.

La polyvalence s’est, ainsi, rapidement imposée dans la plupart des programmes de défense. Ainsi, le Rafale français est, aujourd’hui, capable d’assurer, à lui seul, les missions des huit avions de combat qui le précédaient : le Mirage 2000C et le F-8 Crusader pour la défense aérienne ; le Jaguar, le Super-Étendard et le F-1CT pour l’attaque ; le Mirage 2000N pour la frappe nucléaire ; et le F-1CR et l’étendard IVP, pour la reconnaissance. Non seulement le nouveau chasseur français est-il multimission, mais il est capable d’assurer plusieurs de ces missions, simultanément, lors d’un même vol.

Dans le même temps, l’appareil fut doté d’une évolutivité remarquable. Ainsi, même les premiers Rafale M au standard F1, spécialisés dans la défense aérienne du porte-avions, entrés en service de 2000 à 2002, ont été amenés au standard multimission F-3R aujourd’hui, alors que trois autres standards intermédiaires ont fait évoluer l’ensemble de la flotte, au fil des années. De fait, bien que conçu dans les 90, le Rafale demeure aujourd’hui un appareil parfaitement moderne, ceci expliquant, entre autres, ses récents succès commerciaux.

Dans le même temps, toutefois, le nombre d’appareils a été considérablement revu à la baisse, passant de 700 avions de chasse, dont une centaine pour l’aéronautique navale, en 1990, à seulement 225, dont 41 pour armer l’unique porte-avions Charles de Gaulle.

En effet, la polyvalence et l’évolutivité ont un prix, un Rafale coutant le prix de presque 3 Mirage 2000, ceci expliquant, d’ailleurs, que la flotte de chasse française a, elle aussi, été divisée par 3, pour une empreinte budgétaire finale sensiblement identique sur le budget des armées.

Will Roper
Will Roper avait modélisé les effets délétères de la polyvalence, de l’évolutivité et de la concetration indsutrielle, sur l’evolution du prix d’acquisition et de mis en oeuvre des avions de chasse de l’US Air Force.

Ces couts avaient été identifiés précisément par Will Roper, lorsqu’il dirigeait les acquisitions de l’Us Air Force. Selon lui, revenir à une flotte plus large, avec des appareils plus spécialisés, et à durée de vie plus courte (15 ans contre 30), feraient même baisser l’empreinte globale du cout de la chasse américaine, sur le budget du Pentagone, tout en augmentant sensiblement son efficacité et sa résilience au combat.

Il faut dire qu’aux États-Unis, en particulier, un autre biais est venu s’ajouter aux effets délétères de la polyvalence et de l’évolutivité, à savoir la sur-spécification. Les militaires américains ont, en effet, montré un puissant penchant technologiste, voire à exiger des industriels de défense, des performances incompatibles.

Ce travers a été observé notamment dans le programme OMFV, qui devait remplacer les M2 Bradley. Le blindé demandé devait, en effet, avoir un niveau de protection supérieur à celui du Bradley actuel, tout en étant considérablement plus léger, pour pouvoir être aérotransporté par avion C-17. Au final, le programme dut être annulé, aucun industriel ne s’estimant capable de répondre à ces demandes.

De même, alors que le choix du modèle FREMM italien, pour les frégates de la classe Constellation de l’US Navy, devait permettre de produire rapidement et de manière économique, une flotte de frégates pour regagner de la face à la Chine, l’US Navy n’a eu de cesse que d’imposer des modifications et de nouvelles spécifications. Le navire résultant de ces altérations n’a plus, aujourd’hui, que 15 % de composants communs avec le modèle initial. Il coute aussi 50 % plus cher, et le programme a pris trois ans de retard.

Ces exigences, parfois déraisonnables, ou superfétatoires, ont une influence d’autant plus importante sur le prix final des équipements (et les délais des programmes), que la plupart de ces programmes modernes portent, en eux, des avancées technologiques non matures, plutôt que de recourir à des démonstrateurs pour cette mission.

Privatisation et concentration des industries de défense

Le dernier aspect, et non des moindres, expliquant ces hausses de prix des équipements de défense, repose sur la transformation du paysage industriel défense occidental. En effet, depuis 1990, celui-ci s’est considérablement transformé, en Europe comme aux États-Unis.

F-35
Le F-35A coute, à l’achat, le même prix que le Rafale C. Il coute, en revanche, plus de trois fois plus cher à posseder que le chasseur français, tout en ne volant que la moitié des heures du Rafale.

Outre Atlantique, déjà, la cinquantaine de grands groupes défense des années 90, a été fusionnée en cinq groupes majeurs : Lockheed Martin, Boeing, RTX, Northrop Grumman et General Dynamics. De fait, dans de nombreux domaines, ces industriels sont en position de monopole, engendrant des excès très sensible dans certains couts, en particulier pour ce qui concerne la maintenance.

Ainsi, si le F-35 demeure un appareil abordable, avec un prix comparable à celui du Rafale ou du Typhoon, ses couts de possession, rapportés au nombre d’heures de vol annuels effectués, sont trois à quatre fois plus importants que ceux des avions européens. De même, le prix de certaines pièces détachées, a été multiplié par dix en quelques années seulement, précisément parce que l’industriel sait qu’il se trouve en position de monopole.

L’Europe n’a pas été épargnée par cette transformation. En France, le passage d’une logique d’Arsenaux, des entreprises publiques produisant les besoins des armées françaises, à des entreprises privées ou d’économie mixte, s’est imposé dans l’ensemble du paysage, qui plus est, parfois, avec un tropisme européen marqué (Aérospatial vers Airbus Helicopters, Matra vers MBDA, GIAT vers KNDS).

En se privatisant, et en perdant le statut d’arsenal pour certaines (GIAT, DCN..), ces entreprises ont dû, également, transformer leurs méthodes de production, et de négociations avec l’État. Là encore, la notion de gestion du risque s’est imposée sur la planification industrielle, donc sur le prix final des équipements, avec, à termes, une hausse sensible des couts unitaires des équipements.

Les couts de l’industrie de défense nationale sont-ils fixes ?

Il apparait, de ce qui précède, que la gestion du risque constitue une composante importante de la hausse des prix constatés, en particulier en France. Fort naturellement, les entreprises facturent, à l’état, la transformation de leur outil industriel, pour répondre aux demandes de production, mais aussi le risque que représente la fin d’activité dans ce domaine, qu’elle soit, ou non, précipitée.

FREMM Aster
Frégate FREMM et missile Aster

Dans ce domaine, l’exemple des frégates FREMM, s’avère particulièrement instructif. En effet, au final, Naval Group aura facturé à l’état, le même montant, sur la même durée, même si la production, elle, a été divisée par deux.

Se pose alors la question d’un éventuel prix fixe de l’industrie de défense, par secteur, pour maintenir des capacités de conception et de production modernes ? En effet, selon cet exemple, le prix final d’un équipement repose davantage sur la durée de mobilisation garantie de l’outil industriel, que sur le nombre d’équipements produits.

Ce constat peut, d’ailleurs, aisément se comprendre. L’industrie de défense est, par nature, un sujet d’état, puisque celui est son principal client, avec 65 % du CA de la BITD française, et qu’il contrôle fermement ses exportations. Dans ces conditions, et sachant que la capacité industrielle nécessite un plancher de compétences et d’activité, il semble compréhensible que l’industriel facture à l’État ce risque, ceci venant sensiblement augmenter les prix unitaires des équipements.

À ce titre, la commande des 5 FDI françaises, pour 4 Md€, ou les commandes récurrentes de 11 Rafale par an, lorsque l’avion ne s’exportait pas encore, relevaient précisément de cet aspect. Toutefois, ces deux commandes n’étaient pas contractualisées de manière pérenne. Les industriels ont donc dû, par ailleurs, sécuriser les conséquences d’un éventuel refus de l’état de sécuriser son outil industriel.

Transformer la gestion du risque industriel et ses effets sur les couts des équipements de défense

On le voit, la gestion du risque industriel, constitue, très certainement, l’un des leviers les plus efficaces, pour maitriser la hausse ininterrompue des équipements de défense. C’est, en effet, probablement là que se trouvent les plus grandes marges de manœuvre, aux mains des ministères de tutelles, pour les pays disposants d’une base industrielle et technologique défense, comme la France, ou les États-Unis.

FDI Naval group
Le site industriel de Lorient de naval Group doit produire au moins une frégate par an, pour maintenir ses compétences industrielles.

Ainsi, une fois admis que l’activité industrielle défense globale représente un enjeu stratégique pérennisé de l’État, il conviendrait de définir, avec les industriels, deux valeurs spécifiques, à savoir le seuil de pérennisation, d’une part, et le niveau de production optimisé, de l’autre.

Le premier concerne l’activité minimum en dessous de laquelle le maintien de l’activité et de la compétence, dans la durée, s’avèrerait impossible. Ainsi, si celle-ci s’établit à une frégate par an, pour Naval group, l’État français devrait s’engager à garantir, sur une durée significative de 15 ans ou plus, cette activité auprès de l’industriel, que ce soit pour ses armées, ou pour les proposer à l’exportation à des partenaires privilégiés, comme dans le cas du FMS américain.

Ceci permettrait, déjà, d’éliminer presque complément la gestion du risque systémique dans les programmes industriels de défense, et donc de réduire sensiblement les prix, de manière immédiate. Notons que cela concerne autant l’activité de production industrielle, que l’activité de conception, ce qui peut supposer de revenir, en partie, sur le paradigme d’évolutivité et de polyvalence des équipements, puisque l’activité technologique et industrielle demeure, elle, fixe.

Ensuite, industriels et services de l’État doivent déterminer le niveau de production optimale par équipement, ou famille d’équipements. Par exemple, pour Naval Group, il semble que le passage d’une frégate par an, à 1,7 frégate par an, permet de diviser par deux le prix des équipements produits.

Dans ce contexte, il n’y a aucun intérêt à ne pas produire les 1,7 frégate chaque année, quitte à produire des navires surnuméraires, pouvant par la suite être proposés sur la scène internationale, voire réaliser une montée en gamme capacitaire pour certaines missions, habituées à des navires moins performants.

Conclusion

On le voit, la hausse très importante des prix des équipements de défense, résulte, en partie du moins, de certains arbitrages passés. Toutefois, dans ce domaine, c’est certainement dans la relation contractuelle entre l’état et les industriels, en particulier pour ce qui concerne la gestion du risque, que les solutions les plus efficaces peuvent être trouvées.

VBCI Philoctete
VBCI Philoctete

Ainsi, plutôt que d’exiger des hausses de production, ou, au contraire, d’annuler ou de réduire, unilatéralement, des engagements de commande, l’état aurait tout intérêt de s’impliquer plus profondément, dans la gestion du risque industriel, pour faire émerger une meilleure connaissance des effets de seuils qui, aujourd’hui, se répercutent sur le prix des équipements et, au final, sur le format des armées.

Au contraire, en étudiant, avec les industriels, les valeurs de seuils de production minimale, d’une part, et le niveau optimal de production, de l’autre, il serait assurément possible de faire émerger des modèles beaucoup plus efficaces, pour équiper les armées, mais aussi pour soutenir les exportations, sans jamais augmenter l’empreinte budgétaire finale sur le budget des Armées ou de l’État.

Reste que pour y parvenir, il faudrait accepter de remettre en question certains paradigmes valant, aujourd’hui, dogmes, comme la polyvalence et l’évolutivité des équipements, pourtant contestables, ainsi que la concentration excessive industrielle, porteuse de conséquences parfois délétères, sur le paysage industriel, donc sur la concurrence.