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F-22, Ticonderoga, F-15EX … : pourquoi le Congrès et les armées américaines s’opposent-ils sur les futures acquisitions et les retraits anticipés ?

Chaque année, le passage au Congrès des projets de financement des armées américaines, est l’occasion d’un bras de fer féroce, entre sénateurs et représentants, d’une part, et les responsables civils et militaires du Pentagone, de l’autre.

Ces dernières années, toutefois, ce bras de fer, qui portait le plus souvent sur des questions d’équilibre des investissements, et de protection des investissements locaux, s’est transformé en une confrontation de fond, à front renversé. En effet, ce sont les parlementaires qui s’opposent aux retraits ou réduction des achats, demandés par les militaires.

S’opposent donc les demandes des armées américaines, en particulier pour ce qui concerne le retrait de certains équipements, et la réduction des formats d’acquisition d’autres, et l’analyse faite par les parlementaires, quant aux conséquences de ces réductions de format, sur les capacités de réactions militaires américaines.

Cette année encore, cette opposition s’est accentuée, au point que l’on peut s’interroger sur ses fondements, mais aussi sur la possibilité d’en sortir, à l’avenir, et la manière d’y parvenir, le cas échéant ?

Le Congrès bloque le retrait des F-22 et étend l’acquisition de F-15EX de l’US Air Force.

Le projet de loi de finance 2025 pour l’US Air Force, prévoyait, ainsi, le retrait de 250 aéronefs, dont 56 A-10 Thunderbolt II, 65 F-15C et D, 11 F-16, ainsi que 20 F-22 et 26 F-15E, pour ne parler que de la flotte de chasse. Si les représentants ont cédé sur la nécessité de se défaire des A-10, jugés trop vulnérables, ainsi que des F-15 et F-16 en fin de potentiel, ils ont retoqué, en revanche, la demande concernant les F-22 et le F-15E.

Congrès Commission défense de la chambre des représentants
La commission défense de la Chambre des Représentants du Congrès américain.

Les Raptor, qui appartiennent à la flotte de 32 Block 10 actuellement en service, sont jugés par l’US Air Force comme insuffisamment prêts, technologiquement parlant, pour une utilisation opérationnelle, pas sans devoir y investir des crédits importants de mise à jour. Alors que le NGAD, qui doit remplacer les F-22 à partir de 2030, se profile, de tels investissements apparaissent, donc, superflus.

La lecture faite de la même situation, par les parlementaires, est cependant très différente. S’ils reconnaissent que les F-22 Block 10 sont moins efficaces que les Block 20, ils estiment que les appareils demeurent supérieurs à tout autre avion de chasse moderne, qui pourrait lui être opposé, dans les années à venir.

Alors qu’un conflit ou une crise majeure peut éclater dans les années à venir, avec un court préavis, sur différents théâtres, ils jugent donc inapproprié de se priver de ces appareils, pour réaliser des économies budgétaires minimes, en se privant d’un potentiel de réponse significatif.

Il en va exactement de même concernant les 26 F-15E dont le retrait a été demandé par l’Us Air Force, au prétexte que ces appareils ne disposent plus d’un potentiel moteur suffisamment important, pour attendre l’échéance de remplacement par le F-35. Là encore, pour les parlementaires, il s’agirait de se priver d’un potentiel opérationnel immédiat pouvant s’avérer très utile dans les années à venir, afin de libérer des crédits minimums.

f-15 US Air force
F-15 US Air Force.

Enfin, alors que l’US Air Force a annoncé son intention d’arrêter l’acquisition de nouveaux F-15EX en 2026, après que 98 exemplaires ont été commandés, les parlementaires ont retoqué cette décision, ajoutant une commande à venir de 24 nouveaux appareils, pour 2026, et ainsi atteindre une flotte de 122 aéronefs.

Cet arbitrage parlementaire permettra de garder la ligne de production Boeing de Saint-Louis active, dans l’attente de commandes export à venir, en particulier celle concernant 50 F-15EX évoquée par Israël, alors que d’autres discussions sont en cours, en Indonésie et en Arabie Saoudite.

Le retrait de deux croiseurs Ticonderoga reporté, et un sous-marin Virginia supplémentaire commandé en 2025 pour l’US Navy

Le projet de loi concernant les acquisitions et retraits du service de l’US Navy, a connu une trajectoire très similaire à celui de l’US Air Force. Ainsi, sur les quatre croiseurs de la classe Ticonderoga dont le retrait a été réclamé par la Marine américaine, seuls deux pourront effectivement quitter le service. Les croiseurs USS Shiloh (CG 67) et USS Lake Erie (CG 70) devront, quant à eux, être maintenus, au moins jusqu’à 2026.

De la même manière, les représentants ont ajouté un second sous-marin de la classe Virginia Flight IV, à la liste des navires qui seront commandés en 2025. La décision de l’US Navy, de ne réclamer qu’un unique Virginia, cette année, plutôt que les 2 traditionnels depuis 2011, avait été vivement critiquée par les parlementaires américains, alors que le remplacement des SSN classe Los Angeles, et l’extension de la flotte pour atteindre 66 sous-marins en 2045, semble peiner à décoller.

Sous-marin classe virginia US Navy
Sous-marin nucléaire d’attaque classe Virginia

L’US Navy avait expliqué, pour justifier de cette décision, que les chantiers navals américains, en charge de la construction des SSN classe Virginia, rencontraient toujours de nombreuses difficultés pour atteindre le rythme de production effectif de deux sous-marins par an.

Elle prévoyait de consacrer une partie des crédits préservés, par la commande d’un unique Virginia en 2025, pour accompagner la transformation nécessaire de ces chantiers navals, y compris dans le domaine du recrutement de la main d’œuvre nécessaire, sur cette année.

Une défiance croissante entre les parlementaires américains et la planification militaire du Pentagone

Les arguments de l’US Navy n’ont toutefois pas suffi à convaincre les parlementaires américains. Il faut dire qu’un véritable climat de défiance s’est installé entre eux et les armées américaines, sur fond de programmes ratés, ne respectant pas leurs délais ou leurs ambitions, et engloutissant des sommes considérables, sans résultat probant.

On peut, à titre d’exemple, citer les programmes LCS et Zumwalt, de l’US Navy, ayant absorbé, à ce jour, presque 40 Md$, sans qu’aucun de ces navires soit effectivement apte à renforcer la posture opérationnelle navale américaine, que ce soit dans le Pacifique, l’océan Indien, le golfe Persique ou en Méditerranée.

L’US Air Force, pour sa part, a encadré le développement du bien trop onéreux programme JSF, qui aura englouti presque 400 Md$ en R&D à ce jour, et pris presque 10 années de retard, alors que la livraison du F-35A est aujourd’hui suspendue, car incapable d’atteindre le standard requis pour préparer la transition vers le Block IV, premier standard pleinement opérationnel du chasseur.

Ce nouveau dérapage a d’ailleurs amené la commission défense de la chambre des Représentants, à bloquer l’acquisition de 10 des 65 F-35 commandés en 2025, tant que les garanties ne seront pas données, au sujet du respect des standards, par les industriels et les armées. Ce d’autant que les plus récents programmes KC-46 et T-7A, également pilotés par l’USAF, rencontrent, eux aussi, d’importantes difficultés, surcouts et délais supplémentaires.

Zumwalt LCS
Le programme Zumwalt et LCS ont consommé, à eux deux, l’équivalent budgétaire de 25 destroyers classe Arleigh Burke, ou de 40 frégates classe Constellation.

L’US Army, enfin, a dépensé près de 23 Md$ sans aucun résultat dans les programmes GCV et OMFV-1, devant remplacer les M2 Bradley, ces derniers restants toujours en service à ce jour, alors qu’aucune solution de remplacement n’a été effectivement choisie. Elle a, aussi, dépensé plus de 7 Md$ dans le programme FARA d’hélicoptère de reconnaissance et d’attaque, finalement annulé.

On comprend, dès lors, que les parlementaires américains se montrent, aujourd’hui, particulièrement attentifs, pour ne pas dire suspicieux, quant aux demandes de crédits et décisions des armées américaines, surtout lorsqu’il s’agit de réduire le potentiel opérationnel immédiat.

Ils savent, probablement d’expérience, qu’il faudra, nécessairement, le reconstituer par la suite, alors que le critère d’urgence tendra à mettre au second plan, les questions de surcouts, à ce moment-là.

Ceci explique, en grande partie, les refus des parlementaires, s’agissant de retirer des équipements du service, avant qu’ils puissent être effectivement remplacés, ou concernant la diminution des commandes d’équipements de génération intermédiaire, comme le F-15EX, selon le même raisonnement.

Les armées US face à l’impossible équation de la transformation dans la continuité aujourd’hui.

Évidemment, les armées américaines paient, aujourd’hui, dans leurs relations avec le Congrès, les errements, excès d’ambitions, biais technologistes et une certaine inefficacité, dont elles firent preuve, de 2000 à 2020.

Elles ne sont toutefois pas les seules à pouvoir être blâmées, à ce sujet. Ainsi, les sénateurs et représentants ont souvent, par leurs décisions, accentué les conséquences des arbitrages hasardeux faits par les armées US.

LCS classe Independance
Les parlementaires américains ont forcé l’US Navy à acheter une quinzaine de LCS, après que celle-ci ait reconnu que ces navires n’avaient pas d’utilité opérationelle.

Ce fut, par exemple, le cas lorsque l’US Navy décida d’arrêter la construction des LCS, une fois qu’il était devenu évident que ces navires n’atteindraient pas les capacités initialement visées, et qu’ils ne répondaient plus à l’évolution des besoins. Pourtant, les parlementaires américains l’ont forcé à acquérir encore 16 nouvelles unités, pour plus de 10 Md$, et ce, pour rien.

Outre le Congrès, l’exécutif US a, lui aussi, une part de responsabilité non négligeable, dans cette situation. Ainsi, après l’entame du retrait américain d’Irak et d’Afghanistan, alors que les tensions avec la Chine et la Russie devenaient évidentes, celui-ci n’a pas ordonné une réforme profonde, y compris des programmes d’équipements, comme ce fut le cas à la sortie de la guerre du Vietnam.

Pourtant, à ce moment-là, les alternatives existaient, avec le super programme BIG 6 de l’US Army, ou la transformation du programme NGAD modélisée par Will Roper. De même, le programme de frégate de la classe Constellation, qui devait apporter une réponse rapide et économique au manque d’escorteurs de l’US Navy, a, progressivement, été transformé en véritable Frankenship, n’ayant plus que 15 % en commun, avec les FREMM italiennes initiales, avec un cout augmenté de 50 %, et des délais rallongés de plusieurs années.

Surtout, les armées américaines souffrent, aujourd’hui, de la toute puissance économique et politique, des grands groupes industriels de défense américains, comme Lockheed Martin, Boeing RTX ou Northrop Grumman, qui sont dans une position dominante telle, qu’ils ne tolèrent aucune concurrence, et contrôlent un nombre bien trop élevé de leviers décisionnaires.

Le Pentagone peut-il recoller à une planification sereine et efficace ?

Dans ces conditions, on peut douter de la possibilité, pour le Pentagone, de recoller à une planification militaire efficace, et des relations apaisées avec le législatif, qui détient, dans ce domaine, la décision finale, outre-atlantique.

Marine chinoise Type 055 Type 052D Type 056
la plaification et production industrielle militaire chinoise, en particulier dans le domaine naval, s’avèrent considerablement plus efficaces que celles des Etats-unis.

Pour y parvenir, il serait, en effet, nécessaire, à la fois, de résoudre les problèmes immédiats de modernisation des armées américaines, au travers d’un nouvel effort comparable à celui qui fut produit au début des années 70 ; de recoller à une démarche d’évolution technologique basée sur des démonstrateurs, plutôt que de prototypes ; et d’accélérer le tempo technologique et industriel.

Or, cette trajectoire se heurterait à deux puissants écueils. D’une part, le budget américain, consacré à l’effort de défense, atteint déjà des montants colossaux, alors que la dette américaine en limite les marges de progression. Surtout, cette trajectoire prendrait à contre-pied les stratégies industrielles des grands groupes de défense américains, qui se satisfont très bien, aujourd’hui, des sommes dépensées pour faire, puis défaire, la même chose, au sein d’un même programme.

Dans ces conditions, on comprend que de telles transformations ne pourront advenir qu’à deux conditions : à l’occasion de l’arrivée au pouvoir d’un trublion capable de faire voler en éclat le modèle actuel, pour le reconstruire sur des bases plus saines, notamment en termes de gestion des couts, ou si les États-Unis devaient, à nouveau, se retrouver impliqués dans une guerre majeure, avec nécessité d’abandonner le confort du modèle actuel, pour retourner vers un modèle effectivement efficace.

Londres donne la priorité à la Royal Navy pour rester la première flotte européenne en 2030, et après

À la fin du mois d’avril 2024, Rishi Sunak, le premier ministre britannique, annonçait que les investissements de défense du pays seront amenés, d’ici à 2030, à 2,5 % du PIB, dans un effort global destiné à répondre aux évolutions des tensions internationales.

Depuis, les annonces se sont multipliées outre-manche, concernant la réorganisation de la programmation militaire britannique avec, par exemple, le retour de l’hypothèse d’une flotte de 138 F-35 à termes, au sein de la Royal Air Force.

C’est, cependant, la Royal Navy qui fait l’objet des plus grandes attentions de Londres, avec l’objectif évident de refaire de la Marine britannique, la plus puissante flotte européenne, ainsi qu’un acteur majeur sur la scène internationale, y compris dans le Pacifique.

La Royal Navy, la priorité de l’exécutif britannique, sur fond d’alliance AUKUS

Ainsi, ces derniers mois, plusieurs programmes clés ont été lancés, ou annoncés, pour la transformation de la Royal Navy, qu’il s’agisse du renouvellement de la flotte logistique avec le programme FSS, ou le renouveau de la flotte d’assaut amphibie avec le programme MRSS.

Les efforts produits par Londres, dans ce domaine, contrastent avec ceux qui seront consentis pour la modernisation de la British Army, plus que jamais, le parent pauvre des armées britanniques, alors que la Royal Air Force avait déjà engagé plusieurs programmes structurants, comme l’acquisition de E-7 Wedgetail, de P-8A Poseidon, ou la récente commande de 14 nouveaux CH-47 ER Chinook.

P-8A Royal Air Force
P-8A de la Royal Air Force

Toutefois, ces efforts semblent ternes en comparaison des 18 nouvelles frégates, six destroyers, six grands navires d’assaut, trois grands navires logistiques, ainsi que les sept sous-marins nucléaires d’attaque et quatre sous-marins nucléaires d’engins, qui sont, ou seront bientôt commandés par la Royal Navy, aux chantiers navals britanniques.

Ainsi, après n’avoir admis au service, sur les 10 dernières années, que 2 SNA classe Astute, 5 OPV classe River, et ses deux porte-avions de classe Queen Elizabeth, celle-ci s’apprête à recevoir, d’ici à 2034, treize frégates Type 026 et Type 031, les deux derniers SNA classe Astute, trois nouveaux navires logistiques, une partie des six nouveaux LPD d’assaut amphibie du programme MRSS ainsi que le premier des SNLE de la classe Dreadnought.

Et cela ne s’arrêtera pas à ce moment-là, puisque sur les 10 années suivantes, elle recevra les 3 derniers SNLE de la classe Dreadnought, 5 nouvelles frégates Type 32, les MRSS restants, ainsi que deux à trois des premiers SNA de la classe SSN-AUKUS, et les premiers destroyers Type 83, qui remplaceront les Type 45 les plus anciens.

Outre l’extension de la flotte elle-même, la Royal Navy recevra, également, de nouveaux systèmes évolués dans les années à venir, allant du laser antidrone DragonFire, aux différents drones destinés à embarquer à bord de ses deux porte-avions, en passant par de nouveaux missiles, y compris de croisière et hypersoniques.

La flotte de la Royal Navy en reconstruction et extension rapide

De fait, les annonces récentes, faites par Londres, dessinent un effort de modernisation sans précédent, depuis la fin de la guerre froide, pour faire, ou plutôt refaire, de la Royal Navy, la plus puissante force navale en Europe, et de la Grande-Bretagne, une puissance maritime qui ne cèdera, dans les faits, qu’aux États-Unis et à la Chine en matière de flotte de surface et de projection de puissance.

Les deux porte-avions classe Queen Elizabeth comme pivots de la puissance navale britannique

Les deux porte-avions britanniques, le HMS Queen Elizabeth, entré en service en 2017, et le HMS Prince of Walles, en 2019, seront, bien évidemment, les pivots centraux de cette puissance navale renouvelée.

porte-avions HMS Queen Elizabeth
Porte-avions HMS Queen Elizabeth

Bien que dépourvus de catapulte, ces navires de 284 mètres de long et 65 000 tonnes, demeurent, à ce jour, les deux plus imposants navires de guerre non américains en service sur les océans, dans l’attente de l’entrée en service de Fujian chinois.

Capables de mettre en œuvre jusqu’à 40 aéronefs, dont plus d’une vingtaine de F-35B, ils constituent les pièces maitresses de la capacité de projection de puissance, ainsi que de suprématie navale, de la Royal Navy, d’autant que, contrairement à la Marine nationale française, celle-ci dispose d’une réelle permanence opérationnelle.

Les capacités opérationnelles de ces navires seront étendues, dans les années à venir, par l’arrivée de différents modèles de drones, pour assurer les missions d’alerte aérienne avancée, de surveillance et sureté navales, une partie du train logistique, voire la fonction de Loyal Wingmen. Ces drones réduiront, de fait, l’écart qui sépare les porte-avions à tremplin britanniques, et ceux dotés de catapultes et de brins d’arrêt, qu’ils soient américains, français ou chinois.

Une flotte d’escorteurs de 6 destroyers et 18 frégates

Un temps menacée par les restrictions budgétaires, les contraintes RH ainsi que la hausse des couts d’acquisition des navires et de leurs systèmes d’arme, la flotte d’escorteurs de la Royal Navy, sera finalement maintenue dans son format de 24 navires, qui était le sien à la fin de la guerre froide, soit 6 destroyers spécialisés dans la défense aérienne, et 18 frégates multi-missions, disposant de capacités anti-sous-marines et de frappe vers la terre.

destroyer Type 45 classe Daring
Destroyer Type 45 classe Daring

Ainsi, les six destroyers Type 45 de classe Daring, entrés en service entre 2009 et 2013, seront remplacés, au-delà de 2030, par autant de destroyers lourds Type 83, actuellement en phase de conception initiale.

Les neuf frégates Type 23 classe Duke, qui complètent aujourd’hui les Type 45, pour les missions de lutte anti-sous-marine notamment, seront, quant à elles, remplacées par 8 frégates lourdes Type 26 de la classe City, dont la première unité, le HMS Glasgow, doit rejoindre le service actif en 2026 ou 2027.

La Royal Navy a, part ailleurs, commandé aux chantiers navals Babcock, 5 frégates Type 31 devant, elles aussi, être livrées de 2026 à 2030, pour ramener le format d’escorteurs britanniques à 19 navires, contre 15 aujourd’hui.

Toutefois, ces navires ayant été conçus « à l’économie », ils sont dépourvus de capacités de lutte anti-sous-marine, laissant cette mission aux seules 8 Type 26. Ce faible armement rapproche, d’ailleurs, les Type 31 britanniques, des FLF classe la Fayette françaises, longtemps classées comme frégates de second rang par la Marine nationale.

frégate Type 26 HMS Glasgow
Frègate Type 26 HMS Glasgow.

Pour palier cette faiblesse, face à la remontée en puissance de la flotte sous-marine russe, Londres a annoncé la construction d’une évolution de la Type 31, baptisée Type 32, dotées de moyens renforcés, et notamment de capacités anti-sous-marines.

À terme, donc, d’ici à 2035, la flotte d’escorteurs britanniques aura retrouvé son niveau de la fin des années 90, avec 6 destroyers anti-aériens et 18 frégates, dont 13 spécialisées dans la lutte anti-sous-marine.

6 grands navires amphibies du programme MRSS pour remplacer les 2 LPD classe Albion, les 3 RFA classe Bay et le RFA Argus

Depuis la vente du LHD HMS Ocean au Brésil, en 2018, la flotte d’assaut amphibie de la Royal Navy, ne dispose plus que des deux LPD de la classe Albion, pour ces missions spécifiques, épaulés par les trois navires logistiques d’assaut de la classe Bay. Pire encore, ces deux LPD de 176 mètres, et 20 000 tonnes, capables de projeter jusqu’à 400 Royal Marines, et une soixantaine de véhicules, ne sont que partiellement disponibles, faute de disposer d’équipages complets.

En dépit de ces difficultés RH, par ailleurs sans solution évidente, la Royal Navy a annoncé, cette semaine, le lancement du programme Multi Role Support Ship, une classe de 6 navires amphibies et d’appui logistique, destinés à remplacer simultanément, à échéance 2033/2034, les 2 LPD de la classe Albion, les 3 RFA de la classe Bay, et le navire de soutien RFA Argus.

HMS Albion et HMS Bulwark
HMS Albion et HMS Bulwark

Les nouveaux navires auront donc des capacités très étendues, vis-à-vis des bâtiments remplacés plus spécialisés, allant de l’assaut aéro-amphibie jusqu’au soutien logistique de la mission de projection de puissance, y compris aux bénéfices des autres unités de surface. Il faudra attendre que d’autres informations soient communiquées, au sujet de cette nouvelle classe, pour se faire une idée plus précise, du potentiel de cette approche innovante.

On remarque, toutefois, que le remplacement du porte-hélicoptères amphibie à pont droit, le HMS Ocean, n’est pas à l’ordre du jour. De toute évidence, la Royal Navy considère que ses deux porte-avions suffisent pour assurer ce type de missions, au profit de la flotte d’assaut.

3 nouveaux bâtiments logistiques avec le programme Fleet Solid Support

Enfin, la flotte de surface britannique recevra, à partir de 2032, trois nouveaux grands navires logistiques, avec le programme Fleet Solid Support, destinés à évoluer aux côtés des pétroliers ravitailleurs de 40 000 tonnes de la classe Tide.

Ces navires vont prendre la suite du RFA Victoria, un bâtiment logistique de presque 34 000 tonnes, entrés en service en 1994, notamment pour assurer le ravitaillement en vivres, munitions et pièces détachées, du groupe aéronaval ou aéro-amphibie britannique.

Programme Fleet Solid Support
Programme Fleet Solid Support

À noter que, contrairement aux pétroliers ravitailleurs des classes Tide et Wave, les futurs FSS pourront mener des actions opérationnelles de moindre intensité de manière autonome, comme la lutte anti-piraterie et anti-terroriste.

La Royal Navy va débourser 1,6 Md£ pour la conception et la construction de ces trois navires, qui devraient dépasser les 210 mètres et les 35 000 tonnes, être capables de transporter 7 à 9 000 m³ de matériels et équipements, et soutenir une vitesse de 19 nœuds, pour rester au contact du groupe aéronaval.

Le renouvellement de la flotte sous-marine avec la classe Dreadnought et les SSN-AUKUS

La flotte sous-marine britannique, elle aussi, sera profondément renouvelée dans les années à venir. Ainsi, le 6ᵉ sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Astute, le HMS Agamemnon, devrait entrer en service dans les mois à venir, alors que le HMS Agincourt (Azincourt en français), septième et dernière unité de la classe, rejoindra la Royal Navy en 2026.

Si le dernier Astute n’entrera en service que d’ici à deux ans, la conception de son successeur a déjà débuté, dans le cadre du programme SSN-AUKUS, rassemblant, autour de la Grande-Bretagne, les États-Unis, et surtout l’Australie, qui doit acquérir jusqu’à 5 de ces navires, entre 2035 et 2050.

Classe Dreadnought
Vue d’artiste du SNLE de la classe Dreadnought

Au cours de la prochaine décennie, la Royal Navy remplacera ses quatre SNLE classe Vanguard, entrés en service de 1993 à 1999, par les quatre sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, SSBN pour l’acronyme anglophone, de nouvelle génération de la classe Dreadnought.

Le programme, lancé en 2011, a vu la construction du premier navire de la classe éponyme, le HMS Vanguard, débuter en 2016, suivi en 2019 par le HMS Valiant, et en 2023, par le HMS Warsprite.

Longs de 153 mètres pour un tonnage en plongée de 17 000 tonnes, ces sous-marins, armés des mêmes 12 missiles balistiques Trident II D5 qui équipent aujourd’hui les Vanguard, porteront la dissuasion britannique jusqu’en 2060.

Une aubaine historique pour l’industrie navale britannique et ses exportations

Le renouvellement de la flotte britannique engendre, par ailleurs, une augmentation sensible de l’activité, présente et à venir, des chantiers navals du pays, un temps menacés par un carnet de commande trop réduit, dans les années 2000.

En effet, ce sont pas moins de 28 nouveaux navires qui sont à construire, dans les années à venir, par le plan présenté par la Royal Navy, y compris des navires de haute technicité, comme les frégates et sous-marins, ainsi que des navires de fort tonnage, pour la flotte logistique et l’assaut amphibie.

HMS Glasgow
Construction du HMS Glasgow

Cette hausse de l’activité va également profiter aux capacités d’exportation britanniques dans ce domaine. Ces dernières années, Londres a remporté plusieurs compétitions majeures, pour le remplacement des frégates australiennes et canadiennes, avec le Type 26, et la construction de frégates polonaises et indonésiennes, avec le modèle Arrowhead 140, qui a servi de base pour la conception de la Type 31.

Toutefois, une telle activité, très soutenue, mais concentrée sur une période relativement réduite, est à double tranchant. En effet, une grande partie de la flotte britannique aura été remplacée ou modernisée à partir de 2035, ne laissant que peu d’activité résiduelle jusqu’à 2050, et le remplacement de ces navires.

Dans ces conditions, les annonces récentes faites par la Royal Navy, mettent surtout en évidence un défaut de planification dans les années précédentes, qui nuit considérablement à une activité lissée indispensable au bon fonctionnement de l’activité industrielle.

Des ambitions sous contraintes, entre les difficultés RH de la Royal Navy et la variabilité de la programmation militaire britannique

Surtout, ces annonces semblent éviter les questions qui, aujourd’hui, handicapent le bon fonctionnement de la Royal Navy. La première d’entre elles est, évidemment, dans le domaine des ressources humaines.

En effet, ces derniers mois, la Royal Navy a été contrainte, comme d’autres marines européennes, à réduire l’activité de certains de ses navires, voire à les mettre en retrait, face à la crise des effectifs qui la touche, alors qu’elle perd ses personnels trois fois plus vite qu’elle ne parvient à les recruter.

C’est la raison pour laquelle deux des neuf frégates Type 23 classe Duke, encore en service, seront bientôt retirées du service, face à l’impossibilité de fournir des effectifs suffisants pour constituer leurs équipages. Il en va de même concernant les deux LPD de la classe Albion, en activité réduite depuis plusieurs mois, là encore, en raison de problèmes d’équipage.

Cadets Royal Navy
Cadets de la Rotal Navy

Or, pour l’heure, aucune des mesures annoncées par l’Amirauté britannique ou le ministère de la Défense, n’a été en mesure d’inverser cette spirale négative, qui menace, de manière évidente, l’exécution de ces ambitions. Quant à la volonté affichée de réduire, encore davantage, la taille des équipages, il ne s’agit certainement pas d’une solution efficace, pour faire face à une intensification des tensions navales internationales.

L’autre contrainte, devant être prise en compte, ici, n’est autre que le manque de fiabilité des annonces faites par les autorités civiles et militaires britanniques, quant à la planification défense du pays, depuis plusieurs années.

En effet, plus que tout autre pays européen, la Grande-Bretagne s’est faite une spécialité des effets d’annonce tonitruants, suivis, quelques mois plus tard, d’annonces contradictoires, ou tout simplement répétées, venant altérer la confiance que l’on peut avoir, dans le discours tenu par les autorités à ce sujet.

Ainsi, il convient de rappeler que l’objectif d’atteindre un effort de défense de 2,5 % du PIB, mis en scène dramatiquement par Rishi Sunak il y a quelques semaines, avait déjà été annoncé deux ans plus tôt par le gouvernement de Boris Johnson, elle-même faisant suite, un an plus tôt, à l’engagement d’atteindre 3 %, pris par cette même administration.

De même, si la communication britannique fait état d’une flotte d’escorteurs à venir de 24 navires, force est de constater que les 5 frégates Type 32, censées venir renforcer par des capacités opérationnelles supérieures, les 5 Type 31 à venir, ne sont toujours pas commandées, au grand dam des parlementaires du pays.

Conclusion

On le voit, si la Royal Navy est engagée dans un important effort de modernisation, pour lui redonner une puissance opérationnelle comparable à celle qui était la sienne, à la sortie de la guerre froide, cette trajectoire est loin d’être dénuée de questions, et de certains reproches.

Type 31
Vue d’artiste de la frégate Type 31

En effet, la principale faiblesse identifiée par la Royal Navy depuis plusieurs années, ses difficultés à maintenir ses effectifs, semblent difficilement compatibles avec un effort d’extension de la flotte, même en réduisant le format des équipages, ce qui apparait, à l’usage, un choix contestable.

En outre, la concentration des efforts industriels, sur une période ne représentant qu’une demi-vie des équipements produits, représente une évidente menace sur la pérennité de l’outil industriel. Il convient de se rappeler, toutefois, à ce sujet, que la Grande-Bretagne s’est faite une spécialité de la vente à mi-vie de ses navires militaires, pour les remplacer par des unités plus modernes.

Reste, surtout, à voir si Londres respectera, effectivement, la trajectoire annoncée, ou si, une fois de plus, des altérations discrètes et successives, viendront amputer cette trajectoire, de ses ambitions.

Le programme MAWS franco-allemand n’est pas mort : la Bundeswehr investit dans une nouvelle étude !

Lancé en 2017, conjointement à SCAF et CIFS, le programme MAWS franco-allemand, devait permettre de concevoir le successeur des avions de patrouille maritime Atlantique 2 français et P-3C Orion allemands.

Toutefois, comme ce fut le cas pour les autres programmes en coopération entre Paris et Berlin, MAWS se heurta rapidement à des ambitions industrielles et des attentes opérationnelles difficilement compatibles, entre Dassault aviation et Airbus, comme entre la Marine nationale et la Bundeswehr.

Le programme semblait à l’arrêt, si pas purement et simplement abandonné, depuis plusieurs années. Pourtant, Berlin vient de confier à la coentreprise MAWS Gbr, formée par les industriels allemands pour ce programme, une seconde étude, pour préparer la nouvelle phase de coopération.

La surprise passée, on peut se demander si, après qu’ils sont parvenus à sortir les programmes SCAF et MGCS des ornières dans lesquels ils se trouvaient, les ministères de la Défense français et allemand, n’ont pas entrepris de ressusciter ce troisième programme en coopération ?

Le programme MAWS, ou Maritime Airborn Warfare System, et son statut incertain

En de nombreux aspects, le programme MAWS a suivi la même trajectoire que les trois autres programmes de coopération franco-allemands annoncés conjointement en septembre 2017, par Angela Merkel et Emmanuel Macron.

merkel macron 2018
En 2017, E.Macron et A. Merkel partageaient une vision commune d’une Europe de la Défense construite sur la coopération franco-allemande.

En effet, après une phase d’euphorie entourant l’annonce initiale, le programme s’est très rapidement heurté à de nombreuses difficultés. Les deux avionneurs européens, Dassault Aviation et Airbus Defense, s’estimaient tous deux légitimes pour concevoir la cellule, provoquant un second conflit entre les deux industriels, parallèle à celui qui les opposait autour du NGF du programme SCAF.

Les difficultés rencontrées par chaque programme, ainsi que la normalisation des relations entre la chancellerie allemande et Donald Trump, vinrent ralentir la dynamique globale de la coopération franco-allemande, dès 2018. En 2019, l’Allemagne annonça son intention de commander des P-8A Poseidon, auprès de l’Américain Boeing, pour remplacer les P-3C les plus anciens.

Ceci provoqua une nouvelle tension entre Paris et Berlin, au point que le statut même du programme MAWS était considéré, au mieux, comme incertain, au pire, comme abandonné, par la plupart des spécialistes du sujet. La commande d’un second lot de P-8A renforça ce sentiment, alors que Paris, de son côté, évoque, depuis deux ans, la possibilité de s’engager seul dans la conception d’un successeur à l’Atlantique 2, à horizon 2035.

La Bundeswehr a confié à MAWS GbR une étude complémentaire pour préparer le programme

De fait, l’annonce faite par la Bundeswehr, concernant la mission d’étude confiée à la coentreprise MAWS GbR, formée par ESG, Hensoldt et Diehl, dans le cadre de la phase Partie II de la phase d’analyse du programme MAWS, le 13 mai 2024, peut surprendre.

Certes, Berlin n’avait jamais annoncé son retrait du programme, même après avoir commandé 8 P-8A Poseidon, soit le nombre d’appareils de patrouille maritime nécessaires pour remplacer la flotte de P-3C Orion, et assurer les missions qui lui sont confiées par l’OTAN en mer du Nord et mer Baltique.

P-3C Orion Bundeswehr
Les P-3C allemands seront remplacés par 9 P-8A Poseidon américains.

Au contraire, en octobre 2022, le ministère de la Défense allemand avait confirmé qu’il restait impliqué dans ce programme, et que la décision d’y mettre fin, ne pouvait venir que de Paris. Il est bon, toutefois, de rappeler que Berlin fit de même concernant le programme Tigre III, laissant sa décision en suspend, pendant plus de cinq ans, avant de s’en retirer.

L’étude, confiée par la Bundeswehr, porte sur l’organisation du système de systèmes vers lequel le programme MAWS se dirigerait, comme c’est le cas des programmes SCAF et MGCS. Plus particulièrement, elle souhaite que MAWS GbR étudie les flux de données, le cloud et l’utilisation de l’intelligence artificielle, concernant les missions de patrouille maritime, de lutte anti-sous-marine et de lutte anti-surface.

Ce périmètre laisse supposer que MAWS, tout au moins, tel qu’envisagé par la Bundeswehr, va bien au-delà de la simple conception d’un remplaçant à l’Atlantique 2 et au P-3C. Il porterait, en effet, sur le développement d’un ensemble de systèmes centrés autour d’un avion principal, destinés à assurer les missions de PATMAR.

Cette approche, très audacieuse, serait une première dans le monde. En effet, aucun pays, ni aucun avionneur n’a, à ce jour, envisagé de concevoir une solution de patrouille maritime globale de nouvelle génération, comme présenté par MAWS GbR.

De manière intéressante, le cahier des charges allemand continue de viser une entrée en service pour 2035, alors même que cette échéance est désormais principalement française, du fait des limites des Atlantique 2, alors que la Bundeswehr et ses P-8A, seront bien moins sous pression.

Après avoir sécurisé SCAF et MGCS, Boris Pistorius et Sébastien Lecornu vont-ils ressusciter MAWS ?

Il faudra, évidemment, attendre une réponse de la part de Paris, à cette ouverture allemande, pour se faire une idée, quant aux chances de voir, ou pas, ce programme exhumé, et poursuivit conjointement par l’Allemagne et la France.

Falcon 10X
Dassault Aviation propose son Flacon 10X comme plateforme pour developper le nouvel avion de Patrouille Maritime de la Marine nationale

Il y a quelques mois, encore, l’hypothèse aurait certainement paru très improbable. Depuis, cependant, Sébastien Lecornu, le ministre français des Armées, et Boris Pistorius, son très populaire homologue allemand, sont parvenus à sortir, d’abord SCAF, puis MGCS, des impasses dans lesquels les programmes se trouvaient depuis plusieurs années.

Pour y parvenir, les deux hommes ont repris la main sur les négociations, notamment pour ce qui concerne le partage industriel entre les deux BITD, s’imposant à leurs industriels respectifs, tout en équilibrant efficacement investissements et missions.

Forts de ces succès, pourtant loin d’être gagnés d’avance, les ministres pourraient tout à fait, désormais, s’atteler au programme MAWS, en y appliquant les mêmes méthodes, pour lui redonner le cadre nécessaire à sa poursuite.

À l’instar de SCAF et MGCS, il apparait qu’un programme franco-allemand viserait des objectifs très supérieurs, en termes de moyens, ainsi que de paradigmes et doctrines, que si la France devait developper seule l’appareil.

Dit autrement, la France peut certainement concevoir et produire un successeur à l’Atlantique 2, mais pour concevoir un système de systèmes de nouvelle génération, de patrouille maritime, il est fort probable qu’une coopération, avec l’Allemagne, soit indispensable. C’est d’ailleurs précisément de cette manière que les personnes qui, aujourd’hui, travaillent sur le programme SCAF, présentent l’intérêt de cette coopération.

Conclusion

De fait, aujourd’hui, la balle est dans le camp de Paris, et de Sébastien Lecornu, concernant le programme MAWS. On peut, cependant, s’attendre à ce que le sujet ne soit pas abordé avant les élections européennes. En effet, la coopération franco-allemande en matière de défense, est un sujet clivant, pouvant donner des opportunités politiques à une opposition souvent hostile à ces coopérations européennes.

Lecornu Robles Pistorius
Comme ils le firent avec SCAF, puis avec MGCS, S. Lecornu et B.Pistorius pourrainet bien exhumer le programme MAWS, voire le programme CIFS.

Pour autant, si, effectivement, la France décidait de saisir la balle au bond, et de relancer MAWS, dans une approche inspirée de celle mise en œuvre sur SCAF et MGCS, avec un système de systèmes, et des piliers technologiques, il serait possible de nourrir certains espoirs concernant le dernier des quatre grands programmes franco-allemands de 2017, le programme CIFS.

En effet, comme MAWS, CIFS, qui vise à concevoir les systèmes d’artillerie à horizon 2040, semble à l’arrêt, si pas, purement et simplement abandonné, depuis plusieurs années. D’ailleurs, Paris comme Berlin, se sont, depuis, tournés vers des solutions alternatives, le CAESAR 2 et la conception d’un LRM national en France, le RCH-155 et le PULS israélien ou HIMARS américain, pour l’Allemagne.

Pour autant, ces systèmes, français comme allemands, apparaissent encore très empreints des modèles actuels, sous forme d’évolution plus que de nouvelle génération. De fait, il reste, peut-être, un espace de négociations pour un programme CIFS, tel le pendant de nouvelles générations des SCAF, MGCS et peut-être, MAWS, dans le domaine du tir indirect, qui serait, lui aussi, négociés par Pistorius et Lecornu, dans les mois à venir.

4 arguments pour augmenter les investissements industriels de défense en France

Lorsque, au printemps 2023, les contours de la future Loi de Programmation Militaire française, pour la période 2024-2030, ont été rendus publics, une grande majorité des observateurs spécialisés considéraient, à raison, qu’il s’agissait d’un projet de loi ambitieux, répondant aux enjeux à venir.

Ainsi, dans le domaine des investissements industriels de défense, le budget annuel allait passer, progressivement, de 8 Md€ par an, pour la Recherche et le Développement, ainsi que pour les acquisitions de Programmes à Effet Majeur, à 12 Md€ un an plus tard, avec l’objectif d’atteindre les 18 à 20 Md€ par an, au terme de la loi. Depuis, le contexte entourant ces domaines, a considérablement évolué, sur une période de temps particulièrement courte.

Entre l’augmentation des tensions avec la Russie, les menaces proférées par Donald Trump sur la protection américaine de l’Europe, et les annonces récentes de hausse de budgets défense par les grandes nations industrielles européennes, ce qui paraissait, il y a juste 12 mois, comme une ambition exemplaire, risque dorénavant, de devenir un handicap, voire une menace, pour l’industrie de défense française, et l’ensemble des éléments qui en découlent.

Il est donc pertinent de s’interroger sur l’opportunité, les conséquences, ainsi que la soutenabilité, d’une nouvelle hausse des crédits consacrés à l’industrie de défense en France, que ce soit sur la scène internationale, européenne et nationale.

La LPM 2024-2030 est-elle déjà obsolète face aux évolutions des contextes sécuritaires, industriels et technologiques ?

Bien que cela ne soit certainement pas plaisant, surtout concernant une LPM aux ambitions sans commune mesure avec celles qui l’avaient précédée jusqu’ici, les autorités françaises doivent, aujourd’hui, s’interroger sur sa pertinence, ou au contraire, sa possible obsolescence, face aux évolutions des contextes sécuritaires, industriels et technologiques constatés ces douze derniers mois.

Les postulats de la LPM 2024-2030 lors de sa conception

En effet, lorsqu’elle fut élaborée, les armées russes semblaient très affaiblies. La plupart des experts estimaient, alors, qu’il faudrait de nombreuses années à Moscou, pour reformer une force militaire pouvant, éventuellement, vaincre l’Ukraine et représenter, à nouveau, une menace potentielle conventionnelle sur l’Europe.

Les investissements industriels de défense auront plus que doublé à l'issue de la LPM 2024-2030
Les investissements industriels de défense auront plus que doublé à l’issue de la LPM 2024-2030

Dans le même temps, les grandes nations industrielles défense européennes, la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et même la Suède, n’avaient annoncé aucune réforme, ni aucune intention de réforme majeure, dans ce domaine. La programmation militaire européenne restait, en fait, proche de ce qu’elle était deux ans auparavant, en dehors de certaines initiatives d’acquisition en urgence, comme le Zeitenwende allemand.

Enfin, le nombre de nouveaux programmes d’équipements majeurs de défense, restait relativement stable, vis-à-vis des années précédentes. Il est vrai que pour répondre à l’urgence, les chancelleries européennes avaient largement privilégié l’acquisition de matériels importés, surtout en provenance des États-Unis, de Corée du Sud et d’Israël, plutôt que de s’engager dans des développements propres.

Le bouleversement du contexte sécuritaire, industriel et technologique, depuis juillet 2023

On comprend, dès lors, le sentiment de satisfaction qui entourait la publication, puis le vote, de la LPM 2024-2030, qui apparaissait, à ce moment-là, particulièrement ambitieuse en Europe. Depuis, cependant, la plupart de ces postulats a volé en éclat. Ainsi, la Russie est aujourd’hui en position de force en Ukraine, et les alertes ignorées début 2023, concernant le rebond industriel défense dans le pays, se sont très largement concrétisées.

Les grandes nations industrielles européennes, elles, ont aussi fait évoluer leurs paradigmes. La Grande-Bretagne s’est ainsi engagée vers un effort de défense de 2,5 %, 20 % plus élevé que celui de la France en 2030. Depuis, Londres multiplie les annonces concernant de nouveaux développements d’équipements de défense, y compris, parfois, en contradiction avec des programmes multinationaux dans lesquels le pays est pourtant engagé.

missile hypersonique UK
Londres a annoncé le developpement d’un missile hypersonique national, ce qui peut faire double emploi avec le programme FMC/FMAN franco-britannique, qui n’avance que peu depuis de nombreuses années.

L’Allemagne, de son côté, s’est engagée à atteindre et dépasser les 2 % de PIB dès 2024, mais des voix de plus en plus audibles dans le pays, y compris celle de l’actuel ministre de la Défense, Boris Pistorius, plaident pour aller jusqu’à 3 % PIB, et vers un retour à une forme de conscription. Là encore, les annonces industrielles, en autonomie, ou en partenariats avec des nations européennes, ou non, se sont multipliées ces derniers mois.

Même l’Italie et l’Espagne, pourtant loin d’être exemplaires en matière d’effort de défense, se sont engagées dans une hausse significative des crédits de défense, pour atteindre, et dépasser, l’objectif des 2 % de PIB, dans les années à venir. Paradoxalement, ni Rome, ni Madrid n’envisagent d’augmenter le format de leurs armées. De fait, l’essentiel des augmentations budgétaires à venir, sera destiné aux industriels nationaux, Leonardo et Fincantieri en Italie, Navantia et Indra, en Espagne.

Une redéfinition rapide des équilibres industriels défense et sécuritaires hérités de l’après guerre froide

Ainsi, l’ensemble des équilibres industriels, façonnés après la fin de la guerre froide, ayant permis notamment à la France, de se hisser au second rang mondial des exportateurs d’équipements de défense, sont aujourd’hui en pleine mutation.

En premier lieu, la guerre en Ukraine, ainsi que l’évolution des tensions sino-américaines dans le Pacifique, ont entrainé une accélération très sensible du tempo technologique défense, avec des cycles technologiques et industriels beaucoup plus courts qu’ils ne pouvaient l’être, il y a quelques années de cela.

Cette transformation est en particulier liée à l’arrivée de nouvelles capacités sur le champ de bataille, dans le domaine des drones, des armes à énergie dirigée, des systèmes hypersoniques, ou encore de l’utilisation de l’Intelligence artificielle. Non seulement ces systèmes créent-ils un nouveau tempo, mais ils permettent à certains acteurs d’émerger dans l’équation industrielle défense mondiale, là où cela leur était impossible dans les domaines plus traditionnels, déjà fermement verrouillés par les acteurs existants.

Anduril UCAV
L’US Air Force a déjà attribué à Anduril et GA-SI la conception de la première tranche de drones de combat destinés à épauler les GNAD et les F-35 des la fin de la decennie.

D’autre part, à nouveau la guerre en Ukraine, ainsi que les menaces proférées par D. Trump quant à l’implication américaine au sein de l’OTAN, ont provoqué certaines prises de conscience en Europe, mais aussi ouverts de nouvelles opportunités, en particulier pour s’imposer dans le pilotage de la défense européenne, en lieu et place des États-Unis, ou tout au mois, à côté d’eux, ainsi que dans le domaine industriel et technologique.

Ici, certains pays s’avèrent très pragmatiques, n’hésitant pas à s’associer à des industriels américains, israéliens, voire sud-coréens ou japonais, plutôt que de privilégier des partenariats européens, pour s’arroger une position dominante dans cette Europe de la défense en gestation, très différente de l’idée que pouvaient s’en faire A. Merkel & E. Macron lorsqu’ils évoquèrent le sujet pour la première fois, en 2017.

D’autres privilégient les investissements industriels aux financements de leurs capacités militaires, par exemple, en finançant à l’excès certains programmes uniquement destinés à l’exportation, ou en assumant des productions dépassant, de beaucoup, les possibilités de mise en œuvre de leurs armées.

L’ensemble de ces trajectoires et contextes, va engendrer, dans les mois et années à venir, une profonde réorganisation du paysage et de la hiérarchie de l’industrie de défense européenne, ceci constituant une menace directe pour la France, son industrie de défense, son autonomie stratégique et sa position internationale.

Les 4 arguments pour une hausse rapide des investissements industriels de défense en France

La solution pour contenir ces menaces et évolutions en cours est évidente : il faut, et il suffit, d’augmenter les investissements français dans ce domaine, au même niveau proportionnel, que ce sera le cas en Grande-Bretagne, Allemagne et Italie. Sa mise en œuvre, en revanche, s’avère plutôt difficile.

Lecornu assemblée nationale
Le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a dû batailler avec bercy pour obtenir les financements necessaires de la LPM 2024-2030.

Politiquement, d’abord, car cela reviendrait à admettre que la LPM 2024-2030 est d’ores et déjà obsolète. Or, il s’agit d’un des très rares projets de loi passé sans recours au 49.3, et sans renoncement majeur, depuis le début du second quinquennat d’Emmanuel Macron.

En tant que tel, admettre une obsolescence anticipée de la LPM, représenterait une faille dont les oppositions n’hésiteraient pas à s’emparer, même si, objectivement, personne n’avait anticipé, dans la classe politique, les évolutions de l’ensemble des postulats de celle-ci.

Budgétairement, ensuite, alors que la France reste incapable de ramener ses déficits publics sous le seuil des 3 % du PIB, requis par Bruxelles. Dans ce contexte, il semble illusoire d’augmenter encore davantage l’effort de défense, en soutien à l’industrie de défense nationale, ce qui ne pourrait pas se faire, de prime abord, sans une augmentation équivalente des déficits publics.

Pourtant, cette hausse des investissements en faveur de l’industrie de défense, indispensable politiquement et industriellement, est aussi largement soutenable budgétairement.

Argument 1 : Faire face aux évolutions des menaces militaires et à l’accélération du tempo technologique défense

D’abord, il convient d’admettre que les objectifs d’équipements, et le tempo technologique qui sous-tend la LPM 2024-2030, ne sont plus d’actualité, face aux évolutions des menaces, qu’elles viennent de Russie, ou d’ailleurs.

Ainsi, alors que seuls 3 pays avaient annoncé des programmes de missiles hypersoniques en 2021, ils sont aujourd’hui 8, et leur nombre ne cesse de croitre. Il en va de même concernant les différentes applications de drones, aériens, navals ou sous-marins, tous susceptibles de profondément changer certains paradigmes puissants en matière de hiérarchisation technologique et industrielle des armées.

Kinzhal MIG-31
L’arrivée des armes hypersoniques, ou désignées comme telles, par la Russie, a provoqué une prise de conscience modiale concernant la reprise d’une nouvelle course aux armements.

Alors que la LPM était construite sur des paradigmes et objectifs plus diffus ou lointains, la nouvelle donne technologique oblige à raccourcir de nombreux développements pour accélérer leur entrée en service, ainsi que de renforcer les capacités et dotations de certains équipements, par exemple, en matière de défense antiaérienne et antidrone, et ce, de manière efficace (et non bricolée).

Face à l’accélération du tempo technologique, la France n’a d’autres choix que d’accélérer le développement de ses propres programmes, pour ne pas se laisser distancer dans des technologies défense clés.

L’extension du périmètre industriel, et l’accélération du tempo technologique, ne peut se faire qu’à condition de disposer d’investissements supplémentaires, vis-à-vis de la planification initiale.

Argument 2 : Préserver la position de leader européen des exportations d’équipements militaires

Il s’agit, également, pour la France, de protéger sa position de leadership en Europe, et dans le Monde, en matière d’exportation des équipements militaires. En effet, au-delà de la satisfaction toute chauvine de voir un Rafale ou un Scorpene s’imposer face au Typhoon ou au Type 212, les exportations de l’industrie de défense jouent plusieurs rôles clés dans les équations politiques et industrielles de l’État français.

Ainsi, l’exportation d’équipements de défense constitue un bras de levier politique et diplomatique de premier ordre, dans les négociations avec les partenaires et clients de l’industrie de défense française.

Scorpene brésil
Les grands succès de l’indsutrie de défense française, sur la scène internationale, ces dix derniers dernières années, comme le Rafale, le scorpene, le Caesar ou le Caracal, ont tous été conçus dans les années 90.

Surtout, ces exportations s’avèrent indispensables pour permettre à l’industrie de défense française de concevoir et produire la presque totalité des équipements de ses armées. En effet, les compétences scientifiques, technologiques et industrielles, nécessaires à cette mission, dépassent, de beaucoup, le seul périmètre des investissements français d’équipements chaque année.

Ainsi, les 6 sous-marins nucléaires d’attaque et les 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engins, renouvelés tous les 30 à 35 ans, par la Marine nationale, ne présentent que 20 années d’activité, au mieux, pour le site de Cherbourg, et un empattement considérable pour les équipes en charge de concevoir ces sous-marins. Sans le succès des exportations de Scorpene, le maintien de l’activité sous-marine française, aurait été compris.

La France doit préserver sa position de leader européen des exportations d’équipement de défense, pour préserver son industrie de défense globale, donc son autonomie stratégique.

En outre, le marché de l’armement se caractérise par une réelle fidélité des armées à leurs fournisseurs historiques. Ainsi, cinq des sept clients du Rafale, aujourd’hui, volaient précédemment sur Mirage 2000 (Égypte, Qatar, Inde, Grèce, Émirats arabes unis). De même, un grand nombre des opérateurs du H225M Caracal, évoluait jusque-là sur Puma, Cougar ou Super Puma.

De fait, non seulement la France doit-elle maintenir ses capacités d’exportation dans le domaine de l’armement, mais elle doit, également, s’assurer de préserver sa position dominante, pour ne pas hypothéquer le futur.

Ceci suppose de répondre non seulement aux besoins de ses propres armées, et de ses éventuels partenaires européens, mais également, à ceux de ses clients traditionnels. Là encore, une hausse significative des crédits destinés à l’industrie de défense s’impose rapidement en France.

Argument 3 : L’industrie de défense et sa supply chain comme pivots de la reconstruction industrielle française

Au-delà des deux arguments précédents, que l’on peut qualifier de défensifs, l’investissement dans l’industrie de défense française, par l’État, constituerait une mesure très efficace, pour soutenir la politique de réindustrialisation nationale, et ce, bien au-delà de la base Industrielle technologique Défense, ou BITD.

D’une part, les technologies de pointe, développées dans le domaine militaire, ont souvent des applications civiles. On parle de technologies duales. On pense, bien évidemment, aux rôles que jouèrent les compétences développées par Aérospatiale (Airbus et Airbus H), Snecma (Safran) et Thomson CSF (Thales), dans le domaine des missiles, hélicoptères et avions militaires, dans les années 60 et 70, et qui firent leurs chemins jusqu’aux fusées Ariane, hélicoptères civils et avions de ligne aujourd’hui.

TGV Sud-est
Le TGV a vu le jour grâce au programme de SNLE Redoutable, qui a permis de concevoir les turbines electriques qui propulseront le train français.

On sait beaucoup moins, par contre, que les turbines électriques ayant permis de concevoir le TGV, étaient une extrapolation des compétences acquises dans le développement du Redoutable, le premier SNLE français. C’est aussi le cas des centrales à inertie françaises qui équipent, aujourd’hui, plus de la moitié des avions de ligne dans le monde, et qui furent développées, elles aussi, par ce programme.

Au-delà des technologies duales, l’investissement dans l’industrie de défense, permettrait aussi de sensiblement renforcer l’ensemble de la Supply Chain industrielle nationale, notamment dans certains domaines critiques, allant des matériaux bruts ou raffinés, aux semi-conducteurs, en passant par la chimie et la métallurgie.

En stimulant l’émergence et la densification d’une Supply chain industrielle stratégique, l’investissement industriel de défense soutient la politique de réindustrialisation du pays

En effet, l’industrie de défense cherche, pour des raisons essentiellement de politique industrielle et de résilience, à dépendre le moins possible des importations, lorsque c’est possible, et ce, de manière concentrique : prioritairement, au sein du pays, puis dans l’espace européen, puis dans la sphère occidentale, et enfin, dans le reste du monde.

En accentuant les investissements dans ce domaine, qui plus est, en y associant certaines contraintes de Supply Chain, les pouvoirs publics favoriseraient la transformation et la densification de celle-ci, et donc, l’attractivité du territoire concernant l’investissement industriel, qu’il soit national ou étranger. Il s’agit donc, ici, de faire d’une pierre, deux coups.

Argument 4 : Des investissements soutenables pour le budget de l’État et efficaces dans le domaine socioéconomique

Reste, bien évidemment, la question de la soutenabilité budgétaire. En réalité, il s’agit d’un problème beaucoup moins difficile à traiter, qu’il ne parait de prime abord. En effet, l’investissement dans l’industrie de défense nationale, s’avère être, sans le moindre doute, le plus efficace dans les domaines du retour budgétaire, ainsi que de l’efficacité socioéconomique, pour l’État français.

tube caesar nexter KNDS france
L’indsutrie de défense est très efficace dans le domaine de l’investissement public, que ce soit concernant le retour budgétaire, ou l’efficacité socioéconomique (nombre d’emplois créés et pérénisés par m€)

Ceci pour quatre raisons. La première, déjà évoquée dans le précédent point, est sa faible exposition aux importations, y compris dans sa Supply Chain. De fait, le coefficient multiplicateur keynésien de l’industrie de défense, est très supérieur à ce qu’il peut être dans les autres secteurs économiques.

La seconde raison, repose sur son caractère technologique, et notamment le développement des technologies duales, également évoquées précédemment. Il s’agit, là encore, d’un puissant coefficient multiplicateur, en engendrant des grappes technologiques, mises en évidence par Schumpeter.

Faible exposition aux importations, grappes technologiques, exportations et déficits sociaux, confèrent à l’investissement public dans l’industrie de défense, une empreinte budgétaire résiduelle presque nulle

D’autre part, l’investissement d’état dans l’industrie de défense, engendre, à lui seul, un troisième coefficient multiplicateur puissant, par l’intermédiaire des exportations. Ainsi, en moyenne, le chiffre d’affaires annuel des exportations d’équipements de défense français, représente un tiers du chiffre d’affaires su secteur défense, et 50 % des dépenses françaises dans ce domaine.

Enfin, l’investissement industriel de défense français, bénéficie de plusieurs facteurs conjoncturels, améliorant sa soutenabilité budgétaire, notamment les déficits annuels du modèle social compensé par l’État, et un chômage encore important.

Mis bout à bout, l’ensemble de ces facteurs engendrent un retour budgétaire particulièrement élevé concernant l’investissement public dans l’industrie de défense française. Comme évoqué dans cet article, celui-ci peut même venir, en grande partie, neutralisés les couts résiduels sur le budget de l’État, une fois compensés des recettes et économies directes et induites engendrées.

Conclusion

On le voit, la France, et son industrie de défense, font face, aujourd’hui, à une transformation rapide de l’ensemble des aspects entourant cette activité stratégique pour le pays, son économie et son autonomie stratégique.

racer airbus helicopter
Les industriels de défense français ont un potentiel d’innonvation considerable, suffisant pour garantir d’une efficacité budgétaire et socioéconomique exceptionelle de l’investissement public.

Qu’il s’agisse de répondre à l’accélération du tempo technologique défense, de la menace venue de Russie ou d’ailleurs, et de préserver son marché et sa position dominante à l’échelle mondiale, la France va devoir, d’une manière ou d’une autre, trouver les solutions pour augmenter ses propres investissements dans ce domaine, bien au-delà de ce qui est aujourd’hui prévu par la LPM.

Faute de quoi, elle risque de perdre de précieux marchés, conditionnant son influence internationale, ainsi que de nombreux emplois. Surtout, elle mettrait en péril cette autonomie stratégique qui apparait, aujourd’hui, indispensable, alors que le soutien des États-Unis apparait plus incertain que jamais.

Fort heureusement, la nature même de cet investissement, et l’efficacité de l’industrie de défense française dans le domaine socioéconomique, rendent soutenable cet effort supplémentaire, pour peu que l’on accepte de l’envisager de manière globale, à l’échelle du budget de l’État annuel, et pas, simplement, comme une simple dépense publique.

Reste qu’un tel bouleversement conceptuel, associé au risque politique lié à la reconnaissance de l’obsolescence de la LPM 2024-2030, rendent très incertaine l’application des solutions nécessaires, pour se prémunir des conséquences évoquées.

L’envoi de troupes en Ukraine étudié officiellement par l’Estonie

Alors que l’hypothèse d’une rupture du dispositif défensif ukrainien, autour de Kharkiv, mais aussi dans le Donbass, est désormais une hypothèse crédible face à la montée en intensité des coups de boutoirs russes, l’Estonie vient de franchir une nouvelle étape, dans l’implication européenne dans le conflit ukrainien.

En effet, Madis Roll, le conseiller national à la sécurité de la présidence estonienne, a affirmé que le gouvernement menait, en ce moment même, des évaluations concernant le déploiement potentiel de troupes en Ukraine, de manière autonome, ou dans le cadre d’une petite coalition indépendante de l’OTAN.

Une situation militaire qui se détériore alors que Moscou mise sur l’usure des armées ukrainiennes

Depuis quelques jours, en effet, les assauts menés par les forces russes, contre le dispositif défensif ukrainien, semblent beaucoup plus efficaces qu’ils ne l’étaient par le passé. Ainsi, en quelques jours seulement, les militaires russes ont pris une centaine de km² aux défenseurs ukrainiens, un rythme considérablement plus soutenu que lors des mois précédents.

Au point qu’aujourd’hui, l’hypothèse que le front ukrainien ne cède, en certains endroits, est ouvertement évoquée, y compris par les autorités du pays, ainsi que par leurs alliés, avec le risque d’une percée russe venant déstabiliser l’ensemble des lignes de défense autour de Kharkiv notamment.

andrei belousov
L’économiste Andreï Belousov a remplacé Sergeï Choigou à la tête du Ministère de la Défense russe. On ignrore, pour l’instant, si le Chef d’Etat-major, valery Gerasimov, sera lui uasis remplacé.

Outre ces risques immédiats, des menaces croissantes peuvent être anticipées dans les mois à venir, alors que le ministre de la Défense, Sergueï Choïgou, a été remplacé par Andreï Belousov, un économiste proche de Poutine spécialisé dans l’innovation.

Ce faisant, Vladimir Poutine donne la priorité à l’organisation de l’effort industriel militaire, et la soutenabilité de son effort de defense, dans la durée, pour venir à bout de la résistance ukrainienne. Difficile, dans ces conditions, pour Kyiv, de garder son opinion publique mobilisée, pour reconstituer ses forces militaires, et résister aux assauts russes présents et à venir.

l’Estonie envisage sérieusement le déploiement de troupes en Ukraine en soutien des forces ukrainiennes

C’est dans ce contexte que s’inscrivent les déclarations de Madis Roll, le conseiller national à la sécurité de la présidence estonienne. Selon lui, Tallinn étudierait sérieusement des options étendues pour soutenir l’Ukraine, y compris l’envoi de troupes estoniennes, peut-être dans le cadre d’une petite coalition ad hoc.

Kaja Kallas
La première-ministre estonienne, Kaja Kallas, a été en tête de file pour mener le soutien à l’Ukraine.

Cette annonce fait suite aux déclarations faites, il y a quelques jours, par le chef d’état-major des armées estoniennes, le général Martin Herem, au site américain Breaking Defense, au sujet de l’étude, par les armées estoniennes, du déploiement de forces de soutien en Ukraine.

Il s’agirait, ici, de forces destinées à assurer certaines missions dans la profondeur ukrainienne, comme la défense aérienne de certaines villes, les services médicaux d’urgence ou encore la logistique.

Madis Roll a précisé, à ce titre, qu’il n’entendait pas déployer des forces au contact direct des armées russes, sans les qualifier de forces humanitaires ou non combattantes. On comprend, là, qu’il s’attend à ce que les forces soient effectivement considérées comme des forces combattantes par Moscou, avec le risque de frappes, très probables par ailleurs.

De quels moyens disposent les armées estoniennes aujourd’hui

Avec moins de 8 000 militaires d’active, et un budget défense de 2 Md€, représentant 3,2 % de son PIB, les forces armées estoniennes sont parmi les plus modestes au sein de l’OTAN.

Celles-ci s’appuient cependant sur une puissante réserve de 80 000 hommes, dont 38 500 formants une force de réaction rapide forte de deux brigades d’infanterie mécanisée, chacune disposant de trois bataillons d’infanterie, un bataillon d’artillerie, un bataillon du génie, un bataillon de défense aérienne, et une compagnie antichar.

CV90 estoniens
Les forces terrestres estoniennes alignent 80 CV90 au sein de deux brigades d’infanterie mécanisée.

En termes d’équipements, elles alignent principalement 80 véhicules de combat d’infanterie CV90 suédois ainsi que 140 transports de troupe blindés 6×6 Patria Pasi. Avec 36 K9 Thunder sud-coréens, son artillerie automotrice est assez remarquable, d’autant qu’elle recevra, dans les années à venir, 6 systèmes HIMARS américains.

En matière d’équipement de soutien, les armées estoniennes disposent d’une importante flotte de camions tous terrains DAF, ainsi que de plusieurs blindés de récupération de chars, et quelques unités de franchissement. Sa défense aérienne s’articule, enfin, autour de systèmes Mistral 3 français, et de radars Ground Master.

Créer une dynamique et redonner aux ukrainiens l’espoir de remporter la victoire

On comprend, dans ces conditions, que l’envoie de troupes estoniennes en Ukraine, ne serait pas destiné à sensiblement inverser le rapport de forces. En effet, les forces ukrainiennes, potentiellement libérées par l’arrivée de renforts estoniens en soutien, ne seront certainement pas des plus significatives. En outre, elles ne disposent que de moyens réduits pour assurer, par exemple, la défense aérienne d’une zone.

Là n’est assurément pas l’objectif visé par Kaja Kallas, la première ministre estonienne. Toutefois, les conséquences d’un tel déploiement, sur l’ensemble du conflit, pourraient effectivement être, sensibles, et même significatives.

En premier lieu, si Tallinn envoie des troupes en Ukraine, dans une mission de soutien, il est probable que d’autres pays se joindront à cette initiative, pour former la coalition ad hoc évoquée par Madis Roll. Il s’agirait, d’abord, des autres pays baltes, la Lettonie et la Lituanie, tant il est peu probable que Riga et Vilnius laissent Tallinn seule dans ce combat.

Caesar Ukraine
la resistance ukrainienne a été lourdement affaiblie par 5 mois d’interruption de l’aide militaire américaine.

Les pays scandinaves, la Finlande, ou les Pays-Bas, ont, eux aussi, communiqué sur la possibilité de s’ouvrir à une initiative de ce type. Mais l’objectif ultime, que visera Kaja Kallas, sera certainement de convaincre la France et la Grande-Bretagne, de faire de même.

Ce faisant, une éventuelle coalition de soutien, pourrait effectivement assurer certaines missions de sécurisation de la profondeur ukrainienne, notamment dans le domaine antiaérien, dans l’organisation de la logistique, et dans certaines missions sanitaires et de déminage.

Il est également possible que ces forces servent à protéger la frontière avec la Biélorussie, pour éviter une nouvelle manœuvre russe visant Kyiv, et pour prévenir un excès de zèle de la part du président Biélorusse. Par ces actions, la coalition pourrait permettre aux armées ukrainiennes de déplacer des forces significatives, pour venir renforcer le front, et ainsi, contenir l’offensive russe.

Surtout, l’arrivée de renforts estoniens, donc européens, aurait incontestablement un impact important sur l’opinion publique ukrainienne, fortement affectée par les mois de blocage des livraisons américaines d’équipements de défense, de janvier à mai, sur fond de bras de fer électoral au Congrès.

Ce faisant, les ukrainiens pourraient renouer avec la détermination et la volonté de vaincre, qui étaient les leurs, au début du conflit, pour regonfler les effectifs des armées, alors que, dans le même temps, les livraisons d’équipements et de munition, venues d’occident, iront croissantes.

La France va-t-elle se joindre à la coalition estonienne ?

Dans ce dossier, la position de la France sera, très certainement, déterminante. En effet, les Armées françaises disposent de moyens, en particulier dans le domaine du train logistique, ou de la défense aérienne, dont ne disposent pas les pays baltes.

Kaja Kallas et Emmnuel Macron
Emmanuel Macron va-t-il répondre à l’initative estonienne ?

L’initiative potentielle de l’Estonie, étant dans l’alignement des propos tenus par Emmanuel Macron, il y a quelques mois, on peut penser que le soutien et la participation de la France, seraient naturellement acquis.

Pour autant, il faut s’attendre, dans une telle hypothèse, à ce que d’autres forces se mettent en œuvre, notamment en Allemagne, mais surtout outre-atlantique, pour dissuader Paris de s’engager directement sur le théâtre ukrainien, au risque d’y enregistrer des pertes menant à une possible escalade entre deux nations dotées.

Il est commun de lire que jamais, durant la guerre froide, les forces de deux nations dotées ne se sont affrontées, y compris dans les propos d’anciens ministres. Ce n’est toutefois pas tout à fait exact.

En effet, durant la guerre de Corée, ainsi que lors de la Guerre du Vietnam, des conseillers, instructeurs et pilotes russes, ont participé au combat contre les forces américaines, que ce soit à bord des Mig-15 chinois, ou sur la base aérienne nord-vietnamienne de Kelp.

Pour autant, il est vrai que jamais, les soldats américains et soviétiques, sous leurs uniformes et cocardes respectifs, ne se sont affrontés lors de cette période. On peut aisément penser que Washington, qui entend garder ce conflit sous contrôle, pèsera de tout son poids, pour dissuader Paris, ainsi que Londres, de s’engager directement sur le territoire ukrainien.

Restera à voir, dans cette situation, quelle sera la décision du Président français. Celui-ci sera, en effet, pris entre les pressions américaines, mais aussi allemandes, italiennes et peut-être, même britanniques, et l’image donnée, de lui comme de la France, par les propos tenus à ce sujet, il y a quelques semaines.

Conclusion

On le voit, l’offensive russe entamée depuis quelques jours, ainsi que les premiers succès qu’elle peut revendiquer, engendrent, sans le moindre doute, une certaine fébrilité en Europe. Celle-ci a amené l’Estonie, une ancienne République soviétique comme l’Ukraine, mais aussi l’une des plus petites armées de l’OTAN, à évoquer, publiquement, l’hypothèse d’envoi de troupes dans le pays.

chars russes
Parfois mise en doute, la puissance indsutrielle défense russe donne aujourd’hui sa pleine mesure en Ukraine. Faute d’un soutien massif et rapide venu d’Europe, on peut craindre un effondrement ukrainien, si pas militaire, en tout cas politique.

Dans le même temps, le spectre d’un effondrement de l’Ukraine, plus politique que militaire, se fait de plus en plus sentir, en grande partie du fait de l’arrêt des livraisons d’armes et de munitions américaines ces cinq derniers mois, et l’incapacité, pour les européens, d’assurer l’intérim des États-Unis, sur cette période.

Il est donc probable que les décisions qui seront prises, en Europe, dans les jours à venir, auront des conséquences déterminantes dans l’évolution du conflit Ukrainien, ainsi que dans celle du paysage sécuritaire en Europe, pour les années à décennies à venir.

On ne peut qu’espérer que les politiques qui devront faire face à une telle responsabilité historique, sauront y répondre, en se défaisant des postures d’annonce qui furent légion ces deux dernières années, au sujet de laide à l’Ukraine.

Conscription, 3 % PIB : Boris Pistorius a de grandes ambitions pour la Bundeswehr

Nommé en janvier 2023 par Olaf Sholz, sur les ruines de l’épisode Christine Lambrecht, Boris Pistorius, le ministre de la Défense allemand, est rapidement devenu une personnalité politique de premier plan, que ce soit sur la scène nationale, européenne et internationale.

Particulièrement volontaire, il s’est saisi de l’application de la Zeitenwende du chancelier allemand, cette enveloppe de 100 Md€ promise à la Bundeswehr au lendemain de l’offensive russe contre l’Ukraine par Olaf Scholz, pour lui redonner de l’allant.

Alors que les hésitations du chancelier, autour des questions de défense, tendent à cristalliser les critiques au Bundestag comme sur la scène internationale, Boris Pistorius a, pour sa part, tenu un discours très offensif dans ce domaine, et a su, notamment, remettre sur rails les programmes SCAF et MGCS franco-allemands avec son homologue français, Sébastien Lecornu, les deux hommes partageant une motivation et un dynamisme communs.

Surfant sur une popularité inégalée dans l’opinion publique allemande, l’homme politique allemand est, semble-t-il, passé à une nouvelle étape, ouvrant la porte à des mesures pour faire de la Bundeswehr la première armée d’Europe, et peut-être, de lui, le prochain pivot d’une éventuelle future Grande Coalition.

En visite à Washington, Boris Pistorius dévoile ses ambitions pour la Bundeswehr

À l’occasion de sa visite aux États-Unis, le ministre allemand a, une fois encore, porté un discours particulièrement offensif, en appelant tous les membres de l’OTAN à viser un effort de défense à 3 % du PIB, et l’Allemagne à revenir vers une forme de conscription, pour permettre à la Bundeswehr de retrouver le rôle de pivot conventionnel qui était le sien pendant la guerre froide.

Boris Pistorius et Lloyd Austin - Washington mai 2024
Visite de Boris Pistorius aux Etats-Unis, pour rencontrer Lloyd Austin, le Secretaire à la Défense américain.EPA/MICHAEL REYNOLDS

Il s’agit, pour Boris Pistorius, de donner des gages à l’ensemble de la classe politique américaine, y compris les républicains trumpistes qui croient, plus que jamais, aux chances de leur champion lors des prochaines élections présidentielles américaines.

Ainsi, en appelant l’ensemble des membres de l’OTAN, à s’orienter vers un effort de défense représentant 3 % de leur PIB, y compris les États-Unis, le ministre allemand envoie simultanément plusieurs messages.

Aux américains, d’abord. En effet, non seulement celui-ci rebondit-il sur les propos de Donald Trump qui avait évoqué son intention de contraindre les européens à amener leur effort de défense à 3 % pour conserver la protection américaine, mais il laisse même entrevoir la possibilité, pour Washington, de baisser son propre effort de defense, aujourd’hui à 3,4 %, en s’appuyant, justement, sur la hausse des investissements européens.

Aux européens, ensuite, alors que plusieurs dirigeants du vieux continent, comme les britanniques, polonais ou baltes, soutiennent, eux aussi, une hausse du plancher de l’effort de défense au sein de l’OTAN, au-delà des 2 % actuels.

Aux allemands, enfin, en prenant une posture sensiblement divergente de celle soutenue par Olaf Scholz, de moins en moins apprécié par l’opinion publique, tandit que la possibilité de devoir passer par une nouvelle Grande Coalition, une alliance entre les chrétiens démocrates de la CDU-CSU et les socialistes du SPD, se dessine lors des prochaines élections législatives de 2025.

Un intérêt croissant du ministre de la Défense allemand pour la conscription choisie scandinave

Outre l’augmentation de l’effort de défense européen, donc allemand, Boris Pistorius a également plaidé pour un retour à une forme de conscription en Allemagne, à l’occasion de sa visite à Washington.

Boris pistorius en suède mai 2024
Boris Pistorius en visite en Suède en mai 2024 pour évaluer le modèle de conscription schoisie

L’exercice peut, à ce titre, sembler paradoxal. En effet, en tant que ministre de la Défense allemand, il peut sembler le mieux placé pour mettre en place un retour à la conscription dans le pays.

D’ailleurs, Boris Pistorius s’est récemment rendu dans plusieurs pays scandinaves, précisément pour observer et comprendre les mécanismes de la conscription choisie, appliquée notamment en Norvège, en Suède et au Danemark, et qui semble se montrer très efficace, et même étonnamment appréciée par les opinions publiques et les jeunes eux-mêmes.

À l’instar de toutes les armées occidentales, la Bundeswehr fait, en effet, face à d’importants problèmes de recrutement et de fidélisation de ses effectifs professionnels. Le retour à la conscription, en appliquant le modèle scandinave, permet d’accroitre les effectifs de manière progressive et maitrisée, offrant une solution de choix aux planificateurs allemands.

De fait, en appelant à un retour à la conscription pour la Bundeswehr, dans un contexte préparé par ses précédents déplacements en Scandinavie, qui plus est, à l’occasion d’une visite aux États-Unis, Boris Pistorius marque, là encore, ses divergences avec Olaf Scholz, et se positionne, plus que jamais, comme un acteur potentiel national.

Une hausse de l’effort de défense soutenu par l’opinion publique allemande, mais impopulaire dans la classe politique

Il faut dire que le retour à la conscription, et surtout la hausse des crédits de la Bundeswehr, qui plus est pour atteindre 3 % du PIB, sont loin de faire l’unanimité dans la classe politique allemande, en particulier concernant Olaf Scholz et sa garde rapprochée.

usine KMW leopard 2
Chaine de production de Krauss-Maffei-Wegmann pour le Leopard 2

En effet, une telle hausse de budget ne pourrait se faire qu’en augmentant sensiblement les déficits publics, tout au moins tant que l’économie allemande n’aura pas retrouvé son dynamisme pré-covid. Or, la dette et les déficits publics, sont des sujets particulièrement clivants au sein de la classe politique allemande, ayant fait de la rigueur budgétaire l’alpha et l’oméga de son pilotage politique depuis deux décennies maintenant, et les réformes de G. Schröder.

Toutefois, si le sujet est clivant dans la classe politique, il l’est beaucoup moins concernant l’opinion publique. Ainsi, 70 % des Allemands se disent favorables à une hausse des dépenses de défense, alors que 60 % d’entre eux se déclarent hostiles à la loi limitant les déficits publics à 0,35 % du PIB du pays.

À ce sujet, Boris Pistorius a fait savoir qu’il manquerait 9 Md€ au budget 2025 de la Bundeswehr, pour satisfaire à l’ensemble de ses engagements actuels, y compris en tenant compte des crédits libérés par le Zeitenwende, ce dernier prenant fin en 2028.

Boris Pistorius ménage-t-il sa popularité en vue d’une prochaine Grande Coalition ?

Le fait est, les divergences entre les ambitions exprimées par Boris Pistorius, et les moyens qui lui sont donnés par Olaf Scholz, sont de plus en plus régulièrement mises en avant par le ministre de la Défense.

Il faut dire que ce dernier joui d’un atout particulier dans la classe politique allemande. Quasi-inconnu sur la scène nationale avant d’arriver au ministère de la Défense en janvier 2023, celui-ci s’est imposé, dès le mois suivant, en tête des personnalités politiques les plus appréciés des allemands, dans le panel mensuel ZDF.

Olaf scholz et boris pîstorius
Visite d’une usine Rhinemtall par Olaf Scholz et Boris Pistorius.

Depuis, Boris Pistorius n’a jamais été délogé de cette position dominante, alors même que, dans le même temps, le SPD d’Olaf Scholz, dont il est issu, n’a cessé de voir sa popularité s’effondrer dans les sondages, pour ne représenter, aujourd’hui, que 15 % d’avis favorables, contre le double pour la CDU/CSU.

Mieux encore, le ministre de la Défense allemand dispose d’une très confortable avance sur Markus Söder, second, président des sociaux-démocrates de Bavière, celui-ci faisant presque jeu égal avec deux autres membres de la coalition de gouvernement, Robert Habeck, le ministre de l’Économie et du climat (SPD), et la ministre des Affaires étrangères (Les verts) Annalena Baerbock.

Mises bout-à-bout, ces informations permettent de penser que, non seulement, Boris Pistorius apparait comme le chef de file légitime du SPD pour les prochaines élections fédérales allemandes de septembre 2025, mais que sa popularité, et ses positions en matière de défense qui rencontrent un écho favorable dans l’opinion publique, en ferait en acteur clé de la prochaine coalition qui émergera de ces élections.

En effet, même affaibli, le SPD pourrait rester un acteur incontournable pour la CDU/CSU, pour recréer une nouvelle Grande Coalition (alliance SPD & CDU/CSU inaugurée en 1919 par la République de Weimar), face à la montée irrésistible de l’AfD. Ceci pourrait faire de Boris Pistorius son pivot politique et, à tout le moins, le mettre en position de force, pour obtenir les réformes et budgets requis pour la Bundeswehr, qu’il ne peut avoir avec Olaf Scholz et le présent Bundestag.

Un puissant stimulus, et un casse-tête budgétaire et industriel, pour la France et les européens

Bien qu’étant pour l’heure limitée à un simple « appel », les propos tenus par le ministre allemand de la Défense, à Washington, ne seront certainement pas passés inaperçus en Europe, et en particulier, en France.

En effet, traditionnellement, depuis l’adhésion de la République Fédérale d’Allemagne au sein de l’OTAN, Paris et Berlin ont toujours veillé à maintenir un certain équilibre dans les budgets de défense des deux pays.

boris pistorius et Sebastien lecronu
Sebastien Lecornu et Boris Pistorius à Berlin pour discuter du programme MGCS en juillet 2023

Or, si l’Allemagne devait amener son effort de défense à 3 % de son PIB, soit plus de 100 Md€ par an, aujourd’hui, cela obligerait la France à faire croitre le sien à 4 % de son propre PIB, sauf à accepter un décrochage français sur la scène européenne en matière de défense.

Or, si le passage à 3 %, pourrait se faire en Allemagne en amenant le déficit public annuel à 1,5 % PIB, passer à 4 %, pour la France, nécessiterait un déficit public très au-dessus des 3 % imposés par Bruxelles.

Il en irait de même pour d’autres pays, comme l’Italie, la Belgique ou l’Espagne, qui, pour atteindre 3 % d’effort de défense, devraient, eux aussi, en passer par un creusement des déficits au-delà du raisonnable.

En outre, avec un tel budget annuel, l’Allemagne aurait la possibilité d’imposer son industrie de défense sur le vieux continent, y compris par l’intermédiaire des programmes multinationaux, en s’arrogeant la part du lion dans les partages industriels.

De fait, si l’on peut, évidemment, se féliciter de voir l’Allemagne se tourner, à nouveau, vers la puissance militaire, pour contenir la menace russe, il sera vite nécessaire, en France en particulier, mais également dans les autres pays européens disposant d’une industrie de défense, de faire preuve d’imagination et de réactivité, pour rester au contact de la Bundeswehr et de la puissance de l’industrie allemande.

Le KAI FA-50 se verra décliné en version monoplace par la Corée du Sud

Entré en service en 2005, l’avion d’entrainement T-50, à l’origine du chasseur léger KAi FA-50, est le premier avion de combat équipé d’un turboréacteur supersonique conçu par le sud-coréen KAI, en partenariat avec l’Indonésie qui a assumé 20 % de ses couts de développement.

Le T-50, premier avion d’entrainement équipé de commandes de vol électrique triplement redondantes, de hautes performances et d’une avionique moderne, a rapidement connu le succès pour l’entrainement avancé des pilotes de chasse. Après les commandes sud-coréennes (60 appareils) et indonésiennes (16 exemplaires), il a été commandé par les forces aériennes royales thaïlandaises pour 14 avions d’entrainement.

Doté de hautes performances, grâce à son réacteur GE F404, identique à celui qui propulse le F/A-18 Hornet et le JAS-39 Gripen C/D, le T-50 a évolué, depuis, en avion d’armes. D’abord dans la version TA-50 d’attaque léger, commandé à 22 exemplaires par les forces aériennes sud-coréennes, puis dans la version FA-50, un chasseur léger polyvalent biplace, commandé par l’Irak (24 exemplaires), les Philippines (12) et, plus récemment, par la Pologne, pour 12 Block 10 et 36 Block 20, et la Malaisie, avec 18 FA-50 Block 20.

De l’avion d’entrainement T-50 au chasseur léger FA-50

À l’instar d’autres chasseurs légers, comme le F-5 Freedom Fighter américain, qu’il remplace aux Philippines, le FA-50 est un appareil polyvalent, doté d’une avionique performante avec un radar EL/M-2032 doppler à impulsion pour le TA-50 et le FA-50 Block 10, ou le Raytheon PhantomStrike AESA pour la version Block 20.

T-50 prototype
Les deux prototypes TX du T-50 en patrouille serrée

Dans cette dernière version, le Golden Eagle peut emporter une vaste panoplie de munitions avancées sous ses 7 points d’emport, dont les missiles air-air AMSRAAM, Iris-T, Sidewinder et AMRAAM, de nombreuses munitions air-sol dont la bombe guidée planante JDAM, le missile antinavire JSM et différents missiles air-sol, dont les SPEAR 3 et Brimstone britanniques, et le désormais célèbre KEPD 350K-2 Taurus allemand. Fait intéressant, l’appareil dispose d’un canon interne tri-tubes rotatif de 20 mm, alimenté à 205 coups.

L’appareil compact, long de seulement 13,1 mètres pour 9,45 m d’envergure, a une masse à vide de 6,5 tonnes, et une masse maximale au décollage de 10,7 tonnes, dont 2 600 kg de carburant interne. Il conserve, alors, d’excellentes performances, avec son turboréacteur F404 développant 6 tonnes de poussée sèche et 8,5 tonnes avec post-combustion.

De fait, le FA-50 Block 20, dans sa version actuelle qui demeure biplace, affiche une vitesse maximale de Mach 1,5, un plafond proche de 15 000 mètres, et une distance franchissable de 1 800 km, lui permettant d’avoir un rayon d’action opérationnel de l’ordre de 600 km, proche de celui d’un F-16, qui emporte toutefois deux fois plus de chargements externes.

Le KAI FA-50 sera décliné en version monoplace par la Corée du Sud

Si les performances du KAI FA-50 sont plus que respectables, elles prennent tout leur sens, lorsque comparées au prix de l’appareil. En effet, le FA-50 Block 20 est proposé autour de 45 m$ par KAI, soit 35 % moins cher qu’un JAS 39 Gripen D suédois, et 50 % moins cher qu’un F-16.

KAi FA-50 Corée du Sud
Le TA-50 est une version destinée à l’attaque et au soutien aérien rapproché du FA-50

Pour de nombreuses forces aériennes, soucieuses de préserver une certaine masse, mais disposant de moyens limités, le FA-50, bien que dérivé d’un avion d’entrainement, représente donc une alternative attractive, surtout lorsque les contraintes de distance franchissable satisfont aux performances de l’appareil, comme c’est le cas, notamment, de l’Irak, mais aussi de la Pologne.

Reste que, pour cette fonction, la configuration biplace apparait, le plus souvent, comme une contrainte. En effet, outre le prix supplémentaire que représente le doublement du poste de pilotage, et du siège éjectable, ces équipements constituent un poids supplémentaire de 300 à 400 kg, qui pourrait bien plus efficacement être remplacé par du carburant supplémentaire.

C’est précisément pour cela que l’avionneur KAI, soutenu par la DAPA, l’agence de l’Armement sud-coréenne, viennent d’annoncer qu’ils allaient investir 65 milliards de Wons, 45 m€, pour developper la version monoplace du Golden Eagle.

KAI FA-50 Golden Eagle Jdam, sidewinder et AMRAAM
Le FA-50 pourra mettre en oeuvre une vaste paonoplie d’armement, donc les missiles air-air sidewinder et amraam, et les bombes planantes guidées JDAM.

L’objectif affiché, par cette transformation somme toute limitée, eu égard au budget engagé, consiste bien à remplacer le poste arrière par un carénage et des réservoirs auxiliaires, qui devraient permettre d’augmenter le rayon d’action opérationnel du chasseur léger de 150 km, pour atteindre 750 km.

La position du poste arrière, proche du centre de gravité de l’appareil, permettra, en effet, d’effectuer cette transformation avec des modifications mineures, sans mettre à mal le centrage du chasseur, donc sa manœuvrabilité.

Un successeur au F-5 Freedom Fighter avec le soutien des États-Unis ?

Le chasseur léger monoplace devrait entrer en service avant 2030, selon KAI, soit au parfait moment pour venir remplacer les derniers F-5 Freedom fighter, qui restent en service au sein de 18 forces aériennes à ce jour, en version chasseur ou avion d’entrainement.

Le Golden Eagle reprendra, en effet, les atouts de cet appareil légendaire produit à 3 600 exemplaires par Northrop de 1959 à 1987, à savoir des performances élevées et des couts d’acquisition et de mise en œuvre réduits, notamment du fait de son architecture monomoteur. D’ailleurs, l’avionneur sud-coréen est en discussion avec plusieurs forces aériennes, que ce soit concernant la version d’entrainement ou la version chasseur léger de l’appareil.

F-5 Freedom Fighter
Il reste près de 850 F-5 Freedom Fighter en service au sein de 18 forces aériennes dans le monde.

Pour atteindre ce marché, et même l’étendre, la Corée du Sud entend séduire un partenaire de choix, le Pentagone américain. Ce dernier représente, surtout, l’objectif ultime pour KAI. En effet, qu’il s’agisse des avions d’entrainement avancés de l’US Navy, ou des chasseurs légers de l’US Air Force, les États-Unis pourraient avoir, dans les années à venir, un besoin atteignant 500 appareils, auquel la famille des Golden Eagle pourrait répondre.

Séoul entend d’ailleurs ne pas ménager ses efforts pour y parvenir, en proposant des conditions tarifaires, des délais, et des modèles de coopération particulièrement attractifs aux armées américaines, afin de s’imposer dans ces compétitions.

Reste que KAI aura fort à faire pour y parvenir, alors que ni Boeing, ni Lockheed Martin, ne se laisseront facilement sortir de tels marchés nationaux. Pour autant, avec des arguments commerciaux convaincants, des délais fermes et des compensations attrayantes pour l’industrie aéronautique américaine, les ambitions sud-coréennes pourraient bien se concrétiser.

Faut-il spécialiser les armées françaises face aux évolutions internationales des menaces ?

Si les autorités françaises aiment à présenter leurs armées comme « la première armée en Europe », nombreux sont ceux qui expliquent que si celles-ci sont, en effet, les seules, au sein de l’Union Européennes, à disposer de l’ensemble des compétences requises pour mener des engagements modernes, elles ont, le plus souvent, sacrifié la masse pour y parvenir.

De fait, la capacité de ces armées « d’échantillons », à soutenir, dans la durée, un engagement de haute intensité contre un adversaire symétrique, comme la Russie, même en coalition, est remise en cause par certains spécialistes du sujet, non sans arguments.

Alors que des voix convergentes poussent pour une prochaine nouvelle augmentation de l’effort de défense européen à 3 % du PIB, on peut s’interroger sur la pertinence, pour la France, et pour la sécurité européenne, de conserver ce format d’armées globales, face à une structure davantage spécialisée pour assurer la sécurité du pays, tout en servant, au mieux, la protection de la paix et des intérêts français en Europe et dans ses emprises stratégiques ?

L’Armée française globale, un modèle hérité de la guerre froide

Le modèle d’Armée française globale, employé aujourd’hui, est hérité des évolutions politiques, technologiques et internationales, durant la guerre froide. Après l’intervention franco-britannique à Suez en 1956, et les menaces soviétiques et américaines, pour faire reculer Paris et Londres, les autorités françaises acquirent la certitude qu’il était nécessaire, pour disposer d’une réelle autonomie stratégique, de se doter de l’ensemble des moyens requis pour mener cette politique, en particulier militaire.

Faut-il spécialiser les armées françaises ou conserver le format d'armée globale ?
Faut-il spécialiser les armées françaises ou conserver le format d’armée globale ?

Cette doctrine se décomposa en deux volets. D’abord, la France allait se doter d’une dissuasion nucléaire entièrement autonome, contrairement à la Grande-Bretagne, qui décida, à l’inverse, de se rapprocher au plus près de Washington pour défendre ses intérêts.

Ensuite, la France allait se doter d’une armée, mais aussi d’une industrie de défense, autonomes et complètes, lui permettant d’agir sur l’ensemble du spectre conventionnel, là encore, en parfaite autonomie, s’appuyant notamment sur une imposante armée de conscription, encadrée par un puissant corps de militaires professionnels d’active.

Bien qu’ayant renoncé à la conscription en 1996, la France conserva, après la Guerre Froide, cette ambition d’Armée et d’industrie de défense globale. Toutefois, face à la baisse des tensions internationales, à la professionnalisation des forces, et aux fameux « bénéfices de la paix », qui handicapèrent les crédits de défense européens pendant plus de 20 ans, cet objectif ne put se faire qu’au détriment de la masse.

Ainsi, aujourd’hui, si les armées françaises disposent bien de (presque) toutes les capacités opérationnelles faisant une armée globale, celles-ci sont, bien souvent, très limitées en volume, avec 200 chars lourds, 120 tubes d’artillerie, un unique porte-avions ou encore 220 avions de combat.

Un contexte stratégique radicalement différent des années guerre froide

Si le modèle d’Armée Globale française a perduré au-delà de la guerre froide, le contexte stratégique, qui s’impose aujourd’hui en Europe, et dans le Monde, est, lui, très différent de ce qu’il était à ce moment-là.

Armée soviétique en Allemagne de l'Est
Le Pacte de varsovie alignait plus de 30 000 chars et 4 millions d’hommes le long des frontières européennes, dans les années 80.

Ainsi, si Moscou est redevenu l’objet de toutes les inquiétudes en Europe ces dernières années, en particulier après l’entame de l’agression militaire contre l’Ukraine, la Russie n’est pas l’Union Soviétique.

La population russe est aujourd’hui de seulement 145 millions d’habitants, alors que l’Union Soviétique atteignait 286 millions d’habitants en 1990, plus que les États-Unis (246 mh), mais moins que les pays européens de l’OTAN (315 mh).

En outre, là où l’Union Soviétique pouvait s’appuyer sur les pays du Pacte de Varsovie et leurs 130 millions d’habitants à la fin des années 80, ceux-ci ont, depuis, rejoint l’UE et l’OTAN, accompagnés par les trois pays Baltes, anciennes républiques soviétiques.

De fait, aujourd’hui, la Russie affiche un déficit démographique considérable face à l’Europe et ses 630 millions d’habitants, comme dans le domaine économique, avec un PIB de 2 400 Md$ en 2024, contre 23 000 Md$ estimés côté européen.

La géographie des menaces a, elle aussi, sensiblement évolué. Là où les chars soviétiques et est-allemands étaient stationnés à 800 km des frontières françaises dans les années 80, ceux-ci sont à plus de 2 000 km aujourd’hui, avec un puissant glacis d’armées d’Europe de l’Est, en particulier la Pologne, lui faisant face.

Forces armées polonaises
Les forces armées polonaises évoluent rapidement pour devenir une très puissante force convetionelle en Europe de l’Est, face à la Russie et la Bielorussie.

Toutefois, si les armées russes sont loin de représenter la même menace conventionnelle qu’était celle du Pacte de Varsovie en 1985, elles peuvent toutefois s’appuyer sur une dynamique de croissance stimulée par la guerre en Ukraine, et sur le délitement des armées européennes par 20 années de sous-investissements critiques.

En outre, si le rapport de force conventionnel a beaucoup évolué depuis les années 80, ce n’est pas le cas de la menace nucléaire russe. Avec 6000 têtes, Moscou dispose toujours d’une puissance de dissuasion considérable, dépassant, en nombre de têtes et de vecteurs, celle des États-Unis, et ne se prive pas de l’agiter dès que les européens se montrent trop entreprenants en Ukraine.

Enfin, contrairement à la guerre froide, durant laquelle l’Europe et l’Union Soviétique étaient les principales préoccupations des États-Unis, Washington est, aujourd’hui, tourné vers le Pacifique et la Chine, son immense puissance économique et démographique, et sa puissance militaire et nucléaire, en évolution très rapide, alors que d’autres acteurs, comme l’Iran et la Corée du Nord, tend à encore accroitre la dispersion potentielle des forces américaines.

Un effort de défense à 3 % du PIB bientôt imposé par l’OTAN et les États-Unis ?

Il n’y a donc rien de surprenant, dans ce contexte, que les États-Unis, et quelques européens, notamment à l’Est, font pression pour que l’Europe, dans son ensemble, augmente son effort de défense, pour répondre, en autonomie, à la menace russe, ainsi qu’aux menaces affiliées.

Donald Trump
Donald Trump a indiqué qu’il entendait faire pression sur les européens pour qu’ils amenent leur effort de défense à 3 % du PIB, proche de celui des Etats-Unis. Paradoxalement, s’ils atteingnent ce niveau, les européens n’auront probablement plus besoin des Etats-Unis pour garantir leur sécurité.

C’est en particulier le cas de Donald Trump, l’ancien président américain, candidat républicain et favori des sondages des prochaines élections présidentielles américaines. Celui-ci a, en effet, déclaré que s’il était élu, il imposerait aux Européens, d’amener leur effort de défense à un niveau minimum représentant 3 % du PIB des pays. Les États-Unis, de leurs côtés, dépensent autour de 3,4 % de leur PIB dans leurs armées chaque année.

La puissance de coercition des États-Unis sur l’Europe, en particulier dans le domaine de la défense, que ce soit au travers de l’Article 5 de l’OTAN, déjà menacé par D. Trump si les européens ne cédaient pas à ses exigences en matière de défense, mais aussi pour contrôler la menace nucléaire russe, rendent crédible l’efficacité de cette menace sur une grande partie des européens, les pressions intra-européennes faisant fléchir, à terme, les plus récalcitrants.

Cet objectif est d’autant plus crédible, qu’il sera indispensable, aux européens, dans les années à venir, de contrôler, la menace russe, ainsi qu’un espace de responsabilité géopolitique incluant l’Atlantique Nord et Sud, la Méditerranée et le golfe Persique, alors que les États-Unis auront besoin de l’ensemble de leurs moyens militaires, pour contenir la montée en puissance de la Chine dans le Pacifique et l’Océan Indien.

De fait, d’une manière ou d’une autre, les européens, y compris les français, devront bientôt réviser à la hausse leurs ambitions en matière de budget de défense, pas tant pour atteindre un objectif budgétaire de PIB, que pour, effectivement, assurer la protection de l’espace européen, ainsi que de ses espaces de responsabilité.

Spécialiser les armées françaises, une réponse pragmatique aux besoins de défense français et européens

Dans une telle hypothèse, la France pourrait avoir intérêt, non pas de developper ses armées de manière homothétique, mais en concentrant les nouveaux crédits disponibles, dans des domaines spécialisés, les plus à même de produire les effets les plus efficaces pour la sécurité du pays, de l’Europe, et la protection des prérogatives des deux, dans la sphère d’influence européenne.

Chars Leclerc Armée de Terre
La France a-t-elle interet à faire croitre ses armées de manière homothétique, en cas d’augmentation des crédits défense, ou à concentrer ses investissements dans certains domaines exclusifs aux armées françaises en Europe ?

Pour cela, la France investirait dans le renforcement de certaines capacités militaires alliant n aspects concomitants : avoir un effet majeur dans l’évolution du ou des rapports de force ; être adaptées aux spécificités géographiques, politiques et démographiques françaises ; et exploitant au mieux les spécificités des compétences et savoir-faire technologiques des armées et de l’industrie de défense française.

Renforcer la dissuasion française pour contenir la menace Russe et l’émergence d’acteurs nouveaux

Les premières capacités répondant à ces conditions, sont, bien évidemment, les forces de dissuasion françaises. Non seulement la France dispose-t-elle de la seule dissuasion nucléaire en Union européenne, mais elle est, aussi, la seule à maitriser, en Europe, l’ensemble de la chaine technologique la concernant, pour ses deux composantes, sous-marine et aérienne.

Il ne fait, dès lors, aucun doute qu’une augmentation sensible des crédits de défense français, seraient très efficacement employés en renforçant les capacités de dissuasion française, au bénéfice de la sécurité du pays, ainsi que des autres pays européens, surtout alors que le bouclier nucléaire américain peut prêter à caution.

Si, d’un point de vue opérationnel, la France dispose déjà d’une puissance de feu nucléaire suffisante pour dissuader la Russie d’une attaque l’Europe, les évolutions technologiques à venir, l’enrichissement du « vocabulaire nucléaire » face à une Russie particulièrement prompte à brandir cette menace, et les effets de seuils psychologiques, pour les alliés européens, plaident en faveur d’une augmentation de la dissuasion, en masse, comme en moyens.

SNLE le Triomphant
Si la dissuasion française est suffisante pour assurer la sécurité de l’Europe, au même niveau de celui de la France, elle bénéficierait, dans les années à venir, d’un renforcement pour répondre aux évolutions technologiques ainsi que pour mieux exercer son dialogue stratégique avec la Russie.

Ainsi, il serait certainement bienvenu d’augmenter la flotte de sous-marins nucléaires d’engins, pour être en mesure de maintenir, en temps normal, deux navires à la mer, trois à quatre en temps de crise. De même, la création de nouveaux escadrons stratégiques, accroitrait la représentativité des forces nucléaires françaises / européennes, en temps de tension.

Enfin, il serait, assurément, efficace de doter les armées françaises, à nouveau, d’une composante terrestre mobile, équipée de missiles balistiques hypersoniques, pour répondre, en miroir, aux déploiements de ce type des forces russes le long des frontières européennes.

Projection de puissance et force de suprématie navale

Si les armées françaises sont, aujourd’hui, les seules à mettre en œuvre une dissuasion à double composante autonome en Europe, c’est le cas concernant les capacités de projection de puissance navale. Ainsi, le Charles de Gaulle, et son successeur, le futur PANG, seront les seuls porte-avions européens dotés de catapultes, armés d’avions de combat européens, et, par ailleurs, à être dotés d’une propulsion nucléaire.

De même, elle aligne six sous-marins nucléaires d’attaque, comme la Royal Navy, ainsi que la plus importante flotte de projection de puissance, avec trois grands porte-hélicoptères amphibies de la classe Mistral. Les Armées françaises disposent, par ailleurs, de la plus importante force d’assaut aéroterrestre et amphibie, avec une puissante infanterie de marine, et des capacités d’aérocombat et d’assaut aéroporté étendues.

PAn Charles de Gaulle
La Marine nationale est la seule, en dehors de l’US Navy, a mettre en oeuvre un porte-avions doté de catapultes à propulsion nucléaire.

La conjonction de ces moyens technologiques, des compétences industrielles et des savoir-faire militaires en matière de projection, de puissance aéronavale, plaident en faveur d’un renforcement de ces moyens, en particulier pour assurer les missions de suprématie navale en Atlantique, Méditerranée et dans le golfe Persique, mais aussi pour se doter de moyens aéroamphibies avancées. On peut se rappeler du débarquement d’Incheon, pour se convaincre de l’intérêt d’une telle capacité.

Une puissance aérienne majeure en soutien des armées européennes

Par sa position géographique, en retrait vis-à-vis des lignes de contact probable en Europe de l’Est, et hors de portée des systèmes SRBM russes, la France représente, aujourd’hui, une plate-forme de prédilection, pour mettre en œuvre la puissance aérienne devant soutenir les actions au sol en Europe de l’Est ou du Nord.

En outre, l’Armée de l’air et de l’Espace dispose d’une expérience sans équivalent en Europe, concernant les frappes à très longue portée, avec les missions Poker, liées à la dissuasion. Celles-ci servirent de cadre, en 2019, pour la mission Hamilton, ayant amené une dizaine de Rafale et Mirage 2000-5 de la base aérienne de Saint-Dizier, dans l’est de la France, au large de la Syrie, sans escale, pour détruire des installations chimiques syriennes.

L’Armée de l’Air dispose, à ce titre, de la plus grande flotte d’avions ravitailleurs en Europe, et d’une grande expérience dans la projection de puissance et le train logistique aérien qu’elle impose. Enfin, la France est le seul pays, en Europe, à pouvoir concevoir intégralement un avion de combat, y compris son propulseur et ses systèmes d’armes, alors que le Rafale se révèle un véritable succès commercial.

Rafale B et C Armée de l'Air et de l'Espace
L’Armée de l’Air et de l’Espace dispose d’une expéreince unique en Europe, en matière de frappe à très longue portée.

L’ensemble de ces compétences, et facteurs géographiques, plaident pour un renforcement important des moyens donnés à l’Armée de l’Air et de l’Espace, en vue de renforcer l’ensemble de ses forces.

Ce d’autant que si des pays comme la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et même les Pays Baltes, savent produire des forces terrestres proportionnellement plus imposantes que la France, et souvent plus lourdement armées, ces pays manquent clairement de moyens aériens pour en assurer la mise en œuvre efficace.

Une force terrestre agile et réactive, exploitant les compétences de l’Armée de Terre

Si la dissuasion, les forces navales et l’Armée de l’air, se voient privilégiées par la spécialisation des armées, liées à l’augmentation potentiel de l’effort de défense à 3 % du PIB, cela ne peut se faire, mathématiquement, qu’au détriment de l’Armée de Terre.

En effet, cette approche tend à ne pas privilégier l’investissement dans des moyens accessibles et déjà massivement dotés par ailleurs, en Europe, en particulier en Europe de l’Est, alors que la sécurité territoriale française sera, quoi qu’il en soit, assurée par la dissuasion.

Pour autant, l’Armée de Terre, elle aussi, pourrait subir certaines évolutions, en particulier pour privilégier ses forces de réaction rapide, de projection de puissance, et ses forces spécialisées, comme peuvent l’être les troupes de Marine, les troupes de Montagne, les forces parachutiste et d’aérocombat, ou la légion étrangère.

Il s’agit, en effet, des forces les plus aguerries de l’Armée de Terre, et celles qui disposent des atouts les plus différenciés, vis-à-vis des autres armées européennes, plus lourdes et plus conventionnelles, dans leurs structures et dans leurs moyens.

VBMR Griffon Mali
L’Armée de terre française est très mobile, et dispose dedu plus important taux de transport sous blindage de toutes les armées européennes.

Il s’agirait, ici, de faire des faiblesses parfois pointées du doigt concernant l’Armée de terre, notamment le manque de blindage, de puissance de feu, et la prédominance de la roue sur la chenille, des atouts en privilégiant la mobilité et la réaction rapide, employant notamment son très important taux de transport sous blindage sur roues, comme un facteur clé.

On remarquera, à ce titre, que pour pleinement employer ces atouts à leur plein potentiel, il est préférable que les unités françaises agissent de manière autonome, au profit de l’ensemble de l’engagement, plutôt que de s’intégrer dans un dispositif plus classique, avec une zone de responsabilité définie.

Un soutien aux points forts de l’industrie de défense française

Bien évidemment, la spécialisation des Armées françaises, ici décrites, entrainerait une certaine spécialisation de l’industrie de défense française, qui perdrait, elle aussi, son caractère global.

Pour autant, en listant ces domaines de compétence spécialisés, la dissuasion, la puissance navale, la puissance aérienne, et la mobilité de combat terrestre, on retrouve, dans les faits, l’ensemble des succès commerciaux internationaux français ces dernières années, que ce soit dans le domaine aérien (avions de chasse, de transport, ravitailleurs, satellites), naval (sous-marins, frégates, PHA, aviation embarquée), et même terrestre (blindés légers et moyens sur roues).

FDI Amiral Ronarc'h Lorient naval Group
la spécialisation des armées françaises ne se ferait pas au détriment de l’industrie de défense nationale.

En d’autres termes, les éventuels renoncements auxquels les industriels français seraient exposés, dans ces hypothèses, seraient très certainement compensés par le renforcement de la position dominante industrielle et opérationnelle française, sur les aspects qui sont, aujourd’hui déjà, au cœur de ses succès à l’exportation.

Conclusion

On le voit, bien que contre-intuitive de prime abord, la spécialisation des armées françaises, permettrait d’obtenir des effets optimisés, opérationnels, politiques, sécuritaires et industriels, dans l’hypothèse d’une hausse prochaine des crédits de défense, sous pression des États-Unis.

Cette spécialisation, si elle venait à faire école en Europe, ouvrirait la voie à une optimisation bienvenue des moyens militaires de chaque pays, aux bénéfices d’une efficacité accrue des capacités opérationnelles, mais aussi des investissements de défense, en réduisant les doublons d’investissement qui grèvent, aujourd’hui, une bonne partie des budgets défense européens, pris dans leur ensemble.

Reste que, pour aller dans ce sens, cela suppose des européens qu’ils soient prêts à se faire effectivement confiance, de manière réciproque, au moins autant qu’ils font, chacun, confiance aux États-Unis pour assurer leur protection aujourd’hui.

C’est probablement là que se situe le frein le plus important, pour parvenir à faire la défense européenne, un ensemble homogène et efficace, face à une Russie, certes beaucoup moins peuplées, considérablement moins riche, mais toute entière derrière le Kremlin, que ce soit de grès, ou de force.

La Marine chinoise entraine ses propres officiers de l’US Navy pour des wargames réalistes

Depuis le début des années 70, l’académie navale de Nanjing, qui forme les officiers et officiers supérieurs des forces navales de l’Armée Populaire de Libération, pratique activement le wargame, pour entrainer ses stagiaires.

Depuis quelques années, cependant, une nouvelle catégorie de formateurs participe à ces entrainements. Spécialement formés pour reproduire les doctrines et comportement des officiers de l’US Navy, ils jouent, systématiquement, les forces « bleues », à savoir américaines, pour donner aux simulations un réalisme accru.

Les limites des wargames touchées du doigt par les forces navales de l’Armée Populaire de Libération

L’académie navale de Nanjing, dans le Jiangsu, est l’un des deux équivalents de l’école Navale française, qui dispose, par ailleurs, d’un cursus supérieur, similaire à l’école de guerre. Elle forme les officiers de la Marine militaire de l’Armée populaire de libération, à la conduite des opérations navales, ainsi qu’aux techniques de combat.

Elle emploie depuis plusieurs décennies l’outil wargame dans le cadre de ses formations, que ce soit à destination des stagiaires en formation initiale, ou dans le cadre de la formation des officiers supérieurs. Ainsi, chaque année, elle organise un exercice s’étendant sur une dizaine de jours, baptisé « Plan mer » (筹海), pour donner à ses stagiaires, l’expérience de la conduite des opérations navales de grande envergure.

Marine chinoise amiral shen jinlong
L’amiral Shen a été Chef d’etat-major de la Marine choinses de 2017 à 2021

Les formateurs chinois sont, toutefois, parfaitement conscients des limites de l’exercice wargame, en particulier lorsque simulé entre des stagiaires issus de la même formation. En effet, les deux camps, y compris ceux qui jouent les forces adverses, ou OpFor, tendent à appliquer les doctrines enseignées, donc les doctrines chinoises, réduisant de fait l’efficacité de la simulation.

C’est pour répondre à ce besoin que le contre-amiral Shen Jinlong, qui deviendra, par la suite, le chef d’état-major de la Marine chinoise de 2017 à 2021, mit en place, alors qu’il dirigeait cette académie navale de 2011 à 2015, une équipe spécialisée de formateurs pour jouer les fameuses Forces Bleues.

Des officiers de la Marine chinoise en uniforme de l’US Navy

L’amiral Shen est, pour cela, allé recruter parmi les officiers navals chinois ayant la meilleure expérience internationale, tout en ayant un esprit tactique affuté. Cette équipe, qui poussait le réalisme jusqu’à porter l’uniforme de l’US Navy, permit d’améliorer sensiblement l’efficacité perçue des séances de wargame, en particulier pour cette marine qui manque d’expérience de combat, pour appuyer ses formations.

L’expérience initiale attira rapidement l’attention de l’état-major chinoise, d’autant qu’il avait fait, dès 2014, de la simulation, l’un des piliers de sa préparation opérationnelle. C’est ainsi que la petite équipe de formateurs spécialisés, construite autour de l’amiral Sheng, devint rapidement le Centre des Équipes Bleues.

Centre des forces bleues Nanjing
Les formateurs du centre des forces bleues de Nanjing, n’ont qu’une seule mission, reproduire le plus fidèlement possible le comportement des forces navales adverses.

Celui-ci se compose, aujourd’hui, de plusieurs équipes spécialisées, pour reproduire le plus précisément possible, les moyens, les doctrines, mais aussi les comportements des officiers et des unités navales des marines potentiellement adverses, qu’il s’agisse de l’US Navy, des forces philippines, japonaises, vietnamiennes ou encore taïwanaises.

Chacune de ces équipes a pour mission d’accroitre ses connaissances des marines et forces armées qu’elles doivent parfaitement simuler, ceci constituant leur unique mission, de laquelle les formateurs semblent s’acquitter avec une passion venant parfois flirter avec l’obsession.

Des wargames organisés avant des déploiements pour les grandes unités navales chinoises

Si le Centre des Forces Bleues participe directement à la formation des stagiaires de l’académie navale de Nanjing, il participe, aussi, à la formation des équipages des grandes unités navales, ou des groupes d’action naval, en amont de leur déploiement.

Ainsi, en 2017, le centre effectua une formation à destination de l’équipage du Liaoning, avant que le navire, son groupe aérien embarqué, et son escorte, entame ses premiers déploiements opérationnels.

Il s’agissait notamment de former les officiers du premier porte-avions chinois, aux méthodes de capture insulaire, et de renforcer ses propres capacités opérationnelles, y compris en simulant la possible intervention d’une flotte tiers, dite verte, en l’occurrence l’US Navy, dans un conflit purement régional.

porte-avions liaoning
En 2017, le commandant du nouveau porte-avions Liaoning chinois, a été directement formé, avec son état-major, par le Centre des forces bleues.

Au-delà de ces formations spécifiques, le Centre des Forces Bleues organise, désormais, de manière régulière, des exercices de grande ampleur, à vocation prospective, pour étudier les rapports de force, en fonction des scénarios envisagés.

Il semble, à ce titre, que l’US Navy, et plus globalement, les forces occidentales, sont systématiquement simulées à leur plein potentiel, y compris technologique, de sorte à donner une vision réaliste, et non politiquement admissible, de la situation.

Une expérience pertinente pour les centres de simulation occidentaux.

L’article de l’US Naval Institute, au sujet du Centre des Forces Bleues de Nanjing, propose de nombreux éclaircissements, sur la réalité de l’entrainement tactique et stratégique des officiers des forces navales de l’Armée Populaire de Libération.

Ainsi, il est évident que la formation des officiers de Marine chinois s’avère particulièrement sérieuse et méthodique, y compris concernant des aspects qui, jusqu’ici, pouvaient prêter à caution. Rappelons, à ce titre, qu’à côté de ces simulations, visiblement fréquentes et particulièrement réalistes, les équipages des navires chinois participent, chaque année, à un exercice, parfois plus, avec tirs réels de tous les systèmes embarqués, bien plus que ne le font les marines occidentales.

wargame naval
Un temps passés en désuétudes, les wargames ont retrouvé, ces dernières années, une grande attractivité pour les état-majors.

En d’autres termes, même si, effectivement, la Marine chinoise n’a pas participé à des engagements navals d’importance, depuis sa création, en 1949, il serait probablement dangereux de prendre, comme postulat, un manque d’expérience, ou d’entraînement, de ses équipages, ou de ses officiers. On notera, d’ailleurs, que depuis plusieurs années, l’US Navy prend très au sérieux les capacités militaires navales chinoises, sans jamais les sous-estimer.

La méthodologie employée par le Centre des Forces Bleues, basée sur des formateurs dont la mission est de reproduire le plus fidèlement possible, les doctrines, les moyens, ainsi que les comportements, des forces adverses, est certainement pertinente, en particulier pour employer l’outil wargame à son plein potentiel, pour en retirer des informations fiables et pertinentes.

A ce titre, elle mériterait, assurément, d’être étudiée en Europe, que ce soit dans le domaine naval, mais aussi dans celui du combat aéroterrestre, alors que les tensions croissantes nécessitent des réponses et des évaluations précises et réalistes, que ce soit à destination des forces, ou du pouvoir politique, pour guider leurs actions et leurs décisions.

Quelles sont les limites du développement à pas générationnel des équipements de défense ?

Durant la guerre froide, la course aux armements entre les deux blocs otaniens et soviétiques était telle, que le tempo technologique était très soutenu. Ainsi, il n’y avait, le plus souvent, qu’une dizaine à une quinzaine d’années entre deux équipements pour la même fonction. Il était aussi fréquent que plusieurs équipements similaires mais reposant sur des bases technologiques très différentes, évoluent conjointement dans une même armée.

Ce phénomène était particulièrement sensible dans certains domaines, comme en matière d’avions de combat. Ainsi, lorsque le premier Mirage 2000C est entré en service au sein de l’Armée de l’Air française, en 1984, celle-ci mettait encore en œuvre des Mirage IIIE jusqu’en 1988, ainsi que des Mirage F-1C, tous trois dédiés à la supériorité aérienne.

À partir des années 80, toutefois, les armées occidentales ont privilégié l’évolutivité des équipements pour répondre aux évolutions des besoins et des technologies. Le Rafale, un appareil particulièrement évolutif, a connu, depuis son entrée en service en 2001, pas moins de six standards majeurs itératifs, chacun dotant l’appareil de nouvelles capacités.

Toutefois, alors que, sous la pression des tensions internationales et des risques croissants de conflits, le tempo technologique défense s’est à nouveau emballé ces dernières années, ce modèle reposant sur un unique équipement évolutif par génération, n’atteint-il pas ses limites aujourd’hui ?

Le développement à pas générationnel des équipements de défense s’impose en occident à partir des années 80.

La doctrine visant à parier sur l’évolutivité et la polyvalence des équipements de défense, plutôt que sur des développements successifs au sein d’une même génération, n’est pas dénuée d’intérêts.

CV-41 USS Midway
CV-41 USS Midway et son Carrier Air Wing

Elle permet, en effet, de considérablement simplifier les aspects logistiques et de maintenance au sein des armées, ainsi que les problématiques de formation des personnels qui mettent en œuvre ces équipements, ou qui les maintiennent en condition opérationnelle.

Ainsi, à la fin des années 60, les porte-avions américains mettaient fréquemment en œuvre 5 ou 6 modèles différents d’avions de combat (F-4, F-8, A-4/7, A-5, A-6), 8 à 10 en comptant les avions logistiques (C-2), de sureté aérienne (S-2/3), et les hélicoptères. Il fallait, pour chacun d’eux, des équipes dédiées, mais aussi des équipements de maintenance propres, voire des armements spécifiques.

Aujourd’hui, un super porte-avions de la classe Nimitz, ne met en œuvre que deux familles d’avions de combat, le Super-Hornet et le Growler, sa version de guerre électronique, d’une part, et le Hornet ou le F-35C, de l’autre. À ces deux modèles de chasse, s’ajoutent l’E-2D Hawkeye de veille aérienne avancée, le Sea Hawk pour les missions Pedro, et parfois, un ou deux C-2 Greyhound logistiques. Ce faisant, l’efficacité du porte-avions est accrue, alors que l’ensemble de la chaine logistique est considérablement simplifiée.

Pour autant, cette approche n’a pas été faite sans certains renoncements, que les armées, ainsi que les industriels, commencent depuis quelques années à toucher du doigt, et qui s’avèrent souvent très handicapantes, en particulier alors que le tempo technologique des équipements de défense tend à considérablement s’accélérer.

Char Leclerc : Une attractivité commerciale non adaptative face à la demande

Le premier risque, inhérent à ce modèle, est caractérisé par l’exemple du char Leclerc. Conçu à la fin des années 80, le char français est entré en service en 1993. Bien que très réussi du point de vue technologique et industriel, il a souffert d’être arrivé sur un marché en chute libre après l’effondrement du bloc soviétique.

Leclerc Emirats Arabes unis
Chars Leclerc Emirats arabes unis.

Non seulement arriva-t-il sur un marché atone, mais il a dû, dans le même temps, faire face au déstockage de plus de 2000 Leopard 2 d’occasion de la Bundeswehr, le privant de la plupart des opportunités exports restante.

De fait, de 1980 à 2024, la France n’a exporté, en tout et pour tout, que 390 chars Leclerc et 46 versions dépanneur de char, ceci ayant considérablement altéré la crédibilité de l’industrie française dans ce domaine sur la scène internationale.

Pire encore, alors que le marché est reparti, depuis quelques années, à la hausse, l’industrie de défense française ne dispose plus des capacités de production pour proposer une version évoluée du Leclerc, pourtant plus récent que le Leopard 2 ou que l’Abrams, des chars qui ont récemment remporté plusieurs succès internationaux majeurs.

Eurocanards vs F-35 : une segmentation figée du marché adressable

Si les équipements générationnels s’avèrent, le plus souvent, evolutifs et efficaces, ils souffrent aussi, parfois, de limitations structurelles que l’évolutivité ne permet de traiter. C’est en particulier le cas des avions de combat européens de la famille des Eurocanards, face au F-35 américain.

En effet, en dépit de leurs qualités respectives, force est de constater qu’aucun n’a pu s’imposer dans une compétition internationale lorsque le F-35A de Lockheed Martin était, lui aussi, proposé.

F-35 italie
F-35 construits en Italie

On peut, bien évidemment, se convaincre qu’il s’agit là du seul fait des pressions du Département d’État, et d’une manœuvre des dirigeants européens et asiatiques, pour s’assurer de la protection américaine. Dans les faits, cependant, la plupart du temps, le F-35A a été privilégié par les forces aériennes elles-mêmes, pour ses qualités de furtivité et de fusion de données, et en dépit de son domaine de vol de soupière robotisée.

Or, dans ces domaines, et particulièrement pour ce qui concerne la furtivité, aucune évolution des avions de combat européen n’est en mesure de mettre le Rafale, le Typhoon ou le Gripen, sur un pied d’égalité avec le Lightning II.

Paradoxalement, les européens disposent des compétences technologiques dans ce domaine depuis plus d’une quinzaine d’années. Elles ne seront cependant pas mises en œuvre avant la prochaine génération d’avions de combat, à partir de 2035 ou 2040.

SCAF, MGCS : des menaces sur les compétences industrielles et technologiques

Cette doctrine industrielle à pas générationnel, visant à produire un unique équipement par génération, présente également de nombreuses contraintes dans le domaine industriel. En effet, lorsqu’une génération s’étend sur 30 ou 40 ans, il devient très difficile, pour les industriels, de maintenir les compétences et savoir-faire pour concevoir un équipement, sur une durée aussi étendue.

C’est particulièrement sensible concernant certains domaines particulièrement complexes, comme la conception des turboréacteurs des avions de combat ou des transmissions et motorisation de blindés lourds, par ailleurs maitrisée par seulement une poignée d’industriels dans le monde.

MGCS vision allemande
Vision allemande du programme MGCS

Ce phénomène est d’autant plus problématique lorsque la nouvelle génération d’équipement est conçue en coopération, comme c’est le cas des programmes d’avions de combat et de chars de nouvelle génération SCAF et MGCS.

Sachant qu’ils n’auront pas la possibilité d’exercer pleinement leurs compétences sur la conception pleine et entière d’un nouvel équipement avant, à nouveau, une génération, soit plus de 30 ans, les industriels se montrent, naturellement, particulièrement défensifs pour ce qui concerne les périmètres industriels qui leur seront confiés, des compétences acquises après plusieurs décennies d’investissements et d’efforts.

Zumwalt, F-35 : fusion des développements technologiques et des programmes d’équipements

L’approche générationnelle des équipements de défense, fait peser un poids technologique particulièrement élevé sur ces programmes. De fait, bien souvent, les programmes de production d’équipements sont lancés concomitamment à ceux des technologies avancées sur lesquels ils doivent être bâtis.

Cette méthodologie a pourtant souvent donné des résultats plus que douteux, entrainant des délais non respectés, des prix revus à la hausse, et même, parfois, des impasses technologiques, en raison des difficultés technologiques rencontrées lors de la conception.

Ainsi, les couts de développement du F-35 américain ont plus que triplé, en dollar constant, entre les estimations initiales, et la première version ayant obtenu une première capacité opérationnelle.

développement à pas générationnel Zumwalt
Destroyer USS Zumwalt

Dans le même temps, le prix d’achat du chasseur a augmenté de 35 %, alors que ses couts de mise en œuvre ont doublé, alors qu’il ne doit, désormais, atteindre le Block 4, la première version jugée pleinement opérationnelle, qu’à la fin de la décennie, avec plus de dix ans de retard.

Si le F-35 aura couté beaucoup plus cher, et aura pris beaucoup plus de temps à developper, les destroyers de la classe Zumwalt, eux, ont tout simplement été annulés après le troisième exemplaire, et privés de leur armement principal, une double tourelle de 155 mm censée leur conférer une puissance de feu inégalée. En effet, le programme Main Gun System, autour duquel ces navires ont été conçus, n’a jamais atteint ses objectifs, notamment en termes de prix de revient.

Parfois, enfin, cette approche, mitigeant développement technologique et industrielle, n’aboutit à rien, tout en engloutissant des crédits considérables. C’est ainsi que le programme OMV, destiné à remplacer les M2 Bradley de l’US Army, a englouti presque 20 Md$ avant d’être annulé, sans que le moindre véhicule de combat d’infanterie ne soit jamais produit.

LCS : une réactivité limitée face aux évolutions technologiques et opérationnelles

Le dernier risque, concernant cette approche technologique, est opérationnel. Il s’agit de concevoir un équipement sur certains paradigmes qui ont, depuis, disparu des besoins des armées.

C’est notamment le cas des Littoral Combat Ship, ou LCS, de l’US Navy. Initialement, ces navires devaient recevoir des modules de mission, leur permettant d’effectuer trois types de mission : guerre des mines, lutte antinavire et lutte anti-sous-marine.

LCS classe independance
LCS classe Independance

L’échec de cette solution technologique entraina la spécialisation des coques, une partie étant armée pour la guerre des mines, l’autre pour des missions de supériorité navale. Toutefois, dans les deux cas, ces navires s’avèrent, aujourd’hui, insuffisamment armés et défendus pour pouvoir opérer dans des environnements un minimum contestés. De fait, l’US Navy n’a de cesse que de retirer du service ces navires, en dehors de ceux dédiés à la guerre des mines. Chacun des 34 LCS a couté plus de 600 m$.

Conclusion

On le voit, si l’approche à pas générationnel, qui vise à concevoir un unique équipement de défense par génération, en le parant d’importantes capacités d’évolution, n’est pas dénuée d’intérêts, notamment en termes de volume industriel, et de simplification de maintenance, elle porte en elle, également, certaines faiblesses qui se font aujourd’hui particulièrement ressentir, alors que le tempo technologique défense tend à sensiblement accélérer.

Dans ce contexte, il pourrait être pertinent de modifier ce tempo, en intégrant un développement à génération intermédiaire, au cycle actuel. La seconde partie de cet article, abordera les bénéfices potentiels d’une telle approche, et étudiera les questions de soutenabilité.

Article en deux parties. La seconde partie sera publiée le 7 mai 2024.