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Avec le Leopard 2AX, l’Allemagne étudie un char intérimaire et potentiel Plan B au programme MGCS

Il y a à peine plus d’un an, en avril 2023, le spécialiste allemand des véhicules blindés, Krauss-Maffei Wegmann, prit l’ensemble de la sphère défense européenne par surprise, en dévoilant le nouveau Leopard 2A8. Dérivé du Leopard 2A7HUN, conçu pour les armées hongroises, le nouveau char intégrait de nouvelles capacités très attendues sur le marché, notamment le système APS israélien Trophy, de manière native.

Le succès ne se fit d’ailleurs pas attendre. Outre les 18 exemplaires commandés par la Bundeswehr, pour remplacer les Leopard 2A6 envoyés en Ukraine, la Norvège, puis la République tchèque, et finalement l’Italie, optèrent, en quelques mois seulement, pour ce modèle.

Ce succès infligeait, au passage, un formidable camouflet à Rheinmetall, qui tentait, depuis le salon Eurosatory 2022, de promouvoir son KF51 Panther auprès de la Bundeswehr et des armées européennes. Quant au démonstrateur E-MBT de KNDS, il semblait de plus en plus remisé au rang des curiosités de salon, ni la France, ni l’Allemagne n’ayant montré un quelconque intérêt à son encontre.

Concomitamment à l’arrivée du Leopard 2A8, KNDS Allemagne évoqua le développement d’une ultime version, le Leopard 2AX, plus moderne et aboutie, de son char. Ce programme était nimbé d’une aura de mystères, l’industriel comme la Bundeswehr se montrant particulièrement peu prolixes à son égard.

Alors qu’il y a quelques semaines, Français et Allemands communiquaient sur les progrès réalisés pour relancer efficacement le programme MGCS, ce Leopard Nouvelle Génération semblait devoir s’effacer face au programme franco-allemand ressuscité.

Il n’en est rien. Bien au contraire, puisque son développement est mené activement par l’industrie de défense allemande, à la demande de la Bundeswehr, pour concevoir un char de combat intérimaire entre le Leopard 2A8 et le MGCS, militairement et commercialement, mais aussi, pour disposer d’un Plan B en cas d’échec du char franco-allemand, voire une manière de mettre la France face à des faits accomplis, dans les arbitrages restants à mener, concernant ce dernier.

La Bundeswehr a lancé une phase de R&D pour un char intérimaire entre Leopard 2A8 et le programme MGCS

Il y a quelques semaines, le site allemand hardpunkt.de, toujours bien renseigné, publiait un article au sujet de ce programme, mené avec une grande discrétion par l’industrie de défense terrestre allemande et la Bundeswehr, au sujet d’une évolution du Leopard 2, destinée à assurer l’intérim, à partir de 2030, dans l’attente de l’entrée en service du MGCS.

Leopard 2AX dérivé du Leopard 2 A7HU KNDS
Le Leopard 2A8 est une évolution du Leopard 2A7HUN conçu pour les armées hongroises. Remarquez les radars plaques du système APS hard-kill Trophy

En effet, il apparait, dans cet article, que l’industrie de défense, comme les armées allemandes, parient sur une entrée en service du nouveau char franco-allemand, d’ici 20 à 25 ans, c’est-à-dire entre 2045 et 2050.

Si le Leopard 2A8 constitue une réponse « dans l’urgence » aux besoins des armées allemandes et alliées, pour une évolution du Leopard 2 doté de certaines nouvelles caractéristiques, le char intérimaire à venir, donc la phase de conception initiale prendra fin en 2026, devra, quant à lui, apporter une réponse plus mature, intégrée et pérennisée, à ces nouveaux besoins.

Ainsi, à l’instar du M1E3 Abrams américain, cet ultime évolution du Leopard, semble se diriger vers la conception d’un véritable nouveau char, comme fut le Leopard 2 vis-à-vis du Leopard 1 auparavant.

Celui-ci verra, selon le site allemand, la plupart de ses composants profondément modifiés, y compris la structure, le groupe motopropulseur, et même l’armement. En effet, il sera, semble-t-il, doté du nouveau canon de 130 mm de Rheinmetall équipant le KF51 Panther, celui-là même qui fut à l’origine de nombreuses tensions entre Nexter et Rheinmetall, dans le cadre du programme MGCS.

KF51 Panther Rheinmetall
Le KF-51 Panther de Rheinmetall ne trouvera pas son chemin jusqu’aux bataillons de chars de la Bundeswehr. Mais plusieurs de ses composants clés, comme le canon de 130 mm, pourraient bien le faire au travers du Leopard 2AX.

Il est d’ailleurs plus que probable que le canon de 130 mm ne sera pas le seul emprunt du Leopard NG en cours de conception, au Panther de Rheinmetall, ceci expliquant d’ailleurs, certainement, la soudaine discrétion de l’industrielle de Düsseldorf dans le cadre des arbitrages rendus publics par les deux ministres de la Défense, au sujet de MGCS, il y a quelques semaines.

Surtout, la Bundeswehr et l’industrie de défense allemande, se sont engagées dans un calendrier particulièrement ambitieux, pour developper ce nouveau char, puisque l’objectif annoncé est d’équiper une première unité allemande, dès le début de la prochaine décennie. Là encore, on constate un profond mimétisme entre le programme allemand et son homologue américaine M1E3.

Un besoin de 90 à 300 nouveaux chars Leopard 2AX pour la Bundeswehr sur la prochaine décennie

Das Heer, l’Armée de terre allemande, sera, sans le moindre doute, le premier client du nouveau Leopard, comme ce fut le cas pour le Leopard 2A8. Celle-ci doit, en effet, acquérir au moins 44 nouveaux chars lourds pour armer le bataillon de char de la brigade allemande qui sera déployée en Lituanie.

En outre, l’Armée allemande devra aussi, certainement, acquérir 18 exemplaires supplémentaires, pour remplacer les Leopard 2A8 qui seront transférés au bataillon germano-néerlandais de chars, La Haye ayant signifié vouloir se tourner vers ce modèle pour reconstruire une composante blindée lourde.

Leopard 2 Bundeswehr
L’Armée de terre allemande, Das Heer, alignent 300 chars Leopard 2 A5 et A6, potentiellement remplaçables par le Leopard 2AX.

Surtout, face aux enseignements venus d’Ukraine, il est probable que la Bundeswehr évaluera l’opportunité de se doter d’un parc homogène de chars plus modernes et adaptés aux enjeux, en remplaçant ses Leopard 2A5, voire ses Leopard 2A6 actuellement en service.

Au total, donc, la commande allemande concernant ce nouveau char, devrait porter sur 90 à 300 exemplaires, selon les arbitrages qui seront menés, les opportunités commerciales et l’évolution du programme MGCS.

Sachant que ces blindés seront livrés à partir de 2030, et qu’ils auront une durée de vie opérationnelle au moins égale à 25 ans, on comprend que le Leopard NG, actuellement en conception, se pose tant comme une solution intérimaire, que comme une alternative au MGCS, qu’il parvienne à perdurer, ou pas.

Un coup à trois bandes pour faire du canon de 130 mm de Rheinmetall le futur standard OTAN avant l’arbitrage MGCS

Concernant le MGCS, et le récent accord signé par les ministres français et allemands, concernant la nouvelle organisation par piliers du programme, on pouvait être étonné de la discrétion apparente de Rheinmetall, concernant l’entrée de Thales comme quatrième partenaire majeur, de sorte à retrouver un certain équilibre menacé depuis l’arrivée de l’industriel Rhénan, en 2019.

Jusqu’à présent, en effet, celui-ci avait plutôt marqué excessivement son territoire, exigeant d’être traité à part égal des deux industriels fondateurs du programme, KMW côté allemand, et Nexter côté français.

Canon Ascalon Nexter
Avec l’arrivée du Leopard 2AX armé du canon de 130 mm de Rheinmetall, les chances de voir le MGCS armé du canon ASCALON de 140 mm de KNDS France (Nexter) sont désormais beaucoup plus réduites.

Plus spécifiquement, la question la plus sensible qui cristallisait les tensions entre Rheinmetall et Nexter, l’armement principal du MGCS, n’a toujours pas été arbitré et reporté à l’évaluation des démonstrateurs, de sorte à permettre de remettre le programme en mouvement, dans son ensemble.

La question est effectivement centrale, pour Rheinmetall, comme pour Nexter. En effet, le choix du canon qui équipera le MGCS, a de grandes chances de conditionner le standard OTAN, en termes d’obus de chars lourds, entre le 130 mm proposé par l’allemand et le canon de 140 mm Ascalon, de l’industrie français.

Tout indique, cependant, que cette apparente mise en retrait de Rheinmetall, n’est que cosmétique. En effet, si, comme indiqué, c’est bien le 130 mm de l’industriel qui équipera le Leopard 2AX, celui-ci aura, très probablement, le temps, entre 2030, l’entrée en service du nouveau Leopard, et 2045/2050, la date désormais envisagée pour le MGCS, de s’imposer comme le nouveau standard « de fait » de l’OTAN.

Peu importe, dans ces conditions, que l’ASCALON s’avère, ou pas, plus performant et plus efficace que le canon de 130 mm allemand, la force du standard OTAN s’imposant, de fait, sur les arbitrages définitifs du programme MGCS lui-même.

En d’autres termes, en négociant une décision reportée concernant le canon du MGCS, Rheinmetall et Berlin se sont assurés de mettre Paris et Nexter, hors-jeu, pour les dix années à venir, le temps de s’imposer par la bande.

Plus qu’une solution intérimaire, le Leopard 2AX constituera un Plan B technologique, industriel et commercial à MGCS

Au-delà du canon lui-même, et de son calibre, le nouveau Leopard en cours de conception, risque fort de concrétiser la stratégie qu’Armin Papperger a poursuivie depuis cinq ans maintenant, à savoir enfermer le programme MGCS dans un cadre technologique, politique et commercial, sans issue, en s’assurant d’une captation large du marché adressable, venu éroder au-delà du seuil de survivabilité, le programme franco-allemand.

MGCS vision allemande
Les autorités allemandes se sont montrés très arrangeantes ces derniers mois pour lever les points de blocage autour du programme MGCS. Au point de reprendre certains paradigmes préconisés par l’Armée de terre française, y compris en termes de masse.

Ainsi, la plupart des armées européennes ont d’ores-et-déjà entrepris de moderniser leur parc de chars sur cette décennie, ou prévoient-elles de le faire sur la prochaine. Hors d’Europe, le marché adressable, principalement au Moyen-Orient, devra lui aussi entamer le renouvellement du parc de chars dans un avenir proche.

C’est notamment le cas des Abrams Égyptiens et Saoudiens, et les Leclerc Émirati. En d’autres termes, l’immense majorité du marché accessible aux industriels européens, aura déjà engagé la modernisation du parc de chars, avant que le MGCS n’entre en service.

Corollaire trivial de ce constat, la prochaine phase de renouvellement des grands parcs de chars, nonobstant les évolutions technologiques et doctrinales à venir, n’interviendra pas avant 2055 ou 2060, dans le meilleur des cas.

Dit autrement, avec l’arrivée annoncée du Leopard NG, la Bundeswehr et les industriels allemands, non seulement se prémunissent-ils d’un éventuel échec du programme MGCS, mais, que ce soit ou non le cas, ceux-ci s’assurent de préserver la mainmise sur la majorité du marché adressable, sans être contraints par des coopérations européennes sur fondement politiques.

Par naïveté, manque de moyens ou de volonté, la France, prise au piège, pourrait perdre sa force blindée et un pan entier de son industrie de défense terrestre.

Si l’Allemagne semble bien s’engager dans une solution palliative adaptative, pour répondre, aux mieux de ses intérêts, aux évolutions du programme MGCS, ce n’est, en revanche, pas du tout le cas de la France.

char Leclerc France
Les Leclerc français ne sont plus taillés pour entrer efficacement dans un conflit de haute intensité, selon l’avis de plusieurs spécialistes reconnus du sujet.

Bien au contraire. Paris n’a, en effet, nullement entamé de travaux comparables, pour concevoir un blindé susceptible d’assurer l’intérim entre la fin du Leclerc, en 2035, et l’arrivée du MGCS, en 2045. Et encore moins pour se prémunir contre un échec du programme, hypothèse qui reste pourtant toujours d’actualité, si l’on en croit les témoignages d’outre-Rhin récoltés par les médias spécialisés allemands.

Cette absence d’alternative touchera d’abord l’Armée de terre, qui va déjà devoir évoluer, pour les dix ans à venir, probablement la période la plus dangereuse de ces 50 ou 60 dernières années, avec un faible nombre de chars partiellement modernisés, loin des standards des autres modèles occidentaux.

Elle touchera aussi l’ensemble de l’industrie de défense terre, qui n’aura aucune alternative à proposer lorsqu’il sera évident que MGCS ne pourra entrer en service avant 2050, mais aussi, aucune alternative non plus, si le programme devait échouer.

Or, dans le présent contexte ici exposé, il apparait que l’Allemagne sera dans une position de force exceptionnelle face à la France dans ce dossier, puisque disposant d’un parc de char plus moderne, et d’un nouveau modèle prêt à la production, pour ses propres armées, comme pour son industrie de défense.

EMBT KNDS
L’hypothèse de l’EMBT n’a jamais été sérieusement envisagée par la DGA et le Ministère des armées, alors qu’il représenterait une plate-forme prometteuse pour developper un char interimaire entre le Leclerc et le MGCS.

La question est de savoir si cette absence flagrante de contrôle des risques, repose sur le manque de moyens des armées, même en tenant compte des progrès qui seront réalisés dans le cadre de la LPM 2024-2030 dans ce domaine, ou sur le manque de volonté, jugeant, par exemple, qu’il sera toujours possible, pour l’armée de terre, d’acheter des chars allemands, si le besoin se faisait trop sentir.

À moins qu’il s’agisse d’une question de naïveté, et que la stratégie allemande dans ce dossier, aussi remarquable qu’efficace, serait simplement passée inaperçue des autorités françaises, promptes à idéaliser les vertus de la coopération européenne, en particulier avec Berlin ?

M1E3, OMFV, FLRAA… L’US Army à l’aube d’un nouveau BIG 5

Convaincue de sa supériorité technologique et militaire depuis la fin de la guerre froide et la guerre du Golfe, l’US Army n’a pas lancé de programmes majeurs, concernant le renouvellement de son parc matériel de haute intensité, depuis le fameux BIG 5 des années 70.

Le fait est, aujourd’hui encore, ce sont les Abrams, Bradley, Black Hawk, Apache et Patriot, qui forment le fer de lance des brigades mécanisées et aéromobiles américaines, tous des matériels ayant été conçus à l’occasion de ce super-programme.

Alors que les tensions dans le Pacifique vont croissantes, et sur la base des retours d’expériences en Ukraine, l’US Army a entrepris une profonde mutation, tant pour ce qui concerne ses attentes pour moderniser et remplacer ses équipements, que pour la doctrine qui encadre le pilotage de ces programmes.

Sans qu’il soit ainsi nommé, on voit bien que se dessine, désormais, un nouveau super programme BIG 5, avec le char M1E3, le véhicule de combat d’infanterie XM30 du programme OMFV, l’hélicoptère de manœuvre V-280 Valor du programme FLRAA, l’annulation et le remplacement du super-canon XM1299 ERCA, et le déploiement d’une défense aérienne multicouche avec les programmes M-SHORAD et IFPC-2. La question est de savoir s’il suffira à redonner aux armées US, la dominance technologique et militaire qu’elles entendent retrouver ?

Le programme BIG 5 de l’US Army à l’issue de la Guerre du Vietnam

À l’issue de la guerre du Vietnam, au début des années 70, l’US Army prit conscience de l’écart qui la séparait des armées soviétiques. En effet, lorsqu’elle concentrait ses moyens et investissements pour cette guerre à mi-chemin entre la haute intensité et l’anti-insurrection, Moscou avait profondément modernisé ses forces, avec l’arrivée de nombreux nouveaux équipements jugés plus efficaces que ceux en service aux États-Unis, comme le char de combat T-72, le véhicule de combat d’infanterie BMP-1, les systèmes anti-aériens SA-6 et S-200 et les hélicoptères Mi-8 et Mi-24.

T-72M1
L’arrivée du T-72 (ici un T72M1) a représenté un choc pour les militaires occidentaux, entrainant la conception de deux chars lourds emblématiques de la fin de la guerre froide : le Leopard 2 allemand et le M1 Abrams américain.

Pour répondre à ce défi, l’US Army entreprit de concevoir une nouvelle génération d’équipements pour reprendre l’avantage technologique et opérationnel sur les matériels et les forces russes.

C’est ainsi que naquit le super-programme BIG 5, qui donna naissance à cinq des matériels militaires les plus emblématiques de la puissance militaire américaine de 1980 à aujourd’hui, avec le char M1 Abrams, le véhicule de combat d’infanterie M2 Bradley, le système antiaérien à longue portée Patriot, et les hélicoptères UH-60 Black Hawk et AH-64 Apache, qui entrèrent en service entre la fin des années 70 et le début des années 80.

Il en fut de même, d’ailleurs, pour l’US Air force, avec la conception des F-15 Eagle et F-16 Fighting Falcon, et pour l’US Navy avec les porte-avions nucléaires classe Nimitz, les sous-marins nucléaires d’attaque classe Los Angeles, les croiseurs Ticonderoga, les destroyers Arleigh Burke et les frégates O.H Perry, ainsi que les chasseurs embarqués F-14 Tomcat puis F/A-18 Hornet.

Ces programmes ont été à ce point efficaces qu’ils continuent, quarante ans plus tard, de représenter la colonne vertébrale de la puissance militaire américaine, sur terre comme dans les airs, ainsi que sur et sous les océans.

Ces performances remarquables, mais aussi les engagements américains en Irak et en Afghanistan, entrainèrent une doctrine d’équipement privilégiant, d’une part, les ruptures technologiques majeures, très rarement couronnées de succès par ailleurs, et d’autre part, des évolutions itératives des équipements existants, pour assurer l’intérim, dans l’attente de ces nouveaux programmes qui n’arrivaient pas.

Le choc de la guerre en Ukraine et l’anticipation d’un conflit dans le Pacifique, modèlent la nouvelle doctrine de l’US Army

De fait, à la sortie de ces deux conflits, les armées américaines, et plus particulièrement l’US Army, la plus impliquée, se sont retrouvées dans une situation qui n’était pas sans rappeler celle qui était la leur, au début des années 70, après la signature des accords de Paris.

US Army M1 Abrams allemagne guerre froide
Un des premiers M1 Abrams déployé en Allemagne au debut des années 80. À l’époque, le char n’affichait que 54 tonnes sur la balance, contre 66 aujourd’hui.

Toutefois, la perception de la supériorité technologique et militaire américaine était telle, dans les années 2000 et 2010, qu’aucun caractère d’urgence, et surtout aucune remise en question, semblait guider l’US Army dans ses choix. C’est dans ce contexte qu’un ersatz du BIG 5, baptisé BIG 6, fut présenté en 2019.

Pour autant, ce super-programme reposait sur les mêmes paradigmes que ceux employés ces vingts dernières années, à savoir la recherche d’une supériorité technologique écrasante, donnant naissance à des programmes trop ambitieux, comme c’était le cas du super canon M1299 ERCA, de l’hélicoptère de reconnaissance FARA, et de nombreux autres parmi la soixantaine de sous-programmes constituants BIG 6.

Au-delà de ce biais technologiste, deux autres facteurs sont venus sonner le glas du BIG 6. D’abord, la certitude croissante de devoir, dans un avenir proche, se confronter aux armées chinoises dans le Pacifique, selon un schéma proche de celui de la guerre du Pacifique durant la Seconde Guerre mondiale.

Surtout, la guerre en Ukraine a battu en brèche de nombreuses certitudes quant à la supposée efficacité de la suprématie technologique valant coefficient multiplicateur de forces, au sein du Pentagone, tout en mettant en évidence le manque d’efficacité de certains équipements transférés à l’Ukraine.

C’est ainsi que, depuis deux ans, le ton à subtilement, mais radicalement, évolué outre-Atlantique, en particulier pour ce qui concerne les programmes d’équipements à venir, pour faire face à la menace russe, et surtout à la menace chinoise, Pékin déroulant un programme de montée en puissance militaire et technologique apparemment parfaitement maitrisé, et des plus préoccupants.

L’US Army s’engage dans une nouvelle évolution critique de ses capacités

Si l’US Navy a encore, de toute évidence, des progrès à faire pour retrouver l’allant qui était le sien, dans les années 70 et 80, l’US Army, quant à elle, a profondément fait évoluer ses paradigmes en matière de programmes d’équipements majeurs ces dernières années, pour redonner naissance, dans l’esprit, à un nouveau BIG 5, plus réaliste et applicable que le BIG 6 mal taillé.

US Army europe
L’US Army a fait évolué sa composante plus légère et mobile, comme les Brigades Stryker, mais la modernisation des unités de mélée de haute intensité demeurent équipés de blindés conçus pendant la guerre froide, bien que (très lourdement) modernisés.

Ainsi, trois nouveaux programmes sont en cours de conception outre-Atlantique, pour redonner à l’US Army les moyens de répondre aux enjeux à venir, dans le Pacifique comme en Europe : le char M1E3, le véhicule de combat d’infanterie OMFV, l’hélicoptère de manœuvre FLRAA. S’y ajoutent des évolutions de systèmes existants, pour ce qui concerne l’artillerie, avec un M109 à tube de 52 calibres, et le développement d’une couche à moyenne et courte portée, dans la bulle défense aérienne américaine.

Le char M1E3 en rupture avec les paradigmes d’évolution de l’Abrams

En bien des aspects, le char lourd M1E3 Abrams caractérise, à lui seul, la transformation radicale qui a touché l’US Army ces trois dernières années. En effet, jusqu’il y un an seulement, le char Abrams devait être porté vers une nouvelle évolution itérative, le M1A2 SEPv4.

Comme les précédentes évolutions, celle-ci devait doter le char lourd, et même très lourd, américain, de nouvelles capacités, au prix d’une nouvelle prise de masse. En effet, depuis son entrée en service, au début des années 80, l’Abrams a pris plus de poids qu’un homme marié à un cordon bleu pendant 40 ans, passant de 54 à 66 tonnes.

La guerre en Ukraine a montré, depuis plus de deux ans, que l’excès de masse, mais aussi la lourdeur logistique caractéristique de ce char, comme du Challenger 2 britannique, engendraient des inconvénients devenant plus handicapants que les bénéfices attendus.

GDLS AbramsX
En octobre 2022, GDLS présenta son AbramsX, en réponse à la présentation du KF51 Panther de Rheinmetall et de l’E-MBT de KNDS, lors du salon Eurosatory.

Le premier à anticiper ce changement, a été General Dynamics Land Systems, lorsqu’il présenta l’AbramsX, en octobre 2022. Plus qu’une évolution, ce char était un véritable « Reboot » du modèle, rompant pour l’occasion avec de nombreux paradigmes de l’Abrams, comme l’équipage à 4, la motorisation et la masse.

C’est certainement sur cette base que l’US Army a imaginé la nouvelle évolution de l’Abrams, qui doit remplacer la SEPv4, finalement annulée à quelques mois du début de son implémentation. En effet, le M1E3, tel que baptisé par l’US Army, n’aura plus guère à voir, avec son grand frère, le M1A2 SEPv3.

Ainsi, le M1E3 fera largement appel à l’automatisation, pour ramener l’équipage à seulement trois membres. La tourelle, elle, sera entièrement robotisée, ou pourra accueillir des membres d’équipage que de manière optionnelle. Ce qui permet de réduire le volume sous blindage, et de renforcer la sécurité de l’équipage, dans une cellule de survie.

La protection du char reposera, pour beaucoup, sur un nouveau système de défense actif-passif, y compris Hard-kill, là encore, afin d’augmenter la survivabilité du char, sans venir l’alourdir. Sa motorisation sera simplifiée, peut-être même sera-t-elle hybride, comme sur l’AbramsX. Enfin, le blindé sera entièrement numérisé et bardé de senseurs, pour donner à l’équipage la meilleure perception de son environnement direct ou tactique.

M1A2 SEPv3
Le M1A2 SEPv3 atteint désromais 66 tonnes, 12 tonnes de plus que l’Abrams initial. Cette masse excessive et le poids de la maintenance du blindé, constituent désormais des entraves opérationelles mises en évidence en Ukraine.

L’objectif ultime de toutes ces ruptures majeures avec la famille Abrams, n’est autre qu’une cure d’amaigrissement à faire pâlir d’envie Benjamin Castaldi. En effet, le M1E3 n’affichera, sur la balance, plus que 54 tonnes, 12 tonnes de moins que le M1A2 SEPv3, soit la masse du char à son entrée en service, pour lui redonner la mobilité qu’il avait perdue, en particulier sur terrain meuble.

Ainsi allégé, le nouveau char, qui n’aura certainement d’Abrams, que le patronyme, se rapprochera des 50 tonnes du T-90M russe, et sera même plus léger que les 57 tonnes du Leclerc, longtemps considéré, dans le discours commercial si pas dans les faits, par les américains, britanniques et allemands, comme trop léger, donc insuffisamment protégé.

Le XM30 du programme OMFV pour enfin remplacer les M2 Bradley

Le remplacement des véhicules de combat d’infanterie M2 Bradley, et des véhicules de reconnaissance et de combat M3, a été engagé depuis le début des années 2000. Toutefois, les programmes se sont succédé sans jamais aboutir jusqu’ici, le plus souvent, du fait d’exigences irréalistes de la part de l’US Army.

Après l’annulation du programme Optionnaly Manned Fighting Vehicule, ou OMFV, en 2019, précisément en raison des attentes déconnectées de la réalité imposées par le cahier des charges, l’US Army a lancé, quelques mois plus tard, le même programme sur des paradigmes différents.

GDLS Griffin 3
GDLS propose le Griffin 3 dans le cadre du programme OMFV.

Ainsi, là où la presque totalité des aspects du nouveau blindé était définie par l’US Army dans OMFV-1, celle-ci se contenta de tracer des lignes directrices dans OMFV-2, laissant aux industriels le choix de la manière d’y répondre.

Après une phase de sélection initiale, les mêmes deux compétiteurs finaux de OMFV-1, GDLS avec le Griffin-3, et Rheinmetall avec le KF-41 Lynx, ont à nouveau été sélectionnés pour la phase finale. Les deux industriels devront produire 11 prototypes, 7 fermes et 4 en option, pour participer aux tests, ceci comprenant les caisses, les systèmes propulsifs, l’armement, les tourelles ainsi que les jumeaux numériques. Ils disposent, ensemble, d’une enveloppe de 1,6 Md$ pour y parvenir d’ici à 2026.

Comme le M1E3, le véhicule de combat d’infanterie du programme OMFV, baptisé depuis XM30, se veut faire largement appel à la numérisation. Comme son nom l’indique, il devra, d’ailleurs, pouvoir être employé sous la forme de drone terrestre, au besoin. Il fera aussi reposer sa protection sur un système actif-passif et un système hard-kill, et pourrait bénéficier d’une propulsion hybride.

Si le XM30 et le M1E3 ont eu des trajectoires très différentes, la tendance, aujourd’hui, au Pentagone, est de viser à une entrée en service simultanée, avec une première brigade mécanisée équipée de ces deux blindés, opérationnelle au début de la prochaine décennie.

Le V-280 Valor du programme FLRAA pour adapter l’aérocombat US à la nouvelle réalité du champ de bataille moderne

Le remplacement des hélicoptères de manœuvre UH-60 Black Hawk s’intègre dans le renouveau de l’ensemble des moyens aériens de l’US Army, entamé depuis 2009, sous l’acronyme FLV pour Futur Vertical Lift. Le successeur du Black Hawk est conçu dans le cadre du programme Futur Long Range Attack Aicraft, ou FLRAA.

SB1 Defiant Sikorky Boeing
Le SB-1 Defiant de Sikorsky et Boeing n’a pas convaincu l’US Army dans le cadre du programme FLRAA.

Ce programme a officiellement été lancé en 2019, avec l’objectif de concevoir un appareil capable de dépasser une vitesse de croisière de 280 nœuds (520 km/h), un rayon d’action au combat de 300 nautiques (560 km), et de transporter 12 soldats en armes.

Ces caractéristiques, presque deux fois supérieures à celles de l’UH-60, doivent permettre de répondre aux évolutions des moyens de frappe dans la profondeur et de défense aérienne adverse, obligeant les appareils à faire des rotations entre le point de collecte et la drop zone, sur des distances beaucoup plus longues, sans que le rythme des rotations, lui, soit diminué.

Deux modèles ont été sélectionnés, à l’été 2021, pour participer à la compétition finale. Le SB-1 Defiant de Sikorsky et Boeing, basé sur une configuration à rotors contrarotatifs et hélice propulsive arrière, et le V-280 Valor, de Bell Helicopters et Textron, s’appuyant sur une nouvelle version des rotors basculants employés sur le V-22 Osprey.

En décembre 2022, c’est le V-280 Valor qui fut sélectionné, sans grande surprise, tant il avait pris une avance remarquable sur son concurrent lors des vols d’essais. Long de 15,4 m pour 25 mètres d’envergures, le Valor affiche même des performances supérieures à celles du cahier des charges de l’US Army, pouvant transporter, au combat, 14 soldats sur 930 km.

Bell V-280 Valor
Le Bell V-280 Valor est le vainqueur de la competition FLRAA pour remplacer les UH60 Black Hawk

En outre, les difficultés rencontrées autour du V-22 de l’US Marines Corps, semblent avoir été résolues, notamment grâce aux commandes de vol électriques. La maintenance de l’appareil a également été au cœur des préoccupations de l’US Army, de sorte à garantir une disponibilité supérieure à celle du Black Hawk. Revers de la médaille, le V-280 coutera cher, 43 m$ par appareil, presque quatre fois le prix du HH-60G Pave Hawk, l’une des plus onéreuses de la gamme Black Hawk.

Le statut des autres programmes du Futur vertical Lift est, quant à lui, incertain. Après l’annulation du programme FARA, devant remplacer les hélicoptères de reconnaissance OH-58 Kiowa et une partie des AH-64 Apache, rien n’indique que les programmes pour le remplacement des CH-47 Chinook, et des AH-64 Apache, aient progressé.

Après l’abandon du XM1299 ERCA, l’US Army se tourne vers une approche plus raisonnable de l’artillerie

Si le canon automoteur M108/109 n’appartenait pas au BIG 5, car entré en service dans les années 60, ce système continue de représenter l’essentiel des capacités d’artillerie de l’US Army, aux côtés des systèmes HIMARS à moyenne et longue portée.

En effet, face aux 2S3 et 2S19 russes, les performances du M109A6 Paladin, restaient largement compétitives jusqu’il y a peu. Toutefois, face aux modèles européens comme le Caesar français, l’Archer suédois ou le Pzh 2000 allemand, mais aussi aux modèles asiatiques comme le K9 sud-coréen, et surtout le nouveau PCL-181 chinois, tous équipés de tubes de 52 calibres, les performances du Paladin marquent désormais le pas, avec une portée de 25 km, contre 40 km pour ces nouveaux systèmes.

XM1299 ERCA US Army
M1E3, OMFV, FLRAA... L'US Army à l'aube d'un nouveau BIG 5 20

Il était donc indispensable de reprendre l’avantage en matière d’artillerie autotractée. Comme souvent, dans le cadre du BIG 6, les ambitions du programme Extended Range Canon artillery, étaient démesurées, avec une portée supérieure à 60 km, voire 70 km, avec des obus classiques, et plus de 100 km avec des obus à propulsion additionnée.

Pour y parvenir, le XM1299 s’appuyait sur un tube de 58 calibres. Si les premiers tirs d’essais se sont révélés prometteurs, il s’est rapidement avéré que les contraintes thermiques et mécaniques appliquées lors du tir, entrainaient une usure très rapide du tube, incompatible avec une utilisation opérationnelle. Après avoir cherché, en vain, des alternatives, le programme a, finalement, été abandonné il y a quelques mois.

Reste que le besoin de moderniser l’artillerie US, lui, demeure, et s’avère même plus pressant que jamais. Si les arbitrages pour y parvenir n’ont pas encore été rendus publics par l’US Army, la trajectoire, elle, a été divulguée il y a peu, avec l’adaptation d’un tube de 52 calibres et d’un système de chargement existant, sur le chassis du M109.

Si plusieurs options peuvent être considérées, le L/52 de Rheinmetall, qui équipe notamment le Pzh2000 et le RCH-155, semble faire office de favoris, même si le CN98 du K9 Thunder sud-coréen, offre, lui aussi, des capacités intéressantes. À noter que, récemment, l’US Army a indiqué qu’elle pourrait d’intéresser à une configuration de canon portée sur camion, comme le Caesar français ou l’Atmos israélien, pour accompagner ses brigades plus légères.

Le couple MiM-104 Patriot + THAAD indétrônable épaulé par une dimension multicouche avec le M-SHORAD et l’IFPC-2

Si beaucoup d’équipements majeurs de l’US Army sont appelés à être remplacés dans les années à venir, il en est un qui, en revanche, semble inamovible. En effet, le remplacement du système antiaérien et antimissile MiM-104 Patriot, ni celui du système antibalistique exoatmosphérique THAAD, entré en service en 2005, ne font l’objet de programmes à ce jour.

MIM-104 Patriot Bundeswehr
Malgré son age, le Patriot continue de séduire sur la scène internationale, en particulier en Europe.

Il faut dire que le Patriot continu, aujourd’hui encore, de séduire, en particulier sur la scène internationale, et qu’il s’est montré performant en Ukraine, y compris, semble-t-il, contre les systèmes balistiques les plus évolués employés par les armées russes, comme le missile aéroporté Kinzhal et le missile de croisière hypersonique 3M22 Tzirkon.

Pour autant, la doctrine de défense aérienne de l’US Army a, quant à elle, profondément évolué ces dernières années. Là où celle-ci reposait sur l’utilisation du Patriot à longue et moyenne portée, et du FIM-92 Stinger, à très courte portée, s’appuyant en grande partie sur la supériorité aérienne supposée de l’US Air Force pour le reste, celle-ci est en passe d’évoluer vers une defense aérienne multicouche, proche de celle mise en œuvre en Chine et en Russie.

Ce n’est d’ailleurs pas tant la crainte de laisser l’adversaire obtenir la supériorité aérienne qui guide cette évolution, que celle de voir l’US Air force (ou l’US Navy), ne pas parvenir à l’obtenir, en raison des défenses aériennes adverses, laissant l’US Army exposée aux missiles et systèmes d’attaque à moyenne et longue portée ennemis.

Pour la défense à moyenne portée, l’US Army développe le programme IFPC-2 pour Indirect Fire Protection Capability Increment 2-Intercept, un système mettant en œuvre différents types de missiles allant du Stinger (6 km) à l’AIM-9X Sidewinder (40 km) et au missile israélien Tamir (75 km) du système Iron Dome.

L’IFPC-2 se compose d’un radar AN/MPQ-64 sentinel monté sur camion, accompagnés de systèmes de lancement MML à 15 tubes, également sur camion, permettant au système de disposer d’une grande manœuvrabilité, pour accompagner les divisions et brigades américaines.

M-SHORAD US Army
L’US Army a commandé 144 M-SHORAD pour assurer la protection rapprochée de ses unités.

À plus courte portée, l’US Army a développé le M-SHORAD, un véhicule blindé Stryker monté d’une tourelle Leonardo, armée d’un canon de 30 mm, de quatre missiles Stinger, de deux missiles Hellfire, d’un radar à courte portée et d’un système de visé électro-optique.

À noter que les deux missiles Hellfire seront bientôt débarqués, pour être replacés par un pod avec 4 Stinger supplémentaires, après qu’il est devenu évident que le missile, initialement conçu pour être aéroporté, supportait très mal les contraintes mécaniques liées à un déploiement sur véhicule tout terrain. D’ailleurs, dès à présent, l’utilisation des Hellfire est strictement interdite sur les M-SHORAD, selon une procédure de sécurité édictée par l’US Army.

Les quatre échelons de la défense aérienne multicouches de l’US Army, THAAD, Patriot, IFPC-2 et M-SHORAD, sont conçus pour collaborer et intégrer un système de défense, pour en optimiser l’efficacité, que ce soit contre les missiles balistiques (THAAD et Patriot PAC), les aéronefs, les hélicoptères et les missiles de croisières (Patriot, IFPC et M-SHORAD), et contre la menace RAM (Rocket, Artillerie, Mortier) (IFPC-2 et M-SHORAD).

Conclusion

On le voit, l’US Army est à l’aube d’une profonde transformation, certes enfantée dans la douleur, après deux décennies de programmes ratés. Celle-ci s’avère très prometteuse, pour redonner, aux unités américaines, l’ascendant technologique recherché, au moins face aux forces russes.

En effet, la plus-value des nouveaux systèmes américains, ne fait que peu débat, au regard des évolutions en cours à Moscou. En revanche, face à la Chine et à l’Armée Populaire de Libération, la conclusion s’avère beaucoup moins tranchée et évidente.

Comme dans le domaine naval et aérien, les forces terrestres chinoises déroulent, depuis plusieurs années, un programme de modernisation aussi efficace que discret, susceptible de faire jeu égal avec les programmes américains, avec un écart de temps de plus en plus court.

PCL-181 APL
La technologie militaire terrestre chinoise evolue rapidement, elle aussi, comme le montre le canon PCL-181 très inspiré du Caesar français.

Toute la question, aujourd’hui, est de savoir si le temps perdu par l’US Army, dans les années 2000 et 2010, à coups de programmes aussi stériles que couteux, n’a pas, finalement, permis aux industriels et militaires chinois, de rattraper le retard technologique qui était le leur alors, et s’ils n’ont pas, aujourd’hui, recollé à la trajectoire américaine dans ce domaine.

Le cas échéant, considérant les performances de la partie la plus émergée de l’iceberg industriel militaire chinois, son industrie navale, on peut craindre qu’il s’avèrera difficile, aux États-Unis, de faire face à la dynamique industrielle chinoise dans ces domaines, et qui se trouverait exacerbée en cas de fortes tensions. ou de conflit.

Le Blacksword Barracuda français a séduit les parlementaires néerlandais

Le 15 mars 2024, les autorités néerlandaises ont confirmé la victoire du Français Naval Group et de son sous-marin Blacksword Barracuda, dans la procédure d’appel d’offres pour le remplacement des quatre sous-marins de la classe Walrus de la Marine Royale néerlandaise. Cette décision prit de court les deux autres industriels européens engagés dans la compétition.

Pour l’allemand TKMS, qui proposait une évolution de son Type 212CD, il s’agissait de reproduire le succès enregistré en 2019, en Norvège, et de mettre fin à plusieurs échecs commerciaux ces dernières années. Pour l’alliance formée par le Suédois Saab et le néerlandais Damen, l’objectif était de faire jouer la préférence nationale, et de remettre le constructeur suédois sur le marché, après une vingtaine d’années de vaches maigres.

C’est pourtant Naval Group qui fut retenu, avec une version, plus compact, du Shortfin Barracuda, choisi initialement par l’Australie, et dérivée des SNA de la classe Suffren, provoquant l’ire des suédois, néerlandais et allemands. Si ces derniers ont entrepris une procédure juridique, assez peu crédible, pour contester l’impartialité de la procédure, les premiers, quant à eux, promirent de porter leurs efforts sur la nécessaire procédure de validation parlementaire pour poursuivre la commande.

Une audition parlementaire décisive pour la poursuite du programme ORKA et des sous-marins Blacksword Barracuda

C’est le 3 juin après midi que membres du gouvernement (sortant), et parlementaires, ont débattu autour de ce contrat, qui se veut l’un des plus ambitieux jamais négocié par les armées néerlandaises, pour un montant estimé entre 5,5 et 6 Md€. Et de sujets d’interrogation et points de tension, les parlementaires ne manquaient pas…

SNA Tourville classe Suffren Naval Group Cherbourg
La famille barracuda de Naval Group est dérivée des SNA de la classe Suffren. Ici, le Tourville avant son lancement.

Rappelons, d’abord, que les dernières élections législatives néerlandaises, à l’automne dernier, ont vu la victoire du PVV, le parti nationaliste de Geert Wilders. Il fallut toutefois 7 mois aux acteurs politiques pour créer un gouvernement de coalition rassemblant le PVV, mais aussi le VVD de centre droit, du premier ministre sortant, Mark Rutte, le NSC de centre-droit, et le parti rural BBB.

Cette recomposition gouvernementale, qui avait laissé le soin de l’arbitrage initial, concernant le programme ORKA, au ministre de la Défense sortant Christophe Van der Maat, pouvait laisser craindre certaines tensions, en lien avec les accusations portées, par voie de presse, contre le partage industriel proposé par Naval Group avec l’industrie de défense navale néerlandaise, censé être très inférieur à ce qu’était proposé par Damen et Saab.

Autre sujet de tension, toujours apparu dans la presse néerlandaise, le refus supposé, de la part des États-Unis, d’armer les nouveaux sous-marins français de missiles de croisière BGM-109 Tomahawk. Selon cette thèse, par ailleurs peu étayée, mais largement commentée sur les réseaux sociaux néerlandais, Washington devait refuser de travailler avec les industriels français, à ce sujet.

Enfin, Damen comme TKMS, ont remis en question la probité de l’offre française, rien de moins. En effet, il est apparu que l’offre de Naval Group était 1,5 Md€ moins onéreuse que celles de ses concurrents, soit 20 à 25 % du prix du contrat.

Saab Damen sous-marin pays-bas
Selon un député de la nouvelle coalition de gouvernement néeralndais, si le modèle de Saab avait dû être retenu, le surcout aurait été tel que les armées auraient dû renoncer à acquerir de nouveaux équipements pendant 3 ou 4 ans.

Pour les industriels suédois, néerlandais et allemands, un tel écart de prix ne pouvait que résulter d’un périmètre de cotation différent entre les offres, d’un écart massif de performances, ou de subventions de l’État français, venant distordre la concurrence. Pour soutenir cette accusation, la presse néerlandaise s’était d’ailleurs faite l’écho d’un supposé refus des autorités françaises d’auditer la matérialité de l’offre transmise.

De fait, les inquiétudes étaient nombreuses, concernant l’avenir du programme ORKA, pour le français Naval Group, d’autant, qu’à son habitude, celui-ci n’a pas cherché à entrer dans le jeu des joutes par presse interposée, avec les industriels anglo-saxons. Et l’audition parlementaire de ce 3 juin, s’avérait ainsi décisive, pour l’avenir du programme.

Le ministre de la Défense sortant, Christophe Van der Maat, a répondu point par point aux objections parues dans la presse néerlandaise ces dernières semaines.

On remarquera, à ce titre, certaines similitudes entre les attaques menées contre l’offre française aux Pays-Bas, et la campagne très virulente menée en Australie contre le programme Sea 1000.

De fait, l’ensemble de ces sujets ont été abordés lors de cette longue séance de cinq heures. Bien que sortant, et qu’ayant fait preuve de prudence dans l’annonce de la victoire de Naval group dans la compétition, en présentant le français comme vainqueur « temporaire », dans l’attente de la confirmation par le Parlement, le ministre de la Défense Christophe Van der Maat, a répondu, point par point, à l’ensemble de ces accusations et questions, pour justifier du choix du Blacksword Barracuda.

Communication officielle néerlandaise programme Orka
La communication officielle du ministère de la défense néerlandais suite à l’abritrage en faveur du Blacksword barracuda de Naval Group.

Ainsi, concernant le partage industriel, le ministre a confirmé que Naval Group avait les mêmes engagements de production locale que les autres participants, et que cet engagement était calculé sur un montant minimal d’injection dans l’industrie néerlandaise, indépendant du cout total du programme. En d’autres termes, même moins cher dans l’absolu, l’investissement local sur lequel Naval Group s’est engagé, est identique en volume aux autres propositions (et donc supérieur en termes de parts relatives).

Concernant les Tomahawk, Christophe Van der Maat a rappelé la procédure d’acquisition concernant ce type de matériel, et notamment le fait que la décision américaine ne pouvait venir qu’une fois la demande officielle transmise, et pas avant.

En outre, il a précisé que rien n’indiquait que Washington pourrait se montrer plus hostile vis-à-vis d’une intégration du Tomahawk à un modèle français plutôt que suédois ou allemand de sous-marins, aucun de ces pays n’ayant jamais mis en œuvre ce type de missiles ni faits ce type de demande jusqu’ici.

Rappelons, à ce titre, que contrairement à la Suède et à l’Allemagne, la France dispose d’un « plan B », si Washington devait refuser la livraison des Tomahawks, avec le missile de croisière MdCN, même si, bien sûr, il ne serait guère efficace pour la Marine néerlandaise, d’opérer des Tomahawks à partir de ses frégates, et des MdCN depuis ces sous-marins.

La question du prix et ses implications sur la transformation du marché des sous-marins conventionnels européens.

Restait, bien évidemment, la question du prix, et de la sincérité de l’offre française, remise en question, notamment par TKMS. À ce sujet, M Van der Maat a été relativement prudent, ne voulant empiéter sur la procédure juridique en cours.

Il a toutefois détaillé la procédure d’audit sur laquelle néerlandais et français se sont entendus, permettant aux autorités bataves de suivre en parfaite transparence l’exécution du contrat, tout en respectant les zones protégées françaises, pouvant avoir des implications de sécurité nationale. Et de préciser que cet accord garantissait le suivi et l’audit sans entrave du programme.

INS Kalvari Naval Group Scorpene Class
Naval Group a developpé un savoir-faire efficace en Inde et au Brésil, en matière de partage indsutriel et d’implication de l’industrie locale pour la construction de sous-marins.

Des réponses plus détaillées ont été apportées, à huis clos, aux députés, qui semblent avoir fait mouche. Ainsi, bien que devant rester discrets à ce sujet, le député Gils Tuinman, du BBB (appartenant à la nouvelle coalition de gouvernement), a indiqué à la presse que si les Pays-Bas avaient dû choisir l’offre de Saab, les armées auraient dû suspendre tous les autres programmes d’acquisition pendant trois à quatre ans. Ce qui en dit long sur le sentiment général à la sortie de cette séance.

Quant à la question des performances, supposées inférieures pour expliquer l’écart de prix, le ministre a, là encore, donné des garanties aux parlementaires à ce sujet, précisant que rien n’indiquait que le modèle choisi s’avérait inférieur à ceux de ses concurrents, sans donner davantage de détails. Le fait est, objectivement, rien ne permet de faire de telles suppositions.

Reste maintenant à la justice néerlandaise de statuer sur la réclamation allemande. Toutefois, ses chances d’aller à son terme, semblent désormais bien maigres. Non seulement une grande partie des points ont trouvé réponse dans l’audience de ce 3 juin, mais l’autre concurrent, probablement le mieux placé pour contester cette décision devant une cour batave, Damen, ne l’a pas fait.

Il faut dire que pour TKMS, et dans une moindre mesure, pour Saab, contester le prix proposé par Naval Group, même de manière symbolique, est une question de survie. En effet, s’il est avéré que les sous-marins français sont 25 % moins chers et au moins aussi performants que les leurs, ils risquent de rencontrer d’importantes difficultés dans les années à venir, ne serait-ce que pour participer aux appels d’offres.

La signature de la commande finale reportée en raison de la contestation juridique de l’allemand TKMS

Quoi qu’il en soit, les réponses apportées par M Van der Maat, aux questions des députés néerlandais, ont, semble-t-il, convaincu ces derniers, puisqu’à l’issue de cette séance, une majorité qualifiée, y compris celle formée autour du nouveau gouvernement de coalition, s’était déclarée favorable à la poursuite du programme, et la signature de la Lettre D, c’est-à-dire la commande officielle avec Naval Group.

TKMS Type 212CD
TKMS proposait le Type 212 CD aux pays-Bas, déjà choisi par la Norvège. Oslo pourrait, à ce titre, prochainement annoncé la commande d’un cinquieme sous-marin de ce type, dans le cadre de la montée en puissance de ses capacités militaires.

Celle-ci devrait intervenir à la fin du mois de juillet 2024, date limite de l’offre française, alors que le référé de TKMS sera présenté le 26 juin, et devrait être arbitré à la mi-juillet. À partir de ce moment-là, Naval Group aura dix ans pour faire, car les sous-marins Walrus doivent entamer leur retrait en 2034.

Il s’agirait, alors, d’un très grand succès pour Naval Group, qui renouerait avec le marché européen des sous-marins, cinquante ans après la livraison des derniers Agosta espagnols. En outre, cette victoire, dans l’une des procédures d’appel d’offres les plus strictes existantes, insufflerait une dynamique accrue à l’industriel, par ailleurs engagé dans d’autres compétitions clés, comme en Pologne et au Canada.

Avec une gamme étendue allant du Scorpene au Shortfin Barracuda, des technologies avancées comme les batteries Lithium-ion, des sonars et des armements exclusifs en Europe, comme le SM-39 Exocet et le MdCN, l’industriel français disposera de toutes les cartes pour s’imposer dans de nombreuses marines. Et le contrat néerlandais, une fois validé, en serait, très certainement, le marchepied ultime.

Drone de combat Dassault vs Airbus DS : la bataille des Loyal Wingmen européens est lancée

Si la France et l’Allemagne, Dassault Aviation et Airbus DS, coopèrent activement pour la conception du programme SCAF, ils n’en demeurent pas moins concurrents, concernant les programmes actuels, Rafale et Eurofighter Typhoon, en particulier.

Alors que la date d’entrée en service du nouveau chasseur de 6ᵉ génération européen, tend à glisser de 2040 à 2045, voire 2050, selon les sources, la nécessité de doter les Rafale et Eurofighter qu’ils remplaceront, de nouvelles capacités permettant de s’engager dans un environnement lourdement contesté, a convaincu Armées et l’Air et industriels, des deux cotés du Rhin, de s’engager dans le développement de drones de combat.

Pour ce qui concerne la conception des drones de combat lourds, ou Loyal Wingmen, qui accompagneront les avions français et allemands, ce sont précisément les deux industriels, par ailleurs partenaires au sein de SCAF, et rivaux avec le Rafale et le Typhoon, Dassault aviation et Airbus DS, qui sont en charge de cette mission.

L’étude du drone de combat dérivé du Neuron pour accompagner le Rafale F5, confiée à Dassault Aviation

Annoncée à l’occasion de l’élaboration de la Loi de Programmation Militaire 2024-2030, l’entame de la conception d’un drone de combat pour accompagner les futurs Rafale F5, était très attendue, y compris par le principal intéressé, Dassault Aviation.

Drone de combat Neuron Rafale Dassault Aviation
Si le drone de combat qui accompagnera le Rafale F5 sera dérivé du Neuron, il sera certainement bien plus imposant, à en croire Eric Trappier.

C’est désormais chose faite, si l’on en croit le site LaTribune.fr, qui révèle qu’un contrat d’étude initiale d’un montant de 130 millions d’euros a été attribué à l’avionneur français, pour la première phase de conception d’un drone de combat dérivé du démonstrateur Neuron.

Pour l’heure, tant le ministère des Armées, que la DGA, les Armées et les industriels français, sont restés très discrets à ce sujet. Au mieux sait-on que, selon Eric Trappier, le président de Dassault Aviation, l’appareil devra être plus grand et lourd que le Neuron, s’il veut efficacement accompagner le Rafale F5 dans ses missions, et qu’il est prévu qu’il entre en service au début de la prochaine décennie, dans le cadre de la future LPM.

On ignore, notamment, si le nouveau drone de combat pourra être, ou pas, embarqué à bord du porte-avions français. Ceci représenterait, à n’en point douter, un formidable atout pour le groupe aérien embarqué, mais risque de complexifier sensiblement les travaux de conception du drone, et donc d’allonger les délais et d’en augmenter les couts.

Sachant les circonvolutions nécessaires pour déjà faire entrer l’ensemble des programmes planifiés, dans l’enveloppe budgétaire prévue pour la LPM 2024-2030, on peut craindre que cette option ne soit pas retenue dans le cahier des charges de Dassault.

Airbus DS présenter une maquette 1:1 de son Loyal Wingmen pour accompagner les Eurofighter Typhoon de la Luftwaffe

Si le développement du drone de combat français, dérivé du Neuron, était officialisé depuis un an maintenant, celui d’un drone de type Loyal Wingmen, de l’autre côté du Rhin, n’avait été qu’abordé, de manière plus ou moins directe, par le ministère de la Défense allemand, et par la Luftwaffe.

EADS Airbus DS barracuda
Le démonstrateur de drone de combat Brracuda développé par EADS pour la Luftwaffe.

De fait, l’annonce faite par Airbus DS, le 3 juin, au sujet de la présentation, à l’occasion du salon ILA de Berlin, du 5 au 9 juin, d’une maquette à l’échelle 1:1, du futur drone Loyal Wingmen destiné à accompagner les Eurofighter Typhoon de la Luftwaffe, a surpris nombre de spécialistes.

Non pas, cependant, que les compétences d’Airbus DS dans ce domaine pouvaient prêter à caution. L’avionneur a, en effet, développé plusieurs programmes dans les années 2000 et 2010, pour acquérir un savoir-faire efficace dans le domaine des drones de combat furtifs, notamment avec le EADS Barracuda, d’abord, puis avec le mystérieux programme Lout, plus récemment.

Le visuel accompagnant l’annonce publique (en illustration principale) sur le site d’Airbus DS, montre un drone de combat plus allongé que les drones furtifs traditionnels, comme le Neuron, le X-47 ou le Sharp Sword, et se rapproche du Kizilelma turc, dont il reprend la configuration canard alignée sur le plan horizontal de l’aile, pour en préserver la furtivité (comme c’est le cas du J-20 chinois).

En revanche, contrairement au modèle turc, le modèle allemand est dépourvu de plans verticaux, ce qui devrait en accroitre la furtivité, notamment vis-à-vis des radars basse fréquence.

drone de combat Naykar Kizilelma
Le nouveau drone de combat allemand reprend de nombreux aspects déjà observés sur le drone de combat turc Kizilelma.

Cette configuration semble conçue pour atteindre une plus grande vitesse et une plus grande manœuvrabilité que les drones furtifs traditionnels, mais devrait avoir une capacité d’emport et un rayon d’action plus réduits, toutes proportions gardées.

Selon Airbus DS, l’objectif recherché est de doter les Typhoon allemands de capacités supplémentaires au travers d’un drone de combat de type Loyal Wingmen économique, susceptible de faire la jonction, en matière de combat collaboratif et info centré, et de système de systèmes, avec le SCAF.

Loyal Wingmen et Remote Carrier, les appendices indispensables, dès 2030, à l’évolution des avions de combat modernes

Si l’intérêt des forces aériennes françaises et allemandes, pour les drones de combat furtifs remonte aux années 2000, c’est la guerre en Ukraine, qui a insufflé un souffle nouveau à ces programmes, jusqu’ici considérés à plus longs termes, peut-être dans le cadre de SCAF.

Pour la première fois, en effet, des systèmes de défense intégrés multicouches, ukrainiens comme russes, sont parvenus à presque entièrement neutraliser la puissance aérienne de l’adversaire. Et non des moindres, puisque les forces aériennes russes alignaient, en début de conflit, plus de 1200 avions de chasse et d’attaque, et une centaine de bombardiers lourds.

Su-34 VVS
Les forces aériennes russes ont été incapables de s’emparer du contrôle du ciel ukrainien, même après deux ans de guerre, en raison de l’efficacité de la défense aérienne deployée par les armées de Kyiv.

En dépit des performances supérieures des chasseurs modernes européens, en comparaison des avions de combat tactiques russes, il devint rapidement urgent, en Europe, de se doter des moyens nécessaires pour s’assurer d’une réelle supériorité aérienne en cas de conflit face à la Russie, ou de tout adversaire s’appuyant sur une architecture sol-air similaire.

Rappelons, en effet, qu’un pays comme la France, dispose de davantage d’avions de combat, que de chars, ce qui en dit long sur la dépendance à la supériorité aérienne, dans la puissance de feu délivrée.

Bien que discrets, et objectivement efficaces et équilibrés, les avions de combat its de 4ᵉ génération, comme le F-15, F-16 ou Mirage 2000, et de génération 4.5, comme les Eurocanards, n’ont pas la possibilité native d’évoluer vers plus de furtivité passive, ni d’atteindre des vitesses et des plafonds les mettant en sécurité relative.

La coopération avec des drones de combat, moins onéreux, nativement furtifs, mais nécessitant un contrôle in situe de la part des avions de combat, s’est donc rapidement imposée, tant pour localiser les cibles que pour accroitre le nombre d’effecteurs sur le champ de bataille aérien.

Dans ce domaine, deux familles de drones semblent avoir émergées. Les Loyal Wingmen, d’abord, des drones de combat plus lourds, aux performances proches de celles des avions de combat qu’ils accompagnent, mais dont les coups élevés (bien que moins élevés que les avions de combat eux-mêmes), en limitera l’utilisation.  Les drones consommables, plus légers, sont le plus souvent aéroportés, et destinés à leurrer, voire attirer le feu adverse, ou à évoluer dans des espaces très lourdement défendus pour forcer les défenses aériennes à se dévoiler.

Remote carrier SCAF
La famille des Remote Carrier du programme SCAF se compose de drones de combat lourds, de type Loal Wingmen, developpés par Airbus DS, et de drones légers, potentiellement consommables, dont la conception a été confiée à MBDA.

Le développement de ces drones s’avère donc, désormais, une nécessité, tant pour les forces aériennes françaises et allemandes, en particulier face aux risques croissants de confrontation avec la Russie, mais aussi pour préserver l’attractivité de leurs avions de combat actuels sur la scène internationale, en particulier, vers les clients ne pouvant, ou ne voulant pas se tourner vers des chasseurs nativement furtifs, dans l’attente que le NGF du SCAF puisse prendre le relais dans tous ces domaines.

Suède, Grèce, Belgique…: la France a intérêt à ouvrir le programme de drone de combat dérivé du Neuron à certains partenaires européens.

Reste que developper un drone de combat, même en partant d’un démonstrateur très réussi comme l’était le Neuron, est un exercice onéreux, d’autant qu’il faudra, après la conception, les acquérir pour en doter les armées en nombre suffisant, adapter les infrastructures pour leur maintenance, puis entrainer les personnels à leur utilisation.

Or, comme évoqué précédemment, ces couts seront difficiles à supporter dans le cadre de la LPM en cours, et encore davantage dans la prochaine, qui devra financer conjointement de nombreux programmes d’acquisition très onéreux (SCAF, MGCS, SNLE3G, PANG…).

Si l’ouverture de ce programme à une coopération européenne n’est pas, pour l’heure, évoquée, elle ne manquerait pas d’intérêt, en matière de soutenabilité budgétaire, à court et moyen termes. D’abord, en allégeant le poids des investissements, ensuite, en augmentant la flotte adressable, donc les recettes fiscales et sociales résultantes de ces exportations.

Dans ce domaine, la France pourrait se tourner vers plusieurs partenaires européens, en particulier concernant les pays ayant participé au programme Neuron. Parmi eux, la Suède serait un candidat de choix, d’autant que le pays aura certainement besoin d’un drone de ce type pour son Gripen E/F, pour la Flygvapnet, comme à l’exportation.

Gripen E Saab Suède
La Suède aura besoin d’un drone de combat pour accompagner ses JAS 39 Gripen E/F, pour la Flygvapnet comme sur le marché export.

D’autre part, une collaboration dans ce domaine pourrait constituer une première étape dans le rapprochement entre le programme d’avion de combat suédois de nouvelle génération, et SCAF, en particulier si l’objectif est de concevoir un second appareil, monomoteur, dans le cadre de la norme technologique SCAF.

La Grèce, elle aussi, a participé au programme Neuron, et aurait, certainement, un grand intérêt à participer à un programme de drone de combat, visant à équiper le Rafale. Ceci permettrait à son industrie aéronautique de défense d’accroitre son activité et ses compétences, tout en incitant Athènes à privilégier l’hypothèse Rafale F5 + Drones, face au F-35A.

La Belgique n’a pas participé au programme Neuron, et s’est tournée vers le F-35A pour remplacer ses F-16. Toutefois, le pays produit de nombreux efforts pour accroitre son interopérabilité avec les armées françaises, et pour soutenir son industrie aéronautique dans le cadre du programme SCAF.

Laisser Bruxelles embarquer dans ce programme, enverrait un puissant message dans ce pays qui va devoir presque doubler son budget défense dans les années à venir, au point, peut-être, de convaincre les autorités belges de se doter d’un ou deux escadrons de Rafale F5, plutôt que de F-35 supplémentaires.

F-16 Polonais
La Pologne veut acquerir deux derniers escadrons d’avions de combat pour completer ses trois escadrons de F-16 et deux escadrons de F-35A.

La Croatie, mais aussi la Pologne, pourraient enfin rejoindre ce programme. Si, pour Zagreb, il s’agirait d’un effort français lié à la commande des 12 Rafale d’occasion, et d’un pari sur l’avenir, s’ouvrir à la Pologne permettrait de mettre le Rafale F5 en tête dans la compétition pour l’acquisition des deux derniers escadrons de chasse polonais. Rappelons, enfin, qu’au-delà de trois pays européens engagés dans un même programme, celui-ci devient éligible aux aides européennes.

Italie, Grande-Bretagne et Espagne : des partenaires évidents pour le Loyal Wingmen allemand autour de l’Eurofighter

Pour Berlin, l’équation, concernant le développement de son drone de combat, est plus simple, et plus directe. En effet, l’Allemagne pourra se tourner vers ses trois partenaires au sein du programme Eurofighter, que ce soit pour proposer un codéveloppement, voire simplement pour vendre le drone développé.

Il ne fait guère de doutes que Londres y verrait un intérêt, d’autant que, comme la France, le Royaume-Uni peine à financer l’ensemble de ses programmes, même en tenant compte de l’augmentation du budget des armées. Il en va de même pour l’Italie et l’Espagne, traditionnellement flexibles et appétant en matière de coopération.

Eurofighter Typhoon RAF
Comme les armées françaises, la Royal Air Force a plus de programmes à financer que de financements pour les developper. Une solution de drones de combat taillés pour le Typhoon, de conception allemande, pourrait bien la séduire aisément.

Toutefois, au-delà de ces partenaires « natifs », Berlin pourrait, aussi, se montrer plus proactif, en ouvrant des opportunités de coopération avec d’autres acteurs européens, y compris la Suède et la Pologne, évoquées précédemment, et pour les mêmes motifs.

Or, comme l’a montré l’European Sky Shield Initiative, l’Allemagne sait parfaitement se saisir de ce type d’opportunités, pour s’imposer au cœur de la construction de la défense européenne, s’appuyant notamment sur ses atouts clés, pour séduire ses partenaires européens, au plus grand bénéfice de sa propre industrie.

Conclusion

Si la coopération européenne n’a guère bonne presse, aujourd’hui, en France, elle peut, lorsque articulée efficacement, s’avérer un puissant outil, au profit de l’effort de défense national, mais aussi de la construction des lignes de forces qui sous-tendent l’émergence d’une défense européenne.

Dans ce domaine, le programme de drone de combat Loyal Wingmen, dérivé du Neuron, annoncé par Sébastien Lecornu l’année dernière, peut potentiellement créer des opportunités de coopération particulièrement prometteuses pour Paris et l’industrie de défense française, avec certains de leurs voisins européens, pour peu que les français acceptent de jouer « en plusieurs bandes ».

Dans le cas contraire, on peut s’attendre à ce que Berlin, et Airbus DS, profitent de la situation, pour renforcer une position déjà consolidée par l’ESSI, et qui viendrait, alors, nécessairement déborder sur le programme SCAF, comme sur les équilibres géopolitiques en Europe.

Naval Group propose la frégate FDI à la Marine Indonésienne, rebondissant sur la vente des Scorpene

La frégate FDI va-t-elle jouer les trouble-fêtes en Indonésie ? C’est bien possible. La coopération industrielle militaire entre l’Indonésie et la France a connu, ces dernières années, un coup d’accélérateur très important. En effet, en quelques années seulement, Jakarta s’est tourné vers Paris pour y acquérir, entre autres, 55 canons Caesar, puis 42 avions de combat Rafale et, plus récemment, deux sous-marins Scorpene Evolved, équipés des nouvelles batteries lithium-ion.

L’industrie de défense française, soutenue par les services plénipotentiaires et les armées du pays, entend bien profiter de cette dynamique positive, pour étendre encore davantage les axes de coopération avec son homologue indonésienne, alors que Jakarta est engagé dans un vaste effort pour moderniser ses armées face aux évolutions des tensions régionales, notamment face à la Chine.

C’est dans ce contexte que la frégate Bretagne, appartenant à la classe Aquitaine, a fait escale dans le port Tanjung Priok, au nord de Jakarta. L’occasion pour la Marine nationale d’intensifier ses relations avec la Marine indonésienne, et surtout pour Naval Group, de proposer la frégate FDI à l’Indonésie, profitant de la dynamique industrielle créée autour du contrat Scorpene Evolved, pour séduire Jakarta.

Concrètement, Naval Group a présenté, à bord de la frégate Bretagne, les contours d’une offre de partenariat technologique, qui permettrait à l’Indonésie, son industrie navale, et PT PAL, le chantier naval partenaire de Naval Group dans la construction des deux Scorpene, de produire localement ces frégates de haute technologie pour sa Marine, avec, à la clé, d’importants transferts de technologies.

Signature contrat Scorpene Evolved naval Group indonésie
Signature de l’accord pour la commande de 2 sous-marins Scorpene Evolved en construction locale entre Naval Group, PT PAl, le ministère indéonéseine de la défense, et la Marine indonésienne.

Après la commande de deux frégates Arrowhead britanniques, puis de deux PPA italiennes, la Marine indonésienne prévoit, en effet, de commander, dans les mois ou années à venir, au moins quatre, peut-être six, frégates de premier rang supplémentaires, qui devront remplacer les frégates de la classe Ahmad Yani, actuellement en service.

Ces navires sont, en effet, des frégates de la classe Van Speijk, une version néerlandaise de la Leander britannique. Entrés en service en 1967, elles ont été vendues à l’Indonésie en 1989, et naviguent, donc, depuis presque 60 ans. En dépit des différentes phases de modernisation subies au fil des années, ces frégates, aujourd’hui, sont très largement surclassées par les navires chinois, comme les frégates Type 054A/B ou les destroyers Type 052D/DL.

Initialement, les autorités indonésiennes avaient annoncé qu’elles se tourneraient vers la frégate FREMM italienne classe Bergamini, pour remplacer ses six navires de la classe Ahmad Yani. Pour une raison inconnue, ce contrat majeur s’est finalement transformé en une commande de seulement deux PPA, à mi-chemin entre une frégate et un OPV lourd armé, laissant en suspens, le remplacement des quatre, voire des six Ahmad Yani, selon la classification qui sera donnée aux PPA indonésiennes.

C’est dans cet interstice que Naval Group entend se faufiler, profitant, pour cela, de deux atouts, de taille, il est vrai. Le premier n’est autre que l’accord construit avec les autorités indonésiennes et les chantiers navals PT PAL, pour la construction de deux Scorpene Evolved, avec l’objectif, annoncé, d’étendre cette flotte jusqu’à six navires.

fregate classe Ahmad Yani indonesie
Les 6 frégates de la classe Ahmad Yani, qui forment la colonne vertebrale de la flotte hauturière de la Marine indonésienne, ont toutes plus de 50 ans.

Pour ce faire, Naval Group et la France se sont appuyés sur l’excellent déroulement du contrat Rafale, créant un climat de confiance réciproque, permettant à Paris de faire une proposition globale, y compris sur le plan du financement et du partage industriel, concernant la construction locale des deux Scorpene. Il est probable que, au sujet des FDI, la France arrivera en Indonésie, là encore, avec une offre globale et attrayante.

Le second atout repose sur l’excellent comportement des frégates FREMM françaises, des classes Aquitaine et Alsace, de leurs senseurs, et de leurs armements, lors de leurs déploiements en mer Rouge, face aux drones et missiles Houthis, y compris en réalisant une interception réussie de trois missiles balistiques, une première concernant un navire, et un missile, européens.

Toute la panoplie technologique de la FDI proposée sans restriction à la Marine indonésienne

Pour séduire les autorités et la Marine indonésiennes, Naval Group, et plus globalement, l’ensemble l’industrie navale militaire française, propose non seulement la nouvelle frégate de défense et d’intervention, ou FDI, commandée à cinq exemplaires par la Marine nationale, et trois exemplaires par la Marine helléniques, mais aussi un cadre industriel et technologique particulièrement attractif.

Radar seafire 500 thales
Les frégates FDI et l’ensemble de leur brique technologique sont proposées sans réserve à la Marine indonésienne, y compris le très performants radar Sea Fire 500 de Thales.

Ainsi, selon le correspondant local su site spécialisé Navalnews.com, la configuration des FDI proposées à Jakarta, ne fait l’objet d’aucune impasse technologique, comprenant l’ensemble des équipements et capacités des frégates françaises et grecques.

Ceci comprend, par exemple, le radar Sea Fire Aesa, les 4 systèmes de lancement verticaux Sylver 50 et leurs missiles Aster 15 et 30, l’ensemble de la chaine de détection et d’engagement de lutte anti-sous-marine d’une des meilleures frégates, si ce n’est la meilleure du marché, dans ce domaine, ainsi que les capacités de guerre électronique et cyber, spécifiques à cette frégate digitale, face à une flotte sous-marine chinoise en croissance rapide.

Mieux encore, outre la construction locale des navires, qui pourrait débuter dès la première coque, certains de ces équipements clés, pourraient, eux aussi, faire l’objet d’un transfert de technologies et d’une production locale, y compris les missiles surface-air Aster.

Un marché indonésien gigantesque en point de mire de l’industrie de défense française

De toute évidence, Naval Group, mais aussi Thales et MBDA, sont prêts à produire d’importants efforts, pour accroitre la présence des équipements français au sein des forces armées indonésiennes. Les autorités françaises, elles, semblent prêtes à les soutenir très activement.

Il faut dire qu’après les succès enregistrés concernant la vente de 55 canons Caesar, puis de 42 chasseurs Rafale, et enfin de deux sous-marins Scorpene Evolved, l’Indonésie s’est hissée au rang de partenaire stratégique de l’industrie de défense française, au même titre que l’Inde, les Émirats arabes unis, la Grèce ou l’Égypte.

C-130 Hercule forces aériennes indonésiennes
les forces armées indoénsiennes vont devoir moderniser une grande partie de leurs équipements, y compris en remplçant les 23 C-130 Hercule en service.

Pour la France, un partenariat stratégique solide, avec Jakarta, aurait de très nombreux aspects positifs, l’Indonésie étant appelée à dépasser la France (8ᵉ) et la Russie (9ᵉ), en termes de PIB nominal, avant 2040, en prenant la 7ᵉ place du classement mondial. Sa position géographique stratégique, à la jonction entre l’océan Pacifique et l’océan Indien, sa puissance démographique, et sa dynamique économique, en font un partenaire de choix, pour la France, concernant sa politique internationale et, plus spécifiquement, indo-pacifique.

À plus courte échéance, les armées indonésiennes vont devoir renouveler une grande quantité de leurs équipements, ce, dans tous les domaines, allant des blindés légers et moyens, aux systèmes anti-aériens à moyenne et longue portée, en passant par les corvettes, les avions de transport et de patrouille maritime, les drones et les systèmes de combat.

Qui plus est, par leurs spécificités opérationnelles et géographiques, les armées indonésiennes, et les armées françaises, partagent une doctrine proche, et une spécialisation concernant la projection de puissance à moyenne distance.

De fait, Paris a toutes les raisons, aujourd’hui, pour se montrer particulièrement souple et proactif, vis-à-vis de Jakarta, d’autant que les inquiétudes de fiabilité qui entouraient, initialement, le contrat Rafale, ont toutes été balayées, par le déroulement exemplaire de ce contrat. On peut donc espérer que la démarche entamée par Naval Group, pour promouvoir la FDI, en Indonésie, recevra un accueil favorable de la part de la Marine indonésienne, et des autorités du pays.

La précision de l’obus M982 Excalibur américain anéantie par le brouillage russe

Les munitions de précision occidentales, comme l’obus M982 Excalibur, les bombes JDAM-ER et Hammer, les missiles SCALP-ER / Storm Shadow, ou encore les missiles balistiques M39, font partie des systèmes qui, aujourd’hui, permettent aux forces ukrainiennes de partiellement compenser leur désavantage numérique face aux armées russes.

Parmi ces munitions, la M982 Excalibur joue un rôle tout particulier. Cet obus de 155 mm, pouvant être lancées à partir de M777, de Krabs, de Caesar ou encore d’Archer, permet, en effet, de frapper des forces adverses à moins de 150 mètres des lignes alliées, grâce à un écart circulaire probable de 5 mètres seulement, grâce à un guidage GPS et inertiel.

Si le M982 a tenu ses promesses en Irak, en Afghanistan ou encore au début du conflit ukrainien, sa précision a sensiblement diminué avec le temps, passant de 55 % d’impact au début du conflit, à seulement 6 % aujourd’hui, amenant Washington à annoncer la suspension des livraisons de cette onéreuse munition. Entre ces deux dates, les armées russes ont massivement déployé et fait évoluer leurs systèmes de brouillage du signal GPS.

19 obus M982 Excalibur à 110 000 $ pour traiter une cible en raison du brouillage russe

Avec une telle précision, là où deux obus suffisaient pour, statistiquement, frapper une cible et la détruire, il en faudrait, dorénavant, 19 ou plus. Impossible, dans ces conditions, d’employer le M982 Excalibur dans sa fonction première, à savoir les frappes de soutien ou d’opportunité, lorsque celles-ci doivent se faire à proximité des lignes alliées. Les risques qu’un ou plusieurs obus viennent frapper les forces ukrainiennes, seraient, en effet, trop importants.

M777 en Ukraine
M777A2 en Ukraine . Plus d’un tiers de ces systèmes américains livrés à l’Ukraine ont été détruits depuis juin 2022.

Pire encore, les délais nécessaires pour tirer 19 obus, et le nombre de projectiles envoyés, accroissent considérablement les risques que les systèmes de contrebatterie russes parviennent à établir une position précise de l’origine des tirs, pour les engager en retour par un déluge d’obus et de roquettes.

Enfin, s’invite dans cette équation déjà défavorable, le paramètre économique. En effet, un obus M982 Excalibur coute aujourd’hui plus de 110 000 $. En tirer 19, représente donc un cout global de 2 m$, soit l’équivalent de plus de 600 obus de 155 mm qui, lorsque tirés d’un système d’artillerie moderne comme le Caesar, le Pzh2000 ou l’Archer, permettraient de traiter plus de 20 cibles de ce type, et même davantage concernant le Caesar.

Il n’est donc guère surprenant que Washington ait annoncé, cette semaine, suspendre la livraison des obus M982 Excalibur, en raison de leur faible résistance face au brouillage GPS russe qui tend à se généraliser. Ce n’est, en effet, certainement pas l’investissement le plus efficace pour répondre aux nombreux besoins des forces ukrainiennes aujourd’hui.

Plusieurs systèmes d’armes américains jugés « décevants » par les Ukrainiens sur le terrain

Les contre-performances de l’Excalibur s’ajoutent à une liste grandissante de systèmes d’armes occidentaux, et plus spécifiquement américains, jugés décevants par les forces ukrainiennes, lorsque mis en œuvre face aux forces russes.

Boeing Saab GLSDB essais
Le système GLSDB permet de transformer une bombe légère en missile sol-sol par l’ajout d’un système de propulsion et un système de guidage GPS/ Inertiel.

Ainsi, la même mésaventure est arrivée au système de bombe planante propulsée de précision Groung-Launched Small Diameter Bomb, ou GLSDB, conçue conjointement par Boeing et Saab. Envoyées en Ukraine en début d’année, comme une alternative aux roquettes balistiques des systèmes M142 HIMARS ou M270 MRLS, ces bombes propulsées lancées du sol, se sont avérées très sensibles au brouillage russe, comme les Excalibur.

Il semble que les annonces faisant état du retrait précipité des GLSDB étaient erronées, puisque certains rapports ont fait état de leur utilisation, avec succès, depuis. Toutefois, tout indique qu’effectivement, lorsqu’un système de brouillage GPS est à proximité des zones ciblées, voire sur le parcours de la munition, sa précision s’en trouve considérablement altérée, rendant très incertaine son utilisation.

L’obusier tracté M777 parait, lui aussi, avoir des résultats décevants en Ukraine, si pas aux yeux des ukrainiens, qui semblent toujours en apprécier l’utilisation, en tour cas, de l’US Army. En effet, plus d’un tiers des M777 envoyés en Ukraine, depuis le mois de juin 2022, ont déjà été détruits par l’artillerie de contrebatterie et les drones d’attaque russes, là où le Caesar français, proche en termes de prix, n’enregistre qu’à peine plus de 10 % de taux d’attrition.

Ce constat, implacable, fit dire au Général James Rainey, chef du Commandement des contrats à terme de l’armée américaine, que l’Ukraine avait sonné le glas de l’efficacité de l’artillerie tractée, et qu’il fallait, désormais, à l’US Army, se tourner vers d’autres approches, notamment dans le domaine des systèmes d’artillerie portés sur camion.

caesar ukraine
La vulnérabilité comparée les M777 et des Caesar en Ukraine, a semble-t-il, convaincu Washington d’abandonner l’artillerie tractée à l’avenir, peut-être pour se tourner vers une artillerie portée sur camion.

Le système d’arme américain ayant créé la plus mauvaise surprise, en Ukraine, était aussi l’un des plus attendus, le char M1A1 Abrams. En effet, sur les 31 chars Abrams envoyés en Ukraine en début d’année, et qui ont rejoint les combats au début du mois d’avril 2024, 5 ont déjà été détruits ou gravement endommagés, en particulier par les attaques de drones et par des mines.

Il est vrai que l’Abrams n’avait pas été conçu pour ce type de terrain, ni d’usage. Imaginé dans les années 70 dans le cadre du super programme BIG 5, le M1 Abrams devait remplacer le M60, et faire face aux vagues de T-72 et T-80 soviétiques envoyés en Allemagne de l’Ouest, dans un terrain boisé et vallonné.

En Ukraine, les M1 sont employés sur des terrains souvent plats, ou en zone urbaine, deux environnements pour lesquels sa masse de plus de 60 tonnes, et sa hauteur, sont de sérieux inconvénients. Qui plus est, le M1A1 n’a pas reçu les évolutions des dernières versions de l’Abrams, comme le M1A2 SEPv3, qui dispose d’un efficace système de défense soft kill / hard kill, et notamment de l’APS israélien Trophy.

De fait, comme le Challenger 2 britannique, bien trop lourd pour évoluer dans les plaines ukrainiennes, ou le Leopard 2A4/5/6 allemand, plus équilibré, mais vulnérable, l’Abrams n’a pas apporté la plus-value attendue par les Ukrainiens, face aux chars russes. Ce d’autant que tous les chars occidentaux, spécialement l’Abrams, ont été conçus pour être employé avec un puissant support logistique en soutien, que les ukrainiens ne parviennent pas à mettre en œuvre.

M1A1 Abrams détruit en ukraine
Cinq M1A1 Abrams sur les 31 exemplaires envoyés en Ukraine, ont été détruits ou lourdement endommagés, en deux mois d’engagement.

Plus généralement, ce sont, probablement, davantage les écarts entre les espoirs ukrainiens et la réalité, ainsi que ceux entre les doctrines occidentales pour lesquels ces systèmes ont été conçus, et la doctrine inspirée des armées soviétiques, appliquée en Ukraine, qui sont à l’origine des contre-performances perçues de certains équipements européens et américains en Ukraine.

Le brouillage russe de plus en plus performant contre les drones et les munitions de précision ukrainiens et occidentaux

Reste qu’au-delà de ce constat, il est apparu, de manière incontestable, que beaucoup des systèmes occidentaux envoyés en Ukraine, qui reposent sur l’assurance d’avoir la maitrise du spectre électro-magnétique, se sont retrouvés lourdement handicapés par l’efficacité des dispositifs de guerre électronique mis en œuvre par les armées russes.

Étonnamment, pendant plusieurs mois, au début du conflit, les armées russes, pourtant réputées pour leurs nombreux investissements dans ce domaine, semblaient sous-performer en matière de guerre électrique. Ceci permit, notamment, aux drones ukrainiens, comme le TB-2, de frapper les colonnes russes pour en entraver la progression.

À l’instar de l’impréparation russe constatée en matière de défense aérienne, mais aussi dans le domaine des unités interarmes, l’absence de réelle stratégie de maitrise des ondes, au début du conflit, a certainement joué un rôle majeur dans l’échec des offensives sur Kharkiv, Soumy et Kyiv, en 2022, et dans la résistance des maigres unités ukrainiennes défendant le flanc sud.

Systeme de brouillage Krasukha-4
Les armées russes deploient de nombreux systèmes de brouillage comme le Krasukha-4.

Depuis, l’état-major russe semble s’être ressaisi. Le fait est, le brouillage est désormais intense et presque uniforme sur l’ensemble des lignes d’engagement. Si l’utilisation des drones FPV et des systèmes de communication demeurent intenses, les opérateurs des deux camps se livrant un bras de fer féroce entre basculement de fréquence de contrôle, et des plages de fréquence brouillées, cette option est beaucoup moins évidente concernant les signaux de géolocalisation.

De fait, on peut s’interroger sur l’avenir des munitions de précision reposant sur un guidage GNSS satellite, alors que les systèmes de brouillage spécialisés dans ce domaine, tendront à se généraliser, et à gagner en efficacité. Par son architecture, le signal de géolocalisation spatial (GPS, Galileo, Beidou, Glonass), n’est ni puissant, ni spécialement souple, donc très vulnérable.

Dans ce domaine, l’utilisation d’une puissante navigation inertielle en transit, et d’un guidage terminal par laser, qui nécessite cependant un pointage par opérateur ou drone, ou de systèmes électro-optiques TV ou infrarouge, voire d’un radar autonome, va probablement s’imposer face au guidage GPS actuel, tout au moins, pour ce qui concerne les munitions de précision.

L’US Navy a-t-elle oublié comment construire des frégates ?

Ces dernières décennies, les programmes de l’US Navy visant à concevoir de nouveaux navires de combat de surface, ont pour le moins connu des parcours chaotiques. Au-delà des évolutions des destroyers de la classe Arleigh Burke, un navire conçu au cours des années 80, tous ces nouveaux programmes ont rencontré de telles difficultés en matière de conception, qu’ils ont entrainé l’entame d’un déclassement capacitaire sensible de la Marine américaine.

Pour palier cela, le Pentagone entreprit, à la fin des années 2010, de lancer un nouveau programme de frégates. Baptisée classe Constellation, ce programme s’appuyait sur un modèle déjà éprouvé, en l’occurrence, la FREMM italienne de la classe Bergamini, précisément pour éviter les dérives constatées dans les programmes précédents, ayant entrainé des retards considérables et des surcouts massifs.

Il y a quelques semaines, un rapport ordonné par le Secrétaire à la Navy, Carlos del Toro, révéla de nombreux dysfonctionnements dans les programmes en cours de l’US Navy. Le programme des frégates de la classe Constellation, n’y dérogeait pas. En effet, en quatre ans seulement depuis son lancement, le programme a déjà pris trois ans de retard, et ne devrait entrer en service qu’en 2027.

Un nouveau rapport, cette fois du Government Audit Office, ou GAO, publié récemment, enfonce encore davantage le clou. En effet, pour synthétiser ses conclusions, l’US Navy aurait bel et bien oublié la manière de conduire efficacement des programmes industriels majeurs comme la construction d’une nouvelle frégate, avec une méthodologie défaillante mise en évidence par le programme Constellation.

Le rapport tranché du GAO concernant la conduite du programme de frégate de la classe Constellation par l’US Navy

Il faut dire que les révélations faites par le GAO, autour de ce programme, ont de quoi surprendre, lorsqu’il s’agit de la plus imposante et puissante marine de la planète. Non seulement le programme a-t-il pris presque autant de retard que de durée d’existence, mais il a, pour ainsi dire, abandonné la plupart des paradigmes qui lui ont donné naissance.

Frégate FREMM classe Bergamini
Au final, les frégates Constellation et les FREMM de classe Bergamini, n’auront que 15 % de composants communs. Sont-ce les mêmes 15 % que ceux que les fremm françaises et italiennes partagent ?

Ainsi, les frégates de la classe Constellation devaient être rapides à concevoir, et encore davantage à produire, de sorte à disposer d’un levier aisément activable, pour renforcer la flotte de surface américaine, si le besoin se faisait sentir, même si le programme, lui, ne portait que sur 20 navires.

Pour cela, l’US Navy accepta de se tourner vers un modèle exogène, la FREMM italienne de la classe Bergamini ayant été retenue, tant par ses qualités incontestables, que du fait que Fincantieri disposait de son propre chantier naval outre-Atlantique, Marinette Shipbuilding, qui produit notamment les LCS de la classe Independance dans le Wisconsin.

Rapidement, toutefois, la FREMM italienne commença à être transformée par les différents services de l’US Navy, prenant au passage plusieurs centaines de tonnes et une nouvelle tranche, notamment pour renforcer sa résistance aux frappes adverses.

Au fil des mois, les deux navires divergèrent encore davantage, au point qu’aujourd’hui, il ne resterait que 15 % de la FREMM initiale, dans la classe Constellation. Tout, de la propulsion à l’armement, en passant par les senseurs et même la coque, ont été modifiés ou changés, de sorte que le GAO qualifie, dans son rapport, les deux navires de « cousins éloignés », et non plus de parents proches.

Bien évidemment, ce faisant, le programme éroda presque intégralement les bénéfices attendus le concernant. Ainsi, la conception initiale de ces frégates est passée de 3 à 6 ans. Pire encore, la construction des premières unités a débuté alors que l’architecture finale des navires n’avait pas été arrêtée et validée.

Un problème de Méthodologie pointé par le GAO concernant la conduite des programmes industriels de l’US Navy

Ces dérives et travers ont de nombreuses conséquences, que ce soit sur le prix du programme, ainsi que son efficacité industrielle. Ainsi, le prix des quatre premières unités commandées par l’US Navy à Marinette Shipbuilding, a augmenté de 310 m$ depuis qu’elles ont été commandées, sans que cela concerne un changement de périmètre.

Lancement LCS N°7 USS Detroit Marinette Shipyard
Lancement de l’USS Détroit, 7ème LCS et quatrième navire de la classe Freedom, aux chantiers navals de Marinette, Wi, qui contruisent également les frégates de la classe Constellation

L’US Navy justifie ces augmentations par celles des couts de la main d’œuvre et des matières premières. Le GAO, pour sa part, met en cause la méthodologie employée, ainsi que certains travers en matière de conception des navires.

En effet, selon le bureau, l’US Navy appliquerait une méthodologie basée sur la production quantitative de documents encadrant un programme comme celui-ci, et non sur la qualité et la pertinence de ceux-ci. Ceci entrainerait des dérives programmatiques, et de nombreux stop&go, qui finissent par nuire de façon très importante à la conduite du programme lui-même.

En d’autres termes, et même si cela n’est pas explicitement écrit par le GAO, celui-ci estime que l’US Navy a perdu une grande partie des compétences qui étaient les siennes par le passé, en matière de conduite de programmes. Celles-là même qui donnèrent naissance à de nombreuses réussites comme les destroyers Arleigh Burke, les frégates O.H Perry et Knox, ou encore les croiseurs Ticonderoga, cette flotte qui lui permit de s’imposer, sans contestation, sur les océans, pendant presque 50 ans.

Zumwalt, LCS, Constellation …: les échecs successifs en matière de conception de navires de surface combattants de l’US Navy

Le constat du GAO, semble confirmé par les faits. En effet, depuis la conception des destroyers de la classe Arleigh Burke, dans les 80, l’US Navy est allée de Charybde en Scylla, en matière de conception de grands navires de surface combattants.

Zumwalt LCS
Le Zumwalt et l’USS Independance, deux têtes de classes des derniers programmes aussi couteux que peu efficaces, de grands navires de surface combattants de l’US Navy.

D’abord, dans les années 2000, avec les destroyers de la classe Zumwalt, qui devaient être produits à 20 exemplaires, pour remplacer notamment les croiseurs de la classe Ticonderoga. Particulièrement furtifs et évolués, lourdement armés et équipés d’une propulsion électrique intégrale, ces destroyers devaient donner à l’US Navy une suprématie de surface absolue pour plusieurs décennies, notamment grâce au système d’artillerie navale AGS de 155 mm.

Au final, seules trois unités furent construites avant l’arrêt du programme, alors que celui-ci avait déjà englouti plus de 20 Md$, mettant le prix de revient de ces navires de 190 mètres et 15.000 tonnes, au niveau de celui d’un porte-avions à propulsion nucléaire de la classe Nimitz. Quant au système d’artillerie AGS, il ne parvint jamais à dépasser le stade des essais, alors que le prix d’un seul obus dépassait les 800 000 $, soit un cout comparable à beaucoup de missiles antinavires à la portée très supérieure.

Le programme Littoral Combat Ship, ou LCS, qui suivit, ne fut guère plus brillant, même si le nombre de navires construits atteint aujourd’hui 36 unités, dont l’US Navy ne sait plus que faire cependant. Lancé à la fin des années 90, il visait à remplacer les chasseurs de mines de la classe Avenger, et surtout les frégates de la classe O.H Perry, retirées du service en 2014, qui formaient, jusque-là, la colonne vertébrale de la flotte de surface américaine.

Frégate classe O.H Perry US navy
La cinquantaine de frégates O.H Perry de l’US Navy n’a pour l’heure pas été remplacée, et fait cruellement défaut face à la montée en puissance très rapide de la Marine chinoise.

Comme pour les Zumwalt, les ambitions du programme étaient très élevées, avec notamment une propulsion par hydrojet conférant une vitesse et une manœuvrabilité très élevées aux navires, mais aussi grâce aux modules de mission, qui devaient permettre d’adapter le potentiel opérationnel de chaque navire en fonction de la mission, en le dotant, à la demande, de capacités de guerre des mines, de lutte anti-sous-marine ou de lutte anti-navires, pour ce qui concernait les modules initiaux.

Cependant, la propulsion des navires s’est avérée très fragile, alors que le principe des modules de mission, lui, fut abandonné en 2014, faute d’une maturité suffisante des technologies requises. Pour des raisons politiques, le Congrès imposa à l’US Navy de poursuivre les livraisons au-delà des vingt premières unités. Depuis, celle-ci produit d’immenses efforts pour convaincre représentants et sénateurs américains, de la nécessité de retirer du service la majorité de ces navires inadaptés aux besoins actuels et consommateurs de ressources.

Les frégates de la classe Constellation devaient, précisément, remplacer les LCS, pour reconstituer une flotte de frégates de haute mer, disposant notamment de moyens importants en matière de lutte anti-sous-marine, tout en redonnant de la masse à la flotte de surface combattante américaine. Dans le même temps, le programme devait remettre l’US Navy en capacité de conduire des programmes industriels de ce type, après les deux précédents échecs.

Pendant ce temps, en Chine…

Si les échecs des programmes Zumwalt et LCS n’avaient guère prêté à conséquences jusque-là, concernant la suprématie navale américaine, les difficultés rencontrées par le programme Constellation, pourraient s’avérer beaucoup plus préoccupantes.

En effet, l’industrie navale chinoise livre, aujourd’hui, de 8 à 10 nouveaux destroyers et nouvelles frégates à la Marine de l’Armée Populaire de Libération, là où les chantiers navals ont livré, en moyenne ces dernières années, 1,5 nouveau destroyer Arleigh Burke à l’US Navy.

Dalian Shipyard
pendant que l’US Navy se perd en conjectures et surspécifications, les chantiers navals chinois, comme ici a Dalian, produisent de manière très soutenu, entre quatre et cinq fois plus de frégates et destroyers que leurs homologues américains (crédits analyse OSINT Ruppecht_A / X).

Avec une quarantaine de destroyers Type 052D et Type 055 en service, et autant de frégates anti-sous-marines Type 054A, la Marine chinoise fait désormais jeu égal avec les 90 Arleigh Burke et Ticonderoga de l’US Navy, qui dispose toujours, dans ce domaine, d’un ascendant en matière de tonnage et de puissance de feu.

Cependant, au rythme comparé des livraisons, l’APL aura dépassé l’US Navy dans tous les domaines relatifs aux flottes de frégates et destroyers, d’ici à 2026. Le programme Constellation devait justement lui permettre de contenir cet écart qui se creuse, en produisant des frégates peu onéreuses, mais disposant de capacités supérieures aux frégates chinoises.

De fait, le glissement du programme, alors que la flotte des vingts premiers Arleigh Burke se rapproche de l’échéance du retrait du service, à partir de 2027, et que les derniers Ticonderoga seront partis en retraite d’ici là, s’avère lourd de conséquences, sachant qu’en trois ans, l’industrie navale chinoise produit plus de vingt grandes unités de surface combattante, et que les chantiers navals américains ne semblent plus en mesure de retrouver des cadences de production comparables à celles qu’ils avaient dans les années 70 et 80.

Pyongyang lance 10 missiles balistiques simultanément vers la mer du Japon / mer de l’Est

Depuis 2017, la Corée du Nord a considérablement augmenté la fréquence des tirs de missiles balistiques et de croisière, en passant du lancement de quelques missiles chaque année, trois tirs, dont deux échecs, en 2016, à plus de 20 en 2017, dont plusieurs essais d’ICBM et de SLBM à capacités stratégiques.

2022 fut l’année la plus dense jamais enregistrée dans ce domaine, avec près d’une centaine de tirs de missiles balistiques à courte portée, ainsi qu’une dizaine de lancements de missiles IRBM, ICBM et SLBM à potentiel stratégique, et autant de missiles de croisière à longue portée.

Si 2023 fut moins intense dans ce domaine, le nombre de ces tirs a, à nouveau, augmenté depuis le début de l’année 2024, pour atteindre un paroxysme sans équivalent ce 30 mai. En effet, les autorités japonaises ont annoncé avoir détecté, ce jour, le lancement simultané d’une dizaine de missiles balistiques à courte portée vers la mer du Japon /mer de l’est (cf maj du 4 septembre 2024).

Pour la première fois, la Corée du Nord lance une salve de dix missiles balistiques à courte portée vers la mer du Japon / mer de l’Est

Si la Corée du Nord a déjà tiré plusieurs missiles balistiques le même jour, et tiré deux missiles simultanément, elle n’avait, en revanche, jamais, jusqu’ici, déclencher le tir simultané de 10 missiles balistiques.

kn 17 image04 Missiles Balistiques | Actualités Défense | Armes nucléaires
Le KN-17, ou Hwasong-12, est un IRBM d’une portée de 6000 km, préenté pour la première fois en avril 2017.

En effet, jusqu’à présent, en dehors de quelques démonstrations de forces en réaction à des annonces de la Corée du Sud, du Japon ou des États-Unis, une majorité de ces tirs, avait pour fonction de tester les nouveaux systèmes.

Ainsi, la Corée du Nord a conçu, assemblé et testé pas moins d’une dizaine de types de missiles balistiques à courte portée SRBM, missiles balistiques à portée intermédiaire IRBM, missiles balistiques inter-continentaux ICBM, missiles balistiques à changement de milieux SLBM et missiles de croisière, depuis 2015. De fait, l’immense majorité de ces tirs avait pour fonction de vérifier le comportement des nouveaux KN-17, KN-23, et autres Pukguksong, fraichement conçus.

Le tir de ce jour, probablement des missiles SRBM KN-23 ou KN-25, ont parcouru 350 pour venir s’écraser dans la zone économique exclusive nippone, en mer du Japon / mer de l’Est. Aucun préavis de tir n’avait été lancé par Pyongyang, comme à l’accoutumée.

Ce tir simultané de dix missiles SRBM, est une première pour la Corée du Nord. Il ne s’agissait certainement plus de tester les missiles, ou leurs mises en œuvre, mais d’évaluer les effets d’une attaque de saturation, et de s’entrainer à cela, pour obtenir, effectivement, des départs, voire des impacts, simultanés ou très rapprochés, dans l’espace et le temps.

missiles balistiques KN-23 Corée du nord
Le missile SRBM KN-23 nord-coréen est très semblable à l’Iskander russe. Pour l’heure, le KN-23 n’est pas armé d’ogive nucléaire, la Corée du Nord n’ayant pas la technologie suffisante pour miniaturiser les têtes. Mais cela pourrait rapidement changer, avec l’aide de la Russie.

L’objectif, ici, est donc très certainement de s’entrainer à saturer les défenses adverses, plus spécifiquement sud-coréenne, peut-être pour priver Séoul de la mise en œuvre de sa doctrine « 3 axes », qui suppose des frappes préventives sur l’ensemble des sites abritant potentiellement les armes nucléaires de Pyongyang, avant que la Corée du Nord puisse en faire usage.

Par leur conception à carburant solide, les KN-23 et KN-25, peuvent être très rapidement mis en œuvre et lancés par les forces des missiles nord-coréennes, avec la possibilité de saturer les défenses aériennes de Séoul, et de détruite les capacités employées pour le premier axe de sa doctrine.

Le transfert de technologies militaires russes vers Pyongyang anticipé par les États-Unis

Ce d’autant que si les SRBM nord-coréens ne peuvent pas, aujourd’hui, emporter de charge nucléaire, plusieurs rapports émanant des services de renseignement occidentaux, pointent le risque de voir la Corée du Sud se doter de la technologie de miniaturisation des têtes nucléaires suffisante, pour armer ses SRBM, voire pour doter ses missiles ICBM et SLBM de têtes d’entrée autonomes.

En effet, ces services estiment que Pyongyang aurait négocié son soutien à la Russie, dans la guerre en Ukraine, avec l’envoi massif de missiles balistiques à courte portée et de munitions, contre certains transferts de technologies critiques.

Kim Jong Un et Vladimir Poutine
Rencontre en 2019 à Vladivostok entre Kim Jong Un et Vladimir Poutine

Trois domaines, en particulier, sont avancés par les experts occidentaux. Outre la miniaturisation des têtes nucléaires, ceux-ci estiment que le programme de satellites de reconnaissance et d’observation nord-coréen bénéficierait de l’aide technologique russe, ainsi que la conception de sous-marins, et plus particulièrement, des nouvelles capacités SLBM de Pyongyang.

Il est aussi probable que la Corée du Nord aura obtenu de Moscou la possibilité de moderniser sa flotte de chasse, par l’acquisition de nouveaux avions de combat, ainsi que ses défenses aériennes, même s’il faudra probablement attendre la fin du conflit en Ukraine, pour que les usines aéronautiques russes puissent reprendre le cours des livraisons à l’internationale.

Ce faisant, l’alliance de fait qui lie, aujourd’hui, la Russie et la Corée du Nord, pourrait rapidement permettre à Kim Jong Un de doter son pays de capacités largement accrues en matière nucléaire, conçues pour rendre caduque la doctrine trois axes de Séoul. Ne restera, alors, à la Corée du Sud, qu’à s’en remettre au parapluie nucléaire américain, ou à se doter, aussi, d’armes nucléaires, pour tenir en respect la menace nord-coréenne.

Pyongyang multiplie les provocations et les expérimentations opérationnelles contre la Corée du Sud

Cette dynamique nord-coréenne, et probablement certaines assurances données par Moscou, ont, semble-t-il, convaincu Kim Kong-Un que le moment est favorable pour faire croitre les tensions avec Séoul, Tokyo et le bloc occidental.

En effet, depuis quelques mois, la Corée du Nord multiplie les provocations contre son voisin, que ce soit par des tirs de missiles, des incidents de frontière et des discours de plus en plus belliqueux.

ballon détrituts coréen du nord
La Corée du Nord a lancé plusieurs dizaines de ballons transportant des dizaines de kilogrammes de détrituts contre la Corée du Sud.

Ainsi, ces derniers jours, Pyongyang a lancé plusieurs centaines de ballons, transportant chacun plusieurs dizaines de kilogrammes de détritus, vers son voisin du sud. Si l’offense est évidente, ces lancements permettent, aussi, aux armées nord-coréennes, d’évaluer l’efficacité d’une telle mesure, pour contourner les défenses du sud.

En effet, si, en lieu et place de détritus, les ballons transportaient une charge plus agressive, comme des déchets radioactifs, ou des armes chimiques ou bactériologiques, les résultats pourraient être désastreux pour les zones frontalières, peut-être suffisamment pour désorganiser les défenses sud-coréennes, et permettre les armées nord-coréennes de prendre l’avantage dans une offensive terrestre.

Reste à voir jusqu’où ira Kim Jong Un, dans la construction de son arsenal, et dans sa rhétorique guerrière face au sud, une fois doté de ces nouvelles capacités. L’exercice du pouvoir absolu, qui plus est dans un régime aussi répressif, tend, en effet, à engendrer des décisions sans fondement logique. C’est ainsi que Hitler s’est convaincu qu’il pouvait vaincre l’Union Soviétique, et que Poutine acquis la conviction que l’Ukraine tomberait en quelques semaines, et que les ukrainiens accueilleraient les armées russes avec des vivas.

Quelle pourrait être, alors, les certitudes du leader nord-coréen, une fois armé d’une panoplie nucléaire suffisante pour dissuader les États-Unis, et d’une force militaire conventionnelle potentiellement supérieure à celle du sud ?

Mise à jour du 4 septembre 2024 :

Le ministère de la Culture, du Tourisme et des sports de Corée du Sud, nous a fait remarquer que la désignation « Mer du Japon » était une désignation purement nippone de cet espace maritime. Les Coréens, pour leur part, le désignent par le nom « Mer de l’Est » depuis plus de 2000 ans, raison pour laquelle nous avons fait apparaitre les deux désignations dans le texte, sachant que le terme « mer du Japon » est plus généralement connu en Occident.

Faute de Gripen, la Suède va transférer deux ASC 890 Awacs aux forces aériennes ukrainiennes

La Suède a créé la surprise en annonçant l’envoie de ses deux avions ASC 890 de veille aérienne avancée en Ukraine, faute de ne pouvoir envoyer ses chasseurs Gripen. En effet, en octobre 2023, le pays scandinave avait mis sur la table des négociations, pour son adhésion à l’OTAN, alors bloquée alors par la Turquie et la Hongrie, la possibilité de transférer des chasseurs Gripen aux forces aériennes ukrainiennes.

Une fois son adhésion acquise, Stockholm n’en oublia toutefois pas sa promesse faite à Kyiv. Toutefois, pour une question de cohérence de la flotte de chasse, il a été décidé que les forces aériennes ukrainiennes se tourneraient uniquement vers le F-16, d’autant que le nombre d’appareils promis par le Danemark, les Pays-Bas, la Norvège ou encore la Belgique, approche désormais la centaine d’exemplaires.

Est-ce une forme de compensation ? Quoi qu’il en soit, les autorités suédoises ont annoncé, hier, le prochain transfert de ses deux avions d‘alerte aérienne avancée ASC 390, communément classés sous le terme d’Awacs, à l’Ukraine.

Même si les nouveaux GlobalEye, un appareil bien plus moderne que l’ASC 390, doivent rejoindre la Flygvapnet, dans quelques mois, c’est la première fois qu’un pays occidental accepte de se défaire temporairement d’une capacité militaire majeure, au profit de l’Ukraine.

Stockholm s’engage à apporter une aide à l’Ukraine représentant 1 % de son PIB d’ici à 2026

Cette annonce s’inscrit dans le nouveau lot d’aides militaires accordées par Stockholm à l’Ukraine, qui représente 13,3 Md de Couronnes, soit 1,16 Md€, lui-même intégré à une promesse globale d’aide à l’Ukraine de 75 Md de Couronnes, 6,5 Md€, d’ici à 2026. Cette aide représente 1 % du PIB du pays, et 50 % du budget annuel accordé aux armées suédoises aujourd’hui.

Le Gripen ne volera donc pas sous cocarde ukrainienne. La préférence a été donnée à une flotte de F-16 relativement homogène.
Le Gripen ne volera donc pas sous cocarde ukrainienne. La préférence a été donnée à une flotte de F-16 relativement homogène.

Par cette aide, la Suède va atteindre une aide totale dépassant les 100 Md de Couronnes suédoises à l’Ukraine, soit 8,7 Md€, l’Ukraine devenant le principal bénéficiaire de l’aide internationale suédoise sur cette période.

Ce soutien économique et militaire, s’accompagne d’un soutien politique, Stockholm ayant récemment rejoint la dynamique européenne en cours, pour autoriser que les armements suédois transférés en Ukraine, puissent être utilisés pour frapper des cibles légitimes sur le territoire russe.

En revanche, Pål Johnson, le premier ministre suédois, s’est toujours présenté comme opposé à l’envoi de forces suédoises sur le sol ukrainien. Reste à voir si cette opposition s’étendra à l’envoi de formateurs, comme proposé par la France, et soutenu, semble-t-il, par les pays Baltes et la Pologne.

En transférant deux ASC 890, la Suède se défait temporairement de capacités militaires majeures pour aider l’Ukraine

Si la détermination de Stockholm dans son soutien à Kyiv est incontestable, bien peu étaient ceux qui avaient envisagé une décision aussi structurante, pour les deux pays, dans le cadre du nouveau lot d’aides militaires vers l’Ukraine. En effet, la Suède a annoncé qu’elle allait transférer ses deux avions de veille aérienne avancée ASC 390, aux forces aériennes ukrainiennes.

Saab Globaleye
La Flygvapnet va accélérer la livraison des deux GlobalEye commandés à Saab, et va certainement lever l’option sur les deux appareils supplémentaires pour compenser le transfert des deux ASC 890 à l’Ukraine.

Aujourd’hui, la Flygvapnet ne possède plus que deux des six ASC 890 livrés entre 1997 et 1999, pour assurer la surveillance de l’espace aérien suédois, un pays ayant la superficie de 450 000 km², non loin de la France et de ses 550 000 km². Deux de ces appareils ont été cédés à la Thaïlande en 2012, et deux autres à la Pologne, en 2023.

De fait, en promettant le transfert de ses deux derniers ASC 890, Stockholm accepte de se priver d’une capacité militaire majeure, dans un contexte de tensions internationales élevées. Certes, la Flygvapnet a commandé, en 2012, deux nouveaux GlobalEye pour prendre le relais des avions cédés à la Thaïlande, avec une option sur deux appareils supplémentaires.

Toutefois, ces deux appareils ne devaient être livrés qu’en 2027. Les autorités suédoises ont précisé, dans le communiqué accompagnant l’annonce du transfert des ASC 890, que ce délai serait réduit, et laissent supposer que les deux options sur les appareils supplémentaires, seraient levées pour disposer « rapidement » d’une flotte complète de 4 GlobalEye.

En outre, maintenant que la Suède a pleinement intégré l’OTAN, la surveillance de son espace aérien pourra s’effectuer avec les appareils de l’alliance, qui dispose en propre de 17 E-3 Sentry, renforcés potentiellement des 4 E-3 et des 3 E-2C français, des deux ASC 890 polonais, et auxquels s’ajouteront les 3 Wedgetail britanniques à partir de 2025.

Une nouvelle capacité redoutable pour les forces aériennes ukrainiennes

L’arrivée des deux ASC 890 en Ukraine, dont le calendrier n’a pas, pour l’heure, été révélé, va offrir aux forces aériennes du pays, de nouvelles capacités déterminantes, notamment pour la détection avancée des missiles et drones.

ASC 890 forces aériennes suédoises
Le radar PS-890 à antennes AESA de l’ASC 890 permet de déterceter des cibles aériennes jusqu’à 400 km de portée.

Le système se compose d’un avion de transport régional bi-turbopropulseurs Saab 340, un appareil de 20 mètres, 8,6 tonnes à vide et conçu pour transporter 34 passagers, équipé d’un radar PS-890 AESA et de 6 opérateurs à son bord. Ce radar permet de détecter des cibles aériennes jusqu’à 400 km, avec un débattement de 120° de part et d’autre de l’appareil.

Cette capacité permettra aux forces aériennes ukrainiennes de détecter les aéronefs, mais surtout les missiles de croisière et les drones russes transitant dans l’espace aérien ukrainien, en particulier ceux évoluant à très basse altitude, qui sont les plus difficiles à détecter, en tous cas avec suffisamment de préavis, par la défense aérienne et ses radars terrestres.

Il est d’ailleurs probable que, sauf exception, ces deux appareils ne seront pas employés à proximité des lignes d’engagement, ou ils seraient rapidement détectés et visés par la chasse russe, et notamment par les Su-35s équipés du missile air-air R-37M d’une portée de 400 km lorsque lancé à haute altitude.

Pour autant, la détection précoce des missiles de croisière et des drones d’attaque ukrainiens, et la coordination des défenses aériennes, rendues possibles par l’arrivée des ASC-890, apporteront déjà une plus-value considérable pour contrer les frappes russes dans le territoire ukrainien, ce qui devrait accroitre les taux d’interception et réduire l’utilisation des munitions.

Pbv 302, RB-99 AMRAAM, obus de 155 mm : le reste des équipements suédois inclus dans le nouveau lot d’aide militaire à l’Ukraine

Les deux ASC 890 ne sont pas les seuls équipements qui seront livrés à Kyiv par Stockholm, dans le nouveau lot d’aide militaire suédoise à l’Ukraine. Ainsi, les armées suédoises vont livrer l’ensemble des transports de troupe blindés Pbv 302, autour de 130 exemplaires, dont elles disposent.

PBV 302 APC Suède
La Suède va transferer l’ensemble des Pbv 302 mis en réserve en 2014, pour être remplacés par des CV90.

Contrairement aux ASC 390, la livraison des Pbv 302 ne va pas priver les forces armées ukrainiennes, de ses moyens. En effet, ces blindés ont été retirés du service en 2014 pour être remplacés par le véhicule de combat d’infanterie CV90. Ils n’en demeurent pas moins efficaces, car particulièrement mobiles, avec un rapport puissance poids de 20 cv par tonnes et une configuration chenillée.

Outre ces blindés, la Suède va également livrer un nombre indéterminé de missiles air-air RB-99, un AIM-120 AMRAAM produit sous licence dans le pays, pour armer les futurs F-16 des forces aériennes ukrainiennes. Enfin, comme beaucoup de pays occidentaux, la Suède prévoit de livrer de nombreuses munitions aux armées ukrainiennes, notamment les obus d’artillerie de 155 mm, devenus le mètre-étalon de l’aide militaire occidentale à l’Ukraine.

Reste à voir, désormais, le calendrier qui accompagnera l’ensemble de ces annonces. En effet, si livrer des ASC 890 peut se faire rapidement, la formation des opérateurs radars, des techniciens de maintenance, et surtout la mise en place d’une procédure opérationnelle efficace concernant leur mise en œuvre, prendra nécessairement beaucoup du temps, ce d’autant que les armées ukrainiennes n’ont jamais employé ce type de capacités.

De fait, sauf à ce que la formation et la transformation des forces aériennes ukrainiennes ait débuté depuis plusieurs mois, ce qui n’est pas exclu, il faudra encore attendre de nombreux mois, avant que les ASC-890 sous cocarde ukrainienne, se montrent à leur plein potentiel dans le ciel du pays.

La Marine chinoise fait du blocus de Taïwan son fil directeur industriel

Alors que la Marine chinoise a terminé l’exercice Joint Sword 2024A simulant un blocus de Taïwan, la production industrielle navale chinoise a atteint des cadences que le monde n’avait plus connues, depuis le début des années 80, et la reconstruction intensive de l’US Navy sous la tutelle du Secrétaire à la Navy John Lehman, et son ambition d’une flotte de 600 navires.

Les chantiers navals chinois produisent, en moyenne chaque année, une grande unité aéro-amphibie, qu’il s’agisse de porte-hélicoptères d’assaut, de porte-drones ou de porte-avions, ainsi que plusieurs sous-marins, dont un seul à propulsion nucléaire. C’est, cependant, la flotte de surface combattante de l’Armée Populaire de Libération, qui a concentré le plus de moyens et d’attention de la part de Pékin. En effet, la Marine Chinoise a reçu 7 à 10 nouveaux escorteurs de haute mer par an depuis 2020, soit quatre fois plus que n’en a reçu l’US Navy.

L’exercice Joint Sword 2024A, qui a été déclenché en réponse aux déclarations jugées sécessionnistes du nouveau président Taïwanais, Lai Ching‑te, apporte des éclaircissements quant à la doctrine que la Marine chinoise pourrait mettre en œuvre, si les tensions devaient croitre avec Taipei. En effet, la simulation de blocus naval, qui a fait l’objet de cet exercice, repose sur l’utilisation massive de cette même flotte de surface combattante, que les chantiers navals chinois produisent encore plus intensément, aujourd’hui.

La production de destroyers et de frégates s’intensifie dans les chantiers navals chinois

À ce sujet, il semble bien que le rythme, pourtant déjà très soutenu, concernant la production des grandes unités de surface combattantes chinoises, soit appelé à croire encore davantage, qu’il s’agisse de la frégate anti-sous-marine Type 054A, de la Type 054B qui lui succède, des destroyers antiaériens Type 052D et DL, ou des nouveaux destroyers lourds de 13 000 tonnes Type 055, armés de 112 silos verticaux de missiles antiaériens à longue portée HHQ-9, de missiles antinavires supersoniques YJ-12 et même de missiles balistiques antinavires YJ-21, version embarquée du DF-21D.

Yj-21 Type 055 Maine chinoise
Tir d’un missile balistique YJ-21 à partir d’un destroyer lourd Type 055

Ainsi, selon un article publié par le site spécialisé Navalnews.com, les observations satellites des chantiers navals chinois, montreraient une hausse des cadences dans la production de ces frégates et destroyers, alors qu’un troisième site de construction, rattaché aux chantiers navals de Dalian, et situé à Dagushan, monte en puissance.

Au-delà de cette hausse de la production, le renouvellement des unités les plus anciennes de la Marine chinoise, tend à s’étioler. Ainsi, aujourd’hui, il ne reste plus qu’une frégate Type 053H1 construite avant 1990 en service, alors que 3 frégates, et 4 destroyers en service, seulement, sur les 90 navires de ce type alignés, ont rejoint la Marine chinoise entre 1990 et 2000.

De fait, l’intensification de la production des grandes unités de surface, accélèrera encore davantage l’augmentation du format de la flotte de surface combattante chinoise de haute mer, qui devrait dépasser les 100 unités modernes, d’ici à la fin de 2025.

Avec 7 escorteurs pour un Capital Ship, la Marine chinoise à une structure radicalement différente de celle des marines occidentales

À ce moment-là, la Marine chinoise alignera un taux d’escorte très atypique pour une flotte moderne, avec 100 escorteurs de haute mer pour seulement 14 grands navires océaniques de projection de puissance, à savoir 3 porte-avions, 3 porte-hélicoptères d’assaut Type 075, et 8 LPD Type 071. De même, le taux d’escorte sous-marine de ces grands navires est très faible, avec 9 sous-marins nucléaires d’attaque pour 14 Capital Ships.

Porte-avions Fujian CV-18 Marine chinoise
La Marine chinoise aligne 90 escorteurs de haute mer pour seulement 14 Capital Ships, en comptant le porte-avions Fujian.

À titre de comparaison, l’US Navy aligne un taux d’escorte de 2,5 destroyers et 1,5 SNA par Capital Ship, et la Marine nationale, de 3,75 escorteurs et 1,5 SNA pour ses 3 LHD Mistral et son porte-avions nucléaire Charles de Gaulle.

Cette structure atypique de la flotte chinoise montre qu’elle n’est pas, aujourd’hui, conçue pour la projection de puissance, contrairement à l’US Navy, la Marine nationale ou la Royal Navy. En revanche, elle est parfaitement taillée pour les actions navales dans un périmètre restreint autour des côtes chinoises.

En effet, dans cette hypothèse, elle peut s’appuyer sur la protection des forces aériennes chinoises, d’une part, sur l’efficacité de sa flotte d’une soixantaine de corvettes Type 056A de lutte anti-sous-marine littorale, de l’autre, ainsi que sur la soixantaine de sous-marins d’attaque à propulsion conventionnelle, dont les très performants sous-marins AIP de la classe Yuan (18 exemplaires).

Une flotte militaire chinoise en gestation taillée pour le blocus de Taïwan

C’est évidemment là que l’exercice Joint Sword 2024A, s’avère riche d’enseignements. En effet, pour mettre en place le blocus simulé de Taïwan, la Marine chinoise s’est appuyée sur ses unités de surface combattantes, épaulées par des navires de débarquement de type LST et des navires de soutien, organisés en cinq flottilles positionnées autour de l’ile, sauf sur le quart nord-ouest. En revanche, les porte-avions et grandes unités amphibies chinoises, ne semblent pas avoir participé à l’exercice.

Marine chinoise Type 055 Type 052D Type 056
La production industrielle navale militaire chinoise se concentre sur la modernisation et l’extension de la flotte d’escorteurs de haute mer, comme les destroyers lourds Type 055 et les destroyers antiaériens Type 052DL.

Le fait est, en disposant d’une vaste flotte de destroyers et de frégates pour contrôler les espaces océaniques entourant Taïwan, et en s’appuyant sur les flottes littorales pour contrôler le détroit, la Marine chinoise dispose d’une flotte adaptée à cette mission, qui plus est, bientôt taillée pour soutenir un tel effort dans la durée, tout en assurant une rotation des navires déployés.

En outre, une fois que le format de frégates et destroyers chinois aura dépassé la centaine d’unités, et que le nombre de destroyers lourds et de destroyers antiaériens aura encore augmenté, l’APL disposera de la possibilité de maintenir un dispositif constant de 6 flottilles opacifiant l’ensemble des accès à l’ile, chacune d’elle organisée autour d’un destroyer lourd Type 055, de deux destroyers Type 052D/DL, et de deux frégates anti-sous-marine Type 054A, en rotation.

Ce faisant, une éventuelle flotte occidentale, envoyée pour briser le blocus naval, se heurterait systématiquement à trois de ces flottilles susceptibles d’agir de concert, sans que des espaces se forment autour de l’ile. Si le besoin se faisait sentir, les porte-avions chinois, voire les porte-hélicoptères, pourraient intervenir en seconde intention, rendant le dispositif particulièrement résiliant, quelles que soient les hypothèses.

Dans ce contexte, il apparait donc très probable que les efforts produits par les chantiers navals chinois, pour moderniser et étendre, à marche forcée, la flotte d’escorteurs de haute mer de la Marine chinoise, seraient la conséquence directe de la volonté de Pékin de faire plier Taïwan par l’intermédiaire d’un blocus naval à relativement courte échéance.

blocus de Taiwan Joint Sword 2024A CSIS
Déroulement de l’exercice Joint Sword 2024A (crédits CSIS)

Rappelons que l’intégration de Taïwan à la République Populaire de Chine, a été l’une des priorités de l’action politique du président Xi Jinping, qui entend, par là, non seulement « récupérer » un territoire et des capacités industrielles et économiques de premier plan, mais surtout mettre définitivement fin, par cette victoire du PCC, à la guerre civile chinoise ayant opposé nationalistes et communistes dans les années 40, et qui reste, aujourd’hui, sans vainqueur incontestable.

Aujourd’hui âgé de 70 ans, dans un pays où l’espérance de vie moyenne des hommes atteint 76 ans, il est probable que Xi Jinping ambitionne de déclencher cette réunification forcée, telle que présentée par Pékin, avant d’atteindre cette échéance, pour entrer, lui aussi, dans l’histoire du pays.

Une évolution potentielle rapide vers la projection de puissance

Reste que si la Marine chinoise n’est pas, aujourd’hui, engagée dans une trajectoire privilégiant la projection de puissance, pour privilégier l’intégration de Taïwan, via un blocus naval et aérien, il ne lui faudra pas davantage de 15 ans, pour se doter de cette capacité, une fois la mission prioritaire achevée.

En effet, avec plus d’une centaine d’escorteurs de haute mer opérationnelle, et un outil industriel particulièrement rodé, Pékin pourrait décider, après ce succès, de transformer rapidement sa Marine en ce sens, en privilégiant la construction de grands navires aéro-amphibies, porte-avions et LHD, de sous-marins nucléaires d’attaque et de grands navires logistiques, tout en réduisant celle des destroyers et frégates.

construction type 076
Construction du premier porte-drones Type 076 chinois

Ainsi, à raison d’un porte-avions tous les deux ans, d’un grand navire amphibie tous les ans, et de deux sous-marins nucléaires par an, des rythmes somme toutes raisonnables et déjà poursuivis par les États-Unis dans les années 70 et 80, la Marine chinoise disposera, en quinze ans, d’une dizaine de porte-avions, d’une trentaine de grands navires amphibie, et d’une quarantaine de sous-marins nucléaires d’attaque, faisant jeu égale avec l’US Navy en matière de projection de puissance.

Pékin ayant indiqué son intention de devenir la première puissance mondiale, du point de vue militaire, à horizon 2049, pour le centenaire de la création de la République Populaire de Chine, il sera nécessaire, pour y parvenir, d’entamer cette bascule industrielle autour de 2030, ce qui est aligné avec l’ambition d’intégrer Taïwan, un prérequis indispensable tant du point de vue politique qu’opérationnel, avant al fin de la décennie, et les 76 ans de Xi Jinping.

Conclusion

On le voit, en portant, sur un calendrier, les ambitions ouvertement revendiquées par les autorités chinoises, et les trajectoires industrielles et militaires effectivement constatées, un schéma particulièrement préoccupant se dessine, que ce soit pour Taïwan, mais aussi pour la sécurité mondiale, jusqu’en Europe.

En effet, il semble parfaitement évident que si, effectivement, la Chine s’inscrit dans cette dynamique, les États-Unis devront mobiliser l’ensemble de leur outil militaire et industriel, pour en contenir les débordements, en particulier auprès de certains alliés stratégiques, comme le Japon, la Corée du Sud, ou encore l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Et ce, dès la fin de la présente décennie, dans le meilleur des cas.

Il faudra donc se montrer particulièrement attentif, dans les mois et années à venir, pour confirmer, ou, au contraire, infirmer cette trajectoire chinoise, et surtout pour prendre les mesures conservatoires nécessaires, en particulier en Europe, qui risque fort d’en subir de très fortes conséquences, économiques comme sécuritaires.

Et cela commence, évidemment, par l’observation très attentive de l’effort produit par la Chine, pour renforcer, rapidement, sa flotte de surface, selon un modèle qui demeurerait très déséquilibré.